En Irak, le mouvement sadriste s’organise hors des institutions

Source: The Conversation – France in French (3) – By Emilien Debaere, Doctorant en sciences politiques, Aix-Marseille Université (AMU)

En Irak, le mouvement chiite fondé par Muqtada al-Sadr en 2003 et longtemps très influent sur la scène politique traverse une période d’incertitude. Malgré sa victoire aux législatives de 2021, il a volontairement quitté le Parlement en 2022, dénonçant l’impasse politique. Affaibli par ce retrait et par la perte d’un soutien religieux majeur, le sadrisme tente aujourd’hui de consolider son influence à travers al-Bunyan al-Marsous, une vaste organisation sociale active dans les quartiers populaires chiites.


Un mouvement politico-religieux en difficulté

Le mouvement sadriste al-tayyār al-Ṣadrī a changé de nom en 2024 pour devenir le Mouvement national chiite (al-tayyār al-waṭanī al-shīʿī). C’est un vaste mouvement politico-religieux irakien créé en 2003 et reposant sur l’héritage idéologique et symbolique de la lutte contre le régime de Saddam Hussein menée dans les années 1990 par l’ayatollah Muhammad al-Sadr, assassiné en 1999. Initialement fondé par son fils Muqtada al-Sadr pour lutter contre l’occupation américano-britannique de l’Irak, il a progressivement évolué et s’est intégré au jeu institutionnel jusqu’à remporter les élections législatives de 2018 et 2021.

Toutefois, les affrontements à Bagdad en août 2022 entre des éléments paramilitaires affiliés au courant sadriste et plusieurs factions armées du Hachd al-Chaabi, une coalition de groupes politico-militaires alliés à l’Iran, se sont soldés par la démission de tous les députés sadristes et leur refus de participer à la formation du prochain gouvernement irakien. Cet événement marquant a constitué un revers majeur pour le courant sadriste qui ambitionnait de former un gouvernement majoritaire à la suite de sa victoire aux élections législatives d’octobre 2021.

Au même moment, l’ayatollah Kazem al-Haeri, basé à Qom (Iran), a décidé de prendre sa « retraite » en tant que marja (un marja est une autorité religieuse suprême dans le chiisme duodécimain, à laquelle les fidèles se réfèrent pour les questions juridiques et théologiques) et a incité ses partisans à suivre l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique d’Iran.

Kazem al-Haeri, qui avait été désigné par l’ayatollah Muhammad al-Sadr comme le marja à imiter après son martyre, servait en quelque sorte de caution religieuse au mouvement, étant donné que Muqtada al-Sadr ne disposait pas d’une crédibilité suffisante auprès du champ religieux. Les critiques répétées de Kazem al-Haeri contre Muqtada al-Sadr ont érodé le processus de légitimation religieuse mis en place par le dirigeant du courant sadriste depuis l’invasion américaine en 2003.

Dans le communiqué expliquant son retrait, al-Hae’ri a accusé implicitement Muqtada al-Sadr de « chercher à diviser le peuple irakien et la communauté chiite au nom des deux marjas chiites Mohammad Baqir al-Sadr et Mohammad Sadeq al-Sadr, et de prétendre exercer le leadership en leur nom alors qu’il ne possède ni le niveau d’ijtihad ni les autres conditions requises pour une direction religieuse légitime ». En effet, Muqtada al-Sadr – contrairement à son père – ne dispose ni de la « formation » religieuse aboutie ni de la reconnaissance par les pairs nécessaires pour pouvoir traditionnellement prétendre au leadership religieux au sein du chiisme duodécimain.

Ces deux revers infligés au courant sadriste et à son leadership ont mis à mal sa légitimité politico-religieuse et auraient pu saper son influence en Irak.

La fondation du projet al-Bunyan al-Marsous

À partir de ces deux revirements, le courant sadriste n’affiche plus d’objectifs politiques directes mais valorise davantage un vaste projet social créé en février 2021 sur ordre de Muqtada al-Sadr : le projet al-Bunyan al-Marsous. Le nom peut être traduit par « l’édifice consolidé » et provient d’une sourate du Coran : « Allah aime ceux qui combattent dans Son chemin en rangs serrés, pareils à un édifice bien consolidé » (Sourate 61, verset 4).

