La crise économique au Liban en 1966 a-t-elle été provoquée par les États-Unis ?

Source: The Conversation – in French – By Charbel Cordahi, Professeur de Finance & Economie, Grenoble École de Management (GEM)

À partir du 1<sup>er</sup>&nbsp;août 1966, plusieurs banques libanaises et étrangères retirent de leurs comptes à l’Intra-Bank environ 18&nbsp;millions de livres libanaises. Les petits épargnants suivent&nbsp;: 52&nbsp;millions de livres sont retirés entre le 3 et le 14&nbsp;octobre 1966. Mohaymen Abk/Shutterstock

En 1966, deux événements se produisent simultanément : un choc de crédit aux États-Unis et une crise bancaire au Liban, avec pour conséquence la faillite de la banque Intra (ou Intra Bank). L’origine ? L’intégration de la « Suisse du Moyen-Orient » à l’économie mondiale. Mais comment ces évènements sont-ils liés ? Qui en est à l’origine ? Qui en a le plus pâti ?


Connaissez-vous l’effet papillon, cette théorie selon laquelle le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas ? En économie, s’il n’existe pas en tant que tel, une crise de crédit aux États-Unis peut tout à fait être une des causes d’une faillite bancaire au Liban.

C’est ce qui s’est passé en 1966. La plupart des analyses attribuent la crise libanaise à la faillite de la banque Intra cet automne-là, ou à un échec systémique, motivé par la cupidité, les luttes de pouvoir et les intérêts acquis d’une élite, sans approfondir davantage.

Notre étude montre pourtant que cette faillite découle largement du choc récessif états-unien, qui a entraîné une hausse des taux d’intérêt internationaux. Elle remet en cause l’idée que la seule faillite de la banque Intra ait provoqué la crise de liquidité. C’est même l’inverse qui s’est produit : la crise, déclenchée par le choc états-unien, a mené à la faillite d’Intra et d’autres banques, en poussant les taux d’intérêt internationaux à la hausse.

Crise de crédit bancaire aux États-Unis

En 1966, les États-Unis connaissent une baisse inattendue de l’offre de crédit bancaire, provoquée par la décision surprise de la Réserve fédérale, la banque centrale, de limiter la création monétaire et limiter l’offre de crédits. Ce choc de crédit états-unien fut l’un des plus marquants de l’après-guerre. En novembre 1966, les taux d’intérêt états-uniens atteignent un pic de 5,75 %.

En réponse, les entreprises se tournent vers l’émission d’effets de commerce. Ces titres de créance à court terme sont émis par les entreprises pour se financer directement auprès des investisseurs, sans passer par les banques. Ils sont remboursés à l’échéance au montant de leur valeur nominale (fixée dès l’émission).

Le taux de croissance annuel des effets de commerce passe de 7,8 % en 1965 à 46,6 % en 1966. Cette augmentation s’explique par la contraction monétaire, une baisse générale des cours boursiers, et, dans une moindre mesure, par le financement de la guerre du Vietnam.

Âge d’or du Liban

Le choc monétaire de 1966 n’a pas seulement touché l’économie des États-Unis, mais s’est aussi transmis à celle du Liban, à la fois petite, ouverte et fonctionnant sous un régime de change flottant en vigueur depuis 1948. Concrètement, alors que la majorité des pays adoptent un régime de change fixe dans les années 1950-1960, les autorités monétaires libanaises interviennent seulement de temps en temps sur le marché des changes. Le taux de change est largement déterminé par le marché réservé aux banques, qui s’échangent entre elles des actifs de gré à gré.

Des années 1950 aux années 1970, le Liban est présenté comme la « Suisse du Moyen-Orient », du fait de la présence de nombreuses banques.
Wikimediacommons

Le Liban connaît une forte croissance dans les années 1950, autour de 8 %. Malgré les restrictions dans les autres pays, les capitaux circulent librement au Liban. Les pétrodollars s’y installent, attirant étudiants, professionnels et entreprises. Beyrouth devient un hub financier, intellectuel et touristique. La loi sur le secret bancaire de 1956 renforce encore sa place financière. Les années 1960 prolongent cette dynamique : création de la Banque centrale en 1964, développement du secteur bancaire, afflux de capitaux et d’investissements.

C’est dans ce contexte porteur que survient le choc de mai 1966.

De 11 banques en 1950 à 79 en 1964

En raison de l’importance de l’économie des États-Unis, la hausse des taux d’intérêt du pays de l’Oncle Sam fait grimper les taux mondiaux, y compris au Liban. Les taux libanais commencent à monter dès juin 1966, un mois après le choc de mai, en passant de 5,62 % à 5,82 % en juin et à 6,07 % en juillet. La hausse des taux d’intérêt au Liban est d’abord limitée, en raison de l’excès de liquidités dans les banques. Toutefois, cet excédent devait rapidement s’amenuiser sous l’effet de la fuite des capitaux.

Dans les années 1960, le système financier libanais se caractérise par une forte dispersion des dépôts bancaires. Entre 1950 et 1964, le nombre de banques passe de 11 à 79, limitant les dépôts par institution.

Seule la banque Intra fait exception : en 1965, elle détient à elle seule un quart des dépôts au Liban. Entre 1955 et 1965, ses dépôts croissent à plus de 40 % par an, contre 26 % pour les autres banques. Intra-Bank atteint 756 millions de livres libanaises de dépôts en 1965. Ne pouvant investir localement à hauteur de ses ressources, elle se tourne vers les marchés étrangers et devint la banque privilégiée des investisseurs du Proche-Orient, notamment du Golfe.

« Hot money » et fuite des capitaux

À l’époque, les flux de capitaux sont sensibles aux taux d’intérêt (« hot money »). Ces flux d’un pays à un autre permettent de réaliser un profit à court terme sur les différences de taux d’intérêt et/ou les variations anticipées des taux de change.

De facto, la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, puis au Royaume-Uni provoque une fuite des capitaux du Liban vers ces deux marchés plus rentables, déclenchant la crise de liquidité de 1966. La Banque centrale libanaise, sans outils adéquats – peu de réserves, pas d’opérations d’open market (achats ou ventes de titres publics par la banque centrale sur le marché afin de réguler la liquidité et influencer les taux d’intérêt) –, ne peut relever les taux d’intérêt locaux pour endiguer la fuite.




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La situation se dégrade en octobre 1966 quand la banque Intra suspend ses paiements. Les agents économiques, comparant les taux étrangers à ceux du Liban, transfèrent leurs fonds vers l’étranger. Cela accentue la crise, affaiblit la liquidité locale et exerce des pressions sur la livre libanaise. Entre 1966 et 1970, le nombre de banques baisse de 94 à 74.

Plus de retraits que de dépôts

À partir du 1er août 1966, les retraits quotidiens à la banque Intra dépassent les dépôts. Cette tendance est accentuée quelques semaines plus tard par des rumeurs de crise. Plusieurs banques locales et étrangères retirent environ 18 millions de livres libanaises. Les petits épargnants suivent, retirant 52 millions entre le 3 et le 14 octobre 1966.

Parallèlement, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt à l’étranger, les clients des banques libanaises commencent à transférer une partie de leurs avoirs vers des établissements à l’étranger. Étant la principale banque du pays et la cible persistante de rumeurs, Intra-Bank subit des retraits supérieurs à ceux enregistrés dans les autres banques.

Le 6 octobre 1966, la direction d’Intra sollicite l’aide de la Banque centrale du Liban, qui lui accorde un prêt d’un an de 15 millions de livres à un taux de 7 %, contre garanties réelles.

File d’attente devant la banque Intra, en 1966.
Fourni par l’auteur

Grâce à ce soutien, la banque Intra reprend les paiements à ses déposants, mais les fonds sont rapidement épuisés. La banque demande une rallonge de 8 millions, refusée par la Banque du Liban. Ce refus s’explique avant tout par le fait que celle-ci était encore trop jeune et dépourvue de moyens suffisants pour jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort. L’absence de consensus politique autour du patron de l’Intra-Bank Youssef Beidas, d’origine palestinienne et sans vrai ancrage communautaire au Liban, combinée à l’opposition des élites financières, qui cherchaient à redistribuer ses actifs vers d’autres banques, ainsi que le poids systémique d’Intra, qui aurait impliqué de mobiliser des ressources énormes, ont scellé la faillite.

Entre-temps, la direction de la banque tente de rapatrier des dépôts de New York vers Beyrouth. Avec la poursuite de la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, les grands déposants institutionnels états-uniens ont déjà retiré l’essentiel de leurs avoirs pour les placer ailleurs.

Intra-Bank se retrouve en grande difficulté et annonce la cessation de ses paiements, le samedi 15 octobre 1966. La crise touche d’autres banques, les déposants accélérant leurs retraits après l’annonce d’Intra.

Réaction de la livre libanaise par rapport au dollar

À la suite du choc monétaire états-unien restrictif de 1966 et comme la Banque centrale du Liban ne dispose ni des moyens ni de la volonté d’intervenir sur le marché des changes pour soutenir la monnaie nationale, la livre libanaise se déprécie. Le taux de change passe de 3,11 £ pour un dollar fin avril 1966 à 3,20 £ en septembre. En un an, le taux moyen est passé de 3,07 £ en 1965 à 3,13 £ en 1966.

Taux de change de la livre libanaise de 1964 à 1968.
Fourni par l’auteur

En somme, le choc de 1966 a perturbé la croissance pendant plusieurs mois. Il a déclenché une crise de liquidité, contribué à la faillite de la plus grande banque du pays (et à la panique bancaire qui s’en est suivie), et modifié la structure des échanges commerciaux. Il a également entraîné une hausse des taux d’intérêt, une sortie de capitaux et une forte volatilité du taux de change.

Mais le Liban trouve une issue à la crise. Les dépôts reviennent en passant de 2,6 millions en 1967 à 2,9 millions en 1968. La balance commerciale s’améliore en passant de -1,7 million en 1967 à 176,3 millions de livres libanaises en 1968. Le revenu national se rétablit en enregistrant une croissance notable de 12 % en 1968. Les crédits au secteur privé reprennent en passant de 2,3 millions en 1967 à 2,4 millions en 1968. La crise est passée.

The Conversation

Charbel Cordahi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La crise économique au Liban en 1966 a-t-elle été provoquée par les États-Unis ? – https://theconversation.com/la-crise-economique-au-liban-en-1966-a-t-elle-ete-provoquee-par-les-etats-unis-260380

Un repas gastronomique sans viande est-il concevable en France ?

Source: The Conversation – in French – By Bruno Cardinale, Maître de conférences et chercheur en marketing, Université Le Havre Normandie

Dans l’imaginaire collectif français, un repas de fête se passe difficilement de viande, perçue comme la pièce centrale sans laquelle le plat apparaît incomplet. À l’heure où les impératifs climatiques nous invitent à réduire notre consommation carnée, il est temps de montrer que le végétal aussi peut être le cœur de la gastronomie.


Les Français comptent parmi les plus gros consommateurs de viande au monde. Cette réalité peut sembler surprenante. D’abord, parce que le nombre de flexitariens augmente. Ensuite, parce que les enjeux sanitaires dûs à une consommation excessive de viande ne sont plus ignorés. Enfin, parce que cette habitude semble relativement nouvelle.

