Source: The Conversation – in French – By Magalie Masamba, Extraordinary lecturer at the Centre for Human Rights, University of Pretoria
De nombreux pays africains croulent sous le poids de la dette. Le changement climatique aggrave encore la situation. L’Afrique contribue le moins aux émissions mondiales, mais souffre le plus des phénomènes météorologiques extrêmes, de la hausse des températures et de la sécheresse. Ces catastrophes affectent non seulement les moyens de subsistance des populations, mais aussi les recettes nationales, rendant le remboursement de la dette plus difficile. Or, les contrats de dette traditionnels ne prennent pas en compte cette réalité.
Le lien entre la dette et le climat devient de plus en plus indéniable. À mesure que les catastrophes liées au climat s’aggravent, les pays endettés disposent de moins de ressources publiques pour protéger leurs écosystèmes naturels et investir dans la santé et l’éducation.
Lorsque des pays consacrent davantage de ressources au remboursement de leur dette qu’à la santé ou à la résilience climatique, ce n’est pas seulement un signe de défaillance du système, c’est une injustice. C’est la réalité à laquelle sont confrontés aujourd’hui de nombreux pays africains.
La dette publique en Afrique subsaharienne a atteint environ 1 150 milliards de dollars en 2023. De plus en plus de remboursements vont à des créanciers privés. Certains gouvernements dépensent désormais plus pour payer les intérêts que pour l’éducation ou l’eau potable.
Dans le cadre de la recherche de solutions à ce problème, mes récentes recherches ont examiné si les instruments de dette conditionnelle de l’État pouvaient constituer une piste utile.
Les instruments de dette conditionnelle de l’État sont généralement garantis par des banques de développement ou des bailleurs de fonds pour le climat. Ils sont liés à des chocs prédéfinis qui affectent l’économie d’un pays. Il peut s’agir d’une baisse de la production économique (produit intérieur brut) qui réduit les recettes publiques. D’autres chocs peuvent être dûs à des phénomènes météorologiques extrêmes et au changement climatique, qui perturbent l’activité économique et augmentent les dépenses nécessaires pour reconstruire les infrastructures, entre autres. Ces chocs peuvent réduire la capacité d’un gouvernement à rembourser ses dettes.
Lorsque de tels chocs se produisent, les instruments de dette conditionnelle de l’État permettent de réduire, de suspendre ou d’ajuster temporairement le remboursement de la dette, aidant ainsi les pays à éviter le défaut de paiement tout en se concentrant sur la reprise.
Chaque instrument de dette conditionnelle à la situation de l’État est structuré différemment, mais l’objectif fondamental reste le même : donner aux pays une marge de manœuvre financière lorsqu’ils sont confrontés à des chocs externes tels que des catastrophes climatiques ou des ralentissements économiques.
Ils sont déjà utilisés dans certains pays. On peut citer, par exemple, les obligations catastrophe de la Jamaïque, qui prévoient la suspension des remboursements en cas d’ouragan, ainsi que les obligations liées à la durabilité du Rwanda, destinées à mobiliser des capitaux privés pour soutenir ses objectifs climatiques. Un autre exemple est l’obligation liée au produit intérieur brut (si le PIB d’un pays diminue pendant une crise, les remboursements sont réduits).
En théorie, ces instruments pourraient alléger la pression financière lorsque les pays ont le plus besoin d’aide. Cela permettrait aux gouvernements de donner la priorité aux populations et à la planète plutôt qu’aux créanciers.
Je suis expert juridique et politique spécialisé dans la dette souveraine (le montant emprunté par un gouvernement), le financement de la lutte contre le changement climatique et la gouvernance économique mondiale. J’ai examiné plusieurs types d’instruments de dette conditionnels, analysé des rapports officiels et consulté des publications universitaires et politiques afin de déterminer comment ceux-ci pourraient fonctionner pour les pays africains.
Mes recherches ont montré que si certains pays ont obtenu des résultats mitigés avec ce type de contrats de dette, d’autres ont rencontré des difficultés. Il s’agit notamment de litiges concernant les conditions de déclenchement (les événements spécifiques qui activent les modifications des conditions de remboursement, comme une catastrophe naturelle ou un choc économique) et les primes élevées exigées par les bailleurs de fonds.
La faible notation de crédit de nombreux pays africains rend également les prêteurs réticents à conclure ce type de contrats.
