Peut-on être trop riche ? Tout dépend de vos convictions profondes et du contexte économique national

Source: The Conversation – in French – By Jackson Trager, Ph.D. Candidate in Psychology, USC Dornsife College of Letters, Arts and Sciences

Des milliardaires à l’intelligence artificielle, la question reste la même : à partir de quand l’accumulation devient-elle excessive ? Une étude internationale montre que nos réponses dépendent autant de nos valeurs morales que du contexte économique et culturel.


À travers les cultures, les mêmes questions reviennent : avoir beaucoup d’argent est-il une bénédiction, un fardeau ou un problème moral ? Selon nos nouvelles recherches, la façon dont on perçoit les milliardaires ne relève pas seulement de l’économie. Le jugement dépend aussi de certains instincts culturels et moraux, ce qui aide à expliquer pourquoi les opinions sur la richesse sont si polarisées.

L’étude, que mon collègue Mohammad Atari et moi avons publiée en juin 2025 dans la revue scientifique PNAS Nexus, s’appuie sur des données d’enquêtes menées auprès de plus de 4 300 personnes dans 20 pays. Nous avons constaté que, si la plupart des gens dans le monde ne condamnent pas fermement le fait de posséder « trop d’argent », il existe des différences culturelles marquées.

Dans les pays riches et plus égalitaires sur le plan économique, comme la Suisse ou la Belgique, les personnes interrogées étaient plus enclines à juger immoral le fait de détenir trop de richesses. À l’inverse, dans des pays plus pauvres et plus inégalitaires, comme le Pérou ou le Nigeria, l’accumulation de richesses était perçue comme davantage acceptable.

Au-delà des aspects économiques, nous avons constaté que les jugements sur la richesse excessive sont aussi façonnés par des intuitions morales plus profondes. Notre étude s’appuie sur la moral foundations theory (théorie des fondements moraux), qui propose que le sens du bien et du mal repose sur six valeurs fondamentales : le soin, l’égalité, la proportionnalité, la loyauté, l’autorité et la pureté. Nous avons observé que les personnes attachées à l’égalité et à la pureté étaient plus susceptibles de considérer la richesse excessive comme répréhensible.

Le résultat concernant l’égalité était attendu, mais le rôle de la « pureté » est plus surprenant. La notion de pureté est généralement associée à des idées de propreté, de sacralité ou d’évitement de la contamination – découvrir qu’elle est liée à une perception négative de la richesse donne un nouveau sens à l’expression anglaise « filthy rich » (mot à mot « salement richenbsp;», de « filth » qui signifie «dégoûtant, obscène, corrompu »).

En tant que chercheur en psychologie sociale étudiant la morale, la culture et la technologie, je m’intéresse à la façon dont ce type de jugements varie selon les groupes et les sociétés. Les systèmes sociaux et institutionnels interagissent avec les croyances morales individuelles, façonnant la manière dont les gens perçoivent des sujets de société clivants comme la richesse et les inégalités – et, en retour, la façon dont ils s’engagent face aux politiques et aux conflits qui en découlent.

Pourquoi est-ce important ?

Les milliardaires exercent une influence croissante dans la politique, la technologie et le développement mondial. Selon l’organisation Oxfam, qui lutte contre la pauvreté, le 1 % le plus riche de la planète détenait en 2024 plus de richesses que 95 % de l’humanité réunie.

Les tentatives de réduction des inégalités par l’impôt ou la régulation des plus riches reposent toutefois peut-être sur une hypothèse erronée : celle selon laquelle l’opinion publique condamnerait largement les richesses extrêmes. Si, au contraire, la majorité considère l’accumulation de richesses comme moralement justifiable, de telles réformes risquent de rencontrer un soutien limité.

Si notre étude montre que la plupart des gens dans le monde ne considèrent pas la richesse excessive comme moralement condamnable, ceux vivant dans des pays plus riches et plus égalitaires sont en revanche bien plus enclins à la critiquer. Ce contraste soulève une question plus aiguë : lorsque les habitants de sociétés privilégiées dénoncent les milliardaires et cherchent à limiter leur influence, mettent-ils réellement en lumière une injustice mondiale – ou projettent-ils leur propre sentiment de culpabilité ?

Imposent-ils un principe moral façonné par leur prospérité à des pays plus pauvres, où la richesse peut représenter la survie, le progrès ou même l’espoir ?

Ce qu’on ignore encore

Une question reste ouverte : comment ces perceptions évoluent-elles avec le temps ? Les attitudes changent-elles à mesure que les sociétés deviennent plus riches ou plus égalitaires ? Les jeunes sont-ils plus enclins que les générations plus âgées à condamner les milliardaires ? Notre étude offre un instantané, mais des recherches menées sur le long terme pourraient montrer si les jugements moraux suivent les évolutions économiques ou culturelles plus larges.

Une autre incertitude concerne le rôle inattendu de la pureté. Pourquoi une valeur associée à la propreté et à la sacralité influencerait-elle la manière dont on juge les milliardaires ? Notre étude complémentaire a révélé que les préoccupations liées à la pureté dépassent la question de l’argent et s’étendent à d’autres formes d’« excès », comme le rejet d’« une trop grande » ambition, sexualité ou recherche de plaisir. Cela suggère que les individus perçoivent peut-être l’excès en lui-même – et pas seulement l’inégalité – comme une forme de corruption.

Et ensuite ?

Nous poursuivons nos recherches sur la manière dont les valeurs culturelles, les systèmes sociaux et les intuitions morales façonnent les jugements portés sur l’équité et sur l’excès – qu’il s’agisse de la richesse et de l’ambition, ou encore du savoir et de la puissance de calcul de l’intelligence artificielle.

Comprendre ces réactions morales instinctives au sein de systèmes sociaux plus larges est essentiel pour les débats sur les inégalités. Mais cela peut aussi aider à expliquer comment les individus évaluent les technologies, les dirigeants et les institutions qui accumulent un pouvoir ou une influence disproportionnés, jugés excessifs.

The Conversation

Jackson Trager ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Peut-on être trop riche ? Tout dépend de vos convictions profondes et du contexte économique national – https://theconversation.com/peut-on-etre-trop-riche-tout-depend-de-vos-convictions-profondes-et-du-contexte-economique-national-268580

Quand les imaginaires des marques nous inspirent

Source: The Conversation – in French – By Valérie Zeitoun, Maitre de Conférences, IAE Paris – Sorbonne Business School

Les marques produisent des imaginaires collectifs et peuvent être considérées comme « des acteurs politiques ». HJBC/Shutterstock

Traversé par de multiples crises, le réel est devenu anxiogène. Il réclame de nouveaux modèles et de nouveaux rêves. Dans ce contexte, les imaginaires des marques viennent se substituer aux grands récits collectifs défaillants, en offrant aux individus de quoi se projeter, espérer, et peut-être apporter de nouvelles raisons de croire. C’est ce qu’analysent ici Valérie Zeitoun et Géraldine Michel, avec Raphaël LLorca, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, Arnaud Caré, directeur général délégué d’Ipsos, et Nicolas Cardon, directeur de l’expérience client d’Ipsos.


« L’esprit du voyage par Louis Vuitton », « La beauté plurielle de Dove », « Le sport inclusif » de Nike, ces imaginaires irriguent notre quotidien. Ils deviennent des forces de projection et de conviction collective, bien au-delà de leur valeur marchande. Face à l’évolution de leur rôle se pose la question de leur influence dans l’ordre social et/ou politique, au-delà de l’ordre marchand.

Comment, dans leur mission d’agent social, les marques participent-elles et poussent-elles au progrès social et environnemental, et permettent-elles ainsi de renouer avec de nouvelles utopies ?

L’imaginaire

L’imaginaire est le fruit de l’imagination d’un individu, d’un groupe ou d’une société. Il produit des représentations ou des mythes qui entretiennent un rapport plus ou moins détaché de la réalité.

Poser l’imaginaire et le réel en parallèle tend à accentuer la tension qui existe entre ces deux notions. Leur relation relève d’une dialectique qui interroge la manière dont l’imaginaire se rapporte au réel et réciproquement. Pour explorer ce rapport complexe, il est possible de distinguer trois dynamiques principales : une dynamique d’opposition, une dynamique de substitution et une dynamique d’enrichissement.

L’imaginaire comme illusion

Depuis l’allégorie de la caverne de Platon, la tradition philosophique a longtemps pensé l’imaginaire et le réel de manière adverse. Pour Platon, les individus vivent souvent dans l’ignorance, attachés aux apparences, et il faut un effort de pensée pour accéder à la vérité, c’est-à-dire au « monde des Idées ». Dans cette perspective, le réel renvoie au monde des idées invariables et immuables tandis que l’imaginaire est lui entendu comme illusoire, fictif, sans réalité.

Notre culture occidentale est profondément ancrée dans cette opposition, valorisant le réel comme domaine de la vérité et de la connaissance, reléguant l’imaginaire au rang du fantasme.

Affiche publicitaire de la marque Persil qui « lave plus blanc que blanc ».
Bibliothèque spécialisée de Paris, FAL

Dans le domaine de la consommation, la célèbre réclame de Persil (« lave plus blanc ») est emblématique d’une rhétorique publicitaire fondée sur l’excès de promesse. En invoquant l’idée d’un « plus blanc que blanc », elle promet l’inatteignable et participe à une forme d’aliénation ou d’asservissement. Le récit de marque se réduit alors à l’idée d’une illusion, voire d’une tromperie.

L’imaginaire comme idéalisation

Publicité du Big Mac de McDonald’s en Thaïlande.
Opasbbb/Shutterstock

Le philosophe Jean Baudrillard propose une autre perspective. Selon lui, l’imaginaire ne s’oppose plus simplement au réel, mais s’y substitue. Le simulacre n’est pas une simple copie du réel : il en efface la référence. Il produit l’illusion d’un monde réel, mais entièrement artificiel, forme d’hyperréalité, saturée d’images et de signes.

