Source: The Conversation – in French – By Slimane Ed-Dafali, Maître de conférences habilité HDR en sciences de gestion, ENCG El Jadida, Maroc, Université Chouaib Doukkali
Face aux pressions réglementaires, aux attentes des investisseurs et à la montée des enjeux climatiques et sociaux, les entreprises marocaines prennent progressivement conscience de l’importance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Un tournant majeur a été initié en 2017 avec la publication, par l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC), d’un guide pratique sur le reporting ESG, visant à sensibiliser les sociétés cotées aux enjeux ESG.
En 2023, cette mesure concernait 94 émetteurs, dont seulement trois n’avaient pas encore publié de rapport ESG, soit un taux de conformité de 97 %__.
Mais comment ce mouvement s’ancre-t-il dans le contexte local, encore en pleine structuration ? Et quels défis spécifiques rencontrent les entreprises marocaines, notamment les PME, dans cette transition vers une économie plus responsable ? Slimane Ed-Dafali, enseignant-chercheur en finance et expert en ESG, et Zahra Adardour, doctorante en divulgation ESG et formatrice en finance, auteurs d’une récente étude consacrée à l’évolution des pratiques ESG dans les économies émergentes, notamment au Maroc, donnent des élémments de réponse à The Conversation Africa.
Comment les entreprises marocaines intègrent-elles la durabilité dans leur stratégie ?
Dans les économies émergentes comme le Maroc, les entreprises prennent progressivement conscience que l’ESG dépasse les simples obligations réglementaires. Il devient un levier de résilience et de croissance.
Nos résultats mettent en lumière trois facteurs essentiels qui motivent les entreprises à publier les informations en matière d’ESG : préserver la réputation de l’entreprise, satisfaire les attentes croissantes des investisseurs et respecter les exigences réglementaires.
Au-delà de la conformité, de nombreuses entreprises marocaines, en particulier celles opérant à l’international, perçoivent dans l’ESG un avantage stratégique. Le Groupe OCP (Office chérifien des phospahtes), exportateur de phosphates, en est une illustration. Il couvre déjà 86 % de ses besoins énergétiques grâce aux énergies vertes et ambitionne d’atteindre 100 % d’ici 2028.
Par ailleurs, il investit dans la désalinisation, le recyclage de l’eau, et publie des rapports de durabilité conformes aux standards internationaux.
Le respect de ces critères, qui implique des investissements, ne génère-t-il pas des surcoûts pour les entreprises, au risque de les pénaliser en terme de concurrence ?
À première vue, le respect des critères ESG peut engendrer des surcoûts initiaux, liés notamment aux investissements dans les technologies propres et les énergies renouvelables. Toutefois, cette vision est souvent limitée au court terme. À long terme, les investissements ESG permettent d’atténuer les risques climatiques, réglementaires, de réputation ou ceux liés à la biodiversité, ainsi que de réduire le coût du capital.
Le principe de la double matérialité (dimension financière et impact), désormais central dans les réglementations européennes telles que la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD).
Cette double approche fait de l’ESG un outil stratégique puissant. Sur le plan des risques, elle permet d’anticiper les effets du changement climatique et les atteintes à la réputation d’entreprises. L’ESG encourage également l’innovation à travers le développement de nouveaux modèles d’affaires.
Ainsi, bien que des surcoûts puissent apparaître au départ, les études empiriques récentes montrent que les investissements ESG favorisent généralement une meilleure résilience financière, une réduction des risques réputationnels et financiers, ainsi qu’un avantage compétitif durable.
En quoi le contexte local change-t-il la façon dont les entreprises abordent cette question ?
Le contexte local joue un rôle déterminant dans la manière dont les entreprises marocaines, et plus largement celles des marchés émergents, abordent l’ESG. Des cadres internationaux comme la CSRD, le Global Reporting Initiative (GRI) ou le Sustainability Accounting Standards Board (SASB) offrent une base solide. Mais leur adaptation au contexte économique, réglementaire et institutionnel local les rend plus pertinents.
Le Maroc développe une approche ESG adaptée à son contexte, portée par un cadre réglementaire en évolution, avec l’impulsion des exigences des marchés internationaux, notamment pour les exportateurs.
Notons que le tissu entrepreneurial marocain, majoritairement constitué de PME, représente à la fois un défi et une opportunité. Bien que ces entreprises disposent de ressources limitées et d’une expertise technique souvent insuffisante, elles manifestent une volonté croissante d’apprendre, de s’adapter et de progresser.