Comme le rapportent les historiens de l’alimentation, la tradition culinaire française s’est longtemps appuyée sur les céréales, sur les légumes secs et sur les soupes, la viande restant réservée aux grandes occasions. Nous en consommons en moyenne deux fois plus aujourd’hui qu’en 1920.

Dès lors, comment comprendre cet attachement à la viande, alors même que les discours écologiques se multiplient et que sa consommation diminue en moyenne en France ? Selon les données récentes du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, cette baisse s’explique en fait davantage par la hausse des prix des produits carnés que par une véritable préoccupation environnementale ou nutritionnelle.

Pour mesurer l’influence encore limitée des politiques publiques sur les pratiques alimentaires, il est particulièrement instructif de pencher sur un objet culturel emblématique : le repas gastronomique des Français, traditionnellement centré sur la viande. Incarnation de l’art de vivre à la française, ce repas structuré et codifié a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en 2010. Selon la définition de cette dernière, le patrimoine culturel immatériel est

« traditionnel, contemporain et vivant à la fois : il ne comprend pas seulement les traditions héritées du passé, mais également les pratiques rurales et urbaines contemporaines, propres à divers groupes culturels ».

Autrement dit, le repas gastronomique, en tant que pratique vivante, peut lui aussi évoluer face aux enjeux de transition alimentaire.

Cette évolution est d’autant plus nécessaire que la gastronomie joue un rôle central dans la transmission des normes alimentaires. C’est souvent à travers ces repas que les enfants apprennent ce qu’est un « vrai bon repas ».

La définition même du repas gastronomique des Français insiste sur cette fonction éducative :

« Des personnes reconnues comme étant des gastronomes, qui possèdent une connaissance approfondie de la tradition et en préservent la mémoire, veillent à la pratique vivante des rites et contribuent ainsi à leur transmission orale et/ou écrite, aux jeunes générations en particulier. »

Dès lors, la diminution globale de la consommation de viande touche-t-elle également ces repas gastronomiques ? Que transmet-on aujourd’hui, implicitement, lors de ces moments qui continuent de structurer l’apprentissage culinaire des plus jeunes ?

Le repas gastronomique, moment de partage résolument carné

Mariage, communion, anniversaire… dès qu’un événement prend une dimension gastronomique, la viande (et en particulier la viande rouge) reste le point d’orgue du repas. Notre étude des représentations sociales, menée auprès de 424 mangeurs, confirme que la viande occupe une place centrale dans l’imaginaire collectif du repas gastronomique.

Sur le terrain, nous avons également observé plus de 18 000 mangeurs lors de 226 repas de mariage. Les chiffres sont éloquents : plus de deux convives sur trois choisissent une viande rouge, principalement du bœuf, qui, à lui seul, pèse presque autant que toutes les autres options réunies. Le poisson additionné aux plats végétariens ne représentent qu’un dixième des choix, tandis que la volaille et le veau assurent une transition limitée. La demande pour les plats végétariens, l’agneau ou le porc demeure marginale, voire inexistante.

Ces constats soulèvent une question centrale : si les moments symboliques de partage sont systématiquement centrés sur la viande, peut-on réellement transmettre à nos enfants une culture alimentaire plus végétale ?

Bien que les plus jeunes soient sensibilisés aux questions écologiques et qu’ils consomment moins de viande que leurs parents, prescrire un repas végétarien par semaine à la cantine ne suffit pas à optimiser la transition alimentaire.

Transformer les représentations du « vrai repas »

Textures et saveurs de petits pois.
Bruno Cardinale, Fourni par l’auteur

Il faut transformer durablement les représentations sociales, en agissant notamment sur le noyau central. Celui-ci désigne les éléments cognitifs les plus stables, les plus partagés et les moins questionnés. Ces idées perçues comme évidentes structurent notre manière de penser ce qu’est, par exemple, un « vrai repas ».

Selon la théorie des représentations sociales, agir sur les éléments les plus visibles et les plus partagés permet de modifier en profondeur les ancrages collectifs.

En tant que modèle normatif à forte valeur symbolique, le repas gastronomique constitue donc un levier stratégique. En transformant ce moment d’exception, on peut potentiellement influencer les pratiques du quotidien.

Dès lors, comment végétaliser davantage le menu gastronomique ?

Pour répondre à cette question, nous avons analysé les cartes de 43 restaurants aux positionnements divers, allant du fast-food au restaurant gastronomique. Notre étude fait émerger sept stratégies mobilisées au sein de diverses formules de restauration et directement transposables au repas gastronomique.

L’imitation

L’une des approches consiste à supprimer les produits animaux normalement présents dans la recette, par exemple le chili sin carne, ou d’en proposer une version pescétarienne, par exemple le cassoulet de poisson), afin de préserver un visuel proche du plat original.

Le cuisinier peut aussi utiliser des substituts très proches de la viande en apparence. Certaines marques, comme Redefine Meat, développent des « viandes végétales » appelées new meats, déjà implantées dans des chaînes comme Hippopotamus. Sur le site de Redefine Meat, la rubrique « Trouver un restaurant » illustre le déploiement de ces alternatives végétales.

Illusion d’un foie gras.
Bruno Cardinale, Fourni par l’auteur

Dans un cadre gastronomique, l’imitation peut prendre des formes plus artisanales, par exemple la création d’un foie gras végétal à partir de produits bruts.

L’expérience

Ici, l’objectif n’est pas de copier la viande, mais de proposer une expérience culinaire végétarienne esthétique et narrative capable de séduire par son originalité et sa mise en scène. Il s’agit, la plupart du temps, d’une stratégie particulièrement prisée des chefs de la restauration gastronomique.

Soupe au pistou.
Bruno Cardinale, Fourni par l’auteur

Des établissements comme Culina Hortus ou des recettes comme le célèbre gargouillou de Michel Bras incarnent l’expérience gastronomique végétale, dans une logique d’auteur, artistique, éthique et sensorielle.

La reconversion

Cette stratégie consiste à puiser dans la mémoire culinaire collective, en mobilisant des hors-d’œuvre ou des accompagnements traditionnellement végétariens, comme plats principaux.

On peut par exemple proposer en guise de plat, des ravioles de Royan par essence végétales, une soupe au pistou ou des légumes rôtis.

Légumes rôtis.
Bruno Cardinale, Fourni par l’auteur

Dans cette logique de reconversion, il est aussi question d’inverser la proportion de légumes et de viandes dans une recette, comme chez Datil, restaurant étoilé au guide Michelin, où « l’assiette met en valeur le végétal avant tout (fruits et légumes à égalité), agrémenté d’un soupçon de protéines animales ».

La coproduction

Cette méthode repose sur des options de personnalisation, laissant au client la liberté de composer lui-même un plat végétarien selon ses préférences. Elle s’appuie sur un besoin de flexibilité et d’adaptation aux mangeurs dits « combinatoires ».

Tacos végétariens à réaliser soi-même.
Bruno Cardinale, Fourni par l’auteur

Ces derniers naviguent entre différents régimes alimentaires (omnivore, flexitarien, végétarien) et souhaitent ajuster leur choix au gré des occasions. Cette approche est largement développée dans de nombreux modèles de restauration : pizzerias, crêperies, bars à tacos, cafétérias ou chaînes de fast-food comme Subway…

Dans ces formats, les clients peuvent librement sélectionner leurs ingrédients, sans nuire à l’organisation du service.

En restauration gastronomique, on pourrait imaginer un service sur chariot, présentant une sélection d’éléments à combiner soi-même, à l’image du traditionnel plateau de fromages.

La coexistence

Il s’agit d’incorporer des alternatives végétariennes dans un menu traditionnellement carné, sans modifier l’identité globale de la marque ni son positionnement historique.

C’est une approche courante dans des enseignes comme Hard Rock Café, Léon ou La Criée, dans lesquelles les propositions végétariennes existent, mais sont souvent diluées dans la carte.

Elles sont généralement intégrées sans rubrique spécifique ni signalétique particulière, et occupent une place marginale dans l’offre globale. Parfois, ces alternatives ne figurent même pas : le convive peut simplement demander la suppression de la viande ou du poisson dans la recette.

Ce type d’adaptation est également fréquent en restauration gastronomique où les menus sont adaptés selon les régimes des mangeurs.

Mais, selon un constat empirique issu de nos observations de terrain, cette pratique reste souvent insatisfaisante. De nombreux végétariens font état de leur frustration lorsqu’on leur sert uniquement les accompagnements des plats carnés, aboutissant à des assiettes peu équilibrées et perçues comme une solution de second choix.

L’engagement

Cette stratégie consiste à faire du végétal un pilier identitaire de la marque, en l’affichant comme une preuve d’engagement éthique.

Ici, le végétal n’est pas une option marginale : il devient une valeur centrale revendiquée. L’enseigne s’adresse directement aux mangeurs militants, soucieux de l’environnement, de leur santé et du bien-être animal. Il s’agit d’une rupture assumée, marquant une position forte en matière de responsabilité sociale.

Des enseignes comme Cojean illustrent bien cette approche, avec plus de 60 % de leur carte consacrée à des plats végétariens ou végétaliens. On retrouve également des propositions engagées chez Paul, qui communique sur le développement d’une offre végétale.

Certains restaurants gastronomiques se positionnent aujourd’hui avec cette stratégie, comme Culina Hortus ou encore Racines.

L’importation

« Importer » consiste à proposer une expérience gastronomique complète, codifiée et légitime, mais issue d’une autre culture que la tradition occidentale. Plutôt que de transformer les plats habituels, elle s’appuie sur des cuisines où la place du végétal est historiquement centrale et socialement valorisée.

Thali.
Bruno Cardinale, Fourni par l’auteur

On retrouve cette approche dans les thalis indiens, les bibimbaps coréens, la cuisine macrobiotique japonaise ou encore les mezzés méditerranéens. Ces modèles offrent des repas complets, structurés et socialement reconnus, sans que la viande en soit nécessairement l’élément principal.

Ils permettent finalement de déléguer la légitimité à une culture alimentaire valorisée, et d’éviter aux mangeurs une dissonance cognitive.

En restauration gastronomique, ces plats importés peuvent être sublimés et laisser libre cours à la créativité des chefs.

Des stratégies complémentaires

Ces sept stratégies ne s’excluent pas : elles peuvent coexister et se combiner au sein d’une même offre, d’un même restaurant, voire d’un même repas gastronomique.

L’imitation, l’expérience, la reconversion, la coproduction, la coexistence, l’engagement et l’importation ne sont pas des chemins parallèles, mais des leviers complémentaires que les chefs et les restaurateurs peuvent mobiliser avec créativité et cohérence.

En mélangeant ces approches, il devient possible d’ancrer progressivement de nouvelles représentations sociales, de végétaliser les pratiques sans brusquer les traditions, et surtout de transmettre aux jeunes générations une autre façon de penser le « vrai bon repas ».

Au-delà des enjeux culturels et environnementaux, la dimension économique mérite aussi d’être soulignée. Pour les chefs engagés, l’offre végétale peut devenir un signe distinctif et renforcer leur image auprès d’un public soucieux d’éthique, de nutrition et d’environnement. Pour les grandes enseignes, elle représente un levier de différenciation commerciale et un moyen d’attirer une clientèle plus large.