Photo d’un Big Mac dans un restaurant McDonald’s.
Liveheavenly/Shutterstock

L’imaginaire, dès lors, se substitue au réel et l’idéalise. Les campagnes publicitaires de la marque McDonald’s qui reposent sur une représentation parfaite du hamburger – comparée à la réalité du hamburger servi dans les restaurants – génèrent un simulacre. Les consommateurs n’achètent pas un hamburger, mais l’image idyllique du hamburger.

L’imaginaire comme ressource du réel

Une troisième approche, initiée par le philosophe Maurice Merleau-Ponty, envisage au contraire l’imaginaire comme une composante fondamentale du réel. Dans cette perspective, l’imaginaire ne s’oppose pas au réel, il en est le prolongement, voire un producteur. L’imaginaire permettrait d’accéder au réel autrement, éventuellement de le transformer en lui imprimant de nouvelles formes.

L’imaginaire ouvre vers d’autres réels possibles. C’est dans cette dynamique que certaines marques s’inscrivent, et ce faisant réinventent les modalités de notre environnement. C’est le cas de la marque Apple. À son lancement, elle apporte une nouvelle vision de l’ordinateur personnel axée sur la convivialité et le design de l’objet pour s’inscrire dans le quotidien des individus, et se positionner contre des usages de l’époque qui considéraient l’ordinateur comme strict objet du monde du travail.

La fabrique de nouveaux réels collectifs

Dès 1957, le sémiologue Roland Barthes met en évidence la capacité des objets et des signes de consommation à produire un imaginaire socialement partagé. La marque se définit comme objet social et réservoir symbolique. Elle ne se réduit pas à un simple signe marchand, elle agit comme un médiateur symbolique, capable de relier les individus à des univers de significations collectives.

Elle produit du sens et génère de la valeur en projetant des imaginaires partagés. Dans cette direction, les marques iconiques le deviennent, justement, parce qu’elles articulent des imaginaires culturels qui viennent répondre à des enjeux sociaux forts. Nike, en soutenant publiquement le footballeur Colin Kaepernick dans sa protestation contre les violences policières faites aux Afro-Américains, incarne un imaginaire de résistance.

Publicité de la marque Nike pour fêter les 30 ans de son slogan « Just do it » avec le footballeur états-unien Colin Kaepernick.
Nike

Avec sa campagne « Don’t Buy This Jacket », la marque outdoor Patagonia a supporté un imaginaire plus sobre. Elle incite les consommateurs à ne pas céder au consumérisme. Cet imaginaire s’incarne aussi dans les actes – réparabilité des produits, soutien à des actions environnementales, etc. – et, de fait, devient le réel.

D’autres marques pourraient être ici mentionnées, Dove et le nouvel imaginaire de la beauté : vision alternative qui remet en cause une beauté normative pour la rendre plurielle, femmes de toutes morphologies, âges, origines ou couleurs de peau. C’est encore Ikea ou Levi’s qui participent d’imaginaires plus inclusifs en soutenant la cause LGBTQIA+. Toutes ces marques participent d’une forme d’engagement, fondé sur de nouveaux imaginaires sociaux et/ou culturels, qui permet d’enrichir, de modifier, de transformer le réel.

La marque, un acteur politique ?

Publicité d’avril 2024 en France de la marque Burger King, « mettant l’accent » sur la région provençale.
HenrySaintJohn/Shutterstock

Les marques produisent des imaginaires collectifs, en ce sens, comme le propose Raphaël LLorca, elles peuvent être considérées comme « des acteurs politiques » qui structurent et façonnent notre appréhension du réel. L’imaginaire national et la signification « d’être français » se fonde aujourd’hui, en partie, sur des projections et/ou des incarnations proposées par les acteurs marchands tous secteurs confondus, la mode, les transports ou la grande distribution.

L’ironie, souligne Raphaël LLorca, c’est que ce sont souvent des marques étrangères, et singulièrement états-uniennes, comme Burger King ou Nike, qui proposent leur version du roman national français !

Dans tous les cas, la sécrétion d’imaginaires politiques de la part d’acteurs marchands constitue une rupture profonde dans l’équilibre des forces entre les trois ordres traditionnels – ordres politique, religieux et marchand.

Imaginaires de marques et engagement

Une étude Ipsos fait le constat d’un lien entre engagement individuel et engagement des marques. Il apparaît ainsi que les fans de marques engagées, comme Disney, Deezer ou Heineken, sont eux-mêmes plus impliqués que la moyenne française dans les causes d’équité et d’égalité entre les populations.

Plus important, en termes de gestion de marque, il apparaît que cette adhésion aux marques, porteuses d’imaginaires positifs, va au-delà d’une élection de principe. 50 % des Français interrogés déclarent, dans le contexte actuel, qu’ils seraient prêts à acheter moins de produits provenant de marques éloignées de leur engagement pour l’équité, la diversité et l’inclusion. Ces résultats montrent que les marques ont le pouvoir de nourrir le réel d’imaginaires sociaux, culturels voire politiques.

Les Français et les politiques de « diversité et d’inclusion » en entreprise à l’ère de Donald Trump (sondage réalisé en avril 2025 auprès de 800 Français représentatifs de la population nationale).
Ipsos, Fourni par l’auteur

Mais comment peuvent-elles le faire ? À cette question, une seconde étude Ipsos explore les conditions d’émergence de nouveaux réels aspirationnels.

Les marques doivent incarner ces imaginaires si elles souhaitent construire des liens émotionnels avec les consommateurs et citoyens. Près de 69 % des interrogés affirment être disposés à rompre avec des marques qui ne tiendraient pas leurs promesses sur des sujets sociaux ; 70 % se déclarent prêts à suivre une marque à laquelle ils sont émotionnellement liés, contre 45 % lorsque ce lien n’est que fonctionnel.

Les imaginaires des marques deviennent des forces de projection et de conviction collective, bien au-delà de leur valeur marchande. Les marques qui s’engagent dans de nouveaux imaginaires et qui leur donnent une réalité tangible favorisent l’engagement des individus, collaborateurs et clients. Ainsi, elles génèrent une adhésion et une implication pérenne, mais, surtout, elles participent d’un élan transformatif social et peut-être politique.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Quand les imaginaires des marques nous inspirent – https://theconversation.com/quand-les-imaginaires-des-marques-nous-inspirent-264597

Utilisation de l’écriture inclusive par les marques : indifférence des hommes, soutien nuancé des femmes

Source: The Conversation – in French – By Magali Trelohan, Enseignante-chercheuse, comportements de consommations, sociaux et environnementaux, EM Normandie

Les femmes affichent une attitude plus favorable que les hommes à l’égard de la marque lorsque celle-ci utilise une écriture inclusive. Reworlding

L’écriture inclusive fait régulièrement la une des journaux en France. Entre défenseurs et opposants, le débat semble sans fin. Mais que se passe-t-il lorsque des marques utilisent cette écriture pour communiquer ? Une étude révèle que les réactions sont loin d’être homogènes.


La linguistique distingue trois types de langues à travers le monde :

  • les langues genrées, comme le français ou l’espagnol, qui attribuent un genre grammatical aux noms communs : le bateau, la mer, la plage, le sable, etc. ;

  • les langues à genre naturel, comme l’anglais, qui ne marquent pas le genre des noms communs – le déterminant est the pour tous les objets –, mais qui marquent le genre principalement dans les pronoms pour les personnes – she/her pour une fille ou une femme et he/his pour un homme ou un garçon ;

  • Les langues non genrées, comme le chinois ou le turc, qui n’intègrent pas de distinctions grammaticales de genre.

En France, langue dite genrée, le masculin est considéré comme « neutre » et, au pluriel, il « l’emporte sur » le féminin, selon la formule consacrée. Pourtant, des formes dites inclusives, comme le point médian de « salarié·es », se développent pour tenter de rendre visible la diversité des genres. Cette volonté s’appuie sur les travaux en sociolinguistiques qui montrent que la langue façonne notre perception du monde et de notre environnement. Si le sujet fait polémique, c’est parce que l’écriture inclusive interroge le pouvoir symbolique de la langue : qui est inclus ou exclu par les mots que nous choisissons ?

Notre étude, menée auprès de 800 consommatrices et consommateurs français, en analyse le phénomène.

Réaction envers la marque

Pour comprendre ces réactions, nous avons mené une expérience. Chaque participante ou participant à notre étude voyait un post d’une marque de jus de fruits, rédigé avec différentes formes d’écriture inclusive – comme « les client·es » – ou sans, et avec ou sans explication de ce choix par la marque. Nous avons ensuite mesuré leurs réactions, leur attitude envers la marque et leur intention d’achat. Il existe plusieurs formes d’écriture inclusive, nous les avons toutes testées.

  • La double flexion consiste à écrire les deux genres séparés par « et » (ex. : « toutes et tous ») ;
  • La double flexion contractée fusionne les terminaisons féminines et masculines grâce à un point médian ou un point (ex. : « étudiant·e·s ») ;
  • Les termes épicènes ou collectifs que nous appelons forme « dégenrée », ne marquent pas le genre (ex. : « le lectorat » plutôt que « les lecteurs ») ;
  • Le masculin générique, la forme usuelle en français avec le masculin qui l’emporte sur le féminin ;
  • Le féminin générique, avec l’ensemble des accords au féminin. C’est d’ailleurs cette forme qui est perçue comme la plus sexiste et la moins inclusive par l’ensemble des répondants.

Les hommes indifférents… sauf si la marque explique son choix

Les résultats indiquent que, globalement, les hommes ne réagissent pas différemment à un post utilisant l’écriture inclusive par rapport à un post classique.

Leur attitude, leur intention d’achat ou leur perception de la marque ne changent pas. Cependant, un point intéressant émerge : lorsque la marque explique son choix d’utiliser l’écriture inclusive, en rappelant qu’il s’agit d’une démarche d’égalité ou d’inclusivité, l’attitude des hommes devient plus positive.

