Guinée-Bissau : une élection présidentielle sous le signe d’une instabilité chronique

Source: The Conversation – in French – By Vincent Foucher, Chargé de recherche CNRS au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences Po Bordeaux

Les tensions montent en Guinée-Bissau à l’approche de l’élection présidentielle prévue le 23 novembre 2025. L’Assemblée nationale, dominée par l’opposition, a été dissoute en 2023. Quant àu président Umaru Sissoco Embaló, son mandat a pris fin en septembre. La justice bissau-guinéenne menace le principal opposant, Domingos Simões Pereira, qui vient d’annoncer son retour d’exil. Dans ce contexte tendu, l’armée mais aussi le trafic de cocaïne, qui implique une partie des élites politiques et militaires, restent déterminants. Le politologue et spécialiste de la région, Vincent Foucher, analyse pour The Conversation Africa les causes de cette instabilité récurrente.


Pourquoi le pays replonge-t-il si souvent dans des crises institutionnelles ?

La crise actuelle s’inscrit dans l’histoire et les structures économiques du pays. D’abord, la Guinée-Bissau est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui ait pris son indépendance, en 1973, au terme d’une lutte de libération (contre les colonisateurs portugais en l’occurrence). Ceci a donné un poids numérique (et budgétaire) et une légitimité à une armée qui se croit autorisée à intervenir dans le champ politique.

Ensuite, il s’agit d’un petit pays enclavé, encore très rural, qui avait été peu « mis en valeur » par le pouvoir colonial portugais. Aujourd’hui encore, la base économique du pays reste très faible. C’est une noix apéritive, la noix de cajou, qui fait l’essentiel des exportations.

Le gros de la population se débrouille pour subsister dans les campagnes. Mais pour la petite élite urbaine, l’accès à l’État est absolument essentiel : être au pouvoir permet d’avoir les quelques contrats publics disponibles (beaucoup d’hommes politiques sont en même temps commerçants et entrepreneurs), mais aussi des avantages proprement vitaux, comme la possibilité de faire financer au compte de l’État des soins médicaux à l’étranger – le système de santé local est en très mauvais état.

Pour vivre, il faut donc être au pouvoir. Ceci détermine une sorte de cycle : une coalition de mécontents et d’opposants se forme ; elle parvient à prendre le pouvoir par des moyens légaux (élections ou formation d’une nouvelle coalition majoritaire à l’Assemblée) ou bien par des moyens illégaux ; la répartition des avantages suscite des mécontentements dans la coalition, qui se fissure progressivement ; une nouvelle coalition se forme qui va tenter de prendre le pouvoir…

Cette tendance à l’instabilité factionnelle est encore aggravée par des dimensions institutionnelles. En effet, la Constitution actuelle est une sorte de compromis, résultat de crises précédentes. Elle est de type mixte, bicéphale, semi-présidentielle, avec un président puissant et un Premier ministre autonome, normalement issu de la majorité parlementaire. La constitution bissau-guinéenne diffère ainsi des régimes présidentiels plus stables des pays voisins. Ses flous permettent des interprétations et des manœuvres, rendant rares les résolutions institutionnelles crédibles.

C’est cet ensemble de facteurs qui explique la récurrence des crises politiques, et l’on a bien du mal à voir le chemin de sortie.

Quels sont les facteurs qui vont influencer le résultat de la prochaine élection présidentielle ?

Assez bizarrement, depuis le passage du pays à des élections pluralistes en 1994, même si le jeu politique est très tendu, les scrutins se passent plutôt bien et ont été plutôt crédibles. Est-ce que, cette fois-ci, les choses seront différentes ? Le président sortant, Umaro Sissoco Embaló, semble plutôt nerveux et il défend assez « haut ».

Dès 2023, Embaló a paralysé l’Assemblée nationale – contrôlée par le principal parti d’opposition, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Récemment, il vient de placer des alliés à des postes clés, notamment à la cour suprême et à la commission électorale. Il utilise la justice pour neutraliser ses opposants, et beaucoup d’observateurs estiment qu’il est derrière une série d’agressions mystérieuses dont certains de ses critiques ont été victimes.

Par ailleurs, Embaló s’emploie à recréer une coalition. Après avoir rompu avec le parti sous le drapeau duquel il s’était fait élire, le Mouvement pour l’alternance démocratique (Madem), il s’est récemment réconcilié avec le chef de ce mouvement, l’homme d’affaires Braima Camará, qu’il a nommé Premier ministre.

Le principal adversaire d’Embaló, Domingos Simões Pereira, président du PAIGC, avait dû se résigner à l’exil pour échapper à des poursuites qui semblent, en partie au moins, politiques, mais il vient d’annoncer son retour. Prendra-t-il vraiment le risque d’une arrestation ? Et s’il n’est pas candidat, qui pourra faire campagne et avec quelles ressources ? Quel est l’état réel d’un électorat bissau-guinéen très composite et qui évolue sur le plan démographique ? Si Embaló suscite beaucoup de réserves parmi les élites urbaines, a-t-il su consolider son influence dans d’autres réserves de voix ? Ses alliés supposés, et notamment Braima Camará, vont-ils effectivement mobiliser pour lui ?




Read more:
Crise politique en Guinée-Bissau : la démocratie ou l’autoritarisme ?


Quel est le rôle de l’armée dans cette lutte pour le pouvoir ?

Comme je l’ai mentionné, l’armée joue un rôle historique lié à la lutte de libération du pays. Depuis la libéralisation politique des années 1990, elle surveille de près la vie politique, car elle craint d’être réformée, de voir son poids et ses budgets réduits. Or l’armée est un point d’accès essentiel à l’État pour un certain nombre de gens, notamment parmi la communauté balante.

Lors de la guerre civile de 1998-1999, l’armée s’était donc rangée massivement contre le président Nino Vieira, qui tentait de réduire son poids, son coût et son influence.

Depuis, beaucoup d’acteurs politiques cultivent leurs relations avec certains chefs militaires pour tenter de s’imposer. Cela a abouti parfois à des épisodes très violents, comme en 2009, quand le chef d’état-major d’alors a été tué dans un attentat et que des militaires sont allés ensuite assassiner le président Vieira.

En 2012, l’armée avait finalement pris le pouvoir directement, obtenant le départ d’une force angolaise que le Premier ministre PAIGC d’alors, Carlos Domingos Gomes Jr, avait amenée, sans doute dans l’espoir de réformer l’armée à sa façon. Mais ce coup d’État avait suscité une réprobation internationale et un isolement douloureux pour le pays, et l’armée avait rendu le pouvoir aux civils en 2014, tout en prenant soin de maintenir le PAIGC à distance du pouvoir.

Embaló a remporté son premier mandat grâce au soutien de l’armée, qui a consolidé son élection en 2020 en prenant le contrôle du Parlement. Depuis, il entretient de bonnes relations avec l’armée tout en restant méfiant, n’étant pas issu de la communauté balante dominante dans les hauts rangs militaires, à commencer par le chef d’état-major général, Biague na Ntan.

De façon symptomatique, Embaló a fait revenir à Bissau la petite mission militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qu’il avait d’abord fait partir après sa prise de fonction et qui a pour mission de « protéger les institutions ». Surtout, il a formé une garde présidentielle importante et à sa main.

Quelques signes récents suscitent l’inquiétude. D’abord, Rui Duarte Barros, le Premier ministre qu’il a évincé pour renouer avec Braima Camará, est un proche parent du chef d’état-major général.

Ensuite, depuis que Embaló a rompu avec le chef de sa garde (pour des raisons jamais éclaircies mais qui suscitent beaucoup de rumeurs), ce dernier est à l’état-major, dans une forme de détention qui pourrait aussi bien être une manière de le protéger contre le président.

L’armée bissau-guinéenne pourrait bien se sentir à nouveau légitime pour intervenir en cas de crise politique. L’exemple des juntes voisines pourrait bien renforcer cette tentation.

La Guinée-Bissau est souvent décrite comme un narco-État. Est-ce un facteur politique ?

La Guinée-Bissau s’est en effet fait remarquer comme hub lors d’une première poussée du trafic de cocaïne d’Amérique latine vers l’Europe par l’Afrique, à partir du milieu des années 2000. Les trafiquants internationaux ont cultivé des connexions au sein des élites politiques et sécuritaires à Bissau. Dans un épisode célèbre, la police sénégalaise avait trouvé en 2007 dans une ferme occupée par des trafiquants colombiens un tableau blanc avec un organigramme de l’État bissau-guinéen…

Les trafiquants en Afrique de l’Ouest ont collaboré avec des segments des élites locales. Mais le trafic est compétitif, chaotique et très visible, contrairement aux pays voisins où il est mieux tenu et plus discret. En Guinée-Bissau, les conflits internes ont même parfois permis à la police judiciaire d’agir, même si la justice a au final souvent laissé s’échapper les principaux responsables. Cette instabilité a même pu détourner les gros trafiquants latino-américains vers des pays plus stables.

L’argent de la drogue s’est donc ajouté aux autres ressources et enjeux qui alimentent les luttes politico-militaires, comme les contrats publics, le bois et les licences de pêche. Ainsi, selon un proche, le chef d’état-major Tagme na Wai, assassiné en 2009, lui aurait confié qu’il n’avait d’autre choix que de s’impliquer dans le trafic s’il voulait garder le contrôle de l’armée, car des chefs militaires concurrents utilisaient l’argent de la drogue pour renforcer leur influence sur la troupe.