Mes conclusions suggèrent que, bien que ces instruments soient prometteurs, ils ne constituent pas une solution automatique au problème actuel du remboursement de la dette. Néanmoins, s’ils sont mis en place de manière juridiquement irréprochable, ils pourraient constituer un élément précieux d’un système financier plus juste et plus résilient, en particulier s’ils sont associés à un allègement de la dette et à des règles multilatérales plus équitables.
La présidence sud-africaine du G20 : une opportunité
En tant que pays exerçant la présidence du G20, l’Afrique du Sud peut porter la voix du continent pour exprimer l’urgence d’une architecture financière plus équitable. L’Afrique du Sud devrait promouvoir un cadre multilatéral pour le rééchelonnement de la dette souveraine. Il s’agit d’un processus par lequel un pays restructure ou renégocie sa dette publique avec ses créanciers lorsqu’il n’est plus en mesure de respecter ses obligations de remboursement.
Un tel cadre devrait inclure tous les créanciers et tous les débiteurs. Son objectif devrait être de restructurer rapidement la dette et de veiller à ce que les pays ne s’endettent pas au point de ne plus pouvoir investir pour se protéger contre les catastrophes climatiques.
L’Afrique du Sud a mis en place le Groupe d’experts du G20 Groupe d’experts africains pour relever les défis liés à la dette. Dans le but de rationaliser les programmes de financement climatique et de restructuration de la dette souveraine, le groupe peut faire pression pour que des instruments de dette conditionnelle et d’autres outils de dette plus équitables soient mis à l’essai.
L’expert en gouvernance économique mondiale Danny Bradlow et le chercheur Kesaobaka N. Mopipi ont également suggéré que le groupe d’experts doit identifier les obstacles qui empêchent les pays africains d’accéder à des financements abordables, prévisibles et axés sur le développement. L’Afrique du Sud devrait également travailler avec l’Union africaine afin de présenter une position africaine unifiée lors des grands sommets mondiaux. Il s’agit notamment de la COP30 et de la Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement. Cela contribuerait également à garantir que les programmes africains en matière de dette, de développement et de financement de la lutte contre le changement climatique ne soient pas traités de manière isolée, mais comme des défis étroitement liés nécessitant des solutions intégrées.
L’Afrique du Sud devrait saisir cette occasion. La présidence du G20 est plus que symbolique. Il s’agit d’une plateforme permettant de remettre en question des normes obsolètes et de mener la charge vers un système mondial de dette au service des populations, de la planète et des générations futures.
Que faire maintenant ?
Tout d’abord, la conception est importante. Les instruments de dette conditionnels à l’État doivent être équitables, transparents et adaptés aux besoins des pays. Des règles claires doivent automatiquement s’appliquer lorsque certaines conditions sont remplies, par exemple lorsqu’un pays est frappé par une catastrophe climatique. Ces règles doivent être faciles à appliquer et alignées sur les plans climatiques et de développement de chaque pays.
Il est également important que les indicateurs clés, tels que le produit intérieur brut, reflètent fidèlement les réalités locales. Dans de nombreux pays africains, une part importante de l’activité économique se déroule dans le secteur informel. Celle-ci est souvent sous-estimée dans les statistiques officielles. Plus important encore, les gouvernements africains devraient prendre l’initiative de définir la conception des nouveaux instruments de dette afin de s’assurer qu’ils soutiennent véritablement les priorités nationales et n’aggravent pas les risques futurs.
Deuxièmement, un soutien technique est essentiel. Il est nécessaire d’investir dans les capacités techniques, l’expertise juridique et la coordination intersectorielle afin de garantir le bon fonctionnement de ces instruments de dette. Les institutions multilatérales, telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et d’autres banques régionales de développement, ainsi que d’autres partenaires de développement, doivent appuyer les efforts des gouvernements pour renforcer ces capacités.
Enfin, la convergence des enjeux liés à la dette, au climat et à la conservation en Afrique exige des solutions créatives, justes et tournées vers l’avenir. Toute solution durable en matière de dette doit reconnaître que l’Afrique en particulier, et les pays du Sud en général, ne doivent pas supporter le coût d’une crise climatique qu’ils n’ont pas causée. Les systèmes internationaux de dette doivent être profondément réformés pour devenir plus équitables, transparents et adaptés aux réalités des économies menacées par le changement climatique.
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Magalie Masamba does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. Le changement climatique aggrave le fardeau de la dette africaine : de nouveaux contrats de dette pourraient aider – https://theconversation.com/le-changement-climatique-aggrave-le-fardeau-de-la-dette-africaine-de-nouveaux-contrats-de-dette-pourraient-aider-262567
