Source: The Conversation – in French – By Angie Elwin, Head of Research at World Animal Protection and Visiting Research Fellow at, Manchester Metropolitan University
Au Togo, comme dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, la viande sauvage demeure un élément important du quotidien, prisée pour son goût, sa valeur culturelle et comme source de revenus pour ceux qui en font le commerce.
Elle est souvent considérée comme un mets de luxe dans les centres urbains, où elle se vend à des prix plus élevés que la viande d’élevage. Cela risque d’alimenter la demande. La viande sauvage est vendue ouvertement sur les marchés urbains et dans les étals au bord des routes dans tout le Togo, où les vendeurs s’adressent à la fois à la clientèle locale et aux voyageurs de passage. Dans les zones rurales, il est courant de voir des rongeurs, des pythons et des cobras morts exposés au bord des routes, prêts à être achetés par les visiteurs venus de la ville.
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Cependant, le commerce légal et illégal de viande sauvage pose de sérieux défis pour la biodiversité, le bien-être animal et la santé publique. Une grande partie de ce commerce échappe à toute réglementation et repose sur la chasse, la vente et la consommation d’animaux sauvages. Bon nombre de ces espèces sont menacées ou en déclin, ce qui soulève des préoccupations urgentes en matière de conservation.
Ces dernières années, les commerçants d’Afrique de l’Ouest ont utilisé les réseaux sociaux pour faire la promotion directe de la viande sauvage et entrer en contact avec leurs clients. Des plateformes telles que TikTok et Facebook font office de vitrines en ligne reliées à des marchés physiques, permettant aux vendeurs d’atteindre un public beaucoup plus large que celui qu’ils auraient pu toucher en vendant sur des étals traditionnels. Ce changement attire de nouveaux acheteurs, souvent urbains, sur le marché et modifie la manière dont la viande sauvage est vendue ainsi que l’ampleur globale du commerce.
Nous sommes des chercheurs spécialisés dans la faune sauvage et nous étudions le commerce des animaux sauvages en Afrique de l’Ouest. Nous avons voulu comprendre les nouveaux défis liés au commerce de viande sauvage au Togo. Nous avons choisi d’étudier les vidéos TikTok car cette plateforme est devenue un lieu très visible pour la publicité ouverte de la viande sauvage au Togo. L’analyse de ces vidéos nous a permis de documenter les espèces vendues, leur valeur marchande et les risques liés à leur conservation.
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Nous avons identifié deux créatrices de contenu TikTok basées à Lomé, au Togo, qui publient activement des vidéos faisant la promotion de viandes sauvages à vendre. Toutes deux semblent opérer depuis leur domicile, utilisant TikTok comme leur propre marché en ligne. Leurs vidéos montrent une variété de produits à base de viande sauvage filmés directement chez elles, transformant ainsi leur espace de vie en vitrine virtuelle.
Bien que nous n’ayons pas étudié tous les vendeurs de viande sauvage sur TikTok, ces créatrices représentent un segment visible et accessible de ce commerce. Des recherches ont déjà montré
que la viande sauvage est vendue sur Facebook en Afrique de l’Ouest depuis au moins 2018. Mais le commerce de viande sauvage sur TikTok est resté largement méconnu jusqu’à présent.
Notre étude a révélé que plus de 3 500 individus appartenant à diverses espèces ont été mis en vente par ces canaux sur une période de 17 mois. Parmi les espèces les plus fréquemment présentées figuraient les varans, les écureuils rayés, les pintades, les francolins, les antilopes, les pangolins à ventre blanc et les rats des roseaux.
Ces résultats soulignent l’ampleur et la diversité du commerce d’animaux sauvages sur TikTok, y compris d’espèces menacées et en voie de disparition comme les pangolins.
Le commerce d’espèces rares et menacées devient viral
Nous avons analysé 80 vidéos TikTok publiées entre novembre 2022 et avril 2024. Ces courtes vidéos, partagées sur des comptes publics, montraient des milliers de carcasses d’animaux sauvages fumées appartenant à au moins 27 espèces identifiables. Il s’agissait principalement de mammifères (78 %), suivis d’oiseaux (15 %) et de reptiles (7 %).
L’audience cumulée de ces 80 vidéos est impressionnante : près de 1,8 million de vues. Certaines vidéos ont été visionnées jusqu’à 216 000 fois. Cela suggère que ce contenu circule bien au-delà du public local.