Des soupçons pèsent en tout cas sur Embaló et sur sa volonté de lutter contre le trafic, en particulier avec le besoin d’argent que suscitent les élections à venir. Depuis qu’il est au pouvoir, des trafiquants notoires sont de retour à Bissau, et des affaires judiciaires ont tourné court – ainsi, en 2022, la justice bissau-guinéenne a acquitté deux trafiquants connus, poursuivis après une saisie de 1,8 tonne de cocaïne.

The Conversation

Vincent Foucher does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Guinée-Bissau : une élection présidentielle sous le signe d’une instabilité chronique – https://theconversation.com/guinee-bissau-une-election-presidentielle-sous-le-signe-dune-instabilite-chronique-265112

Pendant des siècles, les plantes n’ont cessé de changer de nom, voici pourquoi cela est en train de s’arrêter

Source: The Conversation – France (in French) – By Yohan Pillon, Chercheur en botanique, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Page consacrée aux palmiers du _Meyers Konversations-Lexikon_, datant de la fin du XIX<sup>e</sup>&nbsp;siècle, l’ouvrage encyclopédique de référence, en langue allemande. Bibliographisches Institut

Selon les époques et les naturalistes, de nombreuses plantes ont pu changer de nom et de famille. La collaboration internationale des scientifiques et les progrès réalisés par le séquençage de l’ADN permettent aujourd’hui de s’accorder sur la classification.


Un botaniste entend souvent dire qu’il est une personne qui passe son temps à changer le nom des plantes. C’est de moins en moins vrai. Car l’utilisation du séquençage ADN permet de reconstruire les liens de parenté entre les espèces, et car les chercheurs de différents pays coopèrent bien plus qu’avant.

Retour sur un travail collectif qui dure depuis des siècles : celui de la classification des plantes.

La classification botanique, une quête individuelle

Portrait de Carl von Linné.
National museum, CC BY

Le naturaliste suédois Carl von Linné est généralement considéré comme le père de la taxonomie moderne, c’est-à-dire la branche de la biologie qui tâche de nommer et de classifier les espèces animales et végétales. Au XVIIIe siècle, ce naturaliste va populariser ce que l’on appelle la nomenclature binomale qu’on utilise encore aujourd’hui. Il s’agit du nom scientifique ou « latin » que porte chaque espèce identifiée.

Il est composé de deux mots, pour la pomme de terre, par exemple, ce sera Solanum tuberosum. Le premier mot représente le nom de genre auquel appartient l’espèce que l’on décrit, le deuxième est l’épithète spécifique. Il donne souvent une caractéristique supplémentaire. Ici il est indiqué que cette plante du genre Solanum forme des tubercules.

La classification des organismes est depuis en constante évolution au fur et à mesure de l’avancée des connaissances. Ainsi Linné avait d’abord classé les baleines parmi les poissons avant de les ranger dans les mammifères dans la dixième édition de son ouvrage Systemae Naturae (1758), où elles sont restées depuis.

La classification des organismes s’organise selon plusieurs niveaux hiérarchiques : espèces, genre, famille, ordre, etc. avec des niveaux intermédiaires.

Le rang de familles occupe un rôle important car pour le botaniste amateur ou professionnel c’est généralement la première étape à franchir, reconnaître à quelle famille appartient une plante pour savoir à quelle page ouvrir sa flore ou ouvrage d’identification. La notion de famille est ancienne, puisqu’introduite en 1689 par le directeur du jardin botanique de Montpellier, Pierre Magnol.

Aujourd’hui, les quelques 300 000 espèces de plantes à fleurs sont rangées dans 416 familles comme les Graminées (ou Poacées), les Orchidées, les Cucurbitacées ou les Rosacées. Ces familles sont des ensembles plus ou moins naturels qui peuvent souvent être définis par plusieurs traits morphologiques. Les plantes de la famille des Orchidées sont par exemple généralement des plantes herbacées avec un pétale très différent des autres (le labelle) conférant à la fleur une symétrie bilatérale, des organes mâles et femelles soudés (la colonne) et de très petites graines.

La classification des plantes a longtemps été une affaire d’experts, solitaires, qui regroupaient entre elles les plantes qui se ressemblaient. On comptait ainsi autant de classifications que d’éminents botanistes : Engler, Cronquist, Dahlgren, Thorne, Takhtajan, etc. Certaines plantes pourtant communes comme le muguet, la jacinthe ou le micocoulier, ont ainsi été placées dans différentes familles selon les auteurs.

Le séquençage ADN au service d’une nouvelle classification collégiale

Mais à la mi-temps du XXe siècle, une découverte va tout changer : celle de la double hélice ADN en 1953, puis du séquençage de cet ADN. En déterminant la succession des lettres A, T, G et C dans des gènes communs à toutes les plantes, il a été possible d’accumuler un grand nombre de caractères pour comparer de façon objective les espèces. Des analyses dites cladistiques permettent ainsi de transformer les alignements de séquences ADN d’espèces différentes en arbres généalogiques représentant les liens de parentés entre ces espèces. Ce sont sur ces arbres que s’appuient les nouvelles classifications. Cette méthode nouvelle permet désormais de déterminer plus précisément les liens de parentés entre les espèces, c’est-à-dire la phylogénie et ainsi de mieux comprendre leur évolution.

En 1993, un collectif international de chercheurs met en commun leurs données de séquences d’ADN d’un gène clé de la photosynthèse (le gène rbcL) et reconstruisent la première phylogénie moléculaire à large échelle des plantes à fleurs.

D’autres études succédèrent et en 1998, un collectif, l’Angiosperm Phylogeny Group, décida d’utiliser ces arbres phylogénétiques pour établir une nouvelle classification des plantes à fleurs. Dans un article publié dans le quotidien britannique The Independent, il sera même écrit « Une rose est toujours une rose, mais tout le reste de la botanique est chamboulé ».

Plusieurs mises à jour de cette classification APG ont été publiées depuis, avec APG II (2003), APG III (2009), et APG IV (2016). Une cinquième version en cours de rédaction a été annoncée au dernier congrès international de botanique qui s’est tenu en juillet 2024 à Madrid.

Une classification partiellement chamboulée

Mais alors, la phylogénie moléculaire a-t-elle vraiment bouleversé la classification des plantes ? Pour mesurer cette disruption plus objectivement, nous avons utilisé la Nouvelle-Calédonie comme modèle. Ce territoire est particulièrement bien adapté pour les études de botanique historique car il est connu pour sa flore extrêmement riche et originale : 75 % des espèces de plantes vasculaires ne poussent nulle part ailleurs dans le monde, on dit ainsi qu’elles sont endémiques.

De plus, bien que l’archipel ne représente qu’un pourcent des espèces de plantes à fleurs du globe, on y retrouve malgré tout 42 % des familles de plantes à fleurs actuellement reconnues. Des listes complètes des espèces de plantes natives de Nouvelle-Calédonie ont ainsi été publiées en 1911, 1948, 2001, 2012, puis suivies de mises à jour plus régulières. Nous avons donc utilisé ces listes couvrant plus d’un siècle pour retracer la classification de chaque espèce à travers le temps.

Notre étude montre que les transferts d’espèce d’une famille vers une autre ont toujours été communs avant la découverte de l’ADN, y compris entre les deux listes publiées par le même auteur, le botaniste André Guillaumin, en 1911 et 1948 (10 % des espèces). On compte le plus grand nombre de mouvement d’espèces entre famille (16 %) entre 2001 et 2012, au moment où la classification APG a été appliquée pour la première fois à la flore de la Nouvelle-Calédonie. Depuis, le rythme s’est largement ralenti avec seulement 15 espèces (0,5 %) qui ont changé de famille entre 2012 et 2024. Il ne reste presque plus aucun changement de famille à prévoir dans cette flore dont la classification familiale semble aujourd’hui stable.

Mouvement d’espèces de monocotylédones pétaloïdes natives de Nouvelle-Calédonie entre différentes familles à travers les classifications, de 1911 à 2024
Mouvement d’espèces de monocotylédones pétaloïdes natives de Nouvelle-Calédonie entre différentes familles à travers les classifications, de 1911 à 2024.
Fourni par l’auteur

Pour une classification moderne et consensuelle

Mais s’il est devenu relativement aisé de changer les noms d’espèces et de mettre à jour la classification des plantes dans les bases de données en ligne aux actualisations presque quotidienne, cela n’est pas vrai dans d’autres domaines. C’est un tout autre travail (et un autre budget) de réorganiser les herbiers, les jardins botaniques, mettre à jour les étiquettes dans les jardineries, etc. Si les changements constants avaient pu décourager certains de mettre à jour leur collection, cette nouvelle stabilité pourrait motiver certains à franchir le pas et embrasser cette classification moderne.

Une classification qui reflète les relations de parenté des espèces a de nombreux avantages. Elle est plus stable car lorsque la phylogénie est établie avec un degré de certitude, la classification ne changera plus. De plus, des espèces proches ont plus de chance de partager des caractères communs et donc ce genre de classification est plus précis pour prévoir les propriétés des plantes : comestibles, médicinales, toxiques, allergènes. Une telle classification est donc plus désirable pour valoriser, et préserver, la biodiversité en péril.

The Conversation

Yohan Pillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pendant des siècles, les plantes n’ont cessé de changer de nom, voici pourquoi cela est en train de s’arrêter – https://theconversation.com/pendant-des-siecles-les-plantes-nont-cesse-de-changer-de-nom-voici-pourquoi-cela-est-en-train-de-sarreter-263558

Souffrez-vous de cécité botanique ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Bastien Castagneyrol, Chercheur en écologie, Inrae

_Biches et cerf au repos_ (1867), de Rosa Bonheur/_Le Déjeuner sur l’herbe_ (1863), d’Édouard&nbsp;Manet/_Un cerf_ (1893), de Rosa&nbsp;Bonheur/_Le Rêve_ (1910), d’Henri&nbsp;Rousseau. Detroit Institute of Arts, Musée d’Orsay, National Gallery of Ireland, MOMA, CC BY

Chaque été, les canicules nous rappellent l’importance des plantes pour rafraîchir l’air ambiant. Mais pourquoi faut-il en arriver à souffrir physiquement pour enfin s’intéresser à ces êtres vivants ?


