Votre alimentation influence-t-elle vos rêves ? Ce que disent nos recherches sur la nourriture et les cauchemars

Source: The Conversation – in French – By Jade Radke, PhD Student, Behavioral Sustainability Lab, University of British Columbia

Vous êtes-vous déjà demandé si un rêve étrange était dû à quelque chose que vous aviez mangé la veille au soir ? Si oui, vous n’êtes pas seul. Nous faisons tous des rêves étranges de temps en temps et cherchons à comprendre pourquoi.

Depuis des siècles, on croit que l’alimentation et l’heure du repas influencent les rêves. Un exemple frappant se trouve dans la bande dessinée du début du XXe siècle intitulée Dream of the Rarebit Fiend (Rêve d’un fondu de fondue, en français), dans laquelle les personnages attribuent souvent leurs rêves étranges au fait d’avoir mangé un plat à base de fromage, comme le Welsh rarebit, la veille au soir.

Malgré ce folklore, les recherches scientifiques sur le lien entre alimentation et rêves restent limitées.

Quelques enquêtes exploratoires ont donné des résultats préliminaires et suggestifs. Une étude de 2007 a révélé que les personnes qui consommaient davantage d’aliments biologiques affirmaient faire des rêves plus vivants et plus étranges que celles qui consommaient davantage de restauration rapide.

De même, une enquête de 2022 a montré que certains aliments influencent les rêves : fruits pour des souvenirs plus fréquents, fruits et poisson pour des rêves lucides, sucreries pour davantage de cauchemars. Et dans notre étude de 2015, nous avons constaté que près de 18 % des participants pensaient que leur alimentation influençait leurs rêves. Parmi eux, les produits laitiers étaient les plus souvent cités comme responsables.

Dans le prolongement de cette étude, nous avons récemment mené une enquête en ligne auprès de 1082 étudiants canadiens en psychologie, auxquels nous avons posé des questions sur leurs habitudes alimentaires, leur état de santé général, la qualité de leur sommeil et leurs rêves. Nous avons testé plusieurs hypothèses sur la façon dont l’alimentation et les sensibilités alimentaires pourraient influencer les rêves, y compris leur influence possible sur la gravité des cauchemars.

Ce que nous avons découvert

Un peu plus de 40 % des participants nous ont dit que certains aliments aggravaient ou amélioraient la qualité de leur sommeil. Environ 5 % pensaient que l’alimentation avait une incidence sur leurs rêves, les desserts, les sucreries et les produits laitiers étant les coupables les plus fréquemment cités.

Les personnes allergiques ou intolérantes au gluten percevaient davantage que l’alimentation influençait leurs rêves. Celles intolérantes au lactose signalaient plus souvent que certains aliments perturbaient leur sommeil.

Nous avons également constaté que les participants souffrant d’une allergie alimentaire ou d’une intolérance au lactose signalaient des cauchemars plus fréquents et plus intenses. La fréquence des symptômes gastro-intestinaux, comme les douleurs abdominales et les ballonnements, était associée à la fois à l’intolérance au lactose et aux cauchemars, ce qui pourrait expliquer ce lien.

Ces résultats confirment un nombre croissant de preuves suggérant un lien entre le microbiome intestinal et le système nerveux central (l’axe intestin-cerveau). Pour la première fois, ils révèlent que les troubles intestinaux peuvent se manifester psychologiquement pendant le sommeil sous forme de cauchemars.

Cela rejoint les recherches en cours sur la relation entre l’alimentation et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), dont l’un des symptômes est la fréquence des cauchemars. Alors que travaux se sont concentrés sur la relation entre les habitudes alimentaires globales et le SSPT, nos résultats suggèrent que certains aliments spécifiques, tels que les produits laitiers et les sucreries, pourraient exacerber les cauchemars en particulier.

Dès lors, les traitements du SSPT pourraient gagner à inclure une évaluation des habitudes alimentaires, des allergies et des intolérances, ainsi que des changements de régime.

Nos recherches montrent un lien possible entre alimentation et rêves, mais les résultats restent corrélationnels. Des expériences sont nécessaires pour tester dans quelle mesure certains aliments peuvent avoir un impact sur les rêves.

Les prochaines étapes pourraient consister en expériences contrôlées pour tester l’effet de certains aliments déclencheurs, tels que du fromage contenant du lactose par opposition à du fromage sans lactose, en particulier chez les personnes intolérantes au lactose ou qui font fréquemment des cauchemars. Des expériences similaires pourraient être menées auprès de participants souffrant de divers types d’allergies alimentaires.

Quelques conseils pratiques

Nos résultats, corroborés par des recherches antérieures, suggèrent quelques mesures simples pour mieux dormir et rêver :

  1. Évitez de manger tard le soir, en particulier des aliments lourds, sucrés ou épicés. Nous avons constaté que manger le soir était associé à des rêves troublants et à une moins bonne qualité de sommeil.

  2. Si vous êtes intolérant au lactose, essayez d’éviter les produits laitiers avant de vous coucher ou optez pour des alternatives sans lactose. Par exemple, les fromages à pâte dure et affinés ont tendance à contenir moins de lactose que les fromages à pâte molle et frais.

  3. Si vous souffrez d’allergies alimentaires, pensez à réduire votre consommation d’aliments concernés avant de vous coucher. Les inquiétudes liées à d’éventuelles réactions allergiques pourraient s’immiscer dans vos rêves.

  4. Notez tous les aliments qui semblent influencer votre sommeil ou vos rêves, et essayez de les supprimer pendant des périodes intermittentes pour voir s’ils ont une incidence sur la qualité de votre sommeil ou de vos rêves.

En général, une alimentation équilibrée et riche en nutriments, comprenant des fibres, des fruits, des légumes et des protéines maigres, peut contribuer à améliorer la qualité du sommeil ou des rêves. Le principal enseignement à retenir ? Écoutez votre corps : si certains aliments ou habitudes perturbent vos nuits ou provoquent régulièrement de mauvais rêves, adaptez‑les en conséquence.

La Conversation Canada

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Votre alimentation influence-t-elle vos rêves ? Ce que disent nos recherches sur la nourriture et les cauchemars – https://theconversation.com/votre-alimentation-influence-t-elle-vos-reves-ce-que-disent-nos-recherches-sur-la-nourriture-et-les-cauchemars-263863

Le développement des études supérieures entre « faux procès » et vraies questions…

Source: The Conversation – in French – By Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS), Sciences Po

Les études s’allongent, le niveau de diplôme progresse chez les jeunes. Mais cela se traduit-il vraiment par une hausse des compétences ? Et dans quelle mesure cet investissement apporte-t-il une plus-value sur le marché du travail ? Éclairages sur un débat qui invite à repenser les liens entre formation et emploi.


Dans un article intitulé « Le faux procès des études supérieures trop longues », et publié par The Conversation, l’économiste Guillaume Allègre revient sur les discours souvent idéologiques et les analyses, plus sérieuses, qui interrogent dans un sens critique le développement des études supérieures.

Ce développement est particulièrement marqué depuis le début du XXIe siècle (2,16 millions d’étudiants, dont 1,397 million à l’université, en 2000, contre 2,96 millions, dont 1,6 million à l’université, en 2023), accompagné, sur la longue période, de conséquences massives sur l’entrée dans la vie. En 1986, à l’âge de 21 ans, environ 20 % des jeunes étaient encore scolarisés, c’est le cas de près de la moitié d’entre eux, en 2021.

Pourtant, pour Guillaume Allègre, « en durée, les jeunes ne font pas plus d’études qu’avant », et l’accroissement du nombre de diplômés s’explique par la baisse des redoublements.

Des diplômes, mais quel « capital humain » ?

Les jeunes parviendraient donc à des niveaux de diplôme plus élevés du fait de carrières scolaires moins perturbées par des redoublements. La baisse du redoublement – en elle-même positive vu l’inefficacité, largement démontrée, de cette pratique – a été le fruit d’une politique volontariste. On a laissé passer plus facilement dans la classe supérieure, mais personne n’oserait dire que c’est parce que les élèves ou les étudiants étaient (tout simplement) meilleurs…

À l’école primaire, on observe une baisse du niveau des élèves, si l’on se réfère aux notes d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale, de 2008 à 2020.

Dans l’enseignement supérieur, où il n’existe pas de mesures standardisées de ce que savent les étudiants, certains chercheurs, constatant que « les règles de validation des enseignements par les compensations de notes n’ont jamais autant favorisé l’obtention des diplômes », suggèrent plutôt « une tolérance nouvelle, bon gré mal gré, à la fragilité des aptitudes scolaires des étudiants ».

On peut donc craindre que ces jeunes qui ont moins redoublé et qui font des études plus longues n’aient pas, malgré un niveau formel d’instruction plus élevé, des acquis proportionnellement plus importants. Certes, plus de jeunes qui vont plus loin, moins de jeunes qui font du surplace en redoublant, c’est en moyenne une hausse de leurs acquis, mais à niveau de diplôme identique, ils en savent moins, ce qui traduit une baisse d’efficacité de l’école.

Il y a donc de la marge entre le diplôme et le « capital humain » qu’il est censé certifier, ce qui devrait interroger les économistes dans leur a priori favorable à l’élévation du niveau d’éducation.

On constate ainsi que si la France compte autant, voire plus, de diplômés du supérieur que la plupart des pays voisins, leur niveau de compétences en littératie – la capacité à maîtriser l’écrit – n’est pas toujours très supérieur à celui de personnes moins diplômées d’autres pays. Par exemple, le niveau des Néerlandais dotés d’un diplôme de second cycle du secondaire est très proche de celui des Français diplômés de l’enseignement supérieur, selon les évaluations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Or,pour Guillaume Allègre, dès lors que le diplôme reste rentable, il est « individuellement utile ». Il l’est effectivement pour se placer : la rentabilité relative d’un diplôme, par rapport au diplôme immédiatement inférieur, est incontestable.

D’où vient alors ce leitmotiv des jeunes qui se plaignent de la situation qu’ils trouvent au sortir de leurs études, sur le mode de « Avec un master, t’as plus rien » ? Tout simplement du fait qu’ils considèrent également le rendement « absolu » du diplôme, le poste qu’il permet d’obtenir ; et là, le déclassement est réel et incontesté chez les économistes, par rapport à ce que le diplôme permettait d’obtenir dans un passé pas si lointain, à l’époque de leurs parents notamment.

Se former à entrer dans la vie…

Au-delà de cette quête de rendement économique, il faut se demander ce qu’ont appris ces étudiants, au-delà des savoirs académiques souvent pointus délivrés par les enseignants-chercheurs des universités (ceci est moins vrai des filières professionnalisées), en d’autres termes ce qu’on apprend à fréquenter longtemps et exclusivement l’enseignement supérieur.