Cette explication semble lever une forme de méfiance et permet d’intégrer le message sans rejet.

Les femmes soutiennent l’inclusif mais pas toutes ses formes

Globalement, les femmes affichent une attitude plus favorable que les hommes à l’égard de la marque lorsque celle-ci utilise une écriture inclusive. Elles perçoivent la marque comme plus proche de leurs valeurs et se disent plus enclines à acheter le produit.

Cet effet varie toutefois selon leur vision des rôles de genre.

Les femmes qui adhèrent fortement aux stéréotypes traditionnels – par exemple, l’idée que les hommes et les femmes ont des « rôles naturels » différents – se montrent plus réticentes à l’égard de l’écriture inclusive. Chez elles, l’écriture inclusive (en particulier la forme contractée, c’est-à-dire le point médian, et la forme dégenrée) tend à provoquer un rejet de la marque.

On ne retrouve pas cet effet de l’adhésion aux stéréotypes de genre chez les hommes. Ce n’est pas cela qui influence leurs perceptions et comportements liés à l’écriture inclusive.

Notre étude montre que la forme d’écriture inclusive la plus controversée, celle avec le point médian, suscite davantage de réactions négatives. Comme pour les hommes, lorsque la marque justifie son choix, cette forme controversée est toutefois mieux acceptée.

Puissance idéologique de la langue

Ces résultats mettent en lumière le poids idéologique de la langue. Le masculin reste perçu comme neutre.

Ce constat rejoint les travaux en sociolinguistique sur l’androcentrisme (une vision du monde qui voit l’homme comme l’humain neutre ou typique) et sur la domination symbolique.

Il révèle aussi une ligne de fracture : les femmes ne constituent pas un groupe homogène sur ces questions. Celles qui adhèrent aux normes traditionnelles deviennent les gardiennes d’un certain conservatisme linguistique.

Quelles implications pour les marques ?

Pour les professionnels du marketing, l’écriture inclusive n’est pas qu’une question de style : elle engage la perception de la marque.

Notre étude conseille :

  • d’expliquer son choix d’écriture inclusive, notamment pour rassurer les consommateurs qui y sont indifférents ou qui sont sceptiques. Ainsi, les marques remporteront leur adhésion ;

  • d’adapter la forme utilisée : certaines sont perçues comme plus acceptables que d’autres. Le point médian, plus controversé, peut être mis de côté au profit de termes épicènes ou de la double flexion dans le cadre d’une communication qui se veut consensuelle. En revanche, une marque militante pourra choisir la double flexion contractée (le point médian) ;

  • de connaître son audience : les femmes y sont majoritairement favorables, mais il existe des nuances idéologiques. Comme nous l’avons montré, celles qui adhèrent aux stéréotypes de genre auront tendance à rejeter les marques utilisant l’écriture inclusive.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Utilisation de l’écriture inclusive par les marques : indifférence des hommes, soutien nuancé des femmes – https://theconversation.com/utilisation-de-lecriture-inclusive-par-les-marques-indifference-des-hommes-soutien-nuance-des-femmes-260370

Quand l’enseignement supérieur s’enracine dans son territoire : déni de mondialisation ou stratégie gagnante ?

Source: The Conversation – in French – By Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Professeur affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux

Et si la reconnaissance internationale des universités et des écoles de commerce passait par le terroir ? Alors que la course mondiale aux classements – celui de Shanghai ou d’autres – tend à uniformiser les programmes d’enseignement supérieur, l’ancrage local constitue aussi un atout stratégique.


Dans un paysage académique mondialisé, les grandes marques universitaires se livrent une compétition féroce pour figurer aux premières places des différents palmarès et classements internationaux. La réputation et la légitimité des universités et des écoles reposent encore largement sur la performance de leur recherche académique, comme en témoignent la culture du « Publish or perish » ou les critères du classement de Shanghai. Cette dynamique tend à renforcer la polarisation entre des universités de rang mondial et des établissements régionaux dans un contexte de mimétisme institutionnel et d’uniformisation des programmes d’enseignement supérieur.

Orientation des financements

Mais derrière cette image globalisée de la performance, les établissements d’enseignement supérieur demeurent intimement liés à leur territoire d’implantation. Cet ancrage local est notamment scruté de près par les pouvoirs publics, qui en font un critère pour orienter leurs financements, et par les acteurs institutionnels et les organismes d’accréditation, qui l’intègrent dans leurs critères de qualité pour octroyer le droit de délivrer des diplômes et accréditer des programmes.

Ce rapport au territoire ne se réduit toutefois pas à une logique réglementaire ou budgétaire et soulève une interrogation plus stratégique : la proximité avec les acteurs économiques, sociaux et culturels locaux peut-elle paradoxalement constituer une voie d’accès au rayonnement international pour les établissements d’enseignement supérieur ?




À lire aussi :
Les secrets de la domination de l’Université Harvard au classement de Shanghai


Pour tenter de répondre à cette question, nous avons mené un travail d’investigation qui a donné lieu à un article de recherche publié dans la revue internationale Higher Education. Notre publication interroge et invite à repenser la relation entre enracinement local et visibilité mondiale des établissements d’enseignement supérieur à travers un cas emblématique : les régions viticoles françaises et les formations d’enseignement supérieur dédiées au secteur du vin.

Pour essayer de savoir si l’ancrage régional de ces programmes d’enseignement supérieur pouvait constituer un atout dans la compétition internationale entre établissements, notre projet de recherche repose sur une double méthodologie, à la fois quantitative (classement, attractivité, employabilité, résultats académiques de 72 formations en vin réparties sur l’ensemble des régions françaises) et qualitative (22 entretiens semi-directifs menés auprès de responsables académiques, étudiants et diplômés de programmes en vin et de professionnels du secteur viticole).

Attractivité internationale accrue

Notre travail est fondé sur deux hypothèses. La première postule que la réputation d’une région et la richesse de son écosystème (c’est-à-dire la densité des acteurs économiques, culturels et institutionnels liés à ce secteur) influencent directement la performance et la visibilité des formations supérieures spécialisées dans ce domaine. La seconde avance l’idée que ces formations confèrent alors à leurs établissements d’origine une attractivité internationale accrue au lieu de les limiter à un rayonnement local.

Pour explorer cette relation, notre travail a mobilisé deux concepts :

  • l’heuristique « glonacale », soit un cadre théorique qui permet d’analyser le positionnement des établissements d’enseignement supérieur en considérant simultanément leurs échelles globale, nationale et locale ;

  • l’échelle « géo-cognitive », qui désigne l’espace géographique dans lequel les établissements d’enseignement supérieur se positionnent. Cet outil permet de prendre en compte et d’interpréter la proximité et la portée symboliques et fonctionnelles des acteurs de cet espace.

Des liens stratégiques

Les résultats de notre étude révèlent ainsi une forte corrélation entre la réputation d’une région spécialisée dans un secteur et la performance des programmes de formation implantés dans cette région et dédiés à ce secteur. Dans le cas des régions viticoles françaises, plus un territoire est identifié et réputé pour son activité, sa culture et son histoire viticoles (Bordeaux, Champagne, Bourgogne…), plus les formations viticoles implantées sur ce territoire bénéficient d’une image de qualité.

Surtout, les liens de ces formations avec l’écosystème local (entreprises, syndicats, institutions) renforcent leurs contenus pédagogiques, favorisent l’employabilité de leurs diplômés et améliorent leur légitimité académique. C’est l’ensemble des critères de performance des programmes d’enseignement qui sont ainsi renforcés par le territoire d’accueil, en particulier l’attractivité auprès des étudiants étrangers.

Contourner la hiérarchie classique

Mais au-delà de ces résultats, qui peuvent sembler logiques, notre étude démontre surtout que les régions dotées d’une spécialisation historique, culturelle ou économique forte, telle que celle en lien avec les bassins viticoles, offrent un espace stratégique alternatif aux universités et aux écoles. Les échelles géo-cognitives liées aux programmes en lien avec le vin permettent de contourner la hiérarchie académique classique centrée sur la recherche.

Ces formations offrent notamment la possibilité de valoriser des caractéristiques distinctives dans les processus d’audit et d’accréditation des universités et des écoles. Elles créent ainsi, pour les établissements d’enseignement supérieur, un espace parallèle de légitimité stable et attractif qui leur permet de se distinguer dans un environnement universitaire dominé par les dynamiques de concurrence et de standardisation fondées sur la taille et les disciplines académiques.

Cette recherche démontre ainsi que les formations spécialisées peuvent jouer un rôle stratégique dans l’ancrage territorial des établissements d’enseignement supérieur tout en leur offrant des avantages compétitifs sur la scène mondiale.

L’enseignement supérieur globalisé ne s’oppose donc pas à la logique de spécialisation régionale : bien au contraire, celle-ci peut constituer un levier majeur de segmentation et de rayonnement stratégique. Pour les universités et les écoles, miser sur les atouts locaux de leurs régions d’implantation est aussi une manière de renforcer leur rayonnement global et de se distinguer dans un monde académique de plus en plus concurrentiel et mondialisé. Un exemple à méditer pour les établissements d’enseignement supérieur présents dans des régions réputées pour des spécialisations fortes similaires au vin.

The Conversation

Président de l’European Association of Wine Economists

Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quand l’enseignement supérieur s’enracine dans son territoire : déni de mondialisation ou stratégie gagnante ? – https://theconversation.com/quand-lenseignement-superieur-senracine-dans-son-territoire-deni-de-mondialisation-ou-strategie-gagnante-265100

Ce que font vraiment les analystes financiers

Source: The Conversation – in French – By Pierre Lescoat, Professeur Assistant, Neoma Business School

Au-delà des transactions financières, les marchés sont animés par une communauté humaine de professionnels, avec ses règles, ses valeurs et ses récits. Vectorfusionart/Shutterstock

Que font réellement ces analystes financiers, dits analystes « sell-side », au sein des grandes banques d’affaires ? Une étude consacrée à leur travail à travers les pratiques d’évaluation de la performance montre la complexité de ce métier finalement peu connu.