Le Douanier Rousseau a peint Le Rêve en 1910. Que voyez-vous sur cette toile ?

Le Rêve. 1910. Huile sur toile, 204,5 x 298,5 cm
Le Rêve. 1910. Huile sur toile, 204,5 x 298,5 cm.
Museum of Modern Art, CC BY

La majorité des lecteurs auront certainement vu une femme nue allongée sur une banquette de velours, ainsi que deux félins aux grands yeux étonnés. Les plus attentifs auront noté la présence d’un singe jouant de la flûte, d’un éléphant, et de deux oiseaux. Mais combien ont prêté attention aux plantes ? Elles sont pourtant bien là, et il a fallu que l’œil soulève les feuilles et les pétales pour voir les animaux cachés.

Si vous n’avez pas pensé aux plantes, c’est peut-être que vous souffrez de cécité botanique. Ce concept a été forgé à la fin des années 1990 par James Wandersee et Elisabeth Schussler, deux botanistes américains inquiets de l’érosion de l’enseignement de leur discipline dans les écoles américaines.

Ils définissent la cécité botanique comme « l’incapacité à voir ou à remarquer les plantes dans son propre environnement ». Parler de cécité est peut-être trop radical. L’œil voit la plante. C’est le cerveau qui filtre et classe cette information comme étant moins pertinente a priori que les autres. Certains auteurs préfèrent d’ailleurs évoquer une disparité dans la connaissance des plantes (plant awareness disparity), ou un « zoochauvinisme » qui nous ferait porter un intérêt bien plus grand aux animaux dont on peut se sentir plus proches. Quel que soit le terme choisi, le problème reste entier : on fait peu de cas des plantes.

Comment savoir si je suis atteint de cécité botanique ?

Les symptômes de la cécité botanique sont les suivants : une incapacité à nommer les plantes les plus communes autour de soi, un manque d’intérêt pour elles, une incapacité à reconnaître les fonctions qu’elles remplissent dans les écosystèmes (autres que celle de remplir notre assiette), et une attraction plus spontanée envers les animaux.

Peut-être doutez-vous que cela vous concerne. Pourtant, combien d’espèces d’arbres pouvez nommer spontanément, et combien savez-vous en reconnaître parmi celles qui poussent autour de chez vous ? Ce simple test proposé par l’INRAE vous en donnera un aperçu.

Bien sûr, une expérience personnelle ne vaut pas une démonstration. Des chercheurs suédois ont ainsi voulu apporter des éléments de preuve plus convaincants. Ils se sont interrogés sur ce que « voyaient » des élèves et leurs enseignants lorsqu’ils visitaient une serre tropicale où coexistent des plantes et des animaux (oiseaux, amphibiens, primates), mais également lorsqu’ils visitaient la serre d’un jardin botanique, où les seuls animaux étaient des poissons dans un bassin à l’entrée, mais où les plantes étaient nommées.

Les résultats étaient sans appel : une large majorité des enfants et enseignants (89 %) ont rapporté avoir vu des animaux lorsqu’ils ont visité la serre tropicale. Ils n’étaient que 30 % à avoir dit avoir vu des plantes. Au contraire, 70 % des visiteurs ont rapporté avoir vu des plantes en visitant le jardin botanique. Dans ce cas, les plantes étaient « vues », parce qu’elles étaient clairement identifiées et que l’attention des visiteurs était dirigée dessus. Nous voyons les plantes, mais nous n’y prêtons pas spontanément attention.

Est-ce que c’est grave ?

Mais alors est-ce grave ? Oui et non. L’ours brun est certes plus dangereux que le lierre terrestre, de même que la morsure de la vipère est autrement plus dangereuse que la démangeaison de la grande ortie. Mais la datura, la digitale, le laurier rose, et l’if sont des plantes toxiques qu’il est bon de connaître pour préserver sa santé et celle de son entourage.

Les plantes sont également le support de nombreux services écosystémiques essentiels à notre bien-être. Il y a bien sûr celles qui nous nourrissent directement ou qui fournissent la nourriture aux animaux que l’on mange, celles qui nous habillent, celles avec lesquelles nous construisons nos bâtiments ou façonnons nos meubles ou nos ustensiles de cuisine. Au-delà de ces services d’approvisionnement, les plantes régulent la composition de l’atmosphère, elles contribuent à la filtration et à l’épuration de l’eau et protègent les sols de l’érosion. L’oyat, par exemple, n’est guère plus qu’une herbe qui passe inaperçue sur le chemin du parking à la plage. Pourtant, elle joue un rôle essentiel dans la stabilisation des dunes.

La cécité botanique va de pair avec ce que l’on appelle l’extinction de l’expérience de nature. Nos modes de vie de plus en plus urbains nous éloignent des plantes et du vivant non-humain en général. On voit de moins en moins les plantes, alors on ne s’y intéresse pas. On ne s’y intéresse pas, alors on ne se préoccupe pas de leur éviction de notre environnement. Elles sont de ce fait encore moins présentes, alors on les voit encore moins… C’est un cercle vicieux qui peut même aboutir à une érosion de l’expertise scientifique.

Inné ou à qui la faute ?

Le caractère universel de la cécité botanique fait cependant débat, de même que ses causes. On retiendra toutefois la possibilité d’une composante biologique et d’une composante culturelle, auxquelles on peut ajouter une cause structurelle

Les plantes sont vertes, et elles sont immobiles. Elles forment un fond vert homogène que l’œil balaie par des mouvements saccadés sans fixer son attention. La survie des humains a longtemps – et c’est parfois encore le cas – dépendu de leur capacité à échapper aux prédateurs d’une part et à chasser des proies mobiles d’autre part. Cela pourrait expliquer une plus grande capacité de notre cerveau à repérer les animaux dans notre environnement. Les plantes, fond homogène vert et immobile à la vie animale pourraient être perçues par notre cerveau comme une information non-pertinente. Cette hypothèse est séduisante, mais difficile à tester.

Comme pour les peurs que nous inspirent certains animaux, il est plus vraisemblable que la cécité botanique ait une composante largement culturelle. C’est ce que propose une étude récente dans laquelle les chercheurs ont réalisé une synthèse de 326 articles scientifiques issus de différentes disciplines. Il en ressort que la cécité botanique concerne majoritairement les populations urbaines et relève surtout d’un manque d’exposition indirecte aux plantes. Il n’y a qu’à piocher au hasard dans une bibliothèque d’enfant pour s’en convaincre : les livres mettant en scène des animaux dominent. On retrouve cette réalité dans les dessins animés et les films de Disney. Entre Blanche Neige (1937) et la Reine des Neiges (2013), le temps d’écran occupé par les plantes a très largement décru. Nous sommes ainsi de moins en moins exposés aux plantes, que cela soit dans les œuvres culturelles ou dans notre vie quotidienne.

Dans les livres jeunesse, les animaux sont largement mis en avant. Les plantes, beaucoup moins
Dans les livres jeunesse, les animaux sont largement mis en avant. Les plantes, beaucoup moins.
Fourni par l’auteur

À cette raréfaction de notre exposition aux plantes s’ajoute une raréfaction de notre exposition directe, largement due à nos modes de vie maintenant majoritairement urbains et à la difficulté pour certaines personnes d’accéder physiquement à des espaces de nature ou bien d’y laisser les enfants jouer. L’éloignement constitutif des personnes (notamment des enfants) aux espaces de nature peut renforcer le désintérêt pour les plantes, à plus forte raison dans un espace urbain ou la survie des individus impose de porter plus d’attention au trafic (automobiles, vélos, trottinettes) qu’aux plantes.

Est-ce que ça se soigne ?

Si l’on accepte l’idée que les causes sont essentiellement culturelles, alors l’éducation peut y remédier. Des anecdotes rapportées par des scientifiques sur Twitter montrent que l’expérience et l’éducation jouent un rôle clé pour contrevenir à la cécité botanique. Les scientifiques ont témoigné de l’importance de leurs enseignants mais aussi de diverses expériences quotidiennes avec les plantes dans leur connaissance actuelle du monde végétal.

L’école a de fait un rôle à jouer. Les enseignants – y compris à l’université – peuvent choisir d’illustrer des notions fondamentales en biologie à partir d’exemples végétaux ou bien installer tout simplement des plantes dans la classe, en donnant aux élèves la responsabilité d’en prendre soin. C’est ce que démontre le projet « plante de compagnie » (plant pet project). En semant des graines de basilic, coriandre, concombres ou autres courgettes et en réalisant, à la demande des enseignants, des mesures régulières sur les plants en pots jusqu’à la production de nouvelles graines, un groupe de 200 étudiants américains a significativement augmenté son attention aux plantes.

On peut aussi lutter contre la cécité botanique une fois passé l’âge de l’école. Le programme de science participative Sauvage de ma rue invite les personnes à noter la présence des plantes dans l’espace urbain. L’application Pl@ntnet facilite leur reconnaissance, et le Floriscope peut aider à choisir lesquelles installer dans son jardin.

Les pouvoirs publics ont aussi la capacité de changer nos rapports au plantes : en rapprochant les personnes des plantes, physiquement, en développant des espaces verts en ville accessibles partout et pour tous, en re-végétalisant les cours d’écoles, en promouvant les actions d’éducation formelle et informelle dehors et en facilitant l’accès aux programmes de sciences participatives.

