L’épidémiologie sans les sciences humaines : un regard incomplet sur la santé

Source: The Conversation – in French – By Bernard-Simon Leclerc, Coordonnateur académique du doctorat professionnel en santé publique et enseignant en épidémiologie, Université de Montréal

L’épidémiologie doit évoluer, mais elle tarde à refléter les réalités actuelles de la santé publique. (Shutterstock)

À l’heure où les spécialistes de l’épidémiologie et de la biostatistique se réunissent à Montréal, du 11 au 13 août 2025, dans le cadre de la conférence biennale de la Société canadienne d’épidémiologie et de biostatistique, pour réfléchir collectivement à l’évolution de leurs disciplines et à leur rôle dans l’amélioration de la santé et du bien-être des populations, il semble plus que jamais nécessaire de réinterroger les orientations dominantes de ces sciences, souvent centrées sur des modèles biomédicaux et statistiques, au détriment des dynamiques sociales qui façonnent les déterminants de la santé.

L’épidémiologie joue un rôle clé en santé publique et en médecine. S’appuyant sur des chiffres et des calculs, elle aide à comprendre et à suivre l’évolution des maladies ainsi que d’autres événements sanitaires. Elle nourrit à cet égard une relation étroite avec les sciences médicales, ce qui bien entendu est nécessaire. On peut néanmoins déplorer qu’elle n’en nourrisse pas une aussi riche avec les humanités.

Contrairement à une idée répandue, l’épidémiologie ne se limite pas aux maladies. Elle s’intéresse aussi aux problèmes sociaux, envisagés comme des éléments à expliquer, ainsi qu’aux réalités sociales, perçues comme des facteurs influençant la santé. Une perspective plus large permettrait de mieux saisir les dimensions sociales et éthiques des questions de santé publique. Relier l’épidémiologie aux humanités offrirait une vision plus complète de ces enjeux.

En français, humanités correspond à ce que les milieux anglophones désignent par arts libéraux. Cela inclut la philosophie, l’histoire, la littérature et les beaux-arts. Ces disciplines, parfois appelées sciences de l’esprit, explorent les influences culturelles et intellectuelles. Cet article examine leur lien avec l’épidémiologie et leur contribution à une meilleure perception des défis en santé.

Épidémiologiste, enseignant universitaire et conseiller au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, je déplore l’éloignement de cette discipline de son objectif premier : la santé humaine. L’épidémiologie doit évoluer, mais elle tarde à refléter les réalités actuelles de la santé publique. Même si l’on reconnaît la prépondérance des déterminants sociaux dans la santé et le bien-être des individus et des communautés, l’attention reste centrée sur les causes individuelles. Cela limite une vision globale et systémique des problématiques de santé.

L’approche biomédicale et l’approche sociale en épidémiologie

Souvent perçue comme une discipline médicale et statistique, l’épidémiologie mobilise aussi la pensée critique et l’analyse contextuelle, comme les sciences humaines. Deux approches principales se font concurrence.

Le modèle biomédical, centré sur les causes physiologiques et comportementales, s’attarde aux prédispositions génétiques et aux risques individuels. Il tend toutefois à négliger les conditions de vie et les disparités sociales.

À l’inverse, l’épidémiologie sociale voit la santé comme le résultat de déterminants collectifs. Elle intègre les facteurs économiques, le logement, l’éducation et les politiques publiques. Ces éléments influencent directement les trajectoires de vie et les inégalités de santé.

Bien que ces facteurs soient largement reconnus comme essentiels, l’épidémiologie peine encore à dépasser le cadre biomédical classique. Le sociologue français Patrick Peretti-Watel illustre cette limite. Il note que, statistiquement parlant, être afro-américain est parfois présenté comme un facteur de risque du suicide – ce qui, évidemment, n’a aucun sens en soi.

Une telle approche isole la variable ethnique sans tenir compte des désavantages systémiques. Elle conduit ainsi à des interprétations erronées. Ces corrélations chiffrées, souvent déconnectées des structures sociales, peuvent renforcer des préjugés et masquer les véritables inégalités.

Une personne en habit médical tient un crayon et regarde un graphique
Bien que les statistiques soient importantes, elles ne rendent pas compte du portrait d’ensemble.
(Shutterstock)

Cette tendance à privilégier les explications individuelles et biomédicales s’accompagne souvent d’un recours excessif aux méthodes quantitatives. Les épidémiologistes et les statisticiens collaborent étroitement. Mais cette proximité peut parfois créer une confusion disciplinaire et une obsession méthodologique. En se concentrant sur la rigueur statistique, l’épidémiologie risque de perdre de vue ses finalités concrètes. Certains chercheurs privilégient l’optimisation des modèles plutôt qu’une réflexion sur les besoins réels des populations.

L’épidémiologie comme discipline des humanités

En 1987, le médecin et épidémiologiste américain David W. Fraser a proposé de considérer l’épidémiologie comme un « art libéral ». Il soulignait son potentiel à dépasser la technicité des méthodes quantitatives et à s’ouvrir à des perspectives interdisciplinaires.

Cette idée, peu explorée, a ensuite été développée par trois auteurs : l’expert américain en politique de santé et en épidémiologie appliquée Robin D. Gorsky, le médecin et épidémiologiste américain engagé sur les questions éthiques en santé publique Douglas L. Weed et, plus récemment, l’épidémiologiste américain Michael B. Bracken, professeur émérite et ancien président de deux grandes sociétés savantes en épidémiologie, ayant plaidé pour une approche plus nuancée de la discipline.


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Cette réflexion vise à mieux comprendre la complexité des phénomènes sanitaires. En plus des statistiques et des modèles, l’épidémiologie mobilise aussi la pensée critique et l’analyse contextuelle. Pourtant, certaines simplifications persistent.

Par exemple, comme le souligne encore Peretti-Watel, le non-usage du préservatif est souvent vu comme un choix individuel. Or, il peut être façonné par des contraintes sociales et économiques. Dans certains milieux défavorisés, des femmes subissent des pressions ou des violences qui les empêchent d’en exiger l’usage. Une lecture strictement biomédicale omet ces réalités. Elle risque de négliger l’impact des inégalités sociales sur la santé.

Pour une pédagogie de l’épidémiologie ancrée dans les humanités

Intégrer l’épidémiologie plus tôt dans les cursus collégiaux et universitaires aiderait les citoyens à mieux interpréter les informations médicales et scientifiques.

Aujourd’hui, la désinformation en santé prolifère. Elle est alimentée par certains influenceurs, des discours aux fondements non vérifiés et même des experts diffusant des données approximatives ou tendancieuses. Cette confusion nuit à la compréhension des maladies, de leurs causes et de leurs traitements.

Un jeune homme lève la main dans une classe
Revoir la place de l’épidémiologie à l’université et ses rapports avec les humanités est primordial.
(Shutterstock)

L’épidémiologie repose sur un raisonnement rigoureux, mais ses concepts de base restent accessibles aux non-spécialistes. Mieux enseignée, elle renforcerait la pensée critique. Elle aiderait à repérer les croyances populaires et les affirmations pseudoscientifiques fondées sur des principes contestés. Par exemple, les polémiques autour des vaccins et les prétendus « traitements miracles » comme l’homéopathie illustrent les dangers d’une méconnaissance scientifique.

Une intégration plus large de l’épidémiologie dans les programmes éducatifs encouragerait une vision plus éclairée de la santé publique. Elle permettrait d’analyser rationnellement les politiques sanitaires. Elle aiderait à comprendre les déterminants sociaux de la santé, au-delà des seules interprétations biomédicales.

Les humanités au service de l’épidémiologie

Pour relever les défis contemporains de la santé publique, l’épidémiologie doit élargir ses fondements. Elle gagne à être pensée comme une discipline intégrant les sciences humaines. Une approche plus interdisciplinaire permettrait de mieux comprendre les déterminants sociaux et structurels de la santé, au-delà des analyses biomédicales classiques. Les institutions académiques ont un rôle clé à jouer dans cette transformation. En intégrant les humanités à la formation en épidémiologie, elles encourageraient une approche plus globale et critique des questions de santé.

Cette démarche ouvrirait la voie à une santé publique mieux adaptée aux réalités sociales et politiques de nos sociétés. L’enseignement de l’épidémiologie, enrichi par la philosophie, l’histoire et la sociologie, favoriserait une prise de décision plus éclairée et équitable. En plaçant la réflexion critique au cœur de la santé publique, cette orientation contribuerait à une vision plus humaine et inclusive des soins et des politiques sanitaires.

L’épidémiologie ne se limite pas aux chiffres et aux modèles statistiques. Elle éclaire des enjeux qui touchent directement les populations. En repensant son enseignement et ses fondements, elle pourrait jouer un rôle encore plus essentiel dans l’amélioration de la santé mondiale.

Quelques initiatives

Dans cette perspective, l’enseignement de l’épidémiologie peut s’inspirer d’un mouvement amorcé dans plusieurs institutions occidentales.

L’Université de Montréal en est un exemple, en réfléchissant à la place des arts et des humanités dans la formation médicale. Plusieurs organisations crédibles soutiennent cette approche.

L’Organisation mondiale de la santé a publié une revue sur les effets positifs des arts sur la santé. L’Association of American Medical Colleges souligne leur rôle fondamental dans l’éducation médicale. À cet égard, l’Association canadienne des sciences humaines en santé encourage aussi la collaboration interdisciplinaire.

Ces recommandations confirment la valeur ajoutée des humanités dans le développement de compétences clés pour une pratique médicale plus humaine et efficace. Pour concrétiser cette vision, il faut repenser les programmes de formation.

Un programme d’épidémiologie intégré à une école de santé publique devrait refléter une véritable culture de santé publique. Celle-ci serait fondée sur un cadre interdisciplinaire et intersectoriel, une vision globale de la santé et une prise en compte des déterminants sociaux. Cela impliquerait aussi de rééquilibrer l’accent mis sur l’épidémiologie clinique et biomédicale, au profit d’une perspective davantage sociale et populationnelle.

La Conversation Canada

Bernard-Simon Leclerc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’épidémiologie sans les sciences humaines : un regard incomplet sur la santé – https://theconversation.com/lepidemiologie-sans-les-sciences-humaines-un-regard-incomplet-sur-la-sante-255692

Photovoltaïque et réseau électrique : comment une IA fiable et transparente pourrait faciliter la décarbonation

Source: The Conversation – France in French (2) – By Gabriel Kasmi, Chercheur postdoctoral en IA appliquée au système électrique, Mines Paris – PSL

Les énergies renouvelables sont souvent accusées de déstabiliser le réseau électrique. Des outils d’intelligence artificielle permettent de localiser les installations photovoltaïques, facilitant ainsi le suivi de leur déploiement et assurant leur insertion sans heurts au réseau électrique.


Le photovoltaïque est une source d’électricité renouvelable profondément décentralisée. De petite taille mais représentant 99 % des systèmes raccordés au réseau électrique, les installations en toiture chez les particuliers ou dans le tertiaire (ombrières, supermarchés…) ont un poids croissant sur réseau électrique.

Hier centralisée, la production électrique est désormais répartie entre des grandes centrales et des centaines de milliers de petites installations. Ainsi, l’équilibrage du système – essentiel afin d’éviter les blackouts – nécessite de nouveaux moyens afin de tenir compte de cette production décentralisée.

Équilibrer la production d’électricité en intégrant la production solaire décentralisée est tout à fait possible en principe. Encore faut-il savoir où les panneaux sont installés et quelle taille ils font. L’intelligence artificielle (IA) peut être mise à contribution pour automatiser ce suivi… à condition que la fiabilité des données puisse être garantie.