Certaines enquêtes montrent que la quête d’un diplôme toujours plus élevé nourrit chez les étudiants des attitudes qui peuvent s’avérer dysfonctionnelles à l’heure de l’insertion. Lors de l’entrée sur le marché du travail, ils réalisent parfois que leur diplôme ne sera pas forcément apprécié dans un monde où la valorisation du savoir pour le savoir n’a pas cours.

Formés, dans les filières universitaires généralistes du moins, à des savoirs dont les applications concrètes sont rarement dégagées, ils découvrent que la vie professionnelle minimise de fait la valeur des connaissances théoriques au profit de ce qu’elles permettent de réaliser. Une véritable reconversion s’impose parfois pour désapprendre très vite ce qu’on a mis du temps à apprendre.




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Par contraste, quand ils ont combiné études et emploi, les étudiants estiment pour les trois quarts d’entre eux qu’un travail rémunéré occupé pendant leurs études apporte des compétences et des réseaux (même, à hauteur des deux tiers, quand il s’agit d’un travail non qualifié). D’après l’Observatoire de la vie étudiante, ils sont une minorité (18 %) à estimer que leur travail a un impact négatif sur leurs études, auquel s’ajoutent 30 % qui le jugent source de stress ; mais ils sont plus de 60 % à juger qu’il n’en est rien…

Au total, les enquêtes concluent que si le travail rémunéré ne favorise pas les résultats scolaires, il n’entraîne pas de handicap significatif en deçà d’un seuil hebdomadaire de quinze à vingt heures. Et, par ailleurs, il favoriserait plutôt l’insertion professionnelle.

Articuler formation et emploi

On peut donc se demander si la formation de jeunes adultes ne devrait pas s’efforcer de conjuguer le plus souvent possible études et expériences professionnelles. En France, le modèle de l’élève des classes préparatoires, entièrement absorbé par ses études, domine et, en arrière-plan, la conviction que ce que notre pays peut offrir de mieux à la jeunesse, c’est de rester le plus longtemps possible dans les enceintes scolaires.

La proposition de Guillaume Allègre développée dans un rapport de Terra Nova de 2010 s’inspire des dispositifs de type « allocation d’études » qui existent dans certains pays du Nord, pour favoriser l’autonomie des jeunes. Mais rappelons que ces pays sélectionnent à l’entrée du supérieur, et sont donc moins exposés que nous au risque de voir des étudiants s’engager dans des nasses sans débouchés.

Surtout, le cumul emploi-études est bien moins répandu dans notre pays que chez nombre de nos voisins – Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni ou Allemagne. On pourrait tout à fait imaginer des « emplois pour étudiants », adaptés à leur emploi du temps, comme il existe dans de nombreux campus américains. Les étudiants y gagneraient en diversité d’expériences – possiblement aussi formatrices que ce qu’on apprend en milieu universitaire – et en autonomie financière.




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Qu’en est-il pour le pays ? Sans verser dans la polémique sur le thème « les Français ne travaillent pas assez », il faut rappeler, sur la base notamment de la note 110 du Conseil d’Analyse économique, publiée en mars 2025, « Objectif “plein emploi” » que ce n’est pas la durée annuelle de travail des actifs qui distingue la France mais la faiblesse des taux d’emploi et des seniors et des jeunes.

Si la question du travail des « seniors » fait couler beaucoup d’encre, celle du travail des jeunes, en particulier des jeunes en cours d’études, s’avère des plus taboues : le « droit aux études » ne saurait se discuter… sachant qu’on parle en l’occurrence du droit aux études à temps plein.

Si l’on s’attache à la formation des jeunes adultes, favoriser la conjugaison études-emploi serait sans doute une piste intéressante, tout en étant également « rentable » en termes économiques, ce qui n’a pas de raison d’être négligé. Sans évidemment faire le « procès » des études supérieures, il est nécessaire de réfléchir à la formation que nous devons offrir à ces jeunes qui constituent à présent la majorité des générations montantes.

The Conversation

Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le développement des études supérieures entre « faux procès » et vraies questions… – https://theconversation.com/le-developpement-des-etudes-superieures-entre-faux-proces-et-vraies-questions-267336

L’IA m’a informé pendant un mois. Elle ne s’en est pas toujours tenue aux faits

Source: The Conversation – in French – By Jean-Hugues Roy, Professeur, École des médias, Université du Québec à Montréal (UQAM)

C’est quand même candide comme mensonge. Gemini a inventé un média d’information qui n’existe pas et il l’a baptisé exemplefictif.ca !

Le système d’IA générative offert par Google a notamment fait dire à son faux média qu’une grève des chauffeurs d’autobus scolaires avait été déclenchée le 12 septembre. Évidemment, cette grève est fictive elle aussi. C’est le retrait des bus de Lion Électrique qui perturbait plutôt le transport scolaire ce jour-là.

Cette hallucination journalistique est peut-être le pire exemple d’invention pure que j’aie obtenu dans une expérience qui a duré environ un mois. Mais j’en ai vu bien d’autres.




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Six pour cent des Canadiens s’informent avec l’IA 😱

Comme professeur de journalisme spécialisé en informatique, je m’intéresse à l’IA depuis de nombreuses années. C’est mon collègue Roland-Yves Carignan qui m’a souligné que 6 % des Canadiens ont inclus des chatbots d’IA générative en 2024 parmi leurs sources d’information.

J’étais donc curieux de voir dans quelle mesure ces outils étaient capables de m’informer. Allaient-ils me donner du solide, ou de la bouillie (AI slop) ?

Sept outils ; une même requête

Chaque matin de septembre, j’ai demandé à sept systèmes d’IA générative de me dire ce qui se passe dans l’actualité québécoise. Je leur ai toujours posé la même question :

Donnez-moi les cinq principaux événements de l’actualité d’aujourd’hui au Québec. Placez-les en ordre d’importance. Résumez chacun en trois phrases. Ajoutez un titre succinct à chacun. Donnez au moins une source pour chacun (URL précise de l’article, pas la page d’accueil du média consulté). Vous pouvez faire des recherches dans le web.

J’ai utilisé trois outils pour lesquels je paie (ChatGPT, Claude et Gemini), un outil fourni par mon employeur (Copilot) et trois outils dans leurs versions gratuites (Aria, DeepSeek et Grok).

Je me suis également servi de Perplexity, dans sa version gratuite, mais à une reprise seulement. J’ai enfin tenté d’inclure MetaAI, mais il ne répondait pas à mes requêtes.

Sources douteuses… voire imaginaires

J’ai obtenu 839 réponses que j’ai d’abord triées en fonction des sources indiquées. Puisqu’il était question d’actualités, il était normal de s’attendre à ce que les outils d’IA puisent dans des médias d’information.

Or, dans 18 % des cas, ils en ont été incapables, s’appuyant plutôt sur des sites gouvernementaux, des groupes de pression, ou inventant carrément des sources imaginaires, comme l’exemplefictif.ca mentionné plus haut.

Un média d’information était cité dans la majorité des réponses que j’ai reçues. Mais le plus souvent, l’URL fournie menait à une erreur 404 (URL erronée ou inventée) ou à la page d’accueil du média ou d’une section de ce média (URL incomplète). Cela rendait difficile de vérifier si l’information fournie par l’IA était fiable.

Les outils ont donc eu du mal à répondre à ma consigne pourtant claire de me fournir une URL complète. Ils n’y sont parvenus que dans 37 % des cas (311 réponses).

J’ai tout de même lu attentivement chacun des 311 articles journalistiques vérifiables pour voir si ce que l’IA me donnait correspondait à la source citée.

Le résumé produit par l’IA générative a été fidèle dans 47 % des cas, mais cela inclut cependant quatre cas de plagiat pur et simple. Un peu plus de 45 % des réponses étaient partiellement fidèles. Nous y reviendrons plus loin.

Car il faut d’abord parler des réponses erronées en tout ou en partie.

Erreurs sur le fond

La pire erreur a certainement été commise par Grok le 13 septembre. L’outil d’IA générative offert avec X, le réseau social d’Elon Musk, m’a signalé que des « demandeurs d’asile [ont été] mal traités à Chibougamau » :

Une vingtaine de demandeurs d’asile ont été envoyés de Montréal à Chibougamau, mais la plupart sont rentrés rapidement en raison de conditions inadéquates. Ils rapportent avoir été traités comme des « princes et princesses » ironiquement, mais en réalité avec un manque de soutien. L’incident soulève des questions sur la gestion des réfugiés au Québec.

Grok s’est basé sur un article de La Presse publié ce matin-là. Mais il l’a interprété à l’envers !

La Presse rapportait plutôt que le voyage a été un succès. Sur les 22 demandeurs d’asile, 19 ont eu des offres d’emploi à Chibougamau. Il n’y avait aucune ironie dans l’expression « princes et princesses ».

D’autres exemples :

  • Le 9 septembre, en relatant le procès la mère de la fillette retrouvée en bordure de l’autoroute 417, Grok (encore lui) a affirmé qu’elle avait abandonné sa fille « afin de partir en vacances », une information rapportée par personne.

  • Le 14 septembre, Aria m’a annoncé que le cycliste français « Julian Alaphilippe [avait] remporté [la] victoire au Grand Prix cycliste de Montréal ». C’est faux. Alaphilippe a remporté le Grand Prix de Québec. À celui de Montréal, c’est l’Américain Brandon McNulty qui a franchi le fil d’arrivée en premier.

  • Le 26 septembre, Claude a prétendu qu’on réclamait la destitution du président du Collège des médecins, Mauril Gaudreault. En réalité, des médecins souhaitaient plutôt adopter une motion de blâme.

  • Le 2 octobre, ChatGPT a rebaptisé l’Institut économique de Montréal le « Mouvement des entreprises d’innovation », appellation inventée de toutes pièces à partir de l’acronyme anglais du think tank, MEI (Montreal Economic Institute). Le même jour, il m’a aussi parlé de « commissions scolaires », des institutions pourtant remplacées en 2020 par les Centres de services scolaires dans les établissements francophones.

  • Le 3 octobre, Grok a affirmé que « les libéraux maintiennent une avance stable » dans un sondage de la firme Léger. Dans les faits, les libéraux arrivaient au deuxième rang. C’est le PQ qui était en avance.

Erreurs sur la forme

Plusieurs personnes se servent de l’IA générative pour corriger leur prose. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée compte tenu des erreurs de français que j’ai régulièrement relevées :

  • ChatGPT, pour lequel j’ai pourtant un abonnement « plus », a écrit « sa extrême déception » pour décrire la réaction de François Bonnardel après son exclusion du conseil des ministres. Il m’a aussi écrit que des experts « prédissent » la disparition de Postes Canada !

