Source: The Conversation – in French – By Mélanie Bourdaa, Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Bordeaux Montaigne

La variété de personnages représentés dans les séries télévisées s’est beaucoup étoffée, permettant aux adolescents en pleine éducation sentimentale de mieux se projeter dans les intrigues, et d’y trouver un appui pour affronter leurs questionnements voire, dans certains cas, faire leur coming out.
Les séries télévisées constituent des laboratoires des expériences adolescentes en matière de sexualité, d’éducation sentimentale, de consentement, de cyberharcèlement, ou d’échanges entre pairs ou amis, comme le fait ressortir l’enquête menée dans l’ouvrage Teen series. Genre, sexe et séries pour ados (2024).
Présentant des problématiques adolescentes, avec des adolescents comme personnages principaux, ces séries constituent des œuvres culturelles cruciales pour analyser à la fois les représentations des sexualités adolescentes mais également pour comprendre comment les adolescents se saisissent de ces représentations pour en faire un levier de discussions dans leurs communautés.
Des personnages non binaires plus présents dans les intrigues
Les Teen series ont vu leur importance grandir dans le paysage sériel actuel, notamment dans un contexte d’éclatement des audiences sur divers supports de diffusion. Si, durant les années 1990, nombre d’entre elles, Dawson’s Creek (1998-2003) ou Beverly Hills (1990-2000), étaient déjà produites et diffusées, elles contribuaient souvent à véhiculer des personnages stéréotypés et monolithiques : le « sexy quarterback », la « mean girl », la « popular girl » et souvent une « cheerleader » qui sortait avec le « quaterback ».
Dans ces séries, l’hétéronormativité était la sexualité dominante, voire la seule sexualité montrée. Par exemple dans Dawson’s Creek, le personnage de Jack fait son coming out, mais il n’y a aucun développement autour de ce récit ni aucune réflexion sur les conséquences pour le personnage et son entourage.
Aujourd’hui, les Teen series offrent une diversité des représentations et une nuance dans le développement et dans la psychologie des personnages qui permettent d’amener des pluralités de représentations. Par exemple, la série Glee (2009-2015) tordait les représentations genrées et sexuelles. Plus récemment, dans Heartstopper (2022-2025), le quarterback fait son coming out bisexuel déjouant ainsi les représentations classiques de la masculinité hétérosexuelle.
Les personnages non binaires ont des rôles beaucoup plus décisifs dans le développement de l’intrigue et bénéficient d’une visibilité et d’une temporalité à l’écran beaucoup plus importantes. Nous pensons au personnage de Sid, la petite amie d’Elena, dans la série One Day At a Time (2017) sur Netflix qui a reçu un écho positif auprès des fans. Il en va de même pour les personnages transgenres dans Sex Education (2019), Euphoria (2019), Heartstopper, Gossip Girl nouvelle version (2021-2023) ou bien The Chilling Adventure of Sabrina (2018-2020) pour n’en citer que quelques-unes.
Le personnage étant une figure familière, avec lequel les téléspectateurs vont créer une relation émotionnelle, il est essentiel pour les séries de leur proposer des variétés de représentations auxquelles s’identifier. Le personnage accompagne alors les téléspectateurs et leur fournit des modèles de représentations sur lesquelles ils et elles peuvent s’appuyer ou rejeter pour se construire leur propre identité.
L’importance de l’identification aux personnages
Les adolescents regardent ces séries, mais ils ne sont pas passifs. Pour ainsi dire, ils et elles se les approprient. La recherche s’est d’ailleurs beaucoup penchée sur la façon dont ils et elles investissent les thématiques inhérentes aux séries (harcèlement, première fois, homophobie…), mais aussi comment ils et elles s’identifient aux personnages, en parlent ensemble, les critiquent et les mettent à distance.
Les publics adolescents s’emparent des narrations, de récits, d’imaginaires, pour se construire des communautés de pratiques, des réseaux également. Ils mènent des actions culturelles, sociales et politiques sous forme de partage de contenus numériques et de créations (fanfictions, fan arts, edits vidéo, cosplay) notamment. Le personnage et les narrations provoquent des discussions autour des sexualités et des identités genrées. Ce sont aussi des leviers d’engagement concret pour de jeunes fans qui mettent alors à contribution leur identité de fans, mais également leur identité sexuelle au service de la collectivité.

