Anatomie des hommes forts : pourquoi les politiques mettent-ils en scène leur musculature ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By François Hourmant, Professeur de science politique, Université d’Angers

Alors que, depuis plusieurs années, les jeunes s’inscrivent en masse dans les salles de sport, leur obsession pour le muscle semble avoir gagné une autre catégorie de population : les responsables politiques. Mais pourquoi donc vouloir « pousser de la fonte » lorsqu’on tutoie déjà les cimes du pouvoir ?


« Emmanuel Macron dégaine les abdos » : sous ce titre, une photo montre le président français torse nu, doté de « tablettes de chocolat ». D’abord publiée sur X, avant d’être reprise par Closer, elle a été prise à la veille de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska le 15 août, alors qu’Emmanuel Macron s’adonnait aux joies balnéaires à Brégançon (Var).

Deux ans plus tôt, la photographe officielle l’Élysée Soazig de La Moissonière postait sur Instagram les photos du président en boxeur, visage ridé par l’effort, biceps saillants et sueur perlant. Dieu du ring, « Rocky Macron » imitait Poutine, que l’on vit naguère exposer avec complaisance les attributs d’une virilité offensive.

Rivalité mimétique et « masculinité agonistique »

La séquence témoignait de cette rivalité mimétique opposant Poutine à Macron, qualifié de « coq en pâte » ou « trouillard zoologique » par Dmitri Medvedev, le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie. Elle surlignait de façon métaphorique la volonté de rendre coup pour coup.

Symbole de la combativité, de la pugnacité et de l’endurance, mais aussi de l’efficacité et de la maîtrise de soi la boxe stylisait, autant que les déclarations du président français, le « combat de chefs ». Posant en héraut des démocraties libérales contre l’autoritarisme russe, Macron empruntait pourtant l’hexis corporelle hypertrophiée des leaders autocratiques du XXe siècle. Cet étalage de muscles et de sueur était évidemment plus inattendu chez un ancien énarque, banquier d’affaires devenu président de la République que chez un ancien officier du KGB.

Le muscle-spectacle

Mais pour singulières qu’elles paraissent, ces photos font aussi écho à bien d’autres clichés. De Jordan Bardella publiant sur TikTok ses séances de « muscu », à Olivier Véran, adepte, comme Édouard Philippe, Manuel Valls, Valérie Pécresse ou Rachida Dati, de la boxe, et exhibant son biceps au moment du Covid, en passant par Louis Sarkozy, fan de MMA et de jiu-jitsu, ou encore Ian Brossat déclinant l’importance de ses séances quotidiennes sur les bancs de musculation, difficile d’échapper à cette exposition complaisante de muscles. Ce corps ciselé est non seulement érigé en nouvel étalon de la beauté masculine en politique, mais aussi en improbable vecteur de communication et de légitimation.

Et la France n’est pas la seule à succomber à ce muscle-spectacle. Le « challenge de Pete et Bobby », au cours duquel l’actuel ministre de la santé des États-Unis, Robert Jr. Kennedy, a mis au défi le ministre de la défense Pete Hegseth d’effectuer 50 tractions et 100 pompes en moins de dix minutes, a enflammé les réseaux sociaux, consacrant l’avènement d’une culture visuelle du muscle dans les démocraties contemporaines. Si le sport est depuis longtemps une « passion américaine », la croisade du muscle et de la santé a pris néanmoins ces derniers temps un tournant spectaculaire à visée politique et idéologique.

Management des corps et triomphe de la volonté

Longtemps forclos du champ politique démocratique, les muscles s’exposent donc désormais. Ce culte inquiet du moi et cette culture profane du corps indexe un storytelling aussi bien huilé que les muscles exhibés. Dans son discours prononcé au Pentagone, le 30 septembre 2025, devant plusieurs centaines d’officiers de l’armée des États-Unis, Pete Hegseth stigmatisait ainsi « les mecs en robe », les barbes et cheveux longs, dénonçait les « troupes obèses » et « l’hypersensibilité » ou encore le « hot yoga ». L’heure est bien à la fermeté et à la puissance, au lisse et au glabre, pour façonner de nouveaux « warriors ». Et d’en appeler au rétablissement de la « formation de base » telle qu’elle devrait être à ses yeux : « Effrayante, difficile et disciplinée. »

Exit donc ceux qu’il nomme avec mépris les « débris woke » ; exit les « hommes faibles qui ne seront pas qualifiés », selon son expression. Ainsi se décline le nouveau management ultralibéral des corps dans lequel chacun devient gestionnaire de son apparence dans une recherche individualiste de la réussite, entre dépassement de soi et « triomphe de la volonté ». Le muscle est devenu une ressource et le corps un capital qu’il convient de faire fructifier.

Célébration apollinienne et culte de la performance

Les photographies de ces performers politiques fixent les contours de ces nouveaux corps médiatiques. Elles redéfinissent les canons de la beauté masculine où la séduction de la plastique sculptée se conjugue aux règles de l’ascèse, sur fond d’héroïsation. Car ces corps glorieux sont des corps épurés et dégraissés de tout amas adipeux par l’effort endurant, et non par la magie de Photoshop qui permit d’effacer les bourrelets de Nicolas Sarkozy en vacances à Wolfeboro (Nouvelle-Angleterre, chez le président Bush, ndlr).

Label de vigueur et de force, le muscle est aussi synonyme de santé physique et morale. Il signifie hygiénisme, vitalisme et déni du vieillissement. Il participe d’une nouvelle grammaire des apparences et reconfigure les normes de la masculinité en politique, entre célébration apollinienne et culte de la performance.

Ces pratiques infléchissent aussi les représentations de l’affrontement politique. La joute des apparences rivalise avec celle des discours. Chez les hommes politiques, la culture visuelle étend son empire et promeut une rhétorique qui n’est plus seulement discursive et esthétique mais aussi plastique. La politique tend à devenir de plus en plus athlétique et diététique. Le pouvoir et son exercice réclament des hommes forts, des gladiateurs postmodernes n’hésitant parfois pas, comme au Brésil, à régler leurs différends dans les cages de MMA.

Splendeur et misère d’une virilité hégémonique

Ce sacre de la sueur et de la violence contre le « cercle de la raison », ravive avec acuité un vieil imaginaire : celui associant le pouvoir à la virilité, et celle-ci à la masculinité hégémonique.

À la « virilité privilège », celle des élites bourgeoises et politiques, véhiculant des valeurs de tempérance, de droiture, de responsabilité, ces nouvelles incarnations renvoient davantage à la « virilité ressource ». Celle-ci, longtemps plébiscitée par les outsiders, était l’apanage des leaders populistes, fondée sur une rhétorique du parler-vrai, sur une simplicité/proximité affichée avec les électeurs ainsi que sur une agressivité à la fois verbale et corporelle qui a connu, avec les poignées de mains virilistes de Donald Trump, un indiscutable regain.

Cette virilité fait écho au succès rencontré par les nouvelles pratiques sportives où « la fabrique du muscle » participe de la construction identitaire de soi dans un monde incertain. Elle trouve également une visibilité et une amplification sur les réseaux sociaux. La manosphère s’est faite la porte-voix de ces pratiques. Elle promeut un discours antiféministe associant conseils en développement personnels et de remise en forme a un discours intransigeant sur la masculinité traditionnelle. Pour les influenceurs masculinistes comme Andrew Tate, ancien champion de kickboxing, la « revirilisation » par la célébration narcissique de la musculature est une promesse de salut et de réussite sociale, professionnelle et personnelle.

« La fabrique du muscle. »

Difficile de ne pas voir dans cette exaltation du muscle-roi une sur-virilisation compensatoire, le symptôme d’une inquiétude face à la redéfinition des rôles sexués, un backlash face aux revendications féministes post-#MeToo voire même une « surenchère phallique » que pointait déjà l’anthropologue Jean-Jacques Courtine à propos des body builders, ces « stakhanovistes du narcissisme » en qui il voyait « le travail de deuil dénié, la nostalgie travestie d’une très ancienne représentation de la puissance masculine. »

Désymbolisation et érotisation

Ces pratiques s’inscrivent dans des stratégies de présentation de soi où l’exposition des musculatures redéfinit les façades et les identités. Si cette corporalité du politique n’est pas neuve – pensons à Mussolini paradant torse nu –, elle révèle l’existence d’une nouvelle configuration politique dans laquelle la légitimité se construit largement dans et par l’écart à la norme, par une corporéité exhibée, performée et médiatisée, plus spécifiquement plébiscitée par les leaders de droite dans le champ politique.

Pendant longtemps, présidents et compétiteurs ont été prisonniers de la fonction et à ce titre (auto)contraints par le rôle. Ils étaient obligés de se conformer à l’imaginaire de hauteur et de solennité qu’attestait le paradigme du président lettré. Les photos de ces corps façonnés inaugurent un nouveau régime d’incarnation. S’ils attestent une indéniable désymbolisation, ils mettent aussi en jeu une forme exacerbée d’érotisation du politique, entre exhibitionnisme et voyeurisme, où la pulsion scopique est congruente avec celle des réseaux sociaux.

The Conversation

François Hourmant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Anatomie des hommes forts : pourquoi les politiques mettent-ils en scène leur musculature ? – https://theconversation.com/anatomie-des-hommes-forts-pourquoi-les-politiques-mettent-ils-en-scene-leur-musculature-267387

Informer sur les risques et bénéfices de la migration influence-t-il la décision de migrer ?

Source: The Conversation – in French – By Jean-Michel Lafleur, Associate Director, Centre for Ethnic and Migration Studies / Coordinator of IMISCOE, Université de Liège

Session de sensibilisation sur les risques et dangers de la migration irrégulière à Douala (Cameroun), juin 2022.
Organisation internationale des migrations/Cameroun 2022

Une étude quantitative de 2025 réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population résidente en Algérie confirme que les campagnes d’information sur les risques de la migration irrégulière promues par l’Union européenne et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) n’ont qu’un impact très faible sur la propension à émigrer en dehors des voies légales.


Au printemps dernier, le fonds « Asile, migration et intégration » (Amif), créé par l’Union européenne (UE), lançait un appel à proposition afin de prévenir la migration irrégulière par des campagnes d’information sur les risques liés à ce type de migration.

