Loi Duplomb : un grand bond en arrière environnemental et sanitaire ?

Source: The Conversation – in French – By François Dedieu, Directeur de recherche en sociologie, Inrae

En moins de quinze jours, une pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb a obtenu presque 2 millions de signatures – un record depuis la création de la plateforme de pétitions de l’Assemblée nationale. Les pétitionnaires refusent la réintroduction de pesticides dangereux alors que certains agriculteurs réclament le droit de les utiliser. Ces points de vue sont-ils irréconciliables ? Les recherches en agronomie montrent que protéger l’environnement et la santé, tout en assurant la compétitivité des productions agricoles, est possible.


La contestation de la loi Duplomb adoptée le 8 juillet s’est manifestée par une pétition recueillant plus de 1,8 million de signatures (en date du 24 juillet) – de quoi permettre l’ouverture d’un nouveau débat à l’Assemblée nationale. Les principaux points de contestation portent sur la réintroduction de deux pesticides controversés (l’acétamipride et le flupyradifurone) et sur le grignotage des prérogatives de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) dans la mise sur le marché des pesticides.

Face à cette mobilisation inédite, le porteur de la loi, le sénateur LR Laurent Duplomb, a déclaré que les centaines de milliers de signatures recueillies « ne lui inspire(nt) pas grand-chose », considérant que sa loi est « diabolisée et instrumentalisée par la gauche.

Un débat sur les pesticides fortement polarisé

Pour les écologistes et la gauche, soutenus par une partie de la communauté scientifique, la dangerosité des pesticides concernés n’est plus à démontrer. Ils sont multirisques pour la biodiversité, en particulier pour les abeilles, et suscitent de sérieux doutes quant à leurs effets neurodéveloppementaux sur la santé humaine selon l’European Food Agency. La ré-autorisation de l’acétamipride, interdite en France en 2023, mais toujours autorisée en Europe, apparaît inacceptable. Elle revient à privilégier les intérêts économiques au détriment de la santé humaine et environnementale.

De l’autre côté, pour les agriculteurs et leurs représentants, en particulier pour les producteurs de betteraves et de noisettes, l’acétamipride constitue le seul moyen efficace pour lutter contre le puceron vert qui transmet la maladie redoutable de la jaunisse. En 2020, celle-ci a provoqué la chute du tiers de la production de betteraves, entraînant une hausse des importations de sucre brésilien et allemand traités à l’acétamipride. Au final pourquoi l’agriculture française, effrayée par sa perte actuelle de compétitivité, devrait-elle payer le prix de son interdiction ?

Protéger la betterave sans pesticides, c’est possible

Ces deux positions clivées apparaissent aujourd’hui irréconciliables. Qu’en dit la science ? Tout d’abord, les preuves sont désormais suffisamment robustes pour établir que les dangers des néonicotinoïdes pour l’homme et l’environnement sont trop préoccupants et trop diffus pour penser les contrôler.

La technique d’enrobage (c’est-à-dire le processus par lequel des poudres et des liquides sont utilisés pour former une enveloppe autour de la graine) ne permet pas de limiter l’impact du pesticide. Outre ses dangers pour les abeilles, l’acétamipride s’insère durablement dans l’environnement. Le produit est soluble dans l’eau et possède une forte mobilité dans les sols, ce qui présente des risques énormes pour la biodiversité démontrés par l’expertise collective Inrae/Ifremer, de 2022.

Mais est-il pour autant possible de laisser les producteurs dans la situation consistant à être écrasés par la concurrence de denrées importées et remplies de substances interdites sur leur sol ? Tout le défi politique consiste ainsi à réunir « biodiversité » et « agriculture ». Or, les travaux d’expertise de l’Inrae montrent que l’agriculture peut s’appuyer sur la biodiversité pour obtenir des performances tout à fait satisfaisantes.

Cette approche avait été choisie par le plan pour la filière betteravière 2020 à 2023 pour faire face à l’interdiction des néonicotinoïdes. Le ministère de l’agriculture avait alors mis en place avec l’Inrae et l’Institut technique de la betterave, un « plan » permettant de trouver des substituts aux néonicotinoïdes.

Une autre manière de protéger les cultures était proposée : il ne s’agissait plus de s’attaquer au puceron qui provoque la jaunisse mais aux foyers propices à son apparition. Les résultats étaient probants : supprimer ces réservoirs permettait d’obtenir des rendements équivalents à ceux obtenus avec les traitements chimiques. Cette solution restait imparfaite puisque les pesticides pouvaient être utilisés en dernier recours (mais dans des quantités bien moindres), mais uniquement lorsque des solutions sans chimie échouaient. Par ailleurs, des solutions n’ont pas encore été trouvées pour toutes les cultures, notamment pour la noisette.

