Source: The Conversation – in French – By Victor Danneyrolles, Professeur-chercheur en écologie forestière, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
La saison des feux de forêt de 2023 au Canada a été exceptionnelle, avec plus de 15 millions d’hectares brûlés – un sommet jamais atteint depuis le début des relevés nationaux dans les années 1970. Les saisons 2024 et 2025 ont également été très actives dans l’Ouest canadien, avec plus de 13 millions d’hectares brûlés depuis janvier 2024 au moment de rédiger ce texte.
Cette augmentation soulève une question cruciale : les superficies brûlées sont-elles en train de dépasser les seuils de variabilité historique observés au cours des derniers siècles ? Avec 21 spécialistes de la géographie des feux de l’Est et de l’Ouest canadien, nous avons voulu répondre à cette question dans une étude récemment publiée dans le Journal Canadien de Recherche Forestière.
Une approche méthodologique robuste malgré des données historiques limitées
Il existe malheureusement peu de données pour remonter loin dans le temps et documenter les changements dans l’activité des feux de forêt. Les systèmes cartographiques modernes de suivi des feux ne couvrent au mieux que les 50 à 60 dernières années.
À lire aussi :
Feux de forêt : voici pourquoi il faut une structure nationale pour mieux les gérer
Pour la période couvrant les deux derniers siècles, les reconstructions peuvent notamment s’appuyer sur l’échantillonnage systématique de l’âge des arbres ainsi que sur l’analyse des cicatrices de feu observées sur les arbres vivants ou morts. Ce type d’étude a été mené au cours des 30 dernières années dans plusieurs secteurs de la forêt boréale canadienne, et permet d’estimer l’évolution des taux de brûlage depuis le XIXe siècle, soit la proportion moyenne de territoire brûlé sur une période donnée.
Dans notre étude, les changements dans les taux de brûlage de cinq grandes zones de la forêt boréale canadienne ont été reconstitués à partir de données issues de 12 études indépendantes. Une résolution temporelle de 10 ans a été utilisée, ce qui signifie que les taux estimés correspondent à des moyennes décennales plutôt qu’à des événements annuels. Cette résolution temporelle de 10 ans est rendue nécessaire par le manque de précision des données dendrochronologiques, qui permettent rarement de dater un incendie à l’année près, mais fournissent des estimations fiables à l’échelle de la décennie.
Une année 2023 hors norme, mais une décennie toujours dans la variabilité historique
Nos résultats montrent que, dans quatre des cinq zones étudiées, la superficie brûlée en 2023 dépasse tout ce qui avait été observé depuis 1970, date depuis laquelle les feux de forêt sont systématiquement répertoriés et cartographiés à l’échelle nationale.
En revanche, lorsque l’on compare les taux de brûlage moyens de la décennie se terminant en 2023 (2014–2023) aux reconstitutions historiques disponibles, une tout autre perspective se dessine. Dans l’ensemble, ces taux demeurent généralement à l’intérieur des limites naturelles observées depuis les années 1800.
Toutefois, dans deux zones, les taux de brûlage décennaux moyens s’approchent des niveaux les plus élevés enregistrés au cours de ces deux derniers siècles et dépassent la variabilité historique dans une seule zone : le parc National de Wood Buffalo de l’Ouest canadien.
Des épisodes de feux au 19ᵉ et début du XXᵉ siècle comparables à aujourd’hui ?
En d’autres termes, ces résultats signifient qu’il a existé au cours des derniers siècles des périodes durant lesquelles les feux de forêt étaient autant actifs qu’aujourd’hui. C’est notamment le cas de la fin du 19e et du début du XXe siècle, qui, paradoxalement, correspondent à des périodes plus froides qu’aujourd’hui.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce paradoxe.
Premièrement, bien que les températures annuelles aient généralement été plus froides qu’aujourd’hui durant ces périodes de forte activité des feux, des précipitations plus faibles combinées à des épisodes ponctuels de chaleur durant la saison des feux pourraient avoir entraîné des conditions de sécheresse propices aux incendies.
