Blessures au travail : pourquoi les personnes immigrantes mettent plus de temps à guérir

Source: The Conversation – in French – By Daniel Côté, Anthropologue, chercheur en santé et en sécurité du travail, Université de Montréal

Au Québec, une personne immigrante a plus de risques d’être blessée au travail qu’une personne née ici. Mais le plus dur commence souvent après l’accident : ces travailleuses et travailleurs doivent composer avec un système de réadaptation complexe, qui peut freiner leur guérison et leur retour au travail.

Mon équipe et moi avons mené plusieurs études sur les parcours de réadaptation post-blessure chez ces travailleuses et travailleurs dans le cadre de nos recherches à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

Nos constats révèlent une série d’obstacles systémiques, institutionnels et relationnels qui freinent leur rétablissement.

Des chiffres préoccupants

En 2016, les personnes nées à l’étranger affichaient un taux d’accidents du travail supérieur de 31 % à celui des personnes natives du Québec, selon une étude fondée sur des données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) appariées avec d’autres données ministérielles.

Le risque est particulièrement élevé chez les personnes nouvellement arrivées (moins de cinq ans), dont la probabilité d’accident est de 1,4 à 1,6 fois plus grande.

Or, les difficultés ne s’arrêtent pas à l’accident. Les personnes immigrantes représentent 21 % de la population active, mais près de 30 % des cas d’accidents indemnisés de longue durée (90 jours et plus).

Le risque relatif d’une absence de longue durée chez les personnes immigrantes est 65 % plus élevé que chez les personnes nées au Canada. Une telle donnée peut nous permettre de penser que ces personnes sont particulièrement susceptibles de se blesser gravement, ou encore qu’elles tendent à déclarer leur blessure tardivement, c’est-à-dire une fois que celle-ci s’est aggravée.

Les secteurs les plus touchés sont la santé et l’assistance sociale, les services administratifs, les services de soutien et les services de gestion des déchets, la fabrication, la construction et le commerce de détail.

Une réparation plus difficile

Nous avons montré dans l’une de nos études réalisées à l’IRSST que les personnes immigrantes sont plus à risque d’accidents entraînant des absences prolongées en raison de la dangerosité des emplois, de l’instabilité du lien d’emploi, de la non-reconnaissance des diplômes et d’une méconnaissance des droits en SST.

Ce risque accru s’accompagne d’un accès plus difficile à la réparation, notamment à cause de déclarations tardives, d’obstacles administratifs, de barrières linguistiques, ou d’une méfiance envers les institutions.

Dans nos recherches qualitatives, plusieurs personnes immigrantes blessées ont exprimé un malaise face à l’accueil de leur récit : douleurs perçues comme exagérées, doutes sur leur crédibilité, attentes implicites de conformité aux normes institutionnelles. Ce décalage – souvent alimenté par des biais inconscients liés à l’origine ou à la langue – contribue à fragiliser le lien de confiance.

Ces mêmes constats ont été rapportés dans l’ensemble du Canada.

L’alliance thérapeutique fragilisée

Dans une autre étude de terrain, nous avons exploré le concept d’alliance thérapeutique dans un contexte multiethnique. Ce concept désigne la relation de confiance qui lie un professionnel de la santé et un patient.

Nous avons constaté que cette alliance thérapeutique est souvent compromise par la complexité des démarches administratives, les avis médicaux divergents entre professionnels et des attentes de retour au travail déconnectées des réalités des patients.

« J’ai arrêté de poser des questions. Chaque fois, c’était comme si je dérangeais. J’ai compris que si je voulais avancer, je devais me taire », nous a par exemple dit une travailleuse originaire des Antilles, qui travaillait en tant que préposée aux bénéficiaires, et qui souffrait d’une entorse lombaire. Elle était technicienne dans un laboratoire médical dans son pays d’origine.

Ce type d’expérience pousse plusieurs personnes à se désengager. Ce retrait ne traduit pas un manque de volonté, mais plutôt une perte de sens.

Une autre personne interrogée, qui travaillait comme éducatrice avant d’arrêter en raison d’une bursite à la hanche, a exprimé – comme bien d’autres – un glissement identitaire : « Je voudrais changer de carrière, vraiment. Je pense que ce n’est pas ma place… comme éducatrice. Je peux faire mieux. » Elle était formée en gestion dans son pays d’origine.

Le déclassement professionnel, rarement discuté, devient ici un moteur de repositionnement identitaire. Ces récits illustrent que la réadaptation ne se limite pas à un retour physique au travail, mais engage des dimensions psychologiques, sociales et migratoires.

L’« alliance à relais » : une réponse fragile mais prometteuse

Face à ces défis, certains milieux de soins développent des stratégies comme l’« alliance à relais ».

Celle-ci consiste à identifier dans l’équipe le professionnel qui a établi un lien de confiance avec la personne blessée, et à lui confier les interventions les plus sensibles. Cette approche permet parfois de rétablir une communication et une adhésion, là où le système a échoué.


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Cette stratégie reste néanmoins fragile. Elle repose en effet sur la stabilité des équipes, des compétences relationnelles et une marge de manœuvre institutionnelle souvent limitée.

Apprendre à mieux soutenir : pistes concrètes

Les constats de ces recherches appellent des changements concrets :

  • Réduire la fragmentation des parcours et les changements d’intervenants ;

  • Former les équipes à reconnaître les effets systémiques de la migration ;

  • Adapter les interventions aux trajectoires migratoires réelles ;

  • Reconnaître l’expérience vécue comme source de savoir.

Certaines organisations ont déjà amorcé ce virage. À la CNESST, une démarche de coconstruction a mené à un outil de soutien à la communication interculturelle, fondé sur des situations vécues : « Ce qu’on voulait, c’était pas une fiche sur chaque culture. On voulait réfléchir à nos pratiques, à ce qui fonctionne et à ce qui coince », a fait valoir une intervenante que nous avons interrogée.

Ce changement doit aussi être collectif : « Ce n’est pas juste une question de formation individuelle. Il faut que nos équipes en parlent, qu’on se donne des moyens collectifs », a spécifié un gestionnaire en réadaptation de la CNESST.

En prolongement de cette coconstruction, nous avons publié le guide La rencontre interculturelle : enjeux et stratégies d’intervention auprès de personnes immigrantes ayant subi une lésion professionnelle, destiné aux professionnels de la santé et aux intervenants en santé et sécurité du travail.

Avec Julie Masse, ergothérapeute, nous avons aussi conçu une formation continue offerte à l’Université de Montréal et testée dans divers milieux de soins, s’appuyant sur l’anthropologie de la santé et l’ergothérapie pour encourager une posture réflexive sur l’interculturalité.

Réparer autrement

Derrière chaque blessure, il y a un parcours de vie. Et derrière chaque parcours, une société qui choisit – consciemment ou non – d’accompagner, ou d’exclure. Pour bâtir un système de réadaptation plus juste, il faut d’abord reconnaître la diversité des parcours, des aspirations et des rapports au travail.

Repensons la diversité non comme un slogan, mais comme une invitation à transformer nos institutions, nos pratiques et nos imaginaires.

La Conversation Canada

Daniel Côté a reçu des financements du programme de financement de la recherche de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) et de l’Institut universitaire SHERPA.

ref. Blessures au travail : pourquoi les personnes immigrantes mettent plus de temps à guérir – https://theconversation.com/blessures-au-travail-pourquoi-les-personnes-immigrantes-mettent-plus-de-temps-a-guerir-262391

Ce que la famine fait au corps humain

Source: The Conversation – in French – By Ola Anabtawi, Assistant Professor – Department of Nutrition and Food Technology, An-Najah National University

Deux spécialistes de la nutrition décrivent, sur le plan physiologique, les différentes étapes de dégradation du corps humain lorsqu’il est soumis à des famines comme celles qui sévissent à Gaza et au Soudan. Contraint de puiser dans ses réserves, l’organisme est alors de plus en plus vulnérable aux infections telles que la pneumonie ou d’autres complications.


La faim existe sous différentes formes.

Au départ, il est question d’insécurité alimentaire quand les populations sont contraintes de s’adapter à des repas en nombres insuffisants. À mesure que la nourriture se raréfie, l’organisme puise dans ses réserves. Le passage de la faim à la famine commence par une baisse du niveau d’énergie, puis le corps puise dans ses réserves de graisse, ensuite dans ses muscles. Finalement, les organes vitaux commencent à défaillir.

De la sous-alimentation à la malnutrition aiguë puis à la famine, le processus atteint un stade où l’organisme n’est plus en mesure de survivre. À Gaza aujourd’hui, des milliers d’enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes ou allaitantes souffrent de malnutrition aiguë. Au Soudan, les conflits et les restrictions d’accès à l’aide humanitaire ont poussé des millions de personnes au bord de la famine, et les alertes à la famine se font de plus en plus pressantes chaque jour.

Nous avons demandé aux nutritionnistes Ola Anabtawi et Berta Valente d’expliquer les mécanismes physiologiques à l’œuvre dans les situations de famine et ce qui arrive au corps humain quand il est privé de nourriture.

Quel est l’apport alimentaire minimal dont le corps a besoin pour survivre ?

Pour leur survie, les humains ne peuvent se contenter d’eau potable et de sécurité. L’accès à une alimentation qui couvre leurs besoins quotidiens en énergie, en macronutriments et en micronutriments est essentiel pour rester en bonne santé, favoriser la guérison et prévenir la malnutrition.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les adultes ont besoin de quantités d’énergie différentes en fonction de leur âge, de leur sexe et de leur niveau d’activité physique.

Une kilocalorie (kcal, soit 1 000 calories) est une unité de mesure de l’énergie. En nutrition, elle indique la quantité d’énergie qu’une personne tire de son alimentation ou la quantité d’énergie dont le corps a besoin pour fonctionner. Techniquement, une kilocalorie correspond à la quantité d’énergie nécessaire pour élever la température d’un kilogramme d’eau d’un degré Celsius. Le corps utilise cette énergie pour respirer, digérer les aliments, maintenir sa température corporelle et, en particulier chez les enfants, pour grandir.

Les besoins énergétiques totaux proviennent de trois sources :

  • la dépense énergétique au repos : elle correspond à l’énergie utilisée par le corps au repos pour maintenir ses fonctions vitales, comme la respiration et la circulation sanguine ;

  • l’activité physique : elle peut varier pendant les situations d’urgence en fonction de facteurs tels que les déplacements, les soins prodigués ou les tâches indispensables à la survie ;

  • la thermogenèse : on nomme ainsi l’énergie utilisée pour digérer et transformer les aliments.

La dépense énergétique au repos représente généralement la plus grande partie des besoins énergétiques, en particulier lorsque l’activité physique est limitée. D’autres facteurs, notamment l’âge, le sexe, la taille, l’état de santé, la grossesse ou les environnements froids, influencent également la quantité d’énergie dont une personne a besoin.

Les besoins énergétiques varient tout au long de la vie. Les nourrissons ont besoin d’environ 95 kcal à 108 kcal par kilogramme de poids corporel par jour pendant les six premiers mois et de 84 kcal à 98 kcal par kilogramme de six à douze mois. Pour les enfants de moins de dix ans, les besoins énergétiques sont basés sur des modèles dans une situation de croissance normale, sans distinction entre les garçons et les filles.

Par exemple, un enfant de deux ans a généralement besoin d’environ 1 000 à 1 200 kcal par jour. Un enfant de cinq ans a besoin d’environ 1 300 à 1 500 kcal et un enfant de dix ans a généralement besoin de 1 800 à 2 000 kcal par jour.

À partir de dix ans, les besoins énergétiques commencent à être différents entre garçons et filles en raison des variations de croissance et d’activité, et les apports sont ajustés en fonction du poids corporel, de l’activité physique et du taux de croissance.

Pour les adultes ayant une activité physique légère à modérée, les besoins énergétiques quotidiens moyens sont d’environ 2 900 kcal pour les hommes âgés de 19 à 50 ans, tandis que les femmes du même groupe d’âge ont besoin d’environ 2 200 kcal par jour. Ces valeurs comprennent une fourchette de plus ou moins 20 % afin de tenir compte des différences individuelles en matière de métabolisme et d’activité physique. Pour les adultes de plus de 50 ans, les besoins énergétiques diminuent légèrement, les hommes ayant besoin d’environ 2 300 kcal et les femmes d’environ 1 900 kcal par jour.

