« Je suis sorti et j’ai pleuré » : ce que le personnel des établissements pour personnes âgées dit de son chagrin lorsque des résidents décèdent

Source: The Conversation – in French – By Jennifer Tieman, Matthew Flinders Professor and Director of the Research Centre for Palliative Care, Death and Dying, Flinders University

Les expériences répétées de la mort peuvent entraîner un chagrin cumulatif. Maskot/Getty Images

Avec le vieillissement de la population, nous vivons plus longtemps et mourons plus âgés. Les soins de fin de vie occupent donc une place de plus en plus importante dans les soins aux personnes âgées. Au Canada, environ 30 % des personnes âgées de 85 ans et plus vivent dans un établissement de soins infirmiers ou une résidence pour personnes âgées, proportion qui augmente significativement avec l’âge avancé.

Mais qu’est-ce que cela signifie pour ceux qui travaillent dans le secteur des soins aux personnes âgées ? Des recherches suggèrent que le personnel soignant éprouve un type de deuil particulier lorsque les résidents décèdent. Cependant, leur chagrin passe souvent inaperçu et ils peuvent se retrouver sans soutien suffisant.


Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.


Nouer des relations au fil du temps

Le personnel des établissements de soins aux personnes âgées ne se contente pas d’aider les résidents à prendre leur douche ou leurs repas, il s’implique activement et tisse des liens avec eux.

Dans le cadre de nos propres recherches, nous avons discuté avec des membres du personnel soignant qui s’occupent de personnes âgées dans des établissements de soins et à leur domicile.

Le personnel soignant est conscient que bon nombre des personnes dont il s’occupe vont mourir et qu’il a un rôle à jouer pour les accompagner vers la fin de leur vie. Dans le cadre de leur travail, ils nouent souvent des relations enrichissantes et gratifiantes avec les personnes âgées dont ils s’occupent.

Par conséquent, le décès d’une personne âgée peut être source d’une profonde tristesse pour le personnel soignant. Comme l’une d’entre elles nous l’a confié :

Je sais que je pleure certains de ceux qui décèdent […] Vous passez du temps avec eux et vous les aimez.

Certains soignants que nous avons interrogés ont évoqué le fait d’être présents auprès des personnes âgées, de leur parler ou de leur tenir la main lorsqu’elles décèdent. D’autres ont expliqué qu’ils versaient des larmes pour la personne décédée, mais aussi en raison de leur perte, car ils connaissaient la personne âgée et avaient été impliqués dans sa vie.

Je pense que ce qui a aggravé les choses, c’est quand sa respiration est devenue très superficielle et que j’ai su qu’elle arrivait à la fin. Je suis sortie. Je lui ai dit que je sortais un instant. Je suis sortie et j’ai pleuré parce que j’aurais voulu pouvoir la sauver, mais je savais que je ne pouvais pas.

Parfois, le personnel soignant n’a pas l’occasion de dire au revoir, ou d’être reconnu comme quelqu’un qui avait subi une perte, même s’il a pris soin de la personne pendant plusieurs mois ou années. Une soignante pour personnes âgées a noté :

Si les gens meurent à l’hôpital, c’est un autre deuil. Parce qu’ils ne peuvent pas dire au revoir. Souvent, l’hôpital ne vous le dit pas.

Le personnel soignant doit souvent aider les familles et leurs proches à accepter la mort d’un parent, d’un proche ou d’un ami. Cela peut alourdir le fardeau émotionnel du personnel qui peut lui-même être en deuil.




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Chagrin cumulatif

Les expériences répétées de la mort peuvent entraîner un chagrin cumulatif et une tension émotionnelle. Si le personnel interrogé conférait un sens et une valeur à son travail, il trouvait également difficile d’être régulièrement confronté à la mort.

Un membre du personnel nous a confié qu’avec le temps, et après avoir été confronté à de nombreux décès, on peut « se sentir un peu robotisé. Parce qu’il faut devenir ainsi pour pouvoir gérer la situation ».

Les problèmes organisationnels tels que le manque de personnel ou la charge de travail élevée peuvent également exacerber ces sentiments d’épuisement et d’insatisfaction. Le personnel a souligné la nécessité de pouvoir compter sur du soutien pour faire face à cette situation.

Parfois, tout ce que vous voulez, c’est parler. Vous n’avez pas besoin que quelqu’un résolve quoi que ce soit pour vous. Vous voulez juste être écouté.


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Aider le personnel à gérer son chagrin

Les organismes de soins aux personnes âgées doivent prendre des mesures pour soutenir le bien-être de leur personnel, notamment en reconnaissant le deuil que beaucoup ressentent lorsque des personnes âgées décèdent.

Après le décès d’une personne âgée, offrir un soutien au personnel qui a travaillé en étroite collaboration avec cette personne et reconnaître les liens émotionnels qui existaient entre eux sont des moyens efficaces de reconnaître et de valider le deuil du personnel. Il suffit de demander au membre du personnel comment il va, ou de lui donner la possibilité de prendre le temps de faire le deuil de la personne décédée.




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Les lieux de travail devraient également encourager plus largement les pratiques d’autogestion de la santé, en promouvant des activités telles que les pauses programmées, les relations avec les collègues et la priorité accordée au temps de détente et aux activités physiques. Le personnel apprécie les lieux de travail qui encouragent, normalisent et soutiennent leurs pratiques d’autogestion de la santé.

Nous devons également réfléchir à la manière dont nous pouvons normaliser la capacité à parler de la mort et du processus de fin de vie au sein de nos familles et de nos communautés. La réticence à reconnaître la mort comme faisant partie de la vie peut alourdir le fardeau émotionnel du personnel, en particulier si les familles considèrent la mort comme un échec des soins prodigués.

À l’inverse, le personnel chargé des soins aux personnes âgées nous a maintes fois répété à quel point il était important pour lui de recevoir des commentaires positifs et la reconnaissance des familles. Comme l’a rappelé une soignante :

Nous avons eu un décès ce week-end. Il s’agissait d’un résident de très longue date. Et sa fille est venue spécialement ce matin pour me dire à quel point les soins prodigués avaient été fantastiques. Cela me réconforte, cela me confirme que ce que nous faisons est juste.

En tant que membres de familles et de communautés, nous devons reconnaître que les personnes soignantes sont particulièrement vulnérables au sentiment de deuil et de perte, car elles ont souvent noué des relations avec les personnes dont elles s’occupent au fil des mois ou des années. En soutenant le bien-être de ces travailleuses essentielles, nous les aidons à continuer à prendre soin de nous et de nos proches à mesure que nous vieillissons et que nous approchons de la fin de notre vie.

La Conversation Canada

Jennifer Tieman reçoit des financements du ministère de la Santé, du Handicap et du Vieillissement, du ministère de la Santé et du Bien-être (SA) et du Medical Research Future Fund. Des subventions de recherche spécifiques ainsi que des subventions nationales pour des projets tels que ELDAC, CareSearch et palliAGED ont permis la réalisation des recherches et des projets dont les résultats et les ressources sont présentés dans cet article. Jennifer est membre de divers comités et groupes consultatifs de projets, notamment le comité directeur d’Advance Care Planning Australia, le réseau IHACPA Aged Care Network et le groupe consultatif national d’experts de Palliative Care Australia.

Dr Priyanka Vandersman receives funding from Department of Health, Disability and Ageing. She is affiliated with Flinders University, End of Life Directions for Aged Care project. She is a Digital Health adviser for the Australian Digital Health Agency, and serves as committee member for the Nursing and Midwifery in Digital Health group within the Australian Institute of Digital Health, as well as Standards Australia’s MB-027 Ageing Societies committee.

ref. « Je suis sorti et j’ai pleuré » : ce que le personnel des établissements pour personnes âgées dit de son chagrin lorsque des résidents décèdent – https://theconversation.com/je-suis-sorti-et-jai-pleure-ce-que-le-personnel-des-etablissements-pour-personnes-agees-dit-de-son-chagrin-lorsque-des-residents-decedent-263502

Logement : les partis municipaux prisonniers de la logique du marché

Source: The Conversation – in French – By Renaud Goyer, Professeur, politiques et programmes sociaux, École de travail social, Université du Québec à Montréal (UQAM)

À quelques semaines des élections municipales, prévues le 3 novembre prochain, la question du logement s’impose comme l’un des enjeux centraux de la campagne au Québec. Dans un contexte de crise d’abordabilité et de hausse des expulsions, les partis municipaux rivalisent de promesses pour accroître l’offre de logements, mais leurs propositions restent souvent prisonnières d’une même logique : miser sur le marché pour résoudre une crise qu’il a contribué à créer.


Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et – tout particulièrement en cette année électorale – politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.


Un règlement inefficace

En 2005, bien avant même l’arrivée de Projet Montréal à la mairie, le conseil municipal (alors dirigé par Gérald Tremblay) adoptait une politique de construction de logements sociaux et abordables au sein des projets de développement privés, en misant sur la négociation avec les promoteurs immobiliers. À son arrivée, Projet Montréal a renforcé la politique en imposant l’inclusion de logements abordables, familiaux et/ou sociaux. Aujourd’hui, cette politique est jugée inefficace par l’ensemble des formations politiques, y compris celles qui en avaient été à l’origine.