L’objectif de cet appel doté d’un budget de 10 millions d’euros :

« Dissuader et prévenir la migration irrégulière en fournissant des informations fiables sur les dangers de la migration irrégulière, sur les voies légales d’accès à l’Europe et sur les possibilités économiques alternatives dans les pays d’origine. »

Malgré le fait que les chercheurs s’interrogent depuis longtemps sur l’efficacité de ce type de campagne, l’UE, ses États membres mais aussi l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dépensent, chaque année, des budgets conséquents dans des campagnes de ce genre.

Des campagnes nombreuses et à l’efficacité douteuse

Les campagnes d’information ciblant les pays d’origine et de transit des migrants, notamment par le biais d’annonces à la radio et à la télévision, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, sont un outil de dissuasion de la migration très fréquemment utilisé par les gouvernements.

Une caractéristique récurrente de ces campagnes est qu’elles mettent en avant les dangers et risques liés à la migration et évoquent rarement les bénéfices que celle-ci peut procurer ni n’informent sur les modalités légales par lesquelles il est possible de rejoindre l’Europe. Dans ces campagnes, l’usage de dispositifs audiovisuels induisant la peur est également fréquent.

Entre 2015 et 2019, au moins 130 campagnes ont été mises en œuvre, dont 104 soutenues par des gouvernements de l’UE. À titre d’exemple, l’OIM et le ministère italien de l’intérieur ont conduit, entre 2016 et 2023, la campagne « Aware Migrants », qui ciblait 11 pays africains d’émigration et de transit. Cette campagne aurait touché, selon ses organisateurs, plus d’un demi-million d’individus. Plus récemment, en 2025, la Belgique a conduit des campagnes visant les demandeurs d’asile camerounais et guinéens transitant par la Bulgarie et la Grèce afin de leur faire savoir que les centres d’accueil du pays sont complets.

Capture d’écran issue d’une vidéo diffusée par l’Office des étrangers (Belgique).
YouTube
Capture d’écran issue d’une vidéo diffusée par The Migrant Project-Edo/Media Coalition and Awareness to Halt Trafficking. Les propos cités ici sont ceux d’un jeune migrant originaire du Nigeria, Ikechukwu Oseji.
Compte Facebook du Migrant Project- Edo/Media Coalition and Awareness to Halt Trafficking

Les chercheurs qui ont analysé ce type de campagnes identifient trois limites récurrentes inhérentes à cet instrument des politiques migratoires européennes.

D’abord, la recherche qualitative existante (une sur le Cameroun, l’autre sur le Ghana) démontre que, contrairement aux hypothèses des financeurs des campagnes, la plupart des candidats potentiels à la migration dans les pays à revenus faible ou intermédiaire sont plutôt bien informés sur les risques liés à la migration irrégulière. Il n’empêche qu’en dépit de leur connaissance des risques encourus, y compris celui de perdre la vie, ils sont nombreux à estimer que, vu l’absence de voies légales pour quitter le pays où ils vivent, l’immigration irrégulière est leur seule possibilité.




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Ensuite, des travaux antérieurs ont déjà montré que les candidats à la migration accordent peu de crédit à la qualité de l’information diffusée dans des campagnes financées par des institutions explicitement motivées par le désir de réduire les flux migratoires. Ces campagnes peinent par conséquent à contrer les récits positifs diffusés par d’autres sources – tels les messages véhiculés par les passeurs et par les migrants de même origine déjà établis en Europe – et sont pour cette raison fréquemment présentées par la recherche comme vouées à l’échec.

Enfin, la communauté scientifique dans le champ des études migratoires souligne l’absence d’évaluation systématique de l’impact de ces campagnes et indique que, lorsque des évaluations sont conduites, celles-ci présentent des problèmes de fiabilité. Certains spécialistes s’interrogent également sur le caractère éthique de ces campagnes, qui visent à légitimer des politiques migratoires restrictives, et dont la capacité réelle à réduire la migration irrégulière paraît douteuse.

Une première évaluation à grande échelle auprès de la population algérienne

En réponse à ces critiques, notre étude a mis sur pied une expérimentation intégrée à une enquête administrée en ligne auprès d’un panel de 1 206 personnes représentatif de la population résidente en Algérie afin de tester l’impact de certaines informations sur la décision de migrer de façon irrégulière vers l’Europe.

La population sans papiers algérienne est en effet l’une des plus importantes en Europe : selon Eurostat, parmi les 918 925 personnes en séjour irrégulier en Europe en 2024, près de 60 000 sont des citoyens algériens. Elle constitue aussi le premier groupe national en nombre d’ordre de quitter le territoire, émis dans l’UE (plus de 38 000 citoyens algériens concernés en 2024).

Dans cette expérimentation, nous avons testé six messages.

Les deux premiers portent sur les risques liés à la migration : une vignette concerne les dangers de la migration irrégulière et comprend les risques de décès en mer, d’arrestation et d’expulsion du continent européen. La deuxième traite des murs et des grillages érigés en de nombreux points du territoire de l’UE dans le but de contenir l’immigration irrégulière. Chacun de ces messages a été testé dans une version « texte seul » et dans une version où le même texte est accompagné d’une photo d’illustration renforçant le caractère inquiétant du message écrit.

Les deux autres messages, testés uniquement en version « texte seul », concernaient l’accès aux droits des personnes migrantes dans le pays d’immigration, fréquemment présentés dans le débat politique comme des éléments susceptibles d’encourager la migration irrégulière vers l’Europe. À cet effet, une vignette fournissait des informations concernant la possibilité pour les sans-papiers de régulariser leur statut sous certaines conditions dans différents États membres de l’UE. L’autre concernait la possibilité pour les migrants algériens d’accéder à certaines prestations sociales en Europe grâce à l’existence d’accords bilatéraux de sécurité sociale.

Chacun de ces messages a été testé auprès d’une partie de l’échantillon. Les participants exposés à l’un de ces messages tout comme le groupe de contrôle (n’ayant pas reçu de message) ont ensuite répondu à trois questions sur leur désir et intention d’émigrer vers l’Europe, y compris de façon irrégulière.

Au terme de notre analyse, et dans la continuité des travaux principalement qualitatifs réalisés jusqu’ici sur la question, notre étude confirme l’absence d’impact des campagnes d’information. Plus précisément, fournir des informations sur les risques et les bénéfices liés à la migration n’a pas d’impact significatif sur la propension à migrer de façon irrégulière des individus résidant dans les pays à niveau de revenus faible et intermédiaire.

Impact insignifiant, débat indispensable

Puisqu’il se confirme que ce type d’information n’a pas d’impact sur la décision de migrer de façon irrégulière, il convient à nouveau d’interroger l’objectif des campagnes d’information menées dans les pays d’origine.

Si leur rôle est uniquement de rassurer les opinions publiques européennes quant à la capacité des États à limiter la migration irrégulière, s’agit-il d’un usage légitime des ressources publiques ? Si, comme cela est fréquemment invoqué, l’objectif est réellement d’informer les candidats à la migration quant à la réalité de l’expérience migratoire, alors l’usage d’informations délibérément incomplètes et inquiétantes sur la migration vers l’Europe pose bien entendu de sérieuses questions éthiques.

Autrement dit, le débat sur les campagnes d’information doit s’inscrire dans un débat plus large sur l’évolution des politiques migratoires en Europe. Comme le réclament la communauté scientifique et la société civile organisée, une politique migratoire qui entend permettre uniquement la migration régulière ne peut privilégier à ce point les réponses répressives et dissuasives sans risquer de continuer à produire des politiques migratoires inefficaces et dangereuses.

Si ces campagnes d’informations doivent être poursuivies, il importe qu’elles prennent désormais en compte deux éléments cruciaux jusqu’ici trop souvent passés sous silence. Il s’agit, d’une part, de reconnaître, outre la nécessité de créer de nouvelles voies d’accès légales et sûres vers l’Europe, qu’il existe des modalités légales limitées de migration, dont ces campagnes ne font pas mention. Informer adéquatement sur ces voies légales est un corollaire indispensable au droit de tout individu à quitter son pays, tel que garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme. D’autre part, dans un souci d’offrir une vision réaliste de l’expérience migratoire en Europe, il importe également que ces campagnes reconnaissent que, lorsque les politiques d’inclusion adéquates sont mises en œuvre, l’aspiration des candidats à la migration à une vie meilleure en Europe peut être rencontrée.

Sans prendre ces éléments en considération, ces campagnes sont condamnées à reproduire une vision partielle de l’expérience migratoire en Europe à laquelle les candidats à la migration ne continueront à accorder que peu de crédit.

The Conversation

Jean-Michel Lafleur a reçu des financements du FRS-FNRS pour conduire cette recherche.

Abdeslam Marfouk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Informer sur les risques et bénéfices de la migration influence-t-il la décision de migrer ? – https://theconversation.com/informer-sur-les-risques-et-benefices-de-la-migration-influence-t-il-la-decision-de-migrer-265690

Comment observer la comète Lemmon, déjà visible à l’œil nu

Source: The Conversation – in French – By Josep M. Trigo Rodríguez, Investigador Principal del Grupo de Meteoritos, Cuerpos Menores y Ciencias Planetarias, Instituto de Ciencias del Espacio (ICE – CSIC)

La comète Lemmon (C/2025 A6), découverte en janvier 2025, traverse en ce moment notre ciel et s’offre déjà à l’œil nu. Un spectacle rare à saisir avant son départ vers l’espace profond.


Dans les prochains jours, nous aurons l’occasion d’admirer, et de photographier, une comète brillante visible au crépuscule. Il s’agit de la comète C/2025 A6, surnommée Lemmon, découverte le 3 janvier 2025 par l’astronome Carson Fuls dans le cadre du programme de suivi du Mount Lemmon Observatory (Arizona).

La comète parcourt une orbite très excentrique qui peut l’éloigner jusqu’à 36 milliards de kilomètres du Soleil. Il lui faut environ 1 350 ans pour en faire le tour. Autant dire qu’il faut en profiter ce mois-ci, avant qu’elle ne rapetisse à nos yeux et ne reparte vers les confins du système solaire.