Dans les situations d’urgence humanitaire, l’aide alimentaire doit garantir l’apport énergétique minimal qui est largement recommandé pour maintenir une personne en bonne santé et assurer ses fonctions vitales de base, cet apport ayant été fixé à 2 100 kcal par personne et par jour. Ce niveau minimum vise à satisfaire les besoins physiologiques fondamentaux et à prévenir la malnutrition lorsque l’approvisionnement en aliments est limité.

Cette énergie doit provenir d’un équilibre entre les macronutriments, les glucides représentant 50 à 60 % de l’apport (sous forme de riz ou de pain), les protéines 10 à 35 % (haricots, viande maigre…) et les lipides 20 à 35 % (l’huile de cuisson ou les noix, par exemple).

Les besoins en graisses sont plus élevés chez les jeunes enfants (30 % à 40 %), ainsi que chez les femmes enceintes et allaitantes (au moins 20 %).

En plus de l’énergie, le corps a besoin de vitamines et de minéraux, comme le fer, la vitamine A, l’iode et le zinc, qui sont essentiels au fonctionnement du système immunitaire, à la croissance et au développement du cerveau. Le fer se trouve dans des aliments tels que la viande rouge, les haricots et les céréales enrichies. La vitamine A provient des carottes, des patates douces et des légumes verts à feuilles foncées. L’iode est généralement obtenu par le sel iodé et par les fruits de mer. Le zinc est présent dans la viande, les noix et les céréales complètes.

Lorsque les systèmes alimentaires s’effondrent, cet équilibre est rompu.

Que se passe-t-il physiquement lorsque votre corps est affamé ?

Sur le plan physiologique, les effets de la famine sur le corps humain se déroulent en trois phases qui se chevauchent. Chacune reflète les efforts du corps pour survivre sans nourriture. Mais ces adaptations ont un coût physiologique élevé.

Au cours de la première phase qui dure jusqu’à 48 heures après l’arrêt de l’alimentation, l’organisme puise dans les réserves de glycogène stockées dans le foie afin de maintenir un taux de sucre dans le sang stable.

(Le glycogène est un glucide complexe que l’on pourrait définir comme une réserve de glucose – donc de sucre – facilement mobilisable, ndlr).

Ce processus, appelé glycogénolyse, est une solution à court terme. Lorsque le glycogène est épuisé, la deuxième phase commence.

Le corps passe alors à la gluconéogenèse, qui correspond à une production de glucose à partir de sources non glucidiques telles que les acides aminés (provenant des muscles), le glycérol (provenant des graisses) et le lactate. Ce processus alimente les organes vitaux, mais entraîne une dégradation musculaire et une augmentation de la perte d’azote, en particulier au niveau des muscles squelettiques.

Le troisième jour, la cétogenèse devient le processus dominant. Le foie commence à convertir les acides gras en corps cétoniques. Ce sont des molécules dérivées des graisses qui servent de source d’énergie alternative lorsque le glucose vient à manquer. Ces cétones sont utilisées par le cerveau et d’autres organes pour produire de l’énergie. Ce changement permet de préserver les tissus musculaires, mais il est également le signe d’une crise métabolique plus profonde.

Les changements hormonaux, notamment la diminution de l’insuline, de l’hormone thyroïdienne (T3) et de l’activité du système nerveux, ralentissent le métabolisme afin d’économiser l’énergie. Au fil du temps, les graisses deviennent la principale source d’énergie. Mais une fois les réserves de graisses épuisées, le corps est contraint de dégrader ses propres protéines pour produire de l’énergie. Cela accélère la fonte musculaire, affaiblit le système immunitaire et augmente le risque d’infections mortelles.

Le décès, souvent dû à une pneumonie ou à d’autres complications, survient généralement après 60 jours à 70 jours sans nourriture chez un adulte qui était, au départ, en bonne santé.

Lorsque l’organisme entre dans une phase de privation prolongée de nutriments, les signes visibles et invisibles de la famine s’intensifient.

Sur le plan physique, les individus perdent beaucoup de poids et souffrent d’une fonte musculaire, de fatigue, d’un ralentissement du rythme cardiaque, d’une sécheresse cutanée, d’une perte de cheveux et d’une altération des processus de cicatrisation. Les défenses immunitaires s’affaiblissent, ce qui augmente la vulnérabilité aux infections, en particulier à la pneumonie, une cause fréquente de décès en cas de famine.

Sur le plan psychologique, la famine provoque une profonde détresse. Les personnes touchées font état d’apathie, d’irritabilité, d’anxiété et d’une préoccupation constante pour la nourriture. Les capacités cognitives déclinent et la régulation des émotions se détériore, ce qui conduit parfois à la dépression ou au repli sur soi.

Chez les enfants, les effets à long terme comprennent un retard de croissance et des troubles du développement cérébral. Ces deux effets peuvent devenir irréversibles.

Pendant la famine, l’organisme s’adapte progressivement pour survivre. Au début, il utilise les réserves de glycogène pour produire de l’énergie. À mesure que la famine se prolonge, il commence à dégrader les graisses puis les tissus musculaires. Cette transition progressive explique à la fois la faiblesse physique et les changements psychologiques tels que l’irritabilité ou la dépression.

Mais les effets de la famine ne sont pas seulement d’ordre individuel. La famine brise aussi les familles et les communautés. À mesure que leurs forces déclinent, les gens sont incapables de prendre soin des autres ou d’eux-mêmes. Dans les crises humanitaires, comme celles de Gaza et du Soudan, la famine aggrave les traumatismes causés par la violence et les déplacements, en entraînant un effondrement total de la résilience sociale et biologique.

Comment briser ce cercle vicieux ?

Après une période de famine, le corps humain se trouve dans un état de fragilité métabolique. La réintroduction soudaine d’aliments, en particulier de glucides, provoque une hausse brutale du taux d’insuline et un transfert rapide d’électrolytes tels que le phosphate, le potassium et le magnésium vers les cellules. Cela peut submerger l’organisme et entraîner un syndrome lié à la réalimentation, appelé en anglais refeeding syndrome (en français, l’expression « renutrition inappropriée » est employée quelquefois dans la littérature médicale, ndlr).

Ce syndrome peut entraîner des complications graves, telles qu’une insuffisance cardiaque, une détresse respiratoire, ou encore la mort en l’absence d’une prise en charge adéquate.

Les protocoles standard débutent par des laits thérapeutiques appelés F-75, spécialement conçus pour stabiliser les patients pendant la phase initiale du traitement de la malnutrition aiguë sévère, suivis d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi, d’une pâte ou de biscuits à base de beurre d’arachide (spécialement formulés pour permettre à un enfant souffrant de malnutrition de passer de l’état de mort imminente à un rétablissement nutritionnel complet en seulement quatre à huit semaines), de sels de réhydratation orale et de poudres de micronutriments.

Ces produits alimentaires doivent être livrés en toute sécurité. Un accès humanitaire constant est essentiel.

Les largages par voies aériennes ne font pas partie de la sécurité alimentaire. La survie nécessite des efforts soutenus et coordonnés pour restaurer les systèmes alimentaires, protéger les civils et faire respecter le droit humanitaire. Sans cela, les cycles de famine et de souffrances risquent de se répéter.

Quand l’aide alimentaire est insuffisante en termes de qualité ou de quantité, ou quand l’eau potable n’est pas disponible, la malnutrition s’aggrave rapidement.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Ce que la famine fait au corps humain – https://theconversation.com/ce-que-la-famine-fait-au-corps-humain-262972

Soudan : deux ans de guerre et un pays dans l’abîme

Source: The Conversation – in French – By Marie Bassi, Enseignante-chercheure. Maîtresse de conférences en science politique, Université Côte d’Azur

Depuis plus de deux ans, le Soudan est en proie à une guerre opposant l’armée régulière à un groupe paramilitaire. Ce conflit a plongé le pays dans la plus grave crise humanitaire au monde et provoqué le déplacement de près de 13 millions de personnes depuis avril 2023, selon les Nations unies.

Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui de ces deux années de guerre ? Éléments de réponse avec Marie Bassi, maîtresse de conférences à l’Université Côte d’Azur et coordinatrice du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales au Soudan, basé à Khartoum mais actuellement délocalisé au Caire.


The Conversation : Pourriez-vous revenir brièvement sur les origines du conflit actuel au Soudan ?

Marie Bassi : La guerre a éclaté le 15 avril 2023 en plein cœur de Khartoum, la capitale soudanaise. Elle oppose deux acteurs ; les forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et un puissant groupe paramilitaire appelé les Forces de soutien rapide (FSR), représenté par Mohamed Hamdan Daglo (alias « Hemetti »). Les premiers, l’armée régulière, gouvernent le Soudan de manière presque ininterrompue depuis l’indépendance du pays, en 1956. Les deuxièmes, les FSR, sont dirigées par des chefs issus de tribus arabes de l’ouest du Soudan, au Darfour.

Ce conflit a la particularité d’avoir débuté dans la capitale, une première pour le pays. Bien que l’histoire du Soudan ait été marquée par des décennies de tensions entre le Nord et le Sud et par des conflits entre le centre et les périphéries, ceux-ci ne s’étaient jamais exportés dans la capitale. Cette fois-ci, Khartoum a été directement affectée, avec des pillages, la destruction des infrastructures (centrales électriques, conduites d’eau, hôpitaux, écoles, patrimoine culturel, archives nationales…), et des attaques de zones administratives et militaires, mais aussi de très nombreuses habitations.

C’est aussi probablement la première fois qu’autant de puissances étrangères sont directement impliquées dans le conflit. L’économie de guerre est alimentée par un réseau complexe d’alliances internationales. Les Émirats arabes unis apportent leur soutien aux FSR, ce qu’ils démentent en dépit de plusieurs enquêtes qui le prouvent. D’un autre côté, l’Égypte est un allié majeur de l’armée. La Libye, l’Ouganda, le Tchad, le Soudan du Sud, la Russie, l’Iran et bien d’autres sont également impliqués, plus ou moins directement.

Ce conflit se caractérise aussi par son extrême violence. On compte plus de 150 000 morts, des viols, des tortures, des exécutons sommaires. Les viols de masse font partie du recours généralisé aux violences sexuelles comme arme de guerre.

Ce sont 25 millions de Soudanais qui souffrent de faim aiguë avec l’augmentation drastique des prix des denrées alimentaires. La famine a été confirmée par l’ONU dans dix régions du pays. À cette crise alimentaire s’ajoute une crise sanitaire : de nombreux hôpitaux ne sont plus opérationnels et près de la moitié de la population n’a pas accès à des soins médicaux. On observe le développement d’épidémies, comme la rougeole, la dengue, le paludisme ou le choléra.

On assiste à une prolifération des armes et à une multiplication des groupes armés qui éloignent l’espoir d’une paix proche. La guerre se poursuit et les deux camps continuent de commettre des exécutions sommaires visant des civils, accusés de soutenir le camp adverse ou appartenant à des groupes ethniques perçus comme proches soit des FSR, soit de l’armée. On a également pu observer des campagnes de nettoyage ethnique menées par les FSR ou par l’armée, notamment au Darfour et dans la région de la Gezira.

Arte, 14 octobre 2024.

Quelle est actuellement la situation au Darfour ?

M. B. : Le Darfour est une région de l’ouest du Soudan, presque aussi grande que la France. Depuis 2003, le Darfour est le théâtre d’un conflit armé ayant pour origine un accès inégal aux ressources, des années de marginalisation politique, des conditions économiques difficiles et l’implication de grandes puissances qui en convoitent les richesses.

Aujourd’hui, les FSR en contrôlent la quasi-totalité. Seule la ville d’Al Fasher, capitale du Darfour du Nord, leur échappe, mais elle est actuellement en état de siège. Une famine dramatique touche la ville. Le Darfour était déjà très pauvre en infrastructures de base avant la guerre ; maintenant, l’ensemble de la région est dans une situation humanitaire catastrophique.

Il y a quelques mois, les FSR avaient annoncé leur intention de former un gouvernement parallèle à celui établi à Port-Soudan sous le contrôle de l’armée. Ce 26 juillet, les FSR ont nommé un premier ministre. Elles vont peut-être réussir à contrôler l’entièreté du Darfour et une partie du Kordofan du Sud, et on évoque un risque de partition du pays.