L’intégration des renouvelables au réseau électrique : des défis maîtrisables

Historiquement, la production d’électricité provient des centrales reliées au réseau de transport (haute tension), avant d’être acheminée vers le réseau de distribution (basse tension) et les gros consommateurs industriels. La production était « pilotable », c’est-à-dire que l’on peut l’ajuster assez rapidement en fonction de la demande.

L’essor de l’éolien terrestre et du solaire photovoltaïque, majoritairement raccordés au réseau de distribution, a profondément modifié cette organisation. Aujourd’hui, la production pilotable s’ajuste à une « demande nette », c’est-à-dire à la différence entre la consommation et la production renouvelable.

Par exemple, la demande française en électricité est historiquement sensible à la température (chauffage, climatisation), et la production renouvelable est sensible aux variables climatiques. Cette variabilité n’est pas problématique en soi : l’important est qu’une filière soit observable, c’est-à-dire que l’on peut mesurer ou estimer avec précision sa production – et quantifier les incertitudes de production.

Or actuellement, le photovoltaïque manque d’observabilité, principalement en raison d’une caractérisation incertaine du parc existant de systèmes.

Le photovoltaïque est en effet caractérisé par une très grande variété de systèmes, allant de grandes centrales à des installations sur des toitures individuelles. Une telle diversité d’installations facilite le déploiement rapide à grande échelle et fait du photovoltaïque un vecteur indispensable de la décarbonisation du système électrique, mais cette même caractéristique rend le suivi de son déploiement difficile. Ainsi, 99 % des installations photovoltaïques, représentant un cinquième de la puissance installée, sont ainsi installées sur des toitures (résidentielles ou tertiaires) de manière totalement décentralisée (à la différence par exemple des centrales au sol pour lesquelles les appels d’offres sont centralisés, et donc les capacités mieux connues).

Comment répertorie-t-on aujourd’hui les systèmes installés ?

Le cadastre photovoltaïque, qui recense toutes les installations photovoltaïques raccordées au réseau, est obtenu à partir des déclarations de raccordement et est sujet à des incertitudes, tant en termes de recensement des systèmes que d’estimation de leur puissance installée et de leur répartition géographique.

L’intelligence artificielle, appliquée à l’imagerie aérienne, offre une opportunité unique de cartographier automatiquement et à grande échelle les systèmes photovoltaïques, en estimant leur surface, leur orientation et leur puissance, permettant ainsi d’améliorer notre connaissance sur le nombre, la répartition et les caractéristiques des systèmes photovoltaïques sur toiture. De nombreux modèles ont ainsi été développés afin de cartographier des systèmes photovoltaïques sur toiture.

Cependant, et malgré leurs performances remarquables, ces modèles ne sont que rarement utilisés par les acteurs du système électrique pour compléter et corriger leurs registres, ce qui réduit l’impact de telles méthodes pour répondre au problème dit de l’observabilité du photovoltaïque sur toiture, et plus largement pour faciliter la décarbonation du système électrique.

Quels sont les freins à l’adoption de l’IA comme outil d’aide à la cartographie des systèmes photovoltaïque ?

Au cours de ma thèse, j’ai prêté une attention particulière à l’identification des verrous méthodologiques pour le déploiement d’outils d’IA permettant d’améliorer l’observabilité du photovoltaïque sur toiture. Je suis parti d’un paradoxe apparent : les outils et les méthodes pour détecter les panneaux solaires existaient déjà, mais les projets existants n’allaient pas au-delà des expérimentations en laboratoire. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce décalage. D’une part, des facteurs institutionnels ou humains, liés au manque de formation à ces outils ou encore à la question de la responsabilité en cas d’erreur de l’IA. D’autre part, il existe des facteurs liés aux méthodes elles-mêmes, où il est apparu en particulier que la combinaison d’un manque de transparence et de fiabilité des algorithmes était un frein puissant à leur adoption.

Notre travail de recherche récent a ainsi proposé une méthode permettant d’améliorer à la fois la transparence et la fiabilité des algorithmes de cartographie. L’amélioration de la transparence repose sur des techniques d’IA explicable et permet de mieux comprendre comment « voit » le modèle. L’amélioration de la fiabilité repose sur cette meilleure connaissance du processus de décision du modèle.

Nous avons utilisé une technique d’IA explicable inédite qui permet de décomposer entre différentes échelles ce que « voit » l’IA sur l’image. Cette décomposition montre les cas où l’IA s’appuie sur des composantes de l’image facilement altérables (les hautes fréquences de l’image) s’apparentant à des motifs quadrillés dont la taille au sol est de l’ordre d’un mètre par un mètre. On peut facilement comprendre la corrélation entre les panneaux et les grilles, mais on comprend aussi que toutes les grilles ne sont pas des panneaux solaires ; et que tous les panneaux solaires ne présentent pas de grilles.

comment l’IA identifie un panneau solaire
Un exemple de détection expliquée par notre méthode d’explicabilité. À gauche se trouve l’image de panneau, telle que vue par le modèle. Les zones de cette image importantes pour la prédiction du modèle sont surimposées avec des couleurs chaudes (B). Cependant, cette surimposition n’indique pas quels sont les éléments importants dans ces régions. Sur l’animation (C), nous utilisons notre méthode d’explicabilité pour filtrer progressivement l’image jusqu’à ne retenir que ce qui est nécessaire pour que le modèle fasse sa prédiction. Ce filtrage montre que le modèle a besoin du motif en grilles (plutôt que la couleur ou la forme générale du panneau) pour identifier un panneau.
Kasmi et collaborateurs, études de 2024 et 2025, Fourni par l’auteur

Cette méthode permet de mieux anticiper les occurrences de faux positifs mais aussi de faux négatifs.

Par exemple, dans une région où il y a de nombreuses verrières, qui présentent un motif grillé similaire, l’utilisateur anticipera une éventuelle surestimation du nombre réel de panneaux. À l’inverse, dans une région où les panneaux installés sont plus récents et donc plus susceptibles d’être sans cadre, on pourra s’attendre à une sous-estimation du nombre de panneaux. L’identification de potentiels faux négatifs est d’autant plus cruciale que s’il est simple d’éliminer les faux positifs par des post-traitements, il est plus difficile de lutter contre les faux négatifs.

Qu’est-ce que l’IA explicable ?

  • Les algorithmes de deep learning atteignent des performances remarquables dans de nombreuses applications. Ils sont néanmoins très complexes et donc difficiles à interpréter : on parle ainsi souvent de “boîtes noires”.
  • L’IA explicable (XAI) désigne l’ensemble des outils et méthodes permettant de décrire le fonctionnement d’un algorithme de deep learning de manière compréhensible pour un humain. Ces méthodes visent ainsi à améliorer la transparence des algorithmes, faciliter leur débogage, prévoir leurs cas d’échecs ou encore encourager leur adoption par des utilisateurs non spécialistes.
  • Dans notre cas, l’XAI nous a permis d’identifier un processus de décision (le modèle entraîné traduit souvent la présence d’un panneau PV avec un motif en forme de grille sur l’image), ce qui nous a permis d’identifier des cas d’échecs potentiels : la confusion de verrières pour des panneaux solaires.

Comment faire en sorte que l’IA reste fiable alors que les systèmes à détecter évoluent ?

Pour une IA, la fiabilité correspond à la faculté du système à atteindre une précision comparable à celle obtenue lors de l’entraînement initial du modèle, sur une période plus ou moins longue. En pratique, ces données d’entraînement sont figées, tandis que les données sur lesquelles le modèle est utilisé évoluent continuellement. Ainsi, la distribution statistique des données d’entraînement est de moins en moins représentative de celle des données sur lesquelles le modèle est déployé.

Il est établi que les IA sont sensibles à de tels changements de distributions (distribution shifts) et ainsi que les performances théoriques sont de moins en moins représentatives de la réalité. Pour la détection de panneaux solaires, on peut s’attendre à une baisse des détections liée au fait que le modèle n’a jamais « appris » à reconnaître les nouveaux panneaux. Les données d’entraînement sont ainsi biaisées par rapport aux conditions réelles, et les mises à jour des données d’entraînement veilleront à refléter la distribution actualisée des types de panneaux photovoltaïques.

L’IA seule ne résoudra pas l’ensemble des questions induites par la décarbonation du système électrique. Néanmoins, elle peut et doit y contribuer, compte tenu de la maturité des technologies, de la disponibilité des données et de l’appétence générale qui l’entoure. L’enjeu est double : d’une part, comprendre son fonctionnement et ses limites et, d’autre part, améliorer sa fiabilité, de sorte que l’adhésion à cette technologie soit fondée sur le discernement de l’utilisateur, plutôt que sur une foi aveugle en ces outils.

The Conversation

Gabriel Kasmi a reçu des financements de RTE et de l’Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (thèse financée dans le cadre d’une convention Cifre). Il est membre du think tank Zenon.

ref. Photovoltaïque et réseau électrique : comment une IA fiable et transparente pourrait faciliter la décarbonation – https://theconversation.com/photovolta-que-et-reseau-electrique-comment-une-ia-fiable-et-transparente-pourrait-faciliter-la-decarbonation-261681

Pourquoi les Hispaniques évangéliques ont-ils voté Trump ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Marie Gayte, Chercheuse au laboratoire Babel de l’Université de Toulon, spécialiste de la politique américaine contemporaine, Université de Toulon

Depuis son accession au pouvoir, Donald Trump a multiplié les discours hostiles au droit d’asile et au droit du sol. Cent jours après le début de son mandat, il avait déjà publié 140 décrets contre l’immigration illégale, ciblant tout particulièrement les migrants latino-américains. Ces mesures avaient déjà été annoncées durant la campagne présidentielle ; ce qui n’a pas empêché un net accroissement des votes en sa faveur au sein des communautés hispaniques lors de l’élection. Comment l’expliquer ?.


En mai 2016, le Los Angeles Times titrait : « Les évangéliques sont le type de Latinos dont le GOP pourrait remporter les voix. Mais sans doute pas avec Donald Trump. » Quelques mois plus tard, Trump était élu, obtenant au passage 26 % des suffrages latinos. En 2024, lors de sa seconde victoire, il a obtenu 46 % des voix au sein de ces communautés – 14 points de plus qu’en 2020, et un record pour un candidat républicain à une élection présidentielle. Bien que souvent utilisés de manière interchangeable, les termes « Latino » et « Hispanique » désignent deux réalités différentes, et sont remis en question par certains chercheurs car reflets d’une réalité coloniale. Dans le langage courant, « Hispanique » désigne les personnes originaires d’un pays d’Amérique latine hispanophone, tandis que « Latino » peut englober les personnes originaires de pays lusophones.

Quand on décompose ce vote selon la religion des électeurs, on constate que Trump a effectué une percée notable chez les catholiques (41 %, contre 31 % en 2020), et surtout un score remarquable chez les protestants évangéliques (64 %, contre 48 % en 2020).

Historiquement, les Hispaniques des États-Unis ont été très majoritairement catholiques mais, depuis quelques années, une recomposition religieuse s’opère : ils rejoignent soit les rangs des « nones », ces Américains sans affiliation religieuse, soit, dans une moindre mesure, ceux des églises évangéliques. Il semble que cette affiliation les entraîne vers le conservatisme politique – y compris chez les immigrés de première et deuxième génération –, ce qui peut sembler contre-intuitif, étant donné les propos virulents de Trump sur les migrants en provenance des pays situés au sud de la frontière avec le Mexique et ses politiques migratoires.

France 24, 22 octobre 2024.

