Afrique de l’Ouest : comment les transitions militaires se nourrissent des dynamiques sécuritaires

Source: The Conversation – in French – By Christian Abadioko Sambou, Dr en Sciences Politiques, spécialiste en paix & sécurité, Université Numérique Cheikh Hamidou Kane

Depuis plus de dix ans, les violences terroristes déstabilisent le Sahel central (Burkina Faso, Mali, Niger), fragilisant les sociétés, les institutions et les régimes démocratiques. Dans ce contexte, des coups d’État militaires ont eu lieu au Mali (2020, 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), invoquant la nécessité de restaurer l’ordre. Ces régimes prolongent la transition au-delà de son cadre temporaire, privilégiant la promesse de stabilité à un retour constitutionnel.

En tant que chercheur, j’ai étudié les crises sécuritaires en Afrique de l’Ouest, notamment les conflits sécessionnistes et leur évolution dans des Etats en permanente modernisation et démocratisation. Selon moi, la trajectoire des institutions et des régimes politiques, ainsi que leur effet sur la paix et la sécurité au Sahel, constitue un sujet de recherche particulièrement pertinent.

Dans cet article, j’explore comment l’insécurité persistante légitime les gouvernements militaires, où le pouvoir repose sur la gestion de la menace plutôt que sur l’élection, transformant ainsi la transition en un mode de gouvernance durable.

Echec de dix ans de lutte contre le terrorisme

Les transitions militaires au Sahel central sont le symptôme d’un échec plus large : celui des politiques internationales de lutte contre le terrorisme. Depuis 2013, l’engagement militaire étranger — à travers l’opération Serval puis Barkhane, la force conjointe du G5 Sahel, ainsi que divers dispositifs bilatéraux et multilatéraux soutenus par l’Union européenne — a privilégié une approche strictement sécuritaire. Cette stratégie a eu pour effet de marginaliser des dimensions essentielles telles que la gouvernance démocratique, la justice sociale et le développement.

La coordination entre les multiples acteurs internationaux et locaux a manqué de cohérence, chacun poursuivant des agendas parfois divergents. Cette fragmentation stratégique a favorisé l’extension des violences : du nord du Mali vers le centre, puis dans l’ensemble du Burkina Faso et certaines régions du Niger comme Tillabéry, Tahoua ou Diffa.

Les données d’Armed Conflict Location & Event Data (ACLED, une organisation qui recueille des données sur les conflits violents et les manifestations) montrent une nette augmentation des violences et des morts après 2020, principalement au Burkina Faso épicentre du terrorisme. Le nombre de décès lié aux violences a augmenté de 28 % entre 2020 et 2022 (année du coup d’Etat). Depuis 2020, le pays a enregistré plus de 28 000 décès (20 000 au Mali,7 000 au Niger).

Les conséquences humanitaires sont alarmantes : des milliers de morts au Sahel central, la fermeture de près de 10 000 écoles et centres de santé (OCHA), et près de 3 millions de personnes déplacées selon le Haut commissariat des unies pour les réfugiés (UNHCR).

Dans ce chaos, les groupes armés prolifèrent. Ils ont de plus en plus recours à l’utilisation de drones. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), l’État islamique au grand Sahara (EIGS), Boko Haram (au Nigeria), la Katiba Macina (au Mali), ainsi que des milices d’autodéfense et des groupes communautaires armés, contribuent à aggraver les tensions locales.

La perte de légitimité des gouvernements civils et la défiance envers les partenaires internationaux se sont accentuées. Cela s’est traduit par un rejet massif de la présence militaire étrangère et une contestation croissante des élites locales. Des manifestations ont éclaté à Bamako (2020), Ouagadougou (2021) et Niamey (2023). La confiance envers la MINUSMA, Barkhane et la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) s’est progressivement effritée.

Dans ce contexte, les transitions militaires apparaissent pour certains citoyens de ces pays comme une réponse à l’échec des interventions extérieures. Les militaires sont perçus comme les seuls capables d’agir dans un environnement dominé par l’urgence sécuritaire. Or, cette réponse ne règle ni les causes profondes ni les effets délétères du conflit.




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Coups d’Etat militaires et « solutions transitoires »

Depuis 2020, les coups d’État militaires au Sahel central se multiplient, directement liés à la persistance d’une crise sécuritaire profonde. Le Mali a ainsi connu deux coups en août 2020 et mai 2021, suivi du Burkina Faso en janvier et septembre 2022, puis du Niger en juillet 2023.

Si les premiers coups d’Etat des années 60 à 80 ont souvent été attribués aux influences étrangères, la vague de coups d’État récente depuis 2020 au Sahel central, résulte en réalité davantage d’une grave détérioration sécuritaire interne que d’une manipulation extérieure. Mais désormais, les dirigeants utilisent une rhétorique sécuritaire prévalente depuis les années 2000 pour légitimer leurs actions politiques et judiciaires, réduisant ainsi tout débat politique au seul prisme sécuritaire.

Face à l’échec sécuritaire des États, les régimes militaires du Sahel central ont adopté une stratégie de durcissement, s’alliant à des acteurs comme la Russie et les paramilitaires d’Africa Corps (ex-Wagner). Rejetant les approches multilatérales de la Minusma, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) ou de la France, ces régimes revendiquent leur souveraineté et bouleversent la géopolitique régionale. Pourtant, les transitions se prolongent sans freiner les violences : les attaques terroristes se poursuivent, les groupes armés restent actifs.

Pire, cette réponse strictement militaire engendre des violations des droits humains, aggrave les tensions communautaires et favorise la radicalisation.

Ainsi, loin d’apporter une véritable stabilisation, les transitions deviennent progressivement des outils de répression politique, de restriction des libertés individuelles et de musèlement des contre-pouvoirs, notamment au Mali.

Finalement, la combinaison complexe entre instabilité politique et sécuritaire entretient ce cycle continu de transitions prolongées. Cela révèle les limites intrinsèques de ces transitions lorsqu’elles sont envisagées comme seule réponse à la crise durable du Sahel central.




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Des assises nationales plutôt que des élections

La notion de transition, entendue comme une période brève entre deux régimes politiques, tend à perdre son sens au Sahel central. Traditionnellement, une transition comprend deux sous-phases : la libéralisation (ouverture politique) et l’organisation d’élections libres menant à un régime démocratique. Toutefois, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les autorités militaires prolongent cette phase au point de consolider un nouveau pouvoir qui se veut permanent, et rompt avec la tradition de démocratisation.

Les assises nationales, censées être inclusives, sont devenues un outil de légitimation du pouvoir militaire au détriment des élections. Ces assises, tenues au Mali (septembre 2020, décembre 2021, juin 2023), au Burkina Faso (février 2022, octobre 2022, mai 2024) et au Niger (concertations limitées et non nationales), se présentent comme des assemblées populaires, mais elles contournent les mécanismes démocratiques en excluant les voix divergentes et en opérant sur la base d’un consensus préétabli favorable aux militaires.

Elles se substituent à l’élection en définissant la durée de la transition, en érigeant des colonels en généraux, en nommant des présidents de la République, et en fixant les orientations économiques du pays. Ces pratiques traduisent une institutionnalisation de la gouvernance militaire, éloignée du caractère temporaire d’une transition.

Parallèlement, les régimes militaires jouissent d’un soutien populaire alimenté par un rejet massif de la France, de la communauté économique des Etas de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) et des élites politiques traditionnelles. La perception d’un manque de compassion et de solidarité dans la lutte contre le terrorisme, les sanctions imposées par les institutions régionales suite aux coups d’Etat, perçues comme des relais des puissances occidentales, ont légitimé aux yeux des opinions locales un retrait des trois Etats de la Cedeao.

Ce contexte a contribué à la création de l’Alliance des États du Sahel (AES), structure à vocation sécuritaire mais de plus en plus politique. L’AES cherche à structurer un nouvel ordre régional en bousculant les équilibres régionaux.

Recul de la démocratie

Le discours souverainiste, profondément anti-occidental, s’appuie à la fois sur le passif colonial et l’échec sécuritaire des partenaires classiques. Il a permis de matérialiser le départ de la France de la région, sans pour autant construire une véritable autonomie stratégique. Le remplacement de la force Barkhane par Wagner, devenu Africa Corps, interpelle toutefois sur la souveraineté revendiquée.

La gouvernance militaire repose désormais sur un agenda sécuritaire renforcé, où les élections sont repoussées sine die, les libertés restreintes et les droits humains souvent bafoués. Tout cela justifié par l’état de guerre contre le terrorisme. Cette militarisation se manifeste aussi par l’intégration des civils dans des gouvernements militaires et la mobilisation de forces paramilitaires comme les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) au Burkina Faso.

Face à cette dynamique, la démocratie électorale recule tandis que d’autres pays ouest-africains (Sénégal, Cap-Vert, Bénin) conservent une trajectoire démocratique. Le contraste souligne les défis historique de sécurité et de stabilité politique communs à l’ensemble des pays de la région. Il soulève surtout la question de l’évolution des régimes politiques en situation de conflits asymétriques.

Au Sahel central, on assiste ainsi à une réinvention du logiciel de lecture des régimes de transition.

The Conversation

Christian Abadioko Sambou does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Afrique de l’Ouest : comment les transitions militaires se nourrissent des dynamiques sécuritaires – https://theconversation.com/afrique-de-louest-comment-les-transitions-militaires-se-nourrissent-des-dynamiques-securitaires-262056

Pourquoi l’accessibilité universelle nous concerne tous

Source: The Conversation – in French – By Carmela Cucuzzella, Dean, Faculty of Environmental Design, Université de Montréal, Full Professor School of Design, Université de Montréal

L’accessibilité universelle profite à toute la société, bien au-delà des personnes en situation de handicap. Elle renforce la santé publique et stimule l’économie.

Encore faut-il en faire une priorité.

L’accessibilité — référence à la conception d’environnements, de produits et de services qui permettent aux personnes de toutes capacités de participer pleinement à la vie quotidienne — est particulièrement cruciale pour les personnes en situation de handicap, les personnes âgées et les autres groupes marginalisés.

Je suis doyenne de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal tandis que mon collègue Bechara Helal y est vice-doyen à la recherche et à la vie scientifiques. Nous examinons comment l’accessibilité façonne la santé publique et le développement économique, en nous appuyant sur des recherches et des études de cas pertinentes.


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Santé publique : quand l’environnement devient un soin

La santé publique est étroitement liée à l’accessibilité. Lorsque les environnements sont conçus pour être exempts d’obstacles, les individus peuvent accéder aux services de santé, participer à des activités physiques et maintenir des liens sociaux, autant d’éléments qui contribuent au bien-être général. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que l’accessibilité aux établissements de santé est essentielle pour prévenir les disparités en matière de santé.

Des obstacles tels que l’inaccessibilité des cliniques, le manque d’interprètes en langue des signes et les difficultés de transport empêchent les gens d’obtenir des soins en temps voulu, ce qui aggrave les maladies chroniques et entraîne une augmentation des coûts des soins de santé.

En outre, l’accessibilité universelle dans la planification urbaine favorise les modes de vie actifs, qui sont essentiels pour prévenir les maladies non transmissibles telles que l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires. Par exemple, des environnements bien conçus et favorables aux piétons encouragent la marche et le vélo, réduisant ainsi le risque de maladies liées au mode de vie.

Des parcs, des centres de remise en forme et des installations récréatives accessibles permettent aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées de pratiquer une activité physique, ce qui améliore leur état de santé général et leur qualité de vie.

La santé mentale est également influencée par l’accessibilité. En 2024, l’American Psychological Association a annoncé que l’incapacité à naviguer dans les espaces publics ou à utiliser des services essentiels en raison d’obstacles physiques, sensoriels ou cognitifs peut conduire à l’isolement social, à la dépression et à l’anxiété. À l’inverse, les environnements inclusifs qui permettent de participer à des activités communautaires favorisent l’inclusion sociale, réduisent le stress et améliorent le bien-être mental.

Une économie plus inclusive, et plus forte

Au-delà de ses effets sur la santé, l’accessibilité universelle constitue un levier économique puissant. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un environnement inaccessible freine la participation à la vie active, limitant ainsi les contributions économiques d’une partie importante de la population. Les personnes en situation de handicap sont confrontées à des taux de chômage plus élevés en raison de l’inaccessibilité ou de l’inadaptation des lieux de travail, ce qui entraîne une perte de potentiel économique et une dépendance accrue à l’égard des systèmes de protection sociale.