En fait, tant la politique d’inclusion que le règlement pour une métropole mixte n’ont permis de construire des logements abordables, familiaux et/ou sociaux en nombre suffisant pour répondre aux besoins. Les promoteurs préfèrent, dans 97 % des cas, payer la maigre compensation prévue plutôt que de les bâtir : à peine 250 unités construites annuellement, alors que les mises en chantier représentaient au moins 20 fois plus d’unités.

Tous les partis formulent la même critique : la politique d’inclusion serait trop contraignante pour les promoteurs immobiliers, qui hésiteraient à lancer de nouveaux projets. Ce frein réglementaire aurait, selon eux, ralenti le développement. Or, les chiffres racontent une tout autre histoire : depuis l’adoption du règlement, Montréal a connu des années records de mises en chantier.

La prégnance de la politique de l’offre

En réalité, cette politique, tout comme les propositions électorales actuelles, repose sur une même idée : pour résoudre la crise du logement, il suffirait de construire davantage, peu importe le type de logements.

Dans cette optique, les partis reprennent la stratégie de la SCHL : faciliter la vie aux promoteurs en réduisant les barrières à la construction et la « paperasserie ». Projet Montréal, par exemple, a annoncé la désignation de zones « prêtes à bâtir » alors qu’Ensemble Montréal promet de construire 50 000 logements en cinq ans par l’accélération des procédures de permis.

Lorsqu’il est question de logements abordables ou sociaux, les intentions demeurent plus vagues. Tous souhaitent en accroître le nombre – sauf Action Montréal –, mais peu avancent des mesures concrètes. Les solutions proposées sont surtout financières : garanties municipales (Projet Montréal), fonds privé-public pour les OBNL pour élargir le spectre de l’offre (Futur Montréal), ou microcrédit pour protéger les locataires vulnérables (Ensemble Montréal). Ces approches révèlent une contradiction : on cherche à mobiliser les mécanismes du marché pour produire du logement… hors marché.

Cette logique n’est d’ailleurs pas nouvelle. Les anciennes politiques d’inclusion reposaient elles aussi sur la collaboration avec le secteur privé pour construire du logement social ou abordable. Or, ce modèle a contribué à marginaliser ce type d’unités dans le parc immobilier montréalais : la part des HLM, notamment, a reculé au cours des dix dernières années.




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Une crise à travers le prisme de l’itinérance

Pour la plupart des partis politiques, la crise actuelle n’est pas d’abord une crise du logement, mais une crise de l’itinérance. Cette dernière est bien réelle, bien sûr, mais elle sert trop souvent à détourner le regard du problème plus large : l’accès au logement pour l’ensemble de la population. Peu de propositions visent à loger le plus grand nombre ou à renforcer le parc de logements sociaux et abordables.


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Cette approche révèle un certain malaise politique. Les partis peinent à défendre le logement social sans recourir à la figure des personnes marginalisées ou non logées, présentées implicitement comme les « indésirables » de la ville qu’il faudrait soustraire à la vue. Les politiques de logement deviennent ainsi un outil de gestion de la visibilité de la pauvreté, plutôt qu’une réponse structurelle à la crise.

Ce glissement explique sans doute l’absence, dans la campagne actuelle, d’un débat sur la cohabitation urbaine, de la perspective des personnes non logées. Ce silence étonne, alors même que l’Office de consultation publique de Montréal a déposé un rapport sur la question cet été. Les commissaires y rappellent dans un premier temps que les enjeux de cohabitation découlent de la crise de logement et nourrissent la stigmatisation, l’exclusion et la criminalisation des personnes en situation d’itinérance. Dans un deuxième temps, ils interpellaient élus et candidats pour qu’ils exercent un leadership inclusif sur cette question.

La non-responsabilité comme modus operandi

Les élus municipaux ne prennent pas leurs responsabilités concernant la cohabitation, le logement et l’itinérance ; ils donnent l’impression que ce n’est pas de leur ressort et que la responsabilité revient plutôt à Québec ou à Ottawa.

Pourtant, tant en matière de logement que d’itinérance, le palier municipal peut agir. D’ailleurs, le parti Transition Montréal rappelle que la Ville a maintenant de nouveaux pouvoirs de taxation pour financer des initiatives en matière de logement – même si le parti reste vague sur la manière dont il entendrait les utiliser.

À l’instar de Vancouver en Colombie-Britannique, ou même de Montréal dans les années 1980, la Ville pourrait devenir maître d’œuvre de projets en matière de logement à travers une organisation qui existe déjà : la Société d’habitation de Montréal. Créée par la Ville, cette dernière possède 5000 logements hors marché et pourrait être mobilisée, avec un financement indexé, pour démarchandiser des logements existants ou construire de nouvelles unités.

Une telle démarche permettrait de diversifier les modes d’intervention, qui ont surtout reposé sur le privé et le marché au cours des 20 dernières années, et de confier au secteur communautaire la tâche de gérer la crise et d’y remédier. Au pire, elle permettrait d’ouvrir le débat sur le pouvoir des villes en matière de logement.

À quelques semaines du scrutin, le choix qui se profile est moins celui de la couleur politique que de la vision du rôle de la ville : simple facilitatrice du marché ou véritable maître d’œuvre du logement ?

La Conversation Canada

Renaud Goyer a reçu des financements Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Louis Gaudreau est chercheur-associé à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). Il reçoit présentement du financement du CRSH.

Léanne Tardif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Logement : les partis municipaux prisonniers de la logique du marché – https://theconversation.com/logement-les-partis-municipaux-prisonniers-de-la-logique-du-marche-268069

Connaissez-vous le DBA, ce diplôme qui peut vous aider à relever certains défis de l’entreprise ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Michel Kalika, Professeur émérite, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

Oubliez tous vos préjugés sur le doctorat. Différent d’un doctorat traditionnel, le Doctorate of business administration (DBA) peut apporter une aide aux entreprises. Précisions sur ce diplôme peu connu qui crée des ponts entre le monde des affaires et celui de la recherche.


Dans un contexte caractérisé par la multiplication des crises (géopolitiques, environnementales, économiques, sanitaires, etc.), les entreprises doivent remettre en cause leurs processus de décision et leurs business models. Pour cela, elles se heurtent à un obstacle : les connaissances passées des employés et des dirigeants sont frappées d’une obsolescence accélérée.

Un certain nombre de managers déjà titulaires de MBA ou de maîtrises, soit des programmes très professionnels mais sans le pas de côté indispensable à la réflexion et à l’action, s’engagent alors dans un parcours doctoral afin de trouver de nouvelles réponses. L’expérience acquise dans un secteur ou un métier permet en effet de prendre la mesure des changements en cours.




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Récemment, un manager membre du Comex d’une grande entreprise internationale du secteur électronique nous a contactés, sa direction lui ayant confié la mission de refondre les business models des différentes divisions pour les adapter au changement climatique inévitable.

Deux sous-questions se posent alors :

  • Un parcours doctoral est-il utile à un manager, et plus généralement à une organisation ?

  • Quel parcours doctoral choisir, entre doctorat traditionnel (sigle anglais, PhD) et Doctorate of Business Administration (DBA) ?

L’intérêt d’un doctorat

Concernant la première question, l’expérience des auteurs, qui ont dirigé ensemble plus d’une soixantaine de thèses de doctorat, ainsi que le récent Livre blanc « La recherche en Management au bénéfice des entreprises », qui présente le récit et les résultats d’une vingtaine de parcours doctoraux de managers en activité, apportent une réponse sans ambiguïté. Des managers ayant une expérience professionnelle significative peuvent bénéficier grandement d’une porte ouverte vers la performance en s’engageant dans une thèse de doctorat sur un sujet en lien avec leur pratique.

Le premier DBA a été créé en France en 1993 par GEM, et les programmes (environ une vingtaine aujourd’hui) se sont véritablement développés depuis une dizaine d’années. Les candidats viennent d’organisations, privées ou publiques. Ils occupent des fonctions très diverses, ils peuvent être consultants. Mais ils ont tous en commun d’être animés par un désir commun de prise de recul.

Cette démarche les autorise à prendre un recul utile par rapport aux routines organisationnelles. Par ailleurs, la possibilité de travailler en grande symbiose pendant plusieurs années avec des professeurs habilités à diriger des recherches est toujours fructueuse. De cette façon, il est possible d’associer expérience managériale, richesse du terrain et apport conceptuel et méthodologique des encadrants.

Une prise de recul sur l’expérience

La réponse à la deuxième question, celle du choix du format, suppose en préalable de clarifier les différences entre doctorat traditionnel et Doctorate of business administration, même si, bien évidemment, certaines caractéristiques les rapprochent. Au plan international, EQUAL (organisme international qui fédère AACSB, AMBA, EFMD et une vingtaine d’associations académiques) précise clairement l’existence de deux parcours doctoraux dans son document « Guidelines for Doctoral Programmes in Business and Management ».

Dans le domaine du management, le doctorat traditionnel concerne plutôt de jeunes chercheurs financés pour réaliser une thèse et intégrer ensuite à temps plein une institution d’enseignement supérieur (université ou école). Si, en revanche, l’objectif du doctorant est de prendre du recul sur son expérience, de la capitaliser en produisant des connaissances nouvelles utiles à son organisation ou à son secteur, tout en restant en activité, le DBA apparaît plus adapté.