À lire aussi :
Les forêts boréales nord-américaines brûlent beaucoup, mais moins qu’il y a 150 ans
Deuxièmement, les populations humaines auraient aussi pu influencer l’évolution des feux de forêt, que ce soit par des allumages volontaires, comme l’usage du feu par les populations autochtones, ou par des départs accidentels liés à la colonisation européenne (par ex., construction des chemins de fer, brûlis pour défrichement agricole).
Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.
Entre 1950 et les années 2000, l’activité des feux dans la forêt boréale a connu un creux historique, notamment en raison d’une diminution des sécheresses à l’échelle continentale. Pendant cette seconde moitié du XXe siècle, le développement des moyens de lutte contre les incendies a aussi pu contribuer à la réduction des feux. De nouvelles recherches devront être menées afin de mieux comprendre le rôle du climat et des activités humaines sur les changements dans les régimes des feux.
Le « retour des feux » avec les changements climatiques modernes
La période de creux historique de l’activité des feux entre 1950 et 2000 permet d’interpréter les récentes hausses des superficies brûlées – bien qu’indéniablement liées aux changements climatiques actuels – non pas comme une rupture inédite, mais plutôt comme un retour à des niveaux d’activité déjà observés par le passé.
Cette période de creux historique durant la seconde moitié du XXe siècle a également coïncidé avec une phase d’essor important de la foresterie et du développement des infrastructures en forêt boréale. On peut ainsi avancer que ce contexte a engendré un certain retard d’adaptation : les modes de gestion ont été élaborés en fonction d’un niveau d’activité des feux exceptionnellement bas, rendant aujourd’hui les infrastructures et les pratiques forestières particulièrement vulnérables face à la recrudescence des incendies.
L’importance des combustibles pour prédire les tendances futures
Nous osons ici quelques prédictions sur ce que nous réserve l’avenir.
Si les changements climatiques entraînent une augmentation des feux, il n’est pas garanti que l’augmentation des superficies brûlées se poursuive indéfiniment. En effet, l’augmentation de l’activité des feux peut être freinée par un élément clé : la quantité de combustible disponible pour les alimenter. Lorsqu’une forêt brûle, une grande partie de la biomasse est consumée.
Même si les jeunes forêts en régénération peuvent brûler, il faut généralement entre 30 et 50 ans avant que la végétation ait accumulé suffisamment de biomasse, que le sous-bois et le bois mort soient suffisamment abondants, et que la structure végétale permette une continuité du combustible, conditions qui favorisent la propagation maximale des feux.
Les feux peuvent aussi modifier la structure et la composition des forêts sur le long terme. Par exemple, des peuplements de conifères très inflammables peuvent être remplacés par des forêts mixtes ou feuillues, qui sont moins propices aux feux de forte intensité. Dans certains cas, la régénération échoue complètement après un incendie, laissant place à des milieux ouverts, comme des landes ou des prairies, également moins propices aux grands feux intenses.
Malheureusement, les conditions météorologiques extrêmes, de plus en plus fréquentes avec les changements climatiques, peuvent annuler cet effet atténuant lié aux combustibles, permettant aux feux de brûler toute forme de végétation sur leur passage. Il demeure essentiel de suivre de près l’évolution des incendies afin de mieux comprendre ces interactions complexes.
![]()
Victor Danneyrolles a reçu des financements de Mitacs & MRNFQ.
Martin P. Girardin est membre du Centre d’étude de la forêt. Il a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et de Ressources Naturelles Canada.
Yves Bergeron a reçu des financements de CRSNG,FRQNT, MRNFQ.
– ref. Les incendies de forêt récents sont-ils pires que ceux des deux derniers siècles ? – https://theconversation.com/les-incendies-de-foret-recents-sont-ils-pires-que-ceux-des-deux-derniers-siecles-262395