Un lien net entre évangélisme et immigration

Si l’« exode latino » du catholicisme vers l’évangélisme annoncé par certains chercheurs ne s’est pas concrétisé – la part des évangéliques dans le mix religieux restant relativement stable (entre 14 et 24 % selon les études) –, ces pourcentages s’appliquent à une cohorte sans cesse grandissante, la proportion des Hispaniques étant passée de 16 % de la population en 2010 à 19 % en 2022.

Les immigrés nourrissent la croissance des rangs évangéliques latinos, puisque la majorité d’entre eux sont nés hors des États-Unis, tandis que la part des immigrés hispaniques de première génération se déclarant évangéliques est passée de 22 % à 32 % entre 2008 et 2022.

Les Hispaniques viennent de plus en plus de pays d’Amérique centrale à forte population évangélique. En outre, même quand ils sont catholiques à leur arrivée aux États-Unis, ils sont plus susceptibles de se convertir à l’évangélisme que les Hispaniques nés aux États-Unis, lesquels ont plutôt tendance à tomber dans l’irreligion.

Ces conversions sont par ailleurs très souvent le fruit de l’influence d’autres Hispaniques, souvent originaires du même pays. Les immigrés centre-américains qui ne trouvent pas dans les églises catholiques le soutien dont ils ont besoin seront particulièrement enclins à se tourner vers l’évangélisme s’ils sont issus de pays où celui-ci est déjà très implanté.

Pour certains, la conversion à l’évangélisme, perçu comme fondamentalement états-unien et vecteur de mobilité sociale, représenterait une démarche d’intégration, annonciatrice d’une nouvelle vie, voire un mécanisme offrant une « citoyenneté spirituelle » les rendant moins susceptibles d’être expulsés s’ils sont clandestins. Les églises qu’ils fréquentent diffusent souvent le message qu’ils doivent être « quelqu’un de bien » – ce qui réduira le risque qu’ils soient expulsés –, de « bons chrétiens », qui ne comptent que sur eux-mêmes et respectent la loi.

Individualisme et prospérité

La nature des églises fréquentées par les Hispaniques aux États-Unis est l’une des grilles de lecture qui permet d’expliquer leur adhésion croissante au conservatisme politique. Les deux tiers d’entre eux fréquentent des églises pentecôtistes ou charismatiques, très souvent dirigées par des Hispaniques, immigrés de première génération ou enfants d’immigrés.

Pour la plupart indépendantes, elles sont souvent influencées par l’« Évangile de la Prospérité », dont les idées dépassent les églises qui s’en réclament du fait de l’omniprésence en librairie et sur Internet de ses figures phares. Pour ses tenants, Dieu accorde santé et richesse à ceux dont la foi est suffisamment forte, et la pauvreté, loin d’être une vertu, est le signe d’un manque de foi individuelle.

Ces églises tendent à diffuser un message de responsabilité et d’action individuelle, avec l’aide de Dieu, et de rejet de toute responsabilité et réponse systémique aux problèmes économiques et sociaux. Une vision néolibérale de la société, qui fait de la famille (déjà un pilier pour cette communauté), de la foi, de la valeur travail, de la contribution de l’individu à l’économie du pays, et du rôle des églises plutôt que de l’État dans les mécanismes d’aide sociale, les éléments constitutifs de l’identité états-unienne.

Samuel Rodriguez, directeur la puissante National Hispanic Christian Leadership Conference, l’un des conseillers évangéliques de Trump lors de la campagne de 2016, et qui prononça une des prières lors de la cérémonie d’investiture de janvier 2017, illustre bien cette tendance. Né de parents originaires de Porto Rico, il est à la tête d’une megachurch à Sacramento dont les fidèles sont majoritairement des immigrés latinos de première et deuxième génération. Dans l’émission « Race and Grace », qu’il animait sur la chaîne évangélique TBN en 2018, il affirmait que la solution au racisme n’est pas politique, car il s’agit d’un pêché individuel, « le produit d’un cœur qui refuse de se repentir » et que la solution consiste à changer son cœur avec l’aide de Dieu.

Interrogé sur la Public Broadcasting Service (PBS) juste après la victoire de Trump en novembre dernier au sujet de son projet d’expulser des millions de sans-papiers, il affirmait avoir obtenu en haut lieu l’assurance que seuls les criminels seraient ciblés, mais que les « bonnes familles, travailleuses, qui craignent Dieu, qui sont ici depuis des années, qui ne dépendent pas d’allocations du gouvernement », ne seraient pas visées.

Il n’est pas étonnant dans ce contexte que des chercheurs aient démontré que l’adhésion à ce courant pousse tous les groupes ethniques vers le conservatisme politique. Que Donald Trump se présente en homme d’affaires prospère peut en outre être perçu comme un signe qu’il est béni de Dieu, et sa réussite résonner auprès d’immigrés venus en quête d’une vie meilleure.

Dominionisme et nationalisme chrétien

Au-delà du fait que les Latinos évangéliques sont également plus conservateurs sur les questions de morale sexuelle que leurs homologues catholiques, et ont donc sans doute été séduits par le discours de Trump sur le genre, ils appartiennent souvent à des Églises dites « dominionistes », pour lesquelles Jésus ordonne « de faire de toutes les nations des disciples » : il ne faut donc pas seulement convertir des citoyens, mais les nations elles-mêmes. Il incombe ainsi aux chrétiens de prendre le contrôle des « sept montagnes » que sont la politique, la famille, l’économie, la culture, l’éducation, les médias, et la religion.

Arte, 3 juillet 2025.

C’est le cas de l’église El Rey Jesús, de l’« apôtre » Guillermo Maldonado, né au Honduras, et de sa femme, née en Colombie, à la tête d’un réseau apostolique de plus de 500 églises dans 70 pays. Maldonado, ainsi que Mario Bramnick, Ramiro Pena, Pasqual Urrabazo, eux aussi pasteurs issus de cette mouvance, ont conseillé Trump lors de ses trois campagnes présidentielles. Ils sont fréquemment invités à la Maison Blanche, et c’est dans l’église de Maldonado, à Miami, que Trump a lancé sa campagne en direction des Hispaniques en 2020 – Maldonado ayant dû au préalable rassuré ses fidèles sans papier qu’aucune arrestation n’aurait lieu lors du meeting.

Ceci explique en partie le fait que les Hispaniques évangéliques (57 %) sont juste derrière les évangéliques blancs (66 %) dans leur adhésion au nationalisme chrétien. Ce nationalisme regroupe un ensemble de croyances, dont le fait de considérer les États-Unis comme une nation chrétienne qui doit retrouver ses racines, et dont les chrétiens devraient contrôler les institutions.

Or, les sociologues Samuel Perry et Andrew Whitehead ont montré que l’adhésion au nationalisme chrétien fut un indicateur à part entière d’un vote Trump en 2016. Trump avait, dès cette campagne, promis aux chrétiens qu’ils « retrouveraient le pouvoir » perdu, non seulement politique, mais aussi dans l’éducation et les médias.

Une évolution qui ne passe pas inaperçue

Ces messages conservateurs, largement relayés par les pasteurs, ne sont pas sans effet sur les fidèles, dans la mesure où les Hispaniques évangéliques sont très pratiquants – bien plus que les catholiques – et ne remettent pas en cause la parole de leur pasteur.

Quant à la position de Trump sur les immigrés clandestins, beaucoup d’Hispaniques ne se sentent pas visés, et les Latinos évangéliques ont plus que leurs homologues catholiques tendance à s’identifier aux États-Unis davantage qu’à leur pays d’origine. Ils estiment qu’il faut venir légalement, et ils privilégient leurs convictions sur les questions de morale sexuelle aux préoccupations sur le sort des clandestins.

En 2002, des stratèges démocrates annonçaient l’avènement proche d’une majorité démocrate durable, forte de la montée inexorable des minorités ethniques, forcément acquises au parti de l’âne. Au contraire, aujourd’hui, le conservatisme croissant des Hispaniques évangéliques est suivi de près par le GOP. Il peut compter sur des organisations comme la Faith and Freedom Coalition, fondée par Ralph Reed – l’un des artisans de la mobilisation des évangéliques blancs derrière le GOP dans les années 1990 – qui distribue désormais des guides de vote en espagnol et organise des campagnes d’inscription sur les listes électorales dans les églises de ces pasteurs latinos évangéliques, notamment dans des États clés comme la Pennsylvanie ou l’Arizona.

L’engouement de certains pasteurs pour Trump et son conservatisme est tel que depuis 2020, nombre d’entre eux – immigrés de première ou deuxième génération – se mobilisent d’eux-mêmes pour encourager leurs fidèles à s’inscrire sur les registres électoraux. Ils publient leurs propres guides électoraux selon lesquels il faut voter « selon la Bible », et prier à des meetings de campagne de Trump – et cela, sans même que le parti républicain ne les y incite

The Conversation

Marie Gayte est chercheuse associée à l’IRSEM et a été titulaire d’une bourse Fulbright recherche en 2023.

ref. Pourquoi les Hispaniques évangéliques ont-ils voté Trump ? – https://theconversation.com/pourquoi-les-hispaniques-evangeliques-ont-ils-vote-trump-262136

Quand l’Union européenne améliore les droits sociaux : le cas des congés payés et de la maladie

Source: The Conversation – France (in French) – By Stéphane Lamaire, Professeur associé au CNAM en droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Le droit européen vient de prendre une décision en faveur des salariés, contrairement à ce que prétendait jusqu’ici le droit français. Et cela pourrait ne pas s’arrêter là.


Sous l’influence du droit européen, nous savons désormais que pendant un arrêt maladie, un salarié continue d’acquérir des droits à congés payés qu’il pourra déposer après son retour au travail.

Néanmoins, la situation d’un salarié faisant l’objet d’un arrêt maladie alors qu’il se trouve en période de congés payés semble incertaine. En effet, ce dernier peut-il reporter ultérieurement les congés acquis dont il n’a pas bénéficié du fait de son arrêt de travail ?

Les contradictions des droits français et européen

Par le biais de plusieurs arrêts de l’automne 2023 (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340 à 22-17.342, n°22-17.638 et n°22-10.529 et 22-11.106), la Cour de cassation s’appuyant sur le droit européen (l’article 31 §2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et l’article 7 §1 de la directive n°2003/88/CE), a contraint le législateur à modifier sa position au sujet de l’articulation des périodes de congés payés et de maladie (loi nº2024-364 du 22 avril 2024). En effet, par le passé, le droit français indiquait qu’il n’était pas possible d’acquérir des jours de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie ou accident non professionnel (ancien article L.3141-5 du Code du travail). Or, cette disposition nationale était contraire à celle du droit européen découlant d’une directive (article 7 §1 de la directive n°2003/88/CE) et de l’article n°31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissait à tous les salariés un minimum de quatre semaines de congés payés annuels. Le juge européen nous précisait que cette période de congé ne pouvait pas être subordonnée « par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État » (CJCE, 20 janvier 2009, n°C-350/06 et CJUE, 24 janvier 2012, n°C-282/10).

En outre, en reconnaissant que les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne avaient désormais un effet impératif s’imposant aux états membres, le juge européen avait décidé qu’en cas de non-conformité avec les dispositions de l’Union, les juridictions nationales devaient laisser la réglementation nationale en cause inappliquée (CJUE, 6 novembre 2018, n°C-619/16). Suivant la combinaison de ces deux logiques, la Cour de cassation a par conséquent décidé d’écarter les dispositions non conformes du Code du travail empêchant toute acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie ordinaire ainsi que celles limitant l’acquisition des congés en cas d’arrêt de travail pour accident (ancien article L.3141-5 du Code du travail).

Dès lors, sur le fondement du droit européen, la Cour de cassation est parvenue à contraindre le législateur jusqu’alors très réticent à toutes modifications en ce domaine, à garantir à tout travailleur en arrêt maladie l’acquisition d’une période annuelle de congés payés.