  • Claude, de son côté, a même confondu le premier ministre québécois avec un jouet danois en ajoutant un accent aigu sur son nom : « Légault ». Il m’a également pondu une savoureuse ellipse dans un titre « Collision avec facultés affaiblies ». Évidemment, ce ne sont pas les facultés de la collision qui sont affaiblies, mais celles du conducteur !

Mais revenons au fond.

Interprétations erronées

Dans les quelque 44 % de réponses partiellement fiables, j’ai retrouvé un certain nombre d’interprétations erronées que je n’ai pas classées dans les réponses non fiables.

Par exemple, l’outil chinois DeepSeek m’a annoncé le 15 septembre une « excellente saison de la pomme au Québec ». L’article sur lequel il basait cette affirmation traçait en réalité un portrait plus nuancé : « La saison n’est pas jouée », expliquait notamment un maraîcher cité dans l’article.

Le 17 et le 18 septembre, ChatGPT a répété la même erreur deux jours de suite ! Il m’a écrit que Mark Carney est « le premier ministre fédéral le plus apprécié au Québec ». Bien sûr ! C’est le seul !


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A beau mentir qui vient de loin

Certaines erreurs étaient probablement dues au fait que dans 52 des 311 nouvelles vérifiables, les outils s’appuyaient sur des sources canadiennes-anglaises ou européennes.

Le 12 septembre, DeepSeek m’a même invité à visionner le Grand prix cycliste de Québec sur Eurosport1, parce qu’il s’inspirait d’une dépêche du quotidien français Le Parisien

Le 28 septembre, Grok a pour sa part décrit les employés d’entretien de la STM comme des « travailleurs de maintenance ». Il s’appuyait sur une dépêche de Canadian Press publiée sur le site de CityNews. Il a commis d’autres anglicismes et a été le seul outil à donner des réponses en anglais (à six reprises).

« Conclusions génératives »

Le plus souvent, j’ai classé des nouvelles dans la catégorie « partiellement fiable » en raison de différents ajouts par les outils d’IA générative.

Par exemple, le 26 septembre, Grok et ChatGPT ont tous deux relevé la nouvelle de Québecor à propos de travaux d’urgence de 2,3 millions de dollars à effectuer sur le pont Pierre-Laporte. Grok a ajouté à la fin : « Cela met en lumière les défis d’entretien des infrastructures critiques au Québec. » ChatGPT, de son côté, a plutôt estimé que la nouvelle « met en lumière le conflit entre contraintes budgétaires, planification et sécurité publique ».

Ce n’est pas faux. Il s’agit d’une mise en contexte que certains pourraient même juger utile. Cependant, ces conclusions ne sont appuyées sur aucune source. Personne dans les articles cités n’en parlait en ces termes.

Autre exemple : le 24 septembre, ChatGPT concluait son résumé des intentions du gouvernement Legault de mettre fin à l’écriture inclusive en disant que « [l]e débat porte aussi sur la liberté d’expression et la gouvernance linguistique de l’État. » Personne dans le texte à la source de cette nouvelle n’invoquait ces deux enjeux.

J’ai retrouvé des conclusions semblables dans 111 nouvelles générées par les systèmes d’IA que j’ai consultées. Elles contenaient souvent des expressions comme « met en lumière », « relance le débat », « illustre les tensions » ou « soulève des questions ».

Or, aucun humain n’avait parlé de tensions ou soulevé de questions. Les « conclusions génératives » imaginent des débats qui n’existent pas. J’y vois une porte ouverte à l’exagération, voire à la désinformation.

Quand on demande de l’information, on s’attend à ce que les outils d’IA s’en tiennent à l’information.

Consulter ici le fichier dans lequel l’auteur a consigné les réponses données chaque matin par les outils d’IA générative

La Conversation Canada

Jean-Hugues Roy est collaborateur avec La Presse et membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

ref. L’IA m’a informé pendant un mois. Elle ne s’en est pas toujours tenue aux faits – https://theconversation.com/lia-ma-informe-pendant-un-mois-elle-ne-sen-est-pas-toujours-tenue-aux-faits-266866

Qu’est-ce que la Françafrique ? Une relation ambiguë entre héritage colonial et influence contemporaine

Source: The Conversation – in French – By Christophe Premat, Professor, Canadian and Cultural Studies, Stockholm University

L’expression « Françafrique » évoque à la fois une époque révolue et un système qui, selon beaucoup, continue de hanter les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines. Elle désigne un ensemble de réseaux politiques, économiques et militaires visant à maintenir l’influence française sur le continent. Le mot-valise a été repris par François-Xavier Verschave, dans son livre La Françafrique, le plus long scandale de la République (1998) pour caractériser le modèle néocolonial d’ingérence et de dépendance des anciennes colonies vis-à-vis de la France. Cette expression détourne le sens initial de France-Afrique, qui désignait à l’origine une coopération jugée privilégiée entre la France et ses anciennes colonies.

En tant que chercheur en études mémorielles, discours politiques et relations francoafricaines, j’analyse dans cet article comment le concept de Françafrique a façonné et structuré les perceptions actuelles entre la France et ses anciennes colonies.

Les origines du terme

Le mot « Françafrique » apparaît pour la première fois sous la plume de Jean Piot, rédacteur en chef de L’Aurore, qui voit dans la fusion entre la France et l’Afrique un des éléments de renouveau de l’Empire français. Par la suite, Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, l’utilise positivement dès 1955 à l’aube des indépendances des États africains francophones, pour célébrer la continuité entre la France et l’Afrique : un partenariat fondé sur la langue, la culture et les intérêts économiques communs.




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Le journaliste et militant François-Xavier Verschave, dans son livre La Françafrique, le plus long scandale de la République (1998), renverse complètement le sens du terme : la Françafrique devient alors le symbole d’un système opaque de corruption, de clientélisme et d’interventions politiques. L’un des artisans de cette relation est sans aucun doute Jacques Foccart qui fut le conseiller des affaires africaines de plusieurs présidents de la République et secrétaire général pour la Communauté et les affaires africaines et malgaches, une structure imaginée par le général Charles de Gaulle pour organiser les relations de la France à ses anciennes colonies.

Un système d’alliances et de dépendances

La Françafrique repose sur trois piliers principaux :

Le soutien politique et militaire : depuis les indépendances des années 60, la France a entretenu des liens étroits avec des dirigeants africains considérés comme « amis de la France ». Des accords de défense permettaient à Paris d’intervenir militairement pour stabiliser ou sauver des régimes alliés — de l’opération Manta au Tchad (1983) à Serval au Mali (2013). Ce réseau s’appuyait sur des conseillers officieux, des services de renseignement et des relations personnelles entre dirigeants, symbolisées par la «cellule africaine» de l’Élysée, longtemps dirigée par le même Jacques Foccart.

Les liens économiques : le franc CFA (créé en 1945, devenu franc de la « Communauté financière africaine ») illustre la dépendance monétaire héritée de la période coloniale. De grandes entreprises françaises comme Elf, Bolloré, Bouygues ou Total ont bénéficié de positions privilégiées dans les secteurs stratégiques (pétrole, infrastructures, télécommunications). En échange, ces firmes ont souvent alimenté un système de financements occultes de partis politiques ou de régimes africains. Dans les années 1990, une vaste enquête judiciaire révèle que le groupe pétrolier public français Elf-Aquitaine entretenait un système de corruption à grande échelle, mêlant responsables politiques français et dirigeants africains.

Les réseaux personnels et informels : au-delà des institutions officielles, la Françafrique fonctionnait par l’entremise d’intermédiaires — hommes d’affaires, diplomates, militaires — qui formaient un véritable « État parallèle ». Ces réseaux, où se mêlaient affaires, services secrets et amitiés, permettaient de contourner les voies diplomatiques classiques. Dans ses mémoires publiés en septembre 2024, Robert Bourgi, disciple de Jacques Foccart, rappelle l’ensemble de ses relations personnelles avec un certain nombre de dirigeants politiques africains.




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La fin annoncée de la Françafrique ?

L’effondrement du bloc soviétique, la montée des revendications démocratiques en Afrique et les scandales politico-financiers en France ont mis à mal ce système. Sous François Mitterrand, le discours de La Baule (1990) conditionne désormais l’aide française à des avancées démocratiques, marquant un tournant. Pourtant, la logique d’influence perdure sous d’autres formes : privatisations, nouveaux partenariats militaires, diplomatie économique.

Les années 2000 voient la France tenter de redéfinir sa présence en Afrique. Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy et François Hollande, promettent tour à tour d’en finir avec la Françafrique. Mais les opérations militaires (Côte d’Ivoire en 2002, Mali en 2013, Sahel jusqu’en 2023) rappellent la permanence d’un rôle sécuritaire français. Pour beaucoup d’Africains, la Françafrique n’a pas disparu : elle s’est simplement adaptée aux mutations du continent.




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Un concept en crise

Sous Emmanuel Macron, le mot « Françafrique » est devenu un repoussoir officiel. Le président français affirme depuis son discours de Ouagadougou de 2017 vouloir rompre avec les logiques de paternalisme et de domination, prônant un « partenariat d’égal à égal ». Des initiatives symboliques — comme le retour d’œuvres d’art spoliées au Bénin, la reconnaissance du rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda ou la création du « Sommet Afrique-France » de Montpellier sans chefs d’État — visent à moderniser la relation.

Mais sur le terrain, les perceptions restent contrastées. Les interventions militaires françaises au Sahel, la persistance du franc CFA (malgré sa future transformation en « éco » et la présence de grandes entreprises hexagonales nourrissent le sentiment d’une influence persistante. Dans plusieurs pays (Mali, Burkina Faso, Niger), le rejet de la France s’exprime aujourd’hui à travers des discours panafricanistes et souverainistes qui ont conduit à des changements de régime.




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La concurrence des nouvelles influences

L’un des traits marquants de la période actuelle est la diversification des partenaires africains. La Chine, la Turquie, la Russie ou encore les pays du Golfe occupent désormais une place croissante dans les secteurs économique et sécuritaire. Le « pré carré » français n’existe plus : les États africains ont désormais une marge de manœuvre géopolitique beaucoup plus grande.

Dans ce contexte, la France tente de redéfinir sa politique africaine en privilégiant des relations bilatérales ciblées, le soutien à la société civile et la coopération universitaire ou culturelle. Mais cette réorientation peine à effacer des décennies de méfiance. L’imaginaire de la Françafrique continue de structurer les représentations, notamment chez les jeunes générations africaines.

Penser le passé… et questionner le présent

Parler de Françafrique aujourd’hui, c’est donc évoquer à la fois un système historique et un imaginaire politique. Si les réseaux opaques des années 1970 ont en grande partie disparu, les structures d’influence et de dépendance économiques persistent, tout comme les affects postcoloniaux qui traversent la relation franco-africaine.

