Source: The Conversation – in French – By Philipp Kastner, Senior Lecturer in International Law, The University of Western Australia
Les gouvernements de la République démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda ont conclu un accord de paix en juin 2025, visant à mettre fin à une guerre qui dure depuis des décennies dans l’est de la RDC. Les Nations unies ont salué cet accord comme « une étape importante vers l’apaisement, la paix et la stabilité » dans la région.
J’ai analysé plusieurs négociations et accords de paix différents. Il est important de distinguer ce qui est nécessaire pour amener les parties belligérantes à la table des négociations et ce qui est convenu à la fin des négociations. Dans cet article, j’explique dans quelle mesure l’accord entre la RDC et le Rwanda réunit les quatre éléments essentiels à sa durabilité.
Avant tout, deux observations d’ordre général sur les accords de paix et un point plus spécifique relatif à une complication particulière dans le cas de l’accord RDC-Rwanda.
Premièrement, un seul accord suffit rarement à résoudre un conflit complexe. La plupart des accords font partie d’une série d’accords, parfois entre différents acteurs. Ils font souvent référence à des accords conclus précédemment et seront cités dans les accords ultérieurs.
Deuxièmement, la paix est un processus qui nécessite un engagement large et soutenu. Il est essentiel que d’autres acteurs, tels que les groupes armés, soient impliqués dans le processus. Les acteurs de la société civile doivent également être impliqués. Plus les points de vue sont représentés dans les négociations, plus l’accord sera légitime et efficace.
Mais dans le cas de l’accord RDC–Rwanda, un élément complique la situation : le rôle des États-Unis. Washington ne semble pas avoir agi comme un médiateur neutre. Au contraire, les États-Unis semblent poursuivre leurs propres intérêts économiques. Cela n’est pas bon signe pour la suite.
Il n’existe pas de recette miracle pour un accord de paix efficace, mais les recherches montrent que quatre éléments sont importants : un engagement sérieux des parties, une langage clair et précis, un calendrier clair et des dispositions de mise en œuvre solides.
Les fondements d’un accord efficace
Tout d’abord, les parties doivent prendre l’accord au sérieux et être en mesure de s’engager à en respecter les termes. Il ne doit pas servir de prétexte pour gagner du temps, se réarmer ou poursuivre les combats. Une paix durable ne peut pas reposer uniquement sur des décisions prises au sommet de l’État. Les accords qui sont le fruit de processus plus inclusifs, avec la participation et le soutien des communautés concernées, réussissent mieux en général.
Deuxièmement, l’accord doit traiter les questions qu’il vise à résoudre, et ses dispositions doivent être rédigées avec soin et sans ambiguïté. Lorsque les accords sont vagues ou passent sous silence des aspects essentiels, ils sont souvent de courte durée. Les expériences passées peuvent guider les négociateurs et les médiateurs de paix dans le processus de rédaction. Les bases de données sur les accords de paix établies par les Nations unies et les institutions universitaires constituent un outil utile à cet égard.
Troisièmement, il est essentiel de fixer des délais clairs et réalistes. Ceux-ci peuvent concerner le retrait des forces armées de territoires spécifiques, le retour des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, et la mise en place de mécanismes prévoyant des réparations ou d’autres formes de justice transitionnelle.
Quatrièmement, un accord doit inclure des dispositions relatives à sa mise en œuvre. Un soutien extérieur est généralement utile à cet égard. Des États tiers ou des organisations internationales, telles que les Nations unies et l’Union africaine, peuvent être chargés de superviser cette phase. Ils peuvent également fournir des garanties de sécurité, voire déployer une opération de maintien de la paix. Il est essentiel que ces acteurs s’engagent dans le processus et ne poursuivent pas leurs propres intérêts.
Pour bien évaluer ce qu’on peut attendre d’un accord de paix en particulier, il faut aussi garder à l’esprit qu’il existe plusieurs types d’accords. Certains sont des arrangements préparatoires ou des cessez-le-feu. D’autres sont plus complets et visent à régler le conflit dans sa globalité ou à organiser la mise en oeuvre. Un simple cessez-le-feu entre quelques acteurs ne suffit généralement pas à résoudre un conflit en profondeur.
Pour savoir ce que l’on peut attendre de manière réaliste d’un accord de paix spécifique, il est important de comprendre que ces accords peuvent prendre des formes très différentes. Celles-ci vont des accords préliminaires et des cessez-le-feu aux accords de paix globaux et aux accords de mise en œuvre.
Un simple cessez-le-feu, signé par quelques parties seulement, ne permet généralement pas de régler un conflit durablement.