Les investissements dans l’accessibilité de l’environnement bâti produisent des avantages économiques en améliorant la productivité et l’innovation. Selon un rapport de la Banque mondiale datant de 2019, l’économie mondiale perd environ 7 % du PIB chaque année en raison de l’exclusion des personnes en situation de handicap du marché du travail.

Les entreprises qui mettent en œuvre des pratiques d’embauche inclusives et des aménagements sur le lieu de travail élargissent non seulement leur vivier de talents, mais favorisent également la diversité des points de vue, ce qui peut stimuler la créativité et la résolution de problèmes.

En outre, les systèmes de transport accessibles améliorent la mobilité économique. Des transports publics adaptés aux personnes en situation de handicap leur permettent d’accéder à l’éducation, à l’emploi et aux activités sociales, contribuant ainsi à la croissance économique. Des études de l’OCDE datant de 2017 indiquent que les infrastructures de transport accessibles augmentent les taux d’emploi et réduisent la dépendance à l’égard de l’aide publique, ce qui renforce l’économie.

L’industrie du tourisme bénéficie également de l’accessibilité universelle. Le Conseil mondial du voyage et du tourisme note que le tourisme accessible génère des revenus importants en ciblant les voyageurs plus âgés et les personnes en situation de handicap. Les pays qui investissent dans des hôtels, des attractions, des espaces et des lieux publics accessibles, ainsi que dans des systèmes de transport, profitent d’un marché croissant de voyageurs à la recherche d’expériences inclusives, ce qui stimule les économies locales.

Des modèles à suivre

Plusieurs pays démontrent concrètement les bénéfices de l’accessibilité. Par exemple, la Suède a créé une société inclusive dans laquelle les transports publics, les soins de santé et les lieux de travail sont adaptés aux personnes en situation de handicap. En conséquence, la Suède a l’un des taux de participation au marché du travail les plus élevés d’Europe parmi les personnes en situation de handicap, ce qui contribue à sa stabilité économique.

Un autre exemple est celui du Japon, qui a investi massivement dans des infrastructures accessibles en prévision d’événements internationaux majeurs tels que les Jeux paralympiques de Tokyo 2020. Les efforts déployés par le pays pour améliorer les transports publics, notamment les surfaces tactiles, l’accès sans marches et les signaux sonores, ont permis d’accroître la mobilité de millions de résidents et de visiteurs, ce qui s’est traduit par des gains économiques à long terme grâce à l’augmentation du tourisme et de la participation de la main-d’œuvre.

Au Canada, le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus continue de croître de manière exponentielle et devrait tripler au cours des 25 prochaines années, passant d’un million en 2026 à près de trois millions en 2051. Il devient donc de plus en plus important de veiller à ce que nos futurs concepteurs, architectes, architectes paysagistes et urbanistes soient préparés à conceptualiser et à construire nos futurs espaces et lieux d’une manière inclusive et universelle.

L’accessibilité : un choix stratégique pour l’avenir

L’accessibilité universelle est un facteur déterminant de la santé publique et de la prospérité économique. En supprimant les obstacles dans les soins de santé, les transports, les lieux de travail et les espaces publics, les sociétés peuvent améliorer les résultats en matière de santé, promouvoir l’inclusion sociale et stimuler la croissance économique.

À mesure que le monde progresse en matière de technologie et d’infrastructure, il devient essentiel de placer la conception universelle au cœur des priorités pour construire des sociétés durables et inclusives pour les générations futures.

Il faut élargir l’accès aux produits, services et espaces pour tous. Cela suppose des investissements dans les infrastructures, l’adoption de politiques d’emploi inclusives, des campagnes de sensibilisation du public, des innovations technologiques et des mesures législatives. Dans un contexte où la population canadienne vieillit, ces améliorations sont plus que jamais d’actualité.

La Conversation Canada

Carmela Cucuzzela reçu des financements de La Fondation Mirella et Lino Saputo pour la recherche et l’enseignement sur l’accessibilité universelle.

Bechara Helal a reçu des financements de La Fondation Mirella et Lino Saputo pour la recherche et l’enseignement sur l’accessibilité universelle.

ref. Pourquoi l’accessibilité universelle nous concerne tous – https://theconversation.com/pourquoi-laccessibilite-universelle-nous-concerne-tous-256018

Séisme au Kamtchatka : que sait-on de l’un des dix plus puissants tremblements de terre jamais enregistrés ?

Source: The Conversation – France in French (2) – By Dee Ninis, Earthquake Scientist, Monash University

Mercredi 30 juillet vers 11 h 30 heure locale, un séisme de magnitude 8,8 a frappé la côte de la péninsule du Kamtchatka à l’extrême est de la Russie. La région est le siège d’une activité sismique depuis plusieurs mois, et des dizaines de répliques ont déjà eu lieu autour de ce séisme. Des alertes au tsunami ont été lancées rapidement tout autour du Pacifique – et certaines ont déjà pu être levées.


Avec une profondeur d’environ 20 kilomètres, ce puissant séisme, qui figure parmi les dix plus forts jamais enregistrés et le plus important au monde depuis 2011, a causé des dégâts matériels et fait des blessés dans la plus grande ville voisine, Petropavlovsk-Kamtchatski, située à seulement 119 kilomètres de l’épicentre.

Des alertes au tsunami et des évacuations ont été déclenchées en Russie, au Japon et à Hawaï, et des avis ont été émis pour les Philippines, l’Indonésie et même la Nouvelle-Zélande et le Pérou.

Toute la région du Pacifique est très exposée à des séismes puissants et aux tsunamis qui en résultent, car elle est située dans la « ceinture de feu », une zone d’activité sismique et volcanique intense. Les dix séismes les plus puissants jamais enregistrés dans l’histoire moderne se sont tous produits dans la ceinture de feu.

Voici pourquoi la tectonique des plaques rend cette partie du monde si instable.

Pourquoi le Kamtchatka est-il touché par des séismes aussi violents ?

Au large de la péninsule du Kamtchatka se trouve la fosse des Kouriles, une frontière tectonique où la plaque Pacifique est poussée sous la plaque d’Okhotsk.

Alors que les plaques tectoniques se déplacent continuellement les unes par rapport aux autres, l’interface entre les plaques tectoniques est souvent « bloquée ». La tension liée au mouvement des plaques s’accumule jusqu’à dépasser la résistance de l’interface, puis se libère sous la forme d’une rupture soudaine : un séisme.

En raison de la grande superficie de l’interface aux frontières des plaques, tant en longueur qu’en profondeur, la rupture peut s’étendre sur de vastes zones à la frontière des plaques. Cela donne lieu à certains des séismes les plus importants et potentiellement les plus destructeurs au monde.

Un autre facteur qui influe sur la fréquence et l’intensité des séismes dans les zones de subduction est la vitesse à laquelle les deux plaques se déplacent l’une par rapport à l’autre.

Dans le cas du Kamtchatka, la plaque Pacifique se déplace à environ 75 millimètres par an par rapport à la plaque d’Okhotsk. Il s’agit d’une vitesse relativement élevée pour des plaques tectoniques, ce qui explique que les séismes y sont plus fréquents que dans d’autres zones de subduction. En 1952, un séisme de magnitude 9,0 s’est produit dans la même zone de subduction, à environ 30 kilomètres seulement du séisme de magnitude 8,8 d’aujourd’hui.

Parmi les autres exemples de séismes à la frontière d’une plaque en subduction, on peut citer le séisme de magnitude 9,1 qui a frappé la région de Tohoku au Japon en 2011 et le séisme de magnitude 9,3 qui a frappé Sumatra et les îles Andaman en Indonésie le 26 décembre 2004. Ces deux séismes ont débuté à une profondeur relativement faible et ont provoqué une rupture de la limite des plaques jusqu’à la surface.

Ils ont soulevé un côté du fond marin par rapport à l’autre, déplaçant toute la colonne d’eau de l’océan située au-dessus et provoquant des tsunamis dévastateurs. Dans le cas du séisme de Sumatra, la rupture du fond marin s’est produite sur une longueur d’environ 1 400 kilomètres.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Au moment où nous écrivons ces lignes, environ six heures après le séisme, 35 répliques d’une magnitude supérieure à 5,0 ont déjà été enregistrées, selon le service de surveillance sismique états-unien (l’United States Geological Survey, USGS).

Les répliques se produisent lorsque les tensions dans la croûte terrestre se redistribuent après le séisme principal. Elles sont souvent d’une magnitude inférieure d’un point à celle du séisme principal. Dans le cas du séisme d’aujourd’hui, cela signifie que des répliques d’une magnitude supérieure à 7,5 sont possibles.




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Pour un séisme de cette ampleur, les répliques peuvent se poursuivre pendant des semaines, voire des mois, mais leur magnitude et leur fréquence diminuent généralement avec le temps.

Le séisme d’aujourd’hui a également provoqué un tsunami qui a déjà touché les communautés côtières de la péninsule du Kamtchatka, des îles Kouriles, et d’Hokkaido au Japon.

Au cours des prochaines heures, le tsunami se propagera à travers le Pacifique, atteignant Hawaï environ six heures après le séisme et se poursuivant jusqu’au Chili et au Pérou. [ndlt : à l’heure où nous effectuons cette traduction, les alertes à Hawaï ont été réduites, et annulées aux Philippines. Les vagues ont atteint la côte ouest des États-Unis, jusqu’à un mètre de hauteur en Californie et dans l’Oregon.]

Les spécialistes des tsunamis continueront d’affiner leurs modèles des effets du tsunami au fur et à mesure de sa propagation, et les autorités de la protection civile fourniront des conseils faisant autorité sur les effets locaux attendus.




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Quelles leçons peut-on tirer de ce séisme pour d’autres régions du monde ?

Heureusement, les séismes d’une telle ampleur sont rares. Cependant, leurs effets au niveau local et à l’échelle mondiale peuvent être dévastateurs.

Outre sa magnitude, plusieurs aspects du séisme qui a frappé le Kamtchatka aujourd’hui en feront un sujet de recherche particulièrement important.

Par exemple, la région a connu une activité sismique très intense ces derniers mois et un séisme de magnitude 7,4 s’est produit le 20 juillet. L’influence de cette activité antérieure sur la localisation et le moment du séisme d’aujourd’hui sera un élément crucial de ces recherches.

Tout comme le Kamtchatka et le nord du Japon, la Nouvelle-Zélande est située au-dessus d’une zone de subduction, et même de deux zones de subduction. La plus grande, la zone de subduction de Hikurangi, s’étend au large de la côte est de l’île du Nord.

D’après les caractéristiques de cette interface tectonique et les archives géologiques des séismes passés, la zone de subduction de Hikurangi est susceptible de produire des séismes de magnitude 9. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire, mais si cela arrivait, cela provoquerait un tsunami.

La menace d’un séisme majeur dans une zone de subduction n’est jamais écartée. Le séisme qui s’est produit aujourd’hui au Kamtchatka est un rappel important pour tous ceux qui vivent dans des zones sismiques de rester prudents et de tenir compte des avertissements des autorités de protection civile.

The Conversation

Dee Ninis travaille au Seismology Research Centre, est vice-présidente de l’Australian Earthquake Engineering Society et membre du comité de la Geological Society of Australia – Victoria Division.

John Townend reçoit des financements des fonds Marsden et Catalyst de la Royal Society Te Apārangi, de la Natural Hazards Commission Toka Tū Ake et du ministère néo-zélandais des Entreprises, de l’Innovation et de l’Emploi. Il est ancien président et directeur de la Seismological Society of America ainsi que président de la New Zealand Geophysical Society.

ref. Séisme au Kamtchatka : que sait-on de l’un des dix plus puissants tremblements de terre jamais enregistrés ? – https://theconversation.com/seisme-au-kamtchatka-que-sait-on-de-lun-des-dix-plus-puissants-tremblements-de-terre-jamais-enregistres-262251

L’IA Open Source et frugale : la clé de l’autonomie stratégique européenne ?

Source: The Conversation – in French – By Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie, INSEEC Grande École

Non seulement l’Europe est la grande absente des principaux marchés de l’intelligence artificielle, mais elle s’est mise en situation de dépendance technologique vis-à-vis d’entreprises et de puissances étrangères qui n’hésitent pas à lui imposer un rapport de force défavorable. Si elle veut reprendre la main, et bâtir son autonomie stratégique, elle doit adopter une autre démarche. L’open source et une régulation volontaire en matière d’empreinte environnementale peuvent y contribuer.