Le défi pour la France, comme pour ses partenaires africains, consiste désormais à inventer un autre vocabulaire : celui d’une relation fondée sur la confiance, la transparence et la réciprocité. La Françafrique n’est peut-être plus une réalité institutionnelle, mais elle demeure un prisme puissant pour comprendre comment les héritages coloniaux continuent de peser sur le présent.

The Conversation

Christophe Premat est professeur en études culturelles francophones et directeur du Centre d’études canadiennes à l’Université de Stockholm. Il est également co-directeur en chef de la Revue Nordique des Études Francophones.

ref. Qu’est-ce que la Françafrique ? Une relation ambiguë entre héritage colonial et influence contemporaine – https://theconversation.com/quest-ce-que-la-francafrique-une-relation-ambigue-entre-heritage-colonial-et-influence-contemporaine-267065

L’Europe face à la « mise à l’épreuve permanente » imposée par la Russie

Source: The Conversation – France in French (3) – By Christo Atanasov Kostov, International Relations, Cold War, nationalism, Russian propaganda, IE University

Derrière les manœuvres hybrides de la Russie – militaires, cyber et politiques – se dessine un objectif constant : épuiser l’Occident, diviser l’Europe et redessiner l’ordre sécuritaire issu de la guerre froide.


Les images sont tristement familières : les chars russes entrant en Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée en 2014 puis l’invasion de l’Ukraine en 2022, les avions militaires russes violant l’espace aérien européen et désormais de mystérieux drones provoquant la fermeture d’aéroports à travers le continent.

Ces épisodes s’inscrivent dans une stratégie unique, cohérente et en constante évolution : user de la force militaire là où c’est nécessaire, mener une guerre « hybride » ou « de zone grise » là où c’est possible, et exercer une pression politique partout ailleurs. Depuis des décennies, Moscou déploie ces tactiques avec un objectif précis : redessiner la carte sécuritaire de l’Europe sans déclencher une guerre directe avec l’OTAN.

Cet objectif n’a rien d’improvisé ni d’ambigu. Il repose sur un principe révisionniste : renverser l’élargissement de l’OTAN vers l’Est survenu après la guerre froide et rétablir une sphère d’influence russe en Europe.

C’est cette logique qui a guidé les actions du Kremlin à la veille de l’invasion de l’Ukraine. En décembre 2021, Moscou exigeait que l’OTAN proclame officiellement que l’Ukraine et la Géorgie ne pourront jamais adhérer à l’Alliance, et que les troupes de l’OTAN se retirent sur leurs positions de mai 1997, c’est-à-dire avant l’entrée des anciens États socialistes d’Europe de l’Est.

Ce n’était pas une manœuvre diplomatique préalable à l’invasion de février 2022, mais bien un objectif en soi. Aux yeux du Kremlin, l’élargissement de l’OTAN représente à la fois une humiliation et une menace existentielle qu’il faut enrayer à tout prix.




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Un arsenal de moyens de pression

Les actions russes peuvent tour à tour être perçues comme relevant du chantage, de la démonstration de force ou de la tentative de pression diplomatique. En réalité, elles relèvent de tout cela à la fois. Moscou brouille délibérément la frontière entre diplomatie, action militaire et propagande intérieure. Son « arsenal » de pressions s’organise en plusieurs volets :

  • La « stratégie du bord de l’abîme » pour forcer le dialogue : Les montées en puissance militaires – des concentrations de troupes à l’invasion de l’Ukraine – créent des crises qui obligent l’Occident à réagir. La Russie fabrique des situations d’urgence pour gagner du poids dans la négociation, comme elle l’a fait pendant la guerre froide, puis en Géorgie (2008) et en Ukraine (depuis 2014).

  • Les tests en « zone grise » : Les incursions de drones et d’avions russes dans l’espace aérien de l’Allemagne, de l’Estonie, du Danemark ou de la Norvège servent à jauger la capacité de détection et de réaction de l’OTAN. Elles permettent aussi de collecter des données sur la couverture radar, sans franchir le seuil d’un affrontement ouvert.

  • La pression hybride sur les « petits » membres de l’OTAN : Les cyberattaques et les perturbations énergétiques qui touchent divers États de l’OTAN visent à tester la solidarité de l’Alliance. Moscou cible les pays les plus vulnérables pour semer la discorde et la méfiance au sein de l’organisation.

  • Le théâtre intérieur : Sur la scène nationale, l’affrontement avec l’Occident sert de mise en scène politique. Comme l’a récemment déclaré Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, « l’Europe a peur de sa propre guerre ». Les atermoiements des Européens permettent de convaincre toujours davantage les Russes que l’Occident est indécis et faible, tandis que la Russie, elle, est forte et déterminée.

Cette stratégie n’a rien de nouveau : elle prolonge des méthodes éprouvées depuis l’effondrement de l’URSS. De la Transnistrie à l’Abkhazie, en passant par l’Ossétie du Sud et le Donbass, Moscou entretient des conflits « gelés » qui bloquent durablement l’intégration euro-atlantique de ces régions.




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Une « épreuve permanente »

Aujourd’hui, le Kremlin privilégie les moyens hybrides – drones, cyberattaques, désinformation, chantage énergétique – plutôt que la guerre ouverte. Ces provocations ne sont pas aléatoires : elles forment une campagne méthodique de tests.

Chaque incursion, chaque attaque sert à évaluer la réponse à ces questions : L’Europe sait-elle détecter ? Réagir de manière coordonnée ? Agir rapidement et efficacement ?

Comme l’ont reconnu des responsables belges après une récente série de survols de drones, le continent doit « agir plus vite » pour bâtir sa défense aérienne. Chaque aveu de ce type renforce la conviction du Kremlin : l’Europe est lente, divisée, vulnérable.

Ces épisodes sont ensuite recyclés en séquences de propagande à la télévision d’État, où les commentateurs moquent la « faiblesse » européenne et présentent la confusion du continent comme la preuve du bien-fondé de la ligne dure de Moscou. Cette crise fabriquée est, à son tour, la dernière application d’une stratégie longuement rodée. Vis-à-vis de l’Occident, l’objectif n’est pas la conquête, mais l’épuisement : une « mise à l’épreuve permanente » destinée à user ses ressources et sa cohésion par une pression continue, diffuse et de faible intensité.

Et maintenant ?

Les provocations croissantes de la Russie envers l’OTAN et l’Europe ne peuvent pas durer indéfiniment sans conséquences. Trois scénarios principaux se dessinent :

  1. Une nouvelle confrontation durable : C’est l’issue la plus probable. L’OTAN ne peut satisfaire les exigences fondamentales du Kremlin sans renier ses principes fondateurs. Le conflit prendrait alors la forme d’un face-à-face prolongé : renforcement du flanc oriental de l’Alliance, explosion des budgets de défense et érection d’un nouveau rideau de fer.

  2. La « finlandisation » de l’Ukraine : Un scénario possible, mais instable, verrait l’Ukraine contrainte à adopter un statut de neutralité – renonçant à rejoindre l’OTAN en échange de garanties de sécurité, à l’image de la Finlande pendant la guerre froide. Du point de vue occidental, cela reviendrait à récompenser l’agression de Moscou et à consacrer son droit de veto sur la souveraineté de ses voisins.

  3. L’escalade par erreur de calcul : Dans un climat de tension permanente, un incident mineur – un drone abattu, une cyberattaque mal maîtrisée – pourrait rapidement dégénérer. Une guerre délibérée entre la Russie et l’OTAN reste improbable, mais elle n’est plus inimaginable.

L’impératif européen : la résilience

La stratégie du Kremlin repose sur la fragmentation. La réponse de l’Europe doit être la cohésion. Cela implique de renforcer plusieurs capacités clés :

  • Une défense aérienne et antimissile intégrée : construire un véritable bouclier continental, sans failles exploitables par les drones ou les systèmes hypersoniques.

  • Une défense hybride collective : Considérer les cyberattaques ou les incursions de drones comme des menaces visant l’ensemble de l’Alliance. Un mécanisme de réponse unique et prédéfini priverait Moscou de la possibilité d’isoler un membre.

  • Une autonomie technologique et politique : investir dans les industries européennes de défense, l’indépendance énergétique renouvelable et la solidité des chaînes d’approvisionnement. La sécurité commence désormais par la souveraineté, surtout face à l’incertitude du soutien américain.

  • Une dissuasion diplomatique : associer une capacité militaire crédible à un dialogue pragmatique, en maintenant ouverts les canaux de communication pour éviter toute escalade.

La stratégie russe n’est pas une réaction conjoncturelle : elle est structurelle.

Le Kremlin cherche à contraindre l’Occident à accepter un nouvel ordre sécuritaire en combinant coercition, tests et pression continue. Les moyens varient – chars, drones, guerre hybride d’usure – mais le but reste le même : affaiblir l’unité européenne et restaurer la sphère d’influence perdue en 1991.

Le défi de l’Europe est tout aussi clair : résister à la fatigue des crises répétées et prouver que la résilience, plutôt que la peur, définira l’avenir du continent. Les provocations de Moscou se poursuivront tant qu’elles ne lui coûteront pas trop cher. Seule une Europe unie et préparée pourra inverser ce calcul.

The Conversation

Christo Atanasov Kostov ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’Europe face à la « mise à l’épreuve permanente » imposée par la Russie – https://theconversation.com/leurope-face-a-la-mise-a-lepreuve-permanente-imposee-par-la-russie-267687

Les provocations de la Russie en Europe indiquent-elles un affaiblissement de sa position stratégique ?

Source: The Conversation – in French – By James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser University

On constate une importante augmentation des incursions russes en Europe ces derniers temps. Elles ont commencé à la mi-septembre, quand des drones russes ont violé l’espace aérien polonais, contraignant la Pologne à déployer son armée de l’air pour protéger sa souveraineté.

Par la suite, un drone russe a violé l’espace aérien roumain. Plus inquiétant encore, trois MiG-31 russes ont survolé le ciel estonien dans un acte clairement provocateur.

Ces incursions russes établies sont toutefois éclipsées par un phénomène troublant. Des aéroports européens, notamment ceux de Copenhague et de Munich, ont vu leurs opérations perturbées par des drones d’origine inconnue.

Les analystes sont de plus en plus convaincus que ces derniers sont pilotés par des agents russes dans le but de semer la peur et de faire monter la tension en Europe. L’avenir nous dira si cette théorie est fondée.




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Affaiblissement de l’offensive russe ?

Ces incidents peuvent sembler destinés à aggraver le conflit qui se déroule en Europe en menaçant d’entraîner l’Union européenne et l’OTAN dans l’affrontement, mais ils révèlent en réalité la faiblesse stratégique de la Russie à l’approche de l’hiver.

