Être grand-parent à distance : ce qui se perd lorsque les familles sont séparées et comment combler le fossé

Source: The Conversation – in French – By Sulette Ferreira, Transnational Family Specialist and Researcher, University of Johannesburg

Devenir grand-parent est souvent perçu comme une expérience profondément intime et concrète : tenir un nouveau-né dans ses bras, partager ses premiers sourires, assister à ses premiers pas hésitants. Cette expérience repose traditionnellement sur la présence physique et sur des visites spontanées.

Pour de nombreux grands-parents dont les enfants ont émigré, ces moments précieux ne se vivent plus avec le contact physique. Ils se déroulent désormais à travers des écrans et sont soumis aux contraintes des décalages horaires. Ils sont aussi marqués par un sentiment d’éloignement.

C’est le cas en Afrique du Sud, un pays où l’émigration est en hausse, en particulier parmi les jeunes familles. Plus d’un million de Sud-Africains vivent aujourd’hui à l’étranger. Cela a des effets profonds et durables et touche plusieurs générations.

Dans une étude récente, j’ai exploré l’impact de l’émigration mondiale sur les relations entre les grands-parents sud-africains et leurs petits-enfants nés à l’étranger. J’ai examiné ce que signifie endosser le rôle de grand-parent à distance, souvent pour la première fois, et comment l’absence de proximité physique remodèle les relations entre générations.

J’ai publié divers articles sur la migration et les relations entre générations dans les familles qui vivent entre deux pays. Je dirige également un cabinet privé qui se concentre sur les défis émotionnels liés à l’émigration.

Dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’ai mené des entretiens approfondis avec 24 parents sud-africains dont les enfants adultes avaient émigré. Ce projet a jeté les bases de mon programme de recherche plus large sur les effets émotionnels de la migration. Cet article de recherche est basé sur les expériences de 44 participants.

Pour ces grands-parents, l’émigration représente plus qu’une simple séparation géographique. Le rythme familier de la vie avec leurs petits-enfants, des visites spontanées aux fêtes communes, est bouleversé. Il en résulte un sentiment de perte profond et permanent, non seulement lié à l’absence des interactions quotidiennes avec leurs petits-enfants, mais aussi à la disparition progressive d’un rôle cher à leur cœur, autrefois ancré dans la présence physique et les liens quotidiens.

Les résultats montrent que l’absence de proximité physique engendre de profondes barrières émotionnelles, particulièrement durant les premières années de la vie d’un petit-enfant, qui sont déterminantes. Pourtant, malgré la distance, les grands-parents parviennent à trouver des moyens créatifs et significatifs de rester émotionnellement présents.

Dans les familles transnationales, les grands-parents jouent un rôle de gardiens de la continuité culturelle et de soutien émotionnel, mais aussi d’acteurs actifs qui redéfinissent ce que signifie être grand-parent dans le contexte de la migration mondiale.

Témoignages des grands-parents

La question centrale de ma recherche était de savoir comment la distance avait redéfini le rôle de certains grands-parents dans les familles sud-africaines. Elle a également examiné comment les grands-parents s’adaptent et négocient leurs rôles à différentes étapes de la vie de leurs petits-enfants.

Les critères de sélection étaient les suivants : être citoyen sud-africain, parler couramment l’anglais, vivre en Afrique du Sud, être parent d’un ou plusieurs enfants adultes ayant émigré et vécu à l’étranger pendant au moins un an, et être de toute origine ethnique, culture, sexe, statut socio-économique et âgé de 50 à 80 ans.

J’ai complété les entretiens par des enquêtes qualitatives distribuées via mon groupe de soutien en ligne.

Les grands-parents ont fait état de diverses difficultés, telles que la perte de leur implication quotidienne, la charge émotionnelle liée à la séparation et les difficultés de communication numérique qui nécessitaient des stratégies d’adaptation continues pour maintenir le lien.

L’étude montre que la distance n’affaiblit pas nécessairement les liens intergénérationnels, mais oblige les grands-parents à redéfinir leur présence.

Mes recherches ont clairement montré que le lieu de naissance est un facteur déterminant dans la formation du lien entre grands-parents et
petits-enfants.