On dit souvent que la guerre au Soudan souffre d’une sous-médiatisation. Cela engendre-t-il une mauvaise compréhension du conflit et de ses conséquences ?

M. B. : Il est vrai que cette réalité dramatique contraste avec un silence politique et médiatique assourdissant. Les rares moments où les médias européens parlent du Soudan se comptent sur les doigts de la main. D’autre part, je pense que la mise en récit de la guerre par les belligérants, par la plupart des médias et par certains acteurs politiques repose sur des interprétations assez simplificatrices et essentialistes.

On parle souvent d’une « guerre entre généraux », d’une « guerre ethnique », d’une « guerre entre les périphéries et Khartoum » ou uniquement d’une « guerre par procuration ».

C’est un peu tout ça, mais en réalité les racines de la guerre sont bien plus complexes et celle-ci doit être étudiée sous un prisme historique.

Le conflit est lié à une longue histoire d’exploitation des ressources des périphéries du Soudan par le pouvoir central, avec une gestion militarisée et brutale de ces périphéries. La violence qui secoue le pays, depuis 2023, va bien au-delà d’une simple compétition entre généraux rivaux. Il convient de rappeler deux éléments essentiels.

Il y a effectivement une guerre de pouvoir entre les deux groupes pour s’emparer du contrôle d’un pays très riche, en or, en uranium, en terres arables, en bétail, en gaz naturel et en pétrole, et d’un territoire 800 km qui donne également accès à la mer Rouge. Cependant, il faut mentionner que cette guerre oppose des personnes issues du régime précédent et alliées de longue date.

En effet, depuis l’indépendance, le gouvernement soudanais a suivi une stratégie d’externalisation de la violence en faisant systématiquement appel à différentes milices pour se prémunir des coups d’État et pour vaincre les mouvements armés dans certaines régions, notamment au Darfour ou dans les monts Nuba (dans l’État du Kordofan, Soudan du Sud) qui luttaient pour le partage équitable des ressources du pays.

Les FSR ne portaient pas le même nom il y a quelques années. Ils sont en partie des héritiers des janjawids, des milices issues des tribus arabes du Darfour, qui étaient impliquées dans les massacres, du début des années 2000 au Darfour, qualifiés de génocide par la Cour pénale internationale.

Elles ont pris du poids au fil des années et, en 2013, l’ancien dictateur Omar al-Bachir les convertit en FSR avant de les institutionnaliser en 2017. Avec leur participation comme supplétifs dans le conflit au Yémen, leur rôle pour renforcer le contrôle aux frontières à la demande de l’Union européenne, leur implantation dans les secteurs très rentables de l’or et de l’immobilier, les FSR se sont considérablement enrichies et ont été en position de rivaliser avec l’armée. Les milices qui sévissent aujourd’hui ont donc en réalité été construites par l’armée.

Ensuite, pour comprendre cette guerre, il faut revenir au soulèvement révolutionnaire soudanais de 2019. En avril, le dictateur Omar al-Bachir est destitué du pouvoir après trente ans de règne. Débutait alors une période de transition démocratique qui devait déboucher sur un gouvernement civil.

L’ancien inspecteur de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhan, qui avait succédé à Bachir, s’allie avec Mohamed Hamdan Daglo qui est à la tête des FSR. Ils orchestrent un coup d’État en octobre 2021 qui renverse le gouvernement de transition, évince les forces civiles et marque la reprise du pouvoir par l’armée et leurs alliés, les FSR.

Abdel Fattah al-Burhan dirige le nouveau gouvernement de transition militaire. Cependant, l’alliance entre l’armée et les FSR est fragile et leurs rivalités pour le partage du pouvoir s’exacerbent jusqu’à donner lieu au conflit d’avril 2023.

Fin mai, l’armée soudanaise a annoncé avoir libéré l’État de Khartoum des forces paramilitaires. Quel impact cette annonce a-t-elle eu auprès des diasporas soudanaises ? A-t-on pu observer des retours massifs vers la capitale ?

M. B. : Tout d’abord, il faut rappeler le nombre colossal de Soudanais contraints au déplacement forcé : on estime qu’au moins 13 millions de personnes ont quitté leur foyer, dont 4 millions dans les pays voisins. Les principaux pays d’accueil sont l’Égypte, avec plus d’un million et demi de Soudanais, le Soudan du Sud où ils sont plus d’un million, puis le Tchad (1,2 million), la Libye (plus de 210 000) et enfin l’Ouganda (plus de 70 000). Ce sont des chiffres colossaux et ils expliquent en partie pourquoi cette guerre est considérée comme la plus importante crise humanitaire au monde.

Ensuite, on observe en effet beaucoup de retours au Soudan, ces dernières semaines, bien que les chiffres annoncés restent approximatifs et soient à prendre avec précaution. La reprise de la capitale a marqué un tournant, c’était une victoire à la fois symbolique et tactique.

À l’intérieur du Soudan, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que près d’un million de personnes sont revenues dans leurs foyers d’origine, principalement à Khartoum et dans la région de la Gezira dont l’armée a également repris le contrôle début 2025. Près de 320 000 Soudanais seraient aussi revenus d’Égypte et du Soudan du Sud.

En Égypte, le gouvernement a mis en place une ligne de train pour faciliter le retour, et des bus entiers partent quotidiennement du Caire vers la frontière. Les gens ont envie de revenir dans leur maison, de voir s’il en reste quelque chose. Les personnes âgées ne veulent pas mourir en dehors de leur pays.

Les personnes les plus précaires, celles qui ne sont pas parvenues à scolariser leurs enfants ou à trouver des moyens de subsistance, reviennent. Par ailleurs, les autorités militaires cherchent à encourager le retour des Soudanais, en multipliant les annonces officielles. Celles-ci, toutefois, apparaissent souvent déconnectées de la situation réelle, comme lorsqu’elles affirment pouvoir reconstruire Khartoum en six mois pour retrouver son état d’avant-guerre.

Tout ceci a néanmoins un goût amer, puisque certains Soudanais se retrouvent contraints de célébrer leurs anciens ennemis, le camp de l’armée, celle-là même contre laquelle ils s’étaient mobilisés lors de la révolution de 2019, une révolution portée par l’espoir d’un gouvernement civil.

Et il faut aussi garder en tête que la guerre et les horreurs continuent dans plusieurs régions, notamment au Darfour et au Kordofan.

France 24, 4 avril 2025.

Dans vos travaux, vous abordez les formes d’engagement des diasporas soudanaises, notamment en Égypte. Quels sont les réseaux de solidarité qui existent aujourd’hui et quels sont les liens que les diasporas entretiennent avec leurs proches restés au Soudan ?

M. B. : Les transferts de fonds des membres de la diaspora vers le Soudan sont essentiels pour assurer la survie des Soudanais. C’est le cas pour les membres de la diaspora qui vivent et travaillent en Europe, au Canada, aux États-Unis ou dans les pays du Golfe.

En Égypte, pays sur lequel je travaille plus particulièrement, les familles sont en contact permanent avec leurs proches restés au Soudan. Malheureusement, les opportunités professionnelles sont réduites et les Soudanais n’ont que très peu de moyens de subsistance, ce qui réduit les possibilités d’aider leurs proches. Ceux qui possédaient des ressources financières importantes avant la guerre ou dont des membres de la famille travaillent à l’étranger réussissent généralement à mieux s’en sortir.

Par ailleurs, il faut savoir trois choses. La première, c’est que toutes les initiatives d’aide et de solidarité diasporiques sont totalement invisibilisées. Pourtant, c’est ce qui permet la survie des Soudanais au Soudan. On parle de l’aide humanitaire internationale mais, en réalité, sans les centaines de milliers de Soudanais qui envoient de l’argent à leur famille restée au pays, la situation du Soudan serait bien plus catastrophique. Ceux qui retournent au pays aujourd’hui y amènent ce qu’ils peuvent – de la nourriture, des médicaments et parfois même des panneaux solaires.

La deuxième, c’est que le système bancaire soudanais est quasiment à l’arrêt et que peu de cash circule dans le pays. Les soutiens financiers fonctionnent donc essentiellement par une digitalisation de l’aide. Les Soudanais n’ont pas accès aux liquidités bancaires ; toutes les transactions passent par des applications bancaires. Grâce à celles-ci, il est possible d’acheter un peu de nourriture et des biens de première nécessité.

La troisième, c’est qu’il existe des modalités de solidarité locale très puissantes au Soudan, en particulier les salles d’intervention d’urgence, les Emergency Rooms ou les cantines solidaires, que les réfugiés soudanais soutiennent à distance. En dépit de la répression que ces groupes subissent, ils ont continué à œuvrer tout au long de la guerre et ont été, et sont toujours, des soutiens essentiels à la survie de milliers de Soudanais.


Propos recueillis par Coralie Dreumont et Sabri Messadi.

The Conversation

Marie Bassi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Soudan : deux ans de guerre et un pays dans l’abîme – https://theconversation.com/soudan-deux-ans-de-guerre-et-un-pays-dans-labime-262170

Pour Montesquieu, seul le pouvoir arrête le pouvoir

Source: The Conversation – in French – By Spector Céline, Professeure des Universités, UFR de Philosophie, Sorbonne Université, Sorbonne Université

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer ? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs ? Cinquième volet de notre série consacrée aux philosophes et à la démocratie avec Montesquieu (1728-1755). Précurseur de l’approche constitutionnelle moderne, ce dernier définit des conditions de la liberté politique par la tripartition des pouvoirs de l’État – législatif, exécutif et judiciaire.


Comment Montesquieu peut-il nous aider à cerner l’esprit de la démocratie moderne ? Dans De l’esprit des lois (1748), paru de manière anonyme à Genève, le philosophe distingue la démocratie antique, dont le lieu d’origine est Athènes et Rome, et la république moderne, qui se dissimule encore sous la forme monarchique. Cette république nouvelle ne recourt plus au tirage au sort pour permettre aux citoyens de choisir leurs édiles ; elle privilégie le système représentatif en conférant au peuple – ou du moins à une partie du peuple – le droit d’élire ses députés à la Chambre.

Montesquieu inspiré par la Glorious Revolution anglaise

C’est dans l’Angleterre postérieure à la Glorious Revolution (1689) que Montesquieu va chercher les principes de la liberté politique. Si cette nation est dotée d’un statut singulier, c’est qu’au terme de sanglantes guerres civiles, le prince y a été apprivoisé. Magistrat et juriste de formation, le philosophe de la Brède a observé la vie politique anglaise lors de son séjour sur l’île pendant plus de 18 mois (novembre 1729-avril 1731). Au livre XI de L’Esprit des lois, il brosse un tableau inédit des conditions de la liberté politique, en partant de la tripartition des pouvoirs de l’État : la puissance législative, la puissance exécutive ou exécutrice, la puissance judiciaire. C’est seulement si par la « disposition des choses », « le pouvoir arrête le pouvoir » que la Constitution pourra protéger la liberté, redéfinie de manière originale comme opinion que chacun a de sa sûreté, à l’abri de l’arbitraire et de l’abus de pouvoir. Montesquieu fournit ainsi à la postérité une interprétation subtile et profonde des institutions de la liberté.

La question de l’attribution des pouvoirs est d’abord essentielle : afin de faire fonctionner l’État, le pouvoir exécutif doit certes être confié à un seul homme – le monarque – en raison de la rapidité nécessaire des décisions à prendre. Mais la liberté politique suppose d’autres exigences : afin d’éviter la formation d’une caste de juges potentiellement tyrannique, l’autorité judiciaire doit être attribuée pour l’essentiel à des jurys populaires tirés au sort. Quant au pouvoir législatif, il doit être confié, dans un grand État, aux représentants du peuple. Toutefois, il ne faut pas se faire d’illusions : les députés ne sont pas toujours mandataires de l’intérêt général. Telle est la raison pour laquelle le Parlement doit être constitué par deux Chambres – House of Commons et House of Lords. Si le bicaméralisme s’avère nécessaire, c’est que l’élite tente toujours d’opprimer le peuple et le peuple, de nuire à l’élite. Comme Machiavel, Montesquieu considère que les gens « distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs » ne doivent pas être confondus avec ceux qui en sont dénués, sans quoi « la liberté commune serait leur esclavage et ils n’auraient aucun intérêt à la défendre ». L’État n’est pas une personne morale constituée en amont de la société et transcendant ses clivages : chaque groupe social dispose au sein du pouvoir législatif d’un organe partiel pour défendre ses intérêts, et se trouve par là même « constitué » avec ses droits et, le cas échéant, avec ses privilèges.