L’accord entre la RDC et le Rwanda présente de nombreuses lacunes
Il est difficile de dire à ce stade si la RDC et le Rwanda sont vraiment déterminés à instaurer la paix et si leur engagement sera suffisant.
Leur volonté affichée de respecter mutuellement leurs territoires et de renoncer à toute agression est un point important.
Mais le Rwanda a déjà mené des opérations militaires directes en RDC depuis les années 1990. L’accord évoque vaguement un « désengagement des forces » ou la levée de « mesures défensives » par le Rwanda, sans toutefois mentionner clairement le retrait des milliers de soldats rwandais présents dans l’est de la RDC.
Le gouvernement rwandais dirigé par Paul Kagame soutient également les groupes armés dominés par les Tutsis en RDC depuis le génocide rwandais de 1994. Le Mouvement du 23 mars (M23) est l’acteur militaire principal actuellement dans l’est de la RDC. Mais l’accord entre les gouvernements de la RDC et du Rwanda n’inclut pas le M23 ni d’autres groupes. Les deux gouvernements s’engagent uniquement à soutenir les négociations en cours entre la RDC et le M23 facilitées par le Qatar.
L’accord prévoit également la « neutralisation » d’un autre groupe armé, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), dominées par les Hutus. Ce groupe prétend protéger les réfugiés hutus rwandais en RDC, mais est considéré comme « génocidaire » par le gouvernement rwandais. Le groupe a réagi à ce plan en appelant à une solution politique et à un processus de paix plus inclusif.
Ce qui manque à l’accord
L’accord entre la RDC et le Rwanda comprend des dispositions essentielles pour les personnes les plus touchées par le conflit, telles que le retour des millions de personnes déplacées en raison des combats dans l’est de la RDC. Mais d’autres questions essentielles ne sont pas abordées.
Par exemple, hormis un engagement général à promouvoir les droits humains et le droit international humanitaire, il n’est fait aucune mention des violations massives des droits humains et des crimes de guerre qui auraient été commis par toutes les parties. Il s’agit notamment d’exécutions sommaires et de violences sexuelles et sexistes, y compris à l’encontre d’enfants.
Un mécanisme de justice et de réconciliation pour traiter ces violences à grande échelle aurait dû être envisagé. Cela a été le cas dans l’accord signé en 2016 entre le gouvernement colombien et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), qui a connu un certain succès. Ce type de dispositif peut aider à prévenir de nouvelles violences.
Il envoie un message clair : les crimes ne resteront pas impunis. Cela aiderait également la population à se reconstruire et donnerait une meilleure chance à la paix.
Il n’existe pas de modèle unique. La justice dite « transitionnelle » – définie comme « l’ensemble des processus et mécanismes mis en place par une société pour faire face à un passé marqué par des abus à grande échelle, afin d’assurer la responsabilité, rendre justice et favoriser la réconciliation » – demeure un sujet controversé.
Par exemple, le fait de réclamer des procès pour crimes de guerre peut être perçu comme une menace pour un processus de paix encore fragile.
Mais depuis quelques décennies, les accords signés dans le monde, en Libye, en Centrafrique, et ailleurs, s’éloignent des amnisties générales. Ils comprennent de plus en plus de dispositions visant à garantir la responsabilité, en particulier pour les crimes graves. L’accord entre la RDC et le Rwanda reste muet sur ces questions.
Une autre lecture de l’accord
L’accord entre la RDC et le Rwanda est compliqué par le rôle de Washington et la poursuite de ses intérêts économiques.
Les deux États ont convenu de créer un comité de suivi conjoint, composé de membres de l’Union africaine, du Qatar et des États-Unis. L’accord prévoit aussi un cadre d’« intégration économique régionale ». Mais cette initiative est critiquée. Elle pourrait ouvrir la porte à une nouvelle forme d’ingérence étrangère dans les ressources minières du Congo.
Le pays est le plus grand producteur mondial de cobalt, par exemple, un métal essentiel pour le secteur des énergies renouvelables.
Certains y voient un « troc néocolonial » : la paix en échange de l’exploitation des ressources. Ce genre d’accord n’envoie pas un bon signal. Et il a peu de chances de régler un conflit largement alimenté, depuis des années, par l’exploitation de ces richesses.
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Philipp Kastner does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. Accord de paix RDC-Rwanda: les 4 éléments essentiels pour un processus de paix durable – https://theconversation.com/accord-de-paix-rdc-rwanda-les-4-elements-essentiels-pour-un-processus-de-paix-durable-261281