Les analystes financiers dits sell-side conseillent des milliers de professionnels, en particulier les fonds d’investissement qui gèrent les retraites et l’épargne de nombreuses personnes à travers le monde. La recherche en finance s’est beaucoup concentrée sur la fiabilité de leurs recommandations et sur la façon dont elles informent des mouvements de marché, le travail des analystes étant de produire des prévisions fiables.

S’inscrivant dans les travaux en sociologie de la finance, notre étude ne se penche pas tant sur le rôle des analystes, mais sur ce que leur organisation attend d’eux. Nous appréhendons les analystes non pas comme membre des marchés financiers, mais comme membres d’une organisation marchande – la banque qui les emploie – qui les rémunère et les évalue.

Interface des entreprises et des fonds d’investissement

Les analystes sell-side vendent des services financiers à différents clients (d’où le nom sell-side). Ils émettent des conseils sur la vente ou l’achat d’actions boursières de sociétés cotées. Ces analystes sont soumis à une régulation stricte. Ils sont l’interface entre les départements de communication financière des grandes entreprises cotées et les fonds d’investissement, qui investissent en bourse l’argent de leurs clients.

La régulation porte particulièrement sur la prévention des conflits d’intérêts et du délit d’initié, réglementant les informations que les analystes ont le droit ou non de transmettre en fonction de leurs interlocuteurs, selon quels moyens – rapport écrit public, discussions informelles, etc.

Indispensables aux banques

Profession plus discrète que celle de traders, les analystes financiers sont indispensables aux banques. Ils leur fournissent une légitimité puisqu’ils sont reconnus comme des experts sur les marchés financiers. Pour autant, la multiplication des bases de données, ainsi que la concurrence d’ « activistes », les short-seller, remet en question cette expertise et notamment l’objectivité des rapports publiés par les analystes sell-side.

Notre étude se concentre sur le système d’évaluation de la performance des analystes par leur banque. Ce système est particulièrement complexe, car il fait intervenir des groupes professionnels internes et externes à la banque. En externe, les équipes d’analystes sell-side sont soumises chaque année à des classements réalisés par des sites, tels que Extel.

Classement des analystes financiers

Ces classements mettent en compétition les équipes d’analystes entre banques, mais aussi à l’intérieur des banques – entre secteurs d’activités ou zones géographiques couverts –, voire à l’intérieur de leur équipe. Les classements sont constitués suite à la collecte des votes effectués par les analystes buy-side, c’est-à-dire les analystes financiers présents chez les clients des banques (d’où le nom buy-side).




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Ces classements sont par la suite intégrés dans l’évaluation interne de la performance des analystes dans leur banque. D’autres groupes professionnels de la banque comme les vendeurs et les traders sont également amenés à voter pour les analystes, les classant à nouveau.

Plus un analyste sell-side marque la mémoire d’un analyste buy-side ou d’un vendeur, plus ce dernier a des chances de voter pour lui. Selon certains participants à notre étude, il n’existe pas de norme pour marquer la mémoire d’un investisseurs. Un analyste peut aussi bien plaire à un client pour la qualité de ses analyses que pour sa personnalité, ou encore sa capacité à aider les analystes buy-side dans leurs propres analyses. Ce qui importe c’est que le votant se souvienne de lui.

Des analystes entrepreneurs de leur réputation

Dans le but d’obtenir une bonne évaluation de leur performance, les analystes doivent travailler leur réputation en externe, mais aussi en interne. Si on les imagine régulièrement en contact avec leurs clients investisseurs, notre étude met en lumière l’existence d’un gatekeeper : le vendeur, appelé encore sales, en charge de gérer la relation client.

Le vendeur, ou sales, constitue un intermédiaire incontournable qui transmet les arguments des analystes pour appuyer son discours commercial. Les analystes doivent à ce titre effectuer un travail de mise en valeur de leurs recherches. En effet, les vendeurs lisent rarement les rapports, surtout écrits, comme le montrent le professeur de comptabilité Crawford Spence et ses co-auteurs dans une logique de conformité à la loi.

La régulation encadre ces échanges : les espaces de travail des analystes et des vendeurs sont strictement séparés. Il existe donc une ambiguïté entre ce qu’exige la régulation – une séparation stricte des activités – et ce que reflète le système d’évaluation de la performance des analystes, devoir être apprécié et reconnu par les vendeurs.

Performativité des narratifs d’analyste

L’économiste Robert Shiller a mis en avant à quel point l’économie se constitue à partir de récits, c’est-à-dire d’histoires, ou stories, qui circulent et donnent un sens des évènements économiques. Chez les analystes financiers, ces « narratifs » correspondent aux interprétations et recommandations que font les analystes pour leurs clients. Notre étude prolonge ces travaux, ainsi que ceux de l’anthropologue Stefan Leins en mobilisant le concept d’autorité narrative. Cette autorité, et la compétition qui existe entre analystes pour l’obtenir, est au fondement de leur évaluation.

C’est en faisant circuler ces narratifs d’analystes qu’on voit leur « performativité ». Par l’intermédiaire des vendeurs, les narratifs des analystes sell-side atteignent les clients investisseurs qui peuvent eux-mêmes les réutiliser pour défendre leurs idées auprès de leurs propres clients. C’est ainsi que les narratifs circulent sur les marchés. Or, la valeur de ces narratifs dépend aussi des « modes » existantes sur les marchés, modes dont la dimension éphémère contraste avec le temps long nécessaire à un analystes pour développer une expertise. Comme dit l’une de nos sources, Michael, analyste sell-side dans une banque d’une capitale financière européenne :

« Si tu es réputé comme étant le meilleur fabricant de cabines téléphoniques aujourd’hui, tu es peut-être la star des cabines téléphoniques, mais plus personne n’en veut donc ça ne sert à rien. »

Ces modes sont cruciales pour les banques, car ces dernières se rémunèrent sur les transactions effectuées pour le compte de leurs clients. Les secteurs « à la mode » génèrent potentiellement plus de commissions, puisque le volume de transaction y est plus important. Elles ont comme contrepartie de remettre en cause régulièrement la valeur de l’expertise des analystes.

Notre étude rappelle ainsi qu’au-delà des transactions et des rapports écrits, les marchés sont bien animés par des professionnels incarnés qui parlent, échangent, analysent au quotidien. Ils font de ces termes un peu abstraits une communauté d’humains qui constituent sans toujours en avoir clairement l’idée les marchés qu’ils ne cessent de décrire tout au long de leurs carrières.

The Conversation

Cette étude a été menée dans le cadre d’une thèse de doctorat financée par l’ESCP Europe et le réseau Netw@rks.

Pénélope Van den Bussche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Ce que font vraiment les analystes financiers – https://theconversation.com/ce-que-font-vraiment-les-analystes-financiers-265102

Pourquoi la France, malgré la dégradation de sa note par les agences financières, reste emprunteuse « sans risque » pour les régulateurs ?

Source: The Conversation – in French – By Rémy Estran, CEO – Scientific Climate Ratings, EDHEC Business School

Si la France est notée par trois agences (Standard & Poor’s, Moody’s, et Fitch), les notations la plus élevée et la plus basse sont écartées ; c’est celle du milieu qui est retenue. WilliamBarton/Shutterstock

Malgré la dégradation de la note de la France de AA- à A+ en septembre 2025 par l’agence Fitch, puis en octobre 2025 par Standard & Poor’s, l’Hexagone est toujours considéré comme un emprunteur « sans risque » dans les bilans des banques et des assureurs. Pourquoi ce décalage ?


Vendredi 12 septembre 2025, Fitch a dégradé la note de la France de AA- à A+, après la clôture des marchés. Symboliquement, c’est un coup dur. Pour la première fois depuis plus de dix ans, la France a perdu son badge « double A ». Et pourtant, le lundi suivant, rien n’avait changé : le CAC 40 était en hausse et les spreads de crédit de la France étaient stables.

Rebelote un mois plus tard : le 18 octobre, Standard & Poor’s (S&P) abaisse à son tour la note de la France à A+. Là encore, aucune réaction notable des marchés – ni sur les spreads obligataires ni sur l’indice CAC 40. Le 24 octobre, Moody’s a pour sa part placé la note AA- de la France sous perspective négative.

L’explication courante ? Les marchés avaient déjà anticipé ces décisions. Mais est-ce vraiment toute l’histoire ?

Dans cet article, nous expliquons pourquoi, tant dans le cadre de la réglementation bancaire (Capital Requirements Regulation, CRR) relative aux exigences de fonds propres, que de la réglementation des assurances (Solvency II), la France est toujours considérée comme un emprunteur entrant dans la définition d’un pays « sans risque ».

Cela peut aider à comprendre l’impact limité jusqu’à présent des dégradations successives de Fitch et de Standard & Poor’s, tout en soulignant que les mécanismes bancaires et assurantiels à l’œuvre peuvent soudainement se transformer en couperet.

Notations vs échelons

Dans le cadre des approches standardisées, les réglementations prudentielles européennes (2024/1820 et 2024/1872 essentiellement) ne fonctionnent pas directement avec des notations alphabétiques, mais s’appuient sur des credit quality step (CQS), soit des échelons de qualité de crédit. Ces échelons sont des catégories générales qui regroupent plusieurs notations :

– CQS 0 : AAA (Solvency II uniquement ; le CRR ne comporte pas de niveau 0), comme l’Allemagne, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède.

– CQS 1 : AAA à AA- (CRR)/CQS 1 et AA+ à AA- (Solvency II), comme l’Autriche, la Finlande, l’Estonie, la Belgique ou la République tchèque.