Cet article est publié en collaboration avec la revue Telecom Paris.


378 millions. C’est le nombre d’utilisateurs qui avaient déjà eu recours à une solution d’IA générative à la fin de l’année 2024. Cette progression vertigineuse des outils d’IA dans les usages est certes source de grands espoirs sur le front de la productivité, de la compétitivité, et des avancées scientifiques, mais elle est également vectrice d’inquiétudes diverses parmi lesquelles figurent naturellement l’empreinte environnementale de ces solutions, ou notre capacité à offrir des environnements sécurisés, respectueux de la vie privée, voire souverains dans certains domaines applicatifs sensibles (défense, santé…).

Or, une analyse minutieuse de l’écosystème de l’IA montre à quel point l’Europe est, à l’heure actuelle, bien trop absente des débats sur les segments de l’industrie les plus générateurs de valeur. Pire, elle s’est mise en situation de dépendance forte sur des maillons aussi stratégiques que celui des semi-conducteurs (GPUs en tête), celui de l’infrastructure software (modèles et données), et peine à faire émerger des concurrents crédibles aux hyperscallers américains sur le segment des centres de données et de calculs. Si l’Europe veut s’autonomiser stratégiquement, elle doit impérativement reprendre la main sur ces dimensions de l’écosystème, en offrant des alternatives locales aux solutions étrangères. Des alternatives qui doivent être crédibles, mais aussi réalistes au regard à la fois des forces européennes, et des objectifs environnementaux et industriels susmentionnés. C’est là qu’une politique industrielle orientée vers les solutions d’IA frugales et open source pourrait se montrer particulièrement intéressante.

Préoccupations environnementales

Avec une société en voie de digitalisation accélérée, l’empreinte environnementale du numérique devient une préoccupation majeure. Cette empreinte environnementale est à la fois d’ordre énergétique, puisque les services numériques requièrent d’importantes puissances de calcul et d’acheminement des flux de données, et d’ordre matériel pour donner corps aux différents composants de l’infrastructure (réseaux, terminaux, capteurs, centres de données, composants électroniques…).

À ces besoins énergétiques et extractifs, il faut ajouter des consommations intermédiaires qui ont également un impact sur l’environnement comme, par exemple, la consommation d’eau pour refroidir les centres de données, ou encore le recours à des produits chimiques pour raffiner les matières premières.

Si cette empreinte environnementale inquiète tant, c’est que le numérique, bien loin de se substituer au physique, a plutôt tendance à s’y ajouter – c’est le cas des cryptoactifs – ou à s’y superposer – c’est le cas des réseaux sociaux utilisés à des fins de marketing. Et quand il s’y substitue, comme dans le cas du streaming qui remplace peu à peu les supports physiques, ou dans celui des courriels qui supplantent les plis postaux traditionnels, les effets de volume induits par notre tendance à surconsommer excèdent bien souvent les gains initiaux liés à la « dématérialisation ». Sans omettre les effets de rebond qui résultent de la baisse tendancielle des coûts du numérique, qui finissent par occasionner des consommations tierces… forcément carbonées. Nos usages bien peu parcimonieux des différents services numériques, encouragés par les offreurs desdits services dont les business models – souvent à coûts marginaux décroissants – poussent à la surconsommation (par exemple, un abonnement à Netflix est d’autant mieux amorti que la consommation de contenus y est intensive), font le reste.

Espoirs déçus

Or, en matière d’IA générative, les usages dominants constatés semblent loin des espoirs initiaux de productivité ou d’apprentissage prêtés à la technologie. Les use cases majoritaires sont davantage à chercher du côté du divertissement ou de l’assistance, et de façon plus inquiétante, dans la recherche d’un ami – voire d’un thérapeute – virtuel.

Tout cela ne prêterait pas à conséquence si l’empreinte environnementale des IA génératives, telles que rapportées dans cette étude, n’était pas aussi préoccupante :

  • Une requête ChatGPT consommerait 10 fois plus qu’une recherche Google ;

  • 50 requêtes Chat-GTP consommeraient 1,5 litre d’eau (pour refroidir les centres de données) ;

  • 1000 prompts ChatGPT nécessiteraient 0,042kWh d’énergie ;

  • la génération de 1000 images en stable diffusion réclamerait 2,9kWh.

Même s’il faut prendre ces données avec précaution, eu égard à la complexité technique de la mesure et aux gains de productivité rapides des technologies, les faits sont là : avec une consommation annuelle cumulée de 350,87 TWh, les centres de données consommaient déjà plus d’énergie (essentiellement carbonée) en 2024 que la consommation énergétique totale de pays tels que l’Italie ou l’Inde !


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21 % de l’énergie consommée en Inde

La pénétration croissante des outils d’IA dans notre quotidien couplée à nos usages peu précautionneux, fait craindre de véritables conflits d’usage et des situations de demande énergétique excédentaire à l’offre, à plus forte raison d’énergie faiblement carbonée. En Irlande, la consommation des centres de données excède désormais les 21 % de l’énergie consommée dans le pays. Elle n’était « que » de 5 % en 2015…

Il ne s’agit pas de débrancher les IAs. L’histoire a montré que rien ne sert d’arrêter un train en marche. En revanche, au regard des données et projections environnementales, la recherche et la promotion d’IA frugales – notamment pour ce qui concerne les segments de marché « grand public » – devraient être érigées en priorité stratégique. Sur le plan purement technologique, l’émergence de DeepSeek (l’IA générative chinoise reposant sur un modèle prétendument moins énergivore) montre la voie vers des IA « good enough », bien plus en phase avec les accords de Paris. Sur le plan stratégique, mettre en place une régulation qui favoriserait les solutions moins intensives en carbone, en ressources et en énergie, serait à la fois un moyen de freiner l’expansion des offres américaines – dont les modèles de force brute sont particulièrement intensifs en énergie – sur le continent européen, mais également de flécher les investissements vers le tissu d’entreprises européennes à même de relever le défi de la sobriété. Et celui de la souveraineté.

L’Open Source comme réponse

Car la souveraineté est l’autre défi majeur posé par la technologie et le numérique en général, et l’IA en particulier. À plus forte raison quand, ainsi que nous l’avons souligné en amont, une grosse partie de la chaîne de valeur est contrôlée par des entreprises battant pavillon étranger. Problème : le contexte géopolitique trouble du XXIe siècle nous amène légitimement à douter de la fiabilité de nos partenaires historiques, États-Unis en tête. Une gageure quand on sait que les solutions technologiques étrangères sont au cœur de nos systèmes de défense, que nous avons confié nos données de santé à Microsoft, ou celles relatives à la maintenance de notre parc nucléaire à Amazon.

Il faut bien comprendre que les modèles d’IA sont « datavores ». Ils nécessitent de grandes quantités de (nouvelles) données qualifiées à des fins d’entraînement. Or, les données européennes présentent le double avantage d’être conséquentes et qualitatives. Elles sont donc particulièrement prisées des entreprises évoluant dans le secteur de l’IA (et au-delà). Tout irait bien si lesdites entreprises respectaient scrupuleusement le RGPD ce qui à l’aune des 5,7 milliards de sanctions cumulées (pour environ 2300 infractions constatées) depuis la mise en œuvre de ce règlement visant la protection de la vie privée des Européens en 2018, n’est clairement pas le cas. Pire, les enjeux économiques, financiers et stratégiques sont de telle ampleur, qu’il peut être parfaitement rationnel pour les entreprises, notamment les GAFAM aux trésoreries et capitalisations gigantesques, d’enfreindre le RGPD.

Freins institutionnels européens

Nous mesurons là une des principales faiblesses de nos démocraties libérales qui peinent à faire pleinement observer les règles dont elles se sont dotées. Parfois, ce sont les lois extraterritoriales qui sont en cause, le gouvernement fédéral américain pouvant ordonner à ses entreprises de lui communiquer les informations en leur possession au titre du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), du Cloud Act ou du Patriot Act, quand bien même ces données concerneraient des personnes physiques ou morales européennes.

D’autres fois, ce sont nos lourdeurs bureaucratiques et nos intérêts politiques divergents qui nous paralysent, comme lorsqu’un faisceau d’indices semble montrer qu’Apple capterait des conversations via l’iPhone à l’insu des utilisateurs européens. En l’espèce, l’autorité de régulation fondée à agir est la Cnil irlandaise… laquelle n’est que peu incitée à intervenir rapidement alors qu’Apple est l’un des plus gros contributeurs fiscaux de l’île d’Émeraude.




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Hors notre capacité à faire observer nos lois et valeurs aux géants étrangers, à plus forte raison que notre situation de dépendance pourrait nous amener à subir quelque chantage à la fourniture de technologies ou de services, c’est bien la situation de dominance d’entreprises proposant des solutions IA propriétaires qui pose problème. L’histoire est connue. Par le jeu des effets de réseau, les différents segments de marché tendent à devenir des « oligopoles à frange concurrentielle » (c.-à-d., une poignée d’entreprises leaders très concentrées captant l’essentiel des parts de marché, et laissant le reste à une multitude d’acteurs de niche), les entreprises dominantes ont moins intérêt à l’interopérabilité et la co-construction de communs (numériques). Dans le même temps, ces entreprises deviennent difficilement contournables car elles disposent des meilleures ressources. Ce qui leur confère un pouvoir de marché considérable, tel que celui dont disposent les GAFAM aujourd’hui.

Le monde de l’open source

Or, le monde de l’informatique, c’est d’abord et avant tout celui de l’open source, c’est-à-dire un modèle de développement et de diffusion de solutions dont le code source est libre d’accès, modifiable et partageable selon des conditions fixées par licence. C’est le monde de l’open source qui rend possible la co-construction de solutions par des communautés de développeurs dispersés géographiquement, et ne travaillant pas pour les mêmes entreprises. D’ailleurs de Llama de Facebook à Mistral, bien des solutions d’IA reposent sur des cœurs open source.

France 24.

Pour l’Europe en proie aux problématiques de souveraineté que nous avons décrites, les avantages de l’open source – à plus forte raison si les données sont stockées dans des serveurs dont l’emprise juridique est européenne ou française – seraient nombreux : moindre dépendance technologique vis-à-vis de firmes étrangères, stimulation de l’écosystème européen (à l’image de AI Sweden), éloignement des risques de capture par des entreprises étrangères devenues incontournables, conformité réglementaire et éthique renforcée, et résilience face aux tensions géopolitiques.

Le rôle de l’État stratège

Face aux problématiques environnementales et de souveraineté que pose l’IA chacun, des particuliers aux administrations en passant par les entreprises, est face à ses responsabilités. Mais il ne faut pas s’y tromper : il revient à l’État stratège de montrer la voie en créant les conditions d’émergence de solutions IA européennes, souveraines, et frugales.

Dans le contexte climatique et géopolitique que nous connaissons, et face aux enjeux économiques, stratégiques et éthiques que véhicule l’IA, personne ne comprendrait que l’UE ne se dote pas rapidement d’une politique industrielle qui soit cohérente avec ses intérêts et ses valeurs, et de nature à contribuer à la construction de son autonomie stratégique. Ainsi que le souligne le rapport Draghi, l’impulsion doit venir d’en haut. De même que l’exemplarité.

Cet article est publié avec la revue Telecom Paris

The Conversation

Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’IA Open Source et frugale : la clé de l’autonomie stratégique européenne ? – https://theconversation.com/lia-open-source-et-frugale-la-cle-de-lautonomie-strategique-europeenne-259748

Loisirs et vacances : les enfants doivent-ils toujours apprendre quelque chose ?

Source: The Conversation – in French – By Emmanuèle Gardair, Maître de conférences en psychologie sociale, Université d’Angers

Pendant leurs temps de loisirs et leurs vacances, les enfants et les adolescents apprennent d’une autre manière qu’à l’école. Mais les accueils extrascolaires n’ont-ils pas tendance à intégrer de plus en plus la forme et les exigences scolaires ? Quelles sont les attentes des animateurs, des enfants et des adolescents ?


En 2023-2024, on dénombrait 1,34 million de départs d’enfants ou d’adolescents en colonies de vacances. Il y a trente-cinq ans, c’était 4 millions d’enfants qui partaient chaque année dans ce cadre. En parallèle du recul de ce type de séjours, on peut relever le développement de séjours à thèmes et l’apparition de logiques de consommation questionnant la perspective éducative des loisirs.