Enfin, dans un contexte où la viande reste coûteuse, la rentabilité des plats peut être améliorée sans perte de qualité, grâce à l’acte culinaire du chef, qui mobilise son savoir-faire pour valoriser les ingrédients végétaux. Dans les écoles hôtelières, inspecteurs, proviseurs et enseignants, sensibles à la végétalisation, conduisent déjà des actions de formation, organisent des événements et réforment les programmes pour accompagner cette transition.

The Conversation

Bruno Cardinale ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Un repas gastronomique sans viande est-il concevable en France ? – https://theconversation.com/un-repas-gastronomique-sans-viande-est-il-concevable-en-france-260729

Les animaux de compagnie sont-ils des gages de bonheur ? Des recherches apportent des bémols

Source: The Conversation – in French – By Christophe Gagné, PhD candidate, Psychology, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Les gens se tournent souvent vers les animaux de compagnie pour améliorer leur humeur et trouver de la compagnie. Améliorer le bien-être et réduire la solitude font partie des raisons les plus souvent citées pour adopter un animal.

La croyance selon laquelle les animaux de compagnie apportent de nombreux bienfaits à leurs propriétaires est très répandue, mais des recherches montrent qu’avoir un animal n’est pas une panacée pour la santé psychologique.

Malgré cela, les animaux de compagnie sont souvent présentés dans les médias et sur les réseaux sociaux comme des solutions efficaces pour réduire le stress et la solitude, entretenant l’idée répandue de leurs bienfaits pour la santé. Cela peut inciter les gens à adopter des animaux de compagnie sans tenir pleinement compte des responsabilités et des exigences que cela implique, ce qui peut avoir des conséquences négatives tant pour eux-mêmes que pour leurs animaux.

En tant que psychologues sociaux étudiant les relations entre les humains et les animaux de compagnie, nous adoptons une approche plus nuancée, en examinant quand, comment et pour qui les animaux de compagnie peuvent — ou non — améliorer le bien-être.

Ce que dit la recherche

De nombreuses études ont montré que les propriétaires d’animaux de compagnie sont moins anxieux, se sentent moins seuls et moins stressés que les personnes qui n’en ont pas. Les propriétaires d’animaux domestiques se déclarent également plus satisfaits de leur vie.

Ces études retiennent souvent notre attention, car elles font écho à une croyance largement répandue : nos animaux domestiques sont bons pour nous. Ce type de recherche rassure et valide le lien profond que nous pouvons ressentir avec nos compagnons. Mais elles ne montrent qu’un seul côté de la médaille.

D’autres études n’ont trouvé aucun lien significatif entre le fait d’avoir un animal de compagnie et le bien-être humain. En fait, les personnes qui ont des animaux de compagnie ne déclarent pas nécessairement un bien-être plus élevé ni une meilleure santé mentale que celles qui n’en ont pas.

Notre étude sur le rôle des animaux de compagnie dans le bien-être humain, menée au Canada pendant la pandémie de Covid-19, a donné des résultats surprenants : elle a révélé qu’avoir un animal de compagnie était généralement associé à un bien-être et une santé mentale moindres.

L’étude portait à la fois sur des propriétaires d’animaux de compagnie et des personnes sans animaux, dans le but de comparer les deux groupes au niveau de différents indicateurs de bien-être pendant la pandémie. Les propriétaires d’animaux ont déclaré un bien-être inférieur à celui des non-propriétaires pendant cette période, notamment des niveaux de solitude plus élevés.

Ces incohérences entre les différentes études montrent que le lien entre le fait d’avoir un animal de compagnie et le bien-être n’est pas si simple. Notre étude a révélé certaines de ces nuances. Par exemple, par rapport aux propriétaires d’autres animaux de compagnie, les propriétaires de chiens ont déclaré un bien-être plus élevé.

Pour comprendre ces résultats mitigés, les chercheurs ont commencé à examiner de plus près la nature de la relation entre les propriétaires et leurs animaux de compagnie. Cette approche pourrait nous aider à mieux comprendre les facteurs qui font en sorte que la présence d’un animal de compagnie soit bénéfique au bien-être.

La qualité du lien

Tout comme nos relations avec les autres êtres humains, le lien qui nous unit à nos animaux de compagnie est complexe. De nombreux aspects de cette relation peuvent influencer les bienfaits que nous en tirons. Ce n’est pas seulement le fait d’avoir un animal de compagnie qui compte, mais aussi la façon dont nous tissons des liens avec eux et interagissons avec eux.

Par exemple, les propriétaires qui ressentent plus d’anxiété à l’idée d’être séparés de leur animal, ou qui remettent davantage en question l’affection de celui-ci, ce qui reflète un attachement inquiet à l’animal, disent également se sentir plus déprimés. Le fait de percevoir nos animaux de compagnie comme moins compréhensifs ou plus insensibles à nos besoins est également associé à des niveaux plus élevés de dépression, d’anxiété et de solitude.




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À l’inverse, plus les gens ont le sentiment de partager des caractéristiques avec leurs animaux de compagnie (par exemple, la loyauté, la paresse), plus ils sont susceptibles de rapporter un bien-être plus élevé. Les animaux de compagnie sont également perçus comme vivant dans le présent, sans s’attarder sur le passé ni s’inquiéter pour l’avenir. Interagir en faisant preuve de présence attentive avec nos animaux peut nous aider à nous concentrer sur le moment présent, ce qui favorise également un plus grand bien-être.

En cultivant les aspects positifs de nos relations avec nos animaux de compagnie et en travaillant sur les aspects plus difficiles, nous pouvons atténuer le stress lié à certains des défis que représente leur prise en charge, notamment les ressources financières nécessaires ou l’anxiété que nous ressentons lorsqu’ils tombent malades.

Avoir un animal de compagnie : les défis

En réalité, avoir un animal de compagnie s’accompagne de responsabilités et de défis qui ne semblent pas être abordés aussi souvent que les avantages. Ces aspects plus difficiles de la prise en charge d’un animal de compagnie peuvent parfois être éprouvants sur le plan émotionnel et nuire au bien-être psychologique du propriétaire.

Avoir des animaux de compagnie, même si on les aime beaucoup, demande du temps, de l’énergie et des ressources financières. Pour certains, cette responsabilité peut représenter une source supplémentaire de stress. Dans notre étude, le fait d’avoir un animal de compagnie était associé, durant la pandémie de Covid-19, à un bien-être moindre chez les femmes et chez les personnes ayant deux enfants ou plus à la maison, des groupes déjà confrontés à des exigences accrues liées aux enfants et aux tâches ménagères.


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De même, avoir un animal de compagnie était associée à un bien-être moindre chez les personnes sans emploi ou ayant un emploi moins stable (par exemple, les étudiants, les personnes au foyer). Des ressources financières limitées pouvaient rendre plus difficile la prise en charge de l’animal.

De même, devoir s’occuper d’un animal malade peut être éprouvant sur le plan émotionnel pour les propriétaires. Les personnes qui s’occupent de chiens atteints d’une maladie chronique déclarent se sentir désespérées et impuissantes, en particulier lorsqu’elles ne peuvent pas soulager la souffrance de leur animal.

D’autres facteurs, tels que les problèmes de comportement d’un animal et le deuil vécu après la perte d’un animal de compagnie, peuvent également être difficiles à vivre pour les propriétaires. Pour ceux qui envisagent d’adopter un animal, il est important de tenir compte de ces réalités afin de prendre une décision éclairée.

Répondre aux besoins de notre animal

Il y a de nombreux facteurs importants à prendre en compte avant d’accueillir un nouvel animal de compagnie dans notre maison. Avant tout, nous devons nous assurer que nous avons le temps, l’énergie et les ressources nécessaires pour répondre à ses besoins.

Choisir un animal de compagnie avec soin, en fonction de ce que nous pouvons réellement lui offrir et sur la base d’informations fiables concernant ses caractéristiques et ses besoins, nous donne les meilleures chances d’avoir une relation positive et épanouie.

Répondre aux besoins de nos animaux de compagnie peut également améliorer notre propre bien-être en tant que propriétaires, démontrant ainsi le potentiel des relations interespèces mutuellement bénéfiques. Mais lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits, les animaux de compagnie et leurs propriétaires peuvent finir par se sentir stressés et anxieux.

Lorsque l’on envisage d’adopter un animal de compagnie, il est important de se poser la question suivante : pourquoi voulons-nous un animal de compagnie ? Si l’idée est d’améliorer notre bien-être psychologique, nos recherches suggèrent qu’il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois.

La Conversation Canada

Catherine Amiot fait partie du conseil d’administration émergent de la PHAIR Society, une société savante qui vise à promouvoir la recherche sur les relations intergroupes entre les humains et les animaux. Elle a reçu du financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS) pour les recherches menées dans son laboratoire et présentées dans cet article.

Christophe Gagné ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les animaux de compagnie sont-ils des gages de bonheur ? Des recherches apportent des bémols – https://theconversation.com/les-animaux-de-compagnie-sont-ils-des-gages-de-bonheur-des-recherches-apportent-des-bemols-263144

Millennial pink, Gen-Z Yellow, Brat Green… Décris-moi tes couleurs préférées, je devinerai ta génération

Source: The Conversation – France (in French) – By Sabine Ruaud, Professeur de marketing, EDHEC Business School

Chaque époque a ses couleurs emblématiques : les pastels rassurants des boomers, le rose poudré des milléniaux, le jaune éclatant et le vert tape-à-l’œil de la Gen Z. Reflets d’émotions collectives et de tendances sociétales, ces teintes en disent souvent plus long que de simples effets de mode.


Chaque génération semble s’approprier certaines teintes, mais il serait réducteur d’y voir une donnée biologique ou universelle. Si la couleur est l’effet visuel résultant de la composition spectrale de la lumière qui est envoyée, transmise ou réfléchie par des objets, la façon dont on l’envisage est avant tout une construction sociale et culturelle qui reflète les mœurs, les évolutions idéologiques et les influences médiatiques d’une époque.

En effet, comme l’a commenté Michel Pastoureau, ce n’est pas la nature qui fait les couleurs ni même l’œil ou le cerveau, mais la société qui leur attribue des significations variables selon les époques. Elles deviennent ainsi des témoins privilégiés des mutations de chaque décennie.

Dans un chapitre récemment publié, « La couleur, marqueur créatif générationnel ? », nous nous sommes intéressés à la façon dont les générations successives se caractérisent par un ensemble de valeurs, de croyances et de comportements qui se manifestent visuellement, notamment à travers des couleurs qui leur sont propres.

Ainsi, la segmentation par générations – boomers, générations X, Y, Z, Alpha – permet d’observer des affinités chromatiques qui ne relèvent pas seulement du goût individuel, mais d’un rapport collectif au temps, aux aspirations et aux codes esthétiques dominants.

À chaque génération, son code couleur

Les boomers (nés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le milieu des années 1960, ndlr– et la génération X (née entre 1965 et 1980) se caractérisent par une préférence pour des palettes dites traditionnelles, dominées par des tons neutres et pastels auxquels s’ajoutent, à partir des années 1970, des couleurs inspirées de la nature comme les verts, les bruns et les rouges terreux.

La génération Y, ou les millennials (en français, les milléniaux ; nés entre 1980 et le milieu des années 1990, ndlr), a quant à elle été marquée par l’émergence d’un rose emblématique, le « millennial Pink ». Plus qu’une simple teinte, ce rose pâle s’est imposé dans les années 2010 comme un symbole de légèreté, d’optimisme et surtout de remise en question des codes de genre.

