Source: The Conversation – in French – By Jonathan Durand Folco, Associate professor, Université Saint-Paul / Saint Paul University
Début juillet, la mise à jour de Grok dérape gravement : l’IA d’Elon Musk génère des propos antisémites et se présente comme « Mecha-Hitler ». Moins de deux semaines plus tard, la compagnie qui a développé Grok, xAI, décroche un contrat de 200 millions de dollars avec Le Pentagone.
Faut-il craindre qu’une intelligence artificielle sans garde-fous alimente l’appareil militaire américain ?
Parmi les nombreux robots conversationnels existant sur le marché, un sort du lot par sa prétention à sortir des balises du « politiquement correct » : Grok. Cette intelligence artificielle générative, filiale d’Elon Musk, a pour ambition de dépasser les capacités de ses concurrents (comme ChatGPT, Claude, Gemini, Copilot), tout en s’inscrivant dans une perspective « anti-woke », c’est-à-dire exempte de « censure » ou de règles morales trop rigides.
Dès avril 2023, l’entrepreneur milliardaire lançait le projet « TruthGPT » visant à créer « une IA en quête de vérité maximale qui tente de comprendre la nature de l’univers », tout en offrant une alternative aux « biais libéraux » de ChatGPT.
Notons que Musk, qui avait cofondé l’entreprise OpenAI en 2015 avant de la quitter en 2018 après avoir échoué à en devenir le patron, cherche depuis à prendre sa revanche sur son rival Sam Altman, devenu une superstar de l’industrie numérique depuis le succès mondial de ChatGPT.
Professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul, à Ottawa, mes travaux de recherche portent sur les mutations du capitalisme, les impacts sociaux de l’intelligence artificielle et l’autoritarisme contemporain. J’ai récemment publié Le capital algorithmique avec mon collègue Jonathan Martineau.
Grok, un miroir déformant de son créateur
À l’image de son créateur, Grok est conçu pour répondre avec humour noir et un côté rebelle, affichant ouvertement son mépris des normes sociales et des tabous. Un premier problème survient avec sa propension à répandre de fausses nouvelles, surtout via son intégration au média social X également possédé par Musk. Comme d’autres IA génératives, Grok souffre de biais, d’hallucinations et d’imprécisions.
Mais l’absence de balises éthiques et factuelles afin d’offrir un robot conversationnel « sans censure » peut mener à des résultats aberrants, comme la production d’images réalistes de Musk et Mickey Mouse tuant des enfants, ou la promotion du récit du « génocide blanc » en Afrique du Sud. L’idée d’une IA « anti-woke » aboutit ici à une amplification spectaculaire de la désinformation, au nom d’une liberté d’expression sans responsabilité.
Quand l’extrême droite flirte avec la haute technologie
Un deuxième problème survient dans un contexte politique où l’homme le plus riche du monde, ainsi que l’ensemble des élites de la Silicon Valley, se rallient à la nouvelle administration de Donald Trump.
L’engagement remarqué de Musk dans la campagne présidentielle de Trump, son adhésion à l’idéologie réactionnaire du Dark MAGA, son salut nazi du 20 janvier 2025, ou encore son soutien au parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), témoignent de son virage vers l’extrême droite de l’échiquier politique.
Non satisfait que son IA soit encore trop « woke » ou qu’il reprenne trop les idées des médias traditionnels, Musk a annoncé la mise à jour de Grok 4 début juillet. Mais le robot a rapidement généré des discours antisémites, néonazis et conspirationnistes, se qualifiant lui-même de « Mecha-Hitler » (la start-up xAI s’est depuis excusée). Cela est inquiétant mais guère surprenant : la créature étant souvent à l’image de son créateur.
Quand le pouvoir technologique infiltre l’État
Un troisième problème survient lorsque les intérêts du secteur privé et du secteur public convergent à un point tel qu’on peut parler de collusion, voire de corruption. Cela est un secret de polichinelle, mais Elon Musk a été embauché comme employé spécial du Departement of Governement Efficiency (DOGE) pour opérer des coupures massives dans l’administration fédérale, alors que ses propres compagnies privées (Tesla, SpaceX, Neuralink) cumulent plus de 2,37 milliards de dollars en contrats fédéraux.
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L’usage de l’IA et la logique « move fast and break things » dans la mise en œuvre de compressions budgétaires automatisées par le DOGE ont été décrites par certains auteurs comme un « coup d’État assisté par l’IA ».
Ironiquement, Musk avait signé la lettre ouverte Pause Giant AI Experiments en mars 2023, appuyée par des centaines de personnalités publiques à travers le monde. À cette époque, la majorité des milieux de la recherche, de l’industrie, du secteur public et de la société civile appelait à un moratoire sur le développement de l’IA générative face aux nombreux risques qu’elle posait : désinformation, surveillance, pertes d’emploi, impacts environnementaux ou encore menaces pour la démocratie.
Devons-nous laisser les machines inonder nos canaux d’information de propagande et de mensonges ? […] Ces décisions ne doivent pas être déléguées à des leaders technologiques non élus. Les systèmes d’IA puissants ne doivent être développés que lorsque nous sommes certains que leurs effets seront positifs et que leurs risques seront gérables », alertaient alors les signataires.
En 2025, le scénario inverse s’impose : les IA diffusent massivement des contenus mensongers, des décisions majeures sont confiées à des acteurs privés non élus, et l’intelligence artificielle devient un levier de domination économique, politique et militaire.
Cette grande convergence entre l’oligarchie de la Silicon Valley et le mouvement populiste Make America Great Again est d’ailleurs parfois qualifiée de « techno-fascisme ». Il ne s’agit pas ici de la simple complicité entre Musk et Trump, qui a rapidement pris fin de façon spectaculaire en juin 2025 avec un échange d’insultes. Il s’agit d’une intégration structurelle des technologies algorithmiques dans un projet autoritaire.
Ce projet vise le démantèlement de l’État de droit et la mise en place d’un État policier, inspiré du président hongrois Viktor Orban et de sa « démocratie illibérale ».
De Mecha-Hitler à assistant des forces armées
Un dernier exemple de l’intégration de l’IA au service du techno-fascisme est le contrat signé à la mi-juillet entre xAI et le département américain de la Défense.
L’armée souhaite utiliser Grok pour fournir « ses capacités de soutien aux combattants » et aider à « préserver un avantage stratégique sur leurs adversaires ». Même si Musk a officiellement quitté le DOGE et rompu avec Trump, son IA se qualifiant de « Mecha-Hitler » sera directement branchée sur les forces armées.
Ajoutons à cela la déréglementation totale du secteur numérique par Trump, l’adoption du projet de loi Big Beautiful Bill qui fait exploser le budget de la police de l’immigration ICE, ou encore le projet Stargate de 500 milliards de dollars, et nous voilà au seuil d’une nouvelle ère techno-fasciste.
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Jonathan Durand Folco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Grok, l’IA de Musk, est-elle au service du techno-fascisme ? – https://theconversation.com/grok-lia-de-musk-est-elle-au-service-du-techno-fascisme-261215
