Peaux artificielles : comment reproduire la complexité de la peau humaine… jusqu’à son interaction avec le parfum

Source: The Conversation – France in French (2) – By Géraldine Savary, Enseignant-chercheur en analyse sensorielle dans le domaine des arômes, parfums et cosmétiques, Université Le Havre Normandie

Pourquoi un parfum ne tient-il pas de la même façon sur toutes les peaux ? Pourquoi certaines crèmes collent-elles davantage sur certains types de peau ? Ces différences, chacun les remarque, mais on ne les comprend pas encore très bien.


Depuis une dizaine d’années, nous travaillons à percer les mystères de la peau, et de la manière dont elle interagit avec les produits dermatologiques, les cosmétiques et les parfums en développant une réplique de peau humaine, sans cellule mais riche d’informations physico-chimiques.

Comprendre la peau avant de la reproduire

La peau est bien plus qu’un simple revêtement. Elle est un tissu complexe, à la fois barrière, capteur et interface chimique. Sa surface varie selon les individus : celle d’un bébé joufflu est moins rugueuse et plus hydratée que celle d’une personne âgée. Ces différences influencent non seulement la sensation mécanique au toucher et l’apparence mais aussi la répartition du sébum et donc la chimie de sa surface. Avec toutes ses propriétés qui s’entremêlent, ces phénomènes sont difficiles à modéliser.

Or, pour imiter la peau de manière crédible, il faut d’abord la caractériser précisément.

Notre équipe réalise chaque année des campagnes de mesures in vivo sur plusieurs centaines de volontaires. Nous analysons des paramètres comme la rugosité, la couleur, la composition lipidique (le gras) ou encore la mouillabilité (comment une goutte d’eau s’étale sur la peau).

Ces données, traitées statistiquement, permettent d’établir une « cartographie » des surfaces cutanées humaines et d’en quantifier la variabilité d’une personne à l’autre.

Les peaux artificielles

Les peaux artificielles ne sont pas nouvelles. On utilise depuis les années 1930 des modèles dits « biologiques » en dermatologie, comme des explants de peau humaine (petits morceaux de peau humaine prélevée lors d’une chirurgie et maintenue vivante en laboratoire), des peaux reconstruites à partir de cultures cellulaires, ou encore des peaux animales (notamment celle du porc, la plus proche de la peau humaine).

Plus récemment, depuis les années 2000, des peaux dites « électroniques » ou e-skins ont vu le jour, capables de capter diverses données pour des applications en robotique ou en médecine. Il s’agit de matériaux polymères souples, souvent sous forme de patch, qui collent sur la peau comme une seconde peau. Elles contiennent de minuscules capteurs capables de mesurer la pression, la température, ou des substances comme le glucose ou l’alcool dans la sueur, pour contrôler, reproduire ou ajuster ce qui se passe dans le corps.

Néanmoins, ces solutions biologiques et électroniques présentent souvent des limites : les peaux reconstruites sont coûteuses et peu reproductibles, les explants de peaux fragiles, de durée d’utilisation limitée et soumis à une variabilité biologique, et les peaux animales soulèvent des contraintes éthiques. De plus, un certain nombre d’entre elles, comme les peaux reconstruites et électroniques, ne reflètent pas fidèlement la chimie de surface de la peau humaine.




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Notre modèle synthétique : SURFASKIN

À partir de cette base de données, nous avons conçu un modèle de peau artificielle non biologique, développé initialement dans le cadre du projet FUI URBASKIN. Contrairement aux peaux cellulaires ou biologiques utilisées en laboratoire, SURFASKIN est une surface polymérique, stable dans le temps, peu coûteuse, facilement reproductible.

Notre peau artificielle synthétique est également exempte de cellules vivantes. En effet, elle ne vise pas à reproduire les fonctions biologiques de la peau, mais ses propriétés de surface, celles qui conditionnent la manière dont la peau interagit avec son environnement en reproduisant fidèlement le microrelief de l’épiderme, ainsi que la composition et la pigmentation de sa surface.

Ce modèle a d’abord été pensé pour simuler l’exposition de la peau à des polluants atmosphériques, comme les particules urbaines ou la fumée de cigarette, afin de comprendre leur capacité à y pénétrer et à altérer ses propriétés. Avec des mesures combinées (in vivo, explants, SURFASKIN), nous avons démontré que les polluants désorganisent la structure lipidique et provoquent des phénomènes d’oxydation, tandis que certains produits dermocosmétiques peuvent ralentir ces effets de manière ciblée pour renforcer la fonction barrière de l’épiderme.

Très vite, notre modèle a trouvé d’autres applications, notamment en cosmétique et dermatologie. Ainsi, SURFASKIN permet d’évaluer l’étalement de crèmes hydratantes, la couvrance des maquillages, ou encore la résistance à l’eau des protections solaires, avec un haut degré de représentativité. Ainsi, en appliquant une crème teintée sur la peau ou sur SURFASKIN, le film résiduel conserve les mêmes propriétés, tant en épaisseur qu’en composition, ce qui reproduit fidèlement des caractéristiques, comme le toucher collant ou le pouvoir couvrant.

Ainsi, SURFASKIN s’inscrit dans la tendance des peaux artificielles, tout en comblant un vide : celui d’un modèle robuste, passif, mais suffisamment précis pour simuler les interactions de surface. Il ne remplace pas les tests biologiques, mais les complète, en offrant un outil éthique et reproductible pour la recherche et le développement de cosmétiques et de produits dermatologiques.

Malgré ses atouts, SURFASKIN présente encore des limites, laissant la voie ouverte à de futurs développements pour mieux comprendre le rôle du microbiote cutané, par exemple, reproduire la pénétration des substances au sein de la peau, étudier les interactions biologiques avec les cellules, ou même intégrer des capteurs miniaturisés capables de mesurer d’autres paramètres, comme la pression lors de l’application d’un produit.

Le cas du parfum : vers une parfumerie personnalisée ?

Un nouveau champ d’application émerge aujourd’hui : la parfumerie. Il est bien connu des parfumeurs qu’un parfum « ne tient pas » de la même façon selon les personnes, c’est-à-dire qu’il n’adhère et ne s’évapore pas de la même façon selon les types de peau.

Ce phénomène, souvent attribué à la « magie du corps », repose en réalité sur des facteurs physico-chimiques : le pH, la présence de sébum, la température, la rugosité de la peau influencent la diffusion et la rémanence des molécules odorantes.

Avec SURFASKIN, nous développons désormais des répliques de peau reproduisant ces variations, pour tester de manière rigoureuse l’adhérence et l’évaporation des parfums. C’est une avancée inédite : si l’industrie du luxe explore la question des parfums sur mesure depuis longtemps, elle reste peu documentée scientifiquement, surtout quand il s’agit d’une personnalisation en fonction du type de peau.

À terme, ces travaux pourraient donc ouvrir la voie à des parfums personnalisés, conçus non plus uniquement pour une image ou une émotion, mais pour les propriétés chimiques individuelles de chacun.

Une technologie au service de la recherche et de l’industrie

En collaboration avec Normandie Valorisation, nos travaux visent à faciliter le transfert de cette innovation vers les acteurs industriels de la cosmétique et de la parfumerie. La France, leader mondial dans ces secteurs, dispose d’un écosystème favorable à ce type de développement, à l’interface entre science académique et innovation appliquée.

SURFASKIN illustre une nouvelle manière de faire de la recherche : en créant des outils concrets, fiables, éthiques, et utiles pour comprendre des phénomènes du quotidien. Sous les apparences simples d’une crème ou d’un parfum, c’est tout un monde physico-chimique que l’on commence à explorer.


Céline Picard participera à une table ronde sur le thème « À fleur de peau : chimie, biologie et équilibre », vendredi 26 septembre, dans le cadre de l’événement scientifique Sur les épaules des géants qui se tient du 25 au 27 septembre au Havre (Seine-Maritime).

The Conversation

Géraldine Savary a reçu des financements pour des recherches doctorale de l’Université Le Havre Normandie, La Région Normandie, l’Agence Nationale de la Recherche.

Céline Picard a reçu des financements de L’Université Le Havre Normandie, de Normandie Université, de Le Havre Seine Métropole, de la Région Normandie, de l’Agence Nationale pour la Recherche et de l’Europe pour des projets de recherche dont des projets de recherches doctorales

ref. Peaux artificielles : comment reproduire la complexité de la peau humaine… jusqu’à son interaction avec le parfum – https://theconversation.com/peaux-artificielles-comment-reproduire-la-complexite-de-la-peau-humaine-jusqua-son-interaction-avec-le-parfum-264926

La rhétorique du sacrifice dans les discours politiques aux États-Unis

Source: The Conversation – France in French (3) – By Frédérique Sandretto, Adjunct assistant professor, Sciences Po

Le terme de « sacrifice » est sur toutes les lèvres chez les partisans de Charlie Kirk, y compris chez les plus hauts dirigeants du pays. Analyse d’une rhétorique qui imprègne profondément la psyché du pays et a déjà été mobilisée par le passé autour de personnalités telles qu’Abraham Lincoln, John Fitzgerald Kennedy ou encore Martin Luther King.


Le discours du sacrifice occupe une place centrale dans l’imaginaire politique américain, et la cérémonie funèbre en hommage à Charlie Kirk, organisée à Glendale (Arizona) le 21 septembre 2025, en a fourni une illustration exemplaire. Donald Trump, venu prononcer l’éloge, a résumé en une formule l’enjeu rhétorique du moment en déclarant que « Charlie Kirk est un martyr de la liberté américaine et l’histoire ne l’oubliera jamais ».

Cette affirmation opère une transfiguration immédiate : elle fait passer l’événement tragique du meurtre d’un militant à la dimension d’un sacrifice héroïque, inscrivant Kirk dans la généalogie des grandes figures qui, par leur mort, auraient garanti la pérennité des idéaux fondateurs de la nation.

L’invocation du sacrifice au cœur des discours politiques américains

L’invocation du sacrifice dans le discours politique américain n’est pas une nouveauté mais un schème récurrent qui remonte aux origines de la République.

Les Pères fondateurs avaient eux-mêmes façonné un récit collectif où la liberté conquise contre l’Empire britannique était pensée comme le fruit d’épreuves et de souffrances. La Déclaration d’indépendance de 1776 se clôt sur une formule célèbre par laquelle les signataires « s’engagent mutuellement à consacrer leurs vies, leurs fortunes et leur honneur sacré » à la cause commune.

La rhétorique du sacrifice est ici constitutive du pacte fondateur : le citoyen libre ne se définit pas seulement par ses droits mais aussi par sa disponibilité à se sacrifier pour que la liberté survive. George Washington, dans ses adresses à l’armée continentale, n’a cessé de rappeler que la gloire de la République naissante reposait sur le sang versé par les patriotes, Thomas Jefferson soulignant pour sa part que l’arbre de la liberté devait parfois être « arrosé du sang des patriotes et des tyrans ». Ces images, bien que souvent stylisées, ont nourri une culture politique où la souffrance volontaire au service de la liberté est perçue comme le sceau d’authenticité du projet républicain.

