Source: The Conversation – in French – By Semahat Ece Elbeyi, Postdoctoral fellow in the Department of Communication, University of Copenhagen
Il y a dix ans, le monde s’est engagé à maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C (et si possible à moins de 1,5 °C) par rapport à l’ère préindustrielle. Pour y parvenir, les pays devaient réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et mettre fin à toutes les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine d’ici 2050. C’est à ce moment-là que 195 pays ont signé l’Accord de Paris, le traité mondial juridiquement contraignant sur le climat.
Dix ans plus tard, cependant, la crise climatique est plus urgente que jamais. Selon les Nations unies :
La première période de 12 mois a dépassé en moyenne 1,5 °C. Cette période s’étendait de février 2023 à janvier 2024, à cause du phénomène El Niño. Pendant cette période, la température moyenne mondiale était estimée à 1,52 °C au-dessus du niveau entre 1850 et 1900.
Il existe un décalage entre les politiques annoncées et les pratiques réelles, et nous avons voulu en comprendre les raisons.
Nous sommes des chercheurs en médias et communication spécialisés dans la communication environnementale. Récemment, nous avons rejoint une équipe de 14 chercheurs qui ont enquêté sur la désinformation relative au changement climatique pour le Panel international sur l’environnement informentionnel.
Notre équipe a réalisé l’étude la plus complète à ce jour sur la recherche scientifique relative à la mésinformation et la désinformation en matière de climat. La mésinformation climatique consiste à faire des déclarations erronées sur le changement climatique et à diffuser des informations incorrectes. La désinformation climatique consiste à diffuser délibérément de fausses informations. Par exemple certaines entreprises font du “greenwashing” (écoblanchiment, verdissage): elles prétendent à tort que leurs produits sont écologiques pour mieux les vendre.
Nous avons examiné 300 études publiées entre 2015 et 2025, toutes axées sur la désinformation climatique. Notre étude montre que la réponse humaine à la crise climatique est entravée et retardée par la production et la diffusion d’informations trompeuses.
Nous avons identifié les principaux responsables : des acteurs puissants, notamment les compagnies pétrolières, des partis populistes, ou même certains États.
Pourtant, les citoyens ont besoin d’informations fiables sur le climat.
C’est indispensable pour pouvoir agir et limiter le réchauffement.
Sans une information juste, nous ne pourrons pas faire les bons choix, ni pour notre avenir, ni pour la planète.
Comment nous avons identifié ceux qui manipulent l’opinion
Depuis des décennies, la science du climat documente l’aggravation de la crise climatique et les solutions pour y remédier. Les Nations unies affirment que l’accès à l’information sur le changement climatique est un droit humain. Elle a même défini un ensemble de principes mondiaux visant à garantir l’intégrité des informations accessibles au public sur le changement climatique.
Pourtant, notre étude montre que des informations trompeuses aggravent la crise climatique.
Notre étude s’est penchée sur cinq questions simples : qui dit quoi, sur quel canal, à qui et avec quels effets ?
Voici ce que nous avons découvert :
-
Qui ? : Les principaux responsables de la désinformation sur le climat sont de puissants acteurs économiques et politiques. Il s’agit des entreprises du secteur des énergies fossiles, des partis politiques, des gouvernements et certains États. Ils forment des alliances opaques, sans contrôle public, avec des think tanks bien financés, comme The Heartland Institute aux États-Unis, qui conteste activement la science du climat.
-
Quoi? : Le déni de la réalité du changement climatique est remplacé par un scepticisme stratégique. Celui-ci tente de minimiser la gravité du changement climatique en prétendant que ses conséquences pour l’humanité ne sont pas si graves. Il en résulte un retard dans la mise en œuvre des mesures d’atténuation du changement climatique visant à limiter les émissions de carbone des pays. Les efforts d’adaptation, en particulier la préparation aux phénomènes météorologiques extrêmes, sont insuffisants. Pire encore, les solutions scientifiques éprouvées depuis des décennies par la science du climat sont remises en question.