L’organisation pédagogique diffère également : le doctorat suppose un travail à temps plein, alors que le DBA est conçu à temps partiel, compatible avec une activité professionnelle. Les deux parcours ont en commun de reposer sur une réflexion conceptuelle, de mobiliser la littérature existante, une méthodologie de recherche et une analyse de données de terrain. En revanche, ils diffèrent par l’objectif majeur de la thèse. Le doctorat traditionnel poursuit principalement une finalité conceptuelle et académique, matérialisée par des publications dans des revues scientifiques internationales en vue d’une carrière académique. Le DBA, quant à lui, trouve son importance dans la formulation de recommandations managériales et la création indispensable d’un impact organisationnel et sociétal.

Le rôle du directeur de thèse amendé

De plus, dans le doctorat traditionnel, le rôle du directeur de thèse est déterminant dans le choix du sujet, tandis que dans le DBA, c’est le doctorant-manager qui se présente avec son expérience, son sujet et son accès au terrain.

Fnege 2025.

Un autre élément de distinction est propre au contexte français : le doctorat est un diplôme national préparé au sein des Écoles Doctorales universitaires. Le DBA, créé par Harvard en 1953, reconnu internationalement par les organismes d’accréditation (AACSB, AMBA, EFMD), reste en France un diplôme d’établissement qu’il soit universitaire ou d’école.

Cela dit, les trajectoires ne sont pas toujours linéaires. Certains titulaires de doctorat en management rejoignent l’industrie, tandis que certains DBA s’orientent vers une carrière académique, soit en prolongeant leur DBA par un doctorat, soit en complétant leur parcours par des publications académiques.

Au regard de l’expérience internationale et nationale, le DBA peut contribuer très positivement à répondre aux défis actuels des organisations publiques et privées.

Une récente enquête auprès d’une soixantaine de diplômés 2023-2024 indique que les domaines d’impact les plus cités sont : transformation digitale (18 %), gestion du changement (15 %), planification stratégique (30 %), résolution de problèmes organisationnels (20 %). En effet, ce programme crée un pont entre deux mondes qui – on peut le regretter – s’ignorent trop souvent : celui de la recherche académique et celui des pratiques managériales.

Un pont existait déjà avec les thèses Cifre, mais celles-ci s’adressent à de jeunes diplômés, qui font leur thèse dans une entreprise que, bien souvent, ils découvrent, quand la thèse de DBA s’adresse au manager en DBA travaillant déjà dans l’entreprise qui est son terrain d’investigation.

The Conversation

Michel Kalika a créé le DBA a l université Paris Dauphine en 2008 et le DBA du Business Science Institute en 2012. Les deux co-auteurs ont coordonne le livre blanc de la Fnege sur le DBA .

Jean-Pierre Helfer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Connaissez-vous le DBA, ce diplôme qui peut vous aider à relever certains défis de l’entreprise ? – https://theconversation.com/connaissez-vous-le-dba-ce-diplome-qui-peut-vous-aider-a-relever-certains-defis-de-lentreprise-265098

Le cas Yuka : quand l’information sur les aliments convoque confiance, « empowerment » et gouvernance algorithmique

Source: The Conversation – France in French (3) – By Jean-Loup Richet, Maître de Conférences en Systèmes d’Information, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Portées par la popularité de Yuka ou d’Open Food Facts, les applications de scan alimentaire connaissent un réel engouement. Une étude analyse les ressorts du succès de ces outils numériques qui fournissent des informations nutritionnelles perçues comme plus indépendantes que celles présentes sur les emballages et délivrées soit par les pouvoirs publics (par exemple, l’échelle Nutri-Score) soit par les marques.


La confiance du public envers les autorités et les grands industriels de l’alimentaire s’érode, et un phénomène en témoigne : le succès fulgurant des applications de scan alimentaire. Ces outils numériques, tels que Yuka ou Open Food Facts, proposent une alternative aux étiquettes nutritionnelles officielles en évaluant les produits au moyen de données collaboratives ouvertes ; elles sont ainsi perçues comme plus indépendantes que les systèmes officiels.

Preuve de leur succès, on apprend à l’automne 2025 que l’application Yuka (créée en France en 2017, ndlr) est désormais plébiscitée aussi aux États-Unis. Robert Francis Kennedy Jr, le ministre de la santé de l’administration Trump, en serait un utilisateur revendiqué.

Une enquête autour des sources d’information nutritionnelle

La source de l’information apparaît essentielle à l’ère de la méfiance. C’est ce que confirme notre enquête publiée dans Psychology & Marketing. Dans une première phase exploratoire, 86 personnes ont été interrogées autour de leurs usages d’applications de scan alimentaire, ce qui nous a permis de confirmer l’engouement pour l’appli Yuka.

Nous avons ensuite mené une analyse quantitative du contenu de plus de 16 000 avis en ligne concernant spécifiquement Yuka et, enfin, mesuré l’effet de deux types de signaux nutritionnels (soit apposés sur le devant des emballages type Nutri-Score, soit obtenus à l’aide d’une application de scan des aliments comme Yuka).

Les résultats de notre enquête révèlent que 77 % des participants associent les labels nutritionnels officiels (comme le Nutri-Score) aux grands acteurs de l’industrie agroalimentaire, tandis qu’ils ne sont que 27 % à percevoir les applis de scan comme émanant de ces dominants.




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À noter que cette perception peut être éloignée de la réalité. Le Nutri-Score, par exemple, n’est pas affilié aux marques de la grande distribution. Il a été développé par le ministère français de la santé qui s’est appuyé sur les travaux d’une équipe de recherche publique ainsi que sur l’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

C’est quoi, le Nutri-Score ?

  • Le Nutri-Score est un logo apposé, sur la base du volontariat, sur l’emballage de produits alimentaires pour informer le consommateur sur leur qualité nutritionnelle.
  • L’évaluation s’appuie sur une échelle de cinq couleurs allant du vert foncé au orange foncé. Chaque couleur est associée à une lettre, de A à E.
  • La note est attribuée en fonction des nutriments et aliments à favoriser dans le produit pour leurs qualités nutritionnelles (fibres, protéines, fruits, légumes, légumes secs) et de ceux à éviter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel et édulcorants pour les boissons).

De son côté, la base de données Open Food Facts (créée en France en 2012, ndlr) apparaît comme un projet collaboratif avec, aux manettes, une association à but non lucratif. Quant à l’application Yuka, elle a été créée par une start-up.

Des applis nutritionnelles perçues comme plus indépendantes

Ces applications sont vues comme liées à de plus petites entités qui, de ce fait, apparaissent comme plus indépendantes. Cette différence de perception de la source engendre un véritable fossé de confiance entre les deux types de signaux. Les consommateurs les plus défiants se montrent plus enclins à se fier à une application indépendante qu’à une étiquette apposée par l’industrie ou par le gouvernement (Nutri-Score), accordant ainsi un avantage de confiance aux premières.

Ce phénomène, comparable à un effet « David contre Goliath », illustre la manière dont la défiance envers, à la fois, les autorités publiques et les grandes entreprises alimente le succès de solutions perçues comme plus neutres. Plus largement, dans un climat où rumeurs et désinformation prospèrent, beaucoup préfèrent la transparence perçue d’une application citoyenne aux communications officielles.

Dimension participative et « volet militant »

Outre la question de la confiance, l’attrait des applications de scan tient aussi à l’empowerment ou empouvoirement (autonomisation) qu’elles procurent aux utilisateurs. L’empowerment du consommateur se traduit par un sentiment accru de contrôle, une meilleure compréhension de son environnement et une participation plus active aux décisions. En scannant un produit pour obtenir instantanément une évaluation, le citoyen reprend la main sur son alimentation au lieu de subir passivement l’information fournie par le fabricant.

Cette dimension participative a même un volet qui apparaît militant : Yuka, par exemple, est souvent présentée comme l’arme du « petit consommateur » contre le « géant agro-industriel ». Ce faisant, les applications de scan contribuent à autonomiser les consommateurs qui peuvent ainsi défier les messages marketing et exiger des comptes sur la qualité des produits.

Des questions de gouvernance algorithmique

Néanmoins, cet empowerment s’accompagne de nouvelles questions de gouvernance algorithmique. En effet, le pouvoir d’évaluer les produits bascule des acteurs traditionnels vers ces plateformes et leurs algorithmes. Qui définit les critères du score nutritionnel ? Quelle transparence sur la méthode de calcul ? Ces applications concentrent un pouvoir informationnel grandissant : elles peuvent, d’un simple score, influer sur l’image d’une marque, notamment celles à la notoriété modeste qui ne peuvent contrer une mauvaise note nutritionnelle.

Garantir la sécurité et l’intégrité de l’information qu’elles fournissent devient dès lors un enjeu essentiel. À mesure que le public place sa confiance dans ces nouveaux outils, il importe de s’assurer que leurs algorithmes restent fiables, impartiaux et responsables. Faute de quoi, l’espoir d’une consommation mieux informée pourrait être trahi par un excès de pouvoir technologique non contrôlé.