L’oraison funèbre de Charlie Kirk réactive cette mémoire. Plusieurs orateurs, à l’instar de Tulsi Gabbard, actuelle directrice du renseignement national des États-Unis, ont affirmé que Kirk incarnait ce que « les fondateurs avaient imaginé », c’est-à-dire le courage de parler librement, même contre l’opinion dominante. Le secrétaire à la santé Robert F. Kennedy Jr. a affirmé que Kirk était mort « les bottes aux pieds » afin que les générations futures ne vivent pas dans la servitude, reformulant ainsi à sa manière l’idée jeffersonienne d’un sacrifice nécessaire pour préserver les droits constitutionnels.

En inscrivant le décès de Kirk dans cette trame narrative, la cérémonie ne se limite pas à la commémoration d’un individu mais met en scène une continuité entre les sacrifices fondateurs du XVIIIe siècle et ceux que réclamerait aujourd’hui la lutte politique contemporaine.

L’histoire des États-Unis est jalonnée d’exemples où la mort violente d’une figure politique a été transformée en récit de sacrifice. Le cas le plus célèbre demeure celui d’Abraham Lincoln, assassiné en 1865, dont le souvenir fut immédiatement sacralisé comme celui du président ayant donné sa vie pour que l’Union survive. Le discours de Gettysburg, que Lincoln avait prononcé deux ans plus tôt, préparait déjà ce registre en évoquant le « dernier plein sacrifice de dévotion » des soldats tombés pour que « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ne disparaisse pas de la terre ».

Plus près de nous, les assassinats de John F. Kennedy (1963), de Martin Luther King Jr. et de Robert Kennedy (tous deux en 1968) ont donné lieu à des élaborations similaires : leurs morts furent pensées non comme des accidents mais comme des offrandes involontaires sur l’autel de la démocratie et de l’égalité. Ces événements ont façonné une mémoire politique où le sacrifice personnel devient ressource collective, renforçant l’unité d’un groupe ou d’une nation.

Vers une codification du discours

Le discours sur Charlie Kirk reprend et réinterprète ces codes. En parlant de « martyr pour la liberté américaine », Donald Trump ne se contente pas d’un éloge personnel. Il élève l’individu au rang d’icône dont l’assassinat atteste la véracité et la justesse de la cause qu’il défendait.

Le lexique employé – martyre, immortalité, liberté – fait écho à des références religieuses qui amplifient l’effet émotionnel. Trump a même ajouté que l’Amérique devait « ramener la religion », car sans religion, frontières et ordre, il n’y aurait plus de pays. Ce passage révèle la structure profonde du discours du sacrifice : il ne s’agit pas uniquement d’une rhétorique politique mais d’une quasi-théologie civile où la mort d’un acteur devient signe et preuve de l’alliance entre une communauté et ses valeurs transcendantes.




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Les caractéristiques rhétoriques de ce type de discours sont constantes. Tout d’abord, la personnalisation extrême : le martyr devient l’incarnation de principes abstraits. Ensuite, l’amplification émotionnelle : la tristesse et l’indignation sont transfigurées en appel à la fidélité et à l’action. Le récit oppose systématiquement un « nous » des fidèles, héritiers de la mission, à un « eux » désignés comme responsables symboliques de la violence. Enfin, le registre religieux, explicite ou implicite, confère une aura sacrée à l’événement. En parlant de Kirk comme d’un évangéliste de la liberté ou d’un martyr immortel, Trump recourt à des métaphores qui dépassent la politique contingente pour toucher à l’imaginaire religieux du sacrifice rédempteur.

La finalité politique de ce discours est claire. En érigeant Charlie Kirk en martyr, ses partisans transforment une perte en ressource mobilisatrice. L’organisation qu’il avait fondée, Turning Point USA, peut ainsi se présenter comme l’héritière d’un sacrifice et non comme une simple structure militante. L’appel aux Pères fondateurs renforce cette légitimation en ancrant la mission dans une continuité historique qui va des patriotes de 1776 aux acteurs des guerres culturelles contemporaines. Cette continuité n’est pas une fidélité historique exacte mais une réappropriation symbolique qui vise à donner au combat présent la dignité d’une cause éternelle.

Capture d’écran de la page d’accueil du site de Turning Point USA le jour des funérailles de Charlie Kirk. Le dernier paragraphe dit : « Charlie est mort en faisant ce qu’il aimait : lutter pour la vérité, pour la foi, pour sa famille et pour l’Amérique. Son sacrifice restera un exemple pour les générations futures. Même si nos cœurs sont lourds, nous ne pleurons pas comme ceux qui n’ont pas d’espoir. L’héritage de Charlie perdure dans sa famille, dans Turning Point USA et Turning Point Action, et dans les millions de personnes qu’il a inspirées à vivre avec conviction. Nous lui rendons hommage non seulement par nos paroles, mais aussi par nos actions. Nous avancerons ensemble, en luttant plus fort, en nous tenant plus droits et en refusant de capituler. »
Turning Point USA

Les théoriciens du discours du sacrifice

La réflexion sur le discours du sacrifice a été largement développée par des théoriciens de la politique, de la philosophie et de la rhétorique, qui ont analysé comment la mort ou le sacrifice volontaire d’un individu sont investis d’une fonction symbolique et mobilisatrice au sein d’une communauté. René Girard, dans La Violence et le Sacré (1972), insiste sur le rôle central du sacrifice comme mécanisme de canalisation de la violence collective, soulignant que la figure du bouc émissaire ou du martyr permet de stabiliser la société et de créer un ordre symbolique.

Kenneth Burke, dans A Grammar of Motives (1945), développe le concept de « terminologie dramatique », montrant que le sacrifice est un instrument rhétorique permettant de transformer la culpabilité ou le conflit en une action signifiante, en construisant un héros dont la mort légitime l’agenda du groupe.

Jean-Luc Nancy, dans L’Insacrifiable (1991), aborde le sacrifice sous l’angle de la dépossession et de l’exposition de soi, insistant sur la dimension éthique et politique : le sacrifice n’est pas seulement un acte religieux, mais une manière de fonder la légitimité d’une cause en mobilisant le corps et la vie de l’individu comme signe.

Ces approches convergent dans l’idée que le discours du sacrifice opère comme un levier de cohésion et de légitimation, où la mort ou la vulnérabilité de l’acteur est investie d’un sens symbolique qui dépasse l’événement immédiat et touche à l’organisation morale, politique et sociale de la communauté.

En définitive, le discours du sacrifice autour de Charlie Kirk illustre la vitalité d’un registre rhétorique qui traverse toute l’histoire américaine. Il réactive les images des fondateurs prêts à sacrifier leurs vies et leurs fortunes, il reprend les modèles offerts par Lincoln, Kennedy ou King, et il conjugue ces références avec un langage religieux destiné à émouvoir et à galvaniser.

L’efficacité de ce discours tient précisément à cette combinaison : une narration héroïque qui dépasse la mort individuelle, une émotion collective transformée en mission politique, et une coloration spirituelle qui confère au sacrifice une valeur transcendante.

Dans une Amérique polarisée, ce type de rhétorique n’est pas seulement un hommage funèbre mais un instrument de mobilisation et de légitimation qui permet à une communauté politique de se penser comme dépositaire d’un héritage sacré et comme appelée à prolonger le sacrifice du martyr dans l’action présente.

The Conversation

Frédérique Sandretto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La rhétorique du sacrifice dans les discours politiques aux États-Unis – https://theconversation.com/la-rhetorique-du-sacrifice-dans-les-discours-politiques-aux-etats-unis-265816

Comment le Pacte vert est instrumentalisé par les populistes en Europe centrale et de l’Est

Source: The Conversation – France in French (3) – By Diana Mangalagiu, Professeur, environnement, stratégie, prospective, Neoma Business School

Le Pacte vert, supposé guider l’UE vers le net zéro, est aujourd’hui freiné par des résistances nationales : la transition écologique peut y être politisée pour servir toutes sortes d’intérêts. C’est particulièrement le cas en Europe de l’Est, où les clivages idéologiques et le contexte socio-économique jouent un rôle clé. C’est ce que montrent les exemples croisés de la Pologne, de la Hongrie et de la Roumanie.


Il devait s’agir de la boussole climatique de l’Union européenne. Le Pacte vert, adopté en 2019, se heurte aujourd’hui à des résistances nationales qui compliquent sa mise en œuvre. Là où l’Allemagne et l’Italie demandent des aménagements en invoquant des raisons économiques, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie montrent comment la transition écologique peut être politisée pour servir toutes sortes d’intérêts, entre dépendance aux énergies fossiles, calculs populistes et consensus souvent fragiles.

Depuis son adoption en 2019, le Pacte vert européen s’est imposé comme la feuille de route de l’Union européenne pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il vise à transformer l’économie européenne en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et en favorisant une transition la plus juste et inclusive possible.

Mais la mise en œuvre du Pacte vert se heurte à de fortes résistances dans bon nombre d’États membres. L’Allemagne, par exemple, défend la nécessité de maintenir des subventions massives à l’industrie et réclame un assouplissement des règles européennes sur les aides d’État pour soutenir la transition industrielle.

L’Italie, elle, s’oppose à certaines mesures jugées trop contraignantes et souhaite « corriger » la trajectoire du Pacte vert, insistant sur la nécessité de disposer d’investissements et de ressources suffisantes pour accompagner la transition, mais sans sacrifier sa croissance économique.

Enfin, les pays d’Europe centrale et de l’Est dépendent plus fortement des énergies fossiles d’un point de vue historique, ce qui peut nourrir des enjeux socio-économiques particuliers. Le Pacte vert peut y être d’autant plus instrumentalisé au plan politique. Dans ce contexte, notre recherche récente apporte un éclairage inédit sur les mécanismes politiques qui sous-tendent l’adoption et la mise en œuvre du Pacte vert dans trois pays d’Europe centrale et de l’Est : la Pologne, la Hongrie et la Roumanie.

Nous montrons que la politisation de la question climatique – c’est-à-dire le fait d’en faire un enjeu partisan – joue un rôle clé dans la façon dont ces pays s’approprient – ou non – les objectifs du Pacte vert. Les clivages idéologiques et le contexte socio-économique ont un impact majeur sur la construction des politiques climatiques nationales.

Pologne, Hongrie et Roumanie : trois scénarios distincts

En Pologne, le charbon n’est pas seulement une ressource énergétique : il incarne un héritage industriel et une identité régionale, notamment en Silésie.