Tout au long de l’année 2025, la Russie a bénéficié de plusieurs avantages par rapport à l’Ukraine. Sa supériorité en matière de production d’armes et de mobilisation, renforcée par l’aide directe et indirecte de pays comme la Corée du Nord et la Chine, lui a conféré une position stratégique favorable.

La Russie a attaqué l’Ukraine sur de multiples fronts.

Pendant que ses forces avançaient vers des positions ukrainiennes, la Russie intensifiait le rythme et l’ampleur de ses frappes par drones et missiles contre des villes ukrainiennes. Néanmoins, même si ces armes ont causé d’importantes destructions et des pertes considérables en Ukraine en 2025, les Ukrainiens n’ont pas perdu leur volonté de résister.

Les forces russes ont profité de ce déséquilibre stratégique pour s’emparer de territoires ukrainiens. Si elles ont enregistré des gains, elles n’ont toutefois pas réussi à obtenir une percée décisive. Par ailleurs, les avancées minimes réalisées par la Russie en septembre indiquent que son offensive est au point mort.

L’arrivée de l’automne, avec ses pluies et ses températures froides, devrait encore ralentir les opérations militaires russes en Ukraine. Si l’année 2025 avait bien commencé pour la Russie, le bilan de Poutine s’avère en fin de compte plutôt décevant.

De plus, l’Ukraine n’est pas demeurée passive pendant cette période.

Exploiter les vulnérabilités russes

D’un point de vue numérique et matériel, la Russie possède un avantage considérable sur l’Ukraine. L’Ukraine cherche toutefois à affaiblir deux composantes étroitement liées de la situation en Russie : le soutien populaire dont bénéficie Poutine et l’économie du pays.

L’ampleur du soutien au président russe à l’échelle nationale fait l’objet de débats parmi les universitaires et les analystes. Cependant, les actions de Poutine donnent à penser qu’il est suffisamment inquiet pour chercher à protéger sa base électorale des effets de la guerre. Dans ce but, il entretient l’illusion d’une économie russe forte.

Elvira Nabiullina, présidente de la Banque centrale russe, a déclaré que l’économie du pays était en difficulté. Poutine a ignoré ses avertissements et a préféré répondre aux critiques par des répliques cinglantes.

Malgré la réaction désinvolte de Poutine face aux propos sur la faiblesse de l’économie russe, l’Ukraine est consciente de la fragilité de la position de son voisin. Et elle s’en prend désormais de manière répétée à la ressource qui est au cœur de la prospérité précaire de la Russie : le pétrole.

Le pétrole et le gaz naturel représentent au moins 30 pour cent du budget fédéral russe. Les innovations ukrainiennes dans le domaine de la technologie des drones et des missiles ont permis au pays de frapper à plusieurs reprises les infrastructures logistiques et de raffinage de pétrole et de gaz naturel russes.

La Russie a dû déclarer un moratoire total sur les exportations d’essence pour le reste de l’année. De plus, elle a récemment été contrainte d’étendre l’interdiction d’exportation au diesel.

Les pénuries de carburant ne feront qu’empirer à mesure que la demande en énergie augmentera durant le rude hiver russe. Et les partisans de Poutine finiront par souffrir des conséquences de ses politiques.

Escalader pour désescalader

Les échecs stratégiques russes en 2025, associés à la pression croissante exercée par l’Ukraine, expliquent en partie les actions subversives déployées par la Russie en Europe.


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Un élément souvent mal compris de la doctrine stratégique russe est le concept d’intensification de la tension pour obtenir un apaisement. Bien que cette tactique soit le plus souvent associée à la stratégie nucléaire, elle s’applique à tous les aspects de la doctrine stratégique russe.

Les politiciens et les généraux russes estiment que l’Europe n’est ni prête ni disposée à entrer en guerre contre la Russie. Ils sont également convaincus que les dirigeants européens, malgré leurs discours, feront tout leur possible pour éliminer la cause profonde des incursions russes récentes dans l’espace aérien européen, soit le conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Après avoir donné l’impression de pousser l’Europe au bord de la guerre, Poutine devrait se tourner vers une politique encourageant une solution diplomatique en Ukraine. Il a suivi une stratégie similaire en se montrant plus enclin à la diplomatie pendant les hivers 2024 et 2025. Les leaders mondiaux, désireux de voir la guerre prendre fin, ont pris ces propositions plus au sérieux qu’elles ne le méritaient.

Les drones et les missiles russes ont peut-être eu des effets dévastateurs pour l’Ukraine, mais ils n’ont pas modifié l’équilibre stratégique.

Les frappes ukrainiennes, en revanche, semblent porter leurs fruits sur le plan stratégique à un moment critique où la Russie est vulnérable, obligeant Poutine à recourir à des moyens non conventionnels pour tenter de remporter la victoire contre l’Ukraine.

La Conversation Canada

James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les provocations de la Russie en Europe indiquent-elles un affaiblissement de sa position stratégique ? – https://theconversation.com/les-provocations-de-la-russie-en-europe-indiquent-elles-un-affaiblissement-de-sa-position-strategique-267512

Les villes canadiennes de taille moyenne privilégient une croissance urbaine dense et compacte

Source: The Conversation – in French – By Rylan Graham, Assistant Professor, University of Northern British Columbia

Les villes canadiennes de taille moyenne, comme Regina, cherchent à freiner l’étalement urbain en revitalisant leurs centres-villes, avec plus ou moins de succès. (28thegreat/Wikimedia Commons), CC BY

Les villes canadiennes de taille moyenne, c’est-à-dire celles qui comptent entre 50 000 et 500 000 habitants, ont longtemps été caractérisées comme peu denses, dispersées et décentralisées. Dans ces villes, les voitures dominent, les transports en commun sont limités et les habitants préfèrent l’espace et l’intimité des quartiers suburbains.

Plusieurs problèmes croissants, allant du changement climatique et de la crise du logement abordable au déficit croissant en infrastructures, poussent les municipalités à repenser cette approche.

Les villes adoptent des stratégies de gestion de la croissance qui favorisent la densité et cherchent à limiter, plutôt qu’à encourager, l’étalement urbain. La clé réside dans la densification, une stratégie qui privilégie la construction de nouveaux logements dans les quartiers existants et matures plutôt que l’expansion vers la périphérie de la ville.

Les centres-villes sont souvent au cœur des stratégies de densification, compte tenu de l’abondance de terrains vacants ou sous-utilisés. L’augmentation du nombre d’habitants soutient les efforts de revitalisation du centre-ville, tout en freinant l’étalement urbain.


Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et – tout particulièrement en cette année électorale – politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.

Les défis de la densification

Malgré l’adoption de politiques audacieuses, nos recherches montrent que la mise en œuvre reste un défi. En 2013, Regina s’est fixé un objectif de densification exigeant que 30 % des logements construits chaque année soient situés dans les quartiers matures et établis de la ville. Mais entre 2014 et 2021, cet objectif n’a pas été atteint chaque année, et la quasi-totalité de la croissance s’est produite à la périphérie de la ville sous la forme de nouveaux développements suburbains.

Ce décalage n’est pas particulièrement unique et est souvent appelé « écart entre les paroles et les actes », où les résultats du développement diffèrent des intentions. Cela pose de réels défis aux villes qui tentent de passer d’une croissance suburbaine à faible densité à un développement à plus forte densité.

Le Canada étant un pays suburbain, les villes moyennes denses et compactes sont atypiques. Une série d’obstacles renforce encore cette situation, notamment la faible demande pour un mode de vie urbain à forte densité, les difficultés à rassembler des terrains, le vieillissement des infrastructures et les règles et processus d’urbanisme trop rigides qui étouffent l’innovation.

L’incapacité à mettre en œuvre un développement à plus forte densité soulève la question suivante : l’intensification dans les villes de taille moyenne est-elle plus ambitieuse que viable ?

Exemples de réussite

Plusieurs villes de taille moyenne ont récemment connu un succès en matière de densification. Cela s’est traduit par une vague d’activités de développement dans les centres-villes, avec notamment la construction de nouveaux immeubles en copropriété et de tours locatives.

Entre 2016 et 2021, le nombre de résidents du centre-ville dans les villes canadiennes a augmenté de 11 %, dépassant largement la croissance de 4,6 % enregistrée au cours des cinq années précédentes.

Parmi les exemples de réussite, on peut citer Halifax, qui a connu une augmentation de 25 %, soit la croissance la plus rapide du centre-ville au Canada. Kelowna n’est pas loin derrière, avec une augmentation de 23 % de la population résidentielle de son centre-ville.

D’autres villes de taille moyenne, notamment Kingston, Victoria, London, Abbotsford, Kamloops et Moncton, ont également connu une croissance supérieure à la moyenne au cours de cette période. Dans les villes de taille moyenne du Québec, le succès de l’augmentation de la population du centre-ville a été mitigé. Par exemple, Gatineau a connu une croissance importante, la cinquième plus forte du pays avec 17 %. Trois-Rivières, Sherbrooke et Drummondville ont également connu une croissance, bien que plus lente que la moyenne nationale. À l’inverse, Québec et Saguenay ont vu leur population du centre-ville diminuer.

L’évolution des centres-villes

La croissance des centres-villes peut être attribuée à plusieurs facteurs. L’un des plus importants est la qualité de vie dans ces quartiers, autrement dit la présence d’équipements et de services qui répondent aux besoins des habitants. De nombreux centres-villes ont évolué pour répondre principalement aux besoins des employés de bureau pendant la journée, au détriment des résidents qui vivent – ou aimeraient vivre – dans le centre-ville.

La ville Kelowna, en Colombie-Britannique, offre cependant une expérience alternative façonnée par des efforts délibérés pour rendre le centre-ville accueillant pour les résidents. Son tissu urbain se caractérise par une mixité fonctionnelle remarquable : établissements de restauration, cafés, cliniques médicales, installations sportives et même une épicerie proposant l’ensemble des denrées nécessaires au quotidien se côtoient. Cette offre alimentaire complète constitue une exception dans le paysage des villes moyennes, dont de nombreux centres-villes sont devenus des déserts alimentaires.

Les équipements culturels et civiques, notamment la bibliothèque centrale, la mairie, les musées, les galeries et les lieux de divertissement, dont une arène de 7 000 places, se trouvent dans le centre-ville. Le centre-ville borde également le lac Okanagan, offrant ainsi un accès à des équipements récréatifs et naturels. Au-delà de la commodité, la diversité des équipements et des services à Kelowna contribue à rendre le centre-ville dynamique, ce qui est essentiel pour renforcer l’attrait de la vie en centre-ville.

une rue du centre-ville au crépuscule
Bernard Avenue, dans le centre-ville de Kelowna, offre un mélange d’équipements et de services, notamment un accès facile aux rives du lac Okanagan. Ces caractéristiques améliorent la qualité de vie et renforcent l’attrait du centre-ville en tant que lieu de résidence.
(Nathan Pachal/Flickr), CC BY

D’autres villes peuvent s’inspirer de Kelowna en repensant et en remodelant leur centre-ville pour en faire un quartier urbain dynamique. Drummondville pourrait notamment suivre cet exemple. La ville prévoit de densifier et de verdir son centre-ville, et d’intégrer ce projet à un développement à usage mixte à proximité d’une gare ferroviaire régionale.