À titre d’exemple, l’algorithme sur lequel s’appuie le Nutri-Score est réévalué en fonction de l’avancée des connaissances sur l’effet sanitaire de certains nutriments et ce, en toute transparence. En mars 2025, une nouvelle version de cet algorithme Nutri-Score est ainsi entrée en vigueur.

La montée en puissance des applications de scan alimentaire est le reflet d’une perte de confiance envers les institutions, mais aussi d’une aspiration à une information plus transparente et participative. Loin d’être de simples gadgets, ces applis peuvent servir de complément utile aux politiques de santé publique (et non s’y substituer !) pour reconstruire la confiance avec le consommateur.

En redonnant du pouvoir au citoyen tout en encadrant rigoureusement la fiabilité des algorithmes, il est possible de conjuguer innovation numérique et intérêt général. Réconcilier information indépendante et gouvernance responsable jouera un rôle clé pour que, demain, confiance et choix éclairés aillent de pair.

The Conversation

Marie-Eve Laporte a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Béatrice Parguel, Camille Cornudet, Fabienne Berger-Remy et Jean-Loup Richet ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Le cas Yuka : quand l’information sur les aliments convoque confiance, « empowerment » et gouvernance algorithmique – https://theconversation.com/le-cas-yuka-quand-linformation-sur-les-aliments-convoque-confiance-empowerment-et-gouvernance-algorithmique-267489

L’opéra, carte sonore du monde

Source: The Conversation – France (in French) – By Frédéric Lamantia, Docteur en géographie et maître de conférences, UCLy (Lyon Catholic University)

L’opéra de Dubaï (Émirats arabes unis), posé sur l’eau, dans le quartier de Downtown, dont le design évoque la forme d’un _dhow_, navire traditionnel de la mer d’Arabie. Denys Gromov/Pexels, CC BY

En fonction des lieux où il se réinvente, l’opéra nous offre une véritable cartographie sonore du monde – un espace où s’entremêlent héritages, innovations et enjeux territoriaux, attirant des publics diversifiés. Loin du berceau européen, les scènes lyriques deviennent des plateformes de dialogue culturel et des vitrines stratégiques pour les États et les villes, en Asie comme au Moyen-Orient.

À travers cette lecture géopolitique et sensible de l’opéra, Frédéric Lamantia questionne les notions de patrimoine, de pouvoir et d’identité culturelle.

Retrouvez ci-dessous tous les articles de cette série !


L’art lyrique, un marqueur géographique de l’identité culturelle européenne

L’opéra au Moyen-Orient, vitrine culturelle et outil de soft power

Algérie, Tunisie, Maroc : Comment l’opéra est passé d’un héritage colonial à un outil diplomatique

L’opéra en Asie : entre héritage colonial, soft power et appropriation locale

The Conversation

Frédéric Lamantia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’opéra, carte sonore du monde – https://theconversation.com/lopera-carte-sonore-du-monde-267056

L’industrie automobile européenne face à la guerre en Ukraine

Source: The Conversation – in French – By Prieto Marc, Professeur-HDR, directeur de l’Institut ESSCA "Transports & Mobilités Durables", ESSCA School of Management

Avec la guerre en Ukraine, la rupture des chaînes d’approvisionnement de l’industrie automobile européenne a conduit à l’arrêt de plusieurs usines d’assemblage en Allemagne. servickuz/Shutterstock

Depuis 2022, la guerre en Ukraine a conduit le secteur automobile à revoir ses chaînes de valeur en gérant de nouveaux risques. Les constructeurs européens de véhicules cherchent à ajuster leur organisation toyotiste, dite « au plus juste », en acceptant de recréer des stocks, d’intégrer verticalement certains partenaires stratégiques et de repenser la localisation des productions.


Au-delà du drame humain, le conflit en Ukraine a obligé les industriels européens de l’automobile à ajuster leurs chaînes de valeurs et à repenser la localisation de leurs activités. Dans un article publié en 2022 dans la Revue d’économie financière, nous analysions les déflagrations et recompositions économiques de ce conflit à travers la situation délicate de l’industrie automobile européenne à l’aube de la guerre.

Déjà soumis à la pénurie des semi-conducteurs et la pandémie de Covid-19, les constructeurs et les équipementiers automobiles ont dû engager, en à peine quelques mois, des reconfigurations de leurs chaînes de valeurs. Les modèles de production ont alors été revus, en particulier par ceux inspirés du « juste à temps ». Au-delà de l’abandon du marché russe ceux d’entre eux qui s’y étaient engagés tels que Renault-Nissan, Volkswagen, ou Michelin, les orientations stratégiques ont été profondément remises en question.

Avec quelles réussites ?

Chaînes de valeur déjà en tension avant le conflit

Le 24 février 2022, le conflit en Ukraine éclate tandis que le secteur automobile européen peine à digérer les deux crises du Covid-19 et de la pénurie des semi-conducteurs. Le conflit précipite le secteur dans une rupture de chaînes de valeurs du fait de l’effondrement du marché russe couplé à l’atonie des marchés européens.

Au cours des premiers mois de la guerre, le marché russe s’est effondré de 85 %. Le marché ukrainien, certes plus petit, mais stratégiquement important pour certains fournisseurs, a vu ses immatriculations chuter de plus de 90 %. La rupture des chaînes d’approvisionnement a conduit à l’arrêt de plusieurs usines d’assemblage comme en Allemagne pour Volkswagen à Zwickau et à Dresde en mars 2022. La vulnérabilité du modèle de production lean est apparue au grand jour. Conçu pour réduire les stocks et les coûts, le modèle semble peu adapté à un monde devenu bien plus fragmenté, exposé à des événements géopolitiques extrêmes.

La transition vers une mobilité décarbonée oblige les acteurs à se tourner vers le tout électrique nécessitant métaux et terres rares. Cette transition complique la tâche des industries européennes, puisque la Russie est un acteur majeur dans l’exportation de métaux essentiels à la fabrication de moteurs, de catalyseurs et de batteries, comme l’aluminium, le nickel ou encore le palladium. Le prix de ces matériaux a ainsi bondi entre 2020 et 2022 ce qui a contribué à l’inflation des prix des véhicules.

Indices des prix des matières premières 2019-2022.
INSEE

Régionalisation accrue de la production automobile

Le retrait du marché russe par les marques européennes a laissé la place aux acteurs chinois qui ont vu leurs parts de marché progresser depuis 2022. Grâce aux « nouvelles routes de la soie », qui renforcent les liens logistiques entre Moscou et Pékin, des constructeurs comme Geely ou Haval ont été parmi les premiers à se positionner pour approvisionner le marché russe.

Au-delà des risques de sanctions pour Pékin, cette stratégie illustre comment la géopolitique redessine les équilibres industriels à l’échelle mondiale.

La guerre en Ukraine a amené les constructeurs à modifier leurs priorités, puisque la logique de gestion des risques est alors devenue primordiale devant l’efficacité économique. La révision des chaînes de valeur a amené les constructeurs à diversifier leurs fournisseurs et internaliser davantage d’étapes de production. Il s’agit du rachat ou de la prise de participation dans les entreprises qui fabriquent certains composants devenus stratégiques – on parle alors d’intégration verticale puisque les constructeurs absorbent des entreprises qui interviennent en amont du processus de production des véhicules. Ces derniers ont également dû accepter les coûts liés au maintien de stocks stratégiques. La proximité géographique et la fiabilité des partenaires sont apparues tout aussi importantes que le prix.

Pour limiter les risques, l’industrie automobile européenne cherche dès lors à sécuriser l’accès aux matières premières critiques et à réduire sa dépendance vis-à-vis de régions politiquement instables. La régionalisation accrue de la production s’impose.

Relance des volumes en Europe à travers davantage de petits véhicules abordables

La sécurisation des approvisionnements s’avère particulièrement ardue dans la transition énergétique qui s’annonce.

L’électrification de la filière automobile crée de nouvelles fragilités. Pourquoi ? Parce qu’elle requiert une quantité accrue de semi-conducteurs et de minéraux rares, comme le lithium et le cobalt. Les tensions géopolitiques autour de Taïwan, premier fabricant mondial de puces électroniques, ou dans la région du Sahel, stratégique pour l’approvisionnement en uranium et autres ressources, pourraient provoquer de nouvelles crises d’approvisionnement.

Cette contrainte oblige l’Europe à trouver des voies possibles pour une sécurité économique permettant à toute la filière automobile de continuer de restructurer ses activités sans compromettre sa compétitivité.

Jusqu’à récemment, le secteur semblait relever ce défi en misant sur une stratégie industrielle axée sur la réduction des volumes de production, tout en élargissant les gammes de modèles et en augmentant les prix, notamment grâce aux SUV électrifiés (hybrides rechargeables et véhicules électriques à batterie) et à la montée en gamme (ou « premiumisation » des ventes). L’atonie des ventes observée depuis 2024 remet en cause cette stratégie.