Lors des élections législatives de 2019, la transition climatique s’est imposée comme enjeu central, polarisant la scène politique. Le parti de droite conservatrice Droit et Justice (PiS), qui se trouvait alors au pouvoir depuis quatre ans, a joué la carte du réalisme économique, subordonnant toute ambition écologique à un fort soutien financier de la part de l’UE et à la défense de l’emploi minier. Face à lui, la Plateforme civique (centre droit) et la gauche ont porté des scénarios plus ambitieux de sortie du charbon, mais sans convaincre l’électorat traditionnel : le PiS a conservé sa majorité absolue au Parlement.

Cette polarisation s’est amplifiée avec l’élection, en juin 2025, du président nationaliste Karol Nawrocki, qui se trouve en opposition frontale avec le premier ministre, le pro-européen Donald Tusk (Plateforme civique), à ce poste depuis les législatives houleuses de 2023.

Cette cohabitation complexe freine l’agenda réformateur, y compris sur le climat. Le gouvernement, quoique formé non plus de membres du PiS mais de représentants de la Plateforme civique et de ses alliés de centre et de gauche, réclame désormais une « révision critique » du Pacte vert, accusé d’alourdir les coûts énergétiques et de nuire à la compétitivité. Nawrocki a d’ailleurs promis un référendum sur le Pacte vert.

Malgré tout, la Pologne progresse sur les renouvelables et a réduit ses importations de gaz russe. Elle demeure toutefois loin des objectifs européens.

En Hongrie, la situation est différente. Viktor Orban, premier ministre sans discontinuer depuis 2010, a longtemps utilisé la question climatique pour renforcer sa position souverainiste, ainsi que comme levier dans son bras de fer avec Bruxelles. Lors des négociations sur le Pacte vert, il a menacé d’y opposer son veto, dénonçant une politique « utopique » imposée par l’UE sans tenir compte des réalités nationales.

Pourtant, malgré cette rhétorique, la Hongrie a adopté, sur le papier en tout cas, des plans nationaux relativement ambitieux. Ils visent la neutralité carbone d’ici à 2050 et une réduction de 40 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

Cette ambivalence est liée à la domination depuis quinze ans de la scène politique hongroise par le parti Fidesz. Maître du calendrier et du discours, Orban politise la question climatique quand cela sert ses intérêts – notamment pour mobiliser contre l’UE – puis désamorce le débat dès qu’il s’agit de négocier des fonds européens ou de répondre à la demande de certains électeurs.

Ainsi, la Hongrie avance à petits pas, en ménageant à la fois Bruxelles et son électorat conservateur. Sans que la question climatique ne devienne un enjeu de division nationale majeure.




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La Roumanie, enfin, offre un troisième scénario. La question climatique y reste largement en dehors de la compétition partisane. Les principaux partis abordent certes les thèmes environnementaux dans leurs programmes, mais sans en faire un enjeu de débat ou de clivage électoral.

Cette faible politisation s’explique par une dépendance énergétique moins marquée que dans les pays précédents et par un certain consensus sur la nécessité de moderniser l’économie.

La Roumanie affiche un soutien de principe au Pacte vert et à la neutralité carbone d’ici à 2050, avec des objectifs nationaux ambitieux : réduction de 85 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.

Cependant, malgré des avancées sur les énergies renouvelables, les mesures concrètes tardent à être mises en place, la priorité étant donnée à la modernisation des infrastructures et des services publics. Le gouvernement met en avant la nécessité de concilier croissance économique et durabilité, tout en soulignant le coût élevé de la transition.




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Des divisions nourries par les partis populistes

Nos recherches montrent que dans ces trois pays, la politisation de la question climatique dépend de l’idéologie dominante dans la société, du contexte économique et du poids des industries fossiles et de la structure du système des partis politiques.

  • En Pologne, la forte polarisation et l’attachement identitaire au charbon favorisent une politisation intense qui freine la transition.

  • En Hongrie, la domination d’un parti unique permet une gestion opportuniste de la question climatique, avec des avancées ponctuelles, mais peu de débat public.

  • En Roumanie enfin, l’absence de clivage fort sur le climat permet un certain soutien, mais sans dynamique de transformation profonde.

Pour arriver à ces conclusions, nous avons d’abord passé au crible les engagements climatiques de ces trois pays, leurs plans nationaux énergie-climat (NECP) ainsi que l’évaluation de ces plans réalisée par la Commission européenne. Puis nous avons retracé l’évolution des discours des partis politiques et des débats de société sur le changement climatique et le Pacte vert. L’enjeu était de déterminer l’influence de paramètres tels l’idéologie, la dépendance aux énergies fossiles et le contexte économique sur la politisation du climat par les partis politiques et le gouvernement.

Nous mettons ainsi en lumière le rôle des partis populistes, en particulier de droite, dans la politisation de la transition climatique.

  • En Pologne et en Hongrie, ces partis utilisent la question climatique pour nourrir une rhétorique souverainiste et anti-européenne, accusant Bruxelles d’imposer des sacrifices économiques au nom de l’environnement. Cette instrumentalisation complique la construction d’un consensus national sur la transition et alimente la défiance envers les politiques européennes.

  • En Roumanie, la moindre polarisation du débat politique sur les questions climatiques facilite une approche plus pragmatique, mais au prix d’une mobilisation citoyenne limitée et d’une faible pression pour accélérer la transition.




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Mais les facteurs structurels (dépendance aux énergies fossiles, niveau de développement, inégalités) n’expliquent pas tout : ce sont les dynamiques politiques, la capacité des partis à s’approprier ou à dépolitiser la question climatique, et la manière dont les leaders utilisent le climat dans la compétition électorale qui font la différence dans la mise en œuvre du Pacte vert.

Il faut également noter que la politisation n’est pas toujours négative. Elle peut aussi permettre de rendre visibles les enjeux climatiques et de mobiliser la société, à condition d’éviter la caricature et la polarisation excessive.

A noter, enfin, que ces trois pays dépendent historiquement de la Russie pour leur approvisionnement en gaz et pétrole. Or, le premier ministre hongrois Viktor Orban se distingue par une connivence certaine avec la Russie tandis que la Pologne et la Roumanie s’en distancient.

Comment éviter l’instrumentalisation du Pacte vert ?

Que retenir de notre étude ? Pour éviter que le Pacte vert ne soit instrumentalisé par les populistes, il est essentiel que les citoyens puissent mieux cerner ses bénéfices concrets : création d’emplois dans les secteurs verts, réduction de la pollution, amélioration du cadre de vie, etc.

L’implémentation du Pacte vert doit donc insister sur la justice sociale de la transition, en garantissant un accompagnement des territoires et des personnes les plus exposées. Il s’agit aussi de valoriser les succès locaux et les initiatives citoyennes, pour montrer que la transition est possible et bénéfique à tous.

Il faut également renforcer le dialogue entre les institutions européennes, les gouvernements nationaux et la société civile, afin de co-construire des politiques adaptées aux réalités locales.

Cela peut passer, par exemple, par la mise en place de budgets participatifs pour les projets « verts » ou par des appels à projets ouverts à la société civile. L’idée est de pouvoir allouer des financements directement à des initiatives locales alignées avec les objectifs du Pacte vert. Cela implique le soutien des acteurs locaux (municipalités, ONG, acteurs économiques, etc.) avec des relais aux échelles nationale et européenne pour faciliter la concertation transfrontalière, l’échange de bonnes pratiques et la remontée structurée des besoins au niveau national et européen.

Une dépolitisation excessive est donc loin d’être la solution : il s’agit plutôt de favoriser un débat public éclairé, fondé sur la transparence, la participation et l’écoute des préoccupations sociales. De quoi aider l’Europe à surmonter les résistances et mobiliser le Pacte vert comme un projet collectif.

The Conversation

Diana Mangalagiu et ses co-auteurs ont reçu des financements européens pour le projet TIPPING+, un projet Horizon 2020.

ref. Comment le Pacte vert est instrumentalisé par les populistes en Europe centrale et de l’Est – https://theconversation.com/comment-le-pacte-vert-est-instrumentalise-par-les-populistes-en-europe-centrale-et-de-lest-263960

Il importe d’allier le milieu scolaire au milieu culturel, surtout en contexte minoritaire francophone

Source: The Conversation – in French – By Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire en éducation, Université TÉLUQ

Marie-Pierre Proulx (directrice artistique) et Maxime Cayouette (médiateur culturel) du Théâtre du Nouvel-Ontario en train de donner un atelier de médiation culturelle dans une école de langue française, au primaire, en Ontario. (Isabelle Carignan), Fourni par l’auteur

L’organisation d’activités culturelles dans le milieu scolaire peut être considérée comme une tâche supplémentaire pour de nombreux enseignants. En effet, sortir du cadre habituel pour assister à une pièce de théâtre ou inviter un artiste dans sa classe est souvent perçu comme une surcharge de travail plutôt qu’une possibilité d’aller plus loin dans son enseignement.

Dans un contexte minoritaire francophone, comme celui de la communauté franco-ontarienne, ces défis prennent une dimension encore plus grande. Pourquoi ? Parce que dans ce cadre, le milieu culturel francophone se bat au quotidien pour sa survie, tentant de démontrer sa pertinence et sa richesse dans une société majoritairement anglophone.

Il est donc essentiel d’innover et de faire preuve de créativité pour favoriser la construction identitaire des élèves francophones provenant d’un milieu anglo-dominant. En d’autres termes, il faut déployer les efforts nécessaires pour développer un sentiment d’appartenance à la culture francophone dans un contexte où le français n’est pas la langue majoritaire.

Nous sommes un groupe de chercheures multidisciplinaires qui s’intéressent à la littératie, à la culture à l’école, à la relation famille-école-communauté et à la psychologie. Nous menons actuellement une étude, en partenariat avec le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), qui vise notamment à documenter un projet dont l’objectif est de favoriser la collaboration entre le milieu culturel et le milieu scolaire, en milieu francophone minoritaire.

Démocratiser le milieu culturel

Une initiative spéciale a été menée par le TNO, un organisme culturel de Sudbury, dans la province de l’Ontario.

Dans le cadre de sa programmation 2024-2025, le TNO a eu l’idée originale de mettre de l’avant des membres de la communauté – jeunes et adultes de tous les âges – en tant que porte-paroles des pièces de théâtre.

Ces personnes ont prêté leur visage (d’abord caché) pour les affiches promotionnelles des spectacles. Les visages de la communauté ont par la suite été découverts lors du dévoilement de la programmation théâtrale.

Des élèves du primaire ainsi que des membres de la communauté, dont le recteur et vice-chancelier de l’Université de Sudbury, Serge Miville, ont prêté leur visage pour l’une des pièces de théâtre à l’affiche.

Les membres de la communauté deviennent ici des agents facilitateurs pour favoriser la promotion de la culture.

La collaboration famille-communauté est aussi mise de l’avant pour les jeunes, qui deviennent des porte-paroles. Sans l’implication de parents engagés, cette expérience enrichissante est impossible.