Il ne s’agit pas simplement de rassurer quelques botanistes nostalgiques et à juste titre inquiets de voir s’étioler l’enseignement de leur discipline. Lutter contre la cécité botanique, à l’école autant que dans la rue permet de développer des capacités d’observation et d’attention. C’est un enjeu de santé physique et psychique, autant qu’un acte citoyen permettant un pas en avant vers la durabilité de nos modes d’existence. Qu’attendons-nous ?

The Conversation

Bastien Castagneyrol a reçu des financements de l’Agence Nationale pour la Recherche pour le projet OSCAR visant à développer un observatoire participatif de la santé des arbres en ville (https://anr.fr/Projet-ANR-23-SARP-0016 ) et de l’Université de Bordeaux pour le projet Passeurs d’arbres en partenariat avec Bordeaux Métropole (https://www.bordeaux-metropole.fr/actualites/si-vous-deveniez-passeur-darbre-territoire).

ref. Souffrez-vous de cécité botanique ? – https://theconversation.com/souffrez-vous-de-cecite-botanique-264806

Le bonheur des Français dépend-il de la situation politique ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Mickaël Mangot, Docteur en économie, enseignant, spécialiste d’économie comportementale et d’économie du bonheur, ESSEC

Avec déjà cinq gouvernements depuis le début du second mandat d’Emmanuel Macron, la France est rattrapée par l’instabilité politique. Est-ce de nature à rendre les Français malheureux ? ou le bonheur est-il seulement une affaire privée, imperméable aux évolutions du monde en général, et aux tribulations de la vie démocratique en particulier ?


Si les sciences du bonheur s’intéressent avant tout aux ressorts individuels du bonheur – comme la santé, les revenus, les relations sociales ou les croyances religieuses –, elles regardent également, et de plus en plus, si l’environnement commun joue un rôle significatif. La situation politique et les institutions sont particulièrement scrutées. Et les résultats très instructifs.

Sensibilité à la politique

Premier enseignement : les citoyens ne sont pas insensibles à l’actualité politique.

Son exposition par les médias est documentée comme ayant, en général, un effet négatif sur la balance émotionnelle, en augmentant la proportion d’émotions négatives ressenties durant une journée. Le « spectacle démocratique » n’est apparemment pas le meilleur des divertissements.

Le seul fait de penser à la vie politique dégrade l’évaluation que l’on fait de sa propre vie. L’institut de sondage Gallup a remarqué que lorsqu’il posait des questions sur la satisfaction de la vie politique, juste avant de poser la question sur la satisfaction de la vie (de l’individu), les sondés se disaient beaucoup moins satisfaits de leurs vies. L’effet est ressenti massivement : -0,67 sur une échelle de 0 à 10, soit l’équivalent de l’effet du chômage…

Au bruit de fond négatif s’ajoute l’effet des élections sur le moral des électeurs. Le verdict des urnes contribue positivement au bonheur des électeurs – précisément le bien-être émotionnel et la satisfaction de la vie – du camp vainqueur et inversement pour le camp défait. Cet effet est très similaire à ce qui est observé lors des compétitions sportives. Même les élections étrangères peuvent influencer le bonheur. L’élection de Donald Trump en novembre 2024 a entraîné une baisse significative du bonheur à travers l’Europe, selon une étude de la Stockholm School of Economics.

Implication politique

Deuxième enseignement : être impliqué politiquement n’est pas la voie royale vers le bonheur.

À la différence du bénévolat dans les associations (apolitiques), le militantisme politique n’augmente pas systématiquement le bonheur. Les études n’aboutissent pas à un effet consensuel : le militantisme peut aider au bonheur individuel, comme y nuire.

Les effets positifs apparaissent surtout quand l’action politique est porteuse de sens et permet d’affirmer l’identité de la personne. Les effets négatifs prédominent quand l’action est conflictuelle ou conduit à un isolement social.

Qualité des décisions publiques

Troisième enseignement : la qualité de la gouvernance politique est cruciale pour le bonheur individuel.

Les indices composites de qualité de la gouvernance qui agrègent les six dimensions répertoriées par la Banque mondiale – voix et responsabilité, stabilité politique et absence de violence/terrorisme, efficacité du gouvernement, qualité de la réglementation, État de droit et contrôle de la corruption – sont positivement corrélés aux niveaux de bonheur au plan national.

La qualité des décisions publiques semble l’emporter sur la qualité du processus démocratique. Précisément, c’est lorsque les décisions publiques ont atteint une qualité suffisante que le processus démocratique apporte un plus en permettant aux individus de s’exprimer et de ressentir une sensation de contrôle (collectif) sur les événements. Le bonus démocratique est plus significatif dans les pays riches que dans les pays en développement, en miroir d’aspirations à l’expression individuelle supérieures dans ces pays.

Bonus démocratique

Quatrième enseignement : les régimes autoritaires affichent en général un niveau de bonheur inférieur à celui des démocraties, mais l’effet dépend de la confiance dans le gouvernement. Quand la confiance – laquelle est liée, entre autres, à la qualité des politiques mises en place – est très élevée (ou très faible), on n’observe pas de différence notable entre les différents types de régimes. Le bonheur est alors élevé (ou faible), quel que soit le régime.

C’est seulement lorsque la confiance est intermédiaire que le bonus démocratique se fait sentir.

De même, le bonus démocratique disparaît lorsque les sentiments antidémocratiques ou illibéraux augmentent.

Ce qui est le cas actuellement en France. Le baromètre de la confiance politique du Cevipof a mis en évidence une montée de l’attrait pour un pouvoir plus autoritaire :

  • 48 % des Français estiment que « rien n’avance en démocratie, il faudrait moins de démocratie et plus d’efficacité » ;

  • 41 % approuvent l’idée d’un « homme fort qui n’a pas besoin des élections ou du Parlement », un score au plus haut depuis 2017 ;

  • 73 % souhaitent « un vrai chef en France pour remettre de l’ordre », contre 60 % en Allemagne et en Italie.




À lire aussi :
Mesurer le bonheur pour mieux penser l’avenir : l’initiative du Bonheur Réunionnais Brut


Bonheur des contre-pouvoirs

Rien n’indique que l’efficacité politique soit la norme parmi les régimes autoritaires. Si l’on prend l’exemple de la croissance économique, les travaux des Prix Nobel d’économie 2024 Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson montrent au contraire un avantage de croissance pour les démocraties. Au-delà d’une croissance moyenne supérieure, la variabilité de la croissance est également réduite chez les démocraties grâce à de meilleures institutions et à des contre-pouvoirs qui encadrent les décisions politiques.

Tous ces résultats montrent qu’il est difficile de s’affranchir du climat politique, aussi anxiogène et décevant soit-il. Ce que rappelait déjà le comte de Montalembert dans la seconde moitié du XIXe siècle :

« Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. »

The Conversation

Mickaël Mangot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le bonheur des Français dépend-il de la situation politique ? – https://theconversation.com/le-bonheur-des-francais-depend-il-de-la-situation-politique-261329

Pourquoi il faut lire – ou relire – « Les identités meurtrières » d’Amin Maalouf

Source: The Conversation – in French – By Christian Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation/ Professor of Sociology of Education, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Sommes-nous en train de perdre notre humanité ? L’actualité récente n’a rien de rassurant. Sur les réseaux sociaux se manifeste une véritable jouissance face à la souffrance d’autrui.

On l’a vu avec l’influenceur Pormanove, humilié sous les yeux de milliers d’internautes : « Le créateur de contenu français de 46 ans aurait subi des coups et blessures d’autres instavidéastes (streamers) pendant plusieurs jours » jusqu’à son décès.

On l’a vu encore avec les réjouissances de certaines personnalités québécoises et même d’une professeure de l’Université de Toronto concernant l’assassinat de Charlie Kirk, perçu comme un ennemi à abattre plutôt qu’un humain.




À lire aussi :
L’assassinat de Charlie Kirk, le dernier acte de violence politique dans un pays sous tension


Être étiqueté « fasciste » ou « nazi » suffit, pour certains, à nier toute humanité à autrui et à légitimer la violence la plus extrême. D’ailleurs, le présumé tueur de Charlie Kirk avait inscrit sur l’une des douilles retrouvées : « Hé, fasciste ! Attrape ça ! ».

Ce mécanisme de déshumanisation s’exerce aussi à l’encontre de groupes stigmatisés, comme les personnes « trans » et les personnes « itinérantes », ou même contre les « cyclistes ». Une étude australienne montre en effet que plus de la moitié des automobilistes considèrent les cyclistes comme « moins humains », ce qui accroît l’acceptation d’actes d’agression à leur égard.

Dans tous ces exemples, le même processus est à l’œuvre : déshumaniser l’autre afin de pouvoir justifier le sadisme, la violence et jusqu’à la haine meurtrière.

Cette perte d’humanité s’observe malheureusement lorsque des idéologies sont véhiculées sur la place publique ou sur les réseaux sociaux. Elles ne sont pas toutes également violentes, mais ces mouvances reposent sur un même ressort : la peur de disparaître, d’être menacé, victime, persécuté ou discriminé. L’histoire nous enseigne que ces peurs, réelles ou construites, conduisent trop souvent à des conflits sanguinaires. Les intensités diffèrent, mais l’urgence demeure : rester vigilants.

Je suis chercheur en éducation inclusive et j’étudie la glottophobie au Canada et en France.

