Source: The Conversation – in French – By Fo-Yovo Gérome Koutremon, Doctorant en Science de Gestion à l’Université Bourgogne Europe, Université Bourgogne Europe
Face à l’accélération des rythmes de vie et aux excès du tourisme de masse, une autre façon de voyager émerge : le slow tourisme. Il s’agit de prendre le temps de se déplacer et de se ressourcer en étant plus respectueux de l’environnement et des territoires d’accueil. Une pratique qui vise une transformation profonde de l’expérience touristique.
Les vacances, et les voyages qui y sont associés, sont un plaisir recherché par nombre d’entre nous. À l’échelle planétaire, on observe une progression annuelle moyenne du tourisme international de + 5 % depuis plusieurs décennies (hors période Covid). À ce volume viennent s’ajouter les touristes nationaux et les excursionnistes (visiteurs se déplaçant à la journée). L’histoire nous montre que l’industrie touristique est résiliente et capable d’absorber les crises, à l’image du rebond observé après la pandémie de Covid. La France est par ailleurs la première destination mondiale, avec 100 millions de visiteurs internationaux.
En parallèle de cette hausse des voyages, émerge le slow tourisme – littéralement, « tourisme lent », qui promeut un ralentissement radical pour compenser l’accélération des rythmes de vie, marqués par une multiplication des activités professionnelles et personnelles et par des contraintes temporelles.
La pratique touristique devient l’occasion de se ressourcer. Séjours méditatifs dans des monastères, randonnées en montagne ou navigation sur les canaux français illustrent cette recherche d’apaisement.
À l’origine, le mouvement Slow est né en Italie, dans les années 1980, pour défendre le recours aux productions culinaires locales. Il prône, par extension, un réapprentissage de la lenteur, notamment dans les modes de transports, associé à des pratiques plus écoresponsables.
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Car le tourisme peut effectivement s’avérer dommageable pour les milieux naturels et pour les populations locales. La médiatisation du surtourisme dans les destinations les plus populaires, de Barcelone (Espagne) à Naples (Italie), en passant par Lisbonne (Portugal), a mis en lumière l’ampleur de ses effets délétères : dégradation de l’environnement, exclusion des populations locales, etc.
Tourisme du « temps choisi »
Le ministère de l’économie définit le slow tourisme comme
« [un] tourisme du temps choisi, garant d’un ressourcement de l’être (pause, déconnexion, lâcher-prise, mais aussi bien-être, temps pour soi, santé), peu émetteur de CO2, respectant l’écosystème du territoire d’accueil, synonyme de patience, de sérénité, d’enrichissement culturel ».
Cette définition en facilite la reconnaissance et met en avant les quatre dimensions structurantes du slow tourisme : un mode de transport, un rapport au territoire, au temps, et à soi.
Concernant le mode de transport, le slow tourisme s’appuie sur des mobilités décarbonées : train, transport pédestre, navigation fluviale. Des mobilités prisées, comme on peut le voir avec la hausse de fréquentation des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou celle des trajets ferroviaires. Ainsi, la fréquentation des trains de voyageurs en France a atteint un record en 2024, avec une progression de 6 % par rapport à 2023.
Du côté des pouvoirs publics, on relève des investissements en ce sens : voies cyclables aussi bien locales qu’européennes (Véloroutes), développement de l’offre de trains de nuit ; tandis que des fédérations ou des associations mènent des actions pour entretenir des dispositifs existants (entretien des chemins de randonnée et des refuges par la Fédération française des clubs alpins et de montagne).
Conscients de cette aspiration émergente, les acteurs du tourisme se sont aussi saisis du concept. Se développent ainsi des offres de produits plus durables proposées par des prestataires privés : croisières à voile, voyages d’aventure combinant plusieurs modes de transport ou de déplacement sans avion.
Car le rapport au territoire constitue une autre caractéristique importante du slow tourisme. Il s’agit de mesurer l’impact de sa pratique touristique sur l’écosystème et sur les cultures locales et de valoriser des séjours centrés sur l’expérience et non sur la consommation d’une infrastructure façonnée pour le touriste.