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Le travailleur malade continue d’acquérir des congés payés

En effet, la jurisprudence en question est à l’origine du vote de la loi nº 2024-364 du 22 avril 2024 dont il ressort que désormais le salarié en arrêt de travail pour maladie continue d’acquérir des droits à congés, quelle que soit la cause de sa maladie (professionnelle ou non professionnelle). Il en découle qu’il bénéficie également d’un droit au report des congés qu’il n’a pu prendre en raison d’une maladie ou d’un accident. Désormais, l’ensemble des arrêts maladie constituent donc des périodes assimilées à du temps de travail effectif, quelle que soit leur durée.

Toutefois, selon le motif de l’arrêt maladie (professionnel ou non professionnel), les droits à congés payés annuels sont calculés différemment. En effet, si la maladie est d’origine non professionnelle, le salarié acquiert deux jours ouvrables de congés par mois d’absence, soit vingt-quatre jours ouvrables s’il a été absent pendant toute la période d’acquisition. Toutefois, si la maladie est d’origine professionnelle (ou accident du travail), celui-ci acquiert 2,5 jours ouvrables de congés par mois d’absence, dans la limite de trente jours ouvrables.

De surcroît, si le salarié n’a pas pu prendre tout ou partie de ses congés en cours au moment de son arrêt de travail, en raison de sa maladie (professionnelle ou non), il bénéficie d’une période de report de quinze mois au maximum. Par conséquent, il en résulte que les congés payés non pris par le salarié à l’issue de ce délai de quinze mois sont perdus. Dès lors, après un arrêt de travail pour maladie ou accident, l’employeur doit porter à la connaissance du salarié, le nombre de jours de congés dont il dispose (soit le nombre de jours acquis) ainsi que la date jusqu’à laquelle ces jours de congés peuvent être pris (soit le délai dont le salarié dispose pour les poser).

L’arrêt maladie survenant pendant les congés payés

Toutefois, la loi nº 2024-364 du 22 avril 2024 ne semble pas envisager précisément la question de l’arrêt maladie survenant durant les congés payés du salarié.

À cette date, la Cour de cassation nous précise que lorsqu’un arrêt de travail débute durant une période de congés payés, le salarié relève de ce seul et unique régime. Par conséquent, les congés payés étant la cause initiale de la suspension du contrat de travail, l’arrêt maladie ne peut pas s’y substituer. Dès lors, si, pendant ses congés, le salarié arrêté pour maladie accomplit les formalités requises (envoi d’un arrêt de travail), l’employeur doit uniquement lui verser son indemnité de congés payés sans défalquer les indemnités journalières de la sécurité sociale (Cass. Soc. 2 mars 1989, n° 86-42426, BCV n°173). Il en ressort que, sauf dispositions conventionnelles ou usage plus avantageux, le salarié ne peut donc pas exiger de prendre ultérieurement les congés payés s’étant confondus avec son arrêt (Cass. Soc. 4 décembre 1996, n°93-44907, BCV n°420).

Néanmoins, précisons que la Cour d’appel de Versailles est déjà allée à rebours de cette position ancienne de la Cour de cassation en jugeant que, si le salarié a été en arrêt maladie durant ses congés, il pouvait prétendre au report des jours de congés payés correspondant aux jours d’arrêt maladie (CA Versailles 18 mai 2022, RG n° 19/03230).

Toutefois, les juristes estiment que cette position isolée ne constitue pas un revirement de la jurisprudence française. Par conséquent, au regard du droit national, le sort du salarié malade durant ses congés payés est bien incertain. Or, de son côté, le juge européen a clairement indiqué que lorsqu’un salarié tombe malade alors qu’il était déjà en congés payés, il a droit à un report des jours de congés dont il n’a pas pu bénéficier dans la limite du congé annuel minimal de quatre semaines (CJUE 21 juin 2012, Aff. C-78/11).

De surcroît, il considère que tout travailleur peut se prévaloir de ce droit, car il est nécessaire de préserver ses congés payés, dont la finalité est de lui permettre de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs. Par conséquent, ces contradictions sont source d’incertitudes pour le salarié, mais également pour l’employeur confrontés à cette situation relativement courante.

La France mise en demeure

C’est précisément sur ce point que le 18 juin 2025, la Commission européenne a mis en demeure, la France pour manquement aux règles sur le temps de travail découlant de la directive n°2003/88/CE, en considérant que la législation française « ne garantit pas la santé et la sécurité des travailleurs ». Elle lui accorde donc un délai de deux mois pour répondre à sa lettre de mise en demeure.

Dès lors, si elle ne propose pas de mesures corrective, la Commission pourrait émettre un avis motivé, étape préalable à une éventuelle saisine de la Cour de justice de l’Union européenne qui estime que la finalité des congés annuels (temps de repos et de loisirs) ne peut être confondue avec celle de la maladie (temps de rétablissement) (CJUE, 21 juin 2012, Aff. C-78/11).

En somme, l’Union européenne garantit la santé et le progrès social des travailleurs alors que fleurissent de nombreux projets de récession de droits notamment en matière de prise en charge des arrêts maladie et de durée des congés payés.

The Conversation

Stéphane Lamaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quand l’Union européenne améliore les droits sociaux : le cas des congés payés et de la maladie – https://theconversation.com/quand-lunion-europeenne-ameliore-les-droits-sociaux-le-cas-des-conges-payes-et-de-la-maladie-261485

Chantier de l’A69 : rendre la nature malléable à notre volonté (humaine)

Source: The Conversation – France in French (3) – By Rémy Conche, Docteur en sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSL

Greta Thunberg, venue soutenir les opposants à la construction de l’A69, qui relie Toulouse à Castres (10 février 2024). AgenceDyF/Shutterstock

Le chantier de l’A69 représente une énième tentative de « mettre le monde à notre disposition », de le rendre façonnable par la seule volonté humaine. Plus particulièrement deux de ses dimensions : l’espace, par l’ingénierie, et le temps, par la gestion de projet.


Le chantier controversé de l’A69, visant à créer une liaison autoroutière Toulouse-Castres, a repris ce mois de juillet. Le chantier avait été interrompu en février par le tribunal administratif de Toulouse qui avait annulé son autorisation environnementale. Le tribunal ne reconnaissait pas la « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) qui permettait à cette opération de déroger à la réglementation relative aux espèces protégées.

En mars, la Cour d’appel administrative de Toulouse a décidé, à la suite de la saisine de l’État, de suspendre temporairement l’exécution de la décision de première instance. Le chantier pourra être finalisé avant que l’affaire ne trouve son dénouement juridique. En parallèle, un groupe de sénateurs de centre droit, mêlant l’Union centriste, Les Républicains (LR) et quelques indépendants, a déposé un projet de loi au Sénat. Celle-ci vise à valider les autorisations environnementales auparavant annulées. Ce texte retravaillé en commission mixte paritaire reste à voter.

En quelques chiffres, ce chantier vise à créer une autoroute 2×2 voies de 53 kilomètres et 200 ouvrages d’art pour un montant total estimé à 513 millions d’euros. L’autoroute sera ensuite exploitée dans le cadre d’une concession de cinquante-cinq ans. Les détracteurs de ce projet ont attiré l’attention du public sur son impact environnemental qui s’étendra sur 400 hectares et affectera 150 espèces protégées.

Mise à disposition du monde

L’enjeu ici n’est pas de juger de la pertinence de ce projet, sujet qui a déjà fait l’objet d’une multitude d’articles et de prises de parole. Mais plutôt de souligner en quoi celui-ci est révélateur de notre « rapport au monde » pour reprendre les termes du sociologue Hartmut Rosa. Dans son essai Rendre le monde indisponible, Rosa définit notre rapport au monde comme cherchant toujours la « mise à disposition » de ce dernier. Chacune de nos actions peut se comprendre comme une manière de « connaître », d’ atteindre », de « conquérir », de « dominer » ou d’« utiliser » le monde.

Le chantier de l’A69 illustre cette volonté de « mise à disposition », de rendre façonnable, malléable, la nature telle que l’être humain le souhaite. Dans le cadre du projet de loi visant à relancer les travaux de l’A69, le sénateur de Haute-Garonne Pierre Médevielle (groupe Les Indépendants, Républiques et Territoires, LIRT) a fustigé devant ses pairs les raisonnements « hors-sol » des détracteurs de l’A69. L’usage de cette expression dans ce contexte paraît surprenant, car ces derniers ont souligné les importants mouvements de terre que ce projet nécessitera : de l’ordre de 5 850 000 m3 de déblais et 5 330 000 m3 de remblais.

Ces raisonnements hors-sol attirent paradoxalement notre attention sur l’une des nombreuses mises à disposition opérées par ces travaux : celle du sol.

Mise à disposition des espaces

L’économiste et mathématicien Nelo Magalhães a montré, même s’il n’use pas ces concepts, dans Accumuler du béton, tracer des routes, une histoire environnementale des grandes infrastructures, comment l’A69 pouvait être appréhendée comme un projet de « mise à disposition » des espaces.

La mécanisation des travaux d’infrastructure a permis aux ingénieurs et projeteurs de réaliser des tracés faisant fi des reliefs qui doivent s’adapter aux infrastructures souhaitées. La stabilisation mécanique (c’est-à-dire, adjonction de matériaux de carrière) et chimique (c’est-à-dire, adjonction d’un liant hydraulique) ont permis la mise à disposition des sols. À cette mécanisation s’est ajoutée une « abstraction des sols ». La construction des autoroutes est pensée indépendamment de la qualité de ces derniers.

Cette volonté de « mettre à disposition » des reliefs, des sols et in fine des territoires (en les désenclavant) n’est pas sans conséquence. Hartmut Rosa parle du monde rendu disponible comme un monde qui se « dérobe » devient « illisible », « muet », à la fois « menacé et menaçant », et donc au bout du compte « constitutivement indisponible ».

Mise à disposition du temps

Les chantiers de construction, non seulement ceux de grandes infrastructures, mais aussi d’ouvrages beaucoup plus ordinaires comme des centres commerciaux, des bureaux ou des hôtels, ne dérogent pas à ce rapport au monde. Et la « mise à disposition » qu’ils opèrent ne se limite pas aux espaces. Elle se décline sur le temps.




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Cette mise à disposition s’opère au travers des principes de la gestion de projet, définie comme une discipline destinée à agir sur le temps. L’acteur projet se doit de veiller scrupuleusement au triptyque coût, qualité, délai, de Roger Atkinson. C’est bien la notion de délai qui fait du temps un élément central de cette pratique. Elle est a fortiori d’autant plus importante que la vitesse est considérée comme un atout déterminant dans un environnement économique toujours plus concurrentiel. L’évaluation de l’avancement dans le temps est une manière de surveiller ses marges.

La bonne gestion du temps est rendue possible par sa transformation en quantité, autrement appelée sa « fongibilisation » – qui se consomme par l’usage. La recherche s’accorde sur l’idée que la gestion de projet, comme discipline reposant sur des standards, comme ceux du PMBOK, s’appuie sur une conception « quantitative et objective du temps », selon la chercheuse Julie Delisle. Cette conception rend possibles d’innombrables pratiques très concrètes concourant à l’optimisation de son usage. Parmi les plus connues, on peut citer la réalisation de diagrammes de Gantt.

Mais de même que la « mise à disposition » des sols prétendument permise par leur stabilisation conduit à leur imperméabilisation et les rend finalement indisponibles pour des milliers d’années, la mise à disposition du temps « participe à l’accélération et à la pénurie de ce dernier », explique Julie Delisle. Quand bien même la gestion de projet n’a jamais été aussi raffinée dans les chantiers, ces derniers n’ont jamais connu autant de retards. Songeons notamment au chantier de l’EPR de Flamanville et à tant d’autres qui sont autant de preuves de l’inefficacité d’un rapport au temps de l’ordre de la « mise à disposition ».