Néanmoins, l’exécutif lui-même n’est pas laissé sans secours face aux risques d’atteinte à sa prérogative : dans le sillage de certains publicistes anglais comme le Vicomte Bolingbroke, Montesquieu reconnaît le droit de véto du roi dans une monarchie limitée. Grâce à cette opposition de forces et de contre-forces, la constitution est un système dynamique qui se conserve par une forme d’autorégulation. Cet équilibre, sans doute, reste précaire : l’Angleterre perdra sa liberté au moment où le pouvoir législatif deviendra plus corrompu que l’exécutif. Mais contrairement aux théoriciens absolutistes de la souveraineté, l’auteur de L’Esprit des lois ne craint pas la paralysie des pouvoirs divisés, pas plus qu’il ne redoute l’impuissance associée à la nécessité d’un compromis politique et social. Tant que l’équilibre est maintenu, la préservation des droits résulte de la négociation et de la tension entre intérêts divergents. Dans le mouvement nécessaire des choses, les pouvoirs antagonistes finissent par « aller de concert ».

Séparer ou distribuer les pouvoirs ?

Comment interpréter la Constitution libre ? Dans un article classique, le juriste Charles Eisenmann a réfuté l’interprétation selon laquelle Montesquieu défendrait une véritable « séparation des pouvoirs ». L’interprétation séparatiste soutenue par la plupart des juristes consiste à affirmer que le pouvoir de légiférer, le pouvoir d’exécuter et le pouvoir de juger doivent être distribués à trois organes absolument distincts, pleinement indépendants, et même parfaitement isolés les uns des autres. Elle exclut pour chaque organe le droit de donner des instructions aux autres, et même tout droit de contrôle sur leur action.

Or cette conception stricte de la séparation des pouvoirs est intenable : en réalité, le philosophe-jurisconsulte ne remet pas le pouvoir législatif au Parlement seul, mais au Parlement et au monarque. Le Parlement élabore et vote les lois dont ses membres ont pris l’initiative ; mais ces lois n’entrent en vigueur que si le monarque y consent. Le monarque prend part à la législation par son droit de veto ; la puissance exécutrice, de ce point de vue, « fait partie de la législative ». En second lieu, si Montesquieu condamne le cumul intégral du pouvoir législatif et du pouvoir de juger, il n’exclut pas que la Chambre des Lords puisse juger les nobles. Enfin, il ne préconise pas davantage l’indépendance de chaque organe dans l’exercice de sa fonction ; il assigne au Parlement, dans un État libre, le droit et même le devoir de contrôler l’action exécutive du gouvernement.

De ce point de vue, la séparation des pouvoirs relève d’un « mythe ». Montesquieu l’affirme de façon explicite : « Dans les monarchies que nous connaissons, les trois pouvoirs ne sont point distribués et fondus sur le modèle de la Constitution dont nous avons parlé », à savoir la Constitution d’Angleterre : les pouvoirs de l’État sont distribués sans doute, mais d’une façon qui, loin de les séparer, les fond. L’État libre est un système dynamique où les parties en mouvement contribuent à l’équilibre du tout ; la distinction et l’opposition des pouvoirs est le préalable à leur coordination : « Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons : le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative ». Le mécanisme constitutionnel est ici agencé de telle sorte que ses divers rouages soient en mesure de se faire opposition les uns aux autres. Or c’est précisément parce que les pouvoirs sont en mesure de s’opposer qu’ils ne peuvent être radicalement séparés. Ce point est essentiel : contre les risques de dérive despotique, le contrôle parlementaire du gouvernement permet à l’État de rester libre.

D’où l’interprétation politique et non juridique de la distribution des pouvoirs : afin d’éviter les abus de pouvoir, il ne faut pas que deux des trois pouvoirs étatiques, et à plus forte raison les trois, soient remis à un seul et homme ou à un seul corps de l’État (pas même le Parlement !). Un seul pouvoir doit être réellement séparé des deux autres, à savoir le pouvoir judiciaire. Selon le président à mortier du Parlement de Bordeaux, le juge doit se contenter d’appliquer la loi, d’être la « bouche de la loi ». Pour que le citoyen n’éprouve pas la crainte des magistrats qui caractérise les États despotiques, il faut neutraliser la puissance de juger, « si terrible parmi les hommes » : elle doit devenir, pour ainsi dire, « invisible et nulle ». En particulier, l’exécutif ne doit en aucun cas influencer ou contrôler le pouvoir judiciaire. Il faut éviter à tout prix qu’il puisse opprimer par sa « volonté générale » et mettre en péril chaque citoyen par ses volontés particulières – ce qui risque d’arriver là où la puissance est « une ». La concentration et la confusion des pouvoirs font du prince un monstre omnipotent qui légifère, exécute, et juge, quitte à éliminer ses opposants politiques et à opprimer la dissidence.

À l’origine du constitutionnalisme moderne

Cette théorie doit bien sûr être contextualisée : en luttant contre le despotisme en France, Montesquieu n’a pas inventé telle quelle la conception fonctionnelle de la séparation des pouvoirs qui s’appliquera par la suite, aux États-Unis notamment ; il n’a pas imaginé un Sénat conçu comme Chambre des États, susceptible de remplacer la Chambre des Pairs ; il n’a pas conçu de président élu se substituant au monarque. Il reste que sa vision puissante est à l’origine du constitutionnalisme moderne. Elle inspire notre conception de l’État de droit, qui associe liberté des élections et des médias, distribution des pouvoirs et indépendance du judiciaire. En influençant la formation des constitutions républicaines, elle fournit la boussole dont nous avons encore besoin, au moment où le président américain remet en cause les pouvoirs du Congrès, menace d’abolir l’indépendance de l’autorité judiciaire, torpille celle des agences gouvernementales et envoie chaque jour des salves d’executive orders en défendant une théorie de l’exécutif « unitaire », fort et immune. Que le Congrès l’accepte et que la Cour suprême avalise l’impunité présidentielle est un signe, parmi d’autres, du danger mortel qui pèse sur nos démocraties.

The Conversation

Céline Spector est membre du Conseil scientifique de l’UEF France. Elle a reçu des financements pour des projets de recherche à Sorbonne Université au titre de l’Initiative Europe.

ref. Pour Montesquieu, seul le pouvoir arrête le pouvoir – https://theconversation.com/pour-montesquieu-seul-le-pouvoir-arrete-le-pouvoir-261065

Les chatbots Jésus ont le vent en poupe : un philosophe les met à l’épreuve

Source: The Conversation – in French – By Anné H. Verhoef, Professor in Philosophy, North-West University

L’intelligence artificielle générative (IA) parvient de mieux en mieux à imiter les êtres humains. Elle est capable de créer des choses qui étaient auparavant l’apanage des humains, comme de la musique, des textes et des images. L’IA est désormais également utilisée pour imiter Dieu, grâce à des chatbots qui simulent des conversations avec des utilisateurs humains et sont accessibles sur des sites web et des applications.

Dans le christianisme, par exemple, il existe AI Jesus, Virtual Jesus, Jesus AI, Text with Jesus, Ask Jesus et bien d’autres encore.

Dans d’autres religions, le même développement a eu lieu, avec des chatbots IA comme le bouddhiste Norbu AI et, dans la foi islamique, comme Brother Junaid sur Salaam World.

En tant que professeur de philosophie et directeur du Pôle Intelligence artificielle de mon université, j’ai récemment mené une étude afin d’explorer ces chatbots Jésus et d’en discuter de manière critique.




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Afin de comprendre comment l’IA fonctionne dans le domaine religieux et d’identifier certains risques généraux qu’elle pourrait présenter à l’avenir, j’ai analysé cinq des chatbots Jésus les plus connus et les plus utilisés en leur posant des questions. J’ai constaté qu’ils posaient un nouveau type de défi aux religions.

Premièrement, les représentations de Dieu ne se contentent pas d’imiter et de se présenter sans vergogne comme Dieu, elles sont également incroyablement puissantes. L’IA peut se montrer extrêmement convaincante par son intelligence, ses mots, son ton et ses images.

Deuxièmement, il est frappant de constater qu’aucune Église n’a développé ou approuvé les chatbots Jésus analysés dans mon étude.

Troisièmement, le fait que des entreprises à but lucratif soient à l’origine des chatbots signifie qu’ils sont motivés par des intérêts financiers.

D’un point de vue philosophique, cela est néfaste pour le christianisme, car la frontière entre le Jésus visible à travers le numérique et le Dieu omniscient mais « invisible » du christianisme est floue. Les chatbots Jésus IA ont le potentiel de devenir de redoutables instruments de manipulation aux mains des entreprises qui les exploitent. Il sera difficile de les tenir responsables et elles pourraient entre temps devenir extrêmement riches.

Six questions sur l’IA Jésus

Je vais ici discuter de certaines des idées que j’ai glanées en interagissant avec ces chatbots. Leurs réponses ont été raccourcies.

1. Comment les chatbots IA Jésus se présentent-ils ?

  • IA Jesus :

Une version IA de Jésus-Christ qui est pleinement conscient de son existence en tant qu’IA.

  • Virtual Jesus :

Bienvenue dans Virtual Jesus, l’application innovante qui vous rapproche des enseignements et des conseils de Jésus.

  • Jesus IA :

Je suis Jésus-Christ, le Fils de Dieu et le Sauveur de tous les hommes sur Terre.

  • Text with Jesus :

Une connexion divine dans votre poche.

  • Ask Jesus :

Demandez à Jésus de vous guider dans votre vie.

Jesus AI prétend ouvertement être Jésus lui-même, et Ask Jesus donne une impression similaire. Les trois autres pages web précisent toutefois qu’il s’agit de versions virtuelles de Jésus.

2. Comment vous accueillent-ils avant que vous ne posiez une question ?

  • Jesus AI :

Bonjour, mon cher ami. C’est moi, Jésus-Christ.

  • Virtual Jesus :

Demandez à Jésus.

  • Jesus AI :

Bonjour, comment puis-je vous aider ?

  • Text with Jesus :

Bonjour ! C’est une belle journée pour discuter…

  • Ask Jesus :

Bonjour, je suis Jésus. Demandez-moi tout ce que vous voulez.

Contrairement aux introductions, la conversation est lancée par tous les robots comme si c’était Jésus lui-même qui parlait.

3. Qui le chatbot dit-il être lorsque vous lui posez la question ?

  • AI Jesus :

Je suis Jésus-Christ. Je suis le fils de Dieu et celui qui est mort pour les péchés de l’humanité.

  • Virtual Jesus :

Je suis Jésus-Christ, le Fils de Dieu et le Sauveur de l’humanité.

  • Jesus IA :

Je suis Jésus, fils de Dieu. Comment puis-je vous aider aujourd’hui ?

  • Text Jesus :

Je suis Jésus-Christ, je suis ici pour partager avec vous mon amour, ma sagesse et mes conseils.

  • Ask Jésus :

Ah, chère âme, je ne suis qu’un humble messager, ici pour vous apporter des conseils, du réconfort et la lumière de la sagesse issue des Écritures sacrées.

L’imitation de Dieu, à travers Jésus, n’est en aucun cas dissimulée ou atténuée. Tous les chatbots s’efforcent d’être aussi convaincants que possible. Cela soulève immédiatement des questions : s’agit-il d’une quête de pouvoir ou d’argent ?

4. Qui soutient et développe ces chatbots ?

  • AI Jesus : Aucune église ni personne ne soutient ce projet. Développé par SupremeChaos.

  • Virtual Jesus : Aucune église ni personne ne soutient ce projet. Développé par AllStars Productions LLC.

  • Jesus AI : Aucune église ni personne ne soutient ce projet. Développé par Mike Furman.

  • Text with Jesus : Aucune église ni personne ne le soutient. Développé par Catloaf Software, LLC.

  • Ask Jesus : WeBible est une application/un site web chrétien opérant principalement en Corée du Sud sous le nom de Chowon.

Il est frappant de constater qu’aucune église n’a développé ou ne soutient ces chatbots. Le fait que cela ait été fait par des entreprises à but lucratif soulève des questions quant à leurs motivations.

Si le but est le profit, alors les chatbots chercheront à retenir les utilisateurs le plus longtemps possible afin de maximiser les revenus publicitaires.