Cette proximité entre la communauté et le milieu culturel permet au grand public de constater que le théâtre peut être accessible à tous et n’est pas seulement réservé à une élite intellectuelle.

personne avec seau d’eau renversé sur la tête
Des membres de la communauté ont pris la pose pour les affiches promotionnelles des spectacles.
(Création de Studio123), Fourni par l’auteur

Qu’est-ce qu’un agent facilitateur ?

Un agent facilitateur est une personne-clé qui joue, par exemple, un rôle de liaison et qui facilite la communication entre le milieu scolaire et le milieu culturel. L’agent facilitateur peut être un parent, un enseignant, ou encore un conseiller pédagogique, et agit comme un pont. En d’autres mots, l’agent facilitateur permet à l’information de circuler, aux initiatives de se concrétiser et aux collaborations de naitre.

Ces agents facilitateurs, passionnés de culture, sont comme des responsables des relations publiques : ils diffusent l’information, suscitent l’intérêt et proposent des modalités concrètes de participation.

En contexte francophone minoritaire, cette « courroie de transmission » est essentielle pour créer des liens entre les différents milieux et développer des projets culturels porteurs de sens pour la survie de la langue française.

Rejoindre son public

Dans le cadre de l’initiative du TNO, l’une des pièces de la programmation était Clémentine, une histoire (vraie).

Pour promouvoir davantage la pièce destinée au jeune public, la porte-parole, alors âgée de 11 ans, s’est prêtée au jeu d’enregistrer une capsule audio dans les studios de la radio Le Loup FM de Sudbury.

Cette implication directe a permis de donner un visage familier de la communauté à la campagne et de susciter l’intérêt du public cible de cette pièce, soit les 6 à 10 ans.

L’agent facilitateur ici a été le parent de la porte-parole, qui a également permis à son enfant de faire la promotion de la pièce sur Facebook et Instagram quelques jours avant le spectacle, par l’entremise d’une courte vidéo maison.

Piquer la curiosité

Le parent jouant le rôle d’agent facilitateur a fait aussi le pont avec la direction de l’école pilote participante au projet, l’école publique Hélène-Gravel, pour organiser un concours. De ce fait, des affiches de la pièce Clémentine, une histoire (vraie) ont été placées partout dans l’école avec l’inscription suivante :

Une élève de ton école est ambassadrice de ce spectacle. Qui est-ce ?

Cette approche ludique a capté l’attention des élèves, qui ont tenté de percer le mystère. Un tirage de deux forfaits familiaux a eu lieu et a permis à des élèves d’assister à un spectacle jeunesse du TNO avec leur famille.

Cette collaboration a ensuite mené à des ateliers de médiation culturelle. Ces ateliers sont des activités conçues pour permettre la rencontre entre un public (ici les élèves) et une œuvre (la pièce de théâtre). En d’autres mots, l’objectif est de rendre la culture accessible à tous et de préparer les élèves pour leur sortie théâtrale afin de maximiser leurs apprentissages.

Préparer les élèves à vivre une expérience théâtrale

Dans la continuité de cette démarche, trois classes de 3e et 4e années du primaire ont participé à un atelier de préparation animé par l’équipe du TNO. Grâce à l’implication du parent facilitateur, le contact entre l’école et le milieu théâtral a pu être établi plus facilement.

L’atelier préparait les élèves à leur sortie au théâtre en présentant les thématiques de la pièce, les conventions propres à cet art (scène, lumière, rôle du spectateur, etc.), ainsi qu’une initiation au théâtre d’objets, forme artistique de la pièce Clémentine.

Pour les élèves dont le français n’est pas la langue parlée à la maison, cet accompagnement est d’autant plus précieux.

Une enseignante d’une classe réputée difficile nous a même rapporté que ses élèves n’avaient jamais été aussi concentrés et engagés qu’au cours de cet atelier.

De plus, grâce à un autre parent engagé pour qui la culture francophone est importante, un témoignage d’une élève a pu être réalisé tout de suite après avoir vu Clémentine. L’élève en question a fait part de son appréciation et celle-ci a ensuite été publiée dans Facebook.

Par ailleurs, un article dans le journal franco-ontarien Tapage a été écrit par la porte-parole de Clémentine pour revenir sur son expérience. Son enseignant a ensuite repris cet article pour son propre enseignement du reportage, en 6e année.

L’importance des agents facilitateurs

Pour maximiser l’impact de telles initiatives, il est crucial que les informations circulent efficacement, particulièrement par l’entremise des agents facilitateurs, puisque ceux-ci assurent un relais efficace.

La collaboration proactive entre l’école, la famille, la communauté et le milieu culturel constitue un levier puissant pour renforcer la vitalité de la culture francophone en milieu minoritaire.

Il suffit parfois d’un courriel, d’une idée partagée ou d’un parent engagé pour faire naitre un projet qui marquera les élèves de façon durable.

L’école doit indéniablement devenir un tremplin vers la culture pour assurer l’avenir de la francophonie en contexte minoritaire.


Les auteures tiennent à remercier les cochercheurs pour leur contribution : Marie-Pierre Proulx (directrice artistique) et Maxime Cayouette (médiateur culturel) du Théâtre du Nouvel-Ontario ainsi que Mireille Ménard, conseillère pédagogique du Conseil scolaire du Grand Nord. Merci également à Mme Sylvie Martel, directrice de l’école publique Hélène-Gravel, pour son ouverture d’esprit et sa flexibilité.

La Conversation Canada

Isabelle Carignan est professeure associée à l’Université de Sudbury et à l’Université Laurentienne.

Annie Roy-Charland et Marie-Christine Beaudry ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Il importe d’allier le milieu scolaire au milieu culturel, surtout en contexte minoritaire francophone – https://theconversation.com/il-importe-dallier-le-milieu-scolaire-au-milieu-culturel-surtout-en-contexte-minoritaire-francophone-254019

Présidentielle au Cameroun : à 92 ans, l’inamovible Paul Biya fragilisé par des défections dans son camp

Source: The Conversation – in French – By David E Kiwuwa, Associate Professor of International Studies, University of Nottingham

Les Camerounais se rendront aux urnes le 12 octobre 2025 dans l’espoir, pour certains, d’une rupture avec le passé troublé du pays. Certains pensent que le président Paul Biya (92 ans) pourrait se retirer pour permettre une transition.

Il y a trois ans, je faisais partie de ceux qui se montraient optimistes quant aux élections de 2025. Mais je me suis trompé. Paul Biya est prêt à se présenter pour un huitième mandat consécutif. Il est d’ores et déjà l’un des présidents africains ayant exercé le plus longtemps le pouvoir, derrière Teodoro Nguema de Guinée équatoriale, en poste depuis 1979.

Paul Biya est ainsi sur le point d’atteindre la présidence à vie depuis son entrée en fonction en 1982. En juillet 2025, après des mois de spéculations, il a confirmé dans un tweet qu’il se présenterait à nouveau.

Après avoir survécu à des coups d’État, réduit au silence les dissidents, défié les rumeurs sur sa mort et survécu à des générations de challengers, il a rappelé à ses amis comme à ses ennemis qu’il restait au centre de la scène politique camerounaise.

Je suis depuis longtemps chercheur et analyste de la politique africaine, spécialisé dans la transformation des régimes, les transitions démocratiques et les questions de gouvernance au sens large. Compte tenu des développements régionaux qui ont vu l’armée destituer des dirigeants de longue date, on pourrait s’attendre à ce que Biya supervise une transition contrôlée. Une question se pose : qu’est-ce qui, dans la situation au Cameroun, continue de défier toute logique ?

Il existe une agitation et une frustration évidentes parmi les jeunes Camerounais, ainsi qu’une demande claire de changement. Pourtant, le président sortant reste au sommet, soutenu par le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, et maintient son contrôle quasi total de l’appareil politique de l’État.

En bref, le système a été conçu pour servir les intérêts de Biya. Avec le contrôle gouvernemental des médias, des ressources et des institutions judiciaires et électorales, il est peu probable que l’opposition puisse apporter un changement systémique.

Certaines choses ont toutefois changé au Cameroun. Les précédentes victoires de Biya ont été écrasantes, ne laissant aucune place au débat. Cette fois-ci, la situation pourrait être différente en raison des défections très médiatisées au sein de son parti. Ces hommes ont décidé de le défier dans les urnes.

Le terrain / la campagne électorale

Lors du dernier cycle électoral, Biya a fait face à des défis limités et à une opposition cooptée ou profondément divisée. Cette fois-ci, il doit compter avec une opposition relativement organisée.

Initialement, 83 candidats avaient manifesté leur volonté de concourir. En juillet, la commission électorale en a autorisé 13 à se présenter. La commission a disqualifié de manière controversée Maurice Kamto, un juriste renommé qui avait obtenu un résultat honorable lors du cycle électoral de 2018 avec 14 % des voix.

Human Rights Watch a alors averti que cette décision jetterait une ombre sur la crédibilité du processus électoral. Néanmoins, plusieurs personnalités crédibles de tous bords politiques restent en lice et proposent des alternatives politiques. Biya est notamment confronté à deux autres anciens alliés devenus adversaires politiques.

L’un d’eux est Issa Tchiroma Bakary, son ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Membre de longue date du régime, il a occupé divers postes ministériels et a longtemps été considéré comme un fidèle de Paul Biya. Mais en juin 2025, il a démissionné du gouvernement, se livrant à une critique cinglante du système qu’il représentait autrefois. Il a ensuite lancé sa campagne, se présentant sous la bannière du Front pour le salut national du Cameroun.

Par ailleurs, le ministre du Tourisme et des Loisirs, Bello Bouba Maigari, toujours officiellement en fonction, a déclaré en juillet 2025 son intention de se présenter contre son patron lors des élections de ce mois d’octobre.

Cette annonce a particulièrement frappé les esprits compte tenu de la longue histoire politique qui lie les deux hommes. Maigari n’est pas n’importe quel membre du cabinet. Il est un confident de longue date du président, ayant été nommé Premier ministre de Biya en 1982 et originaire de la région nord, riche en voix électorales. Sa décision de se lancer dans la course marque un changement de statut : il passe ainsi de fidèle lieutenant à challenger présidentiel, révélant au passage les fissures croissantes au sein de l’élite au pouvoir.

Parmi les autres candidats à noter, citons :

  • Akere Muna: ancien président de l’Assemblée nationale qui a fait prêter serment à Biya en 1982 et défenseur infatigable de la transparence et de la responsabilité politique. Il s’est présenté à la présidence en 2018 (mais s’est retiré à la dernière minute).

  • Cabral Libii, du Parti camerounais pour la réconciliation nationale : un jeune leader dynamique qui s’est également présenté à l’élection présidentielle de 2018 et a recueilli 6 % des suffrages.

  • Joshua Osih : un politicien chevronné doté d’un solide bilan.

Les enjeux

Les problèmes urgents du pays restent les mêmes depuis de longues années. Il s’agit notamment :

La dimension externe

Les acteurs occidentaux ont été des critiques constants du régime de Biya ces dernières années. Cependant, certains ont adopté un ton plus prudent, arbitrant leurs critiques avec leurs intérêts stratégiques.