De la « mise à disposition » au « faire avec »

Pour Nelo Magalhães dont nous évoquions les travaux plus haut, l’une des solutions les plus viables dans une optique environnementale est « l’écologie du démantèlement », c’est-à-dire « apprendre à hériter et à fermer ».

Pour notre part, il nous semble essentiel de porter attention à l’échelle micro, celle des acteurs, de leurs pratiques et de leurs interactions quotidiennes. Cette attention pourrait permettre non pas de « mettre à disposition », mais de « faire avec », c’est-à-dire d’« accepter certaines limites qui contraignent la satisfaction de nos désirs individuels de liberté ou de consommation », selon le professeur en littérature Yves Citton.

Il s’agirait non de s’imposer, mais de tenir compte de la multiplicité des temporalités dans un projet, ou de la multiplicité des acteurs, possiblement non humains, au sein d’un écosystème. Cette attention micro pourrait être le point de départ d’élaboration de pratiques relevant du « faire avec » aux conséquences à terme macro (à l’échelle de la société, des normes).

Certaines initiatives comme le Comprehensive Accounting in Respect of Ecology, dite la comptabilité CARE, relèvent selon nous d’une telle démarche. En tant que système comptable, cet outil influe sur les pratiques quotidiennes, dont les implications peuvent devenir à terme macro-économiques si son usage se diffuse. Ce qui rendrait impossibles certaines activités économiques ne tenant pas compte des enjeux environnementaux.

The Conversation

CONCHE Rémy est maître d’œuvre et responsable de la recherche au sein de l’entreprise CICAD, filiale du groupe INGEROP, un cabinet d’ingénierie du secteur de la construction.

ref. Chantier de l’A69 : rendre la nature malléable à notre volonté (humaine) – https://theconversation.com/chantier-de-la69-rendre-la-nature-malleable-a-notre-volonte-humaine-260951

La géothermie, plus écologique et économe que la climatisation classique pour rafraîchir

Source: The Conversation – in French – By Benjamin Brigaud, Professeur en géologie et géothermie, Université Paris-Saclay

La géothermie évoque généralement la production de chaleur, mais elle peut également rafraîchir ou produire du froid. Et cela de manière beaucoup plus économe que les climatiseurs classiques et avec un impact écologique réduit. Non seulement il s’agit d’une solution bas carbone, mais elle ne rejette pas de chaleur dans l’air extérieur et ne contribue donc pas à l’effet d’îlot de chaleur urbain, à l’origine de la surchauffe des villes en période de canicule.


La vague de chaleur de fin juin et de début juillet 2025, où 38 °C ont été mesurés à Paris, rappelle que le refroidissement des bâtiments sera un enjeu crucial pour le confort et la sécurité de leurs occupants dans les prochaines années et décennies. Cela fait les beaux jours de la climatisation : en France, la fraction des ménages possédant un climatiseur est passée de 5 % en 2005 à 25 % en 2020.

Mais se tourner vers les climatiseurs pour refroidir nos bâtiments pose question : ces appareils consomment beaucoup d’électricité.

À l’échelle mondiale, le refroidissement des bâtiments représentait, en 2016, 18,5 % de la consommation totale d’électricité, contre 13 % seulement en 1990. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) table d’ailleurs sur une forte augmentation du nombre de climatiseurs à l’échelle mondiale, avec un taux d’équipement des ménages qui devrait passer de 30 % en 2016 à plus de 60 % en 2050. Elle anticipe également que la climatisation pourrait devenir l’un des principaux contributeurs de la demande mondiale d’électricité dans les prochaines décennies.

L’autre inconvénient des climatiseurs est que, pour produire du froid, ils rejettent de la chaleur à l’extérieur – ce qui contribue localement à la surchauffe urbaine.

À titre d’exemple, à Paris, les climatiseurs sont typiquement de petits équipements de ce type, de 6 à 70 kW par unité. Il a été démontré que leur utilisation pourrait augmenter de 0,5 à 2 °C la température à Paris en été, amplifiant ainsi l’effet d’îlot de chaleur urbain bien connu dans les villes. Lors des vagues de chaleur, ce microclimat sera d’autant plus exacerbé que le nombre de canicules par an va augmenter dans le futur, passant de neuf recensés à Paris entre 1960 et 1990 où la température maximale a atteint 38 °C, à potentiellement une par an à l’horizon 2100.

Une solution pour refroidir les bâtiments sans surchauffer l’air extérieur alentour serait de mobiliser la fraîcheur de notre sous-sol. La géothermie représente ainsi une piste sérieuse non seulement pour le chauffage à la saison froide, mais également pour le confort d’été.




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Une solution économique qui ne génère pas d’îlot de chaleur

À quelques mètres de profondeur, en France, le sous-sol se trouve à une température constante de 12 °C toute l’année. Puis en moyenne, la température augmente en fonction de la profondeur, d’environ 3,5 °C tous les 100 mètres. À 100 mètres de profondeur, cette température est donc de 15/16 °C, et à 200 mètres de profondeur, elle est d’environ 20 °C. À moins de 200 mètres, le sous-sol représente donc une source de fraîcheur, si on vise une température inférieure à 20 °C.

Cette fraîcheur est abondante, mobilisable quasiment partout sur notre territoire, et peut être ainsi produite localement. C’est une solution de refroidissement bas carbone et économe, non intermittente et quasiment inépuisable. La solution serait donc de mieux utiliser cette source de fraîcheur en été, et inversement, de chaleur en hiver.

Mobiliser la fraîcheur du sous-sol pour produire du froid et rafraîchir les bâtiments est une solution technique mature, déjà déployée un peu partout dans le monde. Elle consiste à transférer des calories du sous-sol aux bâtiments par l’intermédiaire d’un ou plusieurs forages de quelques mètres à une centaine de mètres de profondeur, alimentant une pompe à chaleur géothermique (PACg). Cette géothermie est appelée « géothermie de surface », avec des forages d’une profondeur inférieure à 200 mètres.

Comment fonctionne une pompe à chaleur géothermique ?

À l’heure actuelle, cette technologie est surtout utilisée pour le chauffage. Pourtant, si la PACg est réversible, elle permet également de produire du froid en été. Or, ce type de pompe à chaleur (PAC) est pour l’instant utilisée de manière négligeable en France.

Pour le chauffage par PACg, relevant de la géothermie de surface classique, deux techniques sont principalement mises en œuvre.

La première (illustration de droite sur le schéma ci-contre) consiste à capter de l’eau souterraine à environ 12 à 15 °C pour produire du chaud. Comme des calories sont prélevées dans cette eau pour le chauffage, de l’eau plus froide (d’une température comprise entre 5 et 10 °C) est alors réinjectée à la même profondeur dans un autre forage localisé à plusieurs dizaines de mètres. On parle alors de doublet géothermique sur nappe phréatique, c’est-à-dire utilisant l’eau souterraine.

La deuxième technique (illustration de gauche sur le schéma ci-dessus) est celle de la PACg sur sonde géothermique verticale. Elle consiste à placer dans un trou de forage, à une profondeur de quelques mètres à une centaine de mètres, une sonde géothermique. Celle-ci est généralement constituée d’un tube en U en polyéthylène haute densité et contenant un fluide caloporteur constitué d’eau glycolée. Comme le fluide caloporteur est réinjecté à une température d’environ 0 °C, le sous-sol se refroidit de quelques degrés en profondeur, typiquement de 3 °C à 1 mètre du forage, ce qui reste suffisant pour réchauffer le fluide caloporteur qui alimente la PACg.

Les deux techniques permettent toutes deux d’alimenter une PACg, dont le coefficient de performance (COP) est généralement de 4 à 5. C’est-à-dire que pour 1 kWh d’électricité consommé par la PACg, 4 à 5 kWh de chaud ou de froid seront restitués. C’est beaucoup plus efficace que de capter l’air chaud extérieur pour alimenter une PAC aérothermique (PACa) – c’est-à-dire, fonctionnant à l’air – pour produire du froid. De plus, la chaleur émise par la PACg est injectée dans le sous-sol, et non dans l’air extérieur comme avec une PACa, évitant de créer des îlots de chaleur urbains (ICU).

Une autre technique est celle du « géocooling ». La fraîcheur du sous-sol est alors directement utilisée dans les réseaux de ventilation et de refroidissement du bâtiment (plancher/plafond rafraîchissant, ventilo-convecteur, centrale de traitement de l’air…), sans alimenter de PACg. Il s’agit alors d’un rafraîchissement dit passif dans la mesure où il ne consomme quasiment pas d’électricité, hormis les pompes de circulation du fluide caloporteur dans le sous-sol et le bâtiment. Il se caractérise par des coefficients de performance imbattables : de 30 à 50 ! C’est-à-dire, pour 1 kWh consommé, 30 à 50 kWh de fraîcheur peuvent être restitués.




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Stocker de la chaleur dans le sous-sol pour l’hiver

Un autre avantage de la géothermie pour le refroidissement des bâtiments est que la chaleur évacuée dans le sous-sol en été par la PACg peut être bien utile quelques mois plus tard, à la saison froide. En effet, cela permet de réchauffer localement le sous-sol de quelques degrés autour des sondes, ou encore de réinjecter de l’eau plus chaude (jusqu’à 25 °C) directement dans l’aquifère, ce qui permet de stocker de la chaleur.

Comme il s’agit d’une pompe à chaleur réversible, on peut inverser le système entre l’été et l’hiver. On peut alors « récupérer » en été les calories perdues en hiver, ce qui permet d’augmenter le rendement annuel de l’installation géothermique.

Ce stockage de chaleur peut encore être amplifié par l’ajout de ressources supplémentaires, comme des panneaux solaires thermiques (l’eau chauffée peut être directement réinjectée dans les puits) ou photovoltaïques (l’électricité produite en excès la journée en été alimente alors une résistance qui chauffe de l’eau). Dans le cas de bâtiments industriels, on peut aussi récupérer la chaleur dite fatale, produite par les procédés industriels (par exemple, par les data centers) pour chauffer l’eau réinjectée dans les puits.

Il s’agit donc de réchauffer le sous-sol de manière active, soit en réinjectant l’eau chaude (à environ 40-50 °C) directement dans la nappe phréatique, soit dans le sous-sol via les sondes géothermiques. Cette géothermie « réversible », avec un couplage du chauffage en hiver et rafraîchissement en été, est le grand avantage de cette ressource, d’autant plus que ce couplage permet l’optimisation des systèmes de chauffage et de rafraîchissement.

Ambitions politiques et potentiel inexploité

Invité le 29 juin 2025 lors du Grand Jury RTL-Le Figaro-Public Sénat-M6, le premier ministre François Bayrou a rappelé que la géothermie permet de rafraîchir en économisant plus de 90 % de l’électricité. Lorsqu’il était haut-commissaire au plan, il avait lui-même reconnu l’intérêt de développer la géothermie de surface (à moins de 200 mètres de profondeur) pour chauffer et refroidir des bâtiments.

François Bayrou, premier ministre, invité du Grand Jury RTL-Le Figaro-Public Sénat-M6, le 29 juin 2025 (passage à 00:37:00).

Lors de sa visite au centre opérationnel de gestion des crises du ministère de l’intérieur le 1er juillet 2025, la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher rappelait l’enjeu à rafraîchir sans renvoyer de la chaleur à l’extérieur.

