Source: The Conversation – in French – By Frank Gerits, Research Fellow at the University of the Free State, South Africa and Assistant Professor in the History of International Relations, Utrecht University
Le 19 juin 2025, le représentant permanent de la France auprès des Nations unies a reconnu que Paris était ouvert au dialogue avec le Niger et prêt à collaborer avec des chercheurs spécialisés afin de mettre en place une coopération patrimoniale permettant la restitution au Niger des objets culturels volés.
Comme le concluait déjà le rapport Sarr-Savoy (du nom de ses auteurs Bénédicte Savoy et Felwine Sarr) de 2018, de nombreux objets volés ont probablement intégré des collections privées sans provenance, ou ont été considérés comme des objets ethnographiques génériques plutôt que comme des pièces de musée de grande valeur. Il est donc nécessaire de mener une enquête sur leur provenance avant même d’envisager leur restitution.
Cette lettre faisait suite à une plainte déposée par quatre communautés nigériennes représentant les descendants des victimes de la mission Voulet-Chanoine de 1899. Cette mission avait été mise en place pour unifier l’Afrique occidentale française face à une concurrence impériale accrue avec la Grande-Bretagne.
Le commandement était assuré par le capitaine Paul Voulet et son adjudant, le lieutenant Julien Chanoine, deux militaires déjà réputés pour leur violence. Mal préparée et dotée d’instructions vagues de la part de Paris, la mission a rapidement sombré dans le chaos, les soldats mourant de dysenterie tout en pillant et massacrant des milliers de personnes.
Les grandes villes du Niger actuel, dirigées par des souverains locaux à la stature quasi mythique, ont été réduites en cendres : Lougou, où la cheffe Sarraounia Mangou a résisté à l’assaut, et Zinder, la capitale du sultanat de Damagaram. La domination coloniale française a ainsi détruit les centres du pouvoir culturel et diplomatique du Niger actuel.
À l’époque, la nouvelle des atrocités est même parvenue jusqu’au ministère des Colonies à Paris, qui a ordonné au gouverneur de Tombouctou, Jean-François Klobb, de prendre le commandement de l’expédition. Après l’assassinat de Klobb par Voulet lors d’une confrontation, ce dernier déclara qu’il n’était plus français et qu’il voulait devenir chef africain. Cette décision provoqua une mutinerie parmi ses propres soldats qui, après un nouveau chaos, l’assassinèrent à leur tour.
Réparations
Les appels à des réparations se sont amplifiés au Niger et dans toute l’Afrique depuis que l’Union africaine a déclaré 2025 Année des réparations. Elle a également encouragé une définition plus large de ce qui constitue une injustice coloniale, afin d’y inclure la justice climatique et la justice économique.
Une série de coups d’État en Afrique de l’Ouest a également renforcé les sentiments anti-français. Elle a accéléré la politique de décolonisation d’Emmanuel Macron, dans laquelle la France reconnaît les atrocités coloniales. Dans le même temps, Paris maintient le discours selon lequel elle a accompli du bon travail.
Lors d’une visite en Algérie en 2022, Macron a exprimé ses regrets pour les atrocités commises pendant la guerre d’indépendance algérienne. Il a également visité le cimetière où sont enterrés les pieds-noirs français – Européens installés en Algérie pendant la période coloniale (1830-1962) –, soulignant l’idée que tous deux étaient victimes à leur manière.
Au Cameroun, après un rapport d’une commission franco-camerounaise d’histoire présidée par Karine Ramondy, Macron a reconnu que la France avait mené une guerre qui s’était poursuivie même après l’indépendance. Même si le cinéaste camerounais Jean Pierre Bekolo a raison de souligner que les conclusions du rapport n’ont rien de nouveau, puisqu’elles confirment des idées plus anciennes tirées d’ouvrages tels que Kamerun !, la reconnaissance officielle du néocolonialisme est nouvelle et quelque peu surprenante. Cette reconnaissance par Macron de ce qui était euphémiquement appelé « pacification » a été possible car elle jette le discrédit sur le prédécesseur et rival politique de Paul Biya, Ahmadou Ahidjo. La reconnaissance officielle de ce que les historiens savent depuis longtemps se fait donc au détriment des vérités historiques au Cameroun même, où la politique mémorielle a cherché à servir le parti au pouvoir.
Au Bénin, les trésors royaux d’Abomey ont été restitués. En exprimant des regrets pour des cas historiques spécifiques, la France ne reconnaît pas la nature structurelle de la violence coloniale, et donc sa pleine responsabilité.
Dans tous ces cas, la notion de mission civilisatrice est maintenue par les autorités françaises : si les gens du passé ont été mal avisés, ils avaient de bonnes intentions. Certains individus ont toutefois parfois abusé de leur pouvoir.