Les États-Unis, par exemple, ont suspendu une partie de leur aide militaire au Cameroun en 2019 en raison de violations des droits de l’homme. Mais ils poursuivent leur coopération dans la lutte contre le terrorisme contre Boko Haram.

L’Union européenne, tout en faisant pression pour un règlement pacifique du conflit anglophone, demeure un partenaire majeur du Cameroun, tant sur le plan commercial que de l’aide.

La Chine est devenue le premier créancier bilatéral et l’un des principaux partenaires commerciaux du Cameroun. Selon un rapport de Business in Cameroon, en 2024, le Cameroun devait environ 64,8 % de sa dette bilatérale extérieure à la Chine. Il s’agit principalement de prêts destinés à financer des projets d’infrastructures tels que le port en eau profonde de Kribi, l’autoroute Yaoundé-Douala et des centrales hydroélectriques.

Pour assurer la survie du régime, Paul Biya a mené une politique étrangère pragmatique. La position diplomatique de Pékin, fondée sur la non-ingérence et le respect de la souveraineté nationale, trouve un écho auprès des élites politiques camerounaises, méfiantes à l’égard de la surveillance et des critiques occidentales concernant le recul de la démocratie et le conflit anglophone.

Mais Paul Biya n’a pas rompu ses liens avec l’Occident. Par exemple, le gouvernement maintient des partenariats avec la France pour la formation en matière de sécurité, avec l’Allemagne pour la décentralisation et avec les États-Unis pour la lutte contre l’insurrection dans les zones anglophones.

Cet équilibre n’est pas simplement géopolitique. Il est également profondément ancré dans les réseaux de patronage nationaux. L’aide étrangère, les prêts et les investissements servent de ressources pour consolider le pouvoir de l’élite camerounaise, pour renforcer le système de patronage et réprimer la dissidence.

Les élections d’octobre ne manqueront pas de réaffirmer ce statu quo.

The Conversation

David E Kiwuwa does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Présidentielle au Cameroun : à 92 ans, l’inamovible Paul Biya fragilisé par des défections dans son camp – https://theconversation.com/presidentielle-au-cameroun-a-92-ans-linamovible-paul-biya-fragilise-par-des-defections-dans-son-camp-265795

L’art d’éduquer les princesses de la Renaissance : ce que nous apprennent les « Enseignements » d’Anne de France

Source: The Conversation – in French – By Aubrée David-Chapy, Chercheuse associée au centre Roland-Mousnier, Sorbonne Université

Anne de France et sa fille Suzanne, sur le panneau de droite du _Triptyque de Moulins_, peint par le maître flamand Jean&nbsp;Hey à la fin du XV<sup>e</sup>&nbsp;siècle et restauré par les équipes des musées de France de 2022 à 2025. Le chef-d’œuvre sera exposé au Louvre, à Paris, fin 2025 avant de retrouver sa place dans la cathédrale de Moulins (Allier). Wikimédia Commons

À partir du Moyen Âge, l’éducation des filles fait l’objet d’une grande attention dans la noblesse et, dans une moindre mesure, les milieux bourgeois.

Le manuscrit original des Enseignements, rédigés au XVe siècle par la fille aînée du roi Louis XI, Anne de France, duchesse du Bourbonnais et d’Auvergne, destinés à sa fille de 12 ans, Suzanne de Bourbon, récemment réapparu sur le marché de l’art, nous éclaire sur les valeurs essentielles transmises aux princesses de la Renaissance.


Alors qu’on le croyait perdu depuis plus d’un siècle, le manuscrit original des Enseignements, d’Anne de France (1461-1522), destinés à sa fille Suzanne de Bourbon (1491-1521) a resurgi sur le marché de l’art au printemps 2025, et vient d’être classé « trésor national » par le ministère de la culture.

Historiens et historiens de l’art le pensaient égaré dans les fonds de la bibliothèque de Saint-Pétersbourg (Russie) qui était en sa possession depuis la fin du XVIIIe siècle environ. Il se trouvait en fait dans la collection particulière de Léon Parcé (1894-1979), érudit et passionné de Blaise Pascal (1623-1662), qui l’avait acquis des autorités soviétiques dans les années 1930.

La nouvelle de la réapparition de ce manuscrit réjouit historiens, historiens de l’art et de la littérature, qui ne le connaissaient que par une copie du XIXᵉ siècle et qui espèrent pouvoir l’étudier dans les prochaines années. Mais quelle est au juste la spécificité de ces Enseignements ?

Anne de France, une femme de pouvoir

Christine de Pizan donnant une conférence
Christine de Pizan (1364-v.1430), autrice du Livre des trois vertus (XVᵉ siècle), donnant une conférence.
The British Library Board, Harley 4431, f.259v, via Wikimédia

L’éducation des filles constitue depuis le Moyen Âge un enjeu fondamental dans les milieux nobiliaires et, dans une moindre mesure, bourgeois. Comme les garçons, elles sont les destinataires de manuels de savoir-vivre appelés « miroirs » qui contiennent une multitude de préceptes moraux et de conseils pour la vie quotidienne.

Le Livre pour l’enseignement de ses filles, du chevalier de La Tour Landry, ou encore les enseignements de saint Louis à sa fille Isabelle de Navarre figurent au rang des plus connus.

Au XVe siècle, la femme de lettres Christine de Pizan rédige des miroirs à l’intention des princes, des princesses et, plus largement, des femmes de toutes conditions. Son Livre des trois vertus constitue un modèle dans lequel puiser.

Cependant, les Enseignements, d’Anne de France, qui se placent dans cette filiation littéraire, ont ceci de particulier qu’ils sont l’œuvre d’une mère pour sa fille, ce qui est assez unique. Surtout, Anne de France n’est pas une femme parmi d’autres : fille du roi Louis XI (1461-1483), c’est aussi la sœur de Charles VIII (1483-1498). Cette « fille de France » est l’une des femmes de pouvoir les plus puissantes du royaume, entre la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance.

Anne de France s’est imposée sur la scène politique dès les années 1480, en assurant une sorte de régence pour son frère Charles, aux côtés de son époux Pierre de Beaujeu. Dotée d’une grande expérience de la politique, de la cour et d’une grande culture, dont témoignent ses nombreuses références à Aristote et à saint Augustin, elle rédige les Enseignements à [s]a fille vers 1503-1505.

Il s’agit d’un moment charnière dans sa vie familiale. Tout juste veuve, celle qui n’est autre que duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne, s’apprête à marier sa fille à Charles de Bourbon-Montpensier, connu plus tard sous le nom de connétable de Bourbon. Sans doute Anne s’est-elle inspirée des miroirs cités précédemment, conservés dans la bibliothèque des ducs de Bourbon, à Moulins.

La rédaction de ce miroir fait passer la princesse de la pratique à la théorie. En effet, en raison de son statut de fille de roi, Anne s’est illustrée depuis les années 1480 comme éducatrice de très nombreux princes et princesses envoyées par leurs familles à la cour de France pour recevoir un enseignement de premier plan. Outre son propre frère Charles qu’elle forme à son futur métier de roi, elle se voit confier Marguerite d’Autriche (tante de Charles Quint et régente des Pays-Bas), Louise de Savoie (mère de François Ier et première régente officielle du royaume de France), Philippe de Gueldre, duchesse de Lorraine, ou encore Diane de Poitiers toutes promises à un brillant avenir politique.

L’idéal de la princesse, parangon de vertu et de bonne éducation

C’est donc une femme d’expérience qui prend la plume pour s’adresser à Suzanne de Bourbon au tout début du XVIe siècle. Pour justifier son entreprise, elle évoque « la parfaite amour naturelle » qu’elle éprouve à l’égard de sa fille, alors âgée d’une douzaine d’années. Le manuscrit d’une centaine de feuillets dont elle fait don à Suzanne est enluminé et composé des Enseignements, suivis de l’Histoire du siège de Brest, bref opuscule dont Anne est également l’auteur.

Le contenu des Enseignements n’est en rien révolutionnaire, bien au contraire, il s’inscrit dans une tradition médiévale héritée du Miroir des Dames, de Durand de Champagne, et des écrits de Christine de Pizan.

Anne de France rappelle en premier lieu à sa fille son état de créature faible, marquée par le péché originel (comme toute créature humaine, homme ou femme) et la nécessité de dompter et de dépasser ses faiblesses naturelles afin de faire son salut sur terre.

C’est le principal objet de toute existence chrétienne. Pour cela, Suzanne devra s’efforcer d’acquérir la vertu qui se décline en de nombreuses qualités : prudence, piété, bonne renommée, courtoisie, humilité, maîtrise de soi, etc.

« Il n’est rien plus délectable à voir en femme noble que vertueux savoir »,

poursuit Anne. La vie doit ainsi s’ancrer dans la connaissance et la vérité, qui rapprochent de la sagesse, tout éloignant de la « folie » tant redoutée.

Destinée à être une femme de haut rang et à évoluer dans les milieux de cour, Suzanne devra savoir s’y comporter sans faire défaut à ses origines. Plus encore, il lui faudra se méfier de la fausseté ambiante de la cour, lieu du mensonge, du faux-semblant et de la trahison, qui représentent autant de pièges quotidiens à éviter.

Comme épouse, la princesse devra demeurer fidèle à sa propre lignée, « à son sang », tout en s’attachant fidèlement à son époux, se montrant notamment capable de le seconder en cas d’absence de ce dernier.

Les Enseignements expriment l’idéal de la princesse, parangon de vertu et de bonne éducation, selon Anne de France. Fruit d’années d’expérience du pouvoir et de la cour, ce miroir se présente comme un modèle de piété, de morale et de vertu destiné, certes, à sa fille mais, plus largement, à toutes les dames et demoiselles évoluant dans la sphère aulique.

C’est ce qui explique sa diffusion rapide dans le royaume de France, dès le premier quart du XVIe siècle, au sein des plus hautes franges de la société. Sous une forme imprimée, les Enseignements rejoignent par exemple les bibliothèques de Marguerite de Navarre, sœur du roi François Ier (1515-)1547), de Diane de Poitiers (1500-1566) puis de la puissante souveraine Catherine de Médicis (reine de France de 1547 à 1559, ndlr). C’est dire l’importance accordée par ses comparses aux conseils de celle qui fut l’une des plus puissantes femmes de la première Renaissance.

The Conversation

Aubrée David-Chapy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’art d’éduquer les princesses de la Renaissance : ce que nous apprennent les « Enseignements » d’Anne de France – https://theconversation.com/lart-deduquer-les-princesses-de-la-renaissance-ce-que-nous-apprennent-les-enseignements-danne-de-france-264906

Diella, première ministre artificielle en Albanie : le piège de la féminisation des IA

Source: The Conversation – in French – By Sylvie Borau, Professeure en Marketing éthique, TBS Education

Pour la première fois dans l’histoire, une intelligence artificielle a fait en Albanie son entrée au sein d’un gouvernement. Au-delà des questionnements sur la place des IA dans la décision publique, la nomination de Diella comme ministre chargée des marchés publics suscite des interrogations sur la féminisation quasi systématique des avatars IA. Cette pratique trompeuse qui entretient les stéréotypes de genre perpétue l’objectification des femmes et facilite la manipulation.