Comment repérer la comète Lemmon dans le ciel

Si vous n’avez jamais eu la chance d’observer une comète et que vous voulez tenter l’expérience, pas de panique : avec quelques repères simples, l’aventure est à la portée de tous.

Première règle : trouver un ciel noir, loin des grandes villes et de toute pollution lumineuse. Choisissez de préférence une nuit claire avec l’horizon ouest dégagé, sans lampadaires ni obstacles.

Le meilleur moment pour commencer l’observation est le début de la nuit. Dès l’apparition des premières étoiles, cherchez la silhouette de la Grande Ourse à l’horizon nord-ouest. Cette constellation, formée de sept étoiles, est aussi connue sous le nom de « Grand Chariot » (ou « Grande Casserole »). Les deux étoiles les plus brillantes, situées vers le nord, permettent de tracer une ligne vers l’étoile polaire.

Trajet de la comète parmi les constellations visibles au crépuscule entre la mi-octobre et novembre 2025. La position de la comète doit être interpolée en fonction des repères indiqués pour chaque date. Image adaptée par l’auteur à partir d’une carte réalisée avec le logiciel Stellarium.
Observatorio Astronómico Nacional-IGN

Une fois la Grande Ourse repérée, prolongez en courbe sa « queue », dont la dernière étoile se nomme Alkaïd, jusqu’à atteindre l’étoile la plus brillante de la région : Arcturus. Cette dernière sera précieuse car le mardi 21 octobre, au moment où la comète sera la plus proche de la Terre (101 millions de kilomètres), Lemmon se trouvera dans la constellation du Bouvier, non loin d’Arcturus.

À l’œil nu ou aux jumelles

En ciel sombre, Lemmon est visible à l’œil nu, surtout depuis l’Espagne, le Mexique et l’Amérique centrale (ainsi que la France, NLDT), puisqu’elle se déplace dans l’hémisphère céleste Nord. Sa luminosité devrait se situer entre celle d’Alkaïd (queue de la Grande Ourse) et celle, plus faible, de Kornephoros (Beta Herculis), voire davantage.

En cas de pollution lumineuse, une paire de jumelles astronomiques avec un grossissement de 7 à 12 suffira. Orientez-les vers Arcturus, puis glissez doucement vers Alkaïd jusqu’à distinguer une petite tache nébuleuse prolongée d’une queue tournée à l’opposé du Soleil. N’hésitez pas à répéter le mouvement plusieurs fois.

La comète et sa queue colorée

Ces dernières semaines, les images spectaculaires de Lemmon se multiplient sur les réseaux sociaux. Les astrophotographes raffolent de ces astres changeants. À mesure qu’elle s’approche du Soleil, la surface glacée de Lemmon se réchauffe et commence à se sublimer. Les photos révèlent alors une queue bleutée, dite « ionique », ondulante et sensible au vent solaire.

La comète Lemmon (C/2025 A6) depuis l’ermitage de Santa Bàrbara, à Sant Feliu de Buixalleu (Catalogne, Espagne). Télescope Askar FRA400 à 280 mm avec une caméra Player One Ares-C PRO. Image reproduite avec l’autorisation de l’auteur.
Pau Montplet i Sanz (ACDAM/AstroMontseny)

Sa chevelure diffuse, appelée « coma », s’étend déjà sur plusieurs degrés. On s’attend aussi à l’apparition d’une seconde queue, cette fois poussiéreuse, produite par les particules libérées par les glaces sublimées. Ces minuscules grains réfléchissent la lumière solaire et donnent une queue plus diffuse, jaunâtre, souvent très lumineuse.

Les cartes de l’Observatoire astronomique national espagnol montrent le déplacement progressif de la comète vers l’ouest, nuit après nuit. Fin octobre, elle passera entre Kornephoros (dans la constellation d’Hercule) et Unukalhaï (dans la constellation du Serpent). Mi-novembre, Lemmon se rapprochera d’Antarès, l’étoile la plus brillante du Scorpion.

En ville, les comètes perdent de leur éclat. Voilà donc une belle occasion de fuir l’éclairage urbain, de lever les yeux vers le ciel et de s’offrir quelques minutes de contemplation d’un astre unique.

The Conversation

Josep M. Trigo Rodríguez reçoit des financements du projet du Plan national d’astronomie et d’astrophysique PID2021-128062NB-I00, soutenu par le MICINN et l’Agence nationale espagnole de la recherche.

ref. Comment observer la comète Lemmon, déjà visible à l’œil nu – https://theconversation.com/comment-observer-la-comete-lemmon-deja-visible-a-loeil-nu-267884

Orientation postbac : pourquoi les femmes choisissent moins les sciences que les hommes

Source: The Conversation – in French – By Anne Boring, Associate professor, Erasmus University Rotterdam

Si les filles sont beaucoup moins enclines que les garçons à se diriger vers des filières scientifiques, c’est bien entendu lié pour une part à la persistance des stéréotypes de genre. Mais d’autres facteurs entrent en compte lors des processus d’orientation scolaire. Explications à partir d’une enquête de la Chaire pour l’emploi et l’entrepreneuriat des femmes (Sciences Po).


Comment attirer plus de femmes vers des études supérieures en sciences et technologies ? Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics soutiennent des initiatives visant à favoriser la mixité de ces filières d’études, la plus récente étant le plan d’action « Filles et maths », lancé par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, en mai 2025.

Deux raisons principales motivent ces initiatives. D’une part, il s’agit de réduire les inégalités femmes-hommes sur le marché du travail, en particulier les écarts de rémunération. D’autre part, l’objectif est de soutenir la croissance économique dans des domaines porteurs, en formant davantage de personnes pouvant contribuer à l’innovation dans des secteurs d’activité stratégiques.

Des différences de choix marquées sur Parcoursup

Les différences d’orientation entre les femmes et les hommes restent très marquées à l’entrée de l’enseignement supérieur. C’est ce qui ressort des choix formulés par les élèves de terminale sur Parcoursup, la plateforme d’accès aux filières postbac, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous, obtenu grâce aux données mises à disposition sur Datagouv. Il représente le nombre de candidatures pour les formations les plus demandées (plus de 4 000 candidatures).

Source : Parcoursup 2024 – vœux de poursuite d’études et de réorientation dans l’enseignement supérieur et réponses des établissements.
Fourni par l’auteur

Les points au-dessus de la diagonale représentent les formations avec une prédominance de candidatures hommes, alors que ceux en dessous représentent les formations avec une prédominance de candidatures de femmes. Les hommes représentent environ 70 % des candidatures aux formations en sciences et technologies, y compris en sciences et technologies des activités physiques et sportives, ou Staps (en orange).

Les principales exceptions concernent des formations en sciences de la vie et de la Terre, pour lesquelles les candidatures par des femmes sont plus nombreuses. Les formations en sciences économiques, en gestion et en commerce (en bleu) sont plutôt mixtes. Enfin, les formations en santé, en sciences humaines et sociales, en lettres, en langues et en arts (en violet) sont majoritairement privilégiées par les femmes, qui constituent autour de 75 % des candidatures.

Certains facteurs permettant d’expliquer ces différences de choix d’études ont déjà été analysés, en particulier le rôle des stéréotypes de genre, des différences de performance scolaire dans les matières scientifiques ou la confiance en soi.

La passion pour un domaine d’études, un facteur déterminant

Afin de mieux comprendre les raisons actuelles des différences entre femmes et hommes dans les choix d’études supérieures, la Chaire pour l’emploi et l’entrepreneuriat des femmes de Sciences Po a mené, en février 2025, une enquête en partenariat avec Ipsos auprès d’un échantillon représentatif de la population étudiante en France, comprenant au total 1 500 réponses. Les résultats de cette enquête ont été publiés par l’Observatoire du bien-être du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap).

L’un des résultats marquants de l’enquête concerne les différences femmes-hommes dans l’importance accordée à la passion comme facteur déterminant des choix d’études supérieures.

Les étudiantes sont significativement plus nombreuses à choisir des filières en lien avec leurs passions, et elles semblent faire ce choix en ayant pleinement conscience qu’il risque de les pénaliser plus tard sur le marché du travail. En effet, 67 % des femmes (contre 58 % des hommes) disent « préférer étudier un sujet qui les passionne, même si cela ne garantit pas un emploi bien rémunéré », alors que 33 % des femmes (contre 42 % des hommes) disent « préférer obtenir un emploi bien rémunéré, même si cela ne garantit pas d’étudier un sujet qui les passionne ».

Les femmes qui privilégient la passion ont une probabilité plus élevée de s’inscrire en lettres, arts et humanités, alors que celles qui préfèrent un emploi bien rémunéré ont une probabilité plus élevée de s’inscrire en sciences économiques, gestion et commerce ou en sciences et technologies.

Des parents plus ou moins prescripteurs

Par ailleurs, les résultats de l’enquête mettent en évidence le fait que les parents sont plus prescripteurs pour les garçons que pour les filles, concernant les choix d’études de leurs enfants. En effet, les étudiantes ont davantage le soutien de leurs parents, quel que soit le domaine d’études de leur choix, alors que les étudiants reçoivent moins souvent l’approbation de leurs parents, en particulier pour les domaines d’études qui mènent vers des carrières moins rémunératrices sur le marché du travail (par exemple, en sciences humaines et sociales ou en lettres et arts) ou qui se sont féminisés (par exemple, le droit ou la santé).

Paradoxalement, le manque de prescriptions parentales sur les choix des filles peut expliquer qu’elles suivent plus souvent leur passion, se retrouvant plus contraintes par la suite sur le marché du travail.

Les résultats montrent aussi que les goûts développés pour les différentes matières dans le secondaire permettent d’expliquer plus de la moitié des différences femmes-hommes dans les choix d’études supérieures.

« Les filles et les mathématiques » (France Info, 2013).

Les filles auraient des goûts plus diversifiés, le seul goût pour les maths n’explique qu’une petite partie (environ 10 %) de l’écart dans les choix d’études. Cela permet d’expliquer en partie pourquoi les filles se détournent des formations en sciences et technologies, qui peuvent être perçues comme impliquant un renoncement à d’autres matières appréciées. Les hommes sont quant à eux plus nombreux à n’avoir aimé que des matières scientifiques dans le secondaire (29 % des étudiants contre 14 % des étudiantes).

