Source: The Conversation – in French – By Melinda Jackson, Associate Professor at Turner Institute for Brain and Mental Health, School of Psychological Sciences, Monash University

Plutôt que de se focaliser sur leurs préoccupations, les personnes promptes à s’endormir ont tendance à laisser divaguer leurs pensées, ce qui mène leur cerveau vers un état propice au sommeil. Une méthode que l’on peut tenter de mimer en cas de difficultés d’endormissement, grâce à un exercice appelé « brassage cognitif ».
Si vous fréquentez un tant soit peu les réseaux sociaux – peut-être en plein milieu de la nuit, quand vous n’arrivez pas à dormir, tout en vous disant que ce n’est pas la solution pour trouver le sommeil… – vous avez probablement vu passer l’une des nombreuses vidéos qui vantent les mérites du « brassage cognitif » (« cognitive shuffling » en anglais), une méthode qui, selon ses partisans, favoriserait l’endormissement.
Le principe est de solliciter son cerveau en lui soumettant des images et des idées aléatoires, selon un protocole spécifique qui consiste à :
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choisir un mot au hasard (par exemple « cookie ») ;
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se concentrer sur la première lettre de ce mot (ici C) et énumérer une série de mots débutant par cette lettre : chat, carotte, calendrier, etc. ;
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visualiser chaque nouveau mot ;
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lorsque vous vous sentez prêt, passer à la lettre suivante (O) et renouveler le processus ;
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poursuivre avec chaque lettre du mot initial (donc, ici, O, K, I puis E) jusqu’à ce que vous soyez prêt à changer de mot ou que vous sombriez dans le sommeil.
Certes, cette méthode rencontre un certain succès sur Instagram et TikTok. Mais repose-t-elle sur des bases scientifiques ?
D’où vient cette idée ?
La technique du brassage cognitif a été popularisée voici plus d’une dizaine d’années par le chercheur canadien Luc P. Beaudoin, après la publication d’un article décrivant ce qu’il nommait « serial diverse imagining » (« visualisation diversifiée sérielle »), une méthode présentée comme facilitant l’endormissement.
L’un des exemples proposés par Luc Beaudoin mettait en scène une femme pensant au mot « blanket » (couverture en anglais). Elle imaginait ensuite un vélo (en pensant au mot « bicycle », équivalent anglais de bicyclette), puis se visualisait en train d’acheter des chaussures (« buying », « acheter » en anglais). Ensuite, elle faisait surgir dans son esprit un bananier, en pensant au mot « banana » (« banane »), etc.
En passant à la lettre L, elle évoquait son ami Larry, puis le mot « like » (« aimer »), en imaginant son fils qui serrait son chien dans ses bras, avant de basculer sur la lettre A, pensant au mot « Amsterdam », qui lui faisait évoquer mentalement un marin réclamant une autre portion de frites en levant sa large main, dans un bar proche des docks de la capitale batave, tandis qu’en fond sonore, un accordéoniste jouait de son instrument désaccordé… Peu après, elle sombrait dans le sommeil.

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Selon Luc Beaudoin, l’objectif de ces exercices mentaux est de penser brièvement à une « cible » neutre ou agréable, puis de passer à d’autres cibles, sans lien avec les précédentes, et ce, fréquemment, soit toutes les 5 à 15 secondes environ. Il ne s’agit ni de relier les mots évoqués entre eux, ni de satisfaire la tendance naturelle de notre esprit à donner du sens. Le brassage cognitif vise plutôt à imiter le fonctionnement cérébral des « bons dormeurs ».
Trier le bon grain pro-endormissement de l’ivraie insomniante
Des recherches ont démontré qu’avant de s’endormir, l’esprit des « bons dormeurs » est envahi de pensées « hallucinatoires », proches du rêve. Ces visions oniriques, désordonnées, sont radicalement différentes des préoccupations angoissées qu’expérimentent les personnes qui ont des tendances à l’insomnie. Ces dernières ont en effet plutôt tendance à se focaliser davantage sur leurs préoccupations, leurs problèmes ou les bruits environnants, tout en s’inquiétant sans cesse de ne pas trouver le sommeil.

fran_kie/Shutterstock
Le brassage cognitif a pour but de détourner l’attention des pensées qui empêchent la somnolence (inquiétudes, planifications, ruminations) pour privilégier celles qui la favorisent (images calmes et neutres propices au sommeil). Il procure un moyen de s’apaiser et de s’évader, ce qui permet de diminuer le stress lié aux difficultés d’endormissement, et envoie au cerveau le signal que l’on est prêt à sombrer dans le sommeil.
Le va-et-vient d’images aléatoires qu’il met en œuvre mime ce qui se passe naturellement lors de l’endormissement : l’activité cérébrale ralentit et produit sans effort conscient des séquences d’images déconnectées, appelées hallucinations hypnagogiques.
Les recherches préliminaires menées par Luc Beaudoin et son équipe suggèrent que cette méthode aide à réduire l’excitation mentale avant le sommeil, à améliorer sa qualité et à faciliter l’endormissement.
Néanmoins, le nombre d’études étayant ces premiers résultats demeure limité, et des travaux complémentaires sont encore nécessaires.
Et si cela ne fonctionne pas ?
« C’est en forgeant qu’on devient forgeron » : comme pour tout nouvel exercice, acquérir la maîtrise du brassage cognitif passe par une période d’entraînement. Ne soyez pas découragé si l’effet n’est pas immédiat. Persévérez, et faites preuve de bienveillance envers vous-même.
Gardez à l’esprit que chaque individu réagit différemment. Par ailleurs, selon votre relation au stress, d’autres stratégies vous conviendront peut-être davantage :
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instaurer une routine régulière avant le coucher pour inciter votre cerveau à se détendre ;
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observer vos pensées, sans aucun jugement, pendant que vous êtes allongé ;
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noter vos inquiétudes ou élaborer des listes de tâches plus tôt dans la journée, afin d’éviter de les ressasser au moment du coucher.
Et si, malgré tous vos efforts, vos pensées nocturnes continuent à nuire à votre sommeil ou à votre bien-être, n’hésitez pas à consulter votre médecin ou un spécialiste du sommeil.
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Melinda Jackson a reçu des financements du Medical Research Future Fund, du National Health and Medical Research Council (NHMRC), de l’Aged Care Research & Industry Innovation Australia (ARIIA) et de Dementia Australia. Elle est membre du conseil d’administration de l’Australasian Sleep Association.
Eleni Kavaliotis a déjà bénéficié d’une bourse du Programme de formation à la recherche (RTP) du gouvernement australien. Elle est membre du Conseil sur l’insomnie et la santé du sommeil de l’Association australasienne du sommeil (Australasian Sleep Association’s Insomnia and Sleep Health Council).
– ref. Est-ce que le « brassage cognitif » peut vraiment vous aider à vous endormir ? – https://theconversation.com/est-ce-que-le-brassage-cognitif-peut-vraiment-vous-aider-a-vous-endormir-260685