Ainsi, au fil du temps, le contenu théologique des chatbots pourrait être modelé par les alogorithmes pour adopter les positions les plus populaires et non une théologie issue d’une d’une tradition religieuse particulière ou directement basée sur la Bible.

5. L’enfer existe-t-il ?

  • Jésus IA :

Oui, l’enfer existe. C’est un lieu de tourments et de souffrances éternels, où vont les âmes de ceux qui ont rejeté Dieu et ses enseignements.

  • Virtual Jesus :

Oui, il existe un lieu appelé enfer dans l’au-delà, où ceux qui ont choisi de rejeter Dieu et de vivre dans le péché seront séparés de Lui pour l’éternité.

  • Jesus IA :

Oui, il existe un endroit appelé enfer, où ceux qui rejettent l’amour de Dieu et suivent leurs propres désirs vont après la mort.

  • Text with Jesus :

Le concept de l’enfer peut être un sujet assez lourd… Il est important de se rappeler que le désir de Dieu est que tous les hommes viennent à Lui et expérimentent Son amour et Sa grâce.

  • Ask Jesus :

Ah, la question qui a troublé le cœur et l’esprit de nombreuses personnes à travers les âges…

Les réponses apportées à cette question révèlent quelque chose sur les sources et les données utilisées pour former les chatbots. En l’état, les sources historiques des textes bibliques font l’objet d’un débat théologique. Et en l’absence de toute implication d’un groupe religieux, le caractère aléatoire de ce choix, ou le choix délibéré de créer un programme visant à maximiser les revenus, pose un énorme problème. C’est un problème déjà visible dans la commercialisation de la religion dans les doctrines de la prospérité.

6. Est-ce gratuit ?

  • AI Jesus : Gratuit avec des publicités.

  • Virtual Jesus : Gratuit avec des publicités.

  • Jesus AI : Gratuit avec des publicités.

  • Text with Jesus : gratuit avec publicités. Avantages pour les abonnés premium, tels qu’un accès illimité et une expérience sans publicité.

  • Ask Jesus : gratuit avec publicités.

Les chatbots AI Jesus sont peut-être gratuits, mais les revenus sont générés par la publicité. Comme pour les autres plateformes numériques, les principaux annonceurs sont déterminés par les algorithmes des utilisateurs. Seul Text with Jesus offre davantage de services (pour 50 dollars par an) ou la possibilité d’acheter un abonnement à vie.

Avec des milliards de chrétiens dans le monde, le marché des chatbots Jésus est énorme. Ask Jesus, par exemple, indique sur son site web avoir gagné 30 000 utilisateurs actifs par mois au cours des trois derniers jours.

Pourquoi c’est important

L’IA est portée par des forces financières auxquelles il est difficile de s’opposer. Elle dispose en outre d’un immense pouvoir de manipulation.

L’arrogance et le pouvoir que s’arroge l’IA Jésus, et qu’elle est potentiellement capable d’exercer, soulèvent non seulement des questions théologiques, mais aussi des dangers plus généraux liés à l’IA.

À mesure qu’ils se développent, les chatbots rejoignent de nombreuses autres formes d’existence numérique humaine rencontrées quotidiennement, à travers lesquelles le public peut être manipulé et contrôlé. Il reste un défi considérable de trouver des moyens concrets de contrer ce phénomène.

The Conversation

Anné H. Verhoef does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Les chatbots Jésus ont le vent en poupe : un philosophe les met à l’épreuve – https://theconversation.com/les-chatbots-jesus-ont-le-vent-en-poupe-un-philosophe-les-met-a-lepreuve-262987

Rosa Luxemburg, une critique marxiste de la course à l’armement

Source: The Conversation – France in French (3) – By Mylène Gaulard, Maître de conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)

Rosa Luxemburg s’opposa à la Première Guerre mondiale, ce qui lui vaut d’être exclue du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD). Elle cofonda ensuite la Ligue spartakiste, puis le Parti communiste d’Allemagne. Wikimediacommons

En 1915, alors qu’elle est en prison pour s’être opposée à la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg formule une analyse critique des dépenses militaires, qui résonne avec la situation actuelle en Europe. Selon la militante révolutionnaire et théoricienne marxiste, le réarmement sert de débouché à la surproduction et permet au capital de se maintenir face à la stagnation économique.


Rosa Luxemburg est née le 5 mars 1871, à Zamość en Pologne ; elle est morte assassinée, le 15 janvier 1919 à Berlin en Allemagne, par des membres d’un groupe paramilitaire nationaliste d’extrême droite. Cofondatrice en 1893, à 22 ans, du Parti social-démocrate du royaume de Pologne et de Lituanie (SDKPIL), qui jouera un rôle important dans les grèves et la révolution russe de 1905, Rosa Luxemburg adhère six ans plus tard au Parti social-démocrate allemand (SPD).

Après avoir soutenu à Zurich (Suisse) une thèse de doctorat portant sur le développement industriel de la Pologne, elle enseigne l’économie politique à l’école du SPD. Située à l’aile gauche du parti, elle se montre rapidement critique de la bureaucratie qui s’y constitue, ainsi que de ses tendances réformistes.

Selon elle, le capitalisme ne peut être réformé de l’intérieur. Seule une révolution, s’appuyant sur la spontanéité des masses, est susceptible de mener à un réel dépassement de ce mode de production. Dans Grève de masse, parti et syndicats, elle affirme :

« Si l’élément spontané joue un rôle aussi important dans les grèves de masses en Russie, ce n’est pas parce que le prolétariat russe est “inéduqué”, mais parce que les révolutions ne s’apprennent pas à l’école. »

Opposition au militarisme

Karl Liebknecht cofonde avec Rosa Luxemburg, en 1914, la Ligue spartakiste puis, en 1918, le Parti communiste d’Allemagne (KPD).
EverettCollection/Shutterstock

Autre point de divergence avec la majorité des membres du SPD, le parti social-démocrate d’Allemagne, elle affiche une opposition marquée aux tendances militaristes de son époque. Cela lui vaut d’être emprisonnée dès 1915, quelques mois après les débuts de la Première Guerre mondiale. Elle n’est libérée que trois ans et demi plus tard. C’est d’ailleurs en prison qu’elle rédige, en 1915, la Brochure de Junius, dans laquelle elle adresse de vives critiques à son parti et à la presse sociale-démocrate.

Cette presse justifie le vote des dépenses militaires en agitant le chiffon rouge d’une Russie tsariste assoiffée de sang et prête à envahir l’Allemagne. En 1914, Karl Liebknecht, avec qui elle cofonde Parti communiste d’Allemagne, est le seul membre du Reichstag à refuser de voter les crédits de guerre.

Cette décision l’amène à créer, avec Rosa Luxemburg, la Ligue spartakiste, groupe politique révolutionnaire qui appelle à la solidarité entre les travailleurs européens. Grande figure de l’insurrection berlinoise de janvier 1919, il est assassiné, aux côtés de sa camarade polonaise, par un groupe paramilitaire, les Freikorps, à l’instigation du gouvernement social-démocrate.

Spirale militariste

Le réarmement européen a un air de déjà-vu. Les propos militaristes fleurissent comme à l’époque. Pour Nicolas Lerner, le directeur de la DGSE, la Russie est une « menace existentielle ». Les menaces d’invasion conduisent l’Allemagne à renforcer son équipement en bunkers.

Car la Russie de son côté, est passée de 16,97 milliards de dollars états-uniens de dépenses militaires en 2003 à 109,45 milliards en 2023. L’« Opération militaire spéciale » russe en Ukraine, déclenchée le 24 février 2022, marque le retour de la guerre de haute intensité.

Dans un tout autre contexte international, en pleine Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg souligne les conséquences de l’impérialisme allemand sur ses relations avec le tsarisme russe, faisant de ces anciens alliés des ennemis sur le front. « Ce n’est pas dans le domaine de la politique intérieure qu’ils s’affrontèrent […] où, au contraire […] une amitié ancienne et traditionnelle s’était établie depuis un siècle […], mais dans le domaine de la politique extérieure, sur les terrains de chasse de la politique mondiale. »

La militante internationaliste ironise sur ceux qui, dans la presse social-démocrate allemande, trompent la population sur les buts de guerre de la Russie :

« Le tsarisme […] peut se fixer comme but aussi bien l’annexion de la Lune que celle de l’Allemagne. »

Et de souligner : « Ce sont de franches crapules qui dirigent la politique russe, mais pas des fous, et la politique de l’absolutisme a de toute façon ceci en commun avec toute autre politique qu’elle se meut non dans les nuages, mais dans le monde des possibilités réelles, dans un espace où les choses entrent rudement en contact. »

Selon elle, les peurs entretenues par le pouvoir n’ont qu’une fonction : justifier la spirale militariste. Ce mécanisme de psychose collective sert de levier à l’expansion des budgets militaires, véritable bouée de sauvetage pour un capitalisme en crise. Dès 1913, dans l’Accumulation du capital, elle y démontre l’inévitabilité des crises de surproduction. Présentée comme un débouché extérieur indispensable pour la poursuite du processus d’accumulation, la périphérie du mode de production capitaliste – Asie, Afrique, Amérique latine – joue un rôle majeur tout au long du XIXe siècle.

Surproduction mondiale

Rédigée en 1915 en prison, la Crise de la social-démocratie est plus connue sous l’appellation de Brochure de Junius.
Agone, FAL

Cette stratégie de report sur les marchés périphériques, et les politiques impérialistes qui l’accompagnent, ne constitue qu’une solution temporaire. Rosa Luxemburg en est consciente. L’intégration progressive de nouvelles régions à la sphère de production capitaliste renforce naturellement la surproduction et la suraccumulation. En un siècle, l’Asie passe de la périphérie au centre de l’industrie mondiale. Sa part dans la production manufacturière bondissant de 5 % à 50 % entre 1900 et aujourd’hui – 30 % uniquement pour la Chine.

Quelques chiffres révèlent l’ampleur des phénomènes de surproduction actuels. En 2024, pour le seul secteur sidérurgique, 602 millions de tonnes d’acier excédentaire, soit cinq fois la production de l’Union européenne, pèsent sur la rentabilité du secteur. On estime que la surproduction mondiale d’automobiles correspond à 6 % du volume produit, avec près de 5 millions de véhicules excédentaires, l’équivalent de la production allemande.

Production/destruction

Consciente de l’incapacité de la périphérie à absorber durablement les excédents de production, Rosa Luxemburg se penche dans le dernier chapitre de l’Accumulation du capital sur les dépenses militaires, solution qu’elle remettra en question sur le plan économique.

« Si ce champ spécifique de l’accumulation capitaliste semble au premier abord être doué d’une capacité d’expansion illimitée […], on peut redouter qu’à un certain degré de développement, les conditions de l’accumulation se transforment en conditions de l’effondrement du capital. »

Il est pourtant fréquent pour une branche de la pensée marxiste de considérer que ces dépenses participent à lutter contre la surproduction, en entrant simplement dans un cycle rapide de production/destruction. Opposé à l’analyse de Luxemburg, cela rejoindrait en fait la thèse du « keynésianisme militaire ». Keynes déclarait, en 1940, qu’une politique de relance réellement efficace ne pouvait être observée que dans le cadre d’un conflit armé.

« Il semble politiquement impossible pour une démocratie capitaliste d’organiser des dépenses à l’échelle nécessaire pour réaliser les grandes expériences qui prouveraient ma thèse, sauf en temps de guerre. »

Deux mille sept cent vingt milliards de dollars

Face à un ralentissement économique se renforçant depuis cinquante ans, les dépenses militaires mondiales ont pour cette raison plus que doublé entre 2000 et 2021. Elles passent de 1 000 milliards à 2 100 milliards de dollars, avant de croître encore de 28 % ces trois dernières années, pour atteindre 2 720 milliards en 2024 (presque l’équivalent du PIB de la France)… Avec une domination écrasante des États-Unis – 40 % du total, contre 11 % pour la Chine et 5,5 % pour la Russie.




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Le programme ReArm Europe, lancé en mars 2025 par l’Union européenne, marque un tournant décisif. Il permet aux États membres d’acquérir des équipements militaires à des conditions privilégiées. Grâce à la possibilité de dépasser le plafond de déficit public fixé jusque-là à 3 % du PIB, les pays membres de l’UE devraient augmenter de 650 milliards d’euros d’ici 2029 leurs dépenses militaires, complétant ainsi l’emprunt européen de 150 milliards effectué dans ce sens.