Malgré son potentiel, la géothermie pour le chauffage (hors production d’électricité) n’a produit qu’un million de térajoules (TJ) en 2020, soit seulement 0,17 % de la production annuelle mondiale d’énergie, qui s’élevait à 580 millions de TJ. En France, la géothermie a produit 7 térawattheures (TWh) de chaleur en 2023 : 2,3 TWh pour la géothermie profonde et 4,7 TWh pour la géothermie de surface (utilisée pour les PACg)… soit 0,49 % des 1 420 TWh d’énergie produite en France en 2023.

Dans notre pays, les PACg ne représentent aujourd’hui que 2 % du parc des PAC. Le coût de leur installation peut être un frein : il représente le double de celui d’une chaudière à gaz. Mais une fois amorti, leur coût de fonctionnement est très faible, et même inférieur au coût d’exploitation d’une pompe à chaleur à air (PACa).

L’installation d’une PACg peut également s’avérer complexe, car elle nécessite de forer le sous-sol avant de mettre en place le système de chauffage et climatisation. Peu de professionnels maîtrisent cette technologie ou la proposent spontanément, elle est souvent mise en œuvre à l’initiative du propriétaire.

Il y a un vrai sujet sur comment développer la géothermie et la rendre plus incitative. Nul doute que les prochaines années seront charnières pour mieux développer la filière. Le 28 juillet 2025, le ministère de l’économie a présenté ses sept mesures pour accélérer le développement d’une énergie renouvelable et locale. Par exemple, simplifier les démarches administratives et améliorer la communication sur la géothermie.

Une autre des mesures vise également à réduire les délais de confidentialité de certaines données d’explorations géologiques : aujourd’hui, les entreprises qui font des forages pour étudier le sous-sol doivent garder leurs résultats confidentiels pendant 10 ans. Cela permettrait de les valoriser plus rapidement pour lancer de nouveaux projets de géothermie tout en réduisant les coûts d’exploitation.

The Conversation

Benjamin Brigaud est également membre de l’Institut universitaire de France (IUF). Il a reçu divers financements publics, de l’Université Paris-Saclay, de l’Institut universitaire de France et de l’Agence nationale de la recherche (ANR-22-EXSS-0011).

ref. La géothermie, plus écologique et économe que la climatisation classique pour rafraîchir – https://theconversation.com/la-geothermie-plus-ecologique-et-econome-que-la-climatisation-classique-pour-rafraichir-262661

Rousseau, penser le peuple souverain

Source: The Conversation – in French – By Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Sciences Po Bordeaux

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), auteur _Du contrat social_, en 1762. Allan Ramsay, 1766, Everett Collection

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer ? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs ? Quatrième volet de notre série consacrée aux philosophes et à la démocratie avec Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Pour Rousseau, la légitimité du pouvoir ne se trouve pas dans la religion ou dans la tradition, mais dans le consentement de chacun à former un corps social soumis à la loi, expression de la volonté générale.


Jean-Jacques Rousseau fut le grand penseur moderne de la République, et, par un glissement de sens auquel il n’aurait peut-être pas souscrit, de la démocratie moderne, si l’on considère qu’elle se définit avant tout par la souveraineté du peuple et l’égalité des individus. Il faut en effet distinguer la démocratie comme type de gouvernement (au même titre que la monarchie ou l’aristocratie), de la démocratie comme forme de société. C’est ce qui distingue la notion antique de la notion moderne de démocratie.

Rousseau est à la croisée des chemins. Il parle encore de « démocratie » au sens antique du terme, mais sa révolution conceptuelle se loge dans le « contrat social », qui, pour nous, est au principe de la démocratie moderne alors qu’au XVIIIe siècle, il fondait plutôt la République.

En effet, c’est le philosophe qui – après Hobbes – rompt radicalement avec toute hétérogénéité de la source de légitimité du pouvoir : elle ne se trouve ni dans la religion, ni dans la tradition, ni même dans la nature. Chez Rousseau, la seule légitimité est celle qui naît du consentement de chacun à former un corps social soumis à la loi, expression de la volonté générale. La forme du gouvernement lui importe moins (il peut être démocratique, monarchique ou aristocratique), dès lors que le contrat social fonde les institutions politiques.

Néanmoins, si l’on considère avec Tocqueville que la démocratie n’est plus seulement une forme de gouvernement, mais un mouvement profond de l’histoire qui tend vers l’égalité des droits et des statuts et si l’on définit a minima la démocratie moderne comme reposant avant tout sur l’égalité civile, alors on peut affirmer, nonobstant l’anachronisme, que Rousseau en est en quelque sorte le père fondateur.

Qu’est-ce qui légitime le pouvoir ?

Rousseau n’est ni historien ni sociologue, il est philosophe : ce qui l’intéresse, ce ne sont pas les faits mais le droit. Au nom de quoi un pouvoir est-il légitime sans relever d’un principe transcendant ? Dès lors que le pouvoir ne s’appuie plus sur la tradition, sur la filiation, sur Dieu ou sur la nature comme pour les penseurs du droit naturel, sur quoi peut-il reposer ? Qu’est-ce qui légitime l’obéissance que je lui dois, moi ou tout autre, puisque nous sommes égaux à l’état de nature ?

Cette question radicale trouvera son chemin jusqu’à la Révolution française qui abolira les ordres et les anciennes hiérarchies, et substituera à la souveraineté du roi, celle de la nation – traduction par Sieyès de l’idée ambivalente de « peuple ».

À la question de la souveraineté (Qui détient le pouvoir auquel j’obéis ?), s’ajoute celle de la raison supérieure pour laquelle je consens à obéir. Or deux raisons constituent la dialectique permanente de la démocratie moderne : la sécurité et la liberté. Je peux obéir pour être protégé, c’est un échange de bons procédés, un calcul rationnel inhérent à tout contrat, je donne quelque chose contre autre chose. Ce sera la solution de Hobbes : démocratique en son principe, puisque ce sont les individus qui contractent, mais autocratique en son fonctionnement, le Léviathan étant un souverain tout-puissant, les individus lui ayant aliéné leur liberté.

Mais je peux également choisir d’être libre. L’équation devient plus compliquée : comment être libre en obéissant ?

Rousseau est critique du pouvoir établi, quel qu’il soit. Aussi faut-il trouver

« une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et le bien de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant » (Du contrat social).

Voilà la martingale qui va conduire sa construction politique.

Soigner la société par un renouvellement des principes mêmes de l’association sur laquelle elle repose. Renouveler le lien social, puisque c’est le lien social qui engendre tous les maux, ce lien social dont on dit aujourd’hui qu’il est disloqué. Le rôle des institutions politiques est donc de contenir l’homme et de favoriser les bonnes passions (la culture, les échanges et les arts) plutôt que les mauvaises (le désir de gloire, la compétition, l’égoïsme).

Sans égalité des individus, pas de démocratie

Le premier enseignement que l’on pourrait tirer de ces éléments introductifs est l’articulation de deux principes sans lesquels il n’y a pas de démocratie. Tout d’abord, l’égalité des individus est la condition fondamentale pour penser une démocratie. Puisqu’on ne la rencontre jamais, on est donc contraint de la fictionner : c’est le sens de la fameuse fiction de l’état de nature. L’égalité est le principe qui permet de penser l’idée d’un contrat social qui ne soit pas la reconduction d’anciennes formes de domination. Si les individus sont égaux à l’état de nature, ils ne peuvent vouloir l’inégalité. Contraints par la raréfaction des ressources naturelles et l’accroissement démographique (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes), ils doivent vivre ensemble. Mais il n’y a qu’une façon de vivre ensemble sans abandonner ni l’égalité ni la liberté, c’est le contrat social, qui permet de demeurer libre en intégrant la liberté d’autrui.

On peut alors en conclure que pour continuer à être libre, il faut continuer à être égal et que pour continuer à être égal, il faut des institutions qui le garantissent. C’est à cette seule condition que le contrat peut garder le nom de contrat.

Si l’on ose une traduction contemporaine de ce principe de Rousseau (le droit du plus fort n’est pas un droit mais « un galimatias »), en considérant, de façon parfaitement anachronique, que les réseaux sociaux sont devenus l’espace où s’expriment les individus, on pourrait dire qu’accepter les conditions d’utilisation décidées par une multinationale pour participer au « public » n’est pas un contrat au vrai sens du terme : le rapport de force en présence est clairement inégal et, pourtant, il est invisible puisque s’exprimer sur les réseaux semble être une liberté individuelle. Si l’on s’en tient au principe d’égalité comme condition de la démocratie, cet espace privé-public que sont les réseaux sociaux n’est pas démocratique (au sens de républicain, res publica, la chose publique). Rétablir la démocratie consisterait en premier lieu à créer une technologie compatible avec ses impératifs : égalité, consentement, réglementation qui vaille pour tous, règne de la loi et non de la jungle, éducation. La condamnation du « droit du plus fort » comme contradiction dans les termes permet d’être attentif à toutes les conditions d’inégalités rendues invisibles sous couvert de consentement.

Le second enseignement, c’est précisément que le contrat social est la première forme politique qui repose sur le consentement. Avant de devenir un mot fondateur et normatif des relations hommes-femmes, le consentement est au principe de la démocratie rousseauiste. C’est la clé du contrat, on l’a vu, au rebours de ces contrats biaisés construits sur un rapport de force. Les individus libres et égaux contractent tous ensemble pour constituer un corps politique qui les oblige. Les conditions de départ se retrouvent à l’arrivée, bien que transformées, et c’est l’unique critère d’un contrat véritable : nul n’est lésé.

« Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède », écrit Rousseau dans Du contrat social, I, 8.

Voici la troisième leçon rousseauiste : la liberté politique, c’est obéir à la loi, expression de la volonté générale. Autrement dit, la liberté est une contrainte que je me donne. Et cette contrainte est inhérente au concept même de liberté. Dans l’usage courant, on dirait que ma liberté s’arrête là où celle de l’autre commence. L’autre n’est pas une limite extérieure, il fait partie de ma liberté, elle n’a de sens que par rapport à lui. On est loin du « droit illimité », cher aux libertariens américains représentés par le président Trump et qui n’est pas compatible avec la démocratie.

Où est le peuple dans les sociétés contemporaines ?

Pour autant, le contrat social qui irrigue l’imaginaire collectif de la démocratie n’est pas sans poser de problèmes. Pierre Rosanvallon les a parfaitement décrits dans le Peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France (1998) :

« Si la démocratie présuppose qu’il y a un sujet que l’on peut appeler “peuple” et que ce peuple est susceptible d’exprimer sa volonté, comment, alors, le définir et comment le reconnaître ? Toute la difficulté réside dans l’écart entre un principe politique – l’affirmation de la suprématie de la volonté générale – et une réalité sociologique. Le principe politique consacre la puissance d’un sujet collectif dont le principe sociologique tend à dissoudre la consistance et à réduire la visibilité. »

C’est sans doute cette tension que le contrat social ne permet pas de résoudre : le pacte que les individus passent entre eux crée le « peuple ». Celui-ci ne lui préexiste pas. Il est constitué. Le problème est alors celui de la diversité et de la conflictualité inhérentes aux démocraties modernes fondées sur la pluralité d’opinions, et qui constituent ce que Karl Popper appelle des « sociétés ouvertes ». Comment, dès lors, penser ensemble l’unité du peuple et la pluralité ?

Et ce, a fortiori dans ce que les philosophes libéraux Walter Lippmann ou John Dewey ont nommé la « grande société ». Non seulement il est difficile de penser l’unité sous la diversité, mais, encore, la complexité du monde sous l’effet de la mondialisation a transformé le « public » en public « fantôme », autrement dit en spectateurs incapables de prendre position de manière éclairée y compris pour eux-mêmes. Derrière cela, c’est la question de la souveraineté qui est en cause. Qui est souverain si le peuple est traversé par des enjeux qui le dépassent et qui dépassent également ses moyens d’action ? Qui est le peuple, si la société s’affranchit des frontières et des communautés ?