Filières pluridisciplinaires et « roles models »

Si l’économie française a besoin de davantage de femmes diplômées en sciences et technologies, comment faire alors pour les attirer vers ces domaines d’études ? Le défi principal réside dans le fait de transmettre la passion des sciences et technologies aux femmes.

Cela peut passer par les « role models », avec des personnalités qui viennent communiquer leur enthousiasme pour leur discipline avant que les élèves ne fassent des choix cruciaux, notamment en termes d’options choisies au lycée. Cela peut aussi passer par le développement de filières pluridisciplinaires qui associent sciences, sciences sociales et humanités, de manière à offrir aux jeunes femmes (et aux jeunes hommes) aux intérêts variés la possibilité de poursuivre des études scientifiques sans renoncer à d’autres domaines.

Enfin, les formations scientifiques peuvent adapter leur offre pédagogique afin de rendre les enseignements plus attractifs auprès des étudiantes. En mettant en avant comment les sciences et technologies peuvent contribuer au bien commun et aux défis de nos sociétés contemporaines, une reformulation des intitulés de cours peut par exemple faire ressortir des enjeux leur tiennent à cœur.


Créé en 2007 pour aider à accélérer et partager les connaissances scientifiques sur des questions sociétales clés, le Fonds Axa pour la recherche – qui fait désormais partie de la Fondation Axa pour le progrès humain – a soutenu plus de 750 projets à travers le monde sur des risques environnementaux, sanitaires et socio-économiques majeurs. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site web du Fonds Axa pour la recherche ou suivez @AXAResearchFund sur LinkedIn.

The Conversation

La collecte de données a été financée par la Chaire pour l’emploi et l’entrepreneuriat des femmes (Sciences Po, Paris).

ref. Orientation postbac : pourquoi les femmes choisissent moins les sciences que les hommes – https://theconversation.com/orientation-postbac-pourquoi-les-femmes-choisissent-moins-les-sciences-que-les-hommes-265639

Nouveau partenariat Arabie saoudite-Pakistan : quelles conséquences internationales ?

Source: The Conversation – in French – By Kevan Gafaïti, Enseignant à Sciences Po Paris en Middle East Studies, Président-fondateur de l’Institut des Relations Internationales et de Géopolitique, doctorant en science politique – relations internationales au Centre Thucydide, Sciences Po

Dans un contexte où la protection militaire fournie par les États-Unis peut paraître douteuse, l’Arabie saoudite s’est rapprochée du Pakistan, en signant avec ce grand pays d’Asie doté de l’arme nucléaire un accord de défense aux multiples implications.


En cas d’attaque contre l’Arabie saoudite, le Pakistan utilisera son arme nucléaire pour la défendre, en vertu de leur nouveau pacte de défense mutuelle. C’est en tout cas ce que bon nombre d’observateurs ont conclu de l’annonce, le 17 septembre 2025, de la signature d’un accord stratégique de haut niveau entre Riyad et Islamabad.

Du fait de ses possibles implications nucléaires, l’accord semble porteur de conséquences régionales et internationales majeures. En réalité, une analyse précise révèle que l’Arabie saoudite ne bénéficiera pas nécessairement du parapluie nucléaire pakistanais
et que cet accord stratégique n’est pas aussi disruptif qu’annoncé.

Quel lien avec la frappe israélienne sur Doha ?

L’annonce intervient peu de temps après l’attaque illicite israélienne sur Doha, officiellement pour assassiner des cadres du Hamas, alors que le Qatar bénéficie d’un accord de défense avec les États-Unis, dont il héberge la plus grande base militaire au Moyen-Orient.

Il serait erroné de croire que l’accord saoudo-pakistanais a été initié par l’agression israélienne contre le Qatar, laissée impunie par les États-Unis, pourtant juridiquement engagés à protéger l’émirat : un pacte de défense mutuelle s’initie, se prépare et se matérialise en plusieurs années, et certainement pas en quelques jours.

En revanche, l’attaque israélienne et l’impunité qui s’en est suivie ont assurément accéléré le calendrier de l’annonce dudit accord stratégique, l’Arabie saoudite cherchant certainement à souligner une vérité politique ancienne mais peu connue : Riyad et Islamabad entretiennent une relation stratégique fournie, le Pakistan entraînant depuis plusieurs années déjà l’armée saoudienne, et recevant de la monarchie wahhabite différents soutiens financiers.

Il existe évidemment une proximité religieuse entre les deux États musulmans sunnites. À titre anecdotique, il peut être rappelé ici que les talibans afghans, d’obédience deobandi, école religieuse pakistanaise, avaient vu leur premier émirat reconnu internationalement par de très rares États, dont l’Arabie saoudite.

Cette annonce entre l’Arabie saoudite et le Pakistan vient ainsi mettre en lumière plusieurs dynamiques politiques pré-existantes, mais s’accélérant ostensiblement : la maîtrise de la technologie nucléaire civile et militaire fait l’objet d’une rude compétition au Moyen-Orient, région au sein de laquelle les blocs se reconfigurent.

Un accord nucléaire défensif, vraiment ?

La conclusion de l’accord de défense mutuel entre l’Arabie saoudite et le Pakistan est évidemment un événement majeur en soi pour la sécurité internationale, étant donné que le Pakistan possède l’arme nucléaire.

La doctrine nucléaire pakistanaise est de premier emploi, c’est-à-dire que, contrairement à la plupart des autres États nucléarisés, Islamabad se réserve le droit d’utiliser l’arme nucléaire en premier, et pas nécessairement en représailles face à une première attaque nucléaire. Il faut y ajouter que la formulation retenue à propos dudit accord rappelle clairement celle de l’article 5 du traité de Washington établissant l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), c’est-à-dire une clause d’assistance mutuelle et de défense collective. En d’autres termes, si le territoire saoudien est attaqué, même par des moyens conventionnels, le Pakistan peut en théorie employer l’arme nucléaire contre l’agresseur. C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé Ali Shihabi, présenté comme un analyste proche de la cour royale saoudienne.

Cependant, seul fait foi le verbe des autorités officielles des deux États, dont le communiqué officiel conjoint ne fait absolument pas mention de l’arme nucléaire pakistanaise. Plus largement, le contenu précis de l’accord n’a pas été révélé publiquement, ce qui tend à remettre en cause les analyses trop rapides selon lesquelles la bombe pakistanaise pourrait être utilisée au bénéfice de l’Arabie saoudite.

Le ministre pakistanais de la défense Khawaja Muhammad Asif, a toutefois affirmé que le programme nucléaire de son pays serait « mis à la disposition de l’Arabie saoudite en cas de besoin ». Nous sommes dans le flou sur ce que recouvre vraiment cette coopération nucléaire : sera-t-elle civile ou militaire ? Le volet précis est volontairement non précisé.

À ce stade, il apparaît donc que cet accord marque effectivement une nouvelle étape nucléaire pour l’Arabie saoudite, engagée dans cette voie depuis longtemps ; mais ce pacte de défense mutuelle n’est ni du même calibre que l’Otan ni une garantie militaire nucléaire pour Riyad.

Un approfondissement certain de la relation stratégique Riyad-Islamabad

Si, pour le moment, rien n’indique concrètement que la bombe nucléaire pakistanaise pourrait être utilisée en dehors de la seule défense du territoire national, il n’en reste pas moins que cet accord constitue une avancée majeure dans la relation bilatérale. L’Arabie saoudite marque clairement son souhait de diversifier ses partenariats stratégiques et de ne pas se reposer sur le seul partenaire américain.

Riyad, sans nécessairement s’éloigner de Washington, cherche à se rapprocher d’autres acteurs, asiatiques notamment. L’année 2025 a démontré que les États-Unis de Donald Trump alignaient leur politique moyen-orientale sur celle d’Israël : le président états-unien affirme régulièrement qu’en cas d’échec de la stabilisation à Gaza, le premier ministre israélien aura son plein soutien pour « finir le travail » ; Washington a attaqué l’Iran dans la foulée de l’agression illicite israélienne du vendredi 13 juin 2025 contre l’Iran, mais, nous l’avons dit, n’a pas réagi lorsque Tel-Aviv a aussi attaqué le Qatar, pourtant allié des États-Unis, Trump se contentant, trois semaines plus tard, de contraindre Nétanyahou à téléphoner en sa présence à l’émir du Qatar pour lui présenter ses excuses.

L’Arabie saoudite prend acte du fait que la Maison Blanche donne la priorité à un partenaire au détriment des autres. Elle se rappelle aussi que, lors de sa campagne électorale victorieuse de 2020, Joe Biden avait promis de faire du prince héritier Mohammed Ben Salmane un « paria » à la suite de l’assassinat en 2018 du journaliste saoudien Jamal Kashoggi, même s’il avait par la suite changé de position et s’était rendu à Riyad en 2022.

Pour autant, il ne faudrait pas voir une rupture complète dans la relation Washington-Riyad. Celle-ci s’inscrit toujours dans le strategic partnership unissant les deux États depuis le pacte de Quincy de 1945, basé sur une équation simple mais fondamentale : l’Arabie saoudite fournit du pétrole et achète massivement les équipements militaires américains (récemment encore, un contrat d’armement pour 142 milliards de dollars a été signé) ; en contrepartie, les États-Unis protègent l’Arabie saoudite et la monarchie wahhabite à sa tête.

Le Pakistan, quant à lui, renforce son statut de puissance militaire asiatique, mais aussi musulmane, tout en étant tracté vers le jeu moyen-oriental. L’accord peut aussi avoir pour effet de provoquer une embellie économique pakistanaise par des investissements saoudiens, la monarchie wahhabite étant accoutumée à l’équation « sécurité et armes contre financements et contrats ». Cette annonce de pacte de défense mutuelle permet également au Pakistan de réapparaître fort et protecteur par rapport à d’autres acteurs, quand sa propre situation sécuritaire est déjà particulièrement tendue.

Sur son flanc est, des combats sporadiques avaient éclaté en avril-mai 2025 avec le frère ennemi indien dans la région contestée du Jammu-et-Cachemire, faisant craindre le risque d’une guerre ouverte entre puissances nucléaires.