Pour la génération Z (née entre 1995 et 2010), c’est d’abord un jaune vif, le « Gen-Z Yellow », qui s’est imposé, au tournant de 2018, en contraste avec le rose singulier de ses aînés. Rapidement, le violet est venu compléter cette palette, couleur historiquement liée au pouvoir, à la créativité et aux luttes féministes et, désormais, associée à l’expression de soi et à l’inclusivité. Plus récemment, le vert a gagné en importance : d’un côté, comme couleur associée aux enjeux écologiques, fréquemment mobilisée et récupérée dans le champ politique ; de l’autre, comme tendance numérique et provocante, le « Brat Green », popularisé, en 2024, par la chanteuse britannique Charli XCX.

La génération Alpha, encore en formation, oscille pour sa part entre un attrait pour les tons naturels et réconfortants et une exposition précoce aux couleurs franches et artificielles de l’univers digital.

S’ancrer dans son époque

Si ces repères générationnels sont séduisants, il est essentiel de ne pas les figer. Les couleurs ne se laissent pas réduire à des étiquettes fixes : elles vivent, elles circulent, elles se réinventent. Elles reviennent parfois de manière cyclique, à l’image de la mode, et se rechargent de nouvelles significations. C’est ce qui rend la couleur si puissante dans la communication. Elle permet d’ancrer une marque dans son époque tout en laissant place à la réinterprétation.

L’actualité chromatique de 2024–2025 en témoigne. À côté du vert néon insolent de l’album à succès Brat, de Charli XCX, l’entreprise Pantone a choisi « Mocha Mousse » comme couleur de l’année 2025, un brun cosy, gourmand et enveloppant qui traduit le besoin collectif de réassurance et d’ancrage. Le contraste entre ces deux signaux, l’un pop et ironique, l’autre discret et rassurant, illustre parfaitement la tension contemporaine entre exubérance et quête de stabilité.

Les recherches en marketing montrent, par ailleurs, que l’impact des couleurs ne réside pas seulement dans la teinte elle-même, mais aussi dans la manière dont elle est nommée.

Le « color naming » des marques

Le « color naming » a un effet direct sur la préférence et l’intention d’achat : un nom de produit évocateur, poétique ou humoristique génère davantage d’engagement qu’un terme générique. Ce phénomène, encore peu documenté, rappelle aux marques que les mots façonnent autant que les couleurs la perception des produits. L’excès d’humour peut toutefois brouiller la mémorisation de la marque, d’où la nécessité d’un dosage subtil

Pour les entreprises, l’enjeu est donc double. Il s’agit, d’une part, de comprendre les codes chromatiques ponctuels qui circulent dans une génération donnée, afin de parler un langage immédiatement perceptible, et, d’autre part, de créer un système de couleurs qui reste cohérent et durable dans le temps.

Parler de « couleurs de génération » reste un outil utile de décryptage, mais uniquement si l’on accepte sa plasticité. Pour chaque génération, la couleur est une passeuse de messages, un support de signes tacites ou exprimés de toutes sortes, un témoin clé dont les nuances suscitent des émotions, véhiculent des significations et procurent des expériences variées.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Millennial pink, Gen-Z Yellow, Brat Green… Décris-moi tes couleurs préférées, je devinerai ta génération – https://theconversation.com/millennial-pink-gen-z-yellow-brat-green-decris-moi-tes-couleurs-preferees-je-devinerai-ta-generation-260366

Conflit du lac Tchad : la solution repose sur les économies locales et non sur les armes

Source: The Conversation – in French – By Richard Atimniraye Nyelade, Lecturer, Sociological and Anthropological Studies, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Fatima, pêcheuse sur le lac Tchad, part chaque matin à l’aube. Dans ce lac aux eaux toujours plus réduites, elle tente de gagner sa vie, mais aussi de s’acquitter d’une « taxe ». Avant de déployer son filet, elle doit céder une partie de ses modestes revenus à des hommes armés qui se réclament de Boko Haram. Tout refus pourrait lui coûter son poisson, son embarcation, ou même sa vie.

Boko Haram est un réseau insurrectionnel qui a vu le jour dans le nord-est du Nigéria en 2002 et qui s’est ensuite scindé en deux factions principales : Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad, la faction originale de Boko Haram et ISWAP (Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique, la branche de l’État islamique dans la région). Les deux opèrent au Nigeria, au Niger, au Tchad et au Cameroun.
De telles extorsions économiques ont lieu chaque jour dans tout le bassin du lac Tchad. Il s’agit d’une vaste région touchée par la sécheresse qui s’étend sur les zones frontalières autour du lac Tchad, au nord-est du Nigeria, au sud-est du Niger, à l’ouest du Tchad et au nord du Cameroun. Elle abrite plus de 30 millions de personnes dont les moyens de subsistance dépendent de la pêche, de l’agriculture et de l’élevage.

Je suis chercheur dans le domaine de l’insécurité et des conflits liés au climat. Dans un récent article, j’ai examiné comment la dégradation de l’environnement, l’instabilité régionale et les intérêts géopolitiques extérieurs exacerbent les conflits dans la région. L’étude s’appuie sur une analyse qualitative de rapports sur la sécurité et de la littérature universitaire. Il s’agit notamment de l’analyse des conflits du bassin du lac Tchad réalisée en 2022 par le Programme des Nations unies pour le développement et le rapport sur le climat et la sécurité alimentaire du Programme alimentaire mondial pour 2024.

Le document explique comment Boko Haram en est venu à fonctionner comme un gouvernement parallèle, imposant des taxes sur le commerce, l’agriculture et la pêche. Il impose un ordre brutal en échange de revenus.

J’en conclus que la guerre n’est plus seulement motivée par des convictions religieuses. Elle est alimentée par l’effondrement de l’économie, la ruine écologique et l’absence d’alternatives viables.

Comprendre ces dynamiques est essentiel pour élaborer des stratégies de sécurité globales. Sur la base de ces conclusions, je recommande cinq mesures : investir dans la restauration écologique de la région ; renforcer les services de renseignement transfrontaliers afin d’étouffer le commerce illicite de poissons, de bétail, d’armes et d’êtres humains ; garantir la transparence des acteurs étrangers quant à leurs motivations ; reconstruire les économies locales et soutenir les communautés déplacées ; et enfin, rétablir la confiance avec les communautés locales.

Dégradation de l’environnement

La superficie du lac Tchad est passée d’environ 25 000 km² au début des années 1960 à quelques centaines de km² dans les années 1980. Depuis, elle reste en général en dessous d’un dixième de son niveau initial, avec de fortes variations. Ce phénomène est documenté dans les analyses satellitaires de la NASA et de United States Geological Survey.

Il ne s’agit pas seulement d’une crise écologique. À mesure que l’eau recule et que les terres fertiles disparaissent, la pêche, l’agriculture et l’élevage s’effondrent. Le bassin accueille environ 30 millions de personnes réparties dans 10 régions ou États infranationaux.

En 2024, les inondations au Niger ont touché environ 1,5 million de personnes dans tout le pays. Dans la région de Diffa, environ 50 000 personnes ont été touchées. Les autorités sont restées en alerte le long du fleuve Komadougou Yobe. La Croix-Rouge a également signalé des situations d’urgence liées aux inondations dans tout le bassin ce mois-là.

L’effondrement écologique du bassin a transformé le lac Tchad en terrain de recrutement. Le Programme alimentaire mondial montre comment les sécheresses et les précipitations irrégulières ont réduit les rendements agricoles. Le Programme des Nations unies pour le développement établit un lien entre ces chocs environnementaux et l’aggravation des déplacements de population, de la faim et de l’extrémisme.

Dans tout le bassin, Boko Haram a mis en place une économie parallèle brutale et extractive. Au Nigeria, le groupe contrôlait à un moment donné jusqu’à la moitié du commerce du poisson autour de Baga. Les pêcheurs étaient taxés à chaque étape, du lac au marché. Tout refus était sanctionné par la violence.

Au Cameroun, au Tchad et au Niger, les factions de Boko Haram ont organisé des vols de bétail qui ont décimé les communautés pastorales. Mes recherches montrent comment les raids armés privent les éleveurs de leurs moyens de subsistance du jour au lendemain. Les animaux volés sont vendus par le biais de réseaux de contrebande transfrontaliers, alimentant ainsi l’insurrection. Le groupe impose également des taxes aux vendeurs de bétail à des points de contrôle improvisés, transformant le vol de bétail et les taxes sur les marchés en revenus réguliers.

Dans tout le bassin, l’enlèvement est devenu une industrie. L’ONU rapporte que les enlèvements contre rançon restent une source de revenus essentielle pour Boko Haram/ISWAP, et qu’une « rançon importante » a été versée dans l’affaire des écolières de Dapchi en 2018. Ce qui a commencé comme des actes idéologiques, tels que l’enlèvement des écolières, s’est transformé en un modèle économique impitoyable. Les rançons servent à financer les armes, la logistique et le recrutement.

Instabilité régionale

La détresse écologique et économique alimente l’instabilité régionale. Alors que les communautés se fracturent et se disputent des ressources qui s’amenuisent, les frontières des quatre pays du bassin du Tchad deviennent des autoroutes pour les insurgés, les contrebandiers et les armes.

Depuis 2014, Boko Haram s’est propagé du Nigeria au Cameroun, au Tchad et au Niger, où les forces de sécurité sont débordées et la coordination inégale. Les armes circulent à travers le Sahel et les abus commis par les acteurs de la sécurité minent la confiance des populations, ce qui facilite le recrutement.

Mon étude explique en détail comment les armées nationales, souvent sous-équipées et confrontées à des problèmes de coordination, ont été incapables de sécuriser ce vaste territoire. La Force multinationale mixte, une coalition militaire régionale, a remporté des succès, mais elle est confrontée aux mêmes difficultés.

Ce vide sécuritaire est l’espace dans lequel prospèrent la gouvernance parallèle et l’économie illicite de Boko Haram, faisant de cette crise un véritable problème régional qu’aucun pays ne peut résoudre seul. Il en résulte un système conflictuel qui traverse les frontières, mêle idéologie et profit, et survit aux réponses purement militaires.

La force n’est pas la solution

La force militaire seule ne peut pas résoudre ce problème. Il est nécessaire de s’attaquer aux causes profondes, à l’effondrement écologique, à la destruction des moyens de subsistance et aux sources de revenus qui alimentent l’insurrection.

La Commission du bassin du lac Tchad est l’organisme intergouvernemental qui gère les ressources du lac. Créée en 1964 par le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria, puis rejointe par la République centrafricaine et la Libye, la commission et les gouvernements nationaux doivent agir avec urgence et courage. Ils doivent :

  • investir dans la résilience climatique, la gestion à grande échelle de l’eau, les cultures résistantes à la sécheresse, la restauration des zones humides et la pêche durable

  • perturber le commerce illicite et s’attaquer aux financements, pas seulement aux militants

  • exiger des acteurs étrangers qu’ils fassent preuve de transparence quant à leurs intentions dans la région

  • reconstruire les économies locales et rétablir la confiance.