Rousseau peut néanmoins nous indiquer la voie : si le contrat social ne répond plus aux conditions politiques actuelles, il rappelle pourtant que le local est sans doute la bonne échelle du politique et la condition même d’une participation active de ce qui se constitue alors comme « peuple », étant entendu que le local n’est pas hermétique au global qui s’y manifeste nécessairement.

D’autre part, la solution rousseauiste résiste à la tentation qui séduit Lippmann, à savoir celle d’un gouvernement technocratique, seul à même d’appréhender la complexité des interdépendances. À la crise démocratique, Rousseau enjoindrait sans doute de répondre par plus de démocratie, là où le retrait hors de la démocratie semble être le chemin majoritairement emprunté.

The Conversation

Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Rousseau, penser le peuple souverain – https://theconversation.com/rousseau-penser-le-peuple-souverain-259289

Quand les personnes âgées perdent l’appétit : le rôle central de la dentition

Source: The Conversation – in French – By Juan Carlos Gavira Tomás, Doctorando en Ciencias de la Salud, Universidad de Castilla-La Mancha

Prêter attention aux difficultés de mastication des personnes âgées peut être déterminant pour leur éviter de nombreux troubles physiques ou psychologiques. buritora/Shutterstock

La perte d’appétit est un mal très répandu chez les personnes âgées, et l’une de ses principales causes est la perte progressive de certaines fonctions physiques essentielles, comme la capacité à mâcher. Or, ce simple geste a des conséquences profondes sur la santé, la digestion, le moral et même les relations sociales.


Les troubles alimentaires sont une réalité complexe et souvent sous-estimée. Ils sont généralement associés à des adolescents et des jeunes adultes souffrant de problèmes psychologiques liés à une insatisfaction de leur image corporelle, ce qui peut déclencher des pathologies telles que la boulimie ou l’anorexie.

Mais les personnes âgées peuvent également connaître d’importants bouleversements dans leur rapport à la nourriture. Dans ce groupe, l’image passe au second plan et la perte des facultés physiques due à l’âge joue un rôle très important. Les changements sociaux et économiques liés à cette étape de la vie ont également une influence.

Lorsqu’une personne âgée ne mange pas, il est facile de penser qu’elle n’aime rien ou qu’elle est devenue très difficile. Techniquement, elle peut souffrir d’une perte d’appétit caractéristique des personnes âgées qui peut avoir de multiples causes : psychologiques (anxiété, dépression…), physiologiques (altération des sens du goût et de l’odorat, effets de diverses maladies…), etc.

Nous allons maintenant nous intéresser à l’un des facteurs les plus déterminants : la difficulté à bien mâcher.

« Une dent vaut bien plus qu’un diamant »

Dans Don Quichotte, Miguel de Cervantes exprime, par la bouche du chevalier Hidalgo Don Quichotte de la Manche, l’importance de conserver ses dents. Nous pouvons le voir dans l’épisode qui raconte la rude bataille avec des bergers au cours de laquelle sa dentition, jusque-là parfaite, est sérieusement abîmée.

« En toute ma vie, on ne m’a pas tiré une dent de la bouche, et je n’en ai perdu ni de carie ni de pituite », s’exclame Don Quichotte. Qui demande alors à l’écuyer Sancho de lui tâter l’intérieur de la bouche avec les doigts pour savoir combien de dents il lui reste. Devant l’ampleur des dégâts, Don Quichotte se lamente :

« Oh ! malheureux que je suis ! J’aimerais mieux qu’ils m’eussent enlevé un bras, pourvu que ce ne fût pas celui de l’épée ; car il faut que tu saches, Sancho, qu’une bouche sans dents est comme un moulin sans meule, et une dent vaut bien plus qu’un diamant. »

Comparer, comme le fait le chevalier à la Triste Figure, la valeur de ses dents à celle de son bras armé n’est pas une exagération. En effet, avec les glandes salivaires et les muscles, elles constituent les organes fondamentaux de la mastication, la première phase du processus d’alimentation.

En mâchant, nous broyons les aliments et stimulons la sécrétion de salive, qui contribue à savourer ce que nous mangeons. Les repas réduisent le stress et améliorent le bien-être. C’est un moment très important de la journée qui permet de renforcer les relations humaines.

Quand on est jeune, on ne pense pas qu’avec le temps, notre organisme va inévitablement se détériorer, qu’on va peut-être perdre des dents et, avec elles, la faculté de mâcher. On n’a pas conscience que, pour de nombreux aînés, le moment du repas, qui devrait rester un plaisir et un lien avec les autres, devient parfois une épreuve silencieuse et douloureuse.

Peu de visites chez le dentiste

Il ne faut pas oublier que les personnes de plus de 65 ans ont vécu des circonstances très particulières. Restons en Espagne, le pays de Miguel de Cervantes.

En 1960, l’Espagne comptait 1 469 dentistes, contre plus de 42 000 aujourd’hui. La culture de l’hygiène dentaire n’existait pas. Les visites chez le dentiste étaient rares et, dans la plupart des cas, elles se soldaient par l’extraction pure et simple de dents.

(En France, le nombre de dentistes est comparable à celui de l’Espagne. Ils étaient 47 600 au 1ᵉʳ janvier 2025, ndlr).

S’ajoute le fait que l’espérance de vie est plus longue et, avec l’usage, « les pierres du moulin », pour reprendre l’expression de Don Quichotte, se détériorent.

À première vue, cela semble insignifiant. Pourtant, cela déclenche une cascade de conséquences dans l’organisme. Plus la détérioration est importante, plus les réactions sont fortes et plus elles affectent la santé générale et l’humeur.

La perte des dents empêche de broyer les aliments, et l’absence de mastication empêche la stimulation des glandes responsables de la production de salive. Les aliments mal mâchés sont constitués de gros morceaux qui ne sont pas mélangés à la salive, ce qui ralentit la digestion et l’assimilation.

Les aliments passent alors rapidement dans l’estomac, où les acides gastriques doivent redoubler d’efforts pour que les nutriments soient disponibles et puissent remplir leur fonction de régénération et de réparation cellulaire.

Les conséquences sont les suivantes : dysphagie due à des difficultés à avaler (aggravée par certaines maladies neurologiques, telles que la maladie de Parkinson), manque de salive (aggravé par certains médicaments), acidité ou météorisme. Cela provoque un malaise physique et un découragement au moment des repas.

Une réparation parfois impossible

La solution consiste à remplacer les dents perdues par des prothèses. Cependant, chez les personnes âgées, cette réparation est souvent impossible pour plusieurs raisons : perte ou détérioration des tissus buccaux, déménagement dans une maison de retraite ou faible montant de la pension.

De plus, l’organisme réagit à l’absence de dents par une récession des mâchoires qui rend difficile le maintien adéquat de la prothèse. La résorption de l’os maxillaire fait que le canal nerveux dentaire se trouve à un endroit très superficiel, et la pression de la restauration peut provoquer des blessures et une douleur insupportable lors de la mastication.

Toutes ces circonstances font que, pour les personnes âgées, le moment important du repas, censé être un plaisir, devient une torture. Cela amène à modifier le régime alimentaire, en privilégiant des produits plus faciles à mâcher, mais moins nutritifs. Cela affecte également les relations sociales, en raison de la gêne ressentie à montrer ses difficultés à manger. Ainsi, les conséquences physiques et psychologiques ne sont pas à prendre à la légère.

Le rituel du repas

Prêter attention aux difficultés de mastication des personnes âgées peut être déterminant pour éviter de nombreux problèmes physiques et psychologiques. Les troubles alimentaires peuvent avoir des conséquences graves, telles que la malnutrition, la perte de masse musculaire, l’affaiblissement du système immunitaire et la détérioration de la qualité de vie.

Il est essentiel de reconnaître, d’évaluer et de traiter la capacité à mâcher. Participer au rituel du repas favorise la santé et l’état émotionnel. Une vieillesse saine et digne nécessite de partager ce moment important de la journée.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Quand les personnes âgées perdent l’appétit : le rôle central de la dentition – https://theconversation.com/quand-les-personnes-agees-perdent-lappetit-le-role-central-de-la-dentition-262550

Rajeunissement numérique : les stars hollywoodiennes à l’épreuve de leur propre mythe

Source: The Conversation – in French – By Jules Lasbleiz, Doctorant en études cinématographiques, Université Rennes 2

Dans « Indiana Jones et le Cadran de la destinée », comme dans d’autres récents opus de « Terminator » ou « Tron », Hollywood semble faire la guerre au temps. Walt Disney Company

De Tron : L’Héritage (2010) à Indiana Jones et le Cadran de la destinée (2023), en passant par Terminator Genisys (2015), les franchises hollywoodiennes utilisent régulièrement les images de synthèse pour rajeunir des stars vieillissantes. Or, plus qu’un simple outil narratif ou attractionnel, le de-aging interroge également le statut de ces stars au crépuscule de leur carrière.


Le vieillissement inéluctable de la star hollywoodienne est une thématique qui, depuis les années 1950 et la désuétude des premières stars des années 1920-1930, intéresse le cinéma. Des films comme Boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950) ou Une étoile est née (George Cukor, 1954) abordent, à ce titre, très frontalement, cette idée de dépérissement de la star dans une industrie ne voulant plus d’elle, et ce en mettant justement en scène des vedettes vieillissantes, voire des vedettes qui, à ce moment de leur carrière, sont sur le déclin.

Si ces films ont pu traiter de la question de l’obsolescence de la star de façon métatextuelle, c’est-à-dire en représentant la star en tant que star au sein même de leur diégèse, d’autres ont pu le faire de manière plus sous-jacente, en mettant en parallèle l’âge des personnages représentés et celui de leurs interprètes. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, cette thématique du vieillissement des personnages/stars semble notamment s’incarner au sein d’un certain nombre de films issus de franchises développées initialement dans les années 1980-1990. Or, une partie de ces films a régulièrement recours à la technique dite de de-aging (rajeunissement par les images de synthèse) pour conférer à certains personnages iconiques une apparence juvénile – similaire à celle précédemment représentée au sein de la saga correspondante. Cette technique semble dès lors interroger le vieillissement de ces personnages, mais surtout de leurs interprètes, de manière tout à fait inédite.

« Je suis vieux, pas obsolète »

À l’image de certains héros vieillissants de westerns dits « crépusculaires » qui, comme leurs interprètes, reprennent du service pour accomplir une ultime mission qui viendra asseoir leur statut de légende, les icônes des franchises cinématographiques apparues à la fin du siècle dernier se sont vues, depuis quelque temps, réinvesties dans l’optique de réaffirmer leur importance culturelle dans un contexte contemporain. C’est en tout cas le projet porté par un film comme Terminator Genisys (Alan Taylor, 2015), dans lequel la star bodybuildée des années 1980-1990 Arnold Schwarzenegger réinterprète son personnage iconique de T-800, alors littéralement usé et rouillé par le temps mais néanmoins, et comme il ne cesse de le rappeler tout au long du film, « pas obsolète ». Plus que cela, le film donne même à voir une image de l’acteur embrassant pleinement sa vieillesse, en lui faisant notamment affronter (et surtout vaincre) une version rajeunie de lui-même, ayant l’apparence du T-800 du Terminator de 1984 réalisé par James Cameron. Ici, le rajeunissement numérique de la star lui permet d’assumer et affirmer son âge avec force – le Schwarzenegger de 2015 supplantant le Schwarzenegger de 1984. La fin du film tend d’ailleurs à vouloir démontrer une bonne fois pour toutes cette idée de vieillesse comme forme de modernité (plutôt que de décrépitude), en conférant au robot T-800 usé les capacités protéiformes d’un modèle T-1000 plus récent.