Il est pourtant établi que les temps de loisirs et de vacances participent à la construction des enfants et des adolescents, en contribuant à leur développement psychosocial. Les choix qui peuvent être effectués et les projets élaborés dans les activités de loisirs favorisent la créativité, l’autonomie et la prise de décision, permettant aux enfants et aux adolescents d’être acteurs de leur socialisation.




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Les loisirs constituent un lieu d’expériences favorisant l’épanouissement immédiat, lié au plaisir et à la satisfaction individuelle, mais aussi un lieu d’exploration et d’apprentissages spécifiques, grâce à la participation au processus de décision. En lien avec les intérêts et les besoins psychologiques des jeunes, les pratiques de loisirs contribuent ainsi à l’expression et à la réalisation de soi.

L’animation enfance et jeunesse, issue de l’éducation populaire, représente une forme d’éducation non formelle, s’inspirant de l’éducation nouvelle. Elle privilégie, d’une part, des méthodes participatives et, d’autre part, les « composantes du développement physique, psychique et social de l’enfant ». On constate cependant que de nombreux centres de vacances et de loisirs des enfants restent « prisonniers de la forme scolaire », tant par la programmation que par la gestion temporelle et l’organisation spatiale des activités.

La visée éducative des loisirs prime chez les adultes

Nous sommes allées repérer la place accordée au choix des activités et à la construction de projets, tout au long de l’année et sur les temps de vacances, en interrogeant 61 professionnels exerçant dans des structures d’animation enfance et jeunesse, ainsi que 50 enfants et adolescents fréquentant un accueil de loisirs enfance ou jeunesse.

Les animateurs socioculturels (25 femmes et 36 hommes) exerçaient dans diverses structures d’animation dans les régions de Bretagne et de Pays de la Loire. Ils se distinguaient par leur diplôme et occupaient des fonctions d’animation, de coordination ou de direction.

Les 31 enfants (15 filles et 16 garçons), âgés de 5 à 10 ans (moyenne d’âge 7,5 ans), étaient usagers réguliers d’un accueil de loisirs sans hébergement de l’agglomération nantaise. Les 19 adolescents (5 filles et 14 garçons), âgés de 11 à 18 ans (moyenne d’âge 16,10 ans), fréquentaient régulièrement un accueil de jeunes de l’agglomération rennaise.

Les thèmes centraux évoqués par les animateurs concernaient l’organisation d’activités lors des temps de vacances, les projets réalisés avec les partenaires et les jeunes tout au long de l’année, les publics et les pratiques d’animation. À propos de la question spécifique des séjours de vacances, c’est principalement l’âge du public (enfant ou adolescent), qui orientait leurs représentations, moins favorables aux choix et aux initiatives des enfants.

Les résultats ont mis en évidence la primauté de la visée éducative des loisirs dans les représentations des animateurs à propos des séjours de vacances et des activités de loisirs, auprès des adolescents et encore plus des enfants, parfois au détriment des apprentissages informels et de la visée émancipatrice des loisirs. Les animateurs évoquaient l’encadrement des plus jeunes et la responsabilisation des plus âgés, notamment par la conduite de projets co-construits avec les adolescents.

Pour ces adultes, les loisirs des enfants et des adolescents doivent être investis par le projet éducatif, même lors des temps de vacances. Ce constat est à rapprocher des évolutions sociétales qui mènent, en réponse aux attentes des familles, à proposer des séjours à thèmes dans une perspective éducative.

Liberté et détente plébiscitées par les enfants et adolescents

Du côté des enfants et des adolescents, s’ils agissent dans un champ structuré par les adultes, ils n’en investissent pas moins leur propre espace d’autonomie et leurs propres projets. Ainsi, les plus jeunes détaillaient le processus de décision qui les amène à choisir leurs activités de loisirs et mettaient l’accent sur le jeu libre tout au long de l’année, comme lors des vacances. Les adolescents évoquaient la recherche de détente, de convivialité et de relations paritaires dans le cadre de leurs loisirs, et ce, quel que soit le temps de loisirs ; ainsi que l’organisation de leurs vacances, souvent en autonomie, à l’extérieur de l’accueil de jeunes, avec la conduite de projets d’autofinancement.

Les enfants et les adolescents plébiscitaient donc la liberté en termes de choix d’activités et de construction de projets dans leurs loisirs.

Au regard du contraste entre les représentations des adultes et celles des enfants et des adolescents, il s’agirait, dans une perspective de réalisation de soi et de développement des jeunes, d’inciter les professionnels à remiser la dimension éducative des loisirs, pensée par les adultes pour les jeunes, au profit de plus de liberté et de gratuité dans les loisirs des enfants et des adolescents.

Ainsi, les animateurs socioculturels pourraient utilement prendre en compte, plus pleinement, le rôle du jeu libre, des activités sociales tournées vers la relation avec les pairs et des activités de détente sans exigences particulières. Il s’agirait donc de replacer l’enfant et l’adolescent au centre des accueils, en leur laissant le pouvoir de décider, de faire des choix et d’élaborer des projets.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Loisirs et vacances : les enfants doivent-ils toujours apprendre quelque chose ? – https://theconversation.com/loisirs-et-vacances-les-enfants-doivent-ils-toujours-apprendre-quelque-chose-260241

Les chiens pourraient nous aider à réguler notre stress bien mieux que ce que l’on pensait, selon une étude

Source: The Conversation – France in French (3) – By Kevin Morris, Research Professor of Social Work, University of Denver

Une nouvelle étude révèle que l’atténuation du stress que ressentent les humains grâce à la compagnie des chiens est plus complexe sur le plan biologique que ce que les scientifiques envisageaient jusqu’à présent.


Dans une enquête menée en 2022 auprès de 3 000 adultes étasuniens, plus d’un tiers des personnes interrogées ont déclaré se sentir « complètement dépassées » par le stress la plupart du temps. En parallèle, un nombre croissant de recherches documentent les conséquences négatives d’un niveaux de stress élevé sur la santé, notamment une augmentation des taux de cancer, de maladies cardiaques, d’affections auto-immunes et même de démence.

Comme la vie quotidienne des gens ne risque pas de sitôt devenir moins stressante, des moyens simples et efficaces pour en atténuer les effets sont nécessaires.

C’est là que les chiens peuvent aider.

En tant que chercheurs à l’Institute for Human-Animal Connection de l’université de Denver aux États-Unis nous étudions les effets des animaux de compagnie sur leurs maîtres.

Des dizaines d’études menées au cours des 40 dernières années ont confirmé que les chiens de compagnie aident les humains à se sentir plus détendus. Cela expliquerait ce phénomène qui va croissant de personnes qui s’appuient sur des chiens de soutien émotionnel pour les aider à gérer leur vie quotidienne. Il a également été démontré que les propriétaires de chiens ont un risque de décès inférieur de 24 % et quatre fois plus de chances de survivre pendant au moins un an après une crise cardiaque.




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Avec une équipe de collègues, nous venons de mener une nouvelle étude qui suggère que les chiens pourraient avoir un effet plus profond et plus complexe sur le plan biologique sur les humains que ce que les scientifiques pensaient jusqu’à présent. Et cette complexité pourrait avoir des implications profondes pour la santé humaine.

Comment fonctionne le stress

La réponse humaine au stress correspond à un ensemble de processus physiologiques divers, finement réglés et coordonnés. Les études précédentes sur les effets des chiens sur le stress humain se concentraient sur un seul processus à la fois. Pour notre étude, nous avons élargi notre champ d’observation et mesuré plusieurs indicateurs biologiques de l’état du corps, appelés aussi biomarqueurs, à partir des deux principaux mécanismes de stress du corps. Cela nous a permis d’obtenir une image plus complète de la manière dont la présence d’un chien affecte le stress dans le corps humain.

Les voies du stress que nous avons mesurées se nomment axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou HPA, pour l’anglais hypothalamic-pituitary-adrenal, ndlr) et axe sympatho-adréno-médullaire ou SAM.

Quand une personne vit un événement stressant, l’axe SAM réagit rapidement, ce qui déclenche une réponse du type « combat ou fuite » qui comprend une poussée d’adrénaline et entraîne un regain d’énergie qui aide à faire face aux menaces. Cette réaction peut être mesurée à l’aide d’une enzyme appelée alpha-amylase.

Dans le même temps, mais un peu plus lentement, l’axe HPA active les glandes surrénales afin de produire l’hormone cortisol. Cela peut aider une personne à faire face à des menaces qui durent plusieurs heures, voire plusieurs jours. Si tout se passe bien, lorsque le danger est écarté, les deux axes se stabilisent et le corps retrouve son état normal.

Bien que le stress puisse être une sensation désagréable, il a joué un rôle important dans la survie de l’espèce humaine. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs devaient réagir efficacement à des situations de stress aigu telles que l’attaque d’un animal. Dans ces cas-là, une réaction excessive pouvait s’avérer aussi inefficace qu’une réaction insuffisante. Rester dans une zone de réponse au stress optimale maximisait les chances de survie des êtres humains.

Des informations plus complexes

Après avoir été libéré par les glandes surrénales, le cortisol se retrouve dans la salive, ce qui en fait un biomarqueur facilement accessible pour suivre les réactions. C’est pourquoi la plupart des recherches sur les chiens et le stress se sont concentrées uniquement sur le cortisol salivaire.

Plusieurs études ont par exemple montré que les personnes exposées à une situation stressante présentent une réponse en cortisol plus faible lorsqu’elles sont en compagnie d’un chien que lorsqu’elles sont seulesvoire même plus faible que lorsqu’elles sont en présence d’un ami.

Bien que ces études aient démontré que la présence d’un chien à proximité peut réduire le taux de cortisol lors d’un événement stressant, ce qui suggère que la personne est plus calme, nous soupçonnions que ce n’était qu’une partie de l’histoire.

Ce que notre étude a mesuré

Pour notre étude, nous avons recruté environ 40 propriétaires de chiens pour participer à un test de stress en laboratoire de référence de 15 minutes. Ce test consiste à parler en public et à faire des calculs mathématiques à voix haute devant un panel de personnes impassibles se faisant passer pour des spécialistes du comportement.

Les participants ont été répartis de manière aléatoire entre deux groupes : ceux qui devaient venir au laboratoire avec leur chien et ceux qui devaient laisser leur chien à la maison. Nous avons mesuré le taux de cortisol dans des échantillons de sang prélevés avant, juste après et environ 45 minutes après le test, comme biomarqueur de l’activité de l’axe HPA. Et contrairement aux études précédentes, nous avons également mesuré le taux d’enzyme alpha-amylase dans ces mêmes échantillons de sang, comme biomarqueur de l’activité de l’axe SAM.

Comme prévu, conformément aux études précédentes, les personnes accompagnées de leur chien ont présenté des pics de cortisol moins élevés. Mais nous avons également constaté que celles qui étaient avec leur chien ont connu un pic significatif d’alpha-amylase, tandis que celles qui étaient sans leur chien n’avaient pratiquement aucune réponse.

L’absence de réponse peut sembler positive. Mais en réalité, une réponse alpha-amylase nulle peut être le signe d’une réponse au stress dérégulée. C’est ce que l’on observe souvent chez les personnes qui souffrent de réactions de stress intense, de stress chronique voire de stress post-traumatique. Ce manque de réponse est causé par un stress chronique ou intense qui peut altérer la façon dont notre système nerveux réagit aux facteurs de stress.




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En revanche, les participants accompagnés de leur chien ont montré une réponse plus équilibrée : leur taux de cortisol n’a pas trop augmenté, mais leur alpha-amylase s’est tout de même activée. Cela montre qu’ils sont restés alertes et concentrés tout au long du test, puis qu’ils ont pu revenir à un état normal en moins de 45 minutes. C’est le temps idéal pour gérer efficacement le stress. Nos recherches suggèrent que nos compagnons canins nous aident à rester dans une zone saine de réponse au stress.

Les chiens et la santé humaine

Cette compréhension plus fine des effets biologiques des chiens sur la réponse des humains au stress ouvre des possibilités excitantes. Sur la base des résultats de notre étude, notre équipe a lancé une nouvelle recherche qui fait appel à des milliers de biomarqueurs afin d’approfondir nos connaissances sur la biologie en lien avec la manière dont les chiens d’assistance psychiatrique réduisent le trouble de stress post-traumatique chez les anciens combattants.




