La technologie, carburant du surtourisme… et possible frein ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Adrian Palmer, Professor of Marketing, University of Reading

C’est un facteur qu’on oublie souvent pour expliquer le développement du tourisme de masse. Plutôt que de pointer des groupes sociaux, il peut être intéressant d’analyser l’influence du progrès technologique sur le développement du voyage pour tous – ou presque. Quel impact la technologie pourrait-elle avoir dans les années à venir~ ?


Le touriste n’est plus toujours le bienvenu parmi les habitants des lieux que beaucoup d’entre nous rêvent de visiter. Si un nombre important de visiteur peut apporter des avantages économiques, il peut aussi avoir un coût pour les locaux et causer des dommages environnementaux.

Airbnb est visé du doigt par certains. D’autres accusent les opérateurs de navires de croisière, les « baby-boomers » désormais à la retraite ou les classes moyennes en pleine croissance à travers le monde, avec leurs revenus disponibles et leur appétit insatiable pour les selfies. Reste un élément souvent négligé : le rôle de la technologie.

Déjà à Bournemouth ou Blackpool

En effet, historiquement, les nouveaux modes de transport ont été un moteur important de l’industrie du tourisme. Au Royaume-Uni, par exemple, l’expansion des chemins de fer au XIXe siècle a produit le tourisme de masse dans les villes côtières, notamment dans les villes de Bournemouth et de Blackpool. Dans les années 1960, les voyages aériens moins chers ont fait de même pour les destinations à l’étranger. Des endroits comme Majorque et la Costa del Sol espagnole sont alors devenus accessibles à des masses de nouveaux visiteurs.




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Mais les nouveaux modes de transport ne sont plus le principal facteur pour expliquer la croissance actuelle et future du tourisme de masse. À court terme, de nouvelles façons de voyager par terre, air ou mer qui alimenteraient la croissance comme le firent le train ou l’avion, ne sont pas anticipées.

Un impact plus subtil

Aujourd’hui, les effets de la technologie sont plus subtils : le monde en ligne transforme la façon dont nous voyageons dans le monde réel. Ainsi, Internet a rendu plus floue la distinction entre résidents et touristes. L’essor du télétravail, rendu possible par Internet, permet à certaines personnes de vivre là où elles aiment passer leur temps libre, plutôt que de privilégier la proximité de leur lieu de travail ou des transports en commun.

À cette catégorie s’ajoutent les « nomades numériques » qui poussent plus loin le concept de télétravail : dès lors qu’ils ont une connexion Internet décente, ils peuvent vivre (et travailler) n’importe où dans le monde.

Quand TikTok nuit à la tranquillité d’un lieu

L’essor des réseaux sociaux a également eu un impact considérable sur le tourisme, en diffusant des récits et des images sur des attractions jusqu’alors peu connues. Quelques vidéos virales peuvent rapidement transformer des coins perdus en destinations touristiques très prisées. Il suffit de demander aux habitants de la station de ski italienne de Roccaraso, autrefois tranquille. Depuis janvier 2025, ils ont été submergés par un afflux de visiteurs, à la suite de vidéos TikTok de l’influenceuse italienne Rita De Crescenzo.

Le monde en ligne a également comblé un fossé qui existait auparavant entre les destinations touristiques et leurs clients éloignés. Avant l’avènement d’Internet, l’industrie mondiale du tourisme dépendait des agences de voyage et de la presse écrite. Aujourd’hui, tous les hôtels et complexes touristiques sont accessibles en quelques clics, avec des plates-formes comme Airbnb (qui a accueilli 5 millions de locations en 2024) transformant en profondeur le secteur.

Des vacances virtuelles ?

Les effets de l’intelligence artificielle sur le tourisme sont moins certains pour le moment. Mais elle pourrait peut-être faire partie de la solution. L’IA pourrait être utilisée pour aider à créer des expériences touristiques personnalisées dans des endroits qui ont vraiment besoin de touristes, réduisant ainsi les dommages causés aux sites surpeuplés ou aux écosystèmes fragiles.

L’industrie du voyage pourrait également l’utiliser pour faire des prédictions plus précises sur les habitudes de voyage, aidant ainsi des villes comme Barcelone et Venise à gérer leur nombre de visiteurs.

La réalité virtuelle améliorée par l’IA a également le potentiel de permettre aux gens de vivre des expériences de destinations touristiques à distance. Des études suggérent que les « vacances virtuelles » pourraient bouleverser le secteur du tourisme.

France 24 – 2025.

Après tout, nous sommes nombreux à avoir troqué d’autres expériences réelles, comme le shopping ou les réunions de travail, contre des activités que nous pratiquons désormais sur un écran. Il y a même des preuves d’une préférence émergente pour la pratique de sports en ligne par rapport aux versions réelles.

Quelle attractivité pour le tourisme virtuel ?

Mais le tourisme virtuel pourrait-il devenir assez attrayant pour réduire sensiblement le tourisme réel ? Les touristes du futur se contenteront-ils vraiment d’une version virtuelle d’un chef d’œuvre ou d’un lieu exceptionnel, au lieu de faire la queue pendant des heures pour une expérience au sein d’une foule ?

La question a été posée dans des termes assez similaires lorsque la télévision couleur s’est développée dans les années 1960. Par exemple, certains estimaient que la représentation vivante de la faune sauvage dans les réserves africaines réduirait la nécessité pour les touristes de s’y rendre. Qui se donnerait la peine de dépenser de l’argent pour aller au Kenya ou au Botswana, alors qu’il est possible de voir ces animaux de près, en restant confortablement assis dans son canapé ?

Le résultat a toutefois été exactement le contraire. Il est prouvé que les programmes consacrés à la faune sauvage ont en fait stimulé la demande pour voir les animaux « en vrai ». De même, les films et les séries télévisions populaires tournés dans des lieux magnifiques donnent envie aux gens de les visiter. L’anticipation et l’attente de la « vraie » visite ajoutent même de la valeur à l’expérience touristique finale.

Ainsi, bien que nous puissions être à peu près sûrs que l’IA affectera le tourisme – comme elle le fera pour toutes les industries – nous ne savons pas encore si son impact global sera de réduire la pression sur les lieux les plus populaires du monde ou de stimuler davantage la demande. Et ce n’est peut-être pas la technologie qui aura le dernier mot. Les préoccupations concernant le changement climatique et les pressions économiques pourraient influencer les habitudes de voyage mondiales avant tout. Mais une chose est sûre : la fin du surtourisme n’est pas pour demain.

The Conversation

Adrian Palmer a reçu un financement de la British Academy pour une étude sur le rôle des médias sociaux dans les visites touristiques. Il est membre non rémunéré du Collège d’experts du ministère britannique de la Culture, des Médias et des Sports, un organisme de recherche consultatif non politique.

ref. La technologie, carburant du surtourisme… et possible frein ? – https://theconversation.com/la-technologie-carburant-du-surtourisme-et-possible-frein-263212