Plusieurs des espèces vendues sont menacées d’extinction. Il est alarmant de constater que nous avons documenté la présence du pangolin à ventre blanc, classé comme espèce en danger sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature et protégé par l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui interdit tout commerce international de ces espèces.
L’antilope kob de Buffon et le cob de Defassa, espèces quasi menacées, figuraient également sur la liste.
Notre analyse des commentaires des spectateurs a également révélé une demande pour des animaux qui n’apparaissent pas dans les vidéos. Il s’agit notamment des lions, des léopards, des grenouilles, des serpents, des crocodiles, des primates et des éléphants. Les lions et les léopards sont commercialisés à des fins spirituelles et médicinales, tant au niveau régional qu’international.
Ces espèces sont déjà soumises à une pression importante due à la perte de leur habitat et à la chasse, et il est très inquiétant qu’elles soient probablement proposées à la vente illégale comme viande. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les facteurs à l’origine de cette demande sur les réseaux sociaux.
Que faut-il faire maintenant ?
Notre étude s’ajoute à un nombre croissant de travaux de recherches montrant que les plateformes en ligne deviennent des centres névralgiques du commerce mondial d’espèces sauvages.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment la viande vendue via TikTok est distribuée. Par exemple, les vendeurs l’expédient-ils par courrier dans des zones plus étendues ou les acheteurs viennent-ils le chercher en personne, ce qui pourrait limiter la portée ?
Quoi qu’il en soit, l’expansion du commerce en ligne soulève de graves préoccupations qui vont au-delà des espèces vendues. Ces ventes semblent remodeler la demande, en particulier chez les consommateurs urbains. Si les consommateurs urbains achètent depuis longtemps de la viande sauvage lorsqu’ils se rendent dans les zones rurales, le passage aux plateformes en ligne porte cette demande à un tout autre niveau en rendant désormais l’accès beaucoup plus facile et massif.
Cette évolution pose de nouveaux défis en matière de durabilité, de réglementation et de santé publique. Si rien n’est fait, la vente en ligne d’espèces sauvages risque d’accélérer le déclin des espèces, d’augmenter la propagation des zoonoses et, à terme, de nuire aux communautés qui dépendent de la faune sauvage pour leur alimentation et leurs revenus.
Nous recommandons plusieurs mesures :
Tout d’abord, les plateformes telles que TikTok devraient investir davantage dans des outils de détection automatisés, tels que des algorithmes de reconnaissance d’images, qui pourraient être mieux formés pour repérer les produits issus d’espèces sauvages et les espèces menacées, et supprimer les publications concernées.
TikTok devrait maximiser sa collaboration avec les experts en conservation dans ce domaine. Bien que TikTok ait mis en place des politiques interdisant la vente d’espèces sauvages et soit membre de la Coalition pour mettre fin au trafic d’espèces sauvages en ligne, le commerce d’espèces sauvages reste très répandu sur la plateforme, ce qui révèle des failles importantes dans son approche.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si les vidéos TikTok augmentent la probabilité que les gens achètent de la viande sauvage ou normalisent ce commerce en le présentant comme légal et acceptable.
Des pays comme le Togo ont besoin de lois et de sanctions plus claires pour relier les objectifs de conservation et les réalités du commerce en ligne.
Des campagnes d’éducation du public pourraient également contribuer à faire évoluer les mentalités des consommateurs et à informer la population sur les risques pour la biodiversité et le bien-être animal.
À mesure que l’accès à l’internet mobile se développe dans les pays à faible revenu, les plateformes numériques sont susceptibles de devenir des marchés encore plus importants. Il est essentiel de comprendre comment les espèces sauvages sont commercialisées et consommées en ligne afin de s’adapter à ces changements.
Sans une action proactive des plateformes et des décideurs politiques, les espèces menacées risquent de devenir virales pour toutes les mauvaises raisons, non pas en tant que symboles de la conservation, mais en tant que produits à vendre.
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Angie Elwin travaille pour une ONG internationale, World Animal Protection, en tant que responsable de la recherche, et est chercheuse invitée à l’université métropolitaine de Manchester.
Delagnon Assou est assistant de recherche et chargé de cours bénévole au département de zoologie et de biologie animale de l’université de Lomé, au Togo.
Neil D’Cruze travaille pour une ONG internationale, Canopy, en tant que responsable de la stratégie de recherche.
– ref. Vente de viande sauvage sur TikTok : des espèces menacées sont proposées en Afrique de l’Ouest – https://theconversation.com/vente-de-viande-sauvage-sur-tiktok-des-especes-menacees-sont-proposees-en-afrique-de-louest-263655
