Source: The Conversation – in French – By Simon Blanchette, Lecturer, Desautels Faculty of Management, McGill University
L’intelligence artificielle (IA) bouleverse le monde du travail, mais elle offre aussi d’immenses possibilités. Plutôt que de la subir, préparons-nous à en faire un véritable moteur de transformation et de progrès.
L’IA, bien que loin d’être nouvelle, progresse à une vitesse vertigineuse. Plus récemment, l’émergence de l’intelligence générale artificielle (IGA), une forme d’IA capable de comprendre et d’apprendre n’importe quelle tâche humaine, alimente de nombreuses inquiétudes.
Cette anxiété est légitime : la rapidité des avancées technologiques et la perspective de systèmes capables d’apprendre de manière autonome comme pourrait le faire l’IGA nourrissent la crainte d’une perte de contrôle et de bouleversements massifs sur le marché du travail.
Si ces craintes sont compréhensibles, elles ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel : l’IA est là pour durer. Il est donc impératif de continuer à planifier la transition. Faire l’autruche n’est pas une option.
De la peur à l’action : un changement de posture nécessaire
La peur de l’IA est compréhensible. Comme toute innovation majeure, elle provoque un réflexe d’inquiétude, surtout lorsqu’il s’agit de technologies capables d’automatiser des tâches cognitives. Des figures influentes comme Sam Altman, PDG d’OpenAI, estiment que « des millions d’emplois sont à risque », tandis que Bill Gates va jusqu’à prédire que les humains ne seront bientôt plus nécessaires « pour la plupart des choses ».
Ces propos chocs nourrissent un sentiment d’urgence et, parfois, un fatalisme qui détourne l’attention des véritables questions : comment s’y préparer concrètement ?
Les données récentes incitent à relativiser. Selon le Future of Jobs Report 2025 du Forum économique mondial, près de 78 millions d’emplois nets devraient être créés d’ici 2030. Oui, les compétences exigées évolueront profondément, mais il demeure que l’IA entraîne surtout un déplacement des rôles, pas une disparition massive du travail.
Dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre et de compétences demeure un enjeu critique pour les entreprises, l’IA peut en fait faire partie de la solution si elle est bien utilisée. Mais sur ce plan ,le Canada tire de l’arrière en termes d’adoption de l’IA dans les entreprises. Adopter l’IA de manière plus large pourrait faire progresser le PIB de 5 à 8 % au cours de la prochaine décennie.
À lire aussi :
L’IA ne révolutionnera pas la gestion des entreprises… au contraire
Oui, il est essentiel de surveiller les dérives potentielles de l’IA, mais il est tout aussi urgent de faire passer le discours de la peur à celui des opportunités.
Reconfigurer les emplois, pas les éliminer
Les scénarios de remplacement massif de travailleurs ne reflètent pas encore la réalité de mes recherches et de mon expérience, il en ressort que l’IA provoque davantage une reconfiguration des emplois que leur disparition pure et simple. Il existe également beaucoup de variations à travers les secteurs. Les tâches évoluent, mais des nouveaux rôles émergent, souvent plus qualifiés et porteurs de valeur. L’important est d’accompagner les employés dont les fonctions sont en mutation.
Dans mon rôle de consultant et de formateur, j’ai accompagné plusieurs entreprises ayant automatisé certaines fonctions ou départements, en soutenant la gestion du changement par l’élaboration de stratégies de transition et de requalification. Peu d’entre elles ont eu recours à des licenciements ; la plupart ont plutôt investi dans la formation de leurs employés et les ont redéployés vers des postes difficiles à pourvoir ou des rôles de supervision liés à l’automatisation. Cette approche leur a permis d’optimiser l’utilisation de leurs équipes tout en répondant à leurs besoins opérationnels.
Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.