Le combat quotidien de Fatima sur le lac Tchad ne concerne pas seulement le poisson. C’est l’avenir de la région qui est en jeu. Le lac qui s’assèche, les villages abandonnés, les percepteurs armés… Ce ne sont pas des effets secondaires. C’est le cœur même de l’histoire.

The Conversation

Richard Atimniraye Nyelade does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Conflit du lac Tchad : la solution repose sur les économies locales et non sur les armes – https://theconversation.com/conflit-du-lac-tchad-la-solution-repose-sur-les-economies-locales-et-non-sur-les-armes-264810

Lecornu en quête de majorité : comment nos voisins européens créent le consensus

Source: The Conversation – in French – By Damien Lecomte, Chercheur associé en sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Dans les démocraties parlementaires européennes, des négociations – souvent longues – permettent la formation de coalitions gouvernementales fonctionnelles. En France, alors que le « bloc central » n’est pas majoritaire au Parlement, le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu pourrait-il s’inspirer des pratiques éprouvées en Allemagne, en Belgique ou en Espagne, pour éviter l’échec de ses prédécesseurs ?


La nomination du troisième premier ministre proche d’Emmanuel Macron en à peine plus d’un an peut donner l’impression de poursuivre la même stratégie mise en échec par deux fois. En effet, ses orientations politiques et sa future coalition semblent, a priori, les mêmes que celles de Michel Barnier et de François Bayrou. Pourtant, un élément retient l’attention : Emmanuel Macron a chargé Sébastien Lecornu de « consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget et [de] bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois » avant de lui « proposer un gouvernement ». Cette démarche augure-t-elle une inflexion notable, tant sur le fond que sur la forme, et un mode de gouvernance se rapprochant des pratiques en vigueur dans les régimes parlementaires européens ?

La tradition parlementaire dans « les démocraties de consensus »

Après des législatives, dans les régimes dits « parlementaires » ou dans les « démocraties de consensus », les forces politiques consacrent souvent un temps important à négocier, dans l’objectif de conclure un accord, voire un contrat de gouvernement et de législature.
Dans la célèbre classification d’Arend Lijphart, ce dernier distingue les « démocraties de consensus » des « démocraties majoritaires » où le pouvoir est concentré dans une simple majorité, voire un seul parti et son chef, cas fréquent dans le modèle de Westminster (inspiré du Royaume-Uni, ndlr). Les « démocraties de consensus » sont celles où, par le mode de scrutin, par le système partisan et par la culture politique, des familles politiques aux orientations et intérêts parfois éloignés sont contraintes de se partager le pouvoir.

Les modalités de formation des gouvernements de coalition et des contrats de législature varient selon les pays et leurs propres traditions et systèmes partisans. Mais le principe central demeure le même : lorsqu’aucun parti ni aucune coalition préélectorale n’obtient de majorité suffisante pour prétendre gouverner, les forces parlementaires négocient un accord de compromis. Ce dernier comporte souvent deux aspects. D’une part, la répartition des postes ministériels, d’autre part, une base minimale de politiques publiques à mener – y compris pour obtenir un soutien sans participation ou une non-censure de la part des groupes qui n’entrent pas au gouvernement.

De telles négociations ont le défaut d’être souvent très longues – des semaines, voire des mois –, et parfois de passer par plusieurs échecs avant d’aboutir à un compromis à l’équilibre délicat. Toutefois, lorsque ce compromis est trouvé, il peut permettre une relative stabilité pendant plusieurs années, et a l’avantage de réunir des parlementaires qui représentent une majorité effective de l’électorat – tandis que les gouvernements français s’appuient sur un soutien populaire de plus en plus étroit.

L’Allemagne est prise en exemple pour sa tradition de coalitions. Celles-ci sont négociées pendant des semaines, formalisées dans des contrats prévoyant des politiques gouvernementales précises pour la durée du mandat. Après les élections fédérales du 26 septembre 2021, il a fallu attendre deux mois pour que soit signé un contrat de coalition inédite entre trois partis – sociaux-démocrates, écologistes et libéraux. En 2025, après les élections du 23 février, l’accord pour une nouvelle grande coalition entre conservateurs et socialistes n’est conclu que le 9 avril.

La période de discussion entre partis politiques représentés au Parlement peut même être encore plus longue. Le cas est fréquent en Belgique, où les divisions régionales et linguistiques s’ajoutent à la fragmentation partisane. Près de huit mois se sont ainsi écoulés entre l’élection de la Chambre des représentants, le 9 juin 2024, et la formation du nouveau gouvernement, entré en fonctions le 3 février 2025, composé de la « coalition Arizona » entre chrétiens-démocrates, socialistes, nationalistes flamands et libéraux wallons.

Les procédures sont largement routinisées. Après chaque scrutin fédéral, le roi des Belges nomme un « formateur » chargé de mener les consultations et négociations nécessaires pour trouver une majorité fonctionnelle pour gouverner. En cas de succès, le « formateur » devient alors le premier ministre. L’identification du formateur le plus susceptible de réussir sa mission est une prérogative non négligeable du souverain.

Lorsqu’un régime politique se heurte à une configuration partisane et parlementaire inédite, il arrive que l’adaptation à cette nouvelle donne prenne du temps. L’Espagne offre cet exemple. Après les élections générales d’avril 2019, aucune majorité claire ne s’est dégagée et Pedro Sanchez, président du gouvernement sortant et chef du Parti socialiste arrivé en tête, a d’abord voulu conserver un gouvernement minoritaire et uniquement socialiste. Ce n’est qu’après deux échecs lors de votes d’investiture en juillet, puis une dissolution et de nouvelles élections en novembre, que le Parti socialiste et Podemos se sont finalement mis d’accord sur un contrat de coalition pour un gouvernement formé en janvier 2020 – première coalition gouvernementale en Espagne depuis la fin de la IIe République (1931-1939).

Un élément notable de ces pratiques parlementaires est que l’identification du camp politique et du candidat en mesure de rassembler une majorité n’est pas toujours immédiatement évidente, et qu’un premier échec peut se produire avant de devoir changer d’option. Ainsi, en août 2023, toujours en Espagne, lorsque le roi a d’abord proposé la présidence du gouvernement au chef du Parti populaire (droite espagnole), arrivé en tête des élections de juillet. Ce n’est qu’après l’échec du vote d’investiture de ce dernier que Pedro Sanchez a pu à nouveau tenter sa chance. Grâce à un accord de coalition avec la gauche radicale Sumar et un accord de soutien sans participation avec les partis indépendantistes catalans et basques, il a finalement été réinvesti président du gouvernement.

Vers une lente parlementarisation du régime français ?

Au regard des pratiques dans les régimes parlementaires européens habitués aux hémicycles très fragmentés et sans majorité évidente, la France n’a pas su, jusqu’ici, gérer la législature ouverte par la dissolution de juin 2024. Le temps record (pour la France) passé entre l’élection de l’Assemblée nationale et la formation d’un gouvernement n’a pas été mis à profit.

Ainsi, malgré les consultations menées par le président Macron pour former le gouvernement, la coalition du « socle commun » entre le « bloc central » et le parti Les Républicains (LR), base des gouvernements Barnier et Bayrou, n’a fait l’objet d’aucune négociation préalable ni d’aucune sorte de contrat de législature. De même, les concessions faites par François Bayrou aux socialistes pour éviter la censure du budget 2025 n’ont pas donné lieu à un partenariat formalisé, et les relations se sont rapidement rompues.

En confiant à son nouveau chef de gouvernement, Sébastien Lecornu, la charge de mener les consultations pour « bâtir les accords indispensables », le président Macron semble avoir acté qu’il n’était pas en position de le faire lui-même. Reste que le premier ministre devra montrer, pour durer, une capacité à obtenir des accords et des compromis supérieure à celle de ses deux prédécesseurs – et pour cela, une volonté d’infléchir la politique gouvernementale.

Pour former son gouvernement, Sébastien Lecornu se tournera à l’évidence vers la reconduction du « socle commun » entre la macronie et le parti LR, lui qui est membre de la première et issu du second. Mais si la coalition gouvernementale est la même, le premier ministre peut innover en parvenant à un accord formel de non-censure avec au moins l’un des groupes d’opposition. Un tel accord devrait porter sur le budget 2026 et s’accompagner d’un engagement à laisser faire la délibération parlementaire sur chaque texte, en échange de l’absence de censure.

Sébastien Lecornu peut certes essayer de trouver son salut dans la tolérance de l’extrême droite, comme Michel Barnier l’a lui-même tenté à ses risques et périls. La détermination du Rassemblement national (RN) à obtenir une dissolution rend cet interlocuteur imprévisible. Si le premier ministre devait chercher la non-censure d’une partie de la gauche, alors il devrait pour cela leur faire des concessions substantielles. Car les socialistes estiment avoir été maltraités par François Bayrou malgré leur ouverture à la discussion, et risquent d’être moins enclins à faire un pas vers le gouvernement.

Une inflexion de la politique gouvernementale apte à trouver une majorité de compromis avec la gauche (solution par ailleurs plus conforme au front républicain des législatives de 2024) nécessiterait des avancés sur la taxation des plus riches, sur la réforme des retraites, sur les aides sans contrepartie aux entreprises ou sur la modération de l’effort budgétaire demandé aux ménages. Avec aussi l’impératif de faire accepter ces concessions aux membres du « socle commun » !

Le nouveau premier ministre a promis des « ruptures » tant sur la méthode que sur le fond et a donné des signaux en ce sens, avec la réouverture du débat sur les retraites. Des voix se font entendre, y compris parmi les LR, pour accepter l’idée d’une contribution des plus grandes fortunes à l’effort budgétaire. Si Sébastien Lecornu parvient effectivement à s’émanciper du bilan qu’Emmanuel Macron a, jusqu’ici, voulu défendre à tout prix, alors son gouvernement pourrait durer. Mais faute d’un vrai changement de fond de la politique gouvernementale, le changement de méthode risque de ne pas suffire à le préserver du sort de ses deux prédécesseurs.

The Conversation

Damien Lecomte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Lecornu en quête de majorité : comment nos voisins européens créent le consensus – https://theconversation.com/lecornu-en-quete-de-majorite-comment-nos-voisins-europeens-creent-le-consensus-265134

Charlie Kirk, le martyr du trumpisme

Source: The Conversation – in French – By Jérôme Viala-Gaudefroy, Spécialiste de la politique américaine, Sciences Po

« Du fait de cet acte de haine, la voix de Charlie est devenue plus grande et sera plus entendue que jamais auparavant. » C’est par ces mots que Donald Trump a conclu son intervention de quatre minutes consacrée à l’assassinat, ce 10 septembre, de Charlie Kirk, 31 ans, en plein discours pendant sa tournée « American Comeback Tour », sur le campus de l’université d’Utah Valley, à Orem, dans l’État de l’Utah. Qui était Charlie Kirk (dont l’assassin n’a toujours pas été arrêté au moment de la publication de cet entretien) ? Comment son influence se déployait-elle ? Que dit son assassinat du climat actuel aux États-Unis ? Et quelles pourraient en être les conséquences ? Ce sont les questions que nous avons posées à Jérôme Viala-Gaudefroy, spécialiste de la politique américaine et de la rhétorique des présidents des États-Unis.


Quelle était la place de Charlie Kirk au sein de la galaxie trumpiste ?