J’estime qu’il est aujourd’hui plus que jamais pertinent de lire ou relire Les identités meurtrières d’Amin Maalouf. L’ouvrage éclaire avec force la manière dont la crispation identitaire mène à la déshumanisation de l’autre et ouvre la voie à la justification de violences extrêmes, voire de la mort de ceux que l’on ne perçoit plus comme pleinement humains. Lire Maalouf, c’est rappeler que nos appartenances ne devraient jamais se transformer en identités meurtrières.

Cet article fait partie de notre série Les livres qui comptent, où des experts de différents domaines décortiquent les livres de vulgarisation scientifique les plus discutés.


Les identités exclusives

Publié en 1998, cet essai lucide et précurseur analyse les fractures identitaires engendrées, entre autres, par l’Histoire et la mondialisation. Loin d’abolir les frontières, la mondialisation suscite un besoin accru d’identité. Les conflits religieux, culturels et politiques, l’opposition entre nationalismes et globalismes en témoignent.

L’un des fils conducteurs du livre est la critique des identités exclusives : « À toutes les époques, il s’est trouvé des gens pour considérer qu’il y avait une seule appartenance majeure, tellement supérieure aux autres ». Or, dès qu’une appartenance est menacée, elle peut envahir l’identité entière : « Qu’une seule appartenance soit touchée, et c’est toute la personne qui vibre ».

Ce qui fait qu’une personne devient une cible à abattre, c’est précisément le processus de déshumanisation : lorsque l’on réduit la personne à une seule appartenance : trans, immigrante, blanche, noire, itinérante, chrétienne, musulmane, juive, etc., on efface la complexité de son humanité et on transforme cette appartenance en stigmate. Dans ce cadre, l’autre n’est plus un être pluriel, mais l’incarnation d’un « ennemi » à éliminer.




À lire aussi :
Les réseaux sociaux vous incitent à adopter ces trois comportements primitifs et violents


La langue française au Québec

Le Québec s’est construit dans un rapport constant à son identité : sa place au sein du Canada, la défense de la langue française, ses tensions avec la religion et ses débats sur l’immigration en sont quelques exemples. Cette histoire l’a doté d’une certaine résilience, mais nul endroit, aussi pacifique soit-il, n’est à l’abri de débordements lorsque l’identité collective se perçoit menacée.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Pour Maalouf, parmi toutes nos appartenances, la langue occupe une place décisive. On peut vivre sans religion, pas sans langue. Préserver les langues menacées est un enjeu civilisationnel.

Le cas du Québec illustre bien cette tension entre défense culturelle légitime et risque d’exclusivisme. Minorité francophone en Amérique du Nord, mais majoritaire sur la plupart de son territoire, le Québec a dû affirmer son identité par des politiques linguistiques et un volontarisme populationnel.

Ce nationalisme a sauvé le français, mais il porte en lui, selon certaines perceptions, le risque signalé par Maalouf : quand une appartenance devient exclusive, elle se ferme. Le défi québécois est donc de protéger sa langue et sa culture tout en assumant la pluralité d’appartenances, dont celle à la culture anglophone.

Assumer ses appartenances multiples

Cela vaut aussi pour les langues autochtones, qu’il convient de défendre avec la même énergie que le français. L’enjeu est de ne pas se retrouver piégés dans le dilemme : « nier soi-même ou nier l’autre », car il faut assumer nos appartenances multiples et concilier nos besoins mutuels d’identité, tout en protégeant et valorisant le français.

Aujourd’hui, des langues disparaissent, l’anglicisation s’accélère, les effets conjugués de la mondialisation et du radicalisme religieux se heurtent au retour d’idéologies, telles que la montée du nationalisme identitaire dans le monde. Il importe de rappeler que les idéologies ne meurent jamais : elles sont « plus qu’une idée, un projet ou un idéal : c’est aussi un mouvement, un combat, souvent mené contre d’autres » mouvements.

Relire Les identités meurtrières aujourd’hui, c’est comprendre que la question identitaire n’est pas un débat secondaire ou passéiste. Le véritable enjeu est de bâtir un monde où nos appartenances multiples cessent d’être des menaces pour devenir des richesses partagées. C’est cette tâche, éminemment politique et profondément humaine, que nous rappelle Maalouf : défendre la pluralité des langues, des cultures et des modes de vie, non comme un vestige à protéger, mais comme une condition vitale pour l’humanité.

La Conversation Canada

Christian Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pourquoi il faut lire – ou relire – « Les identités meurtrières » d’Amin Maalouf – https://theconversation.com/pourquoi-il-faut-lire-ou-relire-les-identites-meurtrieres-damin-maalouf-265050

Les adultes d’âge mûr sont débordés par leurs différents rôles

Source: The Conversation – in French – By Gail Low, Associate Professor, Chair International Health, MacEwan University

Les quinquagénaires et les sexagénaires sont pris entre la nécessité de soutenir les plus jeunes générations, celles de leurs parents, et de veiller à leur propre bien-être. (Shutterstock)

Au Canada, les adultes d’âge mûr constituent l’une des ressources les plus importantes, mais aussi les plus sollicitées et les moins reconnues. Ils s’occupent discrètement de la santé et du bien-être de millions de personnes, jeunes et âgées, en présence ou à distance.

D’août 2024 à juillet 2025, les adultes canadiens de 55 à 64 ans ont collectivement travaillé plus de 100 millions d’heures par mois dans un large éventail de professions telles que le commerce de détail, le droit, l’ingénierie et les soins de santé.

À cela s’ajoute leurs activités bénévoles officielles : 552 millions d’heures par an, selon Statistique Canada, notamment dans des centres d’aide d’urgence et des écoles. Ils ont aussi consacré 1,342 million d’heures supplémentaires à des activités bénévoles informelles et non rémunérées.


Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.


La majorité de ces heures de bénévolat informel est consacrée à soutenir directement des membres de leur famille, comme des parents, des enfants, ou des frères et sœurs. Pendant la pandémie de Covid-19, beaucoup de personnes ont ajouté 20 heures de soins à leur semaine de travail, que ce soit à la maison ou chez un membre de leur famille.




À lire aussi :
Alzheimer : la réalité virtuelle, dernière bouée pour les proches aidants ?


Des aidants surchargés

Nous menons des recherches sur le vieillissement de la population et des individus. Nous avons vu les membres de nos familles se sentir coincés entre les soins à prodiguer à leurs parents et l’éducation de leurs enfants, et négliger ainsi leurs besoins en matière de santé. Ce n’est pas surprenant, car environ une femme d’âge mûr sur cinq s’occupe d’un enfant et plus d’un tiers prend soin d’un adulte.

En observe qu’en moyenne, un aidant fournit 35 heures de soins par semaine, et ce, depuis plus de quatre ans. Trois heures de plus par semaine suffiraient à le mener vers un état proche de la dépression.

Une femme d’âge moyen vêtue d’une chemise bleue, debout entre une femme plus âgée et une adolescente
Une femme d’âge mûr sur cinq s’occupe d’un enfant, et plus d’un tiers prend soin d’un adulte.
(Shutterstock)”

Dans le contexte économique actuel, la plupart des gens travaillent pour gagner leur vie, plutôt que pour financer leurs loisirs et leur retraite.

Ainsi, près de la moitié des aidants naturels au Canada doivent travailler à temps plein. Dans ce contexte, six sur dix souhaiteraient avoir une forme de soutien officiel de l’État.

Des études montrent que quatre aidants naturels actifs sur dix ont peur de ne pas pouvoir payer leurs comptes. Pas étonnant que beaucoup d’entre eux commencent leur journée fatigués et stressés.




À lire aussi :
À l’aide! Les proches aidants sont épuisés et nous en payons tous le prix


Les jeunes adultes vivent plus longtemps chez leurs parents

De plus en plus de jeunes adultes de 20 à 35 ans vivent avec un parent. Ils ont davantage de chances d’épargner pour l’avenir en demeurant avec leurs parents.

                     ---

Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Des sondages récents révèlent par ailleurs que les adultes d’âge mur ont en moyenne 300 000 dollars de dettes et qu’ils sont préoccupés par les dépenses essentielles du ménage. Un tiers d’entre eux ne sont pas préparés à la flambée du coût de la vie, en particulier pour les dépenses de base et s’ils vivent déjà d’un chèque de paie à l’autre. Certains établissent même un lien entre l’évolution historique de la cohabitation des jeunes adultes avec leur parent et l’augmentation de l’endettement des personnes âgées.

Les adultes canadiens d’âge mûr ont également souffert d’une plus grande détresse mentale pendant la pandémie et se sont sentis davantage jugés et isolés que les Canadiens plus âgés.

Les études indiquent que cette tranche de la population a peu tendance à utiliser les services d’aide communautaires pour des activités telles que la préparation des repas ou la remise en forme. Environ une personne sur quatre ayant eu besoin de services de santé a rencontré des difficultés pour y accéder. D’autres ont déclaré ne pas avoir pris le temps d’en trouver ou préférer se débrouiller seules.

Une charge trop lourde

Selon une étude menée dans 20 pays, la satisfaction à l’égard de la santé à 60 ans est étroitement liée à la perception du vieillissement.

Deux femmes préparant un repas dans une cuisine
Un aidant fournit en moyenne 35 heures de soins par semaine.
(Shutterstock)

Pour les quinquagénaires et les sexagénaires, le fait de devoir à la fois aider les jeunes générations et s’occuper de leur propre bien-être entame leur confiance en eux. Il est reconnu que consacrer du temps à des activités permettant de mieux se connaître et de prendre conscience de ses qualités constitue un investissement judicieux.

Parallèlement, les priorités fédérales en matière de financement se concentrent sur les programmes de santé mentale destinés aux jeunes et la sensibilisation aux besoins des personnes âgées des adultes susceptibles de devenir proches aidants.

