Source: The Conversation – in French – By Adrien Maillot, Epidémiologiste, spécialisé en toxicologie médicale, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)
À La Réunion, des plantes décoratives sont vendues dans le commerce alors qu’elles sont potentiellement toxiques par contact cutané ou si des parties du végétal sont ingérées de manière accidentelle, par exemple par des enfants. La vigilance doit être de mise pour trois d’entre elles, en particulier, car elles sont très prisées alors qu’elles sont particulièrement à risque.
Située dans l’océan Indien, à l’est de Madagascar, La Réunion est un département français d’outre-mer à la géographie contrastée. Cette île volcanique d’environ 2 500 km2 – soit la taille du Luxembourg – se distingue par son relief accidenté et son climat tropical.
Comprendre la richesse des plantes de La Réunion
Elle présente, sur une surface restreinte, une étonnante diversité de paysages : forêts humides en altitude, savanes littorales semi-sèches, falaises abruptes ou encore cirques montagneux.
Grâce à la variété de ses microclimats, l’île offre des conditions idéales pour le développement d’une flore d’une richesse exceptionnelle, dont environ un tiers est endémique (c’est-à-dire des espèces végétales que l’on ne trouve qu’à La Réunion, ndlr).
Plantes ornementales en vente sous les tropiques : attention aux risques
À La Réunion, le commerce de végétaux à vocation ornementale occupe une place importante dans l’économie locale. Pépinières, marchés, grandes surfaces spécialisées : l’offre en végétaux exotiques y est abondante, portée par une forte demande de la population.
Cependant, certaines plantes commercialisées sur l’île présentent des risques pour la santé humaine. Leur toxicité naturelle peut entraîner divers effets indésirables : intoxications par ingestion (notamment chez l’enfant), réactions allergiques respiratoires, irritations ou brûlures cutanées en cas de contact, voire photosensibilisation (la photosensibilisation correspondant à une réaction anormale de la peau après exposition au soleil).
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a récemment alerté sur ce sujet. À la demande du ministère de la santé, elle a engagé un travail d’identification des plantes toxiques vendues dans les territoires ultra-marins, en vue de les intégrer à la liste des végétaux à risque établie, dans un premier temps, pour la France hexagonale.
À noter qu’en France, un arrêté impose depuis 2020 une information à l’acquéreur au moment de la vente de plantes commercialisées potentiellement dangereuses pour la santé (étiquette, pancarte, brochure…).
État des lieux de la situation
Une étude spécifique a été menée par le Dispositif de toxicovigilance de l’océan Indien (DTV-OI) à la demande des autorités sanitaires, avec un focus sur l’île de La Réunion et Mayotte. Ce travail d’expertise s’appuie sur une approche croisée mobilisant plusieurs sources : la littérature scientifique, les observations cliniques recueillies dans les établissements de santé réunionnais (via la base de données du DTV-OI), ainsi que les cas enregistrés dans la base nationale des centres antipoison.
Comme il n’a pas été possible de se procurer une liste officielle de végétaux commercialisés à Mayotte, le travail a dû être restreint à La Réunion mais s’appliquera tout de même à Mayotte.
Au total, 41 espèces végétales présentant un risque de toxicité pour la santé humaine ont été identifiées. Trois d’entre elles se distinguent par une dangerosité élevée qui peut entraîner de graves effets sur la santé, comme en témoignent les données du DTV-OI et/ou des publications scientifiques. Il s’agit de l’agave d’Amérique (Agave Americana), du pignon d’Inde (Jatropha curcas L.) et de la fleur de corail (Jatropha podagrica).
Les fiches d’information sur ces plantes peuvent être consultées sur Plantes-risques.info. Ce site, qui dépend du ministère de la santé, présente les espèces végétales classées par la réglementation comme présentant un risque pour la santé humaine, si on les ingère, si on respire leurs pollens ou en cas de contact avec la peau ou les yeux.
Focus sur les trois plantes potentiellement les plus dangereuses
Que faut-il retenir concernant ces trois plantes les plus à risque de toxicité pour la santé humaine à La Réunion et à Mayotte ?
- L’agave d’Amérique dont le nom local à La Réunion est le choka bleu (Agave americana)
Très appréciée pour son esthétisme et sa résistance à la sécheresse, l’agave d’Amérique ou choka bleu est largement présente dans les jardins de l’île de La Réunion et en milieu naturel. Pourtant, ses feuilles et tiges contiennent des substances irritantes.
Un contact avec la peau peut entraîner, quelques heures après l’exposition, des rougeurs et une sensation de brûlure. En cas de piqûre par les épines situées à l’extrémité des feuilles, des lésions cutanées douloureuses peuvent apparaître, avec un risque de surinfection. Une atteinte traumatique de l’œil est également possible.
La projection de sève dans l’œil ou le contact indirect avec l’œil (par l’intermédiaire des mains) peut provoquer un gonflement des paupières, des douleurs intenses, une rougeur, voire une atteinte de la cornée.
En cas d’ingestion accidentelle, des douleurs buccales, une sensation de brûlure, une salivation excessive, des vomissements, des diarrhées et un gonflement de la gorge sont possibles.