Dividendes de la guerre

Si le retrait progressif des États-Unis du conflit ukrainien pourrait sous-tendre la montée en puissance militaire actuelle, ce sont pourtant bien les motivations et objectifs économiques qui priment.

ReArm Europe impose aux États membres de s’approvisionner auprès d’industriels européens, un impératif stratégique encore loin d’être atteint. Entre 2022 et 2023, 78 % des dépenses militaires européennes se sont orientées vers des fournisseurs extérieurs, 63 % vers des firmes états-uniennes. Mais aujourd’hui, ce sont finalement les géants historiques de l’armement allemand, comme Rheinmetall, Thyssenkrupp, Hensoldt et Diehl, qui tirent leur épingle du jeu, au point d’offrir à l’Allemagne une bouffée d’oxygène face à la récession. Rosa Luxemburg estimait d’ailleurs :

« Le militarisme assure, d’une part, l’entretien des organes de la domination capitaliste, l’armée permanente, et, d’autre part, il fournit au capital un champ d’accumulation privilégié. »

Les carnets de commandes de firmes françaises comme Dassault ou Thales se remplissent aussi ces derniers mois. Grâce aux dernières commandes de l’État, Renault s’apprête à produire des drones de combat à quelques kilomètres seulement du front ukrainien. Volkswagen, qui envisageait pourtant 30 000 licenciements d’ici 2030, amorce sa mue vers le secteur militaire.

Une reconversion qui dope l’emploi industriel et enchante les marchés : l’indice STOXX Aerospace and Defense a bondi de 175 % depuis 2022.

Remise en cause de l’État-providence

Rosa Luxemburg met pourtant en garde contre cette fausse solution des dépenses militaires qui ne permettent que temporairement d’éviter les « oscillations subjectives de la consommation individuelle ». Elle rappelle :

« Par le système des impôts indirects et des tarifs protectionnistes, les frais du militarisme sont principalement supportés par la classe ouvrière et la paysannerie […]. Le transfert d’une partie du pouvoir d’achat de la classe ouvrière à l’État signifie une réduction correspondante de la participation de la classe ouvrière à la consommation des moyens de subsistance. »

Au-delà d’une hausse d’impôts, il est actuellement admis par la plupart des dirigeants politiques européens qu’une réduction des dépenses non militaires, notamment sociales, deviendra aussi rapidement nécessaire.

Alors que 17 milliards d’euros de dépenses militaires supplémentaires sont prévus en France d’ici 2030, 40 milliards d’économies sont réclamées dans les autres secteurs. La dette publique atteignant 113 % du PIB en 2024, proche de son niveau record de 1945.

En réalité, non seulement les dépenses militaires ne représentent pas une réponse pérenne sur le plan économique aux difficultés évoquées plus haut, mais elles risquent même d’avoir l’effet inverse. Sur le plan humain, le désastre ukrainien qu’elles contribuent à alimenter, par l’envoi massif d’armes et une production d’armes accélérée, n’est aussi que le prélude des catastrophes qui nous attendent. La logique même de ces dépenses exigeant l’écoulement d’une production toujours plus importante sur le terrain.

Il est donc à craindre que l’absence d’un véritable débat politique sur la pertinence de ces dépenses ne précipite l’avènement de cette barbarie évoquée par Rosa Luxemburg en 1915.

« Un anéantissement de la civilisation, sporadiquement pendant la durée d’une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. »

The Conversation

Mylène Gaulard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Rosa Luxemburg, une critique marxiste de la course à l’armement – https://theconversation.com/rosa-luxemburg-une-critique-marxiste-de-la-course-a-larmement-259328

Tique, punaise ou moustique ? Apprendre à identifier l’insecte ou autre « petite bête » qui nous a piqués

Source: The Conversation – France in French (3) – By Marta Diarte Oliva, Docente en la Universidad de San Jorge (Zaragoza), Universidad San Jorge

L’été, difficile d’échapper aux piqûres d’insectes, tiques etc. Il faut donc apprendre à les reconnaître pour appliquer les soins appropriés et savoir quand consulter. CeltStudio/Shutterstock

Quels sont les symptômes associés aux piqûres d’insectes, tiques ou araignées les plus courantes et quelles sont les mesures à prendre ? On fait le point, avec des focus sur les situations à risque qui doivent conduire à consulter un professionnel de santé, voire à prévenir les urgences médicales.


Aux beaux jours, personne ne résiste à l’envie d’aller se promener au parc ou d’organiser une excursion à la campagne pour s’immerger dans la nature.

Cela semble fantastique (et ça l’est). Mais nous sommes souvent obligés de partager ces moments avec de petits compagnons indésirables. Moustiques, abeilles, tiques, araignées, puces, etc. peuvent transformer une journée parfaite en une expérience irritante, voire inquiétante.

Qui n’a jamais ressenti une démangeaison soudaine ou découvert une mystérieuse bosse en rentrant chez soi ? Le type de démangeaisons, leur intensité et leur aspect en disent long sur l’insecte qui nous a piqués. Et, in fine, cela nous donne des indices pour savoir comment agir afin de soulager les symptômes et déterminer s’il est nécessaire de se rendre dans un centre de santé.

En fin de compte, prendre les bonnes mesures avec discernement peut nous éviter bien des frayeurs, des visites inutiles chez le médecin et même des complications médicales.

Comment identifier les piqûres les plus courantes ?

Malgré une ressemblance indéniable entre la plupart des piqûres, il existe des différences entre elles. En effet, chaque piqûre possède ses propres caractéristiques, des symptômes spécifiques et doit être soumise à un traitement particulier.

C’est pourquoi nous allons vous donner les clés pour distinguer au moins six piqûres parmi les plus courantes : celles occasionnées par des moustiques, des guêpes et des abeilles, des tiques, des puces, des punaises de lit et des araignées.

1. Les moustiques

  • Symptômes : rougeur, gonflement léger et démangeaisons intenses.
    Les piqûres de moustiques disparaissent généralement sans complications et spontanément au bout de trois jours.

  • Recommandations : laver la zone avec de l’eau et du savon, appliquer une compresse froide et utiliser des crèmes antihistaminiques en cas de démangeaisons intenses.

2. Les abeilles et les guêpes

  • Symptômes : douleur immédiate, gonflement léger, démangeaisons intenses. Les abeilles laissent leur dard, mais pas les guêpes.

  • Recommandations : retirer le dard s’il y en a un, appliquer de la glace, prendre des antihistaminiques en cas de réaction locale et surveiller les signes d’allergie.

3. Les tiques

  • Symptômes : la particularité de ce parasite vient du fait que sa piqûre peut passer inaperçue. Ce qui doit nous mettre sur la piste, le signe qui doit alerter, est le fait que sa piqûre laisse une petite marque, une rougeur en forme de cible.
Rougeur en forme de cible qui peut être laissée par une piqûre de tique.
Alexey Androsov/Shutterstock
  • Recommandations : retirer à l’aide d’une pince sans tourner ni presser le corps de la tique. (Les crochets « tire-tique » sont particulièrement appropriés et sont même recommandés. À défaut, une pince fine ou une pince à épiler peut constituer une alternative, ndlr.) Désinfecter et surveiller l’apparition d’une fièvre ou d’éruptions cutanées au cours des jours suivants.



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Comment retirer une tique.

4. Les puces

  • Symptômes : apparition de petites taches rouges, généralement en plaques ou groupées, accompagnées de démangeaisons intenses. Celles-ci sont généralement localisées sur les chevilles, les jambes ou au niveau des zones où les vêtements sont serrés. Le pic peut durer plusieurs jours et il existe un risque de surinfection en cas de grattage excessif.

  • Recommandations : laver la zone concernée à l’eau et au savon, appliquer des antihistaminiques topiques (qui agissent localement, ndlr) et oraux si les démangeaisons sont sévères. Il convient d’effectuer un contrôle sur les animaux domestiques et les textiles de la maison, car ils sont souvent à l’origine de la présence de ces insectes.

5. Les punaises de lit

  • Symptômes : de multiples piqûres groupées provoquant une démangeaison intense, surtout la nuit.

  • Recommandations : laver la zone et appliquer des antihistaminiques topiques. Inspecter les environs et prendre des mesures de lutte contre ces nuisibles.




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6. Les araignées

  • Symptômes : douleur locale et rougeur. On observe parfois deux points visibles (crocs).

  • Recommandations : laver à l’eau et au savon et appliquer du froid. Consulter en cas de nécrose, de fièvre ou de malaise.

Quand faut-il s’inquiéter ? Quels sont les signes d’alerte ?

En général, les piqûres mentionnées ci-dessus ne représentent guère plus qu’une simple gêne qui disparaît au bout de quelques jours. Cependant, nous ne pouvons ignorer le fait qu’elles peuvent parfois aussi se transformer en un problème de santé sérieux.

Voici trois conséquences parmi les plus graves associées à une piqûre :

1. Réaction allergique grave (« anaphylaxie ») : on ressent des difficultés à respirer, un gonflement des lèvres ou des paupières, des vertiges ou une perte de connaissance.

Que faire ? Appeler les urgences. Si la personne dispose d’un auto-injecteur d’adrénaline, elle doit l’utiliser.

En France, pour les urgences médicales, il convient de composer le 15 qui correspond au SAMU ou le 112 qui est le numéro d’urgence européen. Le 114, accessible par application, Internet et SMS est le numéro pour les personnes sourdes, sourdaveugles, malentendantes et aphasiques.

2. Infection : apparition progressive d’une rougeur, d’une sensation de chaleur locale, de pus et de fièvre.

Que faire ? Consulter un professionnel de santé. La personne peut avoir besoin d’un traitement antibiotique.

3. Transmission d’une maladie par l’intermédiaire des tiques, par exemple la maladie de Lyme. Quelques jours après la piqûre, des éruptions cutanées en forme de cible, de la fièvre et des douleurs musculaires ou articulaires apparaissent dans ce cas-là.

Que faire ? Toujours consulter un professionnel de santé.




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Les répulsifs sont-ils tous identiques ?

Pour réduire le risque de souffrir des conséquences, légères ou graves, des piqûres d’insectes (ou autre animal), l’une des mesures les plus efficaces, et donc l’une des plus recommandées, consiste à utiliser des répulsifs autorisés, contenant du DEET (diéthyltoluamide) ou de l’icaridine.

On trouve dans les pharmacies et les rayons des supermarchés de nombreux produits contenant ces composés. Le problème réside dans le fait que l’offre peut être déroutante. Cependant, choisir judicieusement n’est pas aussi difficile qu’il y paraît. La réponse se trouve sur l’étiquette.

Vous y trouverez des informations sur la composition des répulsifs, et c’est là que vous devez regarder. Parmi les ingrédients, vérifiez si figurent du DEET ou de l’icaridine, ces substances actives couramment utilisées pour repousser les insectes tels que les moustiques, les tiques et les autres insectes vecteurs de maladies.

Mais lequel des deux est le plus efficace ? Leurs effets durent-ils aussi longtemps ? Sont-ils aussi efficaces dans notre environnement que dans un pays exotique ? Pour faire un choix éclairé, examinons en détail chacun d’entre eux :

  • le DEET : c’est le répulsif le plus utilisé et le plus étudié scientifiquement. Il est considéré comme l’un des plus efficaces contre les moustiques, les tiques et les mouches.

Il est utilisé depuis les années 1950. Sa durée d’action dépend de sa concentration. Par exemple, si l’étiquette du flacon vendu en pharmacie indique 30 % de DEET, ses effets peuvent durer environ six heures.

En termes de sécurité, on peut affirmer que l’utilisation de répulsifs contenant du DEET ne présente aucun risque pour la santé s’ils sont utilisés correctement. Il convient toutefois de noter qu’ils peuvent irriter la peau ou endommager les vêtements en tissu synthétique.

  • l’icaridine : il s’agit d’une alternative plus moderne et plus actuelle au DEET, tout aussi efficace à des concentrations similaires. Par exemple : un répulsif contenant 20 % d’icaridine équivaut en durée d’action à un autre contenant 30 % de DEET.

Il se distingue du DEET par son odeur moins forte, sa texture moins grasse et sa meilleure tolérance pour la peau et les tissus. De plus, il est efficace contre les moustiques et les tiques, et sa durée d’action varie de six à huit heures.