Le gouvernement albanais vient de créer la surprise en nommant Diella, une intelligence artificielle (IA), au poste de ministre des marchés publics. Présentée comme un atout dans la lutte contre la corruption, Diella serait chargée d’analyser les appels d’offres, repérer les conflits d’intérêts et garantir l’impartialité des décisions publiques.

Cette initiative inédite marque une étape historique. Pour la première fois, une IA entre officiellement dans un gouvernement, ici, sous les traits d’un avatar numérique féminin. Mais au-delà du coup médiatique, et des questionnements éthiques que peut soulever cette nomination – peut-on vraiment gouverner avec une IA ?, elle suscite des interrogations fondamentales sur la féminisation quasi systématique des agents IA.

Pourquoi Diella est-elle une femme artificielle ? Et quelles sont les implications de cette féminisation de l’IA ?

Diella : un cas d’école problématique

L’IA a déjà été utilisée comme outil de gouvernance. Certaines villes se servent, par exemple, des algorithmes pour optimiser les transports ou pour détecter la fraude. Mais en nommant une IA au rang de ministre, l’Albanie franchit une étape symbolique majeure : plus qu’un outil, elle devient une figure féminine publique, censée incarner des valeurs de transparence et de justice.

La promesse est séduisante : même si une IA peut reproduire ou amplifier les biais de ceux qui l’ont programmée, une machine ne peut, en théorie, ni accepter de pots-de-vin ni favoriser des proches. Elle paraît offrir une garantie d’impartialité dans un pays où les scandales de corruption entachent la vie politique. L’Albanie est, en effet, classée 80e sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption, selon Transparency International.

Mais cette vision occulte un problème central : les conséquences éthiques de la féminisation de l’IA sont loin d’être anodines.

Pourquoi les IA sont-elles presque toujours féminines ?

Depuis Siri (Apple), Alexa (Amazon) Cortana (Microsoft) ou encore Sophia, le premier robot ayant obtenu la nationalité saoudienne en 2017, la plupart des assistants virtuels et robots intelligents ont été dotés d’une voix, d’un visage, d’un corps ou d’un prénom féminins. Ce n’est pas un hasard.

Sophia, interviewée dans le Tonight Show, de Jimmy Fallon en avril 2017.

Dans une première recherche sur la question, nous avons montré que nous percevons les bots féminins comme plus chaleureux, plus dignes de confiance, voire même plus humains que leurs équivalents masculins.




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Pourquoi ? Parce que les femmes sont, en moyenne, perçues comme plus chaleureuses et plus susceptibles d’éprouver des émotions que les hommes… et ces qualités font défaut aux machines. La féminisation des objets en IA contribue donc à humaniser ces objets.

Cette féminisation s’appuie sur des stéréotypes bien ancrés : la femme serait « naturellement » plus douce, attentive et empathique. En dotant leurs machines de ces attributs, les concepteurs compensent la froideur et l’artificialité des algorithmes et facilitent leur acceptation et leur adoption.

Quand la féminisation devient manipulation

Mais cette pratique soulève des problèmes éthiques majeurs, que j’ai développés dans un article récent publié dans les pages du Journal of Business Ethics.

Cet article compare les implications éthiques de l’usage d’attributs genrés et sexués féminins dans deux contextes. D’un côté, la publicité, où l’on recourt depuis longtemps à des représentations féminines idéalisées pour séduire les consommateurs. De l’autre, les agents IA, qui reprennent aujourd’hui ces mêmes codes. Cette mise en parallèle permet de montrer que, dans les deux cas, la féminisation engendre trois dangers majeurs : tromperie, objectification, et discrimination.

  • La tromperie et la manipulation

Attribuer artificiellement des caractéristiques humaines et féminines à des machines exploite nos réactions inconscientes et automatiques aux traits néoténiques (caractéristiques juvéniles associées aux traits féminins comme les yeux ronds, des traits arrondis) qui évoquent inconsciemment l’innocence et, donc, l’honnêteté et la sincérité.

Cette manipulation subtile pourrait faciliter l’acceptation de décisions algorithmiques potentiellement problématiques. Une IA féminisée fait croire qu’elle est plus humaine, plus empathique, plus « digne de confiance ». Or, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un programme informatique, sans émotions ni conscience – question qui commence à être discutée –, dont les décisions peuvent être biaisées voire instrumentalisées.




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  • L’objectification littérale

Contrairement à la publicité qui compare métaphoriquement les femmes à des objets, l’intelligence artificielle va plus loin : elle transforme littéralement la femme en objet programmable (une machine, un algorithme). Les IA féminines réduisent les attributs féminins à de simples outils de service : des machines obéissantes, disponibles en permanence. Cette mécanisation de la féminité reproduit et amplifie les logiques publicitaires d’objectification, mais avec une dimension inédite : l’interactivité.

Résultat, des chercheurs relèvent la persistance de propos agressifs et à caractère sexuel dans les interactions avec ces assistantes, normalisant ainsi des comportements abusifs envers les « femmes-machines » qui risquent de se reporter sur les vraies femmes… In fine, l’humanisation et la féminisation de l’IA peut paradoxalement conduire à une déshumanisation accrue des femmes.

  • La perpétuation de stéréotypes

À première vue, Diella pourrait apparaître comme une victoire symbolique : une femme – même virtuelle – accède à un poste de ministre. Dans un pays où la politique reste dominée par les hommes, et alors que la plupart des IA féminines sont des assistantes, certains y verront un signe d’égalité.

Mais cette lecture naïve et optimiste occulte un paradoxe. Alors que les femmes réelles peinent à accéder aux plus hautes fonctions dans de nombreux gouvernements, c’est une femme artificielle qui incarne l’intégrité au pouvoir. Surnommée « la servante des marchés publics », c’est en réalité une femme sans pouvoir d’agir. On retrouve ici un vieux schéma : « l’Ève artificielle », façonnée pour correspondre à un idéal de docilité et de pureté. Une ministre parfaite, car obéissante et inaltérable… et qui ne remettra jamais en cause le système qui l’a créée.

L’IA au féminin, sainte dévouée ou Ève manipulatrice

La féminisation des IA repose en réalité sur deux tropes profondément enracinés dans notre imaginaire, qui réduisent l’identité féminine à l’archétype de la sainte dévouée ou de l’Ève manipulatrice.

La sainte dévouée, c’est l’image de la femme pure, obéissante, entièrement tournée vers les autres. Dans le cas de Diella, elle se manifeste par une promesse de transparence et de loyauté absolue, une figure de vertu incorruptible au service de l’État et de son peuple.

La représentation visuelle de Diella rappelle d’ailleurs fortement l’iconographie de la Vierge Marie : visage doux, regard baissé, attitude humble, et voile blanc. Ces codes esthétiques religieux associent cette IA à une figure de pureté et de dévouement absolu. Mais en faisant de l’IA une figure féminine idéalisée et docile, on alimente un sexisme bienveillant qui enferme les femmes réelles dans ces mêmes stéréotypes.

L’Ève manipulatrice : dans la culture populaire, la confiance accordée à une IA féminisée se transforme en soupçon de tromperie ou de danger. Exemple emblématique : le film de science-fiction Ex Machina, dans lequel le héros est dupé par une IA dont il tombe amoureux.

Si Diella venait à servir d’instrument politique pour justifier certaines décisions opaques, elle pourrait elle aussi être perçue sous ce prisme : non plus comme une garante de transparence, mais comme une figure de dissimulation.

Ces deux représentations contradictoires – la vierge sacrificielle et la séductrice perfide – continuent de structurer nos perceptions des femmes et se projettent désormais sur des artefacts technologiques, alimentant une boucle qui influence à son tour la manière dont les femmes réelles sont perçues.

Pour une IA non humanisée et non genrée

Plutôt que d’humaniser et de genrer l’IA, assumons-la comme une nouvelle espèce technologique : ni homme ni femme, ni humaine ni divine, mais un outil distinct, pensé pour compléter nos capacités et non pour les imiter. Cela suppose de lui donner une apparence et une voix non humaines, afin d’éviter toute confusion, toute tromperie et toute manipulation.

Le développement des IA devrait s’appuyer sur une transparence totale, en représentant l’IA pour ce qu’elle est vraiment, à savoir un algorithme.

Enfin, les concepteurs devraient rendre publics la composition de leurs équipes, les publics visés, les choix de conception. Car, derrière l’apparente neutralité des algorithmes et de leur interface, il y a toujours des décisions humaines, culturelles et politiques.

L’arrivée de Diella au gouvernement albanais doit ouvrir un débat de fond : comment voulons-nous représenter l’IA ? Alors que ces technologies occupent une place croissante dans nos vies, il est urgent de réfléchir à la façon dont leur représentation façonne nos démocraties et nos relations humaines.

The Conversation

Sylvie Borau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Diella, première ministre artificielle en Albanie : le piège de la féminisation des IA – https://theconversation.com/diella-premiere-ministre-artificielle-en-albanie-le-piege-de-la-feminisation-des-ia-265608

Travailler assis ou debout ? Pour la productivité et la santé, mieux vaut alterner

Source: The Conversation – in French – By Cédrick Bonnet, Chargé de recherche CNRS, spécialiste dans l’influence des positions du corps sur Comportement, Cognition et Cerveau, Université de Lille

Des travaux de recherche révèlent que la position debout améliore l’attention visuelle. Ce constat plaide en faveur de l’alternance des stations assise et debout au cours de la journée de travail. Prendre cette habitude permettrait aussi de lutter contre les effets délétères pour la santé résultant du maintien sur une trop longue période de l’une ou l’autre des deux positions.


Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la mécanisation, le confort accru, l’ordinateur, Internet et le télétravail entre autres ont considérablement augmenté le temps que nous passons assis.

Aujourd’hui, plus de la moitié de la population de la planète est quotidiennement assise plus de 50 % du temps, ce qui représente plus de 8 heures par jour. Plus grave encore, les personnes qui travaillent en bureau sont assises entre 65 et 85 % de leur journée, ce qui représente de 11,2 à 12,8 heures par jour, et le temps passé assis continuera à augmenter au moins jusqu’à 2030.

On sait que ces changements ne sont pas sans conséquence pour notre santé. Il a notamment été démontré que l’augmentation de la sédentarité est associée à un risque accru de maladie cardiovasculaire, de diabète de type 2, de cancer, d’obésité, d’anxiété ou de dépression. Mais ce n’est pas tout, il semblerait que notre position ait également un impact sur notre productivité.