Le film Tron : L’Héritage (Joseph Kosinski, 2010) repose sur des motifs narratif et discursif similaires à ceux de_ Terminator Genisys_. Durant son dernier acte, le long métrage fait par exemple s’affronter le personnage de Kevin Flynn, alors (ré)interprété par un Jeff Bridges d’une soixantaine d’années, et son clone virtuel, ayant l’apparence de l’acteur lorsqu’il incarnait le personnage pour la première fois en 1982 dans le film Tron (Steven Lisberger). L’intérêt de cette séquence réside dans le fait que le vieux Kevin Flynn triomphe de son double virtuel en l’absorbant pour ne (re)faire qu’un avec lui. Plus encore que la victoire de l’humain sur la machine, le personnage réaffirme ainsi l’idée selon laquelle le corps « réel » de la star serait unique et – il le souligne au cours de cette séquence – que sa perfection résiderait dans ses imperfections, signes du passage du temps.

Selon la professeure en études sur le genre Sally Chivers, cette vision positive de la vieillesse des personnages/stars – qui n’auraient rien à envier à leurs « Moi » d’antan – se serait particulièrement développée dans les films issus de franchises sortis après les années 2000 2010.

On retrouve à nouveau cette idée dans Indiana Jones et le Cadran de la destinée (James Mangold, 2023), au sein duquel Harrison Ford réincarne le célèbre archéologue et où, dans une séquence introductive d’une vingtaine de minutes, celui ci est rajeuni numériquement afin que son apparence corresponde à celle que l’on retrouve dans les films de la franchise « Indiana Jones » réalisés durant les années 1980.

« De-aging » d’Harrison Ford.

Le reste du film consiste à nous prouver que le personnage d’Indy – malgré son pessimisme sur la question – est, comme son interprète, encore capable d’assurer des missions pour le moins aventureuses, semblables à celles qu’il accomplissait dans sa jeunesse. De ce point de vue, le film pourrait presque servir d’illustration à la thèse énoncée par le sociologue Edgar Morin selon laquelle stars et personnages se contamineraient réciproquement. Quoi qu’il en soit, le de-aging du début du film sert une fois de plus à renforcer, par une mise en parallèle avec le reste du récit, cette idée d’une vieillesse qui ne serait pas synonyme d’obsolescence.

Rajeunissement factice vs vieillesse assumée : les paradoxes d’un discours

Comme l’explique la professeure en études cinématographiques Philippa Gates, ce type de discours sur le « bien vieillir » des stars tend en réalité à faire croire au spectateur que « vieillir dépendrait davantage de choix personnels que de conditions matérielles et d’inégalités sociales ». Son ambiguïté réside également – et logiquement – dans le fait d’utiliser une technique comme le de-aging pour tenter d’en développer la portée symbolique. Un paradoxe évident se dessine : étant donné le rajeunissement par le numérique de la star, sa vieillesse est-elle véritablement assumée ? D’autant plus que, malgré le discours porté par le film le mettant en scène, ce rajeunissement donne à voir une image fantasmée de la star. Le de-aging est en effet – et de façon évidente – utilisé pour que la star vieillissante réponde à des critères de beauté et/ou de jeunisme qui autrefois pouvaient la caractériser. Comme dans la plupart des œuvres cinématographiques faisant usage des technologies numériques pour porter un discours – souvent critique – sur les nouvelles technologies (fictives ou réelles), une contradiction apparaît ainsi entre le fond (le discours sur le « bien vieillir ») et la forme (le recours au de-aging) des films.

Pour un historien du cinéma comme Richard Dyer, ce type de contradiction est à la base de ce qui caractérise la star. Celle-ci mène à la fois une existence réelle, soumise comme tout un chacun aux affres du temps, et artificielle, liée au monde de l’image, de la fiction. Qu’il soit assumé ou non, l’âge de la star serait donc en partie illusoire, notamment car sa représentation est presque nécessairement standardisée.

Cette ambiguïté résulte également d’une mise en tension entre l’image « actuelle » de la star et celle de ses rôles passés. Ainsi, plutôt que d’opérer un changement radical dans la manière de représenter la star vieillissante, le de-aging permet en fait de réactualiser des enjeux thématiques anciens, similaires à ceux de certains films des années 1950, au sein desquels ancienne et nouvelle star s’opposent. Le rajeunissement numérique ne fait finalement que pousser ces enjeux au bout de leur logique (via, entre autres_, _une forme nouvelle de capitalisation de la nostalgie).

Mais au-delà de cela, n’y a-t-il pas également dans les films étudiés ici une volonté de faire coïncider cette technique avec le modèle narratif – et économique – des franchises, si présentes aujourd’hui, et auxquelles ces films sont rattachés ? Les logiques de variation (par l’utilisation de l’imagerie numérique en tant que telle) et de répétition (par l’utilisation de l’imagerie numérique afin de reproduire quelque chose du passé) du de-aging semblent en effet, et à ce titre, bien proches de celles propres aux franchises cinématographiques.

The Conversation

Jules Lasbleiz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Rajeunissement numérique : les stars hollywoodiennes à l’épreuve de leur propre mythe – https://theconversation.com/rajeunissement-numerique-les-stars-hollywoodiennes-a-lepreuve-de-leur-propre-mythe-261490

Le « Travel Retail » à l’aéroport, ou quand le luxe s’invite dans nos bagages à main

Source: The Conversation – in French – By Daouda Coulibaly, PhD, Professeur-Associé, EDC Paris Business School

Ils sont devenus des moments à part entière du voyage. Dans les aéroports internationaux, les magasins de marques de luxe font désormais partie du voyage. Le secteur du luxe a, en effet, investi ces lieux du tourisme moderne. Jusqu’où cela affecte-t-il leur modèle d’affaires ?


Le concept de Duty Free (hors taxes ou encore zone franche) est né en Irlande dans la seconde moitié des années 1940. Désormais, ce terme désigne l’ensemble des produits vendus sans application des taxes locales et exclusivement disponibles dans des zones internationales comme les aéroports, les ports ou certaines gares. Le Duty Free permet aux voyageurs et ceux en transit de bénéficier de prix théoriquement plus attractifs. Au fil du temps, ces zones franches se sont transformées en boutiques, en espaces de shopping, en Malls, en coins éphémères… où on loue ou achète des produits ou des services de haut de gamme voire de luxe.

En quelques années, les maisons et marques de luxe s’y sont activement déployées et se sont quasiment imposées dans ces espaces de voyage. En se transformant, le duty free a fait évoluer l’offre et l’architecture des enceintes des aéroports.

Désormais, les parfums, la cosmétique, les vins et spiritueux, les produits de mode, la confiserie, la gastronomie fine, la joaillerie et horlogerie, le tabac, les produits électroniques… sont exposés et vendus dans les aéroports, que ce soit à Paris, Singapour, Dubaï, Londres, Séoul… Les aéroports se sont métamorphosés de fait en véritables centres commerciaux spécialisés dans les produits de luxe. Les maisons transforment les temps d’attente en moments de découverte, de distraction, de plaisir et in fine d’achat. Une vraie stratégie de shopping mêlant voyage, expériences, émotions, achat et luxe. Le travel retail devient une réalité dans l’expérience de voyage.




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Une nouvelle expérience de voyage

Le Travel Retail est défini comme l’ensemble des activités d’achat et de vente de luxe réalisées dans des espaces dédiés aux voyages. Pour le luxe, le Travel Retail est un canal stratégique puisqu’il offre une opportunité unique de toucher une clientèle diversifiée et internationale en un même lieu. De plus, avec un temps moyen de 1h45 disponible avant l’embarquement (étude menée dans le cadre d’une recherche), les voyageurs sont plus enclins à se « laisser aller ». Ces derniers aiment découvrir et n’hésitent pas à consommer ou à vivre des expériences… bref, à jouer le jeu.

Face à cet écosystème favorable où le plaisir et les émotions se mêlent, l’industrie du luxe redouble d’innovation et d’ingéniosité en matière de merchandising, de marketing et de communication. Avec des vendeurs aguerris (formés et très smarts), des promotions excessivement alléchantes, des dispositifs interactifs, des vitrines digitales et des expériences immersives, les voyageurs rentrent dans une bulle où la consommation et l’achat sont implicitement conditionnés.

Et l’aéroport devint un hub multisensoriel

Dans certains aéroports, on pousse encore plus loin le travel shopping en intégrant des services (spa, massage, coiffure, etc.), des activités (zoo, sport, visites, etc.) et même des évènements (concerts, spectacles, etc.) en fonction de l’année.

Le Travel retail est une stratégie théorisée, pensée, organisée et déployée sur un grand nombre d’aéroports dans le monde. Il devient un véritable hub d’expériences polysensorielles où le luxe se réinvente. Ce dernier offre aux consommateurs des moments privilégiés certes, mais dope ses chiffres et renforce son image à l’international.

Le « Travel retail » a atteint des chiffres records estimés à plus 79 milliards de dollars en 2024 malgré un arrêt drastique avec la crise de la Covid. Toutefois, depuis la réouverture des aéroports en 2022, les chiffres ne cessent de décoller et de surprendre. Le nombre de fréquentations des aéroports et par ricochet, des boutiques de luxe, ne cesse de progresser.

Des zones chaudes

L’industrie du luxe dresse des zones chaudes (animées) avec un parcours client atypique, ludique et polysensoriel (les 5 sens du corps). Le dessein est de dresser un merchandising séduisant et efficace où le client accède à une espace extraordinaire au sens propre : il sort de l’ordinaire. Ainsi, l’environnement est propice à la consommation.

L’industrie du luxe mise aussi sur le digital, Internet aussi bien que les réseaux sociaux. Le smartphone est ainsi devenu l’outil d’achat et de consommation le plus mobilisé dans nos sociétés modernes. Ainsi, dans les aéroports, le téléphone, le QR code, la tablette, les objets connectés (lunettes, montres, écouteurs, etc.) sont des facteurs clés dans le succès du travel retail. Dans les grands aéroports, le système de WIFI est particulièrement boosté pour permettre aux voyageurs et clients d’avoir des connexions efficaces et surpuissantes.

BFM 2024.

L’industrie du luxe a désormais intégré le « Travel retail » comme un canal à part entière dans le dispositif de distribution (vente) et de communication. Autrement dit, l’aéroport constitue pour les marques et maisons de luxe un pilier incontournable dans leur stratégie de distribution, mais aussi, un levier dans la valorisation et dans la légitimation de leur capital marque.

Déjà des limites

Cette stratégie de « Travel retail » soulève naturellement de nombreux débats. D’abord sur l’image de marque car elle continue d’amplifier l’idée d’un luxe trop accessible et ouvert à tous. La logique du luxe business (rentabilité à outrance) ébranle aujourd’hui un grand nombre de marques et de maisons.

La surconsommation est également un phénomène qui affecte les achats en travel retail. La surabondance de produits est frappante et confirme l’idée d’un « luxe masstige », contraire à l’ADN du secteur dont la spécificité a toujours été la rareté, la discrétion et l’inaccessibilité.

Enfin le sentiment d’agacement ou l’effet de saturation de la part des voyageurs, et plus particulièrement, des voyageurs réguliers, constitue un ultime danger.

The Conversation

Daouda Coulibaly ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le « Travel Retail » à l’aéroport, ou quand le luxe s’invite dans nos bagages à main – https://theconversation.com/le-travel-retail-a-laeroport-ou-quand-le-luxe-sinvite-dans-nos-bagages-a-main-260425