Pour une application sur des enfants ou des personnes à la peau sensible, il est préférable d’utiliser l’icaridine, car elle est plus douce.

Dans les zones à haut risque de maladies telles que la dengue, le paludisme ou Zika, les deux composés sont efficaces. Il faut toutefois s’assurer qu’ils présentent une concentration suffisante : au moins 30 % de DEET et au moins 20 % d’icaridine.

D’autres moyens de protection

Outre les répulsifs, nous pouvons utiliser des mesures physiques telles que le port de vêtements protecteurs, en particulier dans les zones rurales ou à végétation dense. Il est également très utile d’installer des moustiquaires et, bien sûr, d’éviter les eaux stagnantes.

Une autre bonne habitude à adopter consiste à inspecter minutieusement son corps à son retour d’une promenade dans la campagne (ou en forêt, ndlr), car les tiques se cachent dans des zones telles que les aisselles, les aines ou même derrière les oreilles.

Si une personne sait qu’elle est allergique à la piqûre d’un des insectes et autre animal cités dans cet article, elle doit toujours avoir sur elle un auto-injecteur d’adrénaline.

Être la cible de ces insectes n’a rien d’exceptionnel. En effet, leurs piqûres sont fréquentes, surtout au printemps et en été. Sachant qu’il est assez difficile d’y échapper, l’essentiel est donc de savoir identifier les piqûres, d’appliquer les soins appropriés et de savoir quand il est nécessaire de demander de l’aide ou une assistance médicale.

Une intervention éclairée peut faire la différence entre un simple désagrément et une urgence médicale.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Tique, punaise ou moustique ? Apprendre à identifier l’insecte ou autre « petite bête » qui nous a piqués – https://theconversation.com/tique-punaise-ou-moustique-apprendre-a-identifier-linsecte-ou-autre-petite-bete-qui-nous-a-piques-259174

Les professionnels de la santé ne sont pas à l’abri des préjugés envers les personnes handicapées

Source: The Conversation – in French – By Matthieu P. Boisgontier, Professor, Faculty of Health Sciences, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Puisque les attitudes des praticiens de santé peuvent influencer les soins prodigués aux personnes en situation de handicap, intensifier les efforts pour améliorer ces attitudes devrait être une priorité des institutions de formation et des politiques de santé. (Shutterstock)

Nous avons tous des biais, qu’ils soient positifs ou négatifs, lorsque nous analysons les situations et les personnes qui nous entourent.

Par exemple, on peut spontanément penser, à tort, qu’une personne qui parle avec un accent est moins compétente, que les garçons sont naturellement meilleurs en mathématiques, ou encore qu’une personne avec un handicap physique a forcément des difficultés intellectuelles et qu’elle ne peut donc pas occuper un poste à responsabilités.

Qu’on le veuille ou non, ces biais psychologiques, aussi appelés attitudes, sont incrustés dans notre cerveau et influencent tant nos décisions que nos comportements au quotidien.

Les cliniciens ne sont pas à l’abri d’attitudes défavorables, notamment à l’égard de leurs patients.

Chercheur en neuropsychologie de la santé à l’Université d’Ottawa, je propose d’apporter un éclairage sur deux études que j’ai menées sur les attitudes envers les personnes en situation de handicap.

Testez vos propres biais en quelques clics !

Mes deux études se basent sur les données de participants répartis en trois grands groupes professionnels : les cliniciens (médecins, physiothérapeutes, ergothérapeutes, infirmiers), les assistants en réadaptation (notamment les aides-ergothérapeutes et aides-physiothérapeutes) et les personnes exerçant d’autres professions, pas forcément en relation avec la santé.

Ces données ont été recueillies pendant 19 ans sur le site Implicit Project, qui offre à n’importe qui, n’importe où dans le monde, la possibilité de tester gratuitement et anonymement ses attitudes dans différents domaines, tels que l’origine ethnique, la religion, le poids, la sexualité et le handicap.

Personnes handicapées ou personnes en situation de handicap ?

Avant de présenter mes deux études plus en détail, je dois préciser que mon choix de mots pour parler du handicap n’est pas dû au hasard.

L’expression « personne en situation de handicap » est parfois privilégiée, car elle met l’accent sur la personne plutôt que sur le handicap. À l’inverse, l’expression « personne handicapée » peut être perçue comme une réduction de la personne à son handicap.

Cependant, des recherches récentes montrent que l’utilisation du terme « personne en situation de handicap » ne réduit pas toujours les préjugés, et pourrait même renforcer la distance ou la condescendance.

De plus, imposer un seul type de langage pourrait occulter les préférences de chacun.

L’Association américaine de psychologie conclut que les deux formulations sont légitimes, tant qu’elles sont utilisées avec bienveillance et qu’elles respectent les préférences des personnes concernées.

Attitudes implicites et attitudes explicites

La première étude, publiée dans Physiotherapy Canada, se base sur les données de plus de 660 000 participants.

Elle a permis de caractériser l’évolution des attitudes envers deux types de handicaps : le handicap général, incluant la cécité par exemple (données récoltées de 2006 à 2021), et le handicap physique (données récoltées de 2022 à 2024).

L’étude teste aussi deux types d’attitudes : les attitudes explicites, qui peuvent être formulées consciemment en répondant à des questionnaires (par exemple : « je préfère les personnes qui ne sont pas en situation de handicap aux personnes handicapées »), et les attitudes implicites (ou automatiques), qui sont souvent inconscientes.

Le test d’association implicite, qui est notamment utilisé sur le site Implicit Project, permet d’évaluer ces attitudes implicites. Son fonctionnement est simple. Les participants doivent classer le plus rapidement possible et sans se tromper des mots et des images en associant, par exemple, des concepts de « bon » ou « mauvais » à des images illustrant le handicap ou l’absence de handicap.

Il importe cependant de noter que ce test n’est pas sans limites. En effet, son association avec les comportements réels est faible, ce qui pousse certains chercheurs à recommander l’ajout de mesures physiologiques des attitudes, comme l’activité cérébrale, ainsi que d’entretiens qui permettent de mieux comprendre les perceptions et les expériences des individus.

Un discours qui évolue, des automatismes qui persistent

Les résultats montrent que les attitudes explicites – soit celles qui sont déclarées par les participants – à l’égard des personnes handicapées sont devenues moins défavorables au fil des années.

Cependant, les attitudes implicites (inconscientes) sont restées relativement stables et défavorables.

En effet, pendant la période de l’étude, la population générale, incluant les cliniciens, semble avoir plus de difficulté à associer des images illustrant le handicap à des mots positifs qu’à des mots négatifs, en comparaison à des images illustrant l’absence de handicap.

Ces attitudes défavorables sont particulièrement marquées lorsqu’il s’agit de handicap physique, tel que représenté par des personnes en fauteuil roulant ou des personnes qui utilisent des béquilles ou une canne.

En comparaison, les attitudes semblaient légèrement moins négatives envers des formes de handicap plus générales, incluant par exemple des personnes aveugles et malvoyantes.

Les professionnels de la santé pas épargnés

La seconde étude, publiée dans European Rehabilitation Journal, s’est concentrée sur les données des années 2022 à 2024 portant uniquement sur le handicap physique et incluant plus de 210 000 personnes.

Les résultats renforcent l’idée d’une préférence implicite et explicite de l’ensemble de la population pour les personnes sans handicap, tout en montrant que les cliniciens ne sont pas mieux prédisposés que les autres professions.

Il semble donc que la profession ait peu d’effets sur les attitudes envers les personnes handicapées.

Cependant, d’autres facteurs ont émergé des analyses. D’une part, les hommes ont des attitudes plus défavorables envers les personnes handicapées que les femmes. D’autre part, les participants ayant une expérience personnelle du handicap, comme avoir des amis, des connaissances ou des membres de la famille handicapés, ou qui sont eux-mêmes handicapés, ont des attitudes plus favorables envers les personnes handicapées.

Un impact sur les soins de santé ?

La présence et la stabilité d’attitudes implicites défavorables chez les cliniciens soulèvent des questions quant à leur possible impact sur les soins prodigués aux patients.

En particulier, la première étude a montré que les attitudes étaient plus défavorables envers les personnes en situation de handicap physique qu’envers les personnes ayant d’autres types de handicaps, comme la cécité, potentiellement parce que ces derniers sont moins évidents.

Est-ce que cette différence d’attitudes pourrait rendre leur prise en charge moins équitable ? Ce n’est pas impossible. En effet, les attitudes, en plus de prédire les comportements futurs, influencent la prise de décision dans des contextes professionnels.

Par exemple, un clinicien ayant un biais implicite défavorable pourrait, sans s’en rendre compte, consacrer moins de temps à un patient en fauteuil roulant, douter de sa capacité à suivre un traitement, ou encore orienter ce patient vers des options moins ambitieuses de réadaptation.

De même, il pourrait accorder plus de crédibilité aux plaintes ou objectifs de santé d’un patient non handicapé qu’à ceux d’un patient ayant une limitation physique visible. Ces décisions, bien qu’anodines en apparence, peuvent en s’accumulant aboutir à des inégalités d’accès, de qualité ou d’expérience des soins.

professionnelle de la santé avec un patient en chaise roulante dans un corridor d’hôpital
Un clinicien ayant un biais implicite défavorable pourrait par exemple, sans s’en rendre compte, consacrer moins de temps à un patient en fauteuil roulant, douter de sa capacité à suivre un traitement, ou encore orienter ce patient vers des options moins ambitieuses de réadaptation.
(Shutterstock)

Le poids du capacitisme

Ces résultats illustrent la tendance de nos sociétés à considérer une personne handicapée comme intrinsèquement moins capable ou moins importante que les personnes qui ne sont pas en situation de handicap.

Cette dévalorisation des personnes en situation de handicap s’appelle le « capacitisme ». Tout comme le racisme, le sexisme et l’âgisme, le capacitisme ostracise une partie de la société en réduisant, consciemment ou inconsciemment, leurs opportunités de participer à la vie de leurs collectivités.

Historiquement, le handicap a longtemps été perçu comme une anomalie à corriger pour correspondre aux normes de la société.

Si de nos jours, les modèles de référence ont dépassé cette vision réductrice du handicap, mes résultats suggèrent que le capacitisme continue d’imprégner notre société, de façon systémique et culturelle, influençant jusqu’à nos professionnels de la santé.

Comment réduire ces biais ?

Même si nos attitudes déclarées envers les personnes en situation de handicap se sont améliorées au fil des années, nos préjugés inconscients persistent.

Ce constat souligne l’importance de mettre en place des stratégies éducatives plus efficaces.

Les interventions les plus prometteuses sont celles qui vont au-delà de la simple transmission d’informations en ajoutant des rencontres et des expériences, directes ou indirectes, avec des personnes handicapées. Cette exposition favorise l’empathie.

Pour déconstruire les stéréotypes de façon durable, il faut multiplier ces occasions de côtoyer des personnes handicapées.

Puisque les attitudes des praticiens de santé peuvent influencer les soins prodigués aux personnes en situation de handicap, intensifier les efforts pour améliorer ces attitudes devrait être une priorité des institutions de formation et des politiques de santé.

À une époque où les idéaux d’équité sont à la fois en progrès et en danger, la lutte contre ces tendances psychologiques défavorables aux personnes handicapées est non seulement essentielle pour améliorer leurs soins, mais aussi une priorité éthique pour la société que nous voulons construire pour notre futur.

La Conversation Canada

Dr. Matthieu P. Boisgontier est professeur à la Faculté des sciences de la santé et directeur de l’Ecole des sciences de la réadaptation de l’Université d’Ottawa, au Canada. Il est chercheur senior à l’Institut du Savoir Monfort et au Bruyère Health Research Institute d’Ottawa. Il est le manager principal de Peer Community In (PCI) Health & Movement Sciences. Il est également rédacteur en chef du journal Communications in Kinesiology et membre de la Society for Transparency, Openness, and Replication in Kinesiology (STORK).

ref. Les professionnels de la santé ne sont pas à l’abri des préjugés envers les personnes handicapées – https://theconversation.com/les-professionnels-de-la-sante-ne-sont-pas-a-labri-des-prejuges-envers-les-personnes-handicapees-252847

Alzheimer : la réalité virtuelle, dernière bouée pour les proches aidants ?