En quoi consiste concrètement l’approche marocaine sur ce point ?
L’approche du Maroc en matière d’ESG s’inscrit dans une vision de long terme reposée sur une mobilisation des institutions publiques et privées, visant à structurer un écosystème favorable à la durabilité.
Elle s’est traduite par la ratification de l’Accord de Paris en 2016, l’organisation de la COP22 à Marrakech, et des stratégies structurantes, telles que la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), et la Stratégie bas carbone à l’horizon 2050.
Le Maroc adopte une approche coordonnée et progressive de l’ESG. Bank Al-Maghrib (BAM) joue un rôle central en intégrant les risques climatiques et environnementaux dans la supervision prudentielle des établissements bancaires. Membre actif du Network for Greening the Financial System (NGFS), la banque centrale promeut également la finance verte.
Parallèlement, l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) joue un rôle clé dans l’incitation et l’accompagnement des sociétés cotées en matière de reporting extra-financier. Depuis la publication de son guide ESG en 2017, l’AMMC incite les sociétés cotées à communiquer leurs pratiques ESG. Elle favorise également le développement des obligations vertes..
L’indice MASI ESG de la Bourse de Casablanca, lancé en 2018, est également une initiative majeure qui encourage les entreprises marocaines cotées à améliorer leur reporting ESG.
L’Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC) promeut activement l’intégration des pratiques ESG auprès des entreprises investies.
De son côté, depuis 2006, la CGEM promeut la résponsabilité sociétale d’entreprise (RSE) via une charte, un label et un accompagnement ciblé aux PME.
Sur le terrain, les multinationales implantées au Maroc adoptent généralement des standards ESG en conformité avec les exigences de leurs maisons mères.
Notons bien que l’efficacité des stratégies durables au Maroc est aussi une affaire de partenariats public-privé, en visant une industrie durable et une souveraineté “Made in Morocco”.
Quelles surprises ont révélé les méthodes combinées de recherche ?
L’approche mixte adoptée a fait émerger deux résultats inattendus. D’une part, certains obstacles perçus, tels que le manque d’expertise ou les coûts élevés de reporting, peuvent paradoxalement inciter à l’action plutôt qu’à l’inaction. Les entreprises, conscientes de leurs lacunes, ont davantage tendance à rechercher une assistance externe, à se former, ou à s’aligner sur des pratiques durables.
D’autre part, la diversité de genre est apparue comme un facteur déterminant. Les entretiens ont confirmé que le leadership participatif et la gouvernance inclusive, constituent deux composantes essentielles d’un bon pilotage ESG. À titre d’illustration, BMCE Bank of Africa a renforcé la diversité de genre au sein de ses équipes dirigeantes.
Comment améliorer la transparence des entreprises sur ces enjeux ?
Bien que le Maroc ait déjà accompli des progrès notables, des pistes d’améliorations restent envisageables :
● Introduire des mécanismes d’incitation efficaces pour encourager les entreprises démontrant des pratiques ESG performantes;
● Promouvoir une gouvernance partenariale inclusive, en offrant un accompagnement adapté sur les bonnes pratiques ESG, avec des exigences simplifiées pour les PME;
● Améliorer l’efficacité des processus de reporting ESG en utilisant l’innovation technologique avancée.
Concrètement, cela s’est-il traduit par une augmentation des volumes d’investissements au Maroc ? Est-ce mesurable ?
Concrètement, oui, cette dynamique s’est traduite par une augmentation mesurable des volumes d’investissements au Maroc, en particulier dans les secteurs liés à la durabilité. Un exemple concret est la signature, en 2024, d’une convention d’investissement de 1,3 milliard de dollars avec le groupe sino-européen Gotion High-Tech. Elle vise la construction d’une gigafactory pour produire des batteries destinées aux véhicules électriques.
Ainsi, comparé à d’autres pays africains, le Maroc bénéficie d’un alignement institutionnel relativement fort et d’une ambition stratégique claire. Ce qui en fait un modèle régional dans l’intégration progressive de l’ESG.
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– ref. Maroc : une étude montre comment la durabilité s’affirme comme choix stratégique pour les entreprises – https://theconversation.com/maroc-une-etude-montre-comment-la-durabilite-saffirme-comme-choix-strategique-pour-les-entreprises-260214