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À l’ouest, le Pakistan voit dorénavant son filleul taliban le combattre ouvertement, Kaboul et Islamabad se renvoyant la responsabilité des récents meurtriers affrontements transfrontaliers.

Et sur son flanc sud-ouest, le Pakistan sait que la région du Sistan-Baloutchistan, à cheval sur le sol iranien, est hautement inflammable d’un point de vue stratégique, Islamabad entretenant une relation ambivalente avec Téhéran.

L’instauration d’un nouvel ordre sécuritaire régional ?

L’annonce du nouveau partenariat stratégique entre l’Arabie saoudite et le Pakistan est indubitablement un événement majeur dans les dynamiques sécuritaires régionales et internationales, notamment pour les raisons susmentionnées. Nonobstant, cet accord confirme des dynamiques pré-existantes plus qu’il n’en crée et resserre des liens entre des acteurs qui collaboraient déjà dans les secteurs militaire et technologique. Il conforte un lien étroit entre puissances usuellement considérées comme « périphériques » et « intermédiaires », qui cherchent toutes deux à s’éloigner de l’hyperpuissance américaine, mais aussi de ses concurrents globaux (Chine et Russie).

Au-delà de cet accord bilatéral, il faudra suivre de près les perceptions et réactions de deux voisins : l’Iran pour l’Arabie saoudite, l’Inde pour le Pakistan. Téhéran et Riyad sont des rivaux pour l’hégémonie régionale et l’Iran ne saurait voir d’un bon œil un accord stratégique – surtout avec un versant nucléaire – entre deux États l’entourant, même si le président Pezeshkian a salué le pacte, le présentant comme le début de la mise en place d’« un système de sécurité régional ». L’Arabie saoudite doit également ménager son partenaire indien, qui goûte peu ce nouveau rapprochement de Riyad avec Islamabad.

Une puissance internationale peut clairement se réjouir d’un tel accord saoudo-pakistanais : la Chine. Pékin est le premier client du pétrole saoudien et le port pakistanais de Gwadar, dont il a acquis la propriété et où il prévoit d’installer des infrastructures militaires, est le premier point de sa stratégie dite du « collier de perles » qui vise à sécuriser ses approvisionnements énergétiques en provenance du golfe Persique. On l’aura compris : les États-Unis voient se bâtir de nouvelles reconfigurations ouest et sud-asiatiques sans eux, et confortant le rival chinois.

The Conversation

Kevan Gafaïti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Nouveau partenariat Arabie saoudite-Pakistan : quelles conséquences internationales ? – https://theconversation.com/nouveau-partenariat-arabie-saoudite-pakistan-quelles-conse-quences-internationales-267448

Vie chère dans les outre-mer : pourquoi l’interdiction des exclusivités d’importation est une fausse bonne idée

Source: The Conversation – France (in French) – By Florent Venayre, Professeur des universités en sciences économiques, Université de la Polynésie Française

En 2022, en Martinique, les prix sont en moyenne plus élevés de 13,8 % qu’en France hexagonale. Marc Bruxelle/Shutterstock

Contre la vie chère dans les territoires français ultra-marins, la loi Lurel interdit les contrats exclusifs de distribution entre une entreprise hexagonale exportatrice de produits et un importateur-distributeur situé dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer. Avec quelles réussites ?


En 2009, les « États généraux de l’outre-mer » font de la vie chère une priorité nationale. Trois ans plus tard, la loi Lurel instaure une mesure radicale : l’interdiction automatique – appelée « per se » – des droits exclusifs d’importation… sans avoir à prouver qu’ils sont anticoncurrentiels.

Présentée comme un outil pour briser des situations de monopole et faire baisser les prix, cette loi consiste à mettre fin à la possibilité, pour une marque, de confier à un seul importateur la distribution de ses produits dans un territoire ultra-marin. Un choix souvent adopté par les producteurs en outre-mer, puisque approvisionner ces îles au moyen de plusieurs importateurs peut multiplier de facto les coûts.

Applicable dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer (DROM-COM) – mais pas dans l’Hexagone –, elle inspire des législations similaires en Nouvelle-Calédonie et, un temps, en Polynésie française.

Notre analyse, fondée sur l’examen de douze années d’application de cette loi, montre que cette singularité française est injustifiée sur le plan économique. Elle génère en réalité des inefficacités qui vont à l’encontre de l’objectif affiché de compétitivité et de baisse des prix pour les consommateurs ultramarins.

Pratiques anticoncurrentielles verticales et horizontales

L’approche des droits exclusifs d’importation fait figure d’exception dans le paysage antitrust mondial. Partout ailleurs, les exclusivités territoriales sont analysées au cas par cas selon la « règle de raison » – un texte peut être contesté « dans un délai raisonnable » – qui évalue leurs effets proconcurrentiels et anticoncurrentiels.

En droit de la concurrence, le recours à l’interdiction per se est réservé aux pratiques dont les effets anticoncurrentiels sont quasi certains, et les effets bénéfiques quasi nuls. Il s’agit notamment des ententes conclues sur les prix entre entreprises concurrentes d’un même marché, ou entente horizontale.

Pour les accords concertés entre entreprises opérant à différents niveaux de la chaîne de production ou de distribution, ou entente verticale, la pensée économique a au contraire généralisé le recours à la règle de raison. Par exemple, les cosmétiques de luxe sont commercialisés en choisissant les distributeurs. Cette restriction verticale garantit aux parfumeurs la préservation de leur image de luxe.

Interdiction sans justification solide

L’interdiction des droits exclusifs d’importation ultra-marine a été décidée sans que la preuve de leur nocivité systématique n’ait été apportée. Aucune étude n’a démontré qu’elles avaient des effets globalement négatifs.

La loi prévoit théoriquement une exemption si une entreprise démontre les bénéfices économiques de l’exclusivité et le partage équitable des profits avec le consommateur. Dans les faits, cette démonstration s’avère impossible à réaliser, transformant cette présomption réfragable (qui peut être renversée par la preuve contraire) en une interdiction pure et dure. Aucune entreprise n’y est jamais parvenue, comme l’a encore confirmé une récente affaire concernant l’importation de champagne aux Antilles-Guyane.

Trois idées reçues qui brouillent le débat

Cette interdiction s’est construite sur une perception souvent erronée de la réalité des marchés ultramarins.

Notion abusive de « monopole »

Qualifier l’importateur exclusif d’une marque de « monopole » est économiquement incorrect et sémantiquement connoté. Un agent qui représente une marque sur un territoire n’en retire pas pour autant de façon automatique un pouvoir excessif sur le marché du produit en question. Il fournit un service de commercialisation et participe de facto à la concurrence avec les autres marques.

Cette situation n’est pas différente de celle d’un industriel comme Nestlé, qui implante sa propre filiale de distribution locale en outre-mer. Le groupe agroalimentaire suisse commercialise seul ses produits, c’est-à-dire qu’il procède lui-même à l’importation de ses produits dans les outre-mer et les revend ensuite aux distributeurs de détail (ce que l’on appelle le circuit intégré). Il n’est donc pas considéré comme un importateur exclusif, puisque cette logistique est réalisée au sein du groupe.

Pour la loi Lurel, ce circuit de distribution est légal. En revanche, une société qui, plutôt que d’implanter un représentant local, contracte avec une autre société (l’importateur exclusif) pour la commercialisation de son produit, se trouve à l’inverse sanctionnable.

Annihilation supposée de la concurrence intramarque

L’idée que l’exclusivité au stade grossiste tue toute concurrence entre détaillants pour les ventes de la même marque est contredite par les faits. En Polynésie française, on observe pour des produits très populaires, comme le Nutella, des écarts de prix allant jusqu’à 80 % entre différents détaillants ! Cela prouve une concurrence intramarque vive au niveau du détail, les commerces étant libres de fixer leurs prix.

L’exclusivité d’importation ne concerne généralement que le stade grossiste (et encore est-elle limitée par le recours possible aux centrales d’achat) et n’empêche pas la concurrence entre les nombreux points de vente.

Faiblesse présumée de la concurrence entre les marques

Il est souvent postulé que les marchés ultramarins, oligopolistiques, sont caractérisés par une faible concurrence intermarques. Si cela peut être vrai pour quelques produits particuliers, ce n’est pas le cas général. Dans les affaires sanctionnées, comme celle précitée du champagne, les autorités ont elles-mêmes reconnu l’existence d’une vive concurrence entre les marques.

Bilan coût-avantage négatif

L’interdiction exclusive, ou per se, génère plus de coûts que de bénéfices.

Les agents commerciaux des marques peuvent proposer dans les économies insulaires éloignées des services complémentaires qui évitent aux distributeurs de détail de les prendre en charge. Par exemple, ils assurent la logistique complexe – transport maritime, dédouanement, stockage –, ou adaptent les produits aux marchés locaux. La suppression de leur rôle risque de fragmenter les commandes, privant les distributeurs de remises sur volume.




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Si un distributeur peut bénéficier d’une exclusivité, il pourra plus facilement promouvoir sa marque. À l’inverse, interdire les exclusivités peut décourager l’entrée de nouvelles marques, et finalement restreindre le choix du consommateur. Les centrales d’achat métropolitaines, souvent présentées comme une alternative efficiente, opèrent une sélection de produits qui n’est pas toujours adaptée aux goûts et besoins locaux.

La mise en conformité est coûteuse et complexe pour les entreprises. La pratique des appels d’offres mis en place tous les deux ans pour choisir un importateur, encouragée par l’Autorité de la concurrence, précarise les relations fournisseurs/distributeurs et désincite à l’investissement à long terme. Après douze ans, aucun effet positif significatif sur le niveau général des prix n’a été documenté.

Pour un retour à la (règle de) raison

La décision politique de l’interdiction per se des exclusivités d’importation dans les outre-mer, ou loi Lurel, est une exception française, dont les fondements économiques sont fragiles et les résultats concrets décevants. Ni soutenue par les faits ni alignée sur les meilleures pratiques internationales, elle semble moins corriger des abus systématiques que créer de nouvelles inefficacités.