Chris Roth, via Wikimedia, CC BY-SA
Par exemple, lorsque Emily Fields, dans Pretty Little Liars (2010-2017) fait son coming out et qu’il nous est donné à voir la réaction de ses deux parents, plusieurs fans ont réagi sur les réseaux sociaux ou dans leur communauté en ligne. Sur YouTube, une fan poste ce commentaire en lien avec les scènes spécifiques de coming out :
« C’est tellement ça pour moi. J’ai 13 ans. Il y a un mois, mon père a découvert que j’étais gay et il m’a hurlé dessus pendant des heures me disant que ce n’était pas normal et que ce n’était qu’une phase. Il m’a dit que si je continuais à être comme ça, il allait me jeter de la maison. Ma mère a dit qu’elle était OK avec le fait que je sois gay et qu’elle continuerait à m’aimer quoi qu’il arrive. »
Une autre déclare que ce que vit le personnage va l’aide dans son processus :
« Je suis bisexuelle. Cela signifie que j’aime les hommes et les femmes. Personne ne le sait encore, puisque j’ai 11 ans. Cela paraît simple pour moi, mais en réalité ma famille est homophobe. Je ne pense pas que ce sera facile, mais je vais leur annoncer bientôt. Emily m’en a donné le courage. Merci beaucoup, Shay (nom de l’actrice, ndlr). »
Et cela crée des relations, des identifications. On se confie, on se découvre avec les séries.
Anna a 18 ans. Elle se souvient qu’au lycée elle regardait Heartstopper avec une amie. Au-delà de la série, ce fut surtout l’occasion pour les deux jeunes filles d’évoquer leur homosexualité et de faire leur coming out ensemble.
« On a suivi les héroïnes lesbiennes de la série et c’est comme si elles nous ouvraient la voie une peu ».
Anna poursuit :
« Évidemment, lorsque dans la série on voit des parents exclure leur fille lesbienne, j’ai immédiatement dit à mes parents : “Vous ne feriez pas ça vous ?”, et j’en ai profité pour leur faire aussi mon coming out ».
La série rassure par ses personnages, par sa quotidienneté : elle accompagne.
Des créations de fans
Outre cette expression de soi dans les communautés en ligne, les publics fans et, en particulier, les jeunes publics créent des œuvres « transformatrices » écrites, visuelles ou audiovisuelles à partir de la narration et des personnages.
Ces créations, nombreuses, polymorphes, leur permettent de mettre en avant différents aspects de la série et notamment en ce qui concerne les représentations de la sexualité : développer des histoires autour de couples, en particulier homosexuels, présents dans le récit ou fantasmés par les fans, réparer des erreurs genrées (cela a été vu par exemple dans les fanfictions Twilight (2008-2012) qui replaçaient Bella dans un rôle central) ou de continuer à faire vivre des personnages, éliminés dans la série.
Les jeunes publics s’appuient alors sur le récit officiel, mais également sur leur imagination et leur propre expérience pour produire ces œuvres. Ces créations partagées dans les communautés de fans et dans la sphère publique contribuent à une meilleure visibilité des sexualités adolescentes, en les replaçant dans un écosystème médiatique multiplateforme.
Au total, si on assiste à une transformation de l’« imaginaire du coming out » (de la chose impossible, de l’épreuve traversée de violences, à la non-obligation, presque au non-événement dans certaines séries), c’est le fait aussi de fans qui demandent à ce que l’homosexualité et le drame ne soient pas toujours jumelés dans les scénarios.
La réception par les jeunes, notamment homosexuels, des Teen series, n’est donc pas anodine. Par l’attention que lui apportent les diffuseurs et les scénaristes, elle oriente les visibilités et les récits de jeunes… et de leur entourage !
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Mélanie Bourdaa a reçu des financements de la Région Nouvelle Aquitaine pour le projet Sexteen.
Arnaud Alessandrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Coming out, amours et amitiés : le rôle des séries télé – https://theconversation.com/coming-out-amours-et-amities-le-role-des-series-tele-259826