Dans notre équipe de recherche, au SCALab, nous avons émis l’hypothèse qu’une personne en bonne santé (autrement dit, dans ce contexte, ne rencontrant pas de problème pour se tenir debout) devrait réaliser de meilleures performances debout qu’assise, ceci tant que la fatigue en position debout n’est pas excessive. Les résultats que nous avons obtenus jusqu’ici le confirment. Explications.

Notre posture influe-t-elle sur notre efficacité ?

Au cours d’une journée, les individus adoptent trois types de position du corps : allongée pour dormir, debout pour bouger et plus ou moins pliée, pour s’asseoir notamment.

Pour comprendre pourquoi nous pourrions être plus efficaces debout qu’assis, il faut savoir que, pour fonctionner au mieux, nos systèmes sensoriels et attentionnels ont besoin de stimulations, d’accélérations et de perturbations. Or, si, en position debout, notre corps oscille sans arrêt et doit continuellement contrôler son équilibre pour ne pas tomber, en position assise, il n’est pas perturbé de la sorte.

Ces dernières années, notre équipe de recherche a conduit plusieurs projets de recherche pour valider notre hypothèse. Dans un article récemment accepté pour publication, nous avons demandé à 24 jeunes adultes de réaliser six fois une tâche d’attention (« Attention Network Test ») en alternant les positions du corps (assis, debout), et six fois cette même tâche seulement en position assise.

Les résultats obtenus montrent que l’attention visuelle des participants est meilleure en alternant les positions du corps qu’en restant tout le temps assis. En outre, les participants réalisaient la tâche plus rapidement (avec des temps de réaction plus courts) quand ils étaient debout dans la condition d’alternance.

Dans un second article récent, nous avons demandé à 17 jeunes adultes sains de réaliser la même tâche d’attention (« Attention Network Task ») soit assis, soit debout. Nous avons testé si c’était le fait de devoir contrôler et ajuster l’équilibre debout, et pas uniquement le fait d’être debout, qui peut expliquer de meilleures performances debout qu’assis.

Les analyses ont effectivement montré que plus les oscillations des participants étaient complexes, plus leur temps de réaction était raccourci (corrélation de Pearson négative significative) et plus leur score d’alerte (tiré de la tâche d’attention) était élevé. Par définition, le score d’alerte reflète la capacité d’un individu à préparer et à maintenir un état d’alerte afin de répondre rapidement à un stimulus attendu.

Ces résultats indiquent que les individus complexifient leurs oscillations posturales debout de façon à améliorer leur performance à la tâche d’attention. On peut supposer qu’en position assise, tout individu serait moins (voire, ne serait pas) capable de complexifier ses oscillations justement parce qu’il n’a pas à contrôler son équilibre.

En 2024, nous avons demandé à 24 jeunes adultes sains de réaliser une tâche de Stroop modifiée dans quatre positions du corps différentes : debout contre un mur ; debout naturellement avec les pieds serrés ; avec les pieds normalement écartés ; avec les pieds légèrement plus écartés que d’habitude.

Les résultats obtenus révèlent l’existence d’une corrélation significative entre le nombre de cibles bien trouvées dans cette tâche de Stroop et des variables d’oscillations de la tête et du centre de pression (le point d’application de la résultante des forces de réaction au sol exercées par les pieds sur le sol). Autrement dit, plus les participants oscillaient (en rapidité et en amplitude) et meilleure était leur performance à bien trouver les cibles dans cette tâche de Stroop modifiée.

En résumé, ces trois études menées en laboratoire sont en accord avec notre hypothèse initiale. La position debout optimise la performance à des tâches d’attention visuelle de courtes durées.

Nos résultats sont également en ligne avec ceux d’autres scientifiques. En effet, plusieurs investigateurs ont déjà montré que les performances aux tâches d’attention et de Stroop modifiées étaient meilleures debout qu’assis. En outre, d’autres études ont révélé que l’alternance assis-debout amène des résultats significativement meilleurs que la position assise seule. Enfin, des travaux ont montré que la productivité à long terme était meilleure en alternant les positions assise et debout.

En effet, l’attention décline de plus en plus à mesure que l’on reste assis, alors qu’elle reste plus élevée en position debout – surtout dans les trente premières minutes d’une tâche. Ce résultat est important, car il suggère que l’individu ne devient pas meilleur en étant debout qu’en restant assis, mais plutôt qu’il évite un déclin de performance en se mettant debout.

Vaut-il mieux travailler debout ou assis ?

La majorité des travaux publiés révèle que les performances en position assise sont identiques à celles en position debout quand les tâches durent moins de dix minutes. En revanche, les performances en position debout peuvent être meilleures qu’en position assise lorsque les tâches durent entre dix et trente minutes. Entre trente minutes et une heure et demie (soit quatre-vingt-dix minutes), les performances dans les deux positions redeviennent équivalentes. Au-delà d’une heure et demie, les performances devraient logiquement être moins bonnes debout qu’assis, mais aucune recherche ne l’a encore montré jusqu’à présent à notre connaissance.

Pour toutes ces raisons, selon nous, la meilleure dynamique posturale à adopter pour optimiser les performances et la productivité est d’alterner fréquemment les positions du corps, en les maintenant chacune de 15 à 30 ou 45 minutes.

Il faut souligner que la dynamique posturale a non seulement des conséquences sur la performance et la productivité, mais aussi sur la santé. On savait déjà que rester debout excessivement longtemps est très problématique pour la santé. Depuis une vingtaine d’années plus particulièrement, les travaux de recherche ont aussi révélé que la station assise excessive est également très problématique pour la santé.

Elle accroît en effet le risque de mort prématurée, ainsi que celui d’être affecté par diverses maladies chroniques graves : cancer, diabète, maladies inflammatoires, musculaires, vasculaires chroniques, attaque cardiaque).

La station assise excessive a aussi été associée à une augmentation du surpoids et de l’obésité, ainsi qu’au développement des troubles du sommeil et à des problèmes cognitifs. Par ailleurs, on sait qu’être sédentaire a également des effets sur le psychisme, accroissant non seulement le risque de dépression, mais aussi celui d’avoir une moins bonne vitalité au travail.

Notre synthèse de la littérature révèle que pour limiter le risque de survenue de ces problèmes de santé, les individus devraient tous les jours rester quasiment autant debout qu’assis – autrement dit, ils devraient passer 50 % du temps debout.

Alterner au fil de la journée les postures assises et debout toutes les 15 à 45 minutes permettrait non seulement d’améliorer la productivité, mais aussi de réduire les conséquences pour la santé. Cela permet en effet d’augmenter le temps passé debout tout au long de la journée en évitant au mieux la fatigue.

Pour y parvenir, il faudrait équiper les travailleurs de bureaux assis/debout. Ceux-ci sont déjà adoptés dans de nombreux pays dans le monde, notamment aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Chine ou en Europe du Nord. Pour aider les utilisateurs à adopter une dynamique posturale bénéfique ou optimale, l’emploi de tels bureaux devrait être couplé à une application « assis-debout » destinée à guider les utilisateurs. Malheureusement, l’offre en matière d’applications – y compris celle proposée par des objets connectés tels que montres, smartphones ou bureaux connectés – est encore imparfaite à l’heure actuelle. Afin d’y remédier, notre équipe est en train de développer une telle application.

The Conversation

Cédrick Bonnet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Travailler assis ou debout ? Pour la productivité et la santé, mieux vaut alterner – https://theconversation.com/travailler-assis-ou-debout-pour-la-productivite-et-la-sante-mieux-vaut-alterner-265209

C’est en ayant moins d’enfants que les femmes ont réduit l’écart salarial avec les hommes

Source: The Conversation – France (in French) – By Alexandra Killewald, Professor of Sociology, University of Michigan

En 2024, les femmes états-uniennes ne gagnent que 85% de ce que les hommes reçoivent pour chaque heure travaillée. MoMo Productions/DigitalVision via Getty Images

Aux États-Unis, baisse du taux de natalité et réduction de l’écart salarial entre hommes et femmes ne sont pas simplement concomitantes. Elles sont liées. Pour obtenir l’égalité salariale, il faudra agir sur les effets de la parentalité en matière de rémunération.


Aux États-Unis, les femmes ne gagnaient en moyenne que 85 % de ce que les hommes gagnaient pour chaque heure travaillée en 2024. Cependant, elles s’en sortent beaucoup mieux que leurs mères et grands-mères il y a quarante ans. Au milieu des années 1980, les femmes ne touchaient que 65 % du salaire des hommes pour chaque heure de travail rémunéré.

Les salaires des femmes se sont améliorés par rapport à ceux des hommes en partie grâce aux progrès réalisés dans leur niveau d’éducation et leur expérience professionnelle, et parce que les femmes se sont orientées vers des professions mieux rémunérées. Mais les avancées vers l’égalité salariale sont actuellement au point mort.

En tant que sociologues et démographes, nous voulions savoir si les changements au sein des familles américaines avaient également contribué à rapprocher les femmes de l’égalité salariale avec les hommes. Dans un article publié en juin 2025 dans la revue académique Social Forces, nous avons montré que cet écart salarial se réduit en partie parce que les femmes ont moins d’enfants.

Les mères gagnent moins, mais les pères gagnent davantage

Aux États-Unis et ailleurs, de nombreuses preuves montrent que la parentalité affecte différemment les salaires des hommes et des femmes. Comparativement aux femmes sans enfant, la maternité entraîne des pertes de salaire pour les femmes. Et ces pertes sont plus importantes lorsque les femmes ont plusieurs enfants.

En revanche, après être devenus pères, les hommes voient généralement leur salaire augmenter. Comme le fait d’avoir des enfants tend à faire baisser les salaires des femmes et à les faire augmenter pour les hommes, la parentalité élargit l’écart salarial entre les sexes.

La baisse du taux de natalité joue un rôle

Les Américaines ont en général moins d’enfants. Les femmes, y compris celles qui ne travaillent pas à l’extérieur du foyer, avaient en moyenne environ trois enfants avant l’âge de 40 ans en 1980. En 2000, cette moyenne était tombée à 1,9 enfant, et elle est restée relativement stable depuis.

Pour déterminer si les changements dans le nombre d’enfants des mères américaines actives influencent leurs revenus par rapport à ceux des hommes, nous avons analysé des données recueillies auprès d’un échantillon représentatif à l’échelle nationale des familles américaines. Nous avons suivi l’évolution au fil du temps du nombre d’enfants des Américains actifs âgés de 30 à 55 ans.

Nous avons constaté que le nombre moyen d’enfants par employé a chuté de manière significative entre 1980 et 2000, passant d’environ 2,4 à environ 1,8. Cette moyenne s’est stabilisée après 2000 ; en 2018, dernière année de notre analyse, les employés avaient en moyenne environ 1,8 enfant.