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Mais une chose est d’ores et déjà claire : les chiens ne sont pas seulement de bons compagnons. Ils pourraient bien être l’un des outils les plus accessibles et les plus efficaces pour rester en bonne santé dans un monde stressant.

The Conversation

Kevin Morris a reçu des financements pour cette recherche de la Morris Animal Foundation, du Human-Animal Bond Research Institute et de l’université de Denver aux États-Unis.

Jaci Gandenberger a reçu des financements de l’université de Denver aux États-Unis pour soutenir cette recherche.

ref. Les chiens pourraient nous aider à réguler notre stress bien mieux que ce que l’on pensait, selon une étude – https://theconversation.com/les-chiens-pourraient-nous-aider-a-reguler-notre-stress-bien-mieux-que-ce-que-lon-pensait-selon-une-etude-261711

« La reconnaissance de la Palestine par la France ne modifiera rien sur le terrain »

Source: The Conversation – France in French (3) – By Myriam Benraad, Senior Lecturer in International Politics, Negotiation & Diplomacy, Sciences Po

Emmanuel Macron vient d’en faire l’annonce officielle : en septembre, la France reconnaîtra l’État palestinien. Qu’implique cette décision, que changera-t-elle concrètement et au niveau symbolique, aussi bien pour les Palestiniens que pour l’image de la diplomatie française ? Entretien avec la politiste Myriam Benraad, spécialiste du Moyen-Orient.


L’annonce officielle d’une prochaine reconnaissance de la Palestine peut-elle avoir un effet sur l’image de la France dans le monde arabe ?

On ne dispose pas de suffisamment de sondages et d’enquêtes crédibles sur l’évolution de l’opinion dans les pays arabes vis-à-vis de la France pour en juger ; mais cette annonce pourrait constituer un tournant symbolique dans la manière dont la France est perçue par les populations locales. Car la question palestinienne, on le sait bien, demeure un point de fixation durable et central dans cette région. Or, ces dernières années, l’impression s’était propagée que la France se montrait beaucoup trop compréhensive à l’égard d’Israël dans sa confrontation avec les Palestiniens. Et aussi, au fond, que la France n’était plus qu’un acteur secondaire, voire impuissant, que le temps où elle pouvait infléchir certains conflits au Moyen-Orient et peser sur les négociations était révolu depuis longtemps.

Cette annonce est-elle de nature à peser d’une façon ou d’une autre sur la situation des Palestiniens ?

Dans l’immédiat, elle ne changera malheureusement pas grand-chose. La bande de Gaza est un champ de ruines, plongée dans une crise humanitaire de très long terme dont on peine à entrevoir la fin.

Il reste que depuis le début de cette crise, même si l’influence de la France est restreinte, Paris n’a cessé, à l’échelle de toutes les instances multilatérales, de rappeler les principes du droit international, notamment humanitaire, ainsi que la nécessité d’un cessez-le-feu et d’une solution politique. La France a pris ses distances avec le hard power américain et israélien pour tenter de jouer de son soft power et, ainsi, se présenter comme le pilier d’un multilatéralisme profondément ébranlé par la guerre à Gaza.

La France copréside avec l’Arabie saoudite la conférence sur la Palestine qui vient de s’ouvrir à l’ONU. C’est un duo plutôt inédit…

Le rapprochement avec Riyad s’explique assez simplement au niveau politique. L’Arabie saoudite est un poids lourd régional, partie prenante de toutes les discussions diplomatiques, sur toutes les crises.

Sur la question palestinienne, sa position est depuis le début très ambivalente. L’Arabie saoudite demeure en effet un allié stratégique des États-Unis, qui sont eux-mêmes le premier soutien d’Israël ; dans le même temps, elle s’est jointe à la Ligue arabe pour dénoncer la situation à Gaza. La France cherche à jouer de son influence auprès des Saoudiens pour les pousser à accroître la pression sur leurs alliés américains et, à travers eux, sur les Israéliens, dans le sens d’une désescalade du conflit.

En outre, l’Arabie saoudite aura certainement un rôle majeur à jouer dans la reconstruction de Gaza : on attend beaucoup d’elle, ne serait-ce qu’en raison de sa puissance financière. Cette reconstruction ne se fera pas uniquement par le biais de Riyad, mais avec l’appui d’autres pays de la région. Il me semble d’ailleurs que la notion de régionalisation du règlement des crises au Moyen-Orient n’est pas suffisamment mise en avant. La question palestinienne est une question internationale, certes, mais elle est avant tout une question régionale, voire une question arabe.

Au-delà du financement de la reconstruction, il y a dans la vision française une dimension politique. Dans l’interview que le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot a accordée dimanche dernier à La Tribune, il déclare : « J’espère que pour la première fois, les pays arabes condamneront le Hamas et appelleront à son désarmement. »

D’un point de vue diplomatique, affirmer que les pays arabes ne condamnent pas le Hamas me paraît maladroit. En réalité, beaucoup des États voisins d’Israël, que ce soit la Jordanie, l’Égypte ou un certain nombre de pays du Golfe, ont interdit la confrérie des Frères musulmans dont le Hamas est issu et, bien entendu, également le Hamas en tant que tel.

Tous les efforts de Paris et des autres pays qui s’impliquent dans une recherche de règlement de la crise actuelle ne seront-ils pas rendus vains si Israël, comme certains de ses ministres l’ont laissé entendre, décidait d’annexer officiellement Gaza et la Cisjordanie ?

Il faut rappeler qu’avant le 7 octobre 2023, Israël avait amorcé un processus de normalisation de ses relations avec un plusieurs États de la région. Je pense évidemment aux accords d’Abraham de 2020, mais aussi aux traités de paix plus anciens, et toujours en vigueur, avec Le Caire et Amman. En outre, des négociations sont très discrètement conduites avec le nouveau pouvoir de Damas pour essayer d’obtenir une décrue des hostilités en Syrie. Au Liban, Israël est engagé dans des discussions afin d’obtenir un apaisement dans le sud de ce pays.

Israël n’a pas investi toute cette énergie à remodeler le Moyen-Orient à son avantage pour perdre ces gains ; c’est pourquoi je ne crois pas que ses élites politiques et militaires procéderont à une annexion finale de Gaza et de la Cisjordanie. Qu’Israël mue en puissance occupante pour un temps à Gaza, cette optique me semble en revanche inévitable. Toutefois, l’État hébreu aura tout intérêt à transmettre rapidement le témoin.

Et ce témoin, à qui Israël pourrait-il le transmettre ?

Je songe à une force régionale.

Pas à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas ?

Il n’y a pratiquement plus d’Autorité palestinienne en place. Ce qui reste de cette entité n’est absolument pas en mesure de prendre en charge la bande de Gaza, que ce soit politiquement ou économiquement, au vu de l’étendue des destructions. En revanche, on pourrait imaginer, sous certaines conditions, des engagements et garanties de la part d’États arabes qui prendraient le relais et, in fine, participeraient de la recomposition d’une gouvernance palestinienne dont les contours seraient à esquisser plus précisément.

Mais la France reconnaît l’Autorité palestinienne comme étant l’unique entité à même de gérer la Palestine, donc y compris Gaza…

C’est la position officielle de Paris, en effet. Mais il suffit de se rendre en Cisjordanie pour constater que l’Autorité palestinienne n’y opère que par une gestion des affaires courantes. Si demain advient une explosion de violence, c’est l’armée israélienne qui s’y substituera, comme c’est déjà en large part le cas. On l’a encore constaté lors des affrontements des derniers mois.

Et puis, au-delà des annonces, Israël n’acceptera pas d’Autorité palestinienne forte car celle-ci, dans le passé, a aussi pris les armes contre lui. Avant l’émergence du terrorisme islamiste tel que revendiqué par le Hamas, l’OLP, des décennies durant, a recouru à l’action terroriste au nom de la cause palestinienne, dans un registre certes nationaliste. Les Israéliens n’ont donc aucune véritable confiance dans l’Autorité palestinienne.

Surtout, l’évolution récente de la société et de la classe politique israéliennes montre bien l’absence de tolérance à l’idée de vivre à la frontière un État palestinien de plein droit. Aux yeux d’une majorité d’Israéliens, ce serait courir le risque de subir un nouveau 7 Octobre. Une critique plus structurée de la guerre à Gaza émerge actuellement en Israël, y compris au sein de l’armée, mais le traumatisme est toujours trop présent. D’où les réactions violentes qui se sont exprimées contre la décision d’Emmanuel Macron, accusé par les plus radicaux d’être le promoteur d’une reconstitution de la menace terroriste palestinienne.

Autrement dit, tant qu’Israël et, derrière lui, les États-Unis, ne seront pas eux-mêmes réellement favorables à la solution à deux États, la Palestine peut bien être reconnue par plus des trois quarts des États de l’ONU, cela ne changera rien…

Effectivement. La déclaration d’Emmanuel Macron ne modifiera rien sur le terrain. Près de 150 nations ont d’ores et déjà reconnu l’État de Palestine. Cet État, du point de vue du droit international, existe par conséquent, et en réalité depuis le plan de partage de la Palestine mandataire en 1947. Cependant, sur le terrain, cet État est irréalisable pour des considérations territoriales, démographiques, politiques et sécuritaires.

Dès lors, quel avenir pour ces deux peuples ?

Après l’échec des accords d’Oslo au tournant du nouveau millénaire, on avait vu émerger une nouvelle génération, à la fois du côté palestinien et du côté israélien, qui considérait que la seule option viable était finalement celle d’un État unique, où les Palestiniens jouiraient de tous leurs droits en tant que citoyens.

Cette idée d’un État d’Israël cosmopolite, rassemblant Juifs, Arabes et autres minorités, renouait alors avec le projet initial d’une frange du sionisme historique, principalement laïque et déchirée entre son attachement à l’Europe, un nationalisme juif et ces idéaux cosmopolites. La déclaration d’indépendance de l’État d’Israël du 14 mai 1948 pose aussi que celui-ci « développera le pays au bénéfice de tous ses habitants », « sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix » et « assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ».

Aujourd’hui, des logiques religieuses messianiques ont pris le dessus, une loi sur le caractère juif de l’État a été adoptée en 2018, et les relations entre Arabes et Juifs israéliens se sont terriblement dégradées depuis le 7 Octobre et le lancement de la guerre à Gaza. On n’a jamais été aussi loin d’une solution, à deux États ou sous d’autres formes.




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Pourtant, des pistes existent, comme celle d’une confédération de deux nations souveraines qui vivraient en partenariat sur un même territoire. Un tel consociationalisme, théorie politique offrant de gérer de profondes divisions ethno-confessionnelles au sein de sociétés par des accords de partage du pouvoir, prendrait en l’occurrence le contre-pied à la fois de la solution à deux États, dont le cadre a amplement été entamé depuis l’échec des accords d’Oslo, et d’une solution à un État unique en laquelle une infime minorité continue de croire. Mais là encore, ce scénario est-il un jour susceptible de se matérialiser, tant les violences se sont partout multipliées et exacerbées entre Israéliens et Palestiniens ?




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Dans l’absolu, pour qu’une option politique puisse voir le jour, il faudra que ces communautés acceptent de coexister. J’ai évoqué le durcissement de la société israélienne ; mais qu’en est-il de la société palestinienne ? Après les bombardements, des dizaines de milliers de morts et la famine générale, la population de Gaza pourra-t-elle accepter cette coexistence avec Israël ? Pourra-t-elle d’ailleurs rester au milieu des décombres ou s’achemine-t-on vers un exode inexorable, et par quels moyens ?

En effet, cet exode est-il possible aujourd’hui ?

Pratiquement pas, car la seule voie de sortie, vers l’Égypte, est fermée, Le Caire ne souhaitant surtout pas courir le risque de voir deux millions de Gazaouis s’installer sur son sol. Pour justifier le refus de les laisser entrer massivement, les régimes de la région affirment qu’Israël cherche à provoquer une nouvelle Nakba, et qu’une fois que les Palestiniens de Gaza se seront installés en Égypte, et ceux de Cisjordanie en Jordanie, le chemin du retour leur sera définitivement fermé.