– CQS 2 : A+ à A-, comme la Slovénie, la Slovaquie, la Pologne, la Lituanie ou la Lettonie.

– CQS 3 : BBB+ à BBB-, comme l’Italie, la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, ou la Hongrie.

– CQS 4-6 : notations spéculatives (BB+ et inférieures), comme la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord ou le Kosovo.

Techniquement, selon les réglementations bancaires et assurantielles, la dégradation de la note de la France par Fitch en septembre 2025 aurait pu la faire passer de CQS 1 à CQS 2. Mais ce n’est pas le cas.

Jusqu’en octobre 2025, date de la dégradation de la note française par Standard & Poor’s, ces deux cadres réglementaires continuaient de traiter la France comme un émetteur de très haute qualité, c’est-à-dire « AA » et non « A ». Cela tient à la manière dont les réglementations traitent les notes multiples : ni les banques ni les assureurs ne retiennent mécaniquement la note la plus basse.

Règle de la deuxième meilleure notation

En vertu de la réglementation bancaire et assurantielle européenne, la règle de la deuxième meilleure notation s’applique.

Par exemple, si un débiteur est noté par trois agences (S&P, Moody’s, Fitch), les notations la plus élevée et la plus basse sont écartées, et celle du milieu est retenue. Tant que deux des trois agences maintenaient la France dans la catégorie AA, la notation de référence aux fins du capital réglementaire restait CQS 1.




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En d’autres termes, même après la dégradation par Fitch à A+, les régulateurs continuaient de classer la France comme « AA ». Ce n’est qu’après la dégradation par S&P, le 17 octobre 2025, que la France est effectivement passée en CQS 2. Moody’s, de son côté, a maintenu sa note AA-, mais l’a placée sous perspective négative le 24 octobre – un signal d’alerte, certes, mais sans conséquence réglementaire à ce stade.

Toutes les dégradations ne se valent pas. Certaines modifient immédiatement la manière dont les institutions financières européennes doivent traiter le risque. D’autres, en revanche, restent sans effet opérationnel. Et pourtant, aucune n’a véritablement fait réagir les marchés.

Illusion réglementaire de la sécurité

Pour la plupart des débiteurs, tels que les entreprises ou les institutions financières, le passage d’un échelon de qualité de crédit, ou credit quality step (CQS), à un autre a une incidence directe sur les exigences de fonds propres. Dans le cas particulier des États souverains européens, même un passage officiel au CQS 2 n’a guère d’importance.

En vertu des règles actuelles, les obligations souveraines de l’Union européenne libellées dans leur propre devise ont en effet une pondération de risque de 0 %. Pourquoi ?

Dans la pratique, les banques ne sont pas tenues de mettre de côté des fonds propres pour couvrir le risque de défaut des emprunts de la France libellés en euros, et ce, quelle que soit la note attribuée à cette dette par les agences de notation.

De même, les assureurs qui détiennent des obligations émises par les États de l’Union européenne (libellées dans leur propre monnaie) ne sont soumis à aucune exigence de capital pour se prémunir contre un éventuel défaut de paiement sur ces titres.

Les seules exigences de fonds propres pour ces obligations proviennent des risques dits « de marché » : le risque de taux d’intérêt, c’est-à-dire la perte potentielle liée à une hausse des taux, et le risque de change, en cas de variation défavorable des devises étrangères. Aucun capital n’est exigé au titre du spread de crédit, c’est-à-dire du risque que le marché exige une prime plus élevée pour prêter à l’État.

Les prêts à la France – ou à tout autre État souverain européen dans sa monnaie nationale – sont considérés comme sans risque de crédit. Ce cadre a été conçu pour éviter la fragmentation et traiter la dette publique de tout État membre européen comme la base du système financier, quelle que soit la situation individuelle de chaque pays.

Paradoxe systémique

Les marchés font bien sûr déjà la distinction entre les États souverains. Les écarts se creusent, les prix des credit defaut swaps (CDS) – qui permettent aux investisseurs de s’assurer contre le défaut d’un émetteur de dette – augmentent et les investisseurs exigent une prime pour les crédits les plus faibles, bien avant que la dégradation ne soit officielle.

Du point de vue des fonds propres réglementaires, le cadre existant ne laisse aucune place à une distinction progressive au sein de l’Union européenne. La conséquence est claire : les États souverains européens sont considérés comme « sûrs » par définition, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus…

Cela crée une sorte d’« effet de falaise » organique. Tant que la confiance institutionnelle reste suffisante, la réglementation atténue partiellement la reconnaissance du risque. Dès qu’un seuil est franchi – souvent un seuil de confiance, plutôt que purement comptable –, la correction devient brutale. Ce qui devrait être une réévaluation progressive se transforme en rupture systémique.

Il y a quinze ans, la crise de la dette publique en Grèce avait suffi à déclencher une crise à l’échelle européenne. Aujourd’hui, la France nous rappelle que l’architecture même de la réglementation européenne rend sa stabilité financière moins graduelle que binaire. Tant que les marchés y croient, tout tient. Mais si la confiance venait à se dérober, ce n’est pas seulement la France qui vacillerait – ce serait toute l’Europe.

The Conversation

Rémy Estran est président de l’EACRA (European Association of Credit Rating Agencies).

ref. Pourquoi la France, malgré la dégradation de sa note par les agences financières, reste emprunteuse « sans risque » pour les régulateurs ? – https://theconversation.com/pourquoi-la-france-malgre-la-degradation-de-sa-note-par-les-agences-financieres-reste-emprunteuse-sans-risque-pour-les-regulateurs-266691

Les liaisons aériennes en Afrique manquent de fluidité : le G20 peut-il changer la donne ?

Source: The Conversation – in French – By Kaitano Dube, Faculty of Human Sciences Acting Research Professor, Vaal University of Technology

En Afrique, moins d’une ligne aérienne sur cinq est un vol direct. Les liaisons aériennes sont déterminées par des facteurs tels que le niveau des échanges commerciaux, les relations diplomatiques et l’existence d’une demande suffisante pour rendre une ligne rentable financièrement. À cause du manque de vols directs, les voyageurs qui souhaitent se rendre d’un pays africain à un autre sont souvent obligés de passer par l’Europe ou le Moyen-Orient. Cette situation renchérit le coût des déplacements et freine à la fois le tourisme et les investissements sur le continent.

En 2025, l’Afrique du Sud assure la présidence du G20, le groupe des grandes puissances économiques. Parmi ses quatre priorités dans le domaine du tourisme, figure la modernisation des accords aériens pour faciliter les vols directs ou les voyages sans rupture entre pays.

L’une de ses priorités est de promouvoir des accords de services aériens modernisés qui permettent des vols directs, ou des voyages sans interruption, entre les pays. Kaitano Dube, géographe spécialisé dans le tourisme, nous explique les enjeux.

Pourquoi la connectivité aérienne est-elle importante pour les pays africains ?

La connectivité aérienne mesure la facilité avec laquelle les personnes et les marchandises peuvent circuler par avion entre deux lieux. Elle est basée sur le nombre de destinations desservies et la fréquence des vols entre celles-ci.
Depuis longtemps, pouvoir voyager facilement à l’intérieur de l’Afrique est un rêve pour les entreprises touristiques et les touristes. Il a été perturbé par la pandémie de COVID-19, mais la reprise post-COVID-19 de l’industrie touristique a révélé que l’envie de voyager reste toujours forte.

Le tourisme est l’un des secteurs économiques les plus résilients au monde. Dans de nombreuses économies du G20, le tourisme contribue à plus de 10 % du produit intérieur brut. Mais les retombées sont très inégales : elles profitent surtout aux pays qui disposent d’un bon réseau aérien.
L’Afrique possède pourtant un riche patrimoine naturel et culturel, reconnu à l’échelle mondiale, avec de nombreux sites classés au patrimoine mondial. Mais de nombreux sites clés, tels que le parc national des montagnes du Simien en Éthiopie, les plateaux de grès du massif de l’Ennedi au Tchad ou le parc national du Banc d’Arguin en Mauritanie, sont parmi les moins accessibles.

La mauvaise connectivité aérienne freine la croissance économique, limite les investissements et maintient des millions de personnes en marge de la chaîne de valeur mondiale du tourisme. De nombreux voyageurs potentiels qui souhaiteraient voyager en Afrique aujourd’hui sont freinés par les coûts et la complexité des trajets.

Que fait la présidence sud-africaine du G20 en matière de connectivité aérienne ?

Le G20 a noté qu’une action coordonnée au niveau mondial pour améliorer la connectivité, en particulier pour les destinations émergentes, permettrait d’attirer davantage de visiteurs vers les régions encore peu fréquentées. Cela permettrait de répartir plus équitablement les bénéfices du tourisme sur l’ensemble du continent.

C’est pourquoi la présidence sud-africaine a choisi de faire de la connectivité sans rupture l’une de ses quatre priorités principales pour dynamiser le tourisme.

Le groupe de travail sur le tourisme du G20 a réfléchi à des moyens de promouvoir cette initiative et publiera un rapport sur le tourisme.

Les ministres du Tourisme du G20 ont également publié une déclaration encourageant les membres du G20 à créer les conditions nécessaires à des voyages aériens sans encombre.

Qu’est-ce qui faciliterait les vols en Afrique ?

Le G20 peut prendre six mesures clés :

Libéraliser le ciel : cela signifie simplement que les États membres du G20 devraient ouvrir des accords de services aériens (les accords officiels entre pays qui permettent aux compagnies aériennes de voler entre eux). Cela implique de réduire les restrictions sur les itinéraires ou la fréquence des vols et de permettre aux compagnies aériennes d’opérer plus librement. Il serait ainsi plus facile pour les compagnies aériennes de créer de nouvelles liaisons, de fixer des prix équitables et de se faire concurrence. Les voyageurs auraient ainsi plus de choix.

