États-Unis : la politique nataliste inégalitaire de Donald Trump

Source: The Conversation – in French – By Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business School

La « grande et belle loi budgétaire », annoncée par Donald Trump, début juillet, vise notamment à inciter les femmes états-uniennes à avoir plus d’enfants. En examinant ses dispositions, on constate que ce sont avant tout les femmes les mieux loties aux niveaux social et économique qui seront à même d’en profiter.


Comme de nombreux autres pays du monde, les États-Unis sont confrontés à une baisse massive des naissances depuis des décennies. Cette chute démographique s’est amorcée, aux États-Unis, dès le XIXe siècle, une époque où les femmes avaient en moyenne sept enfants. Depuis 2007, le taux de natalité outre-Atlantique est tombé à 1,6 enfant par femme, soit un taux largement inférieur au seuil de renouvellement des générations, lequel est estimé à environ 2,05 enfants par femme hors immigration.

Selon les données des centres de contrôle et de prévention des maladies, environ 3,6 millions de naissances ont été enregistrées en 2023, ce qui représente un recul de 2 % par rapport à 2022, et une diminution de 20 % depuis 2007.

Face à ce constat, Donald Trump veut provoquer un baby-boom, une ambition qu’il avait déjà formulée en 2023. En février dernier, le président a signé un décret exécutif visant à « examiner » les moyens de réduire le coût de la fécondation in vitro et d’en faciliter l’accès aux citoyens américains. Toutefois, à ce propos, rien n’a encore été concrétisé à ce jour. En attendant, une nouvelle étape vient d’être franchie avec la loi budgétaire, promulguée le 4 juillet dernier, dite « grande et belle loi budgétaire ». Celle-ci prévoit des mesures incitatives en faveur de la natalité.

Trump n’est pas le seul à avoir une vision nataliste. Le vice-président J. D. Vance, connu pour son mépris envers les femmes sans enfant, a lui aussi affirmé vouloir plus de bébés aux États-Unis. Pour Elon Musk, ancien proche allié de Trump et père de quatorze enfants qu’il a eus avec quatre femmes différentes, la diminution du taux de natalité est plus inquiétante que le réchauffement climatique. Les mouvements pronatalistes gagnent également en visibilité depuis quelques années. Le déclin de la natalité est ainsi devenu un sujet de préoccupation majeur dans le pays.

Comment expliquer cet effondrement démographique, que Donald Trump entend combattre à travers les mesures natalistes prévues dans sa loi budgétaire ? Et ces mesures seront-elles accessibles et équitables pour toutes les familles ?

Les facteurs clés de la dénatalité

Comme le souligne Donna Strobino, experte en recherche sur la santé maternelle et infantile, les femmes, aux États-Unis, poursuivent en moyenne des études plus longues que les hommes. Certaines – principalement les résidentes des métropoles du numérique et de la tech, issues de la population blanche, aisée et diplômée – privilégient ensuite leur carrière à la maternité. D’autres, quoique moins bien loties financièrement, ont fait le choix d’avoir moins d’enfants en raison d’un certain esprit d’indépendance vis-à-vis des valeurs traditionnelles.

S’y ajoute le report du projet parental des unes et des autres pour des raisons sociétales (célibat, inégalité dans la répartition des tâches domestiques), de priorités professionnelles (crainte du « plafond de mère ») ou économiques (remboursement du prêt d’études, chômage, prix élevé du logement, coût ou pénurie des garderies).

Les « Ginks » – Green Inclinations No Kids –, de leur côté, ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants pour des raisons d’ordre écologique.

En outre, la commercialisation aux États-Unis de la pilule contraceptive depuis 1960, ainsi que l’accès plus facile à l’avortement (du moins avant l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization en 2022) ont également contribué à cette baisse de la natalité.

Enfin, certaines femmes états-uniennes ont choisi de différer leur projet de maternité en recourant à la congélation de leurs ovocytes, quand bien même cette pratique ne garantit pas une future grossesse.

L’accessibilité inégale des politiques natalistes de Trump

L’une des mesures annoncées par la nouvelle administration, qui sera mise en œuvre dès juillet 2026, est la création d’un compte d’épargne pour les nouveau-nés, baptisé « compte Trump ». Dans le cadre de ce dispositif, le gouvernement fédéral versera 1 000 dollars aux parents de chaque enfant de citoyenneté états-unienne né entre le 1er janvier 2025 et le 31 décembre 2028, quel que soit le revenu du foyer.