C’était avant tout – mais pas exclusivement, tant s’en faut – l’un des principaux porte-voix de Donald Trump auprès de la jeunesse. S’il a été assassiné à un âge très jeune, cela faisait déjà longtemps qu’il était bien connu des Américains.

En 2012, avant même d’avoir vingt ans, au moment où Barack Obama était en train d’achever son premier mandat et s’apprêtait à effectuer son second, il avait créé Turning Point USA, une organisation destinée à rassembler les étudiants conservateurs, et qui a rapidement obtenu les faveurs de nombreux riches donateurs. Kirk n’a pas terminé ses études ; il s’est lancé à corps perdu dans la politique. Les financements de TPUSA, dont Kirk est resté le président jusqu’à sa mort, n’ont cessé de croître au cours des années suivantes et l’organisation a pris une grande ampleur, cherchant notamment, à travers son programme « Professor Watchlist », à répertorier et dénoncer les enseignants universitaires jugés trop à gauche.

Kirk a été repéré par les trumpistes et, s’il n’était au départ pas convaincu par le milliardaire new-yorkais (il était plutôt proche du Tea Party), il s’est vite totalement fondu dans son mouvement, se rapprochant nettement de son fils, Donald Trump Junior, et participant activement aux campagnes de 2016, 2020 et bien sûr 2024.

Il a joué un rôle non négligeable dans la victoire de Trump contre Kamala Harris, notamment grâce au succès de ses nombreuses tournées sur les campus, où il aimait à polémiquer publiquement avec des étudiants aux idées contraires aux siennes. Il faut d’ailleurs lui reconnaître un certain courage : il n’a jamais hésité à aller se confronter au camp opposé. Et comme il avait indéniablement un grand sens de la répartie et savait très bien mettre ses adversaires en colère et les cueillir d’une petite phrase bien sentie, ses duels oratoires ont donné lieu à de nombreuses vidéos virales qui ont eu un grand succès sur le Net parmi les jeunes de droite et, aussi, auprès de certains qui s’interrogeaient encore. Au-delà, ses messages adressés à une jeunesse conservatrice qui se sentait souvent en minorité dans le monde universitaire ont porté leurs fruits.

Un peu comme les militants de la campagne Obama de 2008, il a consacré une grande partie de ses efforts à convaincre les jeunes qui n’étaient pas inscrits sur les listes électorales à s’enregistrer – et donc à voter Trump. Et une fois la victoire de Trump obtenue, il a continué à soutenir sans relâche le président. Comme une partie considérable du mouvement MAGA, il a fait la moue quand Trump a déclaré que le dossier Epstein, dont ses partisans attendaient qu’il en révèle le contenu, supposément explosif pour les démocrates, était vide. Mais il s’est vite rangé derrière le président sur ce point.

Sur le fond, son positionnement était assez classique au sein du monde trumpiste : ultra-conservatisme sur les questions sociétales (dénonciation des lois favorables aux personnes LGBT et de l’affirmative action, assimilation de l’avortement à un meurtre), religiosité portée en bandoulière (il était un fervent chrétien évangélique), hostilité assumée à l’immigration (systématiquement comparée à une invasion) et à l’islam, climato-scepticisme, rejet des mesures sanitaires prises pour endiguer la pandémie de Covid-19, refus de la moindre entrave au port d’armes, alignement sur Israël, mansuétude voire sympathie à l’égard de Vladimir Poutine, etc.

Sur la forme, il avait été très inspiré par Rush Limbaugh, le fameux animateur de radio de droite radicale, très influent durant plusieurs décennies passés, volontiers clivant et provocateur, et à qui il a rendu un hommage appuyé quand ce dernier est décédé en 2021.

Dans sa réaction postée peu après l’annonce de la mort de Kirk, Donald Trump n’a pas hésité à en imputer la responsabilité à la gauche radicale, et à rapprocher ce qui venait de se produire non seulement de la tentative d’assassinat qui l’avait visé lui-même le 13 juillet dernier, mais aussi de celle commise contre l’élu républicain Steve Scalise en 2017 et, peut-être plus inattendu, de l’assassinat du PDG de UnitedHealthcare Brian Thompson à New York en décembre dernier, et des actes de violence à l’encontre de certains agents de ses services de lutte contre l’immigration illégale (ICE) lorsque ceux-ci arrêtent des migrants supposément clandestins…

Il a parlé de ces actes de violence-là, mais il n’a pas évoqué le tout récent meurtre d’une élue démocrate du Minnesota et de son époux par un homme qui avait sur lui une liste d’élus démocrates à abattre.

Trump présente l’assassinat de Kirk non pas comme le produit de l’ambiance détestable que l’on perçoit aujourd’hui dans le monde politique des États-Unis, et dont les représentants de tous les bords politiques sont les cibles de façon récurrente, mais uniquement comme la traduction en actes concrets des discours virulents dont les trumpistes font l’objet de la part de leurs adversaires – militants politiques et médias « mainstream » confondus. Ce faisant, et comme il fallait s’y attendre de sa part, il élude totalement sa propre responsabilité dans la déréliction de ce climat politique.




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Trump n’est évidemment pas le premier politicien du pays à tenir un discours très agressif à l’encontre de ses opposants, mais jamais un président ne s’était exprimé comme il le fait chaque jour, avec une violence verbale constante encore soulignée par ses postures martiales et son recours récurrent aux messages en majuscules sur les réseaux sociaux. Cette manière de s’exprimer a largement infusé le débat public – cela dans le contexte de l’explosion des réseaux sociaux, propices comme chacun sait à la mise en avant des messages les plus virulents.




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Les partisans de Trump, qu’il s’agisse de dirigeants politiques de premier plan ou d’éditorialistes de droite dure, rivalisent donc de formules à l’emporte-pièce. On l’a encore vu ces dernières heures après la mort de Kirk, quand des personnalités comme Elon Musk, Laura Loomer, Steve Bannon et bien d’autres ont appelé à la vengeance et dénoncé non seulement la gauche radicale mais aussi la gauche dans son ensemble, Musk tweetant par exemple que « la gauche est le parti du meurtre » – soulignons à cet égard que les trois anciens présidents démocrates toujours en vie, à savoir Bill Clinton, Barack Obama et Joe Biden, ont tous trois condamné avec la plus grande fermeté l’assassinat de Kirk, et que des leaders de la gauche du Parti démocrate comme Bernie Saunders, Alexandria Ocasio-Cortez ou encore Zohran Mamdani en ont fait de même.

Pour autant, et même si aucune personnalité de premier plan ne s’est réjouie de la mort de Kirk, la gauche n’est évidemment pas immunisée contre ce durcissement, cette radicalisation du discours, cette trumpisation du discours en fait, qu’on observe parfois sous une forme ironique, comme quand le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, reprend les codes de communication de Trump, mais qui prend aussi, sur les réseaux et dans certaines manifestations, des tonalités extrêmement agressives. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Trump a mentionné le meurtre de Brian Thompson par Luigi Mangione, un meurtre que certaines voix se revendiquant de la gauche radicale ont salué.




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Les trumpistes ont beau jeu de se scandaliser des formules les plus excessives du camp d’en face, assimilé à une meute violente ; les adversaires de Trump, sous l’effet de cette intensification des débats, répondent avec encore plus de virulence ; c’est un cercle vicieux qui imprègne les esprits. Et bien qu’on ne sache rien à cette heure de l’identité du tireur, il faut souligner que cette hystérisation, cette colère mutuelle, a nécessairement des effets sur le grand public, y compris sur les nombreuses personnes ayant des problèmes psychiatriques et susceptibles de passer à l’acte – l’homme qui a essayé de tuer Trump en juillet dernier avait d’ailleurs ce profil.

Donald Trump et Charlie Kirk lors d’un meeting en juillet 2021.
Gage Skidmore/The Star News Network, CC BY-NC

Tout cela a des traductions très concrètes. L’année dernière, une étude du Brennan Center a montré que le nombre de menaces visant des personnalités politiques, locales ou nationales, avait triplé entre 2017 et 2024. Les élus, mais aussi les militants politiques, à tous les niveaux, ainsi que les juges, ont peur. Entre 2020 et 2024, 92 % des élus ont pris des mesures de sécurité supplémentaires pour réduire les risques pesant contre eux-mêmes et contre les processus électoraux. Le climat est plus délétère que jamais.

Le contexte que vous décrivez est d’autant plus crispé que Donald Trump est actuellement dans une confrontation ouverte avec plusieurs villes et États dirigés par des démocrates, où il fait intervenir l’armée afin de mener à bien ses procédures d’expulsion, et aussi en tension maximale avec de nombreux juges de divers niveaux, jusqu’à la Cour suprême, du fait de ses tentatives de s’arroger toujours plus de prérogatives. Au vu des appels à durcir le ton face à la gauche venus du camp républicain, est-il envisageable que la mort de Kirk soit le prétexte invoqué pour adopter de nouveaux décrets qui donneraient au président encore plus de pouvoir ?

C’est loin d’être impossible. Trump a du mal à faire passer de nouvelles lois – il faut pour cela disposer de 60 sièges au Sénat, ce qui n’est pas le cas. Mais il use et abuse des décrets présidentiels. Ceux-ci peuvent être contestés en justice, mais en attendant, il les met en application. Il est déjà tourné vers les élections de mi-mandat qui auront lieu dans un an, et il peut instrumentaliser ce meurtre pour, par exemple, au nom de la supposée menace exceptionnelle que la gauche fait peser sur le pays, interdire des manifestations, arrêter des gens encore plus facilement qu’aujourd’hui, les menacer de peines sévères en cas de résistance à la police, et ainsi de suite. La présence de militaires dans certaines villes, de ce point de vue, n’a pas grand-chose de rassurant.

Charlie Kirk aura alors en quelque sorte autant servi les projets de Trump dans sa mort que dans sa vie…

Tout assassinat est un drame épouvantable, et quoi qu’on puisse penser des idées de Kirk, et bien que lui-même disait mépriser le sentiment d’empathie, cet assassinat-là n’échappe évidemment pas à la règle. Mais effectivement, ce ne serait pas la première fois qu’un pouvoir radical utiliserait le meurtre de l’un de ses partisans pour justifier son propre durcissement, le renforcement de ses prérogatives et sa répression à l’encontre de ses adversaires politiques. Avec Kirk, pour lequel la Maison Blanche a ordonné que les drapeaux soient mis en berne dans tout le pays, le trumpisme tient un martyr d’autant plus poignant que l’homme était une sorte d’idéal-type : jeune, beau, blanc, charismatique, marié, deux enfants, self-made man, patriote, tué en plein meeting…

Quand Trump dit que le nom de Charlie Kirk ne sera pas oublié de sitôt, il dit sans doute vrai : lui-même et l’ensemble du monde MAGA tenaient déjà leur image héroïque avec cette photo impressionnante du 13 juillet sur laquelle Trump, ensanglanté, brandit le poing après le tir qui a failli lui coûter la vie. Il est fort à parier que l’image de Charlie Kirk parlant au pupitre quelques instants avant d’être tué rejoindra cette photo iconique au panthéon du trumpisme…


Propos recueillis par Grégory Rayko

The Conversation

Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Charlie Kirk, le martyr du trumpisme – https://theconversation.com/charlie-kirk-le-martyr-du-trumpisme-265129

Ressourceries, Emmaüs, Le Relais : les acteurs emblématiques de la seconde main menacés par la grande distribution

Source: The Conversation – France (in French) – By Benjamin Cordrie, Enseignant-chercheur, titulaire de la chaire économie sociale et circulaire, UniLaSalle

La croissance du marché de la seconde main est estimée à 15&nbsp;% par an. NovikovAleksey/shutterstock

Aux côtés des acteurs associatifs historiques du réemploi – Emmaüs, ressourceries et recycleries – et des plateformes, comme Vinted et Leboncoin, de nombreuses enseignes de la grande distribution développent aujourd’hui des offres de seconde main. Faut-il s’en réjouir ? Qui en sort vainqueur ?