- Le pignon d’Inde (Jatropha curcas)
Utilisé comme plante ornementale, le pignon d’Inde est un petit arbuste qui contient des esters de phorbol dans ses graines, qui s’avèrent très toxiques. Leur ingestion entraîne, dans les heures qui suivent, des vomissements, douleurs abdominales et diarrhées parfois sanglantes, pouvant provoquer une déshydratation sévère.
Les feuilles et tiges renferment également un latex toxique, irritant pour la peau, les yeux et la bouche.

Vinayaraj, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia, CC BY
En cas de contact cutané, des rougeurs, une sensation de brûlure et des cloques peuvent apparaître quelques heures après. En cas d’ingestion par accident, une sensation de brûlure, une salivation excessive et un gonflement de la gorge sont possibles. En cas de projection dans l’œil ou de contact avec les mains contaminées, des douleurs intenses, un gonflement des paupières, une rougeur, voire une atteinte plus grave peuvent survenir.
- La fleur de corail ou baobab nain, dont le nom local à La Réunion est ti baobab (Jatropha podagrica)
Très répandue car très décorative, la fleur de corail ou ti baobab est une plante ornementale est intégralement toxique : feuilles, fleurs, graines et racines contiennent des substances irritantes.
Le contact cutané peut entraîner des rougeurs et une sensation de brûlure dans les heures suivant l’exposition. L’ingestion de parties de la plante peut provoquer une sensation de brûlure, une salivation excessive et un gonflement de la gorge.
En cas de projection dans l’œil, ou de contact indirect via les mains, peuvent apparaître un gonflement des paupières, des douleurs intenses, une rougeur, voire une atteinte plus sérieuse de l’œil.
Vers une meilleure prévention : des recommandations concrètes
Ces trois espèces ne figurent pas encore sur la liste officielle des plantes à risque encadrées par l’arrêté du 4 septembre 2020 qui impose une information au moment de la vente. L’Agence de sécurité sanitaire (Anses) a recommandé leur inscription à l’image de ce qui existe déjà dans l’Hexagone pour le laurier-rose, le datura ou la belladone par exemple.
À lire aussi :
Cet été, à quelles plantes faire attention pour éviter les intoxications ?
Certaines de ces espèces, déjà inscrites sur la liste de l’arrêté de 2020, sont également commercialisées à La Réunion ou à Mayotte. Le risque n’est donc pas limité aux plantes spécifiques à l’outre-mer.
Pour chaque plante concernée, l’Anses produit une information standardisée sur les risques sanitaires, les parties toxiques, les voies d’exposition, les gestes de prévention et la conduite à tenir en cas d’exposition.
Chacun peut également agir en adoptant les bons réflexes. De façon pragmatique, il est possible de réduire les risques au quotidien :
-
éviter de planter des espèces potentiellement dangereuses dans les zones fréquentées par des enfants ;
-
s’informer avant d’acheter une plante ornementale ;
-
demander conseil aux pépiniéristes ;
-
sensibiliser son entourage.
Au-delà du commerce : une vigilance élargie
Si ce travail s’est concentré sur les plantes commercialisées, les recommandations émises peuvent s’appliquer à l’ensemble des espèces présentes sur l’île, qu’elles soient vendues, introduites ou naturellement présentes.
Des travaux complémentaires ont d’ailleurs été réalisés pour actualiser la liste des plantes à risque pour la santé humaine, qu’elles soient commercialisées ou non. La liste des plantes à risque reste évolutive, et pourra être actualisée en fonction des signalements, des données toxicologiques et des connaissances scientifiques disponibles.
En cas d’intoxication : quelle conduite tenir ?
En cas de troubles sévères ou de signes de détresse vitale (difficultés pour respirer, perte de conscience…) après avoir été exposé par accident à une plante potentiellement toxique, voici la conduite à tenir :
-
appeler sans délai le 15 ou le 112, ou le 114 pour les personnes malentendantes
-
si un enfant a mis des feuilles ou des baies à la bouche, lui rincer l’intérieur de la bouche avec un linge humide, de lui laver les mains et appeler un centre antipoison, ou consulter un médecin en cas de symptôme ou au moindre doute sur l’identification de la plante
Comment contacter un centre antipoison ?
- Le numéro téléphonique national des centres antipoison (ORFILA) 24h/24 et 7j/7 est le +33 (0)1 45 42 59 59.
- ne pas attendre que des symptômes surviennent pour prendre l’avis d’un centre antipoison en cas d’ingestion d’une plante toxique.
À noter enfin que ces plantes sont également toxiques pour les animaux. En cas d’ingestion, contacter sans délai un centre antipoison vétérinaire.
![]()
Adrien Maillot est membre expert du groupe de travail « Vigilance des toxines naturelles » de l’Anses.
Sandra Sinno-Tellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Plantes décoratives mais toxiques vendues à La Réunion : informer sur les risques – https://theconversation.com/plantes-decoratives-mais-toxiques-vendues-a-la-reunion-informer-sur-les-risques-261725