Les grands-parents d’enfants nés en Afrique du Sud et qui déménagent ensuite dans un autre pays sont souvent impliqués dès le début. Ils aident à prendre soin des enfants au quotidien, célèbrent les étapes importantes et profitent de visites spontanées. Ces interactions quotidiennes nourrissent des liens émotionnels forts.
Comme l’a confié Annelise, une participante :

Quand votre petit-enfant naît ici, vous le connaissez depuis sa naissance, vous le voyez tous les jours, vous partagez tout.

Lorsque ces petits-enfants émigrent, la rupture peut être profonde. Les grands-parents perdent non seulement un contact régulier, mais aussi leur rôle de soutiens actifs.

Lorsque les petits-enfants naissent à l’étranger, un parcours émotionnel différent se dessine. La joie et l’excitation sont souvent tempérées par la nostalgie et la tristesse.

La réalité des relations transfrontalières oblige les grands-parents à redéfinir leur rôle. Pour de nombreuses familles, la grossesse renforce les liens entre les générations, en particulier entre les mères et les filles. Cette phase est généralement marquée par des rituels communs, qui façonnent l’identité de mère et de grand-parent. Ces rituels favorisent les liens affectifs et le sentiment d’appartenance.

Mais pour les grands-parents qui sont séparés, ces moments peuvent être remplacés par des captures d’écran et des messages vocaux, rendant les étapes importantes lointaines et intangibles.

Cette absence précoce peut être ressentie comme une exclusion de la grand-parentalité elle-même, comme si ce rôle était refusé avant même d’avoir commencé. Ce phénomène correspond étroitement au concept de « perte ambiguë » développé par la psychologue américaine Pauline Boss, qui désigne un deuil sans fin.

Malgré cela, de nombreux grands-parents restent activement impliqués. Certains deviennent ce que les sociologues américaines Judith Treas et Shampa Mazumdar appellent des « seniors en mouvement » : ils se déplacent plus, et organisent leur vie autour de billets d’avion, des renouvellements de visa et des séjours temporaires consacrés aux petits-enfants.

Mais les défis sont de taille.

Rester proche malgré la distance

Il est difficile de maintenir une relation au-delà des frontières.

Deux stratégies clés sont ressorties de mes recherches : la communication virtuelle et les visites transnationales.

Toutes les personnes que j’ai interrogées utilisaient largement la technologie : lecture hebdomadaire d’histoires sur Zoom, enregistrements de lectures ou « colis » remplis de lettres, de recettes ou d’objets artisanaux.

Les visites physiques étaient limitées par un ensemble d’obstacles financiers, logistiques, émotionnels et relationnels.

Les vols sont tout simplement trop chers, et avec ma santé, je ne pense pas pouvoir supporter le voyage. Cela me brise le cœur, mais ce n’est tout simplement pas possible. Je ne pense pas que je le reverrai un jour.

J’ai également constaté que le rôle des parents était essentiel. En partageant des photos, en prenant l’initiative d’appeler et en faisant en sorte que les grands-parents soient présents dans les conversations quotidiennes, certains parents ont contribué à renforcer les liens affectifs.

Ma fille et mon gendre sont tous deux très doués pour m’envoyer régulièrement des photos et des vidéos… Ils savent tous les deux à quel point mes deux petits-enfants me manquent, alors ils me tiennent au courant… Ils m’appellent également chaque semaine et encouragent les enfants à se concentrer sur nos appels.

Conclusions

Le rôle des grands-parents transnationaux remet en question le modèle traditionnel d’implication active. Il nécessite de repenser la notion de présence.

Mes recherches montrent que les grands-parents y parviennent grâce à leur créativité, leur souplesse émotionnelle et leur amour indéfectible. Ils sont en train de forger un nouveau type de grands-parents à travers les continents, où les liens transcendent la distance.

The Conversation

Sulette Ferreira est chercheuse à l’université de Johannesburg.

ref. Être grand-parent à distance : ce qui se perd lorsque les familles sont séparées et comment combler le fossé – https://theconversation.com/etre-grand-parent-a-distance-ce-qui-se-perd-lorsque-les-familles-sont-separees-et-comment-combler-le-fosse-263875