Les activités liées à la seconde vie des produits connaissent en France un essor sans précédent. Faut-il se réjouir de l’avènement d’une économie circulaire plus vertueuse, limitant le gaspillage des ressources et la production de déchets ? C’est l’une des interrogations qui oriente les travaux menés dans le cadre de la Chaire Économie sociale et circulaire.

Deux modèles coexistent derrière la promesse vertueuse de la seconde main. Le premier, porté par les acteurs de l’économie sociale et solidaire, repose sur la pratique du réemploi : une activité fondée sur le don, articulée à des finalités sociales (insertion, solidarité) et écologiques (réduction des déchets, sobriété matérielle).

Le second relève du marché de l’occasion. Il repose sur la revente, mobilisée comme levier de profit, et tend à intensifier la circularité, sans remettre en cause les volumes de production et de consommation. Autrement dit, l’un cherche à réduire à la fois les déchets et la surconsommation, l’autre vise à prolonger la durée de vie des produits sans sortir de la logique marchande. Les deux modèles ne sont pas équivalents, ni dans leurs objectifs ni dans leurs effets.

Pour quel avenir du marché de seconde main ?

Seconde main devenue chic

Plusieurs facteurs expliquent les velléités de la grande distribution à investir le marché de la seconde main. Dans un contexte où les injonctions à adopter des comportements de consommation responsables se multiplient, la croissance de ce marché est estimée à 15 % par an.

Elle s’appuie sur une revalorisation sociale de la seconde main, devenue tendance, voire chic. C’est sur cette corde que jouent les campagnes de communication des plates-formes comme Vinted. D’autre part, une étude marketing comme celle du cabinet Enov (dont l’illustration ci-dessous est tirée) offre à la fois l’intérêt de quantifier le marché de la seconde main et de témoigner de son intérêt auprès d’acteurs aux modèles économiques lucratifs.

Marché de la seconde main par catégorie.
Enov

Ces mutations s’inscrivent dans le sillage de la loi Anti-Gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) adoptée en 2020. La réglementation sur la reprise « 1 pour 1 » oblige les distributeurs à collecter les produits usagés qu’ils commercialisent, soumis à la responsabilité élargie du producteur (REP). En 2023, ces filières REP pèsent 152 millions de tonnes de produits, 12,6 millions de produits et déchets collectés pour 8,2 millions de tonnes recyclées.

Ainsi voit-on fleurir, dans les grandes surfaces, des offres de produits de seconde vie, qu’il s’agisse d’électroménager, d’articles de sport, ou encore de bricolage.

Réemploi solidaire

Le secteur du réemploi s’est historiquement structuré autour d’acteurs de l’économie sociale et solidaire comme Emmaüs, les ressourceries ou les entreprises d’insertion Envie. Leur activité combine deux aspects : la collecte basée sur le don, dite « non écrémante » car indépendante de la valeur marchande des objets, et la revente à prix solidaires. Ces acteurs participent à la prévention, en détournant du flux de déchets, la partie pouvant être réemployée.

Ces structures entretiennent une relation distante avec le profit, ce qui leur permet de rendre accessibles des biens aux catégories les plus précaires de la population. Nombre d’entre elles sont des actrices de l’insertion par l’activité économique (IAE). Elles proposent des emplois accompagnés à des personnes éloignées du marché du travail, et font du réemploi des objets un support à l’insertion socioprofessionnelle des personnes.

L’ancrage territorial de ces structures, et les modes démocratiques de gouvernance qui s’y exercent ouvrent la voie à des formes de réappropriation citoyenne des enjeux de gestion des déchets. Dans les sociétés industrielles modernes, ces enjeuxsont délégués à des entreprises spécialisées et circonscrits à des choix techniques. Les structures du réemploi solidaire mobilisent des bénévoles, des salariés, des collectivités et des habitants, et contribuent en cela à repolitiser ces enjeux en redonnant aux citoyens un pouvoir de décider et d’agir.

Bon d’achat dans la grande distribution

Le modèle développé par la grande distribution est radicalement différent. Il repose sur un système de bons d’achat : en échange d’un produit usagé rapporté en magasin, les consommateurs reçoivent un bon de réduction à valoir sur l’achat d’un produit neuf. Ce dispositif stimule la consommation, y compris de produits neufs, et contribue à un effet rebond. Les bénéfices environnementaux attendus de la prolongation de la vie des produits peuvent se retrouver annulés par l’augmentation de la consommation globale.

Il s’agit moins de réemploi que de l’intégration d’une offre d’occasion. En témoignent les partenariats entre des enseignes de grande distribution et des professionnels du secteur. Carrefour s’est par exemple associé à Cash Converters, entreprise spécialisée dans l’achat-vente de biens d’occasion, pour installer des corners dédiés à l’occasion dans ses hypermarchés. Les activités liées à la seconde vie sont ici une opportunité de diversification commerciale, voire de verdissement de l’image de l’entreprise.

Pressions concurrentielles

Ces évolutions exercent une pression croissante sur les acteurs du réemploi solidaire, en particulier lorsque les segments les plus rentables – la « crème » des gisements – sont captés. Ces objets de qualité, en très bon état et avec une forte valeur marchande, représentent une part réduite des apports, mais jouent un rôle très important dans l’équilibre économique des structures.




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Les revenus issus des ventes à prix solidaires représentent jusqu’à 80 % des ressources de certaines structures comme Envie. Les difficultés rencontrées par la filière textile, submergée par des volumes croissants de vêtements à bas coût issus de la fast fashion, illustrent bien la fragilité de cet équilibre.

ESS versus RSE

Comme le rappelle la socioéconomie, l’application d’un principe de marché librement concurrentiel favorise les acteurs dominants. Face aux moyens des grandes enseignes, les campagnes de plaidoyer des structures solidaires peinent à se faire entendre. Une réponse politique plus ambitieuse paraît nécessaire, à même de garantir la pérennité des activités solidaires.

Des partenariats existent entre ESS et entreprises privées, comme celui qui unit la fédération Envie au groupe Fnac-Darty. Puisque ces coopérations reposent uniquement sur des démarches RSE non contraignantes, leur pérennité reste fragile. Rien n’empêche les enseignes de s’en détourner dès lors qu’elles identifient un intérêt économique à développer leur propre filière de seconde main.

Modes de production et de consommation

Au niveau local, certaines collectivités soutiennent activement les acteurs de l’ESS à travers des aides financières, des mises à disposition de locaux ou des clauses sociales et environnementales dans les marchés publics. À Rennes, la métropole a initié la création d’une plateforme territoriale du réemploi, fédérant plusieurs structures solidaires.

Comme l’affirme la géographe Nicky Gregson, « il est impossible de comprendre le problème global des déchets en commençant par le déchet ». Autrement dit, il faut interroger les dynamiques de production et de consommation qui sous-tendent ces flux. C’est à cette échelle qu’il est possible de penser le réemploi solidaire, non comme un débouché opportun à une surproduction irréversible, mais comme un espace en marge du capitalisme que les pouvoirs publics peuvent choisir de soutenir, ou de fragiliser.

The Conversation

Cet article est le fruit des travaux menés dans le cadre de la chaire économie sociale et circulaire, portée par UniLaSalle Rennes et financée par l’éco-organisme Valdelia.
Benjamin Cordrie est membre de l’Association Française d’Economie Politique (AFEP).

Mes recherches postdoctorales sont financées par un programme de recherche, la Chaire Économie Sociale et Circulaire, dont les financements proviennent d’un accord de mécénat avec l’éco-organisme Valdelia, agréé par l’État (filière du mobilier professionnel et des produits et matériaux de construction du bâtiment).

ref. Ressourceries, Emmaüs, Le Relais : les acteurs emblématiques de la seconde main menacés par la grande distribution – https://theconversation.com/ressourceries-emmaus-le-relais-les-acteurs-emblematiques-de-la-seconde-main-menaces-par-la-grande-distribution-258420

L’assassinat de Charlie Kirk, le dernier acte de violence politique dans un pays sous tension

Source: The Conversation – in French – By Jared Mondschein, Director of Research, US Studies Centre, University of Sydney

Dans un nouvel acte choquant de violence politique aux États-Unis, Charlie Kirk a été abattu alors qu’il débattait avec des étudiants dans une université de l’Utah. Il s’était fait connaître en tant qu’influenceur conservateur et partisan de Donald Trump,

Âgé de 31 ans, il était devenu célèbre en confrontant ses idées avec tous ceux qui souhaitaient s’engager avec lui. Il était indéniablement la figure conservatrice la plus influente chez les jeunes.

L’annonce de son assassinat a immédiatement enflammé les réseaux sociaux, où les camps politiques opposés se sont mutuellement accusés d’alimenter le climat de tension actuel aux États-Unis. Elle a aussi ravivé les craintes d’une nouvelle escalade de violence.

Qui était Charlie Kirk ?

La modeste tente où Kirk s’installait sur les campus universitaires américains pour débattre avec les étudiants ne doit pas faire oublier l’ampleur de son influence.

Son organisation politique, Turning Point USA (TPUSA), avait un chiffre d’affaires de 78 000 dollars lorsqu’il l’a fondée en 2012. L’année dernière, ses revenus annuels avaient atteint 85 millions de dollars américains.

Son podcast, The Charlie Kirk Show, attirait entre 500 000 et 750 000 téléchargements par épisode, le plaçant parmi les 25 podcasts les plus populaires au monde. Le compte X de Kirk, avec ses sept millions d’abonnés, dépasse celui de MSNBC (cinq millions).

En dehors du monde virtuel, TPUSA est aujourd’hui présent dans plus de 3 500 écoles et campus universitaires, regroupant plus de 250 000 étudiants membres et plus de 450 employés à temps plein et à temps partiel. Mais le chiffre le plus révélateur est celui d’une enquête TikTok menée auprès de jeunes de moins de 30 ans : parmi les électeurs pro-Trump, Kirk jouissait d’une confiance supérieure à celle de toute autre personnalité.

Bien que Kirk ait suscité de nombreuses critiques, notamment pour ses positions sur les Noirs, les Juifs, les personnes transgenres et les immigrants, ainsi que pour sa lutte contre ce qu’il qualifiait de « propagande gauchiste » chez les professeurs, il restait prêt à débattre avec presque n’importe qui.

Que ce soit dans les amphithéâtres renommés d’Oxford ou sur des campus progressistes américains, Kirk participait à des débats politiques avec quiconque voulait s’exprimer, invitant souvent les étudiants à « prouver qu’il avait tort ». Les vidéos de ces échanges — souvent un étudiant progressiste posant une question à Kirk, qui lui répondait avec une argumentation vive — ont cumulé des centaines de millions de vues sur les réseaux sociaux.