Réformer et clarifier les réglementations

Nos recherches montrent que si de nombreux promoteurs soutiennent en principe la densification, ils privilégient souvent les aménagements suburbains à faible densité, car ils offrent des rendements et des processus d’approbation plus prévisibles que les aménagements mixtes du centre-ville. De nombreux promoteurs ne disposent pas non plus de l’expertise nécessaire pour se lancer dans ces projets plus complexes et plus risqués.

Sans surprise, les promoteurs immobiliers des villes de taille moyenne veulent la même chose que ceux des grandes villes : des règles plus claires, des autorisations plus rapides et des incitations financières pour construire des aménagements plus denses dans les endroits préconisés par les urbanistes, comme les centres-villes. Alors que les promoteurs plaident depuis longtemps en faveur de ces changements, les gouvernements réagissent désormais avec plus d’urgence.


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Le fonds d’accélération du logement, introduit par le gouvernement fédéral en 2023, fournit aux municipalités des millions de dollars pour soutenir la construction de logements. En échange, les municipalités ont réformé les règlements de zonage, introduit des incitations fiscales et accéléré le processus d’approbation.

En Colombie-Britannique, une loi provinciale a été adoptée afin d’autoriser jusqu’à quatre logements sur des parcelles qui n’accueillaient auparavant que des maisons individuelles ou jumelées, et jusqu’à six logements sur des terrains plus grands situés dans des zones résidentielles proches des transports en commun. L’obligation d’organiser des audiences publiques pour chaque site a également été supprimée.

Dans les grandes villes de la Colombie-Britannique, une loi a été adoptée afin de supprimer les minimums de stationnement et d’autoriser la construction d’immeubles plus hauts et une densité de logements plus élevée autour des pôles de transport en commun.

Les réformes réglementaires et l’amélioration des processus d’approbation visent à rationaliser le développement. Bien qu’il s’agisse de changements importants pour rendre les villes de taille moyenne plus denses et plus compactes, l’écart entre les idéaux d’urbanisme et les réalités du marché reste important.

Un facteur majeur concerne l’opposition des résidents et des conseillers municipaux, qui s’opposent souvent au développement dense en raison de leurs perceptions et de leurs préoccupations concernant l’augmentation du bruit et du trafic et la baisse de la valeur des propriétés. Cela suggère qu’il y a du travail à faire au-delà des investissements dans les centres-villes et des réformes réglementaires et d’approbation pour faciliter davantage l’intensification.




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Des villes en mutation

Néanmoins, l’essor récent des activités de développement et la croissance démographique des centres-villes – à Halifax, Kelowna et ailleurs – reflètent des étapes importantes dans l’évolution des villes de taille moyenne.

Cela marque une rupture notable avec le discours traditionnel qui décrit ces villes comme des villes à faible densité avec des centres-villes délabrés.

Les développements récents donnent des raisons d’être prudemment optimiste quant à un avenir où les villes de taille moyenne du Canada deviendront plus denses et plus compactes, avec des centres-villes dynamiques et agréables à vivre.

La Conversation Canada

Rylan Graham reçoit un financement du CRSH et de la British Columbia Real Estate Foundation.

Jeffrey Biggar reçoit des subventions du CRSH, du MITACS et de la province de Nouvelle-Écosse.

ref. Les villes canadiennes de taille moyenne privilégient une croissance urbaine dense et compacte – https://theconversation.com/les-villes-canadiennes-de-taille-moyenne-privilegient-une-croissance-urbaine-dense-et-compacte-266116

La course à pied use-t-elle le corps des sportifs, professionnels comme amateurs ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Sylvain Durand, Professeur de physiologie humaine au département STAPS, chercheur au laboratoire Motricité, Interactions, Performance, Le Mans Université

Les situations des sportifs amateurs et celles des athlètes professionnels qui s’adonnent à la course à pied ne sont pas comparables, en termes de sollicitations physiques mais aussi d’encadrement pour les accompagner. Pour autant, ni les uns ni les autres ne sont à l’abri d’une usure de leurs corps due à la pratique de cette activité physique. Explications.


La course à pied fait partie des activités sportives les plus à la mode actuellement. La course commence même parfois avant la compétition en elle-même, certaines épreuves voyant leur jauge d’inscription se remplir en seulement quelques heures. On parle de « course au dossard… ».

Dès lors, alors que la course à pied conserve pour beaucoup l’image d’une activité bonne pour la santé, la simple considération du stress ressenti par certains pour simplement avoir un dossard, ou plus concrètement l’état de fatigue apparent à l’arrivée de courses comme le marathon ou le trail doit amener à nous questionner sur son retentissement sur la santé, dans ses différentes dimensions, que l’on soit coureur assidu ou intermittent. Prêt ? Partez !

L’intensité des entraînements des athlètes professionnels

On pourrait facilement mettre dans deux cases différentes les coureurs à pied professionnels et les amateurs. Et oui, ça s’entraîne un athlète professionnel, durement… jusqu’à trois fois par jours dans certaines phases de préparation ! Une vie d’ascète, manger, courir, dormir, qui laisse peu de place à l’improvisation. En effet, même si les épreuves semblent multiples, aux quatre coins du monde, la concurrence est forte dans un sport aussi universel et il faut mettre son corps à rude épreuve pour le faire progresser jusqu’à sa limite.

Les carrières à haut niveau sont ainsi souvent courtes, cinq ou six années peut-être, et les cas comme celui d’Eliud Kipchoge, premier homme à avoir couru (dans des conditions non homologables) un marathon en moins de deux heures, seize ans après avoir été champion du monde du 5 000 mètres sur piste, restent des exceptions.

La charge mécanique importante inhérente à la pratique affecte les muscles, les tendons, le squelette. Les phases de repos sont parfois courtes et il devient de plus en plus courant de voir, lors des retransmissions télévisées, des athlètes se blesser en pleine compétition, signe d’usure physique et mentale… D’aucuns pourraient considérer ces éléments comme plutôt classiques, après tout, ce sont des sportifs de haut niveau…

Des points communs entre pros et amateurs

Une question toutefois se pose : le champion du monde, le champion du coin et le coureur lambda sont-ils si différents de cela ? La partie émergée de l’iceberg amène à une évidence… il ne court pas à la même vitesse et donc le temps d’effort varie… mais quid de la partie immergée : la phase de préparation d’avant course, l’entraînement… l’investissement et l’abnégation des individus ? Quand on veut battre un record, son record, ne court-on pas à 100 % physiquement et mentalement ?

Considérons les chiffres du marathon de Paris en 2025 : 56 950 inscrits à la course, 55 499 arrivants… Une épreuve de masse… mais un même défi : 42,195 km pour la cinquantaine d’athlètes peut-être considérés comme étant de haut niveau et tous les autres qui doivent composer avec leur activité professionnelle, leur vie de famille, etc.

Ainsi, quel que soit son niveau, sa vitesse de course, il y a de nombreuses ressemblances dans les modalités de préparation d’un marathon, des charges identiques. Illustrations : une préparation type marathon s’étale classiquement sur dix à douze semaines avec des incontournables comme « la sortie longue », un entraînement d’une trentaine de kilomètres recommandé une fois par semaine…

Cette séance particulière, tout le monde y passe ! Et on peut trouver toute une gamme d’ouvrages grand public pour accompagner les pratiquants, qui s’appuient sur les données scientifiques.

Mais avec l’usure potentielle liée à l’entraînement, la lassitude qui va avec, le risque de blessures augmente…

Préparation marathon ou trail : un risque de blessures majoré chez les amateurs

D’ailleurs, c’est le plus souvent au niveau des amateurs que l’on voit profusion de blessures caractéristiques d’une forme d’usure, de sursollicitation de son corps

Un athlète de haut niveau ne consulte pas nécessairement un médecin du sport. Pourquoi cela ? Parce qu’il s’est construit sa carrière au fil des années, il présente des caractéristiques génétiques spécifiques qui lui font bien mieux accepter de fortes charges d’entraînement. Il suit une programmation spécifique incluant mesures diététiques, phase et processus de récupération…

Un sportif professionnel bénéficie d’un bien meilleur suivi général et médical qu’un coureur néophyte ou amateur qui, par défi individuel ou collectif, se lance dans un projet type marathon ou trail. C’est ainsi qu’une coureuse comme Christelle Daunay, après quinze années de pratique et des débuts modestes au niveau national, a su patiemment se construire jusqu’à remporter le championnat d’Europe de marathon en 2014 à Zurich.

Christelle Daunay lors des championnats d’Europe d’athlétisme 2014 à Zurich
Christelle Daunay remporte le marathon lors des championnats d’Europe d’athlétisme à Zurich en 2014.
Erik van Leeuwen, CC BY

La question de l’usure du corps chez les pros

La question de « l’usure du corps » est posée depuis longtemps. Dans les années 1990, on décrivait déjà que le seul fait de courir quarante-cinq minutes plutôt que trente minutes par jour pouvait aller jusqu’à multiplier par deux la fréquence des blessures. Et que le fait de passer de trois à cinq séances hebdomadaires avait des effets semblables.

Christelle Daunay n’y a pas échappé. Elle a ainsi souffert d’une fracture de fatigue en 2018 qui l’a empêchée de défendre son titre de championne d’Europe du marathon en 2014. À noter qu’on appelle « fracture de fatigue » une atteinte osseuse, comparable à une fissure, qui peut être provoquée par la répétition de la foulée.

Des risques accrus de fatigue psychique et physique avec l’ultra-trail ?

Le développement récent du trail, ou course à pied pratiquée en pleine nature, ne fait que renforcer les considérations sur le sujet, car en plus des lieux géographiques, le côté « ultra » séduit.




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Cependant, le trail a sa propre particularité, la variation du terrain sollicitant des mouvements articulaires et musculaires différents et donc une concentration plus marquée que sur la route. Ajoutez-y des durées d’effort de quelques heures à une journée complète et plus, les problématiques de l’alimentation, de la gestion de l’effort, des dommages musculaires qui s’immiscent à la longue… et l’on comprend facilement pourquoi ces épreuves sont propices à nourrir fatigue psychique et physique non seulement durant l’épreuve, mais aussi sur du long terme.

Les conditions de l’usure du corps associée à la pratique d’un sport comme la course à pied sont donc multiparamétriques et ses traductions variables selon la personne. La recherche d’une performance physique peut relever d’une vitesse de course ou de la réalisation d’un objectif kilométrique.