Faire de l’IA une transformation maîtrisée
L’erreur principale est de voir l’IA comme une révolution soudaine. En réalité, elle fait partie d’une évolution plus large des entreprises et nécessite les mêmes clés pour réussir :
-
Une vision claire et partagée : les dirigeants doivent expliquer pourquoi et comment l’IA s’intègre à la stratégie de l’entreprise ;
-
Une communication continue et transparente : informer régulièrement réduit l’incertitude et limite les rumeurs ;
-
Une implication active des équipes : impliquer les employés dès le départ, écouter leurs préoccupations et valoriser leurs idées favorise l’adhésion et crée des ambassadeurs internes tout en diminuant la résistance ;
-
Une expérimentation progressive : commencer par des projets pilotes, apprendre des erreurs et ajuster en cours de route.
Certes le rythme des changements est plus rapide. Toutefois, les organisations qui appliquent ces pratiques solides de gestion du changement sont 1,6 fois plus susceptibles de dépasser leurs objectifs liés à l’IA que celles qui n’en tiennent pas compte.
Investir dans les compétences : le véritable avantage concurrentiel
Voir l’IA comme un changement important, c’est aussi comprendre que les compétences deviennent un atout clé. D’ici 2030, près de 40 % des compétences essentielles aujourd’hui auront changé. Cela montre l’importance de former et d’améliorer les compétences, un enjeu essentiel. Pour y parvenir, il faut :
-
Identifier les fonctions les plus exposées ;
-
Investir en formation, tant sur les compétences techniques que sur les compétences transversales ;
-
Cultiver une culture d’apprentissage et d’expérimentation.
Comme je le soulignais récemment, cette transition ne peut réussir que si elle est inclusive. Les initiatives liées à l’IA doivent tenir compte des inégalités existantes en milieu de travail et dans la société.
L’IGA : anticiper sans céder à la spéculation ?
Encore un peu science-fiction, l’IGA, si elle atteint son potentiel, aura sans doute des impacts plus profonds encore, car elle pourrait accomplir des tâches cognitives complexes de manière quasi autonome. Mais le principe reste le même : une organisation qui a appris à intégrer l’IA actuelle comme une transformation structurée sera beaucoup mieux préparée pour les vagues suivantes.
Cette perspective soulève des questions fondamentales sur l’évolution du travail humain. Quelles compétences resteront exclusivement humaines ? Comment préparer nos organisations à cette transition potentielle ? L’histoire des transformations technologiques suggère que l’adaptation humaine surpasse souvent les prédictions les plus pessimistes.
En d’autres termes, l’IGA n’exige pas de nouvelles règles de base, elle exige seulement de les appliquer avec plus de rigueur et de rapidité.
Plutôt que de rester paralysés par une menace hypothétique, qui, certes, finira par se concrétiser, mobilisons notre énergie pour la gérer de manière proactive. Restons alertes et agiles.
Choisir l’action plutôt que la résignation
L’IA et l’IGA ne sont pas des forces incontrôlables : ce sont des transformations à gérer, avec proactivité, intelligence et humanité. Eh oui, les enjeux de sécurité et les risques de dérives sont réels, mais il est possible de les encadrer, de les mitiger et de les réglementer. L’Union européenne l’a démontré en 2024 avec l’AI Act, le premier cadre juridique mondial à imposer des règles strictes fondées sur les risques et à garantir une supervision humaine. Au Canada, même si le projet de loi C‑27 n’a pas été adopté, il a lancé un débat essentiel sur la gouvernance de l’IA au pays. C’est une question de leadership, de gouvernance et de concertation. Des conversations à avoir maintenant et à poursuivre activement.
Le choix est devant nous : subir cette transformation ou la diriger.
Les organisations qui l’ont compris dès maintenant transforment déjà ces changements en avantage concurrentiel. Celles qui attendront risquent, elles, d’être réellement dépassées.
![]()
Simon Blanchette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Faire de l’IA une force de progrès plutôt qu’une menace – https://theconversation.com/faire-de-lia-une-force-de-progres-plutot-quune-menace-259860