Soutien à Trump

Kirk s’est d’abord fait connaître en défendant des politiciens républicains plus conventionnels, notamment le sénateur du Texas Ted Cruz et l’ancien gouverneur du Wisconsin Scott Walker. Mais il a fini par soutenir Trump en 2016, et il lui est resté fidèle depuis.

En effet, alors que beaucoup — en particulier au sein du parti républicain — cherchaient à se distancier de Trump après des incidents tels que les violences au Capitole américain, le 6 janvier 2021, Kirk a maintenu le cap.

Sa loyauté indéfectible envers Trump et sa popularité grandissante chez les jeunes électeurs lui ont permis de gagner en influence dans les cercles conservateurs. Grâce à ce pouvoir, son organisation a financé à hauteur de plusieurs millions de dollars différentes campagnes pro-Trump. TPUSA a aussi renforcé son soutien à Pete Hegseth, candidat controversé au poste de secrétaire à la Défense, et lancé des actions pour évincer Ronna McDaniel, ancienne présidente du Comité national républicain.

La victoire politique la plus marquante de Kirk reste peut-être d’avoir mobilisé un nombre record de jeunes électeurs pour Trump en 2024. Il était alors la plus jeune personne à avoir dirigé une campagne présidentielle républicaine.

Violence politique aux États-Unis

Certains pourraient voir dans cet épisode meurtrier de violence politique aux États-Unis un événement ponctuel et se demander s’il aura un impact durable. Pourtant, la naissance du pays même résulte d’un acte de violence politique — la guerre d’indépendance. Depuis, d’autres périodes marquées par des violences politiques ont jalonné son histoire, comme la guerre civile, la reconstruction et le mouvement des droits civiques, entre autres.

Cependant, même si l’histoire des États-Unis est truffée de tels incidents, on ne peut nier que la situation s’est aggravée, en particulier au cours des dernières années.

Plusieurs études ont montré que le nombre d’attaques et de complots visant élus, candidats, responsables de partis et militants politiques a considérablement augmenté ces dernières années. En examinant les données des trois dernières décennies, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) a constaté que le nombre d’attaques et de complots au cours des cinq dernières années est près de trois fois supérieur à celui des 25 années précédentes combinées.


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Mais au-delà des chiffres, de plus en plus de politiciens américains évoquent la menace de la violence comme l’une des raisons de leur retrait de la vie politique ou, plus inquiétant, comme un facteur ayant influencé leurs choix de vote.

Il ne fait guère de doute que les États-Unis continueront à souffrir de la violence politique. La question est plutôt de savoir dans quelle mesure et à quel prix.

La mort de Kirk aura des répercussions bien au-delà de ses proches, notamment sa veuve et ses deux jeunes enfants. Aujourd’hui, le mouvement conservateur américain perd l’une de ses voix les plus influentes.

La Conversation Canada

Jared Mondschein ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’assassinat de Charlie Kirk, le dernier acte de violence politique dans un pays sous tension – https://theconversation.com/lassassinat-de-charlie-kirk-le-dernier-acte-de-violence-politique-dans-un-pays-sous-tension-265135

Valoriser les déchets verts et alimentaires en limitant l’impact négatif du transport : l’exemple de Romainville

Source: The Conversation – in French – By Thomas Zeroual, Enseignant-chercheur en Economie, ESCE International Business School

Le tri des biodéchets (c’est-à-dire, les déchets verts et les déchets alimentaires) est obligatoire depuis 2024. Mais, pour que ces biodéchets soient intéressants à valoriser, encore faut-il que la facture environnementale du transport par camion ne déséquilibre pas l’équation ! Une récente étude menée dans un quartier de Romainville, en Seine-Saint-Denis, montre comment choisir l’approche la plus efficace à l’échelle d’un territoire.


Depuis le 1er janvier 2024, le tri des biodéchets, c’est-à-dire les déchets biodégradables de nos ordures ménagères comme les restes alimentaires, est obligatoire pour les professionnels comme pour les citoyens. Cette réglementation semble encourageante d’un point de vue environnemental. En effet, mieux trier peut réduire la quantité de déchets incinérés – et donc les émissions de gaz à effet de serre associées – tout en encourageant la production énergétique de compost ou de biogaz.

Encore faut-il transporter ces déchets vers les lieux de valorisation… Et c’est là que les choses se compliquent : selon le scénario considéré, les impacts environnementaux du transport grimpent considérablement.




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Un potentiel immense… en théorie

Selon le Code de l’environnement, les biodéchets sont définis comme « les déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc » (qu’on appelle couramment déchets verts) ainsi que « les déchets alimentaires ou de cuisine ».

Chaque année, 18 millions de tonnes de biodéchets sont produites par les ménages en France. Les marges de manœuvre pour les réduire sont importantes : une grande partie des déchets organiques est aujourd’hui incinérée ou mise en décharge, ce qui n’est pas du tout optimal. La hiérarchie définie par la directive cadre de l’Union européenne est très claire : ces modes de traitement ne doivent être utilisés qu’en dernier recours. En théorie, il convient de respecter l’ordre de priorité suivant : dans un premier temps, prévenir la constitution du déchet, ensuite le réemploi, puis le recyclage et enfin l’élimination.

Incinérer ou mettre en décharge les biodéchets ne respecte pas cette hiérarchie. Cela génère de surcroît des émissions de CO2 (en cas d’incinération) et de méthane (en cas de mise en décharge), sans parler du gaspillage d’espace et d’énergie.

En France, la gestion des biodéchets représente le principal gisement d’évitement (c’est-à-dire, la part d’un flux de déchets pouvant être évitée grâce à des actions de prévention en amont), selon l’Agence de la transition écologique (Ademe).

Actions les plus efficaces pour éviter d’augmenter le volume de biodéchets.
Ademe, Fourni par l’auteur

Des changements dans l’organisation du ramassage de ces déchets, par exemple, pourraient entraîner une baisse significative du volume de ces déchets.

Quatre scénarios pour la collecte des biodéchets

Chaque année en France, 355 millions de tonnes de déchets sont transportés, ce qui représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre générées par le secteur de la gestion des déchets, soit 2,4 millions de tonnes équivalent CO2.

Face à ces impacts environnementaux, il est utile d’identifier et d’évaluer une meilleure gestion des transports des biodéchets. Différentes options doivent être envisagées, car il n’existe pas de solution unique.

Nous avons récemment mené une étude dont le terrain était un quartier situé à Romainville, en Seine-Saint-Denis, ville connue pour avoir déjà expérimenté des solutions de collecte de biodéchets.

Ce quartier comprend une population de 3 995 habitants répartis sur une aire de 47 hectares. Les déchets sur cette surface sont collectés et acheminés vers une plate-forme de transit à la déchetterie de Romainville, puis ils sont répartis dans des conteneurs en vue de leur recyclage ou de leur élimination par des filières spécialisées, comme le centre d’incinération à Saint-Ouen-sur-Seine.

L’Étoile verte est une usine d’incinération pour les déchets ménagers, construite en 1990 à Saint-Ouen, qui produit de la chaleur (chauffage urbain) et de l’électricité.
John-Grégoire/Wikimedia, CC BY-NC-SA

Le modèle que nous avons utilisé incluait plusieurs variables liées au transport, comme les itinéraires de collecte, la taille du parc de véhicules, leurs poids, la taille et le nombre de tournée… Il intègre aussi des variables environnementales, comme la part de compostage et de méthanisation sur ces déchets et la consommation de carburant des camions utilisés pour leur transport.

Dans nos travaux sur ce quartier, nous avons retenu quatre scénarios.

  • Le scénario n°1 correspond à un compostage de proximité avec une gestion in situ, autrement dit une gestion volontaire et locale vers un site de compostage partagé. Nous avons supposé que 30 % des biodéchets finissaient dans une poubelle individuelle et que 70 % restants étaient valorisés dans un compost collectif. Ce scénario n’est toutefois crédible que si le taux de participation est suffisant. Conformément au seuil établi par la littérature scientifique, nous avons fixé ce taux à 45 %.

  • Les autres scénarios se rapportent à une collecte centralisée organisée par des professionnels. Le scénario n°2 correspond à un ramassage en porte à porte vers un centre de transit où l’on groupe les déchets avant de les envoyer dans un centre de valorisation.

  • Le scénario n°3 s’effectue en porte à porte, mais sans point de transit : c’est le scénario le plus utilisé en France.

  • Enfin, le scénario n°4 est une collecte en porte-à-porte, sans point de transit, mais avec des bacs collectifs plus grands que les poubelles individuelles.

Le scénario gagnant : supprimer le transport

Quel scénario est le plus intéressant ? Par ordre du plus au moins intéressant :

Le scénario n°1 de compostage de proximité s’avère être le scénario à privilégier. En effet, il exclut l’étape du transport : les biodéchets sont soit compostés à l’échelle individuelle au sein des habitats privés, soit à l’échelle collective, où chaque habitant d’une résidence collective amène ses biodéchets dans des bioseaux vers des composteurs partagés aux pieds d’immeuble, dans les jardins ou des parcs publics.

Supprimer purement et simplement l’étape de collecte des biodéchets est le scénario le plus vertueux pour l’environnement.
Kevin.B/Wikimedia, CC BY-NC-SA

Le deuxième meilleur est le scénario de collecte dans des bacs plus grands (scénario n°4) : il est préférable au scénario en porte-à-porte avec transit (scénario n°2). Et cela, même avec une distance parcourue plus élevée (210 km contre 142 km) et une consommation en carburant supérieure (53 litres contre 37 litres), car les camions de collecte s’arrêtent, en proportion pour une quantité de déchets ramassés équivalente, moins souvent.

Enfin, le scénario de collecte n°3 en porte-à-porte sans point de transit est celui qui génère le plus d’externalités. C’est le scénario le plus émetteur de CO2, du fait du nombre d’arrêts. Ce scénario est pourtant celui qui est actuellement le plus appliqué !

Le collectif prime encore et toujours sur l’individuel

Le compost apparaît ainsi comme la solution préférable et optimale pour les biodéchets d’un point de vue environnemental. Composter en proximité, c’est participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

En attendant que le compost devienne un réflexe citoyen, l’étude permet de quantifier l’impact des autres scénarios de collecte.

Le recours à des centres de transit permet certes de diminuer de plus de 27 % les émissions de CO2, mais utiliser des bacs collectifs sans transit permet de les réduire de plus de 57 %.

En définitive : plus le citoyen est sollicité et participe au traitement de ses déchets, meilleurs sont les résultats en termes climatiques. Si on le sollicite moins, alors il faut davantage miser sur de la mutualisation du transport.

Ces travaux offrent des perspectives intéressantes pour la. Nous pourrons à l’avenir y intégrer le méthane et/ou les particules fines issues de l’incinération et même comptabiliser les émissions des sites de compostage, ce qui n’a pas été fait pour le moment. Enfin, notre évaluation pourrait intégrer différentes flottes de camions hybride et/ou électrique d’un remplacement de ces véhicules.




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Thomas Zeroual ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Valoriser les déchets verts et alimentaires en limitant l’impact négatif du transport : l’exemple de Romainville – https://theconversation.com/valoriser-les-dechets-verts-et-alimentaires-en-limitant-limpact-negatif-du-transport-lexemple-de-romainville-260518