« Trump promet 1 000 dollars par bébé », LCI.

La loi autorise les familles à alimenter ce compte jusqu’à un plafond de 5 000 dollars par an jusqu’aux 18 ans du bénéficiaire. Toutefois, ces « comptes Trump », qui sont censés profiter à tous les enfants états-uniens, favoriseraient surtout les familles les plus aisées. Une simulation, effectuée par Washington Monthly, démontre qu’avec un rendement annuel de 8 %, le dépôt unique de 1 000 dollars par l’État fédéral ne rapporterait que 3 996 dollars après dix-huit ans. À l’inverse, une famille capable d’y verser 5 000 dollars chaque année accumulerait près de 191 000 dollars au terme de la même période.

Parallèlement, la nouvelle loi budgétaire a augmenté le crédit d’impôt pour enfants (Child Tax Credit, CTC), le faisant passer de 2 000 à 2 200 dollars par enfant, à compter de l’année d’imposition 2025. Le CTC étant déterminé par le niveau de revenus du foyer, 19,3 millions d’enfants, contre 17 millions actuellement, ne bénéficieront pas de cette augmentation, car leurs familles ne remplissent pas les nouvelles exigences minimales de revenus.

Les enfants appartenant à une catégorie spécifique de la population pauvre en pâtiront davantage. Les données publiées par le Bureau du recensement, en 2023, montrent en effet que les Noirs et les Hispaniques sont davantage touchés par la pauvreté. Pour la juriste Beverly Moran, 17 millions d’enfants appartenant à ces groupes seront exclus du CTC.




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Une inégalité exacerbée par les coupes dans les aides sociales

Medicaid, un programme public d’assurance santé pour les plus démunis, finance plus de quatre naissances sur dix au niveau national, et près de la moitié des naissances en milieu rural. Les coupes drastiques prévues dans ce programme pourraient avoir de graves conséquences sur la pérennité de certains hôpitaux. Plus de 300 hôpitaux situés en zone rurale, déjà confrontés à une pression financière significative, pourraient être amenés à fermer ou à supprimer leurs services de maternité.




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Une telle évolution nuirait gravement à la santé des femmes enceintes et de l’enfant qu’elles portent, à celle des jeunes mères et des nouveau-nés. Cela est d’autant plus préoccupant que le taux de mortalité maternelle ne cesse d’augmenter aux États-Unis. L’Organisation mondiale de la santé définit la mortalité maternelle comme « le décès d’une femme, survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de quarante-deux jours après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou sa prise en charge, mais ni accidentelle ni fortuite ».

Par ailleurs, si Medicaid finance environ 40 % des accouchements à l’échelle nationale, il couvre plus de 64 % des naissances chez les Afro-Américaines. Selon l’association March of Dimes, les taux de naissances prématurées et de mortalité maternelle et infantile, qui sont plus élevés dans la population noire, risquent d’augmenter en raison de ces coupes budgétaires.

« La mortalité maternelle chez les femmes afro-américaines », Nat Geo France.

Le sabrage dans le programme d’aide supplémentaire à la nutrition (Supplemental Nutrition Assistance Program, SNAP), destiné aux plus défavorisés, aura également un impact réel sur la capacité à procréer des personnes qui n’y seront plus éligibles. En effet, une mauvaise nutrition peut affecter la fertilité des hommes et des femmes.

De plus, les femmes ayant été victimes d’insécurité alimentaire risquent plus que les autres d’avoir des carences et de donner par la suite naissance à des enfants en sous-poids et plus vulnérables aux maladies.

Notons qu’en 2023, 55 % des bénéficiaires du programme SNAP étaient des femmes, et près de 33 % étaient des femmes de couleur.




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Il en ressort que les mesures natalistes mises en place par la politique de Donald Trump, pour autant qu’elles soient efficaces, aideront davantage les classes moyennes et supérieures.

Couplées aux réductions de Medicaid et du SNAP, ces mesures traduisent également le choix politique de limiter la reproduction des pauvres et des Noirs. De telles mesures – le retour de l’eugénisme positif comme négatif sous un nouveau visage… – auront de lourdes conséquences.

The Conversation

Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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