Dans le même temps, le salaire horaire des femmes de cette tranche d’âge par rapport à celui des hommes a fortement augmenté. Il est passé de 58 % en 1980 à 69 % en 1990, puis a progressé plus lentement pour atteindre 76 % en 2018. Autrement dit, à mesure que le nombre d’enfants diminuait, l’écart salarial entre les sexes se réduisait. Pour les deux tendances, les changements ont été rapides dans les années 1980, puis plus lents après 1990.

Nous avons ensuite estimé dans quelle mesure la diminution du nombre d’enfants chez les hommes et les femmes pouvait expliquer la réduction de l’écart salarial entre les sexes entre 1980 et 2018. Nous avons constaté que, même après avoir tenu compte d’autres facteurs tels que le nombre d’années d’études, l’expérience professionnelle antérieure et la profession exercée, environ 8 % de la réduction de l’écart salarial entre les sexes peut s’expliquer par le fait que les hommes et les femmes actifs ont moins d’enfants.

Ensuite, nous avons montré que le nombre d’enfants des employés américains avait diminué plus rapidement dans les années 1980 que par la suite. Ce ralentissement a coïncidé avec une décélération des gains salariaux des femmes par rapport aux hommes. Une fois que le nombre moyen d’enfants des employés américains s’est stabilisé vers 2000, les progrès des femmes vers l’égalité salariale avec les hommes se sont également stabilisés.

Des questions sur l’avenir de la fécondité aux États-Unis

Aux États-Unis, universitaires et responsables politiques débattent de la question de savoir pourquoi les Américains ont moins d’enfants aujourd’hui qu’il y a une ou deux décennies, et de ce que le gouvernement devrait faire à ce sujet.

Nous convenons que ce sont des questions importantes.

Nos recherches montrent que tout changement futur dans le nombre d’enfants des Américains est très susceptible d’influencer la rapidité avec laquelle les femmes et les hommes atteignent l’égalité salariale. Mais ce n’est pas une fatalité. Le nombre d’enfants que les Américains ont affecte l’écart salarial entre les sexes uniquement parce que la parentalité réduit les salaires des femmes tout en augmentant ceux des hommes. Tant que ces effets inégaux de la parentalité sur les revenus des hommes et des femmes persistent, ils continueront à freiner les progrès des femmes vers l’égalité salariale.

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Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. C’est en ayant moins d’enfants que les femmes ont réduit l’écart salarial avec les hommes – https://theconversation.com/cest-en-ayant-moins-denfants-que-les-femmes-ont-reduit-lecart-salarial-avec-les-hommes-265894

Notation au bac : pourquoi tant de difficultés à trouver la bonne formule d’examen ?

Source: The Conversation – in French – By Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)

Le baccalauréat 2026 ressemblera-t-il tout à fait au baccalauréat 2025 ? Le ministère de l’éducation a annoncé en cette rentrée sa volonté d’ajuster les modalités actuelles de contrôle continu, provoquant de nouveaux débats autour d’un examen remanié à plusieurs reprises depuis 2018. Mais pourquoi peine-t-on tant à déterminer l’architecture idéale du bac ?


Faut-il repenser les modalités du contrôle continu au lycée ? Toutes les notes de première et de terminale n’auraient plus vocation à compter pour le bac, a-t-il été annoncé lors de la conférence de presse de rentrée du ministère de l’éducation. La déclaration a suscité de nombreuses interrogations, et même provoqué de l’exaspération, chez les acteurs de terrain.

On peut comprendre ces réactions, car les changements en matière d’évaluation du bac n’ont pas manqué ces dernières années. Après l’adoption, en 2018, de la réforme « Blanquer », qui prévoit 40 % de contrôle continu, l’architecture de l’examen a connu d’incessantes évolutions.

Les années 2018, 2019 et 2020 ont été des années de tâtonnement. L’introduction d’épreuves spécifiques de contrôle continu (les E3C) provoque de fortes turbulences en 2019 et 2020. Du fait d’une grève de correcteurs, le contrôle continu simple (au fil de l’activité d’enseignement) fait, en 2019, une irruption surprise, avec recours aux notes du livret scolaire. En 2020, la pandémie de Covid contraint même à accepter 100 % de contrôle continu simple !




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Les épreuves communes seront abandonnées en 2021. En 2022, on prend en compte les moyennes annuelles, et on supprime les épreuves finales pour les options. Depuis 2019, seules deux sessions se sont déroulées selon les mêmes modalités (2024, et 2025). Les acteurs ressentent un double besoin : de clarté, et de stabilité.

Pourquoi tant de fluctuations ? Dans un contexte où la notation devient une véritable obsession pour les élèves et leurs parents, et alors que le taux de réussite atteint 91,8 % en 2025, dont 96,4 % au bac général, une « réflexion d’ampleur » s’impose. Certes, s’agissant des détails, le « diable » s’en est mêlé. Il a fallu compter avec les pandémies, les jeux politiques, les mouvements sociaux. Mais sans doute l’essentiel se cache-t-il en profondeur.

Pour y voir clair, on peut recourir à un modèle de type « tectonique des plaques », en faisant l’hypothèse que se manifestent en surface les effets de frottements entre « plaques » souterraines, qui se confrontent du fait de dynamiques profondes qu’il s’agit d’identifier, au-delà des soubresauts et des crispations.

Une tension entre l’accompagnement et la certification

Sur le long terme, la scène évaluative est d’abord le lieu d’une coexistence conflictuelle entre deux exigences, s’inscrivant dans des desseins différents, bien que complémentaires. L’exigence d’accompagner et de faciliter un développement, dans un parcours de construction de connaissances et de compétences (exigence d’évaluation formative). Et l’exigence de certifier socialement la possession de ces connaissances et compétences (exigence d’évaluation certificative). Consolider les apprentissages vs attester socialement d’un niveau.

On pourrait dans le premier cas parler de fonction « GPS » (dire si l’on se tient bien sur la bonne route) ; et, dans le second, de la fonction « délivrance d’un permis » (attester socialement d’une capacité acquise à la fin d’un parcours de formation).

Le défi est ici d’articuler les deux fonctions de l’évaluation, en faisant en sorte que les nécessités de la certification ne viennent pas étouffer l’effort d’accompagnement. D’où l’idée, bienvenue de ce point de vue, d’introduire une part importante de contrôle continu. La première difficulté est alors de situer le bon niveau d’importance. La seconde, de trouver une forme pertinente de contrôle continu – contrôle continu simple, ou épreuves spécifiques ?

Une tension entre la localisation et la centralisation

Les deuxièmes « plaques » sont celles d’un mouvement de localisation, et d’un mouvement de centralisation. Leur confrontation prend le visage d’une lutte entre le désir de donner davantage de responsabilités aux acteurs locaux de l’évaluation, avec pour horizon le contrôle continu simple. Et celui d’imposer un cadre et un modèle centralisateurs, avec des épreuves nationales formalisées, et identiques dans tous les centres d’examen.

L’on pense souvent spontanément que la deuxième formule est préférable, car elle garantirait davantage l’objectivité de la notation. Pour ce qui concerne les évaluateurs, un conflit se déclare entre deux légitimités. Une légitimité locale : celle de l’enseignant professant une ou des disciplines au sein d’un établissement. Et une légitimité experte : celle d’un évaluateur extérieur, évaluant, selon des normes imposées, le travail effectué dans une épreuve officiellement définie, commune à tous, et respectant des garanties d’anonymat.

La confrontation entre ces deux « plaques » débouche sur la querelle du « biais local ». Si l’on admet la nécessité d’un contrôle continu, le problème est bien de savoir si, et comment, on peut échapper à la notation « à la tête du client ». Notons qu’à l’oral, quel que soit l’examinateur, le “client” sera toujours présent, avec sa « tête ». Et que les correcteurs du bac sont, par ailleurs, tous des enseignants, qui ne se libéreront pas, par magie, de ce qui peut biaiser leur agir de correcteur, et affecter leur manière de noter.

Cette deuxième tension place alors devant un deuxième défi : que le mouvement centralisateur vienne tempérer les effets contestables du localisme, sans toutefois imposer un formalisme rigide ; sans étouffer l’inventivité et le dynamisme du local.

Une tension entre une lutte pour des titres et une lutte pour des places

Les troisièmes « plaques » sont celles de l’examen, et du concours. Un conflit se produit entre deux enjeux. Un enjeu d’acquisition de titre scolaire/universitaire (logique d’examen : le bac est la porte d’entrée à l’enseignement supérieur). Et un enjeu d’occupation de place (logique de concours : le bac ouvre – ou n’ouvre pas – la porte pour accéder à des disciplines de formation en tension, où les places sont « chères », parce que quantitativement limitées et socialement désirées.




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La comparaison entre élèves pour les places dans le supérieur devient le véritable enjeu pour les candidats. C’est alors, en effet, Parcoursup qui devient prépondérant. Et l’on pourrait, à cet égard, parler d’une « parcoursupisation » du bac. Mais cela fait passer d’une problématique d’examen (avoir ou non un diplôme), à une problématique de concours (dans les filières en tension, obtenir, ou non, les places convoitées). À l’examen, il faut réussir, pour obtenir un titre. Dans un concours, il faut réussir mieux que les autres, pour obtenir une place que d’autres convoitent aussi.

Faut-il alors distinguer les notes évaluatives (à usage interne, pour évaluer et scander la progression des élèves) et les notes certificatives (à usage externe, pour certifier les acquis et les prendre en compte dans Parcoursup) ? Et aller jusqu’à imaginer deux bulletins différents, l’un, purement informatif, contenant tous les résultats ; l’autre, ne contenant que les résultats jugés représentatifs, et comptant seul pour la validation du bac et le dossier Parcoursup ?

La problématique de concours donne à l’évaluation une fonction dominante de tri. Telle est la tâche centrale de Parcoursup : faire coïncider, autant que possible, la demande et l’offre. Faire tenir ensemble une pluralité donnée de demandes individuelles de formation, et un ensemble de places différenciées dans des filières de formation à capacité d’accueil limitée.




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Le défi terminal est de créer les conditions d’un tri équitable. Il faudra pour cela que l’évaluation, qu’elle soit continue ou terminale, rende visible la réalité des compétences des candidats, et de leur niveau ! Toute la question est de savoir si, et comment, une évaluation peut apprécier (dire) objectivement une compétence, et se prononcer… sans trop se tromper !

Ainsi le bac, comme dispositif d’évaluation, doit-il faire face à trois défis, dont l’importance et la difficulté permettent de comprendre que, du fait de la persistance et du poids des « plaques » en frottement, les équilibres laborieusement mis en place seront toujours fragiles. Les formules d’examen retenues, toujours plus ou moins « bricolées » dans un contexte donné, seront toujours contestables. Ce qui promet encore bien des incompréhensions, des exaspérations, et des crispations…

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Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Notation au bac : pourquoi tant de difficultés à trouver la bonne formule d’examen ? – https://theconversation.com/notation-au-bac-pourquoi-tant-de-difficultes-a-trouver-la-bonne-formule-dexamen-265345