Donald Trump limoge la cheffe des statistiques sur le travail et affaiblit les bases des politiques sociales

Source: The Conversation – in French – By Sarah James, Assistant Professor of Political Science, Gonzaga University

Les programmes gouvernementaux sont-ils efficaces ? Impossible de le savoir sans données. Andranik Hakobyan/iStock/GettyImagesPlus

En freinant la production de données officielles, l’administration Trump met en péril la transparence et l’avenir des politiques sociales aux États-Unis.

Le 1er août 2025, le président Donald Trump a limogé la commissaire du Bureau de la statistique du travail (Bureau of Labor Statistics ou BLS) Erika McEntarfer, après la publication d’un rapport défavorable sur le chômage. Cette décision a suscité de vives critiques en raison du risque qu’elle sape la crédibilité de l’agence. Mais ce n’est pas la première fois que l’administration Trump prend des mesures susceptibles d’affaiblir l’intégrité de certaines données gouvernementales.

Prenons l’exemple du suivi de la mortalité maternelle aux États-Unis, qui est la plus élevée parmi les pays développés. Depuis 1987, les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention) administrent le système de surveillance de l’évaluation des risques liés à la grossesse afin de mieux comprendre quand, où et pourquoi ces décès surviennent. En avril 2025, l’administration Trump a placé ce département, chargé de la collecte et du suivi de ces données, en congés forcés.

Pour l’instant, rien n’indique que des données du BLS ont été supprimées ou altérées. Mais des rapports font état de situations similaires dans d’autres agences.

La Maison-Blanche collecte également moins d’informations, qu’il s’agisse de savoir combien d’Américains disposent d’une assurance maladie ou du nombre d’élèves inscrits dans les écoles publiques, et elle rend inaccessibles au public de nombreuses données gouvernementales. Donald Trump tente également de supprimer des agences entières, comme le département de l’éducation, qui sont responsables de la collecte de données cruciales liées à la pauvreté et aux inégalités. Son administration a aussi commencé à supprimer des sites web et des répertoires qui partagent les données gouvernementales avec le public.

Pourquoi les données sont essentielles pour le filet de sécurité

J’étudie le rôle que jouent les données dans la prise de décision politique, y compris quand et comment les responsables gouvernementaux décident de les collecter. Au fil de plusieurs années de recherche, j’ai constaté que de bonnes données sont essentielles non seulement pour les responsables politiques, mais aussi pour les journalistes, les militants ou les électeurs. Sans elles, il est beaucoup plus difficile de déterminer quand une politique échoue et encore plus compliqué d’aider les personnes qui ne sont pas dans les radars et qui n’ont pas de connexions politiques.

Depuis que Trump a prêté serment pour son second mandat, je surveille de près les conséquences de la perturbation, de la suppression et du sous-financement des données sur les programmes de filet de sécurité sociale, comme l’aide alimentaire ou les services destinés aux personnes en situation de handicap.

J’estime que perturber la collecte de données rendra plus difficile l’identification des personnes éligibles à ces programmes ou la compréhension de ce qui se passe lorsque des bénéficiaires perdent leur aide. Je crois aussi que l’absence de ces données compliquera considérablement le travail des défenseurs de ces programmes sociaux pour les reconstruire à l’avenir.

Pourquoi le gouvernement collecte ces données

Il est impossible de savoir si des politiques et programmes fonctionnent, sans données fiables collectées sur une longue période. Par exemple, sans un système permettant de mesurer avec précision combien de personnes ont besoin d’aide pour se nourrir, il est difficile de déterminer combien le pays doit consacrer au Supplemental Nutrition Assistance Program (le programme alimentaire fédéral), au programme fédéral d’aide nutritionnelle (connu sous le nom de WIC) destiné aux femmes, nourrissons et enfants, ainsi qu’aux programmes associés.

Les données sur l’éligibilité et l’inscription à Medicaid avant et après l’adoption de l’Affordable Care Act (ACA) en 2010 en sont un autre exemple. Les données nationales ont montré que des millions d’Américains ont obtenu une couverture santé après la mise en œuvre de l’ACA.