Relier les régions isolées : les destinations mal desservies par les compagnies aériennes, telles que celles situées en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, devraient être reliées. Cela pourrait stimuler le tourisme et le commerce sur les liaisons mal desservies et créer des emplois et des opportunités économiques dans ces régions.




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Promouvoir les carburants aériens verts et les technologies à faibles émissions : cela fait partie de la modernisation des compagnies aériennes afin qu’elles atteignent d’ici 2050 l’objectif Net Zero de réduction à zéro des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.

Intégrer les politiques du tourisme et des transports : le G20 devrait encourager l’intégration des politiques du tourisme et des transports dans tous les États membres ou au sein des pays. Cela permettra de réduire le temps nécessaire aux compagnies aériennes pour obtenir des autorisations de vol et de diminuer les coûts d’exploitation et d’octroi de licences.




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Réduire les obstacles liés aux visas et à la fiscalité : les États membres du G20 doivent réduire les redevances d’atterrissage, les taxes aéroportuaires et autres redevances aéronautiques afin de permettre à davantage de personnes de voyager. Les systèmes de visa doivent également être simplifiés afin de faciliter les voyages.

Création d’un indice de connectivité aérienne du G20 pour suivre les progrès : un portail mondial en ligne mesurant l’augmentation de la connectivité aérienne doit être mis en place par les États membres du G20. Il pourrait mesurer l’expansion des liaisons aériennes, les coûts des vols, les émissions de gaz à effet de serre des compagnies aériennes et la fréquence des vols intérieurs en Afrique.

Comment l’Afrique du Sud peut-elle mettre à profit sa présidence du G20 pour y parvenir ?

L’Afrique du Sud joue un rôle de passerelle pour le marché unique africain du transport aérien de l’Union africaine. Celui-ci fournit un cadre pour la libéralisation du ciel intra-africain grâce à la création d’un marché aérien unique et unifié.

Ce marché n’est pas encore pleinement mis en place, à cause du manque de volonté politique de plusieurs États africains membres de l’Union africaine. Il existe également des déficits en matière d’infrastructures : certains pays ont du mal à développer des aéroports et des systèmes de navigation aérienne adéquats. Le maintien de compagnies aériennes nationales économiquement viables a également été un combat pour les pays africains.

L’Afrique du Sud pourrait utiliser sa position au G20 pour mobiliser les pays riches et obtenir leur appui technique, leurs investissements et leur confiance afin de faire aboutir ce marché unique. Les effets seraient considérables : ouverture de nouvelles routes, baisse des tarifs, hausse du nombre de touristes et coopération accrue entre les régions africaines autour de projets communs de tourisme et de commerce.

Des recherches ont montré que le marché unique africain du transport aérien pourrait générer 1,3 milliard de dollars américains de produit intérieur brut supplémentaire et créer plus de 150 000 emplois par an. En d’autres termes, un marché aérien unique pourrait entraîner une augmentation du tourisme et créer de la richesse à travers le continent grâce aux voyages, au tourisme et à l’hôtellerie.

The Conversation

Kaitano Dube does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Les liaisons aériennes en Afrique manquent de fluidité : le G20 peut-il changer la donne ? – https://theconversation.com/les-liaisons-aeriennes-en-afrique-manquent-de-fluidite-le-g20-peut-il-changer-la-donne-268454

Syrian forced migrants in Turkey have built businesses despite challenges. Here’s what has helped them succeed

Source: The Conversation – France (in French) – By Eren Akkan, Associate Professor, Kedge Business School; European Academy of Management (EURAM)

By the end of 2024, the number of people worldwide who had been “forcibly displaced as a result of persecution, conflict, violence, human rights violations or events seriously disturbing public order” and had fled their countries stood at approximately 42.7 million, according to the UN Refugee Agency. Whether they are asylum seekers requesting temporary sanctuary or refugees who are unwilling to return to their countries of origin, forced migrants are people who haphazardly migrate to and strive to find safety in a new country.

While much attention focuses on their immediate needs, such as shelter, food, and security, many forced migrants are doing something remarkable: they’re starting businesses. For example, in Turkey, over 14,000 formal businesses owned or co-owned by Syrian forced migrants have been registered since the war in Syria began in 2011. By opening small restaurants, grocery stores and service providers, these entrepreneurs are working to rebuild their lives and contribute to their host communities.

However, building a business is often an uphill battle. Many forced migrant entrepreneurs face language barriers, discrimination and legal uncertainty. Yet, some manage to succeed. What makes the difference? Our recent research on Syrian forced migrant entrepreneurs in Turkey offers new insights. We point to the key factors that shape whether forced migrant businesses thrived or struggled. Understanding how these factors interact may reveal not only how to most effectively support forced migrant entrepreneurship but also how to ensure more inclusive societies.

The role of a host country identity

Forced migrants often turn to entrepreneurship out of necessity. Barred from regular employment or struggling to find work due to unrecognised credentials or to prejudice, many start small businesses to survive. The key question here is what transforms that act of survival into a story of success in a host country? Our study of 170 Syrian forced migrant entrepreneurs showed that their business performance didn’t just depend on acumen or capital but was also tied to how they saw themselves with respect to the host society.

Those who had a host country identity, that is, who reported having a strong sense of belonging and an emotional and mental connection to the people and institutions in Turkey, were more likely to adapt their businesses to local customers, seek opportunities, and build lasting relationships. A host country identity was a predictor of both financial performance (ie whether the business was more profitable and had higher returns relative to its main competitors) and customer performance (ie whether the business attained superior outcomes in managing its customer base compared to its main competitors).

A host country identity doesn’t form in a vacuum. Local language proficiency plays a powerful role. In our study, forced migrants who felt confident speaking the host country’s language were more likely to feel connected to local contexts, including markets and customers. In contrast, perceived discrimination had the opposite effect. We found that when entrepreneurs reported being treated unfairly by customers, landlords, or officials, it chipped away at their sense of belonging. In fact, social exclusion can be subtle, with customers avoiding shops, commercial landlords denying lease agreements, or government officials delaying permits. We found that these experiences hindered the success of forced migrants’ businesses by curbing their sense of connectedness to the host country.

The role of legal protection – and its timing

Legal status plays a critical but often overlooked role in this story. In Turkey, Syrian forced migrants are granted “temporary protection” status, which affects their ability to access capital and open formal businesses. But not everyone receives this protection at the same time. We found that promptly granted formal protection was crucial. Forced migrants who received legal temporary protection shortly after arrival were affected by discriminatory attitudes to a lesser extent, hence feeling more secure and included in the host country. By contrast, those who waited longer for protection tended to be more adversely affected by discriminatory attitudes, which weakened their feeling of connection toward the host country. Even when they eventually got legal status, the damage to their sense of belonging had often already been done. We believe that this delay creates a kind of invisible disadvantage, one that policies aimed at helping forced migrants rarely address.

A social justice issue

This isn’t only about forced migrant business owners, but all of us. When forced migrant entrepreneurs succeed, they don’t just lift themselves out of poverty or precarity. They create jobs, pay taxes, serve customers, and bring new ideas into local economies. They become part of the social and economic fabric of their communities. In contrast, when they’re held back due to language barriers, discrimination or slow-moving legal systems, everyone loses out on their potential.

This is also a social justice issue. Forced migrants didn’t choose to leave their homes. Many lost everything. And yet, instead of giving up, they’re trying to contribute and belong. The least we can do is remove the barriers that make their integration harder than it already is.

Our research suggests a few actions that policymakers and civil society can take. First, ensure timely legal protection for forced migrants. Fast-tracking legal status can give them the foundation they need to start planning their lives and their businesses with confidence. Second, invest in language programmes. Forced migrants with strong language skills are better positioned to engage economically and socially. Third, combat discrimination through public education. Negative stereotypes about forced migrants don’t just hurt feelings, they hurt economies. Promoting positive narratives and intergroup contact can reduce prejudice and build more inclusive communities.

The Fast Track initiative in Sweden, which partially reflected these recommendations by focusing on language learning, credential recognition, and “workplace integration”, illustrated how targeted support can accelerate inclusion. According to a report prepared for the Nordic Council of Ministers, a Fast Track effort that focused on newly arrived entrepreneurs “led to… increased motivation and inspiration” and “83 new businesses [being] initiated by participants”. These findings underscore the potential effects of coordinated, early interventions.

Forced migration is one of the defining issues of our time. As wars, climate change, and instability continue to uproot people, countries around the world will need to do more than offer short-term aid. They’ll need to offer pathways to belonging, and that starts with recognising that forced migrant entrepreneurs aren’t a problem to be solved. They’re part of how countries can integrate newcomers while boosting economic growth and community development.


A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


The European Academy of Management (EURAM) is a learned society founded in 2001. With over 2,000 members from 60 countries in Europe and beyond, EURAM aims at advancing the academic discipline of management in Europe.

The Conversation

This work was supported by the Department of Research and Universities of the Generalitat de Catalunya and the Ramon Llull University (2023-URLProj-079).

Burcin Hatipoglu et Eren Akkan ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Syrian forced migrants in Turkey have built businesses despite challenges. Here’s what has helped them succeed – https://theconversation.com/syrian-forced-migrants-in-turkey-have-built-businesses-despite-challenges-heres-what-has-helped-them-succeed-267901

Dix ans après, quel bilan pour l’accord de Paris ?

Source: The Conversation – in French – By Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

Que reste-t-il de l’accord de Paris, dix ans après sa signature, au moment de l’ouverture de la COP30 au Brésil, dans un contexte de tensions géopolitiques et de « backlash » climatique mené par les États-Unis ? Des signaux encourageants subsistent malgré tout, notamment l’accélération des transitions énergétiques dans les pays émergents. De quoi garder entrouverte une fenêtre, certes bien étroite, sur la voie de la stabilisation de la température mondiale.