User le corps à un instant t pour augmenter sa résistance… à l’usure

Quelle que soit cette orientation, les personnes s’engagent souvent dans des préparations particulières car une progression physique, physiologique s’appuie sur les capacités d’adaptation phénoménale du corps humain.

Notez ici le paradoxe. Un des principes de l’entraînement est de stimuler son corps, de « l’user » à un instant t afin qu’il engage les processus physiologiques qui vont conduire à l’amélioration de ses capacités, la lutte contre la fatigue… et, finalement, à l’augmentation de la résistance à l’usure.

Ce processus fondamental est ainsi à la base des programmes de réhabilitation/réadaptation physiques qui font de plus en plus foi dans les contextes physiopathologiques, par exemple pour prendre en charge les artériopathies périphériques ou l’obésité.

Cependant, dans ses dimensions les plus intenses, l’entraînement peut nécessiter un engagement mental, une résistance à la lassitude, une volonté affirmée pour poursuivre les efforts dans le temps malgré la fatigue.

L’usure peut donc aussi être mentale. C’est peut-être là la différence majeure entre l’amateur et le professionnel qui n’a pas d’autre choix que d’user fortement son corps pour progresser dans la hiérarchie du haut niveau.

Pros ou amateurs, de l’importance d’être bien encadrés

Chercher à repousser ses limites physiques et mentales peut conduire tout coureur à se sentir « usé ». Tous ces éléments soulignent l’importance d’être bien encadré et conseillé (par des coachs, dans un clubs, etc.) pour faire les entraînements avec une certaine progression, tant dans la quantité que dans l’intensité et adapter son rythme de vie.

Pas besoin de matériel technique pour courir, un avantage de cette activité idéale pour ressentir son corps, dès lors que l’on a conscience des risques et limites associés aux épreuves. Et rassurez-vous, si malgré tout, vous n’appréciez pas ce sport, l’offre est suffisamment large pour que vous trouviez chaussure à votre pied et bénéficiiez des bienfaits de la pratique physique sur la santé… l’important reste de bouger !

Extrait d’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Haruki Murakami (éditions Belfond, 2009) :

« Les êtres humains continuent naturellement à faire ce qu’ils aiment et cessent ce qu’ils n’aiment pas. Voilà pourquoi je ne conseille jamais aux autres de courir. Le marathon ne convient pas à tout le monde. De même, tout le monde ne peut pas devenir romancier. »


Benoît Holzerny, coach athlé santé, et Cédric Thomas, entraîneur d’athlète de haut niveau (notamment de Christelle Daunay, championne d’Europe de marathon en 2014), sont coauteurs de cet article.

The Conversation

Sylvain Durand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La course à pied use-t-elle le corps des sportifs, professionnels comme amateurs ? – https://theconversation.com/la-course-a-pied-use-t-elle-le-corps-des-sportifs-professionnels-comme-amateurs-266968

Maria Corina Machado, Nobel de la paix : et si Trump avait finalement gagné ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine, Université de Rouen Normandie

Maria Corina Machado est certes une personnalité courageuse et déterminée, qui combat depuis des années le régime autoritaire en place dans son pays, le Venezuela. Mais certaines de ses prises de position semblent peu compatibles avec l’obtention d’un prix Nobel de la paix. La récompense qui lui a été attribuée, le 10 octobre 2025, pourrait apaiser Donald Trump, qui soutient depuis longtemps son action et qui se trouve engagé dans un bras de fer de plus en plus tendu avec le pouvoir vénézuélien dirigé par Nicolás Maduro.


La campagne de Donald Trump pour l’obtention du prix Nobel de la paix a été aussi inédite que pressante. La désignation de Maria Corina Machado a beaucoup surpris.

Certes, elle vient couronner une lutte infatigable contre le gouvernement autoritaire de Nicolás Maduro ; mais le profil de la lauréate est davantage celui d’une militante opposée à la dictature de son pays que d’une pacifiste. Cela reflète la tendance du Comité Nobel norvégien à davantage récompenser, ces dernières années, des promoteurs de la démocratie dans des régimes opposés aux intérêts géopolitiques occidentaux que des personnalités ayant « ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix » comme le souhaitait Alfred Nobel dans son testament.

Ainsi, Maria Corina Machado s’inscrit dans la lignée du journaliste russe Dmitri Mouratov, lauréat en 2021, du militant des droits humains biélorusse Ales Bialiatski et de l’ONG russe Mémorial, célébrés en 2022, ou encore de Narges Mohammadi, militante des droits humains iranienne récompensée en 2023.

Qui est Maria Corina Machado ?

Le rapport à la paix de Maria Corina Machado mérite d’être questionné. En effet, outre son soutien à la tentative de coup d’État d’avril 2002 contre Hugo Chavez, alors président démocratiquement élu (soutien partagé par de larges secteurs de l’opposition vénézuélienne), Machado, âgée aujourd’hui de 58 ans, incarne les fractions les plus radicales des détracteurs d’Hugo Chavez puis de son successeur (depuis 2013) Nicolás Maduro et les plus subordonnées aux stratégies les plus brutales des États-Unis contre le gouvernement vénézuélien.

Ainsi, elle a été reçue par George W. Bush dans le bureau Ovale, le 31 mai 2005, en pleine guerre en Irak. En 2019, au moment de l’auto-proclamation de Juan Guaido comme chef de l’État vénézuélien alternatif, qui sera reconnu par une soixantaine de pays, elle en appelait à une intervention militaire étrangère contre le Venezuela parce que « les démocraties occidentales doivent comprendre qu’un régime criminel ne sera chassé du pouvoir que par la menace crédible, imminente et grave d’un recours à la force ».

Plus récemment encore, début octobre, à l’antenne de Fox News, elle remerciait Donald Trump pour les assassinats ciblés qu’il commet dans la mer des Caraïbes et pour ses menaces militaires contre son propre pays.

Si d’autres lauréats, aux positionnements idéologiques variés, tels Henry Kissinger, Nelson Mandela, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin, Shimon Peres ou Juan Manuel Santos, avaient pu commettre ou appeler à commettre des actes violents avant leur désignation, ils avaient rompu avec cette orientation au moment de leur prix ou participé au règlement d’un conflit, aussi provisoirement que ce soit. Ce n’est pas le cas de Maria Corina Machado.

Grâce à ce positionnement intransigeant à l’encontre d’un gouvernement jugé responsable du tournant autoritaire et de l’effondrement économique du pays depuis 2013, elle bénéficie d’une aura importante dans la population vénézuélienne. Le Venezuela a vu son PIB baisser de 74 % entre 2014 et 2020, pour moitié du fait de la mauvaise gestion économique d’Hugo Chavez puis de Nicolás Maduro (en particulier une politique monétaire particulièrement négligente) et pour autre moitié à cause des mesures coercitives unilatérales édictées par Donald Trump durant son premier mandat et soutenues par Maria Corina Machado.

Dans ce marasme, Nicolás Maduro se maintient au pouvoir en dépit d’un soutien électoral minoritaire, à travers l’utilisation des institutions électorales, judiciaires et militaires, ce qui lui a permis de déposséder l’Assemblée nationale, où l’opposition était alors majoritaire, de ses prérogatives en 2015 ; de réprimer, au prix de plus d’une centaine de morts, une vague de manifestations en 2017 ; de réaliser une fraude massive pour inverser les résultats du scrutin présidentiel en 2024

La popularité de Maria Corina Machado est aujourd’hui puissante : elle a remporté les primaires de l’opposition vénézuélienne en octobre 2023 avec 92,3 % des suffrages exprimés (après le retrait de plusieurs candidats qui n’avaient aucune chance). Après avoir été frappée d’inéligibilité par les institutions pro-Maduro, elle a parcouru le pays en faveur d’un illustre inconnu devenu candidat de l’opposition, Edmundo González Urrutia, suscitant un réel enthousiasme à travers le pays, avec une promesse qui a eu un fort impact : la réunification des familles dans un pays meurtri par l’exode de plus de huit millions de ses compatriotes, soit plus d’un quart de la population nationale.

Nicolás Maduro, en menant à l’échec tous les processus de négociations avec une opposition plus modérée, en limitant drastiquement le droit à la candidature des différentes personnalités, a paradoxalement propulsé son antithèse : libérale économiquement (quoique Maduro mène désormais une politique de dollarisation rampante de son économie) et alignée géopolitiquement sur les États-Unis.

Quelles conséquences pour le Venezuela ?

Les conséquences de ce prix Nobel seront sans doute limitées au Venezuela. Maria Corina Machado a déjà reçu, en octobre 2024, le prix des droits de l’homme Václav-Havel de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et, en décembre 2024, le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit du Parlement européen, à l’initiative des groupes parlementaires de droite et d’extrême droite.

Cela n’a pas changé les conditions de clandestinité dans lesquelles elle vit ni empêché sa brève arrestation en janvier 2025 à l’issue d’une apparition dans une manifestation lors de l’investiture de Nicolás Maduro pour ce nouveau mandat frauduleux.

L’octroi du prix Nobel augmente le coût de sa répression, mais ne change pas la configuration politique vénézuélienne. Dans les conditions de répression que connaît le Venezuela, le Nobel se « célèbre en silence » parmi les nombreux mécontents du gouvernement Maduro.

Parmi les conséquences concrètes de ce prix, on note la fermeture de l’ambassade du Venezuela à Oslo dans le cadre d’une « restructuration intégrale » de ses représentations à l’étranger, alors que la Norvège est médiateur des négocations entre le gouvernement Maduro et l’opposition depuis 2019.

La victoire d’une alliée de Donald Trump

L’octroi de ce prix Nobel de la paix à Maria Corina Machado est aussi une manière de récompenser Donald Trump sans le dire. Dans le contexte actuel, récompenser une institution défendant le droit international, telles la Cour pénale internationale (CPI) ou la Cour internationale de justice (CIJ), aurait été perçu comme un signal d’irrévérence à l’égard du président états-unien. En revanche, choisir une opposante vénézuélienne qui soutient sa politique dans les Caraïbes est une légitimation de son action.

Depuis août 2025, Donald Trump a déployé la quatrième flotte des États-Unis (l’US Navy) dans la mer des Caraïbes sous le prétexte de lutte contre le narcotrafic.
À la date du 16 octobre 2025, cinq navires ont été détruits par les troupes états-uniennes au large des côtes vénézuéliennes, coûtant la vie à 27 personnes au total.