La relance des ventes pourrait venir d’une offre de véhicules électriques plus petits et abordables, afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone du parc automobile européen d’ici 2050. Fabriqués sur le territoire européen, ces véhicules devront aussi répondre à des exigences légitimes de contenu local. Ce retour à des petits modèles compacts, qui sont dans l’ADN des marques européennes, apparaît comme une condition indispensable pour préserver l’indépendance industrielle du continent et maintenir les emplois dans le secteur.

The Conversation

Prieto Marc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’industrie automobile européenne face à la guerre en Ukraine – https://theconversation.com/lindustrie-automobile-europeenne-face-a-la-guerre-en-ukraine-266697

Et si nos croyances pouvaient façonner notre intelligence ?

Source: The Conversation – in French – By Laurence Picard, Maître de conférences en psychologie, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Les croyances que l’on entretient sur l’intelligence modèlent nos manières d’apprendre, avec des conséquences directes sur la réussite scolaire. Un constat de la recherche qui invite à développer plus d’actions pour « apprendre à apprendre » aux élèves.


Être imbattable à la console, réussir une pavlova ou jongler avec trois balles : rien de tout cela n’arrive du premier coup, évidemment ! Tout le monde sait qu’il faut s’entraîner, échouer, recommencer encore et encore, et s’inspirer des conseils de personnes plus expérimentées. Cela nous paraît évident dans ces domaines, du sport à la cuisine… mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de nos capacités intellectuelles.

Qui n’a jamais entendu un élève affirmer qu’il n’est pas « fait pour l’école », ou, à l’inverse, qu’une matière « est faite pour lui », comme si ses aptitudes étaient fixées une fois pour toutes dès la naissance ?

Notre intelligence serait-elle donc la seule compétence qui résiste à l’entraînement et à l’apprentissage ? Assurément pas. Et pourtant, les croyances sur ce sujet restent très répandues, avec des effets bien réels sur la motivation et la réussite scolaire.

Deux manières de concevoir l’intelligence

Depuis une trentaine d’années, les recherches en psychologie ont montré que deux conceptions de l’intelligence coexistent dans la société. La première, dite fixe, repose sur l’idée que l’intelligence est un don naturel, une capacité innée que l’on possède – ou non – à la naissance, et qu’il serait impossible de faire évoluer.

Les personnes qui adhèrent à cette conception perçoivent les situations d’apprentissage comme des évaluations de leur valeur. Elles cherchent avant tout à prouver leurs compétences et se concentrent sur les bons résultats. De ce fait, elles évitent les situations à risque d’échec, puisque l’échec est alors interprété comme la preuve d’un manque de compétence – perçu comme définitif. C’est pourtant dommage : en privilégiant les tâches qu’elles maîtrisent déjà, elles se privent de précieuses occasions d’apprendre et de progresser.

Dans un autre registre, imaginez si Meryl Streep avait renoncé après qu’on lui eut dit, lors d’une audition pour King Kong, qu’elle n’avait pas un physique de cinéma : elle se serait alors privée de devenir l’une des plus grandes actrices de sa génération. De la même manière, un élève persuadé qu’il n’est « pas fait pour les maths » aura tendance à éviter cette matière – et, en s’y exposant moins, progressera moins, confirmant ainsi sa croyance initiale.

La seconde conception de l’intelligence, dite malléable, propose une vision plus dynamique de nos capacités. Elle repose sur l’idée que, quelles que soient nos compétences initiales, nous pouvons toujours les développer grâce à l’effort, à la persévérance et à l’adoption de stratégies efficaces. Les personnes qui partagent cette vision recherchent les situations qui leur permettent de progresser, même si elles comportent un risque d’échec. Pour elles, l’échec n’est pas une preuve d’incompétence, mais une occasion d’apprendre : les erreurs font partie du processus, car elles indiquent ce qu’il reste à améliorer et soulignent le chemin parcouru.

Loin d’être un simple détail, notre conception de l’intelligence est susceptible d’influencer profondément notre manière d’apprendre, d’enseigner et, plus largement, de réussir à l’école.

Quand les croyances influencent les comportements scolaires

Depuis trente ans, la question des conceptions de l’intelligence a donné lieu à une abondante littérature scientifique, permettant d’évaluer précisément l’impact de ces croyances sur nos comportements et nos performances. Par exemple, en synthétisant les résultats d’études menées auprès de plus de 400 000 personnes, des chercheuses ont montré que plus les apprenants avaient une conception malléable de l’intelligence, meilleures étaient leurs performances scolaires.

Puisque les croyances influencent la motivation et la réussite, que se passerait-il si l’on parvenait à convaincre les apprenants que leurs capacités peuvent évoluer ?

Pour le savoir, des chercheurs ont mené des études interventionnelles visant à modifier les conceptions de l’intelligence, puis ont mesuré l’impact sur la motivation et les résultats scolaires. Concrètement, ils intervenaient dans les classes pour présenter les notions de plasticité cérébrale, le rôle constructif des erreurs, ou encore des exemples de personnalités ayant réussi grâce à leurs efforts et leur persévérance.

Les résultats sont très encourageants : de telles interventions permettent aux élèves – en particulier ceux issus de milieux défavorisés ou à risque de décrochage – de faire évoluer leur conception de l’intelligence, de renforcer leur motivation et d’améliorer leurs performances.

Restons toutefois prudents : ces effets, bien que réels, restent d’amplitude modestes, surtout lorsque les interventions ne s’accompagnent pas d’un apprentissage explicite de stratégies permettant d’investir efficacement ses efforts.

Apprendre à mieux apprendre

Et si la clé n’était pas seulement d’aider les élèves à concevoir l’intelligence comme une capacité malléable, mais aussi de leur apprendre à apprendre – pour que leurs efforts soient dirigés vers les bonnes stratégies ? C’est ce que nous avons testé dans une étude récemment publiée dans le Journal of Educational Psychology.

Spoiler : de courtes interventions en classe permettent bel et bien de modifier les croyances et de promouvoir l’adhésion à une conception malléable de l’intelligence et l’utilisation de stratégies de mémorisation efficaces.

Nous avons rencontré des élèves de CM1 et CM2 de l’académie de Besançon (Doubs). Pendant quatre semaines, tous ont participé à des séances pédagogiques d’une heure animées par un chercheur. Les élèves avaient été répartis aléatoirement en deux groupes. Dans le premier, dit groupe expérimental, les élèves travaillaient sur la malléabilité de l’intelligence, la plasticité cérébrale et découvraient des stratégies de mémorisation efficaces. Dans le second, dit groupe contrôle, ils participaient à des séances de science sans lien avec la motivation ou l’apprentissage (par exemple, sur la thermorégulation chez les animaux).

Avant et après les interventions, nous avons recueilli les conceptions de l’intelligence des élèves à l’aide d’un questionnaire, et testé leurs performances de mémoire. Les résultats sont clairs : après l’intervention, les enfants du groupe expérimental, et uniquement ceux-ci, étaient plus convaincus que l’intelligence se développe grâce aux efforts, utilisaient de meilleures stratégies pour apprendre… et obtenaient de meilleurs scores aux tâches de mémoire.

Oui, il est possible – et utile – de mener des interventions en classe pour aider les élèves à comprendre que l’intelligence se développe grâce aux efforts. Mais pour qu’elles soient pleinement bénéfiques, ces interventions doivent aussi fournir des outils concrets pour apprendre plus efficacement.

Ce changement de regard ne peut toutefois pas reposer uniquement sur les enfants : parents et enseignants jouent un rôle essentiel dans la manière dont ils valorisent l’effort, les erreurs et les progrès. Les études récentes montrent d’ailleurs que les programmes qui associent également les enseignants ont un impact plus durable sur la motivation et la réussite scolaire. En somme, changer les croyances sur l’intelligence, c’est l’affaire de tous !


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Laurence Picard a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche, de la Fondation de France, de la région Bourgogne Franche-Comté.

Anais Racca a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Marie Mazerolle a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de la Fondation de France, de la Région Bourgogne Franche-Comté.

Rémi Dorgnier a reçu des financements de la région Bourgogne Franche-Comté.

ref. Et si nos croyances pouvaient façonner notre intelligence ? – https://theconversation.com/et-si-nos-croyances-pouvaient-faconner-notre-intelligence-266398

Octobre rose : et si on parlait aussi du dépistage chez les femmes atteintes d’une maladie chronique, comme la sclérose en plaques ?

Source: The Conversation – in French – By Emmanuelle Leray, Directrice de recherche Inserm en épidémiologie, École des hautes études en santé publique (EHESP)

En France, moins d’une femme sur deux éligibles au dépistage du cancer du sein a recours au dispositif de prévention mis en place par l’Assurance maladie. « Octobre rose » est l’occasion d’alerter sur les obstacles au dépistage pour celles qui vivent avec une maladie chronique et/ou en situation de handicap. Une étude analyse ainsi les difficultés rencontrées par les femmes atteintes d’une sclérose en plaques.


Le dépistage du cancer du sein est un geste plutôt simple, gratuit dans notre pays et qui permet de sauver des vies.

Pourtant, certaines femmes – celles qui ont déjà une maladie chronique comme la sclérose en plaques, par exemple – y ont moins recours. Parce que ce diagnostic prend toute la place. Parce que des obstacles de différentes natures peuvent s’accumuler et les empêcher de réaliser la mammographie alors qu’elles le souhaiteraient. Aussi peut-être parce qu’on en parle moins, voire qu’on leur en parle moins souvent.