La loi Duplomb, une réponse simpliste et rétrograde

La loi Duplomb s’inscrit théoriquement dans la lignée de ces plans mais prend en réalité le chemin inverse : elle maintient la chimie comme solution prioritaire et ne pense les alternatives qu’en surface, et dans le plus grand flou. Les décrets de dérogations à l’usage des néonicotinoïdes seront, selon la loi, accordés moyennant « la recherche d’un plan d’alternative ». Mais comment le nouveau Comité d’appui à la protection des cultures prévu par le texte et placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture pensera-t-il ces alternatives ? Avec quels moyens et quelle temporalité, alors que les décrets d’autorisation sont signés en parallèle au pas de course ?

La loi Duplomb nourrit finalement un puissant effet pervers : en allant au plus simple, elle retarde la recherche d’alternatives aux pesticides.

Pourquoi un tel recul ? Sans doute pour répondre au mouvement des agriculteurs de 2024 qui exprimait un « ras-le-bol » face aux normes environnementales et qui menace sans cesse de reprendre. Mais ces revendications masquent un problème profond que j’ai cherché à identifier dans mes travaux : l’incompatibilité entre normes environnementales et exigences commerciales qui peut conduire les producteurs à enfreindre la loi lorsqu’ils utilisent les pesticides (en dépassant la dose-hectare fixée par le réglementation, par exemple).

Mais la loi Duplomb répond à cette colère de manière doublement simpliste. Elle reprend sans discussion les revendications du mouvement de 2024 – demande de maintien des pesticides sans alternatives, souplesse dans l’autorisation des produits phytopharmaceutiques, ou assouplissement des formalités encadrant la taille des élevages et l’accès à l’eau (mégabassines).

En revanche, la loi ne traite nullement des réelles contraintes administratives qui pèsent sur les producteurs (déclarations, formalités en tous genres). Surtout, elle ne s’attaque pas à la racine des distorsions de concurrences qui se jouent au niveau supranational.

La réduction de la distorsion devrait passer par une possibilité d’harmoniser la décision d’homologation au niveau européen et non plus uniquement à l’échelle nationale. L’instauration de « clauses miroirs » dans les accords commerciaux internationaux permettrait d’interdire l’importation de denrées alimentaires produites avec des substances phytosanitaires interdites en Europe.

Menaces sur l’Anses

La loi Duplomb n’est-elle qu’une énième loi conçue pour envoyer des signaux symboliques aux agriculteurs ou est-elle l’outil d’une politique régressive plus profonde sur le terrain environnemental ?

Une disposition de la loi justifie cette inquiétude. Elle concerne les prérogatives de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) sur la commercialisation des pesticides.

Pour rappel, avant 2014, le ministère de l’agriculture délivrait les autorisations des pesticides après une évaluation scientifique réalisée par l’agence. À cette date, Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, avait transféré cette compétence à l’Anses afin d’offrir de meilleures garanties contre la collusion d’intérêt pouvant exister entre le ministère de l’agriculture et les intérêts des filières agricoles.

Les concepteurs de la loi Duplomb ont envisagé plusieurs pistes pour réduire le pouvoir de l’Anses et pour restaurer les prérogatives du ministère de l’agriculture. Finalement, devant la menace d’une démission du directeur de l’agence, une solution de compromis a été trouvée : l’Anses devra désormais rendre davantage de comptes à ses ministères de tutelle en cas de rejet d’un pesticide.

Le texte prévoit aussi une liste des « usages prioritaires » de ravageurs menaçant le potentiel de production national. L’Anses devra donc considérer les priorités du ministère de l’agriculture lorsqu’elle établira son calendrier d’examen des autorisations de mise sur le marché. En somme, l’Anses conserve ses prérogatives mais avance désormais plus sous contrôle, quand il ne devrait être question que de renforcer ses compétences.

Ces dernières années, le ministère de l’agriculture a multiplié les tentatives de mise à mal de son expertise. En 2023, le ministère demandait expressément à l’Anses de revenir sur l’interdiction des principaux usages de l’herbicide S-métolachlore. Tout imparfaite que soit l’évaluation des risques, l’agence réalise un travail considérable de consolidation des savoirs scientifiques sur les dangers des pesticides, notamment à l’aide d’un réseau de phytopharmacovigilance unique en Europe.

Ainsi, la loi Duplomb semble bel et bien signer la volonté de revenir à l’époque où le ministère cogérait avec les syndicats toute la politique agricole du pays, comme il y a soixante ans avec le Conseil de l’agriculture française (CAF). Ceci au prix de la suspension des acquis scientifiques en santé-environnement s’ils contreviennent à court terme à la compétitivité agricole ? Les futures décisions politiques permettront de répondre avec plus de certitude à cette question.

The Conversation

Membre du comité de Phytopharmacovigilance de l’ANSES (2015-2024)

ref. Loi Duplomb : un grand bond en arrière environnemental et sanitaire ? – https://theconversation.com/loi-duplomb-un-grand-bond-en-arriere-environnemental-et-sanitaire-261733