Les adultes d’âge mûr constituent l’une des principales ressources de notre pays, en raison de leur rôle socio-économique et de leur soutien auprès des jeunes et des personnes âgées. Cependant, ils ont eux-mêmes besoin d’attention et de respect pour continuer à assumer ces rôles sans s’épuiser.

Il est temps de demander aux Canadiens d’âge mûr quels sont les fardeaux qu’ils portent, si leur charge est trop lourde, et comment ils la gèrent. C’est une discussion que nous devrions lancer.

La Conversation Canada

Gail Low reçoit des fonds de la Fondation RTOERO, de l’Université de l’Alberta et de l’Université MacEwan. Elle travaille pour l’Université MacEwan et fait du bénévolat pour l’association Gateway.

Gloria Gutman est professeure émérite à l’Université Simon Fraser. Elle est ancienne présidente de l’Association internationale de gérontologie et de gériatrie, de l’Association canadienne de gérontologie et du Réseau international pour la prévention des abus envers les personnes âgées.

ref. Les adultes d’âge mûr sont débordés par leurs différents rôles – https://theconversation.com/les-adultes-dage-mur-sont-debordes-par-leurs-differents-roles-263384

Que manger après 50 ans pour prévenir les blessures musculaires ?

Source: The Conversation – in French – By Patricia Yárnoz Esquíroz, Profesor Clínico Asociado, Universidad de Navarra

Les besoins en protéines varient en fonction de la situation clinique de chacun. (Prostock-studio/Shutterstock)

Mieux vaut tard que jamais. De plus en plus de personnes envisagent de faire de l’exercice physique après 50 ans. Est-ce une bonne idée ? Les différentes associations médicales s’accordent à dire que oui : l’exercice physique est non seulement essentiel pour prévenir les maladies, mais il est également recommandé dans le cadre du traitement de nombreuses pathologies.

Cependant, commencer à bouger à ce stade de la vie nécessite certaines précautions, surtout pour les personnes sédentaires, en surpoids ou obèses.

Adopter d’emblée un programme trop exigeant, combiné à une alimentation inadaptée, peut entraîner des blessures musculaires ou osseuses. Après 50 ans, ce risque est accentué par la perte naturelle de masse musculaire et osseuse liée au vieillissement.

Avant d’entamer tout programme d’exercice, il est donc conseillé de réaliser un bilan sanguin complet afin d’évaluer la nécessité d’une supplémentation en cas de carence en micronutriments.


Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.


Le rôle clé des protéines

Au-delà des micronutriments, l’organisme a besoin de macronutriments : des glucides, des lipides et des protéines. Les protéines, en particulier, apportent des acides aminés essentiels qui jouent un rôle clé dans le maintien et le développement des muscles. Elles aident aussi à prévenir la perte de masse et de force musculaires liée au vieillissement — un phénomène connu sous le nom de sarcopénie, souvent associé à la fragilité — ainsi que les lésions musculaires et l’ostéoporose.

Les besoins en protéines varient en fonction de la situation clinique de l’individu. Chez les personnes actives de plus de 50 ans qui ont une activité physique modérée, les besoins en protéines sont compris entre 1 et 1,5 g/kg de poids corporel/jour.

Mais attention : un apport accru en protéines n’est justifié que s’il est accompagné d’une activité physique. Un excès de protéines peut avoir des effets contre-productifs, en particulier sur la santé osseuse, notamment en augmentant la perte de calcium par les urines.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


D’origines végétales, animales… et bien réparties

Il est recommandé de combiner (soja, lentilles, graines de courge, cacahuètes…) et animales (œufs, laitages, volaille, poisson) pour un apport protéique équilibré.

D’autre part, bien que l’idéal soit d’avoir une alimentation équilibrée entre les deux types de nutriments, il a été démontré que le respect des recommandations diététiques végétariennes est compatible avec la pratique du sport de haut niveau s’il y a un suivi médico-nutritionnel adéquat.

Le moment de consommation des protéines est aussi important que leur quantité : il est préférable de les répartir sur la journée, et de privilégier une prise dans les 30 minutes avant ou après l’exercice pour en optimiser l’absorption.

Micronutriments essentiels : magnésium, calcium et vitamine D

En ce qui concerne les micronutriments (vitamines et minéraux), certains d’entre eux jouent un rôle fondamental dans la pratique sportive à cet âge, comme le magnésium, le calcium et la vitamine D.

Le magnésium favorise la récupération musculaire et la formation des os. Ce micronutriment se trouve dans des aliments tels que le son de blé, le fromage, les graines de citrouille et les graines de lin.

Quant au calcium, il est essentiel pour maintenir une minéralisation osseuse adéquate et prévenir la perte de densité minérale osseuse (ostéopénie) associée à des carences de cet élément dans le sang.

Traditionnellement, l’un des grands alliés de la santé osseuse est la consommation de produits laitiers, tant pour leur biodisponibilité (degré et rapidité avec lesquels un médicament passe dans le sang et atteint son site d’action) en calcium que pour leur apport en vitamine D dans leurs versions laitières issues du lait entier.

D’autres aliments d’origine végétale, comme la pâte de sésame, les amandes, les graines de lin, le soja et les noisettes, sont également considérés comme des sources de calcium, mais leur teneur en phytates et en oxalates peut nuire à son absorption.

Enfin, les poissons gras (thon, bonite, sardine, saumon, etc.) et le jaune d’œuf sont considérés comme des sources complémentaires de vitamine D, dans le cadre d’un schéma alimentaire axé sur les personnes de plus de 50 ans qui pratiquent une activité physique.

Il est tout aussi important de maintenir une bonne hydratation avant, pendant et après l’exercice. La déshydratation et la surhydratation peuvent toutes deux affecter les performances et augmenter le risque de blessure musculaire.

Le type d’exercice a-t-il une importance ?

Jusqu’à présent, nous avons surtout abordé le lien entre alimentation, performance physique et risque de blessure. Mais un autre facteur entre en jeu : le type d’exercice pratiqué.

Sur ce point, le débat reste ouvert. De nombreuses recherches s’intéressent aujourd’hui à l’activité physique la plus appropriée en fonction de l’âge, du sexe ou de la composition corporelle. Faut-il privilégier les exercices de force ? Alterner avec des séances de cardio ? Ou encore, répartir les deux sur des jours différents ?

Cependant, malgré les différentes théories sur le sujet, une chose est claire : l’exercice régulier, adapté aux capacités de chacun et accompagné d’un bon suivi médical et nutritionnel, réduit le risque de multiples maladies et améliore la qualité de vie.

La Conversation Canada

Patricia Yárnoz Esquíroz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Que manger après 50 ans pour prévenir les blessures musculaires ? – https://theconversation.com/que-manger-apres-50-ans-pour-prevenir-les-blessures-musculaires-258657

Itinéraire d’une génération gâtée

Source: The Conversation – in French – By Gérard Bouchard, Professeur émérite, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)

Les boomers sont à l’âge de la retraite, où ils profitent pleinement de la société des loisirs. Nés à une période faste, ils ont bénéficié toute leur vie de conditions gagnantes. (unsplash plus), CC BY-NC-ND

La génération des baby-boomers a profondément changé la société, et continue de le faire alors que les plus âgés d’entre eux deviennent octogénaires et les plus jeunes, sexagénaires. Ce phénomène coïncide avec une accélération du vieillissement de la population au Québec, au Canada et dans l’ensemble des sociétés occidentales.

À 81 ans, l’historien et sociologue Gérard Bouchard, professeur émérite à l’UQAC, s’identifie à la génération des boomers, même s’il la devance de quelques années. Comme tous les membres de ceux et celles que le professeur de littérature François Ricard a qualifié de « génération lyrique », il a été un participant enthousiaste de la Révolution tranquille, adoptant les nouvelles valeurs de liberté qui déferlaient sur l’Occident.

Il est aussi l’un de ses intellectuels les plus en vue, auteurs d’une trentaine d’ouvrages, récipiendaires de nombreux prix et distinctions, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la dynamique comparée des imaginaires collectifs, et co-directeur en 2007 de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Il y a élaboré son concept d’interculturalisme, une approche québécoise en matière d’intégration des nouveaux arrivants et des groupes minoritaires qui se différencie du multiculturalisme canadien.

Cette semaine, Gérard Bouchard publie un énième ouvrage, qu’il considère comme l’un de ses plus importants, Terre des humbles. « Le livre est sur mon établi depuis 50 ans », dit-il lors de notre rencontre à son bureau de l’UQAC, à Chicoutimi. Il s’agit d’une histoire des premiers habitants du Saguenay, celle des gens ordinaires, « pas juste de ses dirigeants ».




À lire aussi :
Octobre 70 : l’État a eu peur de sa jeunesse


Son prochain ouvrage portera quant à lui sur les boomers. Il traitera des différentes interprétations de la Révolution tranquille, de l’avant et de l’après Grande noirceur.

Gérard Bouchard travaille sept jours par semaine, « un peu moins le dimanche », et ne comprend pas les gens qui prennent leur retraite à 55 ans, alors qu’ils sont en pleine santé, avec des enfants devenus adultes. « Ils vont passer quarante années de leur vie à s’amuser ? C’est absurde. » Lui n’arrêtera jamais. « Je suis un chercheur, c’est ma passion, je suis incapable de penser que je pourrais arrêter. Je vais travailler jusqu’à la fin. »


Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.


La Conversation Canada : Le baby-boom qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale a provoqué des secousses partout en Occident, dont au Québec. La société a dû s’ajuster à leur arrivée massive. Quels étaient les principaux défis au Québec ?