-
Par quel canal? : Les médias traditionnels (journaux, chaînes de télévision) et les réseaux sociaux diffusent des informations fausses et trompeuses sur le changement climatique. Les rapports sur la durabilité des entreprises constituent un autre vecteur de communication tout aussi important. En effet, ces documents sont souvent utilisés pour faire du greenwashing en présentant des entreprises sous un jour favorable, alors qu’elles sont conscientes de leur impact sur le climat mais choisissent de le cacher.
-
À qui? : Tout le monde est visé par la désinformation. Mais les élus, les fonctionnaires et les autres décideurs sont des cibles privilégiées, car ils sont des maillons essentiels de la chaîne de communication qui influencent les décisions et les actions.
Par exemple, des think tanks transmettent leurs notes à des cadres intermédiaires, qui relayent ensuite des conseils biaisés aux responsables politiques.
- Avec quels effets? : Cette désinformation fausse les perceptions du public et influence les politiques publiques. Les théories du complot, en particulier, sapent la confiance envers la science du climat et les institutions chargées de la traduire en décisions. Il en résulte une inaction et une aggravation de la crise climatique.
Ce qu’il faut faire maintenant
Pour être positive, notre étude a identifié plusieurs leviers d’action pour améliorer la compréhension du public et renforcer la réponse politique face au changement climatique.
1) Législation : des lois sont nécessaires pour garantir que des informations précises, cohérentes, fiables et transparentes sur le changement climatique soient mises à la disposition du public et des décideurs politiques. Par exemple, les entreprises privées et les institutions publiques devraient être tenues par la loi de rendre compte de leur empreinte carbone de manière standardisée. Les plateformes numériques et les médias devraient aussi être tenus de signaler clairement les contenus trompeurs sur le climat diffusés en ligne.
2) Poursuites judiciaires : celles-ci doivent être engagées contre les entreprises qui se livrent à du greenwashing et à d’autres pratiques trompeuses. Par exemple, des poursuites ont été engagées pour désinformation dans le cadre de fraudes à la consommation.
3) Coalitions de volontaires : des mouvements doivent être créés au-delà des frontières et entre les secteurs privé, public et civil. Celles-ci peuvent contrebalancer les alliances entre les puissants intérêts économiques et politiques. Le groupe mondial d’organisations militantes Climate Action Against Disinformation en est une illustration. Ces coalitions doivent s’appuyer sur les connaissances locales et encourager la participation des citoyens à la base
4) L’éducation doit élargir et approfondir les connaissances scientifiques et médiatiques des citoyens et des décideurs politiques. L’éducation est une source d’autonomisation et d’espoir pour l’avenir.
5) Notre étude n’a trouvé qu’une seule étude portant sur l’ensemble du continent africain. Il est urgent que des chercheurs africains mènent davantage de recherches sur la désinformation climatique en Afrique.
Le Brésil accueillera la conférence annuelle sur le changement climatique, la COP30, en novembre 2025. Le pays a lancé une Initiative mondiale pour l’intégrité de l’information sur les changement climatiques. Il s’agit d’une première étape pour combler les lacunes actuelles en matière de connaissances sur la crise mondiale de l’intégrité de l’information.
La réponse à la crise climatique et à la désinformation climatique doit venir des responsables politiques, des scientifiques et des citoyens.
Entre 2025 et 2050, nous disposons dune courte fenêtre de temps pour éviter une catastrophe mondiale pour l’humanité et la biodiversité.
Des informations climatiques précises et exploitables sont indispensables pour répondre à la crise climatique et la résoudre.
![]()
Semahat Ece Elbeyi bénéficie d’un financement du Conseil européen de la recherche et est consultante scientifique auprès du Panel international sur l’environnement informationnel.
Klaus Bruhn Jensen bénéficie d’un financement du Conseil européen de la recherche et est affilié au Panel international sur l’environnement informationnel.
– ref. Peut-on se fier aux informations sur le climat ? Comment et pourquoi les acteurs puissants induisent le public en erreur – https://theconversation.com/peut-on-se-fier-aux-informations-sur-le-climat-comment-et-pourquoi-les-acteurs-puissants-induisent-le-public-en-erreur-261014