Alors aujourd’hui, rappelons que la prévention, c’est l’affaire de toutes.

Octobre rose : un mois pour sensibiliser au dépistage du cancer du sein

Chaque année, Octobre rose met en lumière la lutte contre le cancer du sein. En France, depuis 2004, dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein, les femmes de 50 ans à 74 ans sont invitées par l’Assurance maladie à réaliser une mammographie (radiographie des seins qui utilise des rayons X à faible dose) tous les deux ans, gratuitement et sans ordonnance. Pourtant, moins de la moitié des femmes éligibles y participent, d’après les chiffres de Santé publique France.

S’informer sur les dépistages des cancers

  • Sur le site « Jefaismondepistage.cancer.fr », vous trouverez toutes les informations pratiques sur les dépistages du cancer du sein, du col de l’utérus et du cancer colorectal.

Pourquoi se faire dépister ? Parce que plus un cancer du sein est détecté tôt, mieux il se soigne et se guérit. La décision de se faire dépister ou non est une décision individuelle qui appartient à chaque femme et qu’il convient de respecter.

Ce qui est important, c’est que chaque femme concernée puisse recevoir une information claire, de qualité, exposant les bénéfices et les risques, qui lui permette de faire un choix éclairé. Et qu’ensuite, elle puisse réaliser son choix, c’est-à-dire faire ou non l’examen.

Focus sur un sous-groupe : les femmes atteintes de sclérose en plaques

La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique chronique qui touche 3 femmes pour 1 homme. Elle débute le plus souvent entre l’âge de 20 ans et 40 ans, ne se guérit pas et va ainsi être présente pendant plusieurs décennies. En France, environ 130 000 personnes sont touchées, dont la moitié a plus de 50 ans.

Dans le cadre du programme de recherche de la chaire Inspire (« Inégalités dans la sclérose en plaques : les identifier pour y remédier »), nous nous sommes intéressés à une question peu explorée : les femmes atteintes de SEP ont-elles le même accès au dépistage du cancer du sein que les autres ?

Entretien avec Emmanuelle Leray, directrice de recherche Inserm, enregistré en mai 2023.

Notre recherche a été menée auprès d’une cohorte de 47 166 femmes atteintes de SEP que nous avons comparées à un groupe contrôle de 184 124 femmes du même âge vivant dans la même région et suivies pendant la même période.

Un recours plus faible au dépistage chez les femmes avec une sclérose en plaques

Notre étude a mis en évidence un recours plus faible au dépistage chez les femmes atteintes d’une SEP. Elles étaient seulement 55 % à réaliser une mammographie tous les deux ans, contre 63 % dans le groupe contrôle de la population générale (source : analyse des données de l’Assurance maladie à partir du Système national des données de santé – SNDS).

De plus, cet écart augmentait avec l’âge : plus les femmes avançaient en âge, plus la différence avec le groupe contrôle se creusait.

Mais il n’y a pas de fatalité. Nos résultats montrent que le recours ou non au dépistage du cancer du sein dépend notamment du suivi médical. En effet, les femmes qui voient régulièrement leur neurologue ou qui suivent un traitement pour leur SEP se font davantage dépister, ce qui laisse suggérer que les interactions avec les professionnels de santé jouent un rôle clé dans la motivation et dans l’adhésion à cet acte préventif.

Des centres de dépistage peu accessibles, notamment en fauteuil roulant

En complément, nous avons conduit des entretiens semi-directifs auprès de 20 femmes atteintes de SEP qui révèlent plusieurs obstacles liés au déplacement jusqu’au centre de dépistage, à l’accessibilité de ce lieu, aussi à la fatigue inhérente à cette maladie chronique.

Ainsi, les trajets potentiellement longs jusqu’au cabinet de radiologie rajoutés à la fatigue due à la SEP rendent le déplacement plus difficile que pour une femme sans maladie chronique.

De plus, la gestion des rendez-vous s’ajoute à la charge mentale et physique, notamment pour celles qui dépendent d’un proche pour se rendre au centre ou pendant l’examen.

Une femme témoigne :

« C’est non seulement dur d’avoir un rendez-vous, mais en plus, c’est super loin. Je suis fatiguée par les déplacements. »

Une autre rapporte :

« Avec la fatigue et la route, devoir s’organiser avec le travail, et se débrouiller pour mettre les rendez-vous au même endroit, au même moment… Il faut que tout s’aligne en fait. »

Des difficultés d’accessibilité physique sont également mentionnées, notamment liées au fait que les mammographes ne sont pas conçus pour les personnes en fauteuil roulant ou avec des troubles de mobilité ou de la station debout.

C’est ce que décrit une des femmes durant l’entretien :

« Il faut que quelqu’un m’amène, je dois patienter, je dois attendre dans la salle d’attente, je dois ensuite me rendre jusqu’à l’appareil. Tout ça, pour moi, ça me semble un peu insurmontable, avec la fatigue, l’organisation en amont… C’est compliqué ».

Des problématiques spécifiques pour la prise de rendez-vous

Pour préparer au mieux le rendez-vous et, en particulier, informer sur des besoins spécifiques, les patientes préfèrent appeler à l’avance pour vérifier si le centre peut les accueillir (la présence de deux manipulateurs radio peut être requis, au lieu d’un seul, une durée plus longue pour l’examen est parfois à prévoir…) –informations qu’il n’est pas toujours possible de mentionner sur les plateformes de prise de rendez-vous en ligne.

Sont également pointées des difficultés organisationnelles. Comme pour toutes les femmes qui doivent faire un dépistage du cancer du sein en France, trouver un rendez-vous est souvent long et fastidieux. Pour les femmes qui sont en activité professionnelle, s’il est nécessaire de prendre un jour de congé pour un dépistage, alors cela s’ajoute aux absences déjà nécessaires pour la SEP.

Enfin, certaines témoignent d’un sentiment de surmédicalisation et de saturation des soins. Les patientes se sentent submergées par les rendez-vous liés à la SEP et ont l’impression de ne plus avoir d’énergie pour d’autres examens. Du fait de ce sentiment de « ras-le-bol », certaines reportent ou évitent le dépistage.

Un enjeu d’égalité et d’équité d’accès aux soins préventifs

Nos résultats ont confirmé l’hypothèse selon laquelle il y a un risque que le dépistage du cancer du sein passe au second plan face à la place de la SEP à prendre en charge au quotidien.

Les entretiens ont aussi permis d’identifier des éléments qui viennent faciliter l’adhésion au dépistage :

  • Faire que cela devienne une habitude ancrée dans la vie des femmes

La participation au dépistage est plus importante lorsque celui-ci est perçu comme une « étape normale » de la vie d’une femme. Cela souligne le rôle clé des professionnels de santé, au premier rang desquels les gynécologues et les médecins généralistes, et met en avant la place et le rôle que pourraient jouer les neurologues et les infirmières spécialistes de la SEP.

  • Prendre conscience de sa santé

Pour certaines femmes interrogées, vivre avec une SEP les pousse à surveiller davantage leur santé. La crainte d’un cancer en plus de la SEP est un moteur pour un bon suivi et une approche de santé globale.

  • Enfin, les femmes interrogées soulignent l’importance de disposer de centres adaptés aux handicaps où le personnel s’adapte et est bienveillant.

Ces résultats soulignent un enjeu d’égalité et d’équité d’accès aux soins préventifs : le dépistage du cancer du sein existe et a démontré son efficacité, il ne doit donc pas devenir un privilège. Les femmes atteintes de maladies chroniques ou en situation de handicap(s) ont le même droit à la prévention. Les risques si on ne fait rien : des cancers détectés plus tard, donc des traitements plus lourds et un moins bon pronostic.

L’urgence d’un dépistage du cancer du sein plus inclusif

Plusieurs pistes peuvent être avancées en faveur d’un dépistage du cancer du sein plus inclusif :

  • faire en sorte que les professionnels de santé (neurologues, généralistes…) intègrent systématiquement la question du dépistage dans le suivi des patientes atteintes de SEP, conseil que l’on peut élargir à toutes les femmes atteintes d’une maladie chronique ou en situation de handicap ;

  • discuter avec les plateformes de prise de rendez-vous pour voir si elles peuvent prévoir un champ « besoins spécifiques » afin de signaler un besoin d’accompagnement ;

  • collaborer avec l’Assurance maladie et les pouvoirs publics pour que les campagnes d’information ciblent aussi les femmes atteintes de maladies chroniques ou en situation de handicap, et envisager que ces campagnes soient construites avec les personnes concernées pour que le message soit le plus adapté possible ;

  • sensibiliser les patientes elles-mêmes et leurs proches, car elles sont les premières concernées et c’est notamment ce que nous ferons lors du Grand Défi, prévu le 19 octobre 2025 au parc de Sceaux (Hauts-de-Seine), événement sportif de sensibilisation organisé par l’association France Sclérose en plaques.

Toutes les femmes, qu’elles soient atteintes de sclérose en plaques, d’un handicap ou d’une maladie chronique, doivent pouvoir : bénéficier d’une information claire sur le dépistage ; accéder facilement aux examens, avec un accompagnement adapté si nécessaire ; prendre une décision éclairée et mener à bien leur projet de dépistage.