Gérard Bouchard : Sans aucun doute la démocratisation de l’éducation. Les Canadiens français accusaient un important retard. La plupart des enfants quittaient l’école à partir de 12 et 13 ans. Or, les attentes vis-à-vis de l’instruction se sont faites plus importantes dès les années cinquante. Les parents des classes moyennes et pauvres voyaient bien que ceux qui avaient une belle vie, les notables, les avocats, les notaires et les médecins, étaient des gens instruits. L’idée que « qui s’instruit s’enrichit » a été formulée dans les années 60, mais elle était présente bien avant. Il fallait instruire cette génération.

LCC : On a donc construit des écoles secondaires, le réseau des cégeps, celui des universités du Québec…

G.B. : Oui, car il y avait urgence. Et pour cela, il fallait d’abord se défaire de l’autoritarisme considérable de l’Église, sa censure, sa guerre contre les intellos. L’Église s’opposait à l’instruction obligatoire jusqu’à 14 ans. L’arrivée du premier ministre Jean Lesage, en 1960, a changé les choses. Lui-même n’était pas porteur du changement. Il était contre la nationalisation de l’électricité, la laïcisation, la création de la Caisse de dépôt… Il a fallu le convaincre. Ce qu’il a fait de mieux, c’est de s’entourer de gens très brillants et très intègres [NDLR notamment René Lévesque et Jacques Parizeau], qui ont créé un État moderne, avec moins de corruption, d’arbitraire, d’amateurisme dans la manière de gouverner.

Une bourgeoisie francophone a pris son essor, on a créé des entreprises, une classe de technocrates. C’était la Révolution tranquille. Elle s’est déployée dans les années soixante, mais ses idées circulaient depuis quelques décennies, notamment avec l’intellectuel André Laurendeau, le plus important de sa génération.

L’école est devenue obligatoire jusqu’à 16 ans et on a créé le tout nouveau réseau de l’Université du Québec, avec ses dix antennes. Il fallait des professeurs. On a embauché des gens qui n’avaient parfois que de simples maîtrises. On les formait, on payait leurs études et leurs salaires jusqu’au doctorat. On n’avait pas le choix. Il fallait pourvoir les postes pour former les cohortes qui venaient. Mais on s’est arrêté une fois les besoins remplis. Les générations suivantes ont donc frappé un mur…

LCC : Quel a été l’impact de la Révolution tranquille sur cette génération devenue adulte ?

G.B. : Les boomers n’ont pas fait la Révolution tranquille, ils en ont bénéficié et ils ont participé activement et avec beaucoup d’enthousiasme à sa mise en place. J’avais 20 ans en 1963. À 25 ans j’étais un militant, partisan des nouvelles valeurs de liberté, de l’indépendance du Québec. Cette génération a assimilé profondément ces nouvelles valeurs et en a fait les siennes. Les boomers sont donc associés à de grands changements sociaux, à l’émergence d’une société de consommation, où le travail n’était plus l’absolu sanctifié, à un monde de liberté.

LCC : Le party s’est terminé cependant…

G.B. : Oui, dès 1973, l’Occident a connu le premier choc pétrolier, la fin de l’expansion économique, l’inflation. Les États étaient endettés. Les boomers n’en ont pas tant souffert. Ils étaient établis dans leur vie. Par ailleurs, avec la Révolution tranquille, le Québec s’est doté de vastes politiques sociales qui sont restées en vigueur.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Mais l’idée qu’un bon diplôme équivalait à un bon emploi ne fonctionnait plus. Ce qui a fait que la génération qui a suivi, les X, s’est sentie traitée injustement. La musique s’était arrêtée. Il n’y avait plus de chaises pour eux. Les X ont cherché des coupables et blâmé les boomers de s’être empiffrés, d’avoir été narcissiques. On comprend cette réaction émotive.

Ils ont eu raison d’être fâchés. L’évolution de notre société leur a causé beaucoup de tort.

Mais les boomers n’y étaient pour rien. La crise économique était à l’échelle de l’Occident. Il y a eu rupture dans la mobilité sociale. Cela dit, le Québec a su résister aux effets du néo-libéralisme qui a déferlé à partir des années 80. Il n’a pas coupé dans ses politiques sociales. Le filet s’est même étendu.

LCC : Les premiers boomers auront bientôt 80 ans, et seront suivis par une vaste cohorte. Comment vivent-ils leur vieillesse ?

G.B. : Ils ont de bons fonds de pension universelle. Ils ont des moyens, dépensent, s’amusent, sont heureux… jusqu’à ce qu’ils soient malades. Et lorsque c’est le cas, l’État s’en occupe. À l’image de leur vie, leur couloir est tracé. Ils sont sur la voie de sortie, et c’est une voie convenable, qui est le propre d’une société civilisée.

Évidemment, il y a des inégalités, notamment dans les fonds de pension individuels. Tous ne participent pas au même banquet. Mais la société leur permet de vivre une vie convenable. La manière dont on traite les personnes âgées, c’est quelque chose qu’on fait de bien.

La Conversation Canada

Gérard Bouchard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Itinéraire d’une génération gâtée – https://theconversation.com/itineraire-dune-generation-gatee-264009

TikTok et les jeunes : rentabilité et fabrique du mal-être

Source: The Conversation – in French – By Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l’information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave Eiffel

La commission d’enquête parlementaire, qui a rendu ses conclusions le 11&nbsp;septembre 2025, souligne l’opacité des algorithmes de TikTok. Les contenus les plus radicaux ou perturbants semblent particulièrement valorisés pour capter l’attention. Daniel Constante/Shutterstock

Tutoriels de suicide, hashtags valorisant l’anorexie, vidéos de scarification… Le rapport parlementaire, publié le 11 septembre 2025, dresse un constat glaçant des effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. L’application, loin d’être un simple divertissement, apparaît comme une véritable « fabrique du mal-être », structurée par une architecture algorithmique qui capte et qui exploite l’attention des adolescents pour maximiser sa rentabilité.


Si les députés proposent d’interdire l’accès aux réseaux sociaux avant 15 ans, l’enjeu va bien au-delà de la seule régulation juridique. Ce que révèle le rapport de la commission parlementaire d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, publié le 11 septembre 2025, c’est l’émergence de nouvelles fragilités liées aux environnements numériques. Ce mélange de design addictif, de spirales algorithmiques et de logiques économiques tend à fragiliser les jeunes usagers.

Dès lors, la question centrale ne porte pas seulement sur l’âge d’accès aux plateformes, mais sur notre capacité collective à construire une régulation adaptée, capable de protéger les mineurs sans les exclure du monde numérique.

Comment protéger efficacement les mineurs face à la puissance des algorithmes sans les priver d’un espace numérique devenu incontournable dans leur socialisation et leur développement ?

La fabrique algorithmique de la vulnérabilité

Le rapport parlementaire décrit TikTok comme une « machine algorithmique » conçue pour capter l’attention des utilisateurs et pour les enfermer dans des spirales de contenus extrêmes. L’architecture du fil repose sur l’idée simple que plus un contenu retient le regard longtemps, plus il sera recommandé à d’autres utilisateurs. Ce mécanisme transforme la durée d’attention en indicateur de rentabilité, au détriment de la qualité ou de l’innocuité des contenus.

En quelques minutes, un adolescent peut passer d’une vidéo anodine à des tutoriels de scarification, des incitations à l’anorexie (#SkinnyTok) ou au suicide. Amnesty International a montré que, dès les douze premières minutes, plus de la moitié des contenus recommandés à un « profil dépressif » concernaient l’anxiété, l’automutilation ou le suicide. L’algorithme ne reflète donc pas seulement les préférences. Il construit également un environnement qui accentue les vulnérabilités psychiques.

Dans une perspective des sciences de l’information et de la communication (SIC), discipline qui étudie la manière dont les technologies et les dispositifs médiatiques structurent nos pratiques sociales et nos représentations, ce processus illustre une « fabrique de vulnérabilités communicationnelles ». Autrement dit, l’architecture technique de TikTok ne se contente pas de diffuser des contenus, elle façonne les conditions mêmes de réception et d’usage.

Il s’agit d’un design pensé pour exploiter l’économie de l’attention, reposant sur la gratification immédiate et la logique de la récompense aléatoire. Comme le souligne Ulrich Beck dans sa théorie de la « société du risque », les technologies produisent elles-mêmes les dangers qu’elles prétendent encadrer. TikTok illustre ce paradoxe avec un espace de divertissement qui se transforme en espace de mise en danger systémique.

En ce sens, la toxicité décrite dans le rapport n’est pas une dérive accidentelle, mais une conséquence structurelle du modèle économique de la plateforme. L’algorithme, optimisé pour maximiser le temps passé en ligne, tend mécaniquement à privilégier les contenus les plus radicaux ou perturbants, car ce sont ceux qui retiennent le plus l’attention.

L’opacité algorithmique comme enjeu central

L’un des constats majeurs de la commission d’enquête concerne l’opacité des algorithmes de TikTok. Malgré plus de sept heures d’audition des représentants de la plateforme, les députés soulignent le caractère insaisissable de son fonctionnement : absence d’accès aux données brutes, impossibilité de vérifier les critères de recommandation, communication limitée à des éléments généraux et souvent contradictoires. Autrement dit, le cœur technique de l’application algorithmique reste une boîte noire dont l’intelligibilité est encore questionnée.

Cette opacité n’est pas un simple détail technique puisqu’elle conditionne directement la capacité à protéger les mineurs. Si l’on ne sait pas précisément quels signaux (durée de visionnage, likes, pauses, interactions) déclenchent la recommandation d’un contenu, il devient impossible de comprendre pourquoi un adolescent vulnérable est exposé en priorité à des vidéos sur l’anorexie, sur le suicide ou sur l’automutilation. Le rapport qualifie ce manque de transparence d’« obstacle majeur à la régulation ».