Pour ces régimes, il est hors de question que les Palestiniens quittent leur terre d’origine. Ce discours suffit à justifier le maintien de la fermeture des frontières auprès d’opinions publiques certes ulcérées par le sort qu’Israël inflige aux Palestiniens, mais qui ne veulent en aucun cas que Nétanyahou ait gain de cause et que les Gazaouis soient contraints d’abandonner leurs terres. Et côté palestinien, domine le sentiment d’être assiégé par Israël, mais aussi abandonné par de supposés frères arabes qui n’ont guère mobilisé leurs armées contre Israël au-delà des déclarations souvent incendiaires.

En avril, Emmanuel Macron avait dit souhaiter qu’en contrepartie de sa propre reconnaissance de la Palestine, Israël soit reconnu par les États arabes. Ce calcul est-il voué à l’échec ?

À ce stade, il me semble que oui. Ces États peuvent en effet ignorer leurs opinions publiques, mais jusqu’à un certain point. Aucun régime arabe aujourd’hui ne veut courir le risque de provoquer une explosion de colère et un soulèvement comparable à ceux de 2011 ; or il n’est pas impossible que la reconnaissance d’Israël suscite des réactions brutales. La guerre de Gaza, depuis près de deux ans, sans même évoquer ce qui l’a précédée, a causé, pour des générations entières, en Israël comme dans le monde arabe, si ce n’est une haine insurmontable, au moins une défiance puissante et durable. Il faudra beaucoup plus que de simples mesures symboliques comme la reconnaissance de la Palestine pour surmonter l’ampleur des séquelles.


Propos recueillis par Grégory Rayko

The Conversation

Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. « La reconnaissance de la Palestine par la France ne modifiera rien sur le terrain » – https://theconversation.com/la-reconnaissance-de-la-palestine-par-la-france-ne-modifiera-rien-sur-le-terrain-262137

Cameroun : Paul Biya, 92 ans, à nouveau candidat à la présidence après 42 ans au pouvoir

Source: The Conversation – France in French (3) – By Brice Molo, Postdoctoral research fellow, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Paul Biya, président du Cameroun depuis novembre 1982, a annoncé le 13 juillet sa candidature à la prochaine présidentielle, qui se déroulera le 12 octobre. À 92 ans, il est le plus vieux dirigeant élu en exercice du monde. Pourquoi souhaite-t-il effectuer un huitième mandat consécutif, et que dit cette décision de la situation politique au Cameroun ? Entretien avec le sociologue et historien Brice Molo, postdoctorant à l’IRD – Ceped/PC RISC (Risques et sociétés à l’ère des changements environnementaux globaux : enjeux, savoirs et politiques).


Comment l’annonce de la nouvelle candidature de Paul Biya est-elle reçue au Cameroun ?

On observe deux attitudes principales. Une partie de la population considère que cette décision est dans l’ordre des choses, parce que le chef n’est remplacé que lorsqu’il est mort. Mais une autre partie est plus mitigée, parce que le septennat qui s’achève est sans doute celui au cours duquel le président camerounais aura le plus été absent – moins cette fois par ruse que du fait de l’usure du temps –, et ce sera probablement aussi le cas du suivant.

Plusieurs fois, les longs séjours de Biya à l’étranger ont donné lieu à des rumeurs sur son décès. La presse étrangère a souvent mis en avant le coût économique élevé de ces multiples « disparitions ». C’est au cours du mandat actuel qu’il aura effectué son plus long séjour en Europe, annoncé en France, puis en Suisse, dans une cacophonie gouvernementale habituelle.

Toujours au cours de ce mandat, la délégation de signature accordée au secrétaire général de la présidence (SGPR) Ferdinand Ngoh Ngoh s’est avérée, finalement, une procuration permanente avec pour conséquence le retournement d’une partie du régime contre lui-même. On sort du mandat le plus outrancier et extrême du système Biya, au cours duquel des voix critiques se sont exprimées au sein du régime. Par exemple, le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Issa Tchiroma, a dénoncé les innombrables absences du président. Fin juin, il a démissionné du gouvernement avant de déposer quelques semaines plus tard sa propre candidature à l’élection présidentielle d’octobre prochain.

C’est donc dans une ambiance générale particulière que cette candidature est annoncée. D’où l’incertitude d’une partie des observateurs et des Camerounais, largement exprimée sur les réseaux sociaux et dans les médias nationaux et internationaux.

Environ 60 % de la population camerounaise a moins de 25 ans ; observe-t-on une envie de changement auprès des générations qui n’ont connu que Biya au pouvoir ?

Il existe effectivement un contraste frappant entre l’âge des dirigeants camerounais et celui de la majorité de la population. Le Cameroun est dirigé essentiellement par des personnes du troisième âge qui, toutes, ont fait l’école coloniale tardive. C’est le cas de Paul Biya, mais aussi du président du Sénat, du président de l’Assemblée nationale, en poste depuis plus de trente ans, ou encore du directeur de la police, qui est le plus vieux policier en exercice au monde !

France 24, 20 juillet 2025.

Toutefois, l’attention portée par les médias à l’âge du président élude la question centrale de la colonialité du pouvoir. Les vainqueurs de la guerre d’indépendance ont maintenu un système dont les routines administratives et l’exercice de la force sont, fondamentalement, d’essence coloniale. Dans un tel système, les logiques de domination sont aussi ancrées dans l’iniquité coloniale. La majorité démographique est la minorité politique, étant donné qu’elle est exclue du pouvoir et de son exercice. Elle n’a jusqu’ici connu qu’un seul président et pourtant, c’est elle qui fait tenir le Cameroun. Tout d’abord économiquement, par sa force de travail, puis militairement parce que ce sont les jeunes qui défendent les frontières, et enfin socialement parce que la génération de Paul Biya représente moins de 3 % de la population totale.

Face à cette génération qui ne veut pas céder sa place, les jeunes Camerounais s’alignent, se taisent, inventent des répertoires d’action collective originaux, ou choisissent l’exil. Parmi ces jeunes qui n’ont connu que Paul Biya, certains n’envisagent pas le Cameroun autrement, d’autant qu’ils se trouvent dans des situations de dépendance à l’égard d’aînés en position de pouvoir. On peut lire les choses sous le prisme de la loyauté et voir comment ces jeunes sont travaillés par des injonctions à la loyauté ethnique et communautaire, familiale et professionnelle, entre autres.




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Parmi ceux qui restent, on observe un engagement politique de plus en plus important, mais assez dispersé et peu organisé. Et puis il y a ceux, de plus en plus nombreux, qui choisissent de partir. Ces dernières années, le Cameroun est devenu le premier pays pourvoyeur de résidents permanents au Québec, devant la France.

Pouvez-vous revenir rapidement sur les principales formations politiques au Cameroun ? Quels sont aujourd’hui les soutiens de Paul Biya ?

On assiste actuellement à un basculement. Si, des décennies durant, l’arène politique a été organisée autour des partis, ces derniers perdent de leur importance et ce sont les leaders politiques qui deviennent de plus en plus centraux, à titre personnel.

Lorsque Paul Biya accède au pouvoir en 1982 après la démission de l’ancien président Ahmadou Ahidjo, il prend la tête de l’Union nationale camerounaise (UNC), parti qu’il rebaptisera en 1985 en Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (RDPC). Après sa victoire, Biya a besoin d’installer son pouvoir sur toute l’étendue du territoire. Son parti se greffe alors à l’administration publique dans un régime de parti unique.

À la suite de l’ouverture démocratique du pays dans les années 1990, les nouvelles formations essayent de suivre le même schéma et des partis politiques essayent de se structurer, avec plus ou moins de succès. Mais le pouvoir, à travers le ministère de l’Administration territoriale (MINAT), valide et contrôle le fonctionnement des partis. Ainsi, le MINAT a refusé en mars 2019 que l’opposant Cabral Libii (candidat en 2018 pour le parti UNIVERS) crée sa formation politique. Libii a été investi par le PCRN en vue de l’élection d’octobre 2025.

De même, l’autre opposant majeur, Maurice Kamto, a également connu des déconvenues, dont certaines découlent aussi de ses choix personnels, ce qui a affaibli le poids du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) dont il était le président.

Or quand le pouvoir complique la possibilité pour les opposants d’avoir des partis politiques pérennes (cas de Cabral) ou à exercer leurs activités librement (cas de Kamto), cela accroît mécaniquement leur popularité et déplace la lutte des partis vers les individus. En retour, le régime essaye de maintenir la centralité des partis politiques pour fragiliser la popularité de ces leaders et/ou les éliminer des échéances électorales, ce qui vient précisément d’arriver à Maurice Kamto, qui ne pourra donc pas se présenter à l’élection d’octobre prochain.

Le contrôle du pouvoir sur la vie des partis politiques accroît les messianismes, fragilise le débat contradictoire et affaiblit l’exigence de programmes solides. Les partis ne cherchent plus nécessairement une horizontalité dès lors qu’ils sont moins importants que les individus. Un tel contexte n’est pas favorable aux dynamiques collectives qui ont failli renverser Paul Biya en 1992.

Il me semble que c’est à ce moment que Paul Biya a définitivement pris conscience de la nécessité d’exercer sa mainmise sur les partis politiques, qu’il contrôle aussi par l’administration publique et les ressources de l’État. Même si aujourd’hui sa capacité à gouverner est remise en cause du fait de son âge, il règne toujours. Et l’histoire des règnes est aussi celle de la patrimonialisation et d’une manière de mettre le gouvernement au service du souverain, même en son absence ou même lorsqu’il est diminué.

Pour régner, Paul Biya s’est toujours appuyé sur des soutiens dont une bonne partie se recrute dans les universités, dans la haute administration publique et au sein des bourgeoisies traditionnelles de toutes les régions et communautés. Il n’a pas perdu ces soutiens-là. La preuve en est la « coutume » très respectée des appels à candidature qui permettent aussi, d’une certaine manière, de « mettre le peuple en ordre » ou d’exprimer la loyauté vis-à-vis du chef tant qu’il existe encore des raisons de « jouer le jeu ».

Il y a une histoire longue des défections au sein du parti dominant et de leur constitution en mode d’action politique. Entre janvier et février 1958, plusieurs membres du gouvernement Mbida démissionnent. Ce dernier, alors premier ministre du premier gouvernement camerounais, essaye de remanier son équipe, mais le pouvoir colonial s’y oppose et il finit par démissionner.

Une vingtaine d’années plus tard, en 1983, alors que la crise entre Paul Biya – alors au pouvoir depuis novembre 1982 – et son prédécesseur Ahmadou Ahidjo est au plus fort, les ministres proches de l’ancien président tentent de fragiliser le pouvoir de Biya en ayant recours à ce même mode d’action qu’est la démission. Mais la tentative échoue et Biya survit à la tentative de coup d’État du 6 avril 1984.

On peut aussi citer Garga Haman Adji, qui démissionne du gouvernement en 1992 pour être plus tard candidat ; Titus Edzoa, ancien ministre de la Santé dont le projet de candidature à l’élection présidentielle en 1997 a été brutalement interrompu par une incarcération qui durera 17 ans ; et rappelons que Maurice Kamto qui a revendiqué la victoire en 2018, a lui aussi été ministre de Biya.

Les démissions récentes s’inscrivent donc dans une tendance qui ne date pas d’hier. Souvent, ce sont des projets politiques dont l’expression ultime est la volonté de prendre le pouvoir plus tard. Sous l’ancien président, les démissions s’inscrivaient dans un projet collectif ; sous Paul Biya, la démission est individuelle et précède la déclaration d’une candidature.

De toute manière, la pratique du pouvoir d’État au Cameroun et la manière dont ces démissions aboutissent ensuite à des candidatures laissent croire que le poste de ministre est perçu comme une filière d’accès à la fonction présidentielle. Le gouvernement par l’effacement de Paul Biya a souvent nourri des ambitions, qui ont été régulièrement rappelées à l’ordre par la punition.

Cependant, avec le poids de l’âge du président, il est désormais moins question d’effacement par ruse que d’absence. Le ministre démissionnaire Issa Tchiroma a remis en question la capacité à gouverner d’un président de 92 ans. Le gouvernement par l’absence, conjugué à l’usure du temps, alimente l’impression que le moment de l’alternance est proche. C’est une atmosphère qui ouvre non seulement la voie aux ambitions, mais traduit aussi certaines inquiétudes au sein même de l’appareil gouvernant.

Démissionner pour se porter candidat, c’est faire le pari que l’alternance est imminente et qu’il devient stratégique de se démarquer de ceux qui exercent encore le pouvoir, afin de se relégitimer auprès du peuple.