Lors de son adoption en 2015, l’accord de Paris a généré beaucoup d’espoirs, car il embarquait l’ensemble des signataires. De par son caractère universel, il allait donner une tout autre dimension à la lutte contre le réchauffement planétaire.

Changement d’ambiance, dix ans après, à l’ouverture de la COP30 sur le climat à Belém au Brésil, qui doit se tenir du 10 au 21 novembre 2025. En 2024, le thermomètre a affiché un réchauffement de 1,5 °C, les émissions mondiales de CO2 ont continué d’augmenter et sa concentration dans l’atmosphère a battu tous ses records. Avec la défection des États-Unis après la réélection de Donald Trump, l’universalisme de l’accord en a pris un sérieux coup.

Ni tout rose ni tout noir, notre bilan de dix années d’application de l’accord de Paris s’écarte d’une telle vision simpliste suggérant que rien n’a bougé durant les dix dernières années. Depuis 2015, des progrès substantiels ont été réalisés.

« Les émissions mondiales ne cessent d’augmenter ». Oui, mais…

Le premier bilan global des émissions de gaz à effet de serre discuté à la COP de Dubaï en 2023 a certes rappelé que les émissions mondiales de gaz à effet de serre n’étaient pas encore stabilisées. Diagnostic confirmé en 2024, mais qui reste insuffisant à ce stade pour analyser l’impact de l’accord de Paris sur le régime des émissions.

On peut également relever que :

  • Au cours de la dernière décennie, le rythme de croissance des émissions mondiales de CO2, le principal gaz à effet de serre d’origine anthropique, a été divisé par trois relativement à la décennie précédente.

  • Cette inflexion majeure s’explique par le déploiement, bien plus rapide qu’escompté, des capacités de production d’énergie solaire et éolienne.

La transition d’un système économique reposant sur les énergies de stock (fossile et biomasse) vers des énergies de flux (soleil, vent, hydraulique…) a donc été bel et bien amorcée durant les dix premières années de l’accord. Elle semble désormais irréversible, car ces énergies sont devenues bien moins coûteuses pour les sociétés que l’énergie fossile.

De plus, on ne saurait jauger de l’efficacité de l’accord à partir du seul rétroviseur. Il faut également se projeter dans le futur.

Les principaux émetteurs de CO₂ dans le monde.
Fourni par l’auteur

Du fait de ses investissements massifs dans la production et l’utilisation d’énergie renouvelable, la Chine est en train de franchir son pic d’émissions, pour des rejets de CO2 de l’ordre de 9 tonnes par habitant, quand les États-Unis ont passé leur pic à 20 tonnes, et l’Europe à 11 tonnes. L’Inde pourrait d’ici une dizaine d’années franchir le sien à environ 4 tonnes.

Le fait que ces pics d’émissions soient substantiellement plus bas que ceux des vieux pays industrialisés est une information importante. Les pays moins avancés peuvent désormais construire des stratégies de développement sautant la case fossile. Ceci laisse une fenêtre entrouverte pour limiter le réchauffement planétaire en dessous de 2 °C.

Des objectifs de température désormais inatteignables ?

L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a indiqué que le thermomètre avait franchi 1,5 °C en 2025, soit la cible de réchauffement la plus ambitieuse de l’accord. Cette poussée du thermomètre reflète en partie la variabilité à court terme du climat (épisode El Niño, par exemple). Elle résulte également de dangereuses rétroactions : le réchauffement altère la capacité des puits de carbone naturels (forêts et océan) à séquestrer le CO2 de l’atmosphère.

Faut-il pour autant en conclure que les objectifs sont désormais inatteignables, au risque d’ouvrir un peu plus les vannes du backlash climatique ?

L’alerte de 2024 confirme ce qui était déjà apparu dans les scénarios prospectifs du 6ᵉ rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Du fait de l’inertie du stock de CO2 déjà présent dans l’atmosphère, la cible de 1,5 °C est en réalité dépassée avant 2035 dans la majorité des scénarios.

Cela n’exclut pas qu’on puisse limiter le réchauffement en dessous de 2 °C, l’autre cible de l’accord de Paris, à condition de réduire massivement les émissions de CO2 une fois le pic d’émission atteint. D’après le Global Carbon Budget, le budget carbone résiduel pour limiter le réchauffement à 2 °C s’établit à environ vingt-cinq années au rythme actuel d’émissions.

Et pour viser 1,5 °C ? Il faut alors passer en régime d’émissions nettes négatives durant la seconde partie du siècle. Dans ces scénarios dits du « dépassement » (overshooting), les puits de carbone séquestrent plus de CO2 qu’il n’en est émis, ce qui permet de faire redescendre le thermomètre après le franchissement du seuil. Ce serait toutefois aller au-delà de l’accord de Paris, qui se contente de fixer un objectif de zéro émission nette.

Comment financer une transition juste ?

L’accord de Paris stipule que les financements climatiques internationaux à la charge des pays développés doivent atteindre au minimum 100 milliards de dollars (86,4 milliards d’euros) par an à partir de 2020, puis être fortement réévalués.

Le bilan est ici en demi-teinte :

  • La barre des 100 milliards de dollars (86,4 milliards d’euros) n’a été franchie qu’en 2022, avec trois ans de retard.

  • À la COP29 de Bakou, un nouvel objectif de 300 milliards de dollars (259,2 milliards d’euros) par an à atteindre d’ici 2030 a été acté. Un tel triplement, s’il est effectif, ne permettra de couvrir qu’une partie des besoins de financement, au titre de l’adaptation au changement climatique, et des pertes et dommages.

Durant les dix premières années de mise en œuvre de l’accord, il n’y a toutefois guère eu d’avancée sur les instruments financiers à utiliser. En particulier, les dispositions de l’article 6 ouvrant la possibilité d’appliquer la tarification carbone n’ont pas été traduites dans un cadre opérationnel permettant leur montée en puissance.

Manque également à l’appel un accord plus précis sur qui paye quoi en matière de financement climatique. Ce flou artistique quant à qui sont les bailleurs de fonds et à hauteur de combien chacun doit contribuer fragilise la portée réelle de l’engament financier.

Il reste donc beaucoup de chemin à parcourir pour traduire la promesse de 300 milliards de dollars (259,2 milliards d’euros) par an en engagements crédibles.

Les COP sur le climat, l’énergie fossile et le jeu des lobbies

Pas plus que la Convention climat datant de 1992, l’accord de Paris ne mentionne la question de la sortie des énergies fossiles, le terme lui-même n’étant nulle part utilisé.

En 2021, la décision finale de la COP26 mentionnait pour la première fois le nécessaire abandon du charbon ; celle de la COP28 à Dubaï élargissait la focale à l’ensemble des énergies fossiles. C’est un progrès, tant la marche vers le net zéro est indissociable de la sortie accélérée des énergies fossiles.

Paradoxalement, depuis que les COP ont inscrit la question de l’énergie fossile à leur ordre du jour, la présence des lobbies pétrogaziers s’y fait de plus en plus pesante.

Elle est visible dans les multiples évènements qui se tiennent parallèlement aux sessions de négociation, et plus discrète au sein des délégations officielles conduisant les négociations. Une situation régulièrement dénoncée par les ONG qui réclament plus de transparence et une gouvernance prévenant les conflits d’intérêts lorsque le pays hôte de la COP est un pays pétrolier, comme cela a été le cas à Dubaï (2023) et à Bakou (2024).

En réalité, l’accord de Paris n’a pas accru l’influence des lobbies proénergie fossile : ces derniers s’appliquent à freiner les avancées de la négociation climatique depuis ses débuts. Il n’a pas non plus réduit leur pouvoir de nuisance, qui résulte de la prise de décision au consensus, qui donne un poids disproportionné aux minorités de blocage. Pas plus qu’il ne prévoit de mécanisme retenant ou pénalisant ceux qui font défection.

Un « backlash » climatique impulsé par l’Amérique trumpienne

Parmi les décrets signés par Donald Trump le premier jour de sa présidence figurait celui annonçant le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Une façon particulière de souffler la dixième bougie d’anniversaire.

Si la sortie lors du premier mandat avait été un non-événement, il en fut autrement cette fois-ci. En quittant l’accord, l’Amérique trumpienne ne s’est nullement mise en retrait. L’offensive engagée au plan interne par l’administration républicaine contre toute forme de politique climatique s’est doublée d’une diplomatie anti-climat agressive, comme l’a illustré le torpillage en règle de l’accord sur la décarbonation du transport maritime de l’Organisation maritime internationale.

Cette diplomatie repose sur les mêmes fondements que la nouvelle politique étrangère du pays : la défense de ses intérêts commerciaux, à commencer par ceux des énergies fossiles, à l’exclusion de toute autre considération portant sur les normes internationales en matière de droits humains, de défense de l’environnement ou de lutte contre le réchauffement planétaire.

Cette offensive anti-climat peut-elle sonner le glas de l’accord de Paris ? Les États-Unis disposent d’alliés parmi les grands exportateurs d’énergie fossile et leur idéologie anti-climat se diffuse insidieusement au-delà de leurs frontières. S’ils faisaient trop d’émules, l’accord de Paris perdrait rapidement de sa consistance.

Un autre scénario peut encore s’écrire : celui d’un front commun entre la Chine, l’Union européenne et l’ensemble des pays réaffirmant leurs engagements climatiques. Un tel jeu d’alliance serait inédit et pas facile à construire. Il sera peut-être rendu possible par la démesure de l’offensive anti-climat de l’Amérique trumpienne. Le premier acte se jouera à la COP de Belém, dès novembre prochain.

The Conversation

Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Dix ans après, quel bilan pour l’accord de Paris ? – https://theconversation.com/dix-ans-apres-quel-bilan-pour-laccord-de-paris-268532

Aliments sans gluten : qui les achète et pourquoi ? quels ingrédients inattendus contiennent-ils ?