The Conversation

Leray Emmanuelle a reçu des financements de la Fondation Matmut Paul Bennetot, Paris, France ainsi que de l’EHESP et de la Fondation EDMUS (qui financent la chaire INSPIRE).

ref. Octobre rose : et si on parlait aussi du dépistage chez les femmes atteintes d’une maladie chronique, comme la sclérose en plaques ? – https://theconversation.com/octobre-rose-et-si-on-parlait-aussi-du-depistage-chez-les-femmes-atteintes-dune-maladie-chronique-comme-la-sclerose-en-plaques-267594

Vers un « goulag numérique » : comment la Russie développe le contrôle et la surveillance de ses citoyens

Source: The Conversation – in French – By Iurii Trusov, chercheur en philosophie, docteur en sciences politiques, Université Bordeaux Montaigne

Interdiction de nombreuses applications de communication, obligations multiples imposées aux entreprises digitales et aux citoyens au nom de la transparence et de la lutte contre l’« extrémisme », caméras de surveillance omniprésentes dans les grandes villes, systèmes de reconnaissance faciale de plus en plus efficaces… Le contexte actuel est propice au développement, en Russie, d’un système intégré permettant au pouvoir de surveiller ses citoyens toujours plus étroitement.


Depuis le 1er septembre 2025, à Moscou (capitale de la Fédération de Russie), les travailleurs migrants originaires de pays exemptés de visas ont l’obligation d’installer sur leur smartphone une application qui transmettra en temps réel leurs données de géolocalisation aux services du ministère de l’intérieur. En cas de désactivation de la géolocalisation ou de suppression de l’application, les migrants seront inscrits sur un registre de « personnes sous contrôle » ; leurs transactions financières et leurs cartes SIM seront bloquées ; et ils pourront être expulsés. Cette expérimentation se poursuivra jusqu’en 2029, après quoi cette pratique pourrait être étendue à d’autres régions de Russie.

Cette loi, qui s’inscrit dans une série de mesures visant à renforcer de manière accélérée le contrôle numérique en Russie, depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, constitue une mise à l’épreuve de la possibilité d’une surveillance totale de l’ensemble des citoyens du pays.

Le souvenir, encore vivace, des tendances totalitaires à l’œuvre en Union soviétique (URSS) – suppression des libertés, surveillance de la population, mise en place du rideau de fer et censure totale –, symbolisées par le système du goulag (les camps de travail où étaient envoyés, entre autres, les prisonniers politiques pour délit d’opinion) a donné naissance à la formule de « goulag numérique », qui désigne le renforcement sans cesse plus palpable du contrôle technologique dans la Russie contemporaine.

Éléments de contrôle et de surveillance des citoyens, introduits en 2022

Jusqu’en 2022, la surveillance et la censure concernaient principalement la sphère politique, notamment la lutte contre l’opposition. Depuis, face à un mécontentement croissant, l’État a jugé nécessaire d’étendre son contrôle à tous les domaines de la vie publique.

Prison de structure panoptique, vue d’artiste.
Adam Simpson/Blue Ākāśha/Pinterest, CC BY-NC-SA

La Russie met progressivement en place ce que l’on pourrait appeler un « panoptique numérique ». Initialement conçu par Jeremy Bentham (1748-1832), le panoptique était un projet de prison circulaire dotée d’une tour de surveillance centrale. À l’intérieur du panoptique, le gardien voit tous les prisonniers, mais ces derniers ne savent pas s’ils sont observés. De là naît un sentiment d’être surveillé à tout moment. Ce sentiment est de plus en plus partagé par les habitants de la Russie contemporaine, car le développement des technologies permet aux services de sécurité et à l’État d’accéder à un volume croissant de données personnelles et de constamment contrôler les citoyens à sa discrétion.

Après l’invasion totale de l’Ukraine lancée en février 2022, les autorités adoptent en urgence de nouvelles lois criminalisant la diffusion d’informations divergeant de la position officielle du Kremlin. Ces normes – pénalisation de « diffusion de fausses nouvelles » et de la « discréditation » des forces armées russes, durcissement des textes ciblant les « agents de l’étranger » – instaurent une censure stricte et, de fait, criminalisent toute opinion ou information différente de celles provenant des sources officielles de l’État.

Dans le même temps, le régime continue de développer des solutions numériques. Depuis décembre 2022, toutes les entreprises qui collectent les données biométriques des citoyens sont tenues de les transférer au Système biométrique unifié de l’État (EBS). La loi n’interdit pas aux forces de l’ordre de consulter ces données. Ainsi se crée une base technologique permettant une utilisation généralisée des systèmes de reconnaissance faciale, déjà activement employés pour identifier puis arrêter les participants à des actions de protestation et les « ennemis de l’État ».

Entre 2025 et 2026, le ministère du développement numérique de la Fédération de Russie prévoit de dépenser 2 milliards de roubles (plus de 20 millions d’euros) pour la création d’une plateforme unifiée dotée d’une IA destinée à traiter les vidéos des caméras de surveillance dans toute la Russie. Rien qu’à Moscou, plus de 200 000 caméras sont déjà installées et utilisées par la police pour le suivi et l’analyse des comportements.

Un autre système électronique, le registre des personnes soumises aux obligations militaires, vise à répondre au chaos causé par la mobilisation de 2022 et à la fuite à l’étranger de centaines de milliers d’hommes et de leurs familles.

Ce système agrège les données personnelles provenant d’autres bases de données gouvernementales et est enrichi par les informations fournies par les employeurs et par les banques. C’est par son intermédiaire que sont envoyées les convocations électroniques, considérées comme ayant été automatiquement remises à leurs destinataires quelques jours après leur apparition dans cette base. Dès lors, jusqu’à ce qu’elle se présente au commissariat militaire (nom donné aux centres chargés de gérer la mobilisation militaire de la population), la personne se voit automatiquement interdire de quitter le pays et subit d’autres restrictions, notamment l’interdiction de conduire un véhicule.

Internet souverain ou rideau de fer numérique ?

L’écrivaine et philosophe américaine Shoshana Zuboff a forgé la notion de « capitalisme de surveillance », un système où les grandes corporations possèdent nos données et essaient de prédire et de contrôler notre comportement. Elle se demande si les sociétés informatiques qui détiennent un grand volume de données personnelles, comme Google, Meta, Amazon et d’autres, pourraient avoir plus de pouvoir que les États.

En Russie, la réponse se trouve déjà sous nos yeux : toutes les grandes sociétés informatiques russes possédant les données personnelles de leurs utilisateurs sont soit soumises au Kremlin soit bloquées.

Après le début de la guerre, le géant informatique Yandex (l’équivalent russe de Google) a été contraint d’effectuer un filtrage actif des informations dans son moteur de recherche et ses actualités. Il signale désormais certaines sources comme étant non fiables et diffusant de fausses informations, tout en promouvant celles qui sont loyales à la position officielle.

Le géant étranger Meta, déclaré organisation extrémiste en mars 2022, est bloqué sur le territoire russe, ainsi que ses services Facebook et Instagram. Ont également été bloqués X (anciennement Twitter) et de nombreux médias indépendants. YouTube a été ralenti et, de fait, bloqué.

En août 2025, Roskomnadzor (l’agence russe qui s’occupe de la censure sur Internet et du blocage des ressources d’information jugées indésirables) a bloqué la possibilité de passer des appels audio et vidéo sur Telegram et sur WhatsApp. Même si la raison officiellement invoquée pour cela est la protection contre les escroqueries téléphoniques, en réalité, ce processus va de pair avec le lancement de la messagerie d’État, MAX, à laquelle les forces de l’ordre ont un accès total.

La messagerie sera intégrée au système numérique de services publics. Le simple fait d’utiliser un service VPN pour contourner le blocage est considéré comme une circonstance aggravante lors de la commission d’un « crime », tel que la recherche de « contenus extrémistes » (notion dont la définition, volontairement floue, permet de déclencher des poursuites sur des fondements ténus).

D’ici à novembre 2025, un programme d’intelligence artificielle (IA) pour la censure des livres sera lancé en Russie. Au départ, le programme ne recherchera que la propagande liée à la drogue dans les ouvrages. Comme c’est souvent le cas, en cas de succès, l’État pourrait facilement étendre la censure à la critique du pouvoir ou de l’armée, ou encore à la recherche de documents à thématique LGBTQIA+, sachant que le « mouvement LGBTQIA+ » a été classé comme extrémiste.




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Vers un totalitarisme numérique ?

Ainsi, en moins de trois ans, la Russie a construit un système cohérent et interconnecté, où les interdictions du législateur relatives à l’information sont renforcées par des technologies de surveillance totale, et le contrôle numérique des citoyens assure l’application des lois répressives.

Ces lois et ces solutions technologiques s’accumulent en un effet boule de neige, entraînant une accoutumance progressive de la population. Sous prétexte de protéger les citoyens face à diverses menaces – contexte de guerre et de sanctions, attaques terroristes, escroqueries –, l’État met tout en œuvre pour renforcer le pouvoir total de Vladimir Poutine.