Plutôt que de renforcer une réglementation automatique et contre-productive, il serait plus judicieux de revenir à l’application de la règle de raison. Cela permettrait aux autorités de concurrence locales, qui en ont la capacité, de cibler leurs interventions sur les cas où des exclusivités auraient effectivement des effets anticoncurrentiels avérés, tout en préservant les nombreux avantages qu’elles procurent.

La lutte contre la vie chère mérite mieux que des solutions simplistes et idéologiques ; elle exige une analyse pragmatique et nuancée de la réalité économique des outre-mer. D’autres effets potentiels sur les prix devraient être étudiés : structure des coûts d’approche, impact de la lourdeur des réglementations, régulation inefficace des monopoles naturels, fiscalité douanière, mesures de protection des marchés, etc.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Vie chère dans les outre-mer : pourquoi l’interdiction des exclusivités d’importation est une fausse bonne idée – https://theconversation.com/vie-chere-dans-les-outre-mer-pourquoi-linterdiction-des-exclusivites-dimportation-est-une-fausse-bonne-idee-266077

Cancer du sein : comment sont remboursés les produits de soutien ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes, Auteurs historiques The Conversation France

Au début de l’année 2025, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté une loi ayant pour objectif d’aboutir au remboursement à 100 % par la Sécurité sociale de certains soins et dispositifs prescrits dans le cadre de la prise en charge du cancer du sein.


La loi n° 2025-106 du 5 février 2025 visant à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein par l’Assurance maladie a été promulguée, après son adoption par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Elle concerne pour l’heure les « actes de dermopigmentation », les « sous-vêtements adaptés au port de prothèses mammaires amovibles » et le « renouvellement des prothèses mammaires ». La loi prévoit également « un forfait finançant des soins et des dispositifs non remboursables présentant un caractère spécifique au traitement du cancer du sein et à ses suites, sur prescription médicale ».

Toutefois, pour en savoir plus sur la nature des autres soins et dispositifs susceptibles d’être remboursés, il faudra attendre le décret d’application, qui n’a pas encore été publié au moment où ces lignes sont écrites. La Haute Autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sont notamment consultées dans ce cadre.

Ce texte de loi nous amène à réfléchir à plusieurs sujets : la dermopigmentation et sa sécurité d’emploi, l’existence de produits hydratants susceptibles d’être prescrits et remboursés, ou encore l’importance des cosmétiques pour l’amélioration de la qualité de vie des patientes. Faisons le point.

« Soin de support » : de quoi s’agit-il ?

Utilisée depuis les années 1950 dans la littérature médicale, l’expression anglaise de « supportive cares » est souvent traduite improprement en français par le terme de « soins de support ». Il serait en effet plus juste d’employer le terme de « soins de soutien ».

Leur définition est précisée en 1994, grâce à la philosophe Margaret Fitch, qui les circonscrit à la cancérologie et les définit comme

« la prestation des services nécessaires aux personnes atteintes ou affectées par le cancer, pour répondre à leurs besoins informationnels, émotionnels, spirituels, sociaux ou physiques, pendant les phases de diagnostic, de traitement ou de suivi, englobant les questions de promotion de la santé et de prévention, de survie, de soins palliatifs et de deuil… »

Ce terme de « soins de support » sera repris par le président Jacques Chirac dans son plan Cancer de 2003, dont lesdits soins constitueront le point 42 des 70 mesures à mettre en place.

Dermopigmentation et remboursement

Le texte de loi évoque le remboursement des soins de « tatouage médical », dans le cadre de la chirurgie reconstructive du sein. Cette technique de tatouage, réalisée depuis 1975, a pour objectif de simuler l’aréole manquante à l’aide de pigments. Considérée comme sûre par le corps médical, elle est appréciée des bénéficiaires de manière générale.

Il serait utile, toutefois, de s’assurer de la qualité des encres utilisées. En effet, on trouve sur le marché des produits pouvant être contaminés par divers polluants susceptibles de compromettre la santé des utilisatrices : métaux lourds, hydrocarbures aromatiques polycycliques, amines aromatiques,formaldéhyde, etc.




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Quelles crèmes hydratantes rembourser ?

Si les crèmes hydratantes ne sont pas désignées explicitement en tant que soins de support, il est évident que ces crèmes, susceptibles de traiter le problème de la sécheresse cutanée, effet indésirable récurrent, sont bien concernées.

Les traitements par chimio et radiothérapies peuvent induire une sécheresse cutanée. Dans ce contexte, les crèmes hydratantes susceptibles de traiter ce problème sont des produits importants pour améliorer la qualité de vie des patientes. Cependant, elles ne sont pas désignées explicitement en tant que soins de support dans le texte de loi.

Par ailleurs, il est important de déterminer de quelles crèmes hydratantes il est question, car leur nature n’est pas sans conséquences sur leur remboursement. Faut-il plutôt les chercher dans le domaine cosmétique ou bien dans celui du médicament ?

À l’heure actuelle, une dizaine de spécialités médicamenteuses sont remboursées à hauteur de 15 %. Destinées à traiter la sécheresse cutanée dans le cadre de différentes pathologies (comme l’eczéma ou le psoriasis), elles sont de composition très simple, renfermant un trio de principes actifs : glycérol, vaseline, paraffine. Leur prix est modique, puisqu’il faut compter 2,51 € pour acquérir un tube de 250 grammes.

D’autres dispositifs médicaux à caractère hydratant sont également remboursables en cas de prescription, dans certaines indications. Pour pouvoir être remboursable, il faut que le fabricant du dispositif médical en question accomplisse la démarche de déposer un dossier auprès de la Haute Autorité de santé (plus précisément à la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, Cnedimts) et auprès du Comité économique des produits de santé (Ceps). Si le remboursement est agréé, alors, ledit dispositif médical pourra figurer sur la liste des produits et prestations remboursables (LPP).

À côté de ces différents dispositifs médicaux, il existe de très nombreux produits cosmétiques présentés comme hydratants ou émollients (capables d’amollir les tissus biologiques, les rendant plus souples). Ces derniers ne sont pas, pour l’heure, remboursés. Leur composition, très variable, devra être examinée avec soin, au cas par cas, afin d’éviter la présence de toute substance indésirable.

Pourquoi rembourser des vernis à ongles ?

Certains traitements du cancer du sein peuvent provoquer une altération de la plaque unguéale se traduisant par l’apparition de stries ou une modification de sa couleur. Afin de protéger les ongles des effets délétères de la chimiothérapie, qui peuvent entraîner leur chute, il est possible d’appliquer sur ceux-ci des vernis à ongles.

Les produits destinés à renforcer l’ongle peuvent donc être considérés comme des soins de support et, à ce titre, pourraient être remboursés.

Ces substances doivent être appliquées en deux couches successives. Pour renforcer leur efficacité, on peut d’abord couvrir l’ongle nu d’une couche de base, qui recevra le vernis, puis une couche de « top coat » sur ce dernier.

Des « thérapies par la beauté » ?

Certaines études ont mis en évidence le fait que les ateliers de maquillage, proposés par des socio-esthéticiennes (maquillage du teint, des yeux) permettent d’améliorer le bien-être et la qualité de vie des patientes. Cette « thérapie par la beauté » permet d’augmenter l’estime de soi, même chez les femmes qui ne semblent pas porter un intérêt particulier à leur apparence.

Ce moment est considéré comme une bulle apaisante par les femmes qui bénéficient de ces ateliers, lesquelles apprécient d’être traitées « comme une personne à part entière », et non plus comme une malade dont le corps est soumis à toutes sortes de protocoles curatifs.

Que changer, et jusqu’où aller ?

Proposer le remboursement des soins de support aux femmes souffrant d’un cancer du sein est une bonne chose. Cependant, la notion de soin de support est une notion vague et élastique, suffisamment étirable pour recouvrir toutes les pratiques qui permettent d’apporter un bénéfice à la patiente.

Cette loi, pour être appliquée correctement, va donc devoir faire la lumière sur les zones d’ombre qui existent encore, afin de ne proposer aux patientes que des produits sûrs et efficaces. Une crème hydratante remboursable ? Il en existe déjà. Des produits de maquillage des ongles ou du teint remboursables ? Il n’en existe pas encore, et il va falloir déterminer lesquels seront les plus bénéfiques pour les patientes.

Par ailleurs, une dernière question se pose : qu’en sera-t-il du remboursement des soins de support applicables aux patients atteints d’autres types de cancers ?

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Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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Une culture pour les gouverner tous ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Louise Colling, PhD candidate in organizational behavior, Université de Liège

Plus agiles, participatives, collaboratives, démocratiques… les organisations lâchent progressivement la bride hiérarchique pour gagner en résilience et pour répondre aux attentes des plus jeunes générations de travailleurs. Disparu le contrôle ? Pas vraiment. D’autres formes discrètes émergent dans ce contexte.


Le contrôle normatif prévoit l’autodiscipline des travailleurs baignés dans une culture organisationnelle forte et exigeante. Les travailleurs sont alors confrontés à ce contrôle impalpable, complexe, dont les conséquences sont mal appréhendées. Rétablir conscience et nuance autour de ce phénomène est essentiel pour la santé des collaborateurs et des organisations.

Le contrôle normatif, ce méconnu

Coffee corner, ambiance campus universitaire, buddy pour accueillir les nouveaux, codes vestimentaires et conversationnels décontractés, petit-déjeuners spécial valeurs, awards calqués sur les valeurs de l’entreprise, récit mythique de la fondation de l’entreprise… une culture d’entreprise « vibrante » est au cœur des stratégies pour attirer les meilleurs talents, assurer leur loyauté et leur engagement.

Dès les années 1960, la science en management définit le contrôle normatif comme un alignement spontané des comportements et actions des travailleurs sur la culture d’organisation. Soucieux de se montrer dignes des valeurs et idéaux de l’entreprise, les travailleurs donnent le meilleur d’eux-mêmes et agissent naturellement dans l’intérêt de l’organisation. C’est l’avènement de la motivation intrinsèque, de la fierté du travail bien fait et de l’appartenance à une organisation unique.




