Source: The Conversation – in French – By Leanne N. Phelps, Associate research scientist, Columbia University

Imaginez que vous vivez dans un endroit où une seule sécheresse, un seul ouragan ou une seule coulée de boue peut anéantir votre approvisionnement alimentaire. C’est exactement le cas de nombreuses communautés à travers l’Afrique, qui doivent faire face à des chocs climatiques tels que des inondations, des vagues de chaleur et à de mauvaises récoltes.
Les politiques de développement visant à lutter contre ces menaces négligent souvent une source d’information précieuse : l’histoire même de l’Afrique.
Il y a environ 14 700 à 5 500 ans, une grande partie de l’Afrique a connu des conditions plus humides, une période appelée « période humide africaine ». Puis, vers 5 500 ans (avant notre ère), le climat est devenu plus sec. Cela a entraîné de grands changements sociaux, culturels et environnementaux sur le continent.
Nous faisons partie d’une équipe de chercheurs en sciences sociales, naturelles et environnementales. Nous avons récemment publié une étude sur la façon dont les communautés africaines ont réagi aux changements climatiques au cours des 10 000 dernières années. C’est la première recherche à utiliser des données isotopiques pour retracer l’évolution des modes de vie sur l’ensemble du continent africain.
Cette approche à l’échelle du continent offre un nouvel éclairage sur la formation et l’évolution des moyens de subsistance dans l’espace et dans le temps.
Les théories précédentes partaient souvent du principe que les sociétés et leurs systèmes alimentaires évoluaient de manière linéaire. En d’autres termes, elles passaient de communautés de chasseurs-cueilleurs à des sociétés socialement et politiquement complexes pratiquant l’agriculture.
Mais notre étude montre une réalité plus riche. Pendant 10 000 ans, les communautés africaines se sont adaptées en combinant l’élevage, l’agriculture, la pêche et la cueillette. Elles ont mélangé différentes pratiques en fonction de ce qui fonctionnait à différents moments dans leur environnement spécifique. Cette diversité entre les communautés et les régions a été essentielle à la survie de l’humanité.
Cela nous enseigne des leçons concrètes pour repenser les systèmes alimentaires actuels.
Notre recherche montre que les politiques rigides venues d’en haut ont peu de chances de réussir. C’est notamment le cas des programmes qui misent tout sur l’agriculture intensive au détriment de la diversification des économies. Bon nombre de politiques actuelles adoptent une vision étroite, en privilégiant uniquement les cultures commerciales.
L’histoire nous apprend autre chose : pour être résilient face aux chocs, il ne faut pas tout miser sur une seule méthode. Il faut rester souple, combiner plusieurs approches et s’adapter aux réalités locales.
Les indices laissés par le passé
Nous avons pu tirer nos conclusions en examinant les indices laissés par l’alimentation des populations et leur environnement. Pour ce faire, nous avons analysé les traces chimiques (isotopes) présentes dans les ossements humains et animaux domestiques anciens provenant de 187 sites archéologiques à travers le continent africain.
Nous avons classé les résultats en groupes présentant des caractéristiques similaires, ou « niches isotopiques ». Nous avons ensuite décrit les moyens de subsistance et les caractéristiques écologiques de ces niches à l’aide d’informations archéologiques et environnementales.
Nos analyses ont révélé une grande diversité de systèmes de subsistance.
Par exemple, dans les régions correspondant aujourd’hui au Botswana et au Zimbabwe, certains groupes combinaient l’agriculture à petite échelle avec la cueillette de plantes sauvages et l’élevage de bétail après la période humide africaine. En Égypte et au Soudan, les communautés combinaient l’agriculture – axée sur le blé, l’orge et les légumineuses – avec la pêche, la production laitière et le brassage de la bière.
Les éleveurs, en particulier, ont développé des stratégies très souples. Ils se sont adaptés aussi bien aux plaines chaudes qu’aux montagnes sèches, et à toutes sortes d’environnements intermédiaires. Les systèmes pastoraux (agriculture avec des animaux de pâturage) sont plus nombreux que tout autre système alimentaire sur les sites archéologiques. Ils présentent également la plus grande variété de signatures chimiques, preuve de leur adaptabilité à des environnements changeants.
Notre étude s’est également penchée sur la manière dont les gens utilisaient le bétail. Dans la plupart des cas, les troupeaux se nourrissaient de cultures locales (comme le mil ou les pâturages tropicaux) et s’adaptaient à différents milieux écologiques. Certains systèmes étaient très spécialisés, adaptés aux zones semi-arides ou montagneuses. D’autres rassemblaient des troupeaux mixtes, mieux adaptés aux zones plus humides ou situées à basse altitude. Parfois, les animaux étaient élevés en petit nombre pour compléter d’autres activités. Ils fournissaient du lait, de la bouse pour les cultures ou le feu, et servaient de sécurité en cas de mauvaise récolte.
Cette capacité d’adaptation explique pourquoi, au cours du dernier millénaire, les systèmes pastoraux sont restés si importants, en particulier dans les zones de plus en plus arides.
Stratégies de subsistance mixtes
L’étude apporte également des preuves solides d’interactions entre la production alimentaire et la cueillette, que ce soit au niveau communautaire ou régional.
Des stratégies de subsistance mixtes et dynamiques, comprenant des interactions telles que le commerce au sein et entre les communautés proches et lointaines, étaient particulièrement visibles pendant les périodes de stress climatique. C’est notamment le cas à la fin de la période humide africaine, il y a environ 5 500 ans, quand le climat est devenu plus sec et plus difficile.
Dans le sud-est de l’Afrique, il y a environ 2 000 ans, on voit apparaître des modes de vie très diversifiés. Ils mêlaient élevage, agriculture et cueillette de manière complexe. Ces systèmes ont sans doute émergé en réponse à des changements environnementaux et sociaux complexes.
Des changements complexes dans les interactions sociales – notamment en matière de partage des terres, des ressources et des connaissances – ont probablement favorisé cette capacité d’adaptation.
Comment le passé peut éclairer l’avenir
Les stratégies anciennes de subsistance peuvent servir de guide pour faire face aux changements climatiques d’aujourd’hui.
Notre analyse montre qu’au fil des siècles, les communautés ont combiné élevage, agriculture, pêche et cueillette en tenant compte des réalités locales. Ces choix leur ont permis de mieux résister à des conditions imprévisibles.
Elles ont mis en place des systèmes alimentaires qui fonctionnaient en harmonie avec la terre et la mer, et non contre elles. Elles s’appuyaient également sur des réseaux sociaux solides, fondés sur le partage des ressources, des connaissances et du travail.
Les réponses du passé face aux changements climatiques peuvent inspirer les stratégies actuelles et futures visant à renforcer la résilience des régions confrontées à des pressions sociales et environnementales.
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Leanne N. Phelps est affiliée à la Columbia Climate School de l’université Columbia, au Jardin botanique royal d’Édimbourg, au Royaume-Uni, et à l’ONG Vaevae basée à Andavadoake, Toliara, Madagascar.
Kristina Guild Douglass bénéficie d’un financement de la Fondation nationale pour la science des États-Unis. Elle est affiliée à l’ONG Vae Vae.
– ref. Adaptation au changement climatique en Afrique pendant 10 000 ans : une étude offre des enseignements pour notre époque – https://theconversation.com/adaptation-au-changement-climatique-en-afrique-pendant-10-000-ans-une-etude-offre-des-enseignements-pour-notre-epoque-261282