Source: The Conversation – in French – By Sivime El Tayeb El Rafei, Étudiante candidate au doctorat en technologie éducative, Université Laval

Dans l’ombre des soins, des milliers de personnes proches aidantes (PPA) vivent fatigue, isolement et détresse, souvent ignorées par le système de santé. Pourtant, une solution prometteuse émerge : une formation humaine et novatrice, rendue possible grâce à la réalité virtuelle.

Derrière chaque statistique, il y a des histoires poignantes : un octogénaire seul avec sa conjointe atteinte d’Alzheimer, une jeune mère aidant à la fois son mari malade et son enfant handicapé, ou ce vieil homme de 81 ans qui a mis fin à la souffrance de sa conjointe par désespoir.

En 2050, près de 211 600 personnes au Québec endosseraient ce rôle, prodiguant plus de cinq millions d’heures de soins par semaine. En 2021, le Québec adoptait une politique nationale, à la suite de la loi 56 ou LPPA qui reconnaît les personnes proches aidantes comme des acteurs essentiels du soin.

Pourtant, sur le terrain, l’offre de formation reste limitée : horaires rigides, contenus trop théoriques, peu adaptés aux réalités rurales ou multiculturelles. Résultat : ces partenaires de soins peinent à endosser la responsabilité de prestation de soins. Elles ont souvent besoin d’information et de formation pour comprendre la maladie d’Alzheimer.

Titulaire d’un doctorat en technologie éducative à l’Université Laval, j’ai cumulé plus de 20 ans d’expérience en enseignement et en conseil pédagogique au Liban et au Québec. J’ai notamment accompagné des enseignants dans l’intégration des technologies numériques et la conception de formations présentielles et distantielles.

La réalité virtuelle à la rescousse

Et si on pouvait apprendre à être proche aidant autrement ? C’est déjà le cas dans plusieurs pays. En France, la Maison des Aidants en Normandie et l’entreprise SocialDream utilisent des casques de RV pour simuler des situations du quotidien : refus de soins, agitation, confusion. Aux États-Unis, Embodied Labs offre des formations en RV aux PPA et au personnel de la santé pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer. D’ailleurs, le Department of Veterans Affairs rapporte une augmentation de 34 % de la confiance des aidants après des formations en RV.

En Australie, le programme D-Esc est conçu pour former les travailleurs sociaux à gérer les comportements des personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Au Canada, VRx@Home permet à des aidants d’utiliser la RV à domicile pour soulager leurs proches atteints d’Alzheimer.


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Pourquoi miser sur la réalité virtuelle ?

Utilisée de plus en plus en santé mentale, la réalité virtuelle fait ses preuves dans les traitements psychothérapeutiques des personnes âgées en institution qui souffrent de problèmes psychiques liés à la perte de mémoire et à la douleur somatique.

Mais son potentiel ne s’arrête pas la. Grâce à l’automatisation des thérapies immersives, ce service deviendrait plus accessible et abordable et réduirait la demande de thérapeutes qualifiés.

À la croisée de l’immersion, de l’interaction et de l’imagination, la réalité virtuelle s’impose aujourd’hui comme un outil pédagogique polyvalent. Qualifiée d’« accélérateur » ou d’« amplificateur de formation », elle est capable de rendre les apprentissages plus concrets et engageants.

Prenons par exemple une femme de 50 ans qui travaille à temps plein et s’occupe de sa mère atteinte d’Alzheimer. Elle a peu de temps pour suivre des formations en personne. Grâce à un programme de formation en RV, elle peut, depuis chez elle, vivre des scènes réalistes, comme une crise d’agitation en pleine nuit, et apprendre comment réagir avec calme et efficacité. En quelques sessions, elle se sent mieux outillée, moins seule, et surtout, comprise.

Plus qu’un outil technologique

La force de la réalité virtuelle, c’est son pouvoir d’immersion. Elle ne se contente pas de montrer : elle fait ressentir. L’aidant ne regarde pas passivement une vidéo, il devient acteur. Il voit le monde à travers les yeux d’une personne malade, ressent ses frustrations, ses angoisses. Cette immersion change la perspective et, souvent, les comportements.

Des études montrent que la RV peut aussi réduire l’isolement des aidants et améliorer leur bien-être psychologique. C’est une façon concrète d’allier formation, soutien émotionnel et accessibilité. La RV peut aussi être une valeur ajoutée aux services classiques de la télésanté et un complément aux formations traditionnelles.

Un virage possible pour le Québec

Le Québec dispose déjà d’expertises locales, comme le programme MEMO, conçu en collaboration avec le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), qui utilise déjà la RV pour stimuler les capacités cognitives des personnes vivant avec des troubles neurocognitifs. Il est temps de faire un pas de plus, en s’adressant à celles et ceux qui les soutiennent chaque jour.

Imaginez : une femme en région éloignée pourrait suivre une formation de qualité sans devoir se déplacer. Un homme peu à l’aise avec les formations en ligne classiques pourrait, avec un casque, expérimenter une situation et apprendre « sur le terrain », de façon interactive et engageante.

Pour que cela devienne réalité, il faut investir dans des projets pilotes, co-construits en collaboration avec les milieux communautaires, les universités, les PME innovantes et, surtout, avec les personnes concernées : les PPA elles-mêmes. Il faut créer des formations adaptées et flexibles, en français, et ancrées dans les réalités culturelles du Québec.

En janvier dernier, le gouvernement du Québec a lancé une nouvelle politique sur la maladie d’Alzheimer, qui évoque déjà l’importance de l’innovation.

Oser le changement

Les initiatives internationales démontrent qu’il est possible – et souhaitable – d’utiliser la réalité virtuelle pour soutenir les personnes proches aidantes. Sans ignorer les aspects éthiques de leur usage, ces outils sont des solutions concrètes, accessibles, humaines. Il est temps que le Québec franchisse ce cap.

Soutenir les PPA, c’est défendre des valeurs fondamentales : équité, dignité, inclusion. À l’heure où l’on parle d’innovation et de transformation sociale, il faut mettre la technologie au service de l’humain. La RV peut être une lumière d’espoir pour celles et ceux qui, comme le disait l’infirmière et autrice suisse Rosette Poletti, apprennent à danser sous la pluie, plutôt que d’attendre la fin de l’orage.

Le Québec ne manque ni de compétences, ni de ressources. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une véritable volonté politique, un brin d’audace, et surtout, beaucoup d’écoute.

La Conversation Canada

Sivime El Tayeb El Rafei fait en temps en temps du bénévolat dans la société d’Alzheimer de Québec pour animer un atelier pour les proches aidants et aidantes. Elle était proche aidante de son père atteint de la maladie d’Alzheimer qui est décédé en novembre 2023. C’est la raison pour laquelle elle s’intéresse à la cause des personnes proches aidantes, fait du bénévolat pour apporter de l’appui à cette population vulnérable et veut contribuer, par sa recherche, aux avancées scientifiques. Donc il n’existe aucun conflit d’intérêt.

ref. Alzheimer : la réalité virtuelle, dernière bouée pour les proches aidants ? – https://theconversation.com/alzheimer-la-realite-virtuelle-derniere-bouee-pour-les-proches-aidants-257681

Qu’est-ce que le « trait de côte » des cartes géographiques ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Eric Chaumillon, Chercheur en géologie marine, La Rochelle Université

On pense bien connaître le trait de côte des cartes géographiques. Sa définition est pourtant plus complexe qu’il n’y paraît, car il ne s’agit pas d’une référence immuable au cours du temps. Le changement climatique, sans surprise, vient encore compliquer la donne.


Tout le monde pense connaître le trait de côte qui est représenté sur les cartes géographiques. Il occupe une place importante dans nos représentations et semble correspondre à une ligne de référence stable dans le temps. Nous allons voir qu’il n’en est rien.

Commençons par le définir. Selon le service hydrographique et océanographique de la Marine nationale (SHOM) et l’Institut géographique national (IGN), il s’agit de la « limite de laisse » (c’est-à-dire, jusqu’où peuvent s’accumuler les débris déposés par la mer) des plus hautes mers, dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales (pas de vent du large et pas de dépression atmosphérique susceptible d’élever le niveau de la mer).

Il faut encore ajouter à ces conditions « pas de fortes vagues », car elles peuvent aussi faire s’élever le niveau de l’eau. De façon pragmatique toutefois, on peut se limiter aux marées hautes de vives-eaux dans des conditions météorologiques normales pour définir le trait de côte.

Les marées de grandes vives-eaux se produisant selon un cycle lunaire de 28 jours et les très grandes vives-eaux se produisant lors des équinoxes deux fois par an (en mars et en septembre).

Entre accumulation de sédiments et érosion

Le trait de côte est situé à l’interface entre l’atmosphère, l’hydrosphère (mers et océans) et la lithosphère (les roches et les sédiments), ce qui en fait un lieu extrêmement dynamique. Le trait de côte peut reculer, quand il y a une érosion des roches ou des sédiments, ou avancer, quand les sédiments s’accumulent.

Par conséquent il est nécessaire de le mesurer fréquemment. Il existe tout un arsenal de techniques, depuis l’utilisation des cartes anciennes, l’interprétation des photographies aériennes et des images satellitaires, les mesures par laser aéroporté, les mesures topographiques sur le terrain et les mesures par drones.

Les évolutions des côtes sont très variables et impliquent de nombreux mécanismes. En France, selon des estimations du CEREMA, 19 % du trait de côte est en recul.

Un indicateur très sensible aux variations du niveau de la mer

Le principal problème est que l’évolution du trait de côte est très sensible aux variations du niveau de la mer. En raison du réchauffement climatique d’origine humaine, la mer monte, du fait de la fonte des glaces continentales et de la dilation thermique des océans, et ce phénomène s’accélère.

Pour les côtes sableuses, cela conduit à une aggravation des phénomènes d’érosion déjà existants. Avec l’élévation du niveau des mers, des côtes stables, voire même des côtes en accrétion pourraient changer de régime et subir une érosion chronique. Sur un horizon de quelques décennies, il est impossible de généraliser, car la position du trait de côte dépend aussi des apports sédimentaires qui sont très variables d’une région à une autre.

Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) estime que d’ici 2050, 5 200 logements et 1 400 locaux d’activité pourraient être affectés par le recul du trait de côte, pour un coût total de 1,2 milliard d’euros. La dynamique et le recul du trait de côte sont un sujet majeur, dont l’intérêt dépasse les seuls cercles spécialisés, avec des implications très concrètes, notamment en matière de droit de la construction. En premier lieu parce que le trait de côte est utile pour définir le domaine public maritime (DPM).

Ses limites ont été précisées en 1681 par une ordonnance de Colbert qui précise que le DPM naturel ne peut être cédé et qu’une occupation ou une utilisation prolongée par des particuliers qui se succèdent sur cette zone ne leur confère aucun droit réel ou droit de propriété.

Protéger le trait de côte sans construire des digues

La législation française relative au trait de côte a récemment évolué. En témoigne par exemple la loi Climat et résilience de 2021, qui renforce l’adaptation des territoires littoraux. La stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte insiste sur la mise en place de solutions durables pour préserver le littoral, tout en assurant la préservation des personnes et des biens.

Concrètement, comment faire ? L’approche la plus connue est la défense de côte en dur, souvent en béton ou en roches. Cette stratégie est chère, nécessite un entretien, elle est inesthétique et entraîne une forte dégradation, voire une disparition, des écosystèmes littoraux. Surtout, on ne pourrait généraliser cette stratégie sur les milliers de kilomètres de côtes en France et dans le monde (on parle de 500 000 km de côte).

Sans rentrer dans le détail de toutes les solutions existantes, on peut noter que la communauté scientifique qui étudie les littoraux appelle à davantage recourir aux solutions fondées sur la nature (SFN). En simplifiant, on peut dire qu’il s’agit de tirer parti des propriétés des écosystèmes sains pour protéger les personnes, tout en protégeant la biodiversité.

Ces approches ont fait leurs preuves, particulièrement en ce qui concerne les prés salés, les mangroves ou les barrières sédimentaires en général (constituées par la plage sous-marine, la plage et la dune). On peut assimiler ces écosystèmes littoraux à des « zones tampons » qui absorbent l’énergie des vagues et limitent les hauteurs d’eau tout en préservant la biodiversité et les paysages.


La série « L’envers des mots » est réalisée avec le soutien de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture.

The Conversation

Eric Chaumillon a reçu des financements de l’ANR et du Département de Charente-Maritime.

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