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Le contrôle normatif prend de l’ampleur avec la vague de flexibilisation et de libération des organisations. Quoi de mieux qu’un contrôle discret et spontané dans une organisation où le contrôle hiérarchique n’est plus légitime ? Prenons l’exemple des cabinets de conseils, réputés pour l’autonomie de leurs travailleurs, des équipes projet dites « agiles », une relation très fluide entre les collaborateurs, une ambiance décontractée. La culture organisationnelle d’excellence qui y est largement diffusée pousse pourtant les travailleurs à donner le meilleur d’eux-mêmes et viser l’hyper performance. Une autodiscipline bien plus efficace qu’un supérieur qui vérifie le travail par-dessus l’épaule.

Loyauté et engagement

« Culture eats strategy for breakfast », selon le théoricien Peter Drucker. La littérature managériale grand public loue la culture organisationnelle pour la loyauté et l’engagement qu’elle suscite chez les travailleurs. Les organisations déploient alors avec optimisme des pratiques relevant du contrôle normatif – ateliers valeurs, atmosphère ludique et familiale au bureau, engagement en faveur d’une cause sociétale.

La science en management se montre beaucoup plus sceptique, voire carrément hostile. Elle met en garde contre l’exploitation, l’uniformisation des employés et les dérives totalitaires du contrôle normatif. Alors, pour ou contre le contrôle normatif ? Bon ou mauvais ? Face à l’optimisme des livres de management et à la critique souvent cantonnée au champ académique, difficile pour les organisations de se faire une raison. Notre analyse de près de 80 articles et livres traitant du contrôle normatif vise à rétablir nuance et conscience. Elle aboutit à une liste d’opportunités et de menaces du contrôle normatif pour les organisations et leurs travailleurs.

Une source de sens, mais pas seulement

Le contrôle normatif est d’abord source de sens pour les travailleurs. En adhérant aux valeurs et idéaux de l’organisation, ces derniers ont le sentiment de se réaliser. L’individu qui a internalisé ces normes culturelles devient plus proactif, nécessite moins de supervision. Le partage d’une identité commune porte le collectif, avec une diminution des conflits.

Poussée par cet élan individuel et collectif, l’organisation est en meilleure capacité d’innover et de s’adapter aux changements. Dans ce contexte favorable, il est plus facile d’attirer et de garder des travailleurs motivés. Ces derniers communiquent leur enthousiasme auprès des clients, s’engagent plus personnellement dans les échanges avec eux et se montrent d’autant plus exemplaires qu’ils se sentent ambassadeurs d’une culture unique. Un phénomène illustré notamment chez Ikea, avec des employés tellement imprégnés de la culture familiale qu’ils en viennent à représenter et défendre l’entreprise auprès de leurs proches.

Mais ce sens, cet idéal fort soulèvent aussi des questions éthiques quand engagement rime avec exploitation. La frontière entre travail et vie privée s’efface, l’investissement est sans fin pour être digne de l’idéal organisationnel. Les travailleurs se dépassent quand ils le font pour « la grande famille des collègues », « un service d’exception au client », ou « une entreprise engagée pour la transition »…

Une résistance peu frontale

Apparaît alors une résistance certes peu frontale mais qui peut miner l’organisation à coups de sabotages, faux-semblants, cynisme, et finalement départs. Pour ceux qui n’ont pas la force de résister, les risques psychosociaux sont réels : stress, diminution de l’estime de soi, burn out. Les managers ne sont pas épargnés, la pression de l’exemplarité s’abat sur eux.

Une culture d’organisation trop uniforme et sacralisée peut aussi causer rigidité, manque de créativité et résistance au changement. Enfin, il faut également avoir à l’esprit les efforts conséquents en temps et en argent pour diffuser cette culture (événements sociaux, décoration des locaux, système de buddy, campagnes sur les valeurs, etc.).

Un contrôle à double tranchant

Le contrôle normatif déclenche ainsi un mix d’opportunités et de menaces qui dépend du contexte organisationnel et de chaque individu. Par exemple, il est illusoire de s’en remettre au contrôle normatif en espérant seulement améliorer l’engagement des collaborateurs, sans que cela augmente également les risques psychosociaux.

Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege) Médias, 2025.

Favoriser le contrôle normatif, c’est s’exposer à ces différentes opportunités et menaces, en même temps. C’est devoir naviguer entre ses différents paradoxes ; agilité et rigidité organisationnelle, engagement et résistance des travailleurs, relâchement et exemplarité managériale.

Adaptation à l’entreprise-tribu

Depuis quelques années, le contrôle normatif s’est adapté à l’engouement pour un travail toujours plus collaboratif, des environnements de travail communautaires (par exemple, le coworking). C’est l’organisation idéalisée comme une tribu. D’un côté, l’extase du dépassement de soi pour le collectif, les moments transcendants de partage avec les collègues. De l’autre, une porosité entre la vie privée et professionnelle toujours plus forte, la proximité et les émotions des collègues à gérer. Entre les deux, le yo-yo émotionnel. Si les références culturelles évoluent, le contrôle normatif reste à double tranchant.

En présence d’un contrôle normatif fort, les managers avisés peuvent renforcer le suivi des indicateurs psychosociaux, être attentifs aux discours trop dogmatiques qui mettent les équipes sous pression, veiller à ce que les voix dissonantes puissent continuer à s’exprimer. Les équipes des ressources humaines ont également un rôle clé à jouer pour qu’acculturation ne rime pas avec endoctrinement. Notamment dans les parcours d’onboarding, trouver un équilibre entre partage des repères culturels communs et valorisation des personnalités uniques de tout un chacun. Le rôle des cabinets de conseil doit aussi être encadré, pour éviter qu’ils ouvrent les vannes d’une culture organisationnelle super puissante. Les grands ateliers participatifs sur les valeurs et la culture organisationnelle ne sont pas anodins, ils enclenchent une dynamique normative. Et les consultants sont souvent repartis quand les effets négatifs du contrôle normatif se font sentir.

Être conscient du contrôle normatif et rester alerte sur ses dérives est plus que jamais d’actualité avec cette fausse impression que le contrôle se dilue dans des organisations toujours plus flexibles. Notre liste d’opportunités et de menaces du contrôle normatif peut constituer une boussole pour préserver les organisations et leurs travailleurs.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Une culture pour les gouverner tous ? – https://theconversation.com/une-culture-pour-les-gouverner-tous-265635

Échec de la fusion Kraft-Heinz. Les dix secrets des fusions qui réussissent

Source: The Conversation – France (in French) – By Ludivine Chalencon, Maître de conférences, finance et comptabilité, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

Début septembre 2025, dix ans après la création du cinquième groupe mondial de l’industrie agroalimentaire, le géant états-unien Kraft-Heinz, qui distribue notamment le célèbre ketchup Heinz ou le fromage à tartiner Philadelphia, annonce la scission de ses activités. Quelles sont les raisons de l’échec de cette mégafusion ? Et quels sont les secrets des fusions réussies ?


Dans un communiqué de presse publié le 2 septembre 2025, The Kraft Heinz Company (KHC) annonce son intention de se scinder en deux entités distinctes, pour mieux cibler ses priorités stratégiques, accélérer la croissance rentable et créer de la valeur pour ses actionnaires.

« Les marques de Kraft-Heinz sont emblématiques et aimées, mais la complexité de notre structure actuelle complique l’allocation efficace des capitaux, la priorisation des initiatives et le développement de nos activités les plus prometteuses », déclare Miguel Patricio, le PDG de Kraft-Heinz.

« En nous séparant en deux sociétés, nous pouvons allouer l’attention et les ressources nécessaires pour libérer le potentiel de chaque marque et ainsi améliorer la performance et créer de la valeur à long terme pour les actionnaires. »

C’est en 2015 que les deux groupes américains Kraft Foods et Heinz fusionnent pour former un nouveau géant mondial de l’industrie agroalimentaire, sous la houlette du fonds d’investissement brésilien 3G et de l’homme d’affaires Warren Buffet. Le montant de l’opération est estimé à 45 milliards de dollars, l’un des plus gros « deals » réalisés dans la période. L’objectif était de réaliser des économies et des synergies annuelles de 1,5 milliard de dollars.

Kraft-Heinz a perdu 62 % de sa valeur depuis sa création

Dix ans après, la fusion se révèle être un échec et les objectifs annoncés n’ont pas été réalisés. Les divergences sont nombreuses au sein du groupe qui a perdu 62 % de sa valeur en Bourse depuis sa création. Les activités du groupe vont être réparties entre deux entreprises : les deux nouvelles entités seront Global Taste Elevation Co., qui regroupera des marques emblématiques, telles que Heinz, Philadelphia et Kraft Mac & Cheese, et North American Grocery Co, qui réunira notamment Oscar Mayer, Kraft Singles et Lunchables. En 2024, les ventes de sauces et de pâtes à tartiner de Kraft-Heinz ont atteint environ 15,4 milliards de dollars (soit 13,15 milliards d’euros), tandis que celles des produits alimentaires transformés et des plats préparés se sont élevées à 10,4 milliards de dollars.

Les raisons de l’échec de cette mégafusion sont multiples. Il convient d’abord de rappeler que le mariage scellé en 2015 n’était pas égalitaire : 51 % du capital du nouveau groupe étaient détenus par les actionnaires de Heinz, dont le PDG était nommé PDG de Kraft-Heinz, et 49 % du capital étaient détenus par Kraft Foods.

Cette gouvernance déséquilibrée en faveur de Heinz a entraîné de nombreuses difficultés dans la réalisation du processus d’intégration et des objectifs fixés. A ces difficultés internes se rajoute un contexte défavorable qui est marqué par la hausse des matières premières dans l’industrie agroalimentaire et des changements profonds dans les comportements des consommateurs, en particulier américains, qui délaissent de plus en plus les produits ultratransformés pour de la nourriture plus saine.

Dix secrets pour réussir une fusion

Nos travaux de recherche, fondés sur des études qualitatives et quantitatives, permettent d’identifier 10 secrets relatifs à la préparation, au déploiement et à la performance des fusions qui réussissent :

Préparation de la fusion

Le déroulement d’une fusion est d’abord lié à la gouvernance qui doit être équilibrée sous la forme d’un « merger of equals ». L’équilibre au niveau de la gouvernance concerne à la fois la structure actionnariale et la composition des équipes dirigeantes (secret n° 1). La réussite dépend aussi de la complémentarité des activités et des marchés des entreprises qui décident de fusionner (secret n° 2).