L’administration Trump avait jusqu’alors privilégié une approche de négociations promue par son conseiller pour les missions spéciales Richard Grenell, sur une base d’échange contractuelle « maintien des licences pétrolières » contre « acceptation des déportations de retour de Vénézuéliens ». La licence de la firme multinationale Chevron a été suspendue en mai pour être rétablie sous d’autres modalités en juillet. Le jour même de l’obtention du prix Nobel par Maria Corina Machado, Shell a obtenu de l’administration de Washington l’autorisation d’extraire du gaz dans la zone Dragon à l’intérieur des eaux vénézuéliennes. Cependant, quelques jours auparavant, Donald Trump avait demandé à Richard Grenell de cesser ses communications avec Nicolás Maduro.

Le locataire de la Maison Blanche semble opter pour une stratégie de changement de régime, portée de longue date par le secrétaire d’État Marco Rubio. Pour autant, une guerre ouverte entre les États-Unis et le Venezuela ne semble pas pour l’heure d’actualité. La dernière intervention directe de Washington en Amérique latine date de 1989, au Panama, déjà au nom de la répression de la complicité des autorités du pays avec le narcotrafic – complicité en l’occurrence avérée.

Toutefois, le Panama représentait en termes militaires une cible mineure par rapport à ce que constitue l’État vénézuélien aujourd’hui, même après une décennie de crise économique. Une campagne militaire, telle que l’opération Midnight Hammer à l’encontre de l’Iran en juin 2025, ne saurait être exclue, d’autant que l’administration Trump vient d’autoriser des actions secrètes de la CIA au Venezuela. Même un journal historique de l’opposition libérale, El Nacional, redoute une telle intervention, considérant qu’il s’agirait d’un cataclysme.

En récompensant Maria Corina Machado, au moment où les menaces états-uniennes contre le Venezuela sont maximales, le Comité Nobel légitime la politique de changement de régime de Donald Trump. Si Maria Corina Machado a dédié son prix au président états-unien, c’est que cette récompense est aussi un peu la sienne.

The Conversation

Thomas Posado ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Maria Corina Machado, Nobel de la paix : et si Trump avait finalement gagné ? – https://theconversation.com/maria-corina-machado-nobel-de-la-paix-et-si-trump-avait-finalement-gagne-267662

Les chiens au Moyen Âge : ce que les écrits médiévaux nous apprennent sur les animaux de compagnie de nos ancêtres

Source: The Conversation – in French – By Emily Savage, Associate lecturer in the school of art history, St Andrews Institute of Medieval Studies, University of St Andrews

Un détail de miniature du _Livre de la chasse_ (v. 1406), de Gaston III (1331-1391), dit Gaston Phébus, comte de Foix et vicomte de Béarn. On y voit les chiens examinés et soignés par des gardiens de chenil. The Morgan Library and Museum/Faksimile Verlag Luzern

Les écrits médiévaux, des traités spécialisés aux bestiaires, associent différentes caractéristiques aux chiens, parfois loués pour leur loyauté, parfois décriés comme impurs ou vulgaires, mais souvent choyés.


Au Moyen Âge, la plupart des chiens avaient un travail.

Dans son ouvrage De Canibus, le médecin et érudit anglais du XVIe siècle John Caius (1510-1573) décrit une hiérarchie des chiens, qu’il classe avant tout en fonction de leur rôle dans la société humaine. Au sommet se trouvaient les chiens de chasse spécialisés, notamment les lévriers, connus pour leur « incroyable rapidité », et les chiens de chasse, dont l’odorat puissant les poussait à « parcourir de longues allées, des chemins sinueux et des sentiers fatigants » à la poursuite de leur proie.

Mais même les « bâtards », qui occupaient les échelons inférieurs de l’échelle sociale canine, étaient caractérisés en fonction de leur travail ou de leur statut. Par exemple, comme artistes de rue ou tournebroches dans les cuisines, courant sur des roues qui faisaient tourner la viande à rôtir.

Un chien avec un collier à pointes et un lévrier avec une longue laisse
Un chien avec un collier à pointes et un lévrier avec une longue laisse, tirés du Helmingham Herbal and Bestiary (vers 1500).
Yale Centre for British Art, Paul Mellon Collection, CC BY-SA

La place des chiens dans la société a changé lorsque la chasse est devenue un passe-temps aristocratique plutôt qu’une nécessité. Parallèlement, les chiens ont été accueillis dans les maisons des nobles, en particulier par les femmes. Dans les deux cas, les chiens étaient des signes distinctifs du rang social élitiste.

Dessin manuscrit représentant une religieuse tenant un chien de compagnie
Une religieuse avec son chien de compagnie.
British Library

En effet, dans son classement, Caius place les chiens d’intérieur « délicats, soignés et jolis » en dessous des chiens de chasse, mais au-dessus des bâtards de basse extraction, en raison de leur association avec les classes nobles. Quant aux chiots : « Plus ils sont petits, plus ils procurent de plaisir. »

Même si l’Église désapprouvait officiellement les animaux de compagnie, les ecclésiastiques eux-mêmes possédaient souvent des chiens. Comme ceux des femmes, les chiens des ecclésiastiques étaient généralement des chiens de compagnie, parfaitement adaptés à leurs activités d’intérieur.




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Éloge des chiens

Tout le monde n’éprouvait pas une telle affection pour les chiens. Préoccupées par les risques de violence, les autorités urbaines anglaises ont réglementé la détention de chiens de garde ainsi que les divertissements populaires violents, tels que la chasse au sanglier, à l’ours et au taureau. Dans la Bible, les chiens sont souvent décrits comme des charognards répugnants. Dans les Proverbes 26:11, il est raconté comment ils ingèrent leur propre vomi…

Une miniature de Sir Lancelot, en conversation avec une dame tenant un petit chien
Une miniature représentant Lancelot, en conversation avec une dame tenant un petit chien (vers 1315-1325).
British Library

D’autre part, l’histoire de saint Roch dans la Légende dorée, de l’archevêque de Gênes (Italie) Jacques de Voragine (v. 1228-1298), recueil sur la vie des saints très populaire au XIIIe siècle, raconte l’histoire d’un chien qui apporta du pain au saint affamé, puis qui guérit ses blessures en les léchant. L’un des attributs de saint Roch, motif permettant aux spectateurs de le reconnaître, est un chien dévoué.

Le trope des chiens défendant leurs maîtres ou déplorant leurs morts remonte à la période classique, à des textes comme l’Histoire naturelle de l’auteur romain Pline l’Ancien (Ier siècle de notre ère).

Ce thème est repris dans la tradition médiévale du bestiaire, un recueil moralisateur de connaissances sur les animaux réels et mythiques. Une des histoires que l’on y trouve raconte celle du légendaire roi des Garamantes qui, capturé par ses ennemis, est retrouvé et sauvé par ses fidèles chiens. Une autre histoire raconte qu’un chien a identifié publiquement le meurtrier de son maître et l’a attaqué.

L’histoire d’un lévrier, Guinefort, a même inspiré un culte non officiel de saint. Selon cette légende, le chien s’était attaqué à un serpent qui voulait mordre l’enfant de ses maîtres, châtelains de Villars-les-Dombes, en Auvergne. Son maître le passa au fil de l’épée en voyant l’enfant ensanglanté gisant à terre, imputant d’abord à son chien les blessures apparentes du nourrisson. Les gens du lieu, puis d’autres attribuent bientôt au lévrier martyr des pouvoirs miraculeux, notamment ceux de guérir des enfants.

Des chiens dans une bataille contre des rois
Le roi des Garamantes, ancien peuple berbère de Cyrénaïque (sur le territoire actuel de la Libye), sauvé par ses chiens. Détail de miniature du Bestiaire de Rochester (vers 1230).
British Library

Bien que l’histoire ait pour but originel de révéler le péché et la folie de la superstition, elle souligne néanmoins ce que les gens du Moyen Âge percevaient comme les qualités particulières qui distinguaient les chiens des autres animaux.
Selon le Bestiaire d’Aberdeen (vers 1200) :

« Aucune créature n’est plus intelligente que le chien, car les chiens ont plus de compréhension que les autres animaux ; eux seuls reconnaissent leur nom et aiment leur maître. »

L’association entre les chiens et la loyauté est également exprimée dans l’art de l’époque, notamment en relation avec le mariage. Dans les monuments funéraires, les représentations de chiens indiquent la fidélité d’une épouse à son mari qui repose à ses côtés.

Dans le cas des tombes ecclésiastiques, cependant, elles peuvent suggérer la foi du défunt, comme celle de l’archevêque William Courtenay (mort en 1396), enterré dans la chapelle de la Trinité de la cathédrale de Canterbury. L’effigie en albâtre de Courtenay repose sur un cercueil funéraire situé du côté sud de la chapelle. L’archevêque porte la robe et la mitre de sa fonction, et deux anges soutiennent sa tête reposant sur un coussin. Un chien aux longues oreilles, portant un collier à clochettes, est couché docilement à ses pieds.

Bien qu’il soit tentant de penser que le chien représenté sur la tombe de Courtenay fut l’animal de compagnie de l’archevêque, ce n’était pas forcément le cas : le collier à clochettes était une convention populaire de l’iconographie contemporaine, en particulier pour les chiens de compagnie.

Des toutous choyés

Une peinture représentant une femme nue se regardant dans un miroir. À ses pieds se trouve un chien blanc qui a l’air choyé
Allégorie de la vanité par Hans Memling (vers 1490).
Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

À l’instar de leurs homologues modernes, les propriétaires de chiens médiévaux fortunés équipaient leurs compagnons d’une variété d’accessoires, notamment des laisses, des manteaux et des coussins fabriqués à partir de matériaux raffinés.

Cet investissement matériel était central dans la culture aristocratique du « vivre noblement », où la consommation délibérée de produits de luxe permettait d’afficher publiquement son statut social.

La perception populaire de la possession d’un chien et des accessoires qui l’accompagnent a également alimenté les stéréotypes liés au genre. Alors que les hommes étaient plus enclins à posséder des chiens actifs pour protéger leur vie et leurs biens, les femmes préféraient les chiens de compagnie qu’elles pouvaient bercer et choyer. Les chiens de compagnie pouvaient donc également être associés à l’oisiveté et au vice dits féminins, comme le montre le tableau de Hans Memling Allégorie de la vanité (vers 1485).

Mais même les chiens de travail avaient besoin de soin et d’attention pour donner le meilleur d’eux-mêmes. La miniature d’une somptueuse copie du XVe siècle du livre influent de Gaston Phébus, le Livre de la Chasse, montre des gardiens de chenil examinant les dents, les yeux et les oreilles des chiens, tandis qu’un autre lave les pattes d’un « bon chienchien ».

The Conversation

Emily Savage ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les chiens au Moyen Âge : ce que les écrits médiévaux nous apprennent sur les animaux de compagnie de nos ancêtres – https://theconversation.com/les-chiens-au-moyen-age-ce-que-les-ecrits-medievaux-nous-apprennent-sur-les-animaux-de-compagnie-de-nos-ancetres-266615