Conflit entre les mémoires nationales
Cette conception individualisée du colonialisme est particulièrement prononcée dans le cas du Niger. Des rumeurs sur la nature diabolique de Voulet et Chanoine circulaient déjà à Paris au moment même de la mission. La presse française s’est emportée contre la prétendue folie de Voulet, qui aurait perdu la raison sous la chaleur de l’Afrique occidentale.
Ces histoires ont exploité le cliché populaire de l’aventurier impérialiste fou. Le roman de l’écrivain britannique Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, publié en 1899, raconte l’histoire d’un marchand d’ivoire nommé Kurtz qui devient fou à cause de son séjour dans l’État libre du Congo. En 1943, le roman existentialiste du Français Albert Camus, L’Étranger dépeint la vie d’un homme dépourvu de tout sentiment qui tue un Algérien.
Il n’est donc pas surprenant qu’en 1976, l’écrivain français Jacques-Francis Rolland ait dépeint Paul Voulet comme un sadique dans son ouvrage Le Grand Capitaine. Le titre du film de Serge Moati, Capitaines des ténèbres sorti en 2005 et basé sur le roman, fait même écho au livre de Conrad. Ainsi, les atrocités ne sont pas considérées en France comme le résultat d’un système colonial qui encourageait ce type de comportement, mais comme le résultat d’une dépression psychologique individuelle.
Au Niger, cependant, cette mission est considérée comme un tournant dans l’histoire de l’exploitation coloniale. Hosseini Tahirou Amadou, professeur d’histoire et de géographie à Dioundiou, a peut-être lancé sa campagne menée en 2014 pour obtenir des excuses et une réparation de la part de l’État français pour les violences commises au Niger. Mais il s’est inspiré d’une production culturelle qui explorait les effets à long terme de la violence coloniale et de la destruction culturelle en cours.
En 1980, l’écrivain nigérien Abdoulaye Mamani a publié Sarraounia (1980), un roman historique qui raconte l’histoire d’une puissante reine haoussa qui résiste à l’invasion coloniale française au Niger. Mêlant tradition orale et critique politique, il dépeint Sarraounia comme un symbole de la force et de la défiance indigènes. Ce roman, qui est une pierre angulaire de la littérature nigérienne et de la littérature anticolonialiste, a été adapté au cinéma en 1986 par Med Hondo.
La stratégie de la France consistant à privilégier le dialogue sans assumer de responsabilité n’est donc pas tant l’expression d’une volonté délibérée d’esquive que le résultat d’un manque de compréhension. Le fait que Paris agisse sur cette question est une conséquence de la décision de la junte au pouvoir au Niger d’annoncer son intention de nationaliser la Société des mines de l’Aïr (Somair), filiale de la société française d’uranium Orano.
Une nouvelle alliance avec l’Afrique de l’Ouest
Au cours de la dernière décennie, le Niger a fourni à la France 20 % de son approvisionnement en uranium. Mais en 2022, le Niger était devenu un fournisseur secondaire, ne représentant plus que 2 % de la production mondiale.
Pourtant, la nationalisation est un autre symbole de la défaite de l’influence déclinante de la France en Afrique. Depuis juillet 2023, le général Abdourahamane Tchiani s’efforce de faire partir l’armée française tout en menaçant les entreprises françaises de nationalisation afin de lutter contre ce qu’il qualifie d’influence néocoloniale.
La discussion autour de Voulet-Chanoine doit donc être comprise comme un moyen, certes cynique, de garder la porte ouverte au Niger, d’autant plus que ce dernier s’est également retiré de l’Organisation internationale de la francophonie, l’un des symboles du pouvoir culturel français. Ce dialogue s’inscrit dans la stratégie globale de Macron, qui consiste à exprimer des remords pour le passé colonial. Il vise à construire de nouvelles alliances en Afrique de l’Ouest pour remplacer la perte d’influence dans une région secouée par des coups d’État.
Il semble peu probable que les relations entre les deux pays puissent s’améliorer sans reconnaître que les raids au Niger faisaient partie d’une stratégie impérialiste délibérée. Comme l’ont indiqué des militants nigériens lors d’un séminaire en 2021, en présence de Fabian Salvioli, rapporteur spécial des Nations unies sur la vérité, la justice et la réparation, le point de départ de la réconciliation devrait être des excuses publiques et une enquête approfondie de la part des autorités françaises.
Il n’existe aucun monument ni commémoration pour les vies africaines qui ont été perdues. Pourtant, la tombe de Voulet est toujours entretenue à Maïjirgui, au Niger, et le monument dédié à Klobb se trouve toujours à Tessaoua.
Une expression matérielle de regret sous la forme d’un monument dédié aux vies africaines perdues pourrait, à cet égard, être un bon point de départ.
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Frank Gerits does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. Massacre de l’armée coloniale au Niger : derrière le mea culpa de Macron, la continuité d’un récit historique biaisé – https://theconversation.com/massacre-de-larmee-coloniale-au-niger-derriere-le-mea-culpa-de-macron-la-continuite-dun-recit-historique-biaise-262297