Déconnexion bénéfique
Le temps du slow tourisme, c’est celui du ralentissement, ce que Katharina C. Husemann et Giana M. Eckhardt, chercheuses en marketing, désignent par le « besoin croissant de décélération », dans leur étude ethnographique du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, à savoir un temps où l’on est moins soumis aux événements et sollicitations.
Les adeptes du slow tourisme se réapproprient ce rythme apaisé, comme l’illustre ce témoignage d’un randonneur, recueilli au cours de l’une de nos recherches sur les refuges en montagne dans le massif des Écrins (Alpes françaises), en 2019 :
« Ici, c’est un rythme complètement différent parce que, quand je suis en bas, je suis quand même un minimum le rythme, les jours de la semaine, je sais quand c’est le week-end, par exemple, et dès que je suis en refuge, j’oublie complètement dans quelle temporalité on est. Je ne planifie plus ce que je dois faire : je dois juste manger, dormir et rebelote […] et du coup, y’a pas d’autre but que juste marcher et arriver là où on veut arriver. »
Ce retour à la lenteur valorise le trajet lui-même. Il n’est plus perçu uniquement comme un moyen d’atteindre une destination, mais comme une expérience à part entière. Cette lenteur imposée par le voyage choisi induit également une déconnexion bénéfique vis-à-vis des écrans, des obligations, du brouhaha quotidien, comme l’exprime cet autre témoignage :
« Pour moi, ça coupe vraiment de la routine, on n’est pas chez soi, on ne se donne pas d’obligations à faire ceci, cela, là on a juste à mettre les pieds sous la table comme on dit, et puis faire sa petite toilette, se promener, regarder le paysage, respirer, ça fait trop du bien quoi. »
Le slow tourisme est aussi un temps de réflexion sur soi. Il s’agit de réinterroger ce que l’on cherche en voyageant, de redonner place à l’ennui, de penser autrement sa vie, voire de revisiter ses priorités.
Cette expérience passe également par le corps : marcher, pédaler, ramer, camper. Loin des mobilités rapides, le voyage devient une expérience sensorielle, physique et méditative ; une façon de revenir à l’essentiel, de redécouvrir des plaisirs simples, loin du tumulte et de l’injonction d’efficacité du monde moderne.
Le cyclotourisme, incarnation du slow tourisme
L’essor du cyclotourisme est emblématique de cet attrait pour une autre manière de voyager. Sa pratique est en forte augmentation sur le marché français : évalué à 7,9 milliards de dollars (USD) en 2024 (7,27 milliards d’euros), il devrait croître de plus de 11 % par an d’ici à 2033. Ce mode de déplacement, mêlant effort physique et itinérance libre en immersion, séduit par sa capacité à faire du trajet un moment existentiel.
Au-delà de ces chiffres, certains récits de cyclo-voyageurs, (issus de blogs et de forums) récoltés dans le cadre d’une recherche doctorale en cours, révèlent une expérience d’autonomie radicale :
« J’aime beaucoup l’improvisation, j’aime beaucoup les chemins hors sentiers battus… Peu importe où ça mène, je les prends. »
Ce que certains appellent la « magie du chemin » relève ici d’une transformation intérieure liée à la lenteur, au silence, à la nature.
Cette philosophie du voyage lent, sobre, sensoriel, est souvent décrite comme une manière de « se recentrer », de « ralentir », ou de « réapprendre à vivre ». Loin d’un simple loisir, le cyclotourisme est pour ces voyageurs une forme d’existence en mouvement.
En somme, le slow tourisme ne se résume pas à une pratique écologique ou à un mode de déplacement. Il exprime une volonté de redonner du sens au voyage, en le replaçant dans un rapport spécifique au temps, au territoire et à soi.
À l’ère de l’éco-anxiété, le slow tourisme trouve une résonance. Et si l’avenir du tourisme ne consistait plus à aller plus vite ou plus loin, mais à être plus présent ?
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Jean-Baptiste Welté a reçu des financements de l’ANR pour un projet sur la sobriété
Fo-Yovo Gérome Koutremon et Isabelle Frochot ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
– ref. Le slow tourisme : ralentir pour mieux voyager ? – https://theconversation.com/le-slow-tourisme-ralentir-pour-mieux-voyager-261276