Source: The Conversation – in French – By Marie-Françoise Samson, Chercheuse en biochimie alimentaire, Inrae

Celles et ceux qui privilégient les aliments sans gluten font souvent ce choix car ces produits sont perçus comme plus sains. Mais certaines recettes incorporent une longue liste d’ingrédients (agents de texture, protéines, matières grasses, sucres et autres additifs) et… beaucoup d’eau. C’est ce que révèlent Dominique Desclaux et Marie-Françoise Samson, de l’Inrae, dans « Gluten, alimentation et santé » (éditions Quae).


La proportion de gens qui évitent/bannissent le gluten de leur alimentation est variable. En 2013 par exemple, 30 % des Américains se déclaraient intéressés par un régime sans gluten. Soixante-cinq pour cent pensent aussi que ce régime est plus sain et 27 % le choisissent pour perdre du poids (Jones, 2017).

En France, selon des données de l’enquête Nutrinet collectées en 2016, sur un peu plus de 20 000 personnes, 10,31 % d’entre elles éviteraient le gluten et 1,65 % de façon stricte. Selon une autre enquête réalisée en Angleterre en 2019, parmi les personnes qui évitent le gluten, 76 % le font parce qu’elles ont la maladie cœliaque, 8 % parce qu’elles sont intolérantes au gluten, 10 % parce qu’elles vivent avec une personne cœliaque et seulement 6 % pour d’autres raisons (Vriesekoop et al., 2020).

Parmi ces autres raisons vient en tête la perception que le régime sans gluten est plus sain, qu’il peut procurer un bien-être et un confort physique immédiats et sur le long terme. Vient ensuite la volonté de perdre du poids. Parmi ces consommateurs, on retrouve beaucoup de femmes, plutôt jeunes.

En France et dans différents pays, les consommateurs qui font le choix d’une alimentation sans gluten pour des raisons liées au bien-être ont recours à d’autres pratiques qui, pour eux, vont dans le même sens : plus de fruits et légumes, moins d’alcool et de produits gras et sucrés, mais aussi moins de produits laitiers. Ces mêmes personnes privilégient les produits issus de l’agriculture biologique, les circuits courts et évitent les aliments ultratransformés.

Une liste d’ingrédients longue comme un jour sans pain

Soixante-dix pour cent des aliments consommés par les Français contiendraient du gluten. On rappelle que, dans les produits à base de blé, comme le pain ou les gâteaux, le réseau de gluten se développe lors du pétrissage et de la formation de la pâte. Une structure protéique tridimensionnelle est créée, qui apporte de l’élasticité au mélange. Ce réseau piège aussi le gaz carbonique (CO2) produit lors de la fermentation, dans le cas du pain, ou généré par la levure chimique dans le cas des gâteaux. Les bulles de gaz formées vont alors s’expanser tout en étant contenues par le réseau et provoquer la levée de la pâte. Lors de la cuisson, le réseau se fige, contribuant ainsi à la stabilité du produit.

Ces propriétés uniques rendent le gluten presque indispensable à la formulation de produits tels que le pain ou les gâteaux. Dans le cas des produits type « pain sans gluten », la fabrication est un défi, car rien ne peut rivaliser avec les protéines du blé, mais des formulations complexes vont permettre de s’en approcher.

Si la liste des ingrédients est restreinte dans un pain de tradition française – une farine de blé panifiable, de l’eau, du sel, un levain ou une levure, et éventuellement d’autres farines (farines de fève 2 % max., farine de soja 0,5 % max., farine de blé malté 0,3 % max.) –, il n’en va pas de même pour leurs analogues sans gluten vendus dans le commerce. Parfois, une vingtaine d’ingrédients sont nécessaires pour obtenir un pain.

Quelles farines pour du sans-gluten ?

Se passer de gluten nécessite d’avoir recours à d’autres céréales et d’autres ingrédients ou additifs. L’élément principal est le plus souvent un amidon, comme dans les pains à base de blé (l’amidon est le constituant majeur de la farine de blé). Celui du maïs est l’ingrédient principal dans environ 60 % des recettes (Roman et al., 2019). Il est très souvent associé à une farine de riz blanc (dans 30 % des formulations). L’amidon de maïs donne des pains avec un volume important, mais avec une texture plutôt sèche et friable.

D’autres types d’amidon sont parfois incorporés dans des proportions plus faibles, comme le tapioca, la fécule de pommes de terre ou des amidons modifiés. D’autres farines peuvent venir compléter la liste des ingrédients de base, comme des farines de riz complet ou de sarrasin.

Ces ingrédients de base sont une réalité commerciale, mais la littérature scientifique fait état d’essais avec des farines de céréales autres que le riz ou le maïs : sorgho, millet, teff ; de pseudo-céréales : amarante, quinoa, chia ; de légumineuses (pois chiches, pois, soja) ; ou encore de châtaignes. Les légumineuses sont intéressantes sur le plan nutritionnel (teneur en protéines plus élevée et composition en acides aminés différente et complémentaire de celle des céréales), mais, si elles sont utilisées en proportions trop importantes, les études sensorielles révèlent qu’elles apportent de l’amertume ou des goûts inhabituels mal perçus par les jurys et les consommateurs.

Comment épaissir et retenir l’eau ?

Des agents de texture (hydrocolloïdes) sont incorporés dans plus de 80 % des recettes pour leurs propriétés épaississantes et leur forte capacité à retenir l’eau. Ils permettent aussi d’augmenter la viscosité du mélange, afin de mieux retenir les gaz de fermentation et la levée de la pâte. Le plus fréquemment utilisé est l’hydroxypropyl méthylcellulose (HPMC). Les gommes de xanthane, de guar ou de caroube sont aussi utilisées, car elles présentent une meilleure capacité de rétention d’eau. Des pectines sont parfois ajoutées, mais moins fréquemment que le psyllium (plantain des Indes), reconnu aussi pour ses effets bénéfiques sur la santé (traitement des diarrhées et de la constipation, régulation de la glycémie et de la lipidémie).

Quelles protéines rajouter ?

À côté de l’amidon et des ingrédients structurants, les protéines les plus fréquemment incorporées proviennent de l’œuf, entier ou blanc, ou du soja. On peut citer aussi les protéines de pois, de lupin ou de lait. L’ajout de protéines permet en outre de développer des arômes lors de la cuisson, par le biais de la réaction de Maillard.

Pourquoi rajouter du sucre ?

La plupart des pains sans gluten contiennent des sucres ajoutés : saccharose le plus souvent, glucose, fructose, sirops d’origines diverses (betterave, canne à sucre, sirop de maïs, de riz ou d’agave). Les sucres sont ajoutés pour servir de « carburant » aux levures et amener le développement d’arômes et de la coloration lors de la cuisson, toujours par le biais de la réaction de Maillard.




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Certains rajoutent aussi du gras…

Des huiles et des matières grasses sont également incorporées afin de renforcer la sensation d’humidité en bouche, d’améliorer la texture (pains moins durs, mie plus souple) ainsi que la durée de conservation, très souvent jugée décevante. Les huiles de colza/canola, tournesol et soja sont les plus utilisées devant l’huile d’olive, la margarine ou l’huile de palme.

… et encore de nombreux additifs

Parmi les ingrédients mineurs, on retrouve :

  • des émulsifiants utilisés pour stabiliser les bulles et les uniformiser dans la pâte, ou encore pour limiter les pertes en eau au cours du temps. Parmi les plus employés, on trouve les mon – -o- et diglycérides d’acides gras et les lécithines ;

  • les conservateurs comme l’acide propionique, le glycérol, les sorbates ;

  • des agents levants, naturels comme les levures et les levains, ou chimiques comme le bicarbonate de sodium ;

  • des acides pour améliorer la conservation en diminuant le pH et pour produire du CO2 avec le bicarbonate ;

  • des arômes ;

  • des graines entières ou broyées de lin, tournesol, sésame, pavot, chia ou courge qui vont apporter des oméga-3 et des oméga-6 et masquer certains goûts désagréables ;

  • des fibres en plus des hydrocolloïdes, pour enrichir les pains sur le plan nutritionnel et pour augmenter la capacité de rétention d’eau (inuline, fibres de pomme ou de betterave) ;

  • des enzymes pour former des liaisons entre les polymères entrant dans la composition du pain ou pour produire des sucres pour les levures ;

  • du sel…

Et de l’eau, dont la proportion varie, selon les ingrédients ajoutés, de 50 à 220 %.

Les pâtes et biscuits sans gluten : moins d’additifs ?

Contrairement au pain, les pâtes alimentaires et les biscuits ont des listes d’ingrédients beaucoup plus courtes. Dans le cas des pâtes alimentaires, la substitution du blé dur par 100 % de légumineuses (pois chiches, lentilles) est maintenant fréquente. Cependant, la grande majorité des pâtes sont élaborées à partir de farine de riz ou de maïs ou encore de mélanges des deux. Dans quelques cas, on retrouve des émulsifiants (mono – et diglycérides d’acides gras). La composition des biscuits est également plus « légère », dans la mesure où la pâte n’est pas levée. Là encore, les ingrédients de base sont l’amidon de maïs et la farine de riz, additionnés de sucre, de matières grasses, de levure chimique et de sel.

Les produits sans gluten sont-ils ultratransformés ?

Sur le plan organoleptique, des efforts ont été réalisés par les industriels pour améliorer les propriétés des produits sans gluten. À propos du pain, les critiques les plus fréquentes portent sur la texture qualifiée de dure et de friable, sur l’aspect des alvéoles parfois très grosses, sur le goût qualifié de fade ou de « carton ». Les reproches concernent aussi sa conservation. Les pâtes alimentaires sont, pour leur part, jugées plus proches, voire équivalentes aux analogues contenant du gluten.

Sur le plan nutritionnel, les produits sans gluten apparaissent de qualité inférieure à celle des équivalents qui en contiennent (pains, pâtes, biscuits, gâteaux, snacks, pizza).

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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