Cette situation illustre la notion de gouvernance algorithmique. Il s’agit des dispositifs qui, tout en organisant nos environnements informationnels, échappent largement à l’intelligibilité publique. Cette asymétrie entre la puissance des plateformes et la faiblesse des institutions de contrôle génère ce que l’on peut qualifier de vulnérabilité communicationnelle systémique.

Le rapport insiste ainsi sur la nécessité d’outils européens d’audit des algorithmes, mais aussi sur l’importance d’une coopération renforcée entre chercheurs, autorités de régulation et acteurs de la société civile. L’enjeu n’est pas seulement de contraindre TikTok à être plus transparent, mais de créer les conditions d’une intelligibilité collective de ces dispositifs techniques. C’est à ce prix que la protection des mineurs pourra devenir effective et que l’Europe pourra affirmer une souveraineté numérique crédible.

L’économie du mal-être

Le rapport parlementaire souligne également que la toxicité de TikTok n’est pas accidentelle ni le fruit d’une intention malveillante, mais qu’elle découle de son modèle économique, d’une logique marchande où le mal-être est rentable.

Ce mécanisme illustre ce que les chercheurs appellent l’« économie de l’attention ». Sur TikTok, le temps de visionnage devient la ressource centrale. Plus un adolescent reste connecté, plus ses données alimentent le ciblage publicitaire et la valorisation financière de la plateforme. Or les émotions négatives (peur, sidération, fascination morbide) génèrent souvent une rétention plus forte que les contenus positifs. Les spirales algorithmiques ne sont donc pas de simples accidents, mais la conséquence directe d’une optimisation économique.

Cette dynamique s’inscrit dans un capitalisme de surveillance, où l’expérience intime des individus est extraite, analysée et transformée en valeur marchande. Dans le cas de TikTok, les comportements vulnérables des mineurs (hésitations, clics répétés, visionnages prolongés de contenus sensibles) deviennent autant de données monétisables.

Ainsi, il ne s’agit pas seulement de protéger les jeunes contre des contenus toxiques, mais de comprendre que la plateforme a intérêt à maintenir ces contenus en circulation. Le problème est donc structurel. TikTok n’est pas seulement un réseau social qui dérape, c’est aussi une industrie qui prospère sur la captation du mal-être.

Au-delà de TikTok

En définitive, le rapport sur TikTok agit comme un miroir grossissant des mutations de nos environnements numériques. Il ne s’agit pas seulement de pointer les dangers d’une application. Il s’agit également de questionner les logiques économiques et algorithmiques qui façonnent désormais la socialisation des plus jeunes.

L’enjeu n’est pas de bannir un réseau social, mais plutôt de concevoir une régulation capable d’intégrer la complexité des usages, la diversité des publics et les impératifs de protection. La notion de sécurité communicationnelle fournit ici une clé de lecture en ce sens qu’elle invite à penser ensemble santé psychique, gouvernance algorithmique, souveraineté numérique et innovation responsable.

TikTok n’est donc pas une exception, mais le symptôme d’un modèle qu’il devient urgent de réformer. L’avenir de la régulation ne se jouera pas uniquement sur cette plateforme. Elle se jouera aussi dans la capacité des sociétés européennes à redéfinir les règles du numérique à la hauteur des enjeux générationnels qu’il engage.

The Conversation

Fabrice Lollia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. TikTok et les jeunes : rentabilité et fabrique du mal-être – https://theconversation.com/tiktok-et-les-jeunes-rentabilite-et-fabrique-du-mal-etre-265082

Repenser les examens pour aider les étudiants à progresser : l’évaluation universitaire comme dialogue

Source: The Conversation – in French – By Hela Hassen, Lecturer in Marketing, Kedge Business School

Pour que les devoirs sur table et les notes soient de réels outils de progression pour les étudiants, il ne suffit pas de rendre publiques les grilles d’évaluation. Encore faut-il s’assurer que les étudiants en comprennent bien les enjeux et la mise en œuvre. Explication à partir d’une recherche-action dans une université britannique.


« Travail superficiel », « manque de rigueur » ou encore « absence de pensée critique »… De telles observations, relevées sur des copies d’étudiants, restent floues et sont souvent perçues comme arbitraires.

Si l’enjeu d’une évaluation est de permettre aux étudiants de comprendre leurs lacunes pour progresser, ne faudrait-il pas envisager une autre orientation et privilégier le dialogue ?

Discuter des notes avant de rendre une copie

Nombre d’universités tentent de mettre l’accent sur des modalités d’évaluation plus transparentes, incluant des grilles de critères à respecter afin d’obtenir la note attendue. La formulation des attendus demeure néanmoins souvent opaque et ces grilles restent mal comprises ou voire ignorées par les étudiants. Des expressions comme « démontrez une compréhension approfondie » ou « utilisez des sources pertinentes » peuvent sembler évidentes aux enseignants. Mais elles ne le sont pas toujours pour les étudiants, surtout s’il s’agit de les traduire en actions concrètes.

En France, un rapport du comité d’évaluation de l’enseignement supérieur souligne que l’évaluation reste bien souvent trop floue, disparate et peu en phase avec les compétences visées par les formations. Il appelle à un ciblage plus clair et collectif des pratiques d’examen par les universités.

Lorsque les évaluations sont multiples (dans des contextes de cours massifiés et de délais courts par exemple), les retours se transforment rapidement en simple procédure administrative, c’est-à-dire quelques lignes copiées-collées, et perdent leur fonction pédagogique.

Une recherche-action menée dans une université britannique a testé une alternative : organiser des temps de dialogue autour des grilles d’évaluation, en amont des rendus de devoirs des étudiants puis après la restitution des notes. Plutôt que de découvrir les attendus une fois leur copie notée, les étudiants ont pu poser leurs questions à l’avance, commenter les termes ambigus, et co-construire une compréhension de ce qui était attendu.

Les discussions entre étudiants et professeurs ont permis de clarifier des notions souvent floues : qu’est-ce qu’un raisonnement rigoureux ? Comment différencier un travail « bon » d’un travail « excellent » ? L’objectif de ces échanges n’était pas de simplifier les exigences, mais de traduire les attentes dans un langage clair, afin de placer les étudiants au centre du processus d’évaluation et en les rendant pleinement acteurs de leur apprentissage.

Mieux comprendre pour réussir

Les résultats ont été probants : les étudiants qui ont participé à ces dialogues ont obtenu de meilleures notes. Tous ont validé leurs modules, certains ont même obtenu suite à cette expérience les meilleurs résultats qu’ils aient eus depuis le début d’année. Mais au-delà des notes, le plus frappant a été le changement d’attitude des étudiants : ils ont manifesté moins d’anxiété, plus d’engagements, une meilleure compréhension des attentes.

Cette approche repose sur un principe simple, mais souvent oublié : le feedback est une conversation, non un verdict. Cela rejoint les travaux de chercheurs comme David Carless, qui défendent l’idée que l’évaluation doit être un pur moment d’apprentissage et non une fin en soi. Or, pour cela, encore faut-il encore que les étudiants puissent échanger avec l’enseignant. L’évaluation cesse alors d’être un outil de tri, pour devenir un levier de progression.

Au lieu d’envoyer des commentaires impersonnels, pourquoi ne pas organiser un atelier, une discussion collective, une relecture croisée ? Ce n’est pas une question de temps supplémentaire, mais de changement de posture : passer d’un modèle descendant à une relation co-constructive entre l’enseignant et l’étudiant.

Évaluer à l’heure de l’IA

Avec la montée en puissance des outils comme ChatGPT, une inquiétude s’installe et un nombre important d’universités s’interrogent : « Comment savoir qui a rédigé ce devoir ? », « Faut-il multiplier les contrôles, mieux les surveiller ou sanctionner ? » Une autre stratégie consiste à assortir toute évaluation d’un échange mutuel entre professeur et étudiant.

Des chercheurs stipulent qu’encadrer plutôt qu’interdire l’IA apparaît comme la solution la plus équilibrée pour préserver l’éthique tout en encourageant l’innovation pédagogique. Une évaluation ouverte ou un dialogue, où les critères sont explicités, discutés et interprétés mutuellement, s’inscrit parfaitement dans cette démarche : elle protège contre la tricherie, tout en valorisant l’autonomie de l’étudiant.

Quand l’étudiant sait qu’il devra expliquer sa démarche, discuter ses choix, relier son travail aux critères attendus, il devient plus difficile de simplement copier une production générée par une IA. Le dialogue devient alors un outil anti-triche naturel, parce qu’il repose sur une compréhension vivante du savoir, pas sur la restitution mécanique d’un résultat. L’évaluation ouverte ou dialogue n’est donc pas seulement plus juste, elle est aussi plus résistante aux dérives technologiques.

Le dialogue autour de l’évaluation peut être un rempart naturel contre les dérives de l’IA, à condition que ce dernier soit préparé en amont, ciblé sur les apprentissages et porteur d’objectifs pédagogiques clairs. Il doit offrir à chacun les mêmes chances de participation, dans un climat à la fois détendu et exigeant. L’enjeu n’est pas seulement de discuter des notes, mais de permettre à l’étudiant de comprendre, progresser, valoriser ses compétences et ainsi de capitaliser ses acquis.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Repenser les examens pour aider les étudiants à progresser : l’évaluation universitaire comme dialogue – https://theconversation.com/repenser-les-examens-pour-aider-les-etudiants-a-progresser-levaluation-universitaire-comme-dialogue-258833