Le processus d’intégration joue un rôle déterminant dans la réalisation d’une fusion. Le temps constitue un facteur clé et il est nécessaire d’établir un calendrier avec les différentes étapes du processus d’intégration, qui s’étale généralement sur une période allant de six à 24 mois (secret n° 3). Les dirigeants des entreprises associées doivent communiquer la vision stratégique et les différentes étapes de l’opération auprès de leurs salariés, de leurs actionnaires, de leurs clients et fournisseurs et du grand public (secret n° 4).

Déploiement de la fusion

Les différentes étapes du processus d’intégration doivent être gérées par des comités de pilotage et des groupes de travail mixtes, qui représentent de manière équilibrée les équipes des deux entreprises qui fusionnent (secret n° 5). Les équipes mixtes constituées doivent gérer l’intégration des pratiques et des processus en identifiant les best practices dans les deux entreprises (secret n° 6).

L’intégration des pratiques et des processus est uniquement possible si les équipes concernées acceptent et partagent les best practices identifiées dans chaque entreprise (secret n° 7). Elle est facilitée par la création d’une culture organisationnelle commune qui s’appuie sur les valeurs des entreprises associées (secret n° 8). Ces valeurs peuvent être liées aux différences culturelles entre les pays.

Performance de la fusion

Le processus d’intégration doit faciliter la réalisation d’économies et de synergies sur le long terme afin de permettre la croissance rentable, garant de la pérennité de la fusion (secret n° 9). Enfin, la réussite d’une fusion dépend d’une évolution favorable du marché et de l’environnement (secret n° 10). Dans cette perspective, il convient de rappeler que le contexte actuel est marqué par une forte instabilité politique et économique, qui est accentuée par la multiplication de crises et de conflits à l’échelle mondiale.

Les dix secrets de fusions qui réussissent que nous avons identifiés dans nos travaux de recherche concernent aussi bien des grands groupes que des PME, même si les petites entreprises sont moins actives dans ces opérations de croissance externe.

Les causes de l’échec de la fusion Kraft-Heinz

Notre analyse permet de mieux comprendre les raisons de l’échec de la mégafusion entre les groupes américains Heinz et Kraft Foods. Elle montre que l’échec de cette fusion est principalement lié à une gouvernance déséquilibrée, aux difficultés rencontrées dans le processus d’intégration, à la non-réalisation des économies et des synergies escomptées et à l’évolution défavorable du marché et de l’environnement.

Concrètement, le processus d’intégration a conduit à la suppression de 2 500 emplois aux États-Unis et au Canada, et la plupart des fonctions stratégiques ont été confiées aux anciens dirigeants de Heinz (10 postes sur 12). Ce contexte anxiogène a détérioré la confiance et la motivation des équipes et entraîné de nombreux départs de salariés. De plus, le processus d’intégration n’a pas abouti à une entité unifiée, l’organisation était encore fortement ancrée dans les structures opérationnelles d’avant la fusion.

La fusion s’est construite autour d’une stratégie de réduction des coûts, avec des coupes budgétaires significatives qui ont notamment impacté l’innovation et le marketing. Cette stratégie a eu pour conséquence de détériorer le climat social et de freiner l’adaptation des produits à l’évolution du marché. Pour autant, les économies de coût demeuraient insuffisantes au regard des objectifs fixés et dans un contexte d’augmentation du prix des matières premières.

Malgré leur grande popularité, les fusions d’entreprises restent des opérations complexes aux performances contrastées, comme en témoigne la scission du groupe Kraft-Heinz !

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Échec de la fusion Kraft-Heinz. Les dix secrets des fusions qui réussissent – https://theconversation.com/echec-de-la-fusion-kraft-heinz-les-dix-secrets-des-fusions-qui-reussissent-265105

En France, des outils existent pour relocaliser l’industrie, mais ils sont mal utilisés

Source: The Conversation – France (in French) – By Catherine Mercier-Suissa, Professeure des Universités en sciences économiques, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

L’État déploie des moyens financiers importants pour inciter les entreprises à rapatrier leur production. Mais l’accès à ces dispositifs reste complexe, leur efficacité difficile à mesurer et leurs effets parfois ambivalents, entre soutien réel, effets d’aubaine et stratégies opportunistes.


Depuis la pandémie de Covid-19, la nécessité de reconquérir une base industrielle est devenue une priorité politique. Les relocalisations industrielles apparaissent alors comme une mesure phare de la réindustrialisation. Pour encourager cette mesure, l’État déploie massivement une panoplie d’aides : subventions, appels à projets, dispositifs comme France Relance ou France 2030, favorisant la relocalisation. À cela s’ajoute la commande publique, présentée comme un levier d’entraînement et de soutien de la production locale. Mais quel est le degré d’accessibilité et d’efficacité réelle de ces soutiens ?

Des aides publiques massives mais difficilement accessibles

Celles-ci sont devenues l’instrument central de la politique de relocalisation. Pourtant, leur efficacité est difficile à évaluer. D’abord parce qu’accéder à ces aides n’est pas si facile pour les entreprises, notamment pour les plus petites. Nombre de ces dernières dénoncent une gestion administrative trop complexe, qui freine la sollicitation et l’accès auxdites aides.

Ces aides font parfois l’objet d’un détournement d’utilisation. En effet, certaines entreprises « chasseuses de prime » utilisent les aides disponibles dans les territoires sans s’installer durablement. Certaines aides peuvent être acquises par l’entreprise a posteriori, une fois que la relocalisation a bien été effectuée mais cela s’apparente alors à un « effet d’aubaine » et non comme un élément déterminant de la relocalisation. Certaines entreprises n’utilisent pas ces aides comme un soutien déclencheur de la relocalisation de leur activité, mais plutôt comme un accompagnateur.

La commande publique : un levier sous-exploité et peu conditionné

La commande publique représente environ 8 % du PIB en France. Privilégier le « Fabriquer en France » pour les achats publics permet à l’État de soutenir nombre d’entreprises et ainsi de participer à la réindustrialisation du pays.

La société Fil Rouge en est un bon exemple. Entreprise dans le secteur du textile, elle a notamment pu bénéficier de cette commande publique lors des Jeux olympiques (JO) de Paris 2024. L’entreprise a honoré une commande de Paris 2024, en collaboration avec d’autres entreprises de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : c’est elle qui a produit 100 000 tee-shirts pour les volontaires des JO.

La SNCF a fait de même. La PME de Villefranche-sur-Saône, Cepovette Safety, spécialisée dans le vêtement de protection, va fournir près de 280 000 vêtements à l’entreprise ferroviaire. Auparavant, ces produits étaient fabriqués à base de coton venu d’Asie. Dorénavant, ces nouveaux vêtements sont confectionnés à partir de lin français, ce qui vient souligner l’engagement de la SNCF pour l’environnement et la réindustrialisation du territoire. Cette initiative est réalisée en collaboration avec Terre de lin, premier producteur de lin mondial en Normandie et Tenthorey, tisseur français dans le Grand Est.

Les acheteurs publics ne mobilisent pas tous le levier de la commande publique, et font même parfois machine arrière. C’est le cas de l’armée française, qui confiera la confection de certains uniformes à Paul-Boyer Technologie, entreprise française délocalisée à Madagascar. Elle se fournissait auparavant auprès de l’entreprise Mark et Balsan, ce qui contraint cette dernière à fermer une de ses usines, qui comptait 66 employés à Calais. Cette décision a suscité de vives réactions ainsi qu’une certaine incompréhension.

De manière générale, la dépendance aux achats publics peut avoir de graves conséquences lorsque ceux-ci ralentissent. En 2024, Lucibel, entreprise spécialisée dans l’éclairage LED, en a fait les frais. Après des commandes régulières de la part des musées nationaux, ses principaux clients, pour leurs éclairages, tout a changé à l’approche des Jeux olympiques. Les subventions dont bénéficiaient les musées auraient été redirigées vers les JO, et les achats de la part des musées ont cessé cette même année pour Lucibel et ses éclairages LED.

Bien que les achats publics puissent jouer un rôle indéniable pour certaines entreprises, le recours à la commande publique comme outil de politique industrielle reste en grande partie marginal et encore à construire. L’ancien ministre Arnaud Montebourg met notamment en lumière une fragmentation des acheteurs publics entre les différents niveaux de collectivités. Il souligne la différence du nombre d’acheteurs publics avec l’Allemagne : 120 000 acheteurs publics en France, contre seulement 3 000 en Allemagne.

Centraliser les acheteurs publics et mettre en place une stratégie commune d’achat semble alors nécessaire, mais difficile à réaliser en France sans volonté politique, pour faire de la commande publique un véritable levier de la relocalisation.

Quelle stratégie industrielle derrière les outils ?

Au fond, la faiblesse principale de l’action publique réside moins dans ses moyens que dans leur mise en œuvre. L’État, comme les entreprises, peut prendre des dispositions afin de renforcer son efficacité.

Pour les entreprises, mettre en place une veille stratégique et intégrer les aides publiques en amont du projet permettraient de mieux les mobiliser lors d’une stratégie de relocalisation. Du côté des pouvoirs publics, simplifier l’accès aux aides et s’adapter aux besoins réels du terrain faciliteraient la coordination entre les pouvoirs publics et les entreprises, en répondant clairement à leurs besoins.

De plus, la mise en place d’un suivi des activités de l’entreprise qui prendrait en compte le taux de maintien de l’activité, le nombre d’emplois créés, la contribution à l’écosystème local, etc., reste encore marginale mais gagnerait à être implémentée à grande échelle. Sans aperçu concret des résultats, il reste compliqué d’évaluer le ciblage et l’efficacité des soutiens publics.


Les auteurs remercient Léa Peyriere (IAE Lyon) pour sa contribution à l’article.

The Conversation

Catherine Mercier-Suissa a reçu des financements de l’iaelyon pour ses travaux de recherche sur les relocalisations.

Daniel Suissa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. En France, des outils existent pour relocaliser l’industrie, mais ils sont mal utilisés – https://theconversation.com/en-france-des-outils-existent-pour-relocaliser-lindustrie-mais-ils-sont-mal-utilises-265128