Au XXe siècle, le philosophe Isaiah Berlin (1909-1997) promouvait une alternative pluraliste et libérale au totalitarisme, impliquant l’existence d’une sphère de la vie humaine libre de toute ingérence étatique, de surveillance et de contrôle, ce qu’il appelait la « sphère de la liberté négative » (négative au sens de « privée d’entraves »). Aujourd’hui, nous assistons à un resserrement drastique de cette sphère en Russie et au développement progressif du « totalitarisme numérique », c’est-à-dire d’un pouvoir totalitaire armé non seulement de lois répressives, mais aussi de nouvelles technologies : caméras, bases de données électroniques et IA de plus en plus sophistiquée.

The Conversation

Iurii Trusov ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Vers un « goulag numérique » : comment la Russie développe le contrôle et la surveillance de ses citoyens – https://theconversation.com/vers-un-goulag-numerique-comment-la-russie-developpe-le-controle-et-la-surveillance-de-ses-citoyens-267346

Le républicanisme, une idéologie qui favorise les discriminations et le racisme ?

Source: The Conversation – in French – By Albin Wagener, Professeur en analyse de discours et communication à l’ESSLIL, chercheur au laboratoire ETHICS, Institut catholique de Lille (ICL)

Alors que les débats sur les questions d’identité ou de laïcité ont envahi les espaces politiques et médiatiques depuis plusieurs années, que représente réellement le « modèle républicain à la française » ? Ne serait-il pas devenu une contre-religion face aux idéologies religieuses ?


Le modèle républicain, défendu par bon nombre de partis politiques – avec des approches souvent très diverses – occupe une place majeure dans nos débats publics. Pour certains chercheurs, la laïcité à la française tend à imposer une définition homogénéisante de la citoyenneté qui écrase la diversité multiculturelle et religieuse des populations sous couvert d’universalisme. Ce modèle de citoyenneté, censé transcender les différences, interroge une conception très idéologique de la nationalité française. En effet, cette dernière n’est pas seulement affaire de naissance ou de lieu de vie, mais de valeurs débattues par divers courants politiques.

Au fond, on constate que les dogmes et les principes républicains sont souvent imposés de manière verticale, comme s’ils devaient préexister à notre démocratie et à la vie citoyenne. Cette imposition peut évoquer une idéologie, ou même une forme d’expression religieuse. C’est ce que nous avons souhaité analyser dans une étude de textes officiels publiés par des organes administratifs (préfectures, ministères, Élysée), mais également dans des textes médiatiques qui reprennent et commentent ces prises de position. Dans cette étude, on retrouve des appels explicites de responsables politiques à un ensemble de valeurs aux contours flous, censées réguler la vie publique et l’exercice de la citoyenneté – au même titre que n’importe quelle idéologie.

Ainsi, on peut lire sur la page « les principes de la République » sur le site de l’Élysée que « la laïcité est donc l’une de nos valeurs les plus précieuses, la clé de voûte d’une société harmonieuse, le ciment de la France unie ». Autre exemple étudié, celui de Gabriel Attal, alors premier ministre (avril 2024), qui déclare :

« Que ceux qui pensent pouvoir contester facilement les valeurs de la République, endoctriner la jeunesse, le sachent : nous les trouverons et nous les empêcherons. »

Dans ce discours, deux idéologies semblent se faire face et se combattre.

Nous avons réalisé cette étude dans le contexte qui a suivi le tragique assassinat de Samuel Paty, en octobre 2020. Les prises de position en faveur du modèle républicain se sont alors multipliées, tout comme la réaffirmation de la laïcité associée au triptyque « Liberté. Égalité. Fraternité ».

L’islam, souvent confondu avec le fondamentalisme islamiste, voire le terrorisme, est particulièrement ciblé dans les discours étudiés. Ainsi le président de la République Emmanuel Macron déclare, le 2 octobre 2020 :

« L’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde. »

Or cette affirmation, qui entretient une confusion entre islam et islamisme politique, n’est soutenue par aucun fait, aucun chiffre, aucune analyse. Elle diffuse en revanche une image négative d’une religion à laquelle adhèrent plusieurs millions de Français. Rappelons, avec le chercheur Thomas Deltombe, que les représentations de l’islam construites dans l’espace politique et médiatique sont avant tout négatives – cette religion étant présentée comme une menace pour les valeurs républicaines.

La République normative

Parallèlement à la stigmatisation de l’islam, certains discours tendent à faire de la République un mythe contemporain, comme l’analyse la chercheuse Danièle Lochak.

Le choix de symboles, de textes fondateurs, de pratiques normatives en témoignent. Par exemple, les injonctions à chanter la Marseillaise à l’école ou à lever le drapeau – une façon d’imposer des moments de communion forcée à une population.

On retrouve la même problématique avec le projet de service national universel (SNU), dont la pertinence a été questionnée par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), ou par le chercheur Paul Chauvin-Madeira. Ce dernier décrit le SNU comme un projet qui impose aux individus un ordre moral conservateur constitué par un ensemble de rituels aux accents nationalistes (chant de la Marseillaise, exercices physiques pour se maintenir en forme, etc.).

Plus largement, on peut observer une tentative de mise en conformité des esprits, voire des corps notamment féminins, si l’on reprend les polémiques autour du burkini ou encore du voile à l’école et dans les services publics où des symboles religieux sont considérés comme « concurrents » d’un mode de vie considéré comme allant de soi ou majoritaire. Comme s’il fallait que certaines populations abandonnent leur propre religion pour adhérer à l’idéologie républicaine dont les applications concrètes restent souvent complexes, inopérantes (que signifie l’égalité lorsque l’on subit les inégalités économiques et sociales au quotidien ?), voire discriminantes.

Selon l’historien britannique Emile Chabal, qui étudie les populations non blanches, non athées et issues de quartiers moins favorisés, certains usages du « modèle républicain » visent essentiellement à mettre en conformité des personnes considérées comme éloignées du modèle universaliste – autrement dit, des personnes croyantes et pratiquantes (notamment musulmanes) d’origine non européenne.

Des discours qui visent les jeunes

Au sein du corpus rassemblé dans notre étude, on remarque que les discours institutionnels ciblent plus particulièrement les populations musulmanes, mais aussi les jeunes, à travers l’éducation et l’école.

Ce schéma présente les quatre thématiques principales que l’on peut distinguer dans le corpus.

Ainsi, dans les textes émanant d’institutions (Élysée, services du premier ministre, préfectures, etc.), on observe que 20 % des thématiques développées concernent l’islam et son pendant radical d’un côté, et, de l’autre, 20 % du corpus concerne directement les jeunes et la violence, avec une confusion entre ces deux types de récits que l’on peut également retrouver dans le schéma ci-dessous.

Ce second schéma permet de montrer les relations entre les quatre thématiques isolées précédemment : plus elles sont proches, plus elles fonctionnent ensemble ; plus elles sont distantes, plus les thématiques sont éloignées, voire opposées.

Le résultat montre qu’en bas à droite, un véritable amalgame est opéré entre jeunesse, violence, radicalité et islam dans les discours officiels. On voit également à gauche, en décalage, la question des valeurs et des principes républicains qui se trouvent en déconnexion avec les autres récits signalant une difficulté à lier ces principes aux réalités sociales. En haut à droite, l’éducation semble représenter l’une des seules solutions envisagées.

Selon Andrea Szukala, la République « assiégée » doit « rééduquer » les personnes la menaçant à travers l’école, conçue comme son bras armé. Face à une population française constituée de communautés diverses, certains discours républicanistes tentent donc d’utiliser l’éducation et l’école comme vecteur catéchistique et idéologique. Au lieu d’être un lieu d’épanouissement, de questionnement et de critique, l’école est conçue comme un instrument liturgique promouvant la parole de gouvernants en peine de solutions.

Cécité d’État sur les discriminations et le racisme

Gracen Eiland estime que cette dynamique politique spécifiquement française encourage une cécité d’État sur les formes de discrimination et de racisme, notamment envers les populations musulmanes qui se retrouvent pénalisées pour l’emploi ou leur formation scolaire. L’accent est mis sur les symboles républicains plutôt que sur des actions concrètes adaptées aux réalités sociales du pays, comme le rappellent Florence Faucher et Laurie Boussaguet. Plutôt que de choisir des politiques d’inclusion sociale et professionnelle ambitieuses, certains responsables politiques privilégient des mesures stigmatisant certaines populations.

Comme le montre notre étude sémantique, les responsables politiques se bornent souvent à brandir des mots-clés comme autant de totems déconnectés des réalités sociales. Ainsi pour le terme de laïcité, souvent accolé aux trois valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Le « modèle républicain » devient finalement une forme d’idéologie ou de contre-religion qui s’oppose à d’autres croyances, selon l’analyse de François Foret. Reste que, comme l’ont montré Charles North et Carl R. Gwin, plus un État essaie d’imposer un dogme à sa population, plus celle-ci exprime son besoin de liberté.

The Conversation

Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le républicanisme, une idéologie qui favorise les discriminations et le racisme ? – https://theconversation.com/le-republicanisme-une-ideologie-qui-favorise-les-discriminations-et-le-racisme-259943