Quels contre-pouvoirs existent au Cameroun aujourd’hui ?

La question des contre-pouvoirs est intéressante. Il y a au Cameroun une crise du droit. Depuis 2018, la vie politique est rythmée par des controverses entre universitaires et juristes au sujet de la Constitution ou encore du code électoral.

On peut ici reparler de deux figures d’opposition que j’ai déjà évoquées : d’une part, Cabral Libii, candidat du PCRN, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2018 et député de la nation. Il est aussi doctorant en droit à l’université de Douala. D’autre part, Maurice Kamto, avocat et professeur de droit à l’université de Yaoundé II, arrivé deuxième à l’élection de 2018.

Là où lors des élections précédentes les opposants avaient porté une critique avant tout sociale, avec des mobilisations importantes dans les années 1990-1995, ces deux acteurs ont réussi à faire du droit une arme. Face aux usages autoritaires du droit par le camp au pouvoir, ils ont tenté un usage contestataire du droit pour produire une critique du pouvoir et un contre-pouvoir. Cette stratégie est notamment passée par des recours en justice, les deux hommes ayant une connaissance assez fine des règles pour bloquer les abus de pouvoir.

Par exemple, Cabral Libii a mobilisé des décisions de justice pour justifier son droit à la candidature dans un parti où son leadership est contesté par une seconde faction, qui a le soutien du ministre de l’Administration territoriale. Chaque fois, il a déjoué avec habileté les manœuvres visant à le disqualifier.

Maurice Kamto, quant à lui, avait initié un contentieux électoral après l’élection de 2018. Ce fut sans doute le plus suivi de l’histoire du Cameroun, à la télévision nationale et sur les réseaux sociaux. Plus tard, il y a eu d’autres controverses, la plus importante de toutes portant sur sa capacité à être investi par le parti politique dont il était président jusqu’au mois de juin dernier, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC). Pendant plusieurs semaines, ce fut la question la plus débattue par les médias camerounais engagés, Maurice Kamto n’hésitant pas à narguer ses collègues et ceux qui, au sein du gouvernement, se positionnaient contre l’éventualité de sa candidature.

Récemment, il a décidé de se porter candidat sous la bannière d’un autre parti, le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM). Mais sa candidature vient d’être rejetée par l’instance qui organise les élections. Tout laisse croire qu’on s’achemine vers une nouvelle épreuve de force juridique. Quoiqu’il en soit, on constate la capacité de Cabral Libii et Maurice Kamto à faire émerger des causes, à susciter des débats et de l’intérêt autour de l’État de droit, des lois et de leur compréhension.

La capacité à faire usage de la loi n’est donc plus l’apanage seul du régime qui contrôle les institutions judiciaires, dans un pays où la séparation des pouvoirs a toujours été contestée et considérée comme un leurre. Il y a désormais, aussi, la mobilisation du droit pour déranger le pouvoir.


Propos recueillis par Coralie Dreumont

The Conversation

Brice Molo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Cameroun : Paul Biya, 92 ans, à nouveau candidat à la présidence après 42 ans au pouvoir – https://theconversation.com/cameroun-paul-biya-92-ans-a-nouveau-candidat-a-la-presidence-apres-42-ans-au-pouvoir-261685

Dans le sud de la Syrie, les affrontements entre les Druzes et les Bédouins ravivent le spectre des divisions communautaires

Source: The Conversation – France in French (3) – By Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)

Les récents affrontements dans le sud syrien ravivent les tensions entre les communautés druze et bédouine, sur fond de retrait des forces gouvernementales et d’intervention d’acteurs extérieurs. Entretien avec le politiste Thomas Pierret, auteur, entre autres publications, de « Baas et Islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas » (Presses universitaires de France, 2011).


Pourriez-vous revenir brièvement sur l’histoire de la communauté druze en Syrie ?

Thomas Pierret : La principale zone de peuplement des Druzes en Syrie est la région de Soueïda, même si on en trouve aussi sur le plateau du Golan, dans la région frontalière avec le Liban (il s’agit du pays avec la communauté druze la plus importante), ainsi qu’un village druze isolé dans la région d’Idlib.

À cela, il faut ajouter les effets des migrations plus récentes, qui ont conduit à la constitution de quartiers druzes à Damas, principalement Jaramana, ainsi que dans la localité d’Ashrafiyyet Sahnaya, au sud de la capitale.

Quelles sont aujourd’hui les relations qu’entretient la communauté druze avec le gouvernement de Damas ?

T. P. : Au moment où le régime d’Assad tombe, les relations entre les Druzes et le nouveau gouvernement ne sont pas vouées à être conflictuelles. Contrairement à une idée reçue, les Druzes ne constituent pas historiquement une minorité religieuse particulièrement favorable au régime des Assad.

Dans les années 1960, des purges ont eu lieu au sein de l’armée syrienne qui ont notamment visé une bonne partie des officiers druzes. Cette purge a profité essentiellement à des officiers issus de la communauté alaouite, dont Hafez Al-Assad.

Ainsi, la communauté druze n’a pas été étroitement associée au pouvoir. Les hauts gradés d’origine druze, comme le général Issam Zahreddine, tué sur le front contre l’État islamique en 2017, étaient peu nombreux. Avant 2011, la communauté comptait également de nombreux opposants, généralement marqués à gauche.

Par ailleurs, l’État syrien sous les Assad, très centralisé, ne tolère pas l’expression d’identités communautaires ou régionales distinctes. Il est par exemple interdit aux Druzes d’afficher le drapeau aux cinq couleurs qui leur sert de symbole.

Durant la guerre commencée en 2011 a émergé à Soueïda une posture politique que l’on pourrait qualifier de « troisième voie » ou de neutralité. Cela s’est traduit par la formation de groupes armés, le principal appelé les « Hommes de la dignité », est encore actif aujourd’hui. Ces groupes ont refusé à la fois de soutenir la rébellion et de rejoindre les forces paramilitaires du régime d’Assad, qui n’a réussi à embrigader qu’une petite partie des combattants de la région. L’objectif des partisans de cette troisième voie était de défendre la communauté druze et sa région, notamment contre les attaques de l’État islamique, sans pour autant soutenir les opérations de contre-insurrection menées par le régime.

Soulignons que le fondateur des Hommes de la dignité, Wahid al-Balous, a été assassiné en 2015, sans doute par des éléments du régime, ce qui illustre la complexité des relations entre les Druzes et l’ancien pouvoir.




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Et que sait-on des différentes factions druzes impliquées dans le conflit ?

T. P. : Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut revenir un peu en arrière. Une date clé est 2018, lorsque, avec l’aide de la Russie, le régime d’Assad reprend le contrôle du sud de la Syrie, à l’exception de la région de Soueïda. Cette dernière conserve un statut de quasi-autonomie, car ses groupes d’autodéfense ne sont pas désarmés, en partie à cause de l’opposition tacite d’Israël à une offensive du pouvoir central dans cette région.

Cette période voit également évoluer la stratégie du cheikh al-’aql Hikmet al-Hijri, l’un des trois principaux chefs religieux des Druzes de Syrie. Plutôt aligné sur le régime d’Assad à l’origine, il a soutenu le mouvement de contestation civile qui a émergé à Soueïda en 2023, évolution qui peut être interprétée comme un moyen pour al-Hijri de renforcer son influence politique. Il s’est également attribué le titre inédit de raïs rūḥī, c’est-à-dire « chef spirituel », manière de se démarquer des deux autres cheikh al-’aql, Hamoud al-Hinawi et Youssef Jarbu’.

Al-Hijri est également en concurrence avec le courant des Hommes de la dignité, dont le leadership se divise, après l’assassinat de son fondateur, entre son fils Laith al-Balous et d’autres figures comme Yahya al-Hajjar. Ce courant compense sa moindre légitimité religieuse par une dynamique de mobilisation milicienne et une posture plus indépendante vis-à-vis du pouvoir central, du moins jusqu’au tournant contestataire d’al-Hijri en 2023.

En 2024, lors de l’effondrement du régime d’Assad, ces groupes se positionnent différemment : al-Hijri défend l’autonomie régionale avec une position ferme contre Damas, rejetant les formes limitées de décentralisation proposées par le nouveau régime. En revanche, d’autres groupes, comme celui de Laith al-Balous ou Ahrar al-Jabal, adoptent une posture plus conciliatrice, cherchant à se rapprocher du pouvoir central. Le nouveau gouvernement, pour sa part, mise sur ces factions plus loyales afin de constituer une force de sécurité locale druze, distincte des combattants proches d’al-Hijri.

Vous évoquiez Israël : quelles sont les relations entre les factions druzes en Syrie et ce pays ?

T. P. : Avant décembre 2024, elles restent très limitées. Depuis des décennies, nouer des liens avec Israël constitue un tabou absolu en Syrie, et toute personne qui s’y risquerait serait immédiatement sanctionnée pour haute trahison. Les acteurs druzes évitent donc cette voie, d’autant plus qu’après 2011, certains villages druzes, notamment sur le plateau du Golan, fournissent des paramilitaires au régime [et au Hezbollah].

Le seul lien notable réside dans une sorte de « ligne rouge » tacite : Israël ne tolérerait pas que les rebelles ou le régime s’en prennent aux populations druzes. Cela explique qu’en 2023, malgré un mouvement de contestation, le régime syrien n’a pas tenté de reprendre Soueïda par la force ni de désarmer les groupes armés druzes.

Pourquoi Israël a-t-il tracé cette « ligne rouge » concernant les populations druzes en Syrie ?

T. P. : La raison principale, avant 2024, tient au fait qu’il existe une communauté druze en Israël, où elle constitue une minorité relativement privilégiée par rapport au reste des Palestiniens d’Israël. Je parle ici des Druzes citoyens israéliens, pas des Druzes vivant dans le Golan syrien occupé. Cette communauté druze est plutôt loyale à l’État israélien, avec des membres servant dans l’armée, y compris dans des régiments d’élite.

Cette position privilégiée leur confère une certaine influence, et lorsque les Druzes d’Israël expriment des inquiétudes concernant leurs coreligionnaires en Syrie, le gouvernement israélien se sent obligé de répondre à ces préoccupations.

Après 2024, cette dynamique a aussi servi d’argument à Israël pour empêcher le nouveau pouvoir syrien de déployer ses forces dans le sud du pays. L’objectif affiché d’Israël est clairement que le sud de la Syrie soit démilitarisé, du moins en dehors de ses propres forces déployées dans la région du Golan.

Par ailleurs, Israël mène également une stratégie d’influence plus douce, en invitant des religieux druzes syriens à effectuer un pèlerinage dans la région de Nazareth sur le tombeau du prophète Chouaïb, particulièrement important pour la foi druze. Un projet d’invitation de travailleurs druzes syriens dans les exploitations agricoles du Golan a aussi été envisagé par le gouvernement israélien, mais a été abandonné pour des raisons sécuritaires liées au contrôle des entrées sur le territoire. Enfin, des financements humanitaires ont été octroyés aux Druzes syriens via des ONG servant d’intermédiaires.

Il est important de souligner que très peu de groupes druzes se sont officiellement affichés comme pro-israéliens. Par exemple, une manifestation à Soueïda, il y a quelques mois, a vu l’apparition d’un drapeau israélien, mais celui-ci a rapidement été arraché par d’autres participants, témoignant du rejet majoritaire de cette posture.

Cela dit, certains acteurs politiques, notamment Hikmet al-Hijri, semblent adopter une posture politique qui s’explique mieux si l’on prend en compte le facteur israélien. Al-Hijri mène une politique intransigeante, différente de celle des autres cheikh al-’aql, qui se montrent plus enclins au compromis avec Damas. D’ailleurs, lors des récents incidents, ce sont ces derniers qui signent les cessez-le-feu, tandis qu’Al-Hijri les critique ouvertement.

Comment expliquer les affrontements récents entre Bédouins et Druzes à Soueïda ?

T. P. : Ce conflit est ancien, il remonte à plusieurs décennies. En 2000, un épisode particulièrement sanglant avait fait plusieurs centaines de morts. Il ne s’agit pas d’un conflit religieux à l’origine, mais d’un différend lié au contrôle et à l’usage des terres. La région étant aride, les terres cultivables et les pâturages sont rares et donc très disputés.