De nombreuses institutions et organisations, comme les universités, les médias, les think tanks et les associations à but non lucratif qui se concentrent sur des enjeux tels que la pauvreté et les inégalités ou le logement, collectent elles aussi des données sur l’impact des politiques sociales sur les Américains à faible revenu.

Il ne fait aucun doute que ces efforts non gouvernementaux vont se poursuivre, voire s’intensifier. Cependant, il est très improbable que ces initiatives indépendantes puissent remplacer les programmes de collecte de données du gouvernement – encore moins l’ensemble d’entre eux. Parce qu’il met en œuvre les politiques officielles, le gouvernement est dans une position unique pour collecter et pour conserver des données sensibles sur de longues périodes. C’est pourquoi la disparition de milliers de sites web officiels peut avoir des conséquences à très long terme.

Ce qui distingue l’approche de Trump

La mise en pause, la réduction de financement et la suppression des données gouvernementales par l’administration Trump marquent une rupture majeure avec ses prédécesseurs.

Dès les années 1930, les chercheurs en sciences sociales et les responsables politiques locaux américains avaient compris le potentiel des données pour identifier quelles politiques étaient efficaces et lesquelles représentaient un gaspillage d’argent. Depuis lors, les responsables politiques de tout l’éventail idéologique se sont de plus en plus intéressés à l’utilisation des données pour améliorer le fonctionnement de l’État.

Cet intérêt pour les données s’est accentué à partir de 2001, lorsque le président George W. Bush a fait de la responsabilisation du gouvernement sur la base de résultats mesurables une priorité. Il considérait les données comme un outil puissant pour réduire le gaspillage et évaluer les résultats des politiques publiques. Sa réforme phare en matière d’éducation, le No Child Left Behind Act, a profondément élargi la collecte et la publication de données sur les performances des élèves dans les écoles publiques de la maternelle à la terminale.

George W. Bush
Le président George W. Bush parle d’éducation en 2005 dans un lycée de Falls Church, en Virginie, exposant ses plans pour le No Child Left Behind Act.
Alex Wong/Getty Images

En quoi cela contraste avec les administrations Obama et Biden

Les présidents Barack Obama et Joe Biden ont mis l’accent sur l’importance des données pour évaluer l’impact de leurs politiques sur les populations à faible revenu, historiquement peu influentes sur le plan politique. Obama a mis en place un groupe de travail chargé d’identifier des moyens de collecter, analyser et intégrer davantage de données utiles dans les politiques sociales.

Biden a mis en œuvre plusieurs des recommandations de ce groupe. Par exemple, il a exigé la collecte et l’analyse de données démographiques pour évaluer les impacts des nouvelles politiques sociales. Cette approche a influencé la manière dont son administration a géré les changements dans les pratiques de prêts immobiliers, l’expansion de l’accès au haut débit et la mise en place de programmes de sensibilisation pour inscrire les citoyens à Medicaid et Medicare.

Pourquoi il sera difficile de reconstruire

Il est plus difficile de défendre l’existence de programmes sociaux lorsqu’il n’existe pas de données pertinentes. Par exemple, des programmes qui aident les personnes à faible revenu à consulter un médecin, à avoir accès à des produits frais ou à trouver un logement peuvent être plus rentables que de simplement laisser les gens vivre dans la pauvreté.

Bloquer la collecte de données peut aussi compliquer le rétablissement du financement public après la suppression ou l’arrêt d’un programme. En effet, il sera alors plus difficile pour les anciens bénéficiaires de ces programmes de convaincre leurs concitoyens qu’il est nécessaire d’investir dans l’extension d’un programme existant ou dans la création d’un nouveau.

Faute de données suffisantes, même des politiques bien intentionnées risquent à l’avenir d’aggraver les problèmes qu’elles sont censées résoudre, et ce, bien après la fin de l’administration Trump.

The Conversation

Sarah James ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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