La guerre en Syrie, de 2011 à 2024, a envenimé la situation : l’effondrement de l’État et la prolifération des armes ont donné plus de moyens aux deux parties pour régler leurs différends par la violence. Par ailleurs, des acteurs extérieurs comme l’État islamique ont soutenu les tribus bédouines sunnites, tandis que le régime d’Assad a appuyé certains groupes druzes. Après 2018, le pouvoir de Damas s’est à son tour retrouvé du côté des Bédouins, afin d’affaiblir l’autonomie de fait des Druzes de Soueïda, et parce qu’en reprenant la région, il a coopté d’anciens groupes rebelles sunnites, eux-mêmes liés aux tribus bédouines. Ce conflit a aussi une dimension criminelle, avec des éléments des deux côtés impliqués dans des activités illicites comme le trafic de drogue ou les enlèvements pour rançon.

Comment ces tensions communautaires s’inscrivent-elles dans le contexte politique syrien actuel ?

T. P. : Depuis décembre 2024, les tribus bédouines sunnites en appellent à la solidarité du gouvernement syrien, qui lui-même affiche une identité musulmane sunnite affirmée. Au début des derniers incidents, elles ont réclamé le soutien du gouvernement en accusant à demi-mot ce dernier de négliger leur sort.

De son côté, le régime a aussi un intérêt à soutenir les tribus bédouines pour faire obstacle au courant autonomiste druze dans la province. Cela lui est d’autant plus nécessaire que, depuis les massacres d’alaouites sur la côte en mars et les incidents armés survenus en mai entre sunnites et Druzes à Jaramana et Ashrafiyyet Sehnaya, les factions druzes les plus disposées au dialogue avec Damas se sont graduellement rapprochées de la ligne dure d’al-Hijri. Cette tendance s’est accélérée durant la récente escalade des violences (plus de 1 100 morts depuis le début des affrontements, le 13 juillet) : face aux exactions commises contre les civils de Soueïda par les forces progouvernementales, les groupes armés druzes ont uni leurs forces pour défendre la communauté.




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Pourquoi en arrive-t-on à cette escalade ?

T. P. : Le gouvernement a vu dans les affrontements communautaires locaux une occasion d’imposer son autorité en déployant ses forces dans la province, officiellement pour séparer les belligérants mais, dans les faits, pour désarmer les groupes druzes autonomistes. Al-Charaa pensait bénéficier d’un contexte international favorable, à savoir un soutien tacite des États-Unis qui le protégerait des représailles israéliennes. On l’a vu, cela s’est révélé être une erreur de jugement majeure.

En face, Al-Hijri, peut-être mieux informé des intentions israéliennes, a refusé de reculer, à la suite de quoi la situation s’est embrasée.

Quelle place peut-on envisager aujourd’hui pour la justice dans le règlement du conflit ?

T. P. : À court terme, l’enjeu prioritaire ne paraît pas être la justice, mais avant tout le retour au calme et la cessation des affrontements. Des tensions persistantes risquent en effet de raviver des violences, non seulement à Soueïda mais aussi autour des autres localités druzes du pays.

Certes, la justice reste importante si l’on souhaite discipliner les troupes et prévenir les exactions futures. Cependant, juger et condamner des membres des forces gouvernementales dans le contexte actuel pourrait déstabiliser davantage le régime, en fragilisant un pouvoir déjà contesté, et en risquant d’alimenter des velléités de coup d’État militaire de la part d’éléments plus radicaux.

Par ailleurs, un processus judiciaire serait d’autant plus déstabilisateur qu’il devrait aussi concerner les combattants druzes qui se sont rendus coupables d’exactions ces derniers jours. On comprend donc aisément pourquoi la justice n’est prioritaire pour aucun des protagonistes.


Propos recueillis par Coralie Dreumont et Sabri Messadi.

The Conversation

Thomas Pierret a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR).

ref. Dans le sud de la Syrie, les affrontements entre les Druzes et les Bédouins ravivent le spectre des divisions communautaires – https://theconversation.com/dans-le-sud-de-la-syrie-les-affrontements-entre-les-druzes-et-les-bedouins-ravivent-le-spectre-des-divisions-communautaires-261464

L’économie canadienne fait face à des défis majeurs, et les peuples autochtones offrent des solutions

Source: The Conversation – in French – By Mylon Ollila, PhD Student in Indigenous Economic Policy, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)

Le Canada est confronté à des difficultés économiques en raison des changements géopolitiques, dont une guerre commerciale avec les États-Unis, son plus proche partenaire économique.

Les décideurs politiques cherchent de nouvelles sources durables de développement économique, mais en négligent une qui existe déjà : l’économie autochtone émergente. Elle pourrait stimuler l’économie canadienne de plus de 60 milliards de dollars par an.

Toutefois, les peuples autochtones sont encore largement considérés comme un fardeau économique à gérer plutôt que comme une opportunité de croissance. Il est temps de changer les mentalités. Pour cela, le gouvernement fédéral doit supprimer les obstacles économiques injustes et investir dans la réduction des écarts d’emploi et de revenu.

Le futur du Canada dépend des Peuples autochtones

La croissance économique devrait ralentir au cours des prochaines années dans les pays développés, et le Canada aura le PIB le plus faible des 38 pays de l’OCDE d’ici 2060. Avec le ralentissement de la croissance, le niveau de vie baissera et les gouvernements seront confrontés à une pression budgétaire accrue.

Ce défi est aggravé par le vieillissement de la population active. Le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus augmente six fois plus vite que celui des enfants de 14 ans et moins, qui entreront sur le marché du travail dans les années à venir. Cette évolution démographique exerce une pression supplémentaire sur les retraites, le système de santé et l’économie.

Mais ces sombres prévisions négligent souvent l’un des avantages comparatifs du Canada : une population autochtone jeune, qui croît à un rythme supérieur à celui de la population non autochtone. Or, bien que les Peuples autochtones représentent 5 % de la population canadienne, ils ne contribuent qu’à hauteur de 2,4 % au PIB total.

Une vidéo (en anglais) de BNN Bloomberg à propos de l’économie autochtone au Canada.

Si les peuples autochtones pouvaient participer à l’économie au même rythme que les Canadiens non autochtones, leur contribution au PIB pourrait passer d’environ 55 milliards de dollars à bien plus de 100 milliards de dollars par an.

Malgré ce potentiel, le Canada a largement échoué à investir dans les peuples autochtones et à réformer les structures coloniales à l’origine des inégalités.

En dépit de certaines avancées comme la [Loi sur la gestion financière des Premières Nations] qui offre aux communautés des outils pour renforcer leurs économies, les progrès sont encore trop lents.

Les Premières Nations font face à des obstacles économiques

Toute économie comporte deux volets : les avantages économiques et les institutions qui permettent de tirer parti de ces avantages. Certaines institutions réduisent les coûts des activités commerciales et encouragent l’investissement, tandis que d’autres font le contraire. Les investissements se dirigent naturellement vers les endroits qui offrent à la fois des avantages économiques et des coûts d’exploitation faibles.

Au Canada, les droits de propriété bien établis réduisent les coûts d’exploitation des entreprises et favorisent leur financement. Un régime fiscal efficace assure la prévisibilité et permet aux gouvernements d’offrir des services. Les infrastructures adaptées aux besoins des entreprises réduisent les coûts logistiques. Toutes ces institutions contribuent au développement économique du Canada.

En revanche, les communautés des Premières Nations sont limitées par les institutions canadiennes. La Loi sur les Indiens limite l’autorité des Premières Nations sur leurs propres affaires, les excluant des mécanismes financiers traditionnels. Le flou juridique quant à la répartition des compétences entre les gouvernements fédéral, provinciaux et autochtones et la faiblesse des droits de propriété découragent les investissements commerciaux.

En raison de leurs pouvoirs limités, notamment sur le plan financier, les gouvernements des Premières Nations ne peuvent offrir des services conformes aux normes nationales et doivent compter sur d’autres gouvernements.

Ces problèmes sont aggravés par la nature fragmentée, insuffisante et culturellement inadaptée des systèmes de soutien fédéraux. Les Premières Nations ont des avantages économiques et un esprit entrepreneurial, mais elles sont confrontées à des obstacles économiques injustes, tels que des infrastructures inadéquates, un accès limité au capital et des obstacles administratifs.

Il est essentiel d’investir dans les économies autochtones

En 1997, la Banque Royale du Canada prédisait que le fait de ne pas investir dans les peuples autochtones creuserait le fossé socio-économique. Comme prévu, c’est ce qui s’est produit.

Le Canada a toujours choisi de gérer la pauvreté plutôt que d’investir dans la croissance. Alors que l’aide financière aux peuples autochtones a plus que doublé au cours de la dernière décennie, cela n’a abouti qu’à une modeste amélioration du niveau de vie.

Le Projet Feuille de route, une initiative nationale menée par le Conseil de gestion financière des Premières Nations et d’autres organisations autochtones, propose une voie vers la réconciliation économique. Investir dans l’économie autochtone signifie soutenir la formation des Autochtones, donner accès au capital aux organisations autochtones et réformer les institutions qui continuent d’imposer des obstacles systémiques.

L’éducation est un des moyens les plus efficaces de réduire la pauvreté, d’améliorer la santé et de stimuler le développement économique. Le gouvernement fédéral devrait donc soutenir des programmes de formation conçus pour répondre aux besoins des Peuples autochtones.

L’apprentissage en ligne pourrait aider les communautés isolées à atteindre leurs objectifs éducatifs, mais son succès dépend de investissements importants dans l’accès à Internet haut débit, qui fait encore défaut dans de nombreuses régions.

Les organisations autochtones sont les mieux placées pour comprendre et répondre aux besoins locaux en matière de formation. C’est pourquoi le contrôle des transferts de revenus et la conception des programmes par les Autochtones doivent être au cœur de tout investissement futur dans l’éducation. Pour ce faire, le gouvernement fédéral devrait établir des partenariats avec les établissements d’enseignement autochtones afin de définir des objectifs et des valeurs en commun.

Financer et soutenir la croissance autochtone

Les peuples autochtones créent neuf fois plus d’entreprises que la moyenne canadienne, mais ne reçoivent que 0,2 % du crédit disponible. La plupart des entreprises autochtones sont de petite taille et ne peuvent croître sans options de financement viables.

Pourtant, les entrepreneurs et les gouvernements autochtones ont du mal à obtenir des prêts et du soutien financier.

À l’échelle internationale, les banques de développement ont été utilisées pour combler les lacunes en matière de crédit lorsque le secteur privé n’était pas en mesure de répondre aux besoins des économies émergentes.

Au Canada, le Conseil de gestion financière des Premières Nations et d’autres organisations autochtones réclament une solution similaire : la création d’une organisation financière de développement autochtone. En accordant des prêts aux gouvernements et aux entreprises autochtones, cette organisation financière pourrait combler le fossé entre les marchés financiers et l’économie autochtone.

Si les investissements dans le renforcement des capacités et le financement du développement sont des besoins urgents, seuls le démantèlement des barrières économiques et un meilleur accès à des institutions efficaces peuvent garantir le développement des peuples autochtones.

Des lois telles que la Loi sur la gestion financière des Premières Nations et la Loi sur l’accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières Nations soutiennent les économies autochtones par le biais de la fiscalité, de la budgétisation, des codes fonciers et des lois financières. Elles offrent une voie entre la Loi sur les Indiens et l’autonomie gouvernementale, sans devoir attendre la fin de longues négociations.

Plus fort ensemble

L’avenir économique du Canada restera incertain si l’on continue de privilégier des solutions à court terme tout en ignorant le potentiel de croissance de l’économie autochtone. Il ne suffit plus d’améliorer le statu quo.

Le gouvernement fédéral doit soutenir les initiatives menées par les Autochtones, comme le Projet Feuille de route, afin de favoriser une croissance et une prospérité partagées par les peuples autochtones et tous les Canadiens. Des investissements sont nécessaires pour réduire les écarts en matière d’emploi et de revenus grâce à de nouvelles mesures de soutien aux capacités, à l’accès au capital et à la réforme institutionnelle.

La Conversation Canada

Mylon Ollila travaille pour le Conseil de gestion financière des Premières Nations.

Hugo Asselin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’économie canadienne fait face à des défis majeurs, et les peuples autochtones offrent des solutions – https://theconversation.com/leconomie-canadienne-fait-face-a-des-defis-majeurs-et-les-peuples-autochtones-offrent-des-solutions-261710