Dès sa fondation, le projet doit servir « l’unité des rangs sadristes (li-waḥdat aṣ-ṣaff aṣ-Ṣadrī), pour les recenser, les éduquer et prendre soin d’eux avec l’intention qu’il ne soit pas seulement destiné aux élections, mais qu’il soit un projet permanent ». L’archivage et l’analyse de plusieurs centaines de messages publiés par les différents comptes de cette organisation ainsi que des entretiens avec des responsables sadristes permettent de mieux appréhender l’ampleur et les objectifs de cette organisation.

Le projet al-Bunyan al-Marsous est organisé de manière verticale avec un comité central (composé de proches du leader Muqtada al-Sadr) et des comités locaux, eux-mêmes subdivisés en sections. Nous avons distingué au moins huit sections actives dont les domaines de spécialisation vont de l’agriculture aux commémorations religieuses, en passant par les sections sportives ou professionnelles. Les campagnes menées dans ce cadre sont ainsi très variées : formations professionnelles, ramassage d’ordures, scoutisme, conférences religieuses, rénovations de bâtiments, etc.

La diversité de leurs actions est très élevée et touche de nombreux aspects de la vie des habitants des quartiers paupérisés, peuplés majoritairement de chiites au sein desquels le courant sadriste a généralement une forte influence. Pour le seul mois d’octobre 2023, le rapport du comité central affirme que le projet a permis, entre autres, la délivrance de 1 154 prescriptions médicales, l’assistance à 15 accouchements ou encore la distribution de 2 000 appareils électriques. Le projet vise ainsi à accompagner des milliers d’Irakiens déshérités du berceau à la tombe en passant par les mariages, l’éducation des enfants et les parcours professionnels.

Une partie de ces services sociaux (scoutisme, aides à la construction, assistance économique, etc.) étaient déjà proposés par le courant sadriste, mais le projet al-Bunyan al-Marsous vient leur donner une cohérence et une meilleure organisation. Le projet fonctionne principalement grâce au bénévolat et au soutien financier des donateurs, parmi lesquels Muqtada al-Sadr lui-même, dont les importantes contributions sont mises en avant pour souligner sa générosité.

Quels objectifs pour le courant sadriste ?

L’organisation al-Bunyan al-Marsous répond à plusieurs objectifs qui servent globalement le courant sadriste. À court terme, elle permet de resserrer les liens d’une base sociale fragilisée en proposant des projets clairs et bénéfiques pour la « classe sociale » sadriste, généralement déshéritée. Sur le temps long, les diverses activités d’al-Bunyan al-Marsous contribuent à renforcer l’identité communautaire du mouvement à travers des services rendus et reçus. Elle favorise en effet l’implication de nombreux individus – bénévoles, bénéficiaires, coordinateurs – et crée un dense réseau d’interactions solidaires.

Une attention particulière est consacrée aux jeunes générations dans le but de perpétuer et d’assurer un relais cohérent de futurs partisans sadristes socialisés à un ensemble de rites, d’éléments culturels et de pratiques sociales qui valorisent la famille al-Sadr. À titre d’exemple, les scouts al-Bunyan al-Marsous permettent au mouvement d’encadrer des milliers de jeunes Irakiens afin qu’ils s’inscrivent à terme dans la ligne sadriste (al-khaṭṭ aṣ-Ṣadrī), c’est-à-dire qu’ils intègrent les normes et idéaux portés par le courant sadriste. Ils suivent ainsi des cours de jurisprudence islamique fondés sur les écrits de Muhammad al-Sadr, participent activement à l’organisation des commémorations et suivent un nombre important de formations.

De manière plus générale, cette organisation permet de soutenir des populations spécifiques et de diffuser une certaine idéologie de manière régulière et indépendante des événements politiques, sur un modèle comparable à celui des « services sociaux du Hezbollah » libanais.

L’organisation al-Bunyan al-Marsous pallie également certaines défaillances de l’État irakien et contribue à rendre indispensable le courant sadriste dans certains quartiers ou campagnes périphérisées. Les habitants de ces zones délaissées et paupérisées bénéficient de services sociaux importants qui renforcent leur attachement au mouvement et à ses leaders, et deviennent ainsi redevables envers ceux qui leur ont fourni des services capitaux.

À travers l’ensemble de ses activités, le projet promeut des discours normatifs et des valeurs propres au courant sadriste. Les services proposés sont ainsi systématiquement accompagnés d’éléments d’acculturation à l’idéologie et à l’imaginaire symbolique du mouvement, intégrant ainsi l’engagement social à une stratégie de légitimation politique. Il s’agit d’un encadrement moral et social qui valorise tout à la fois le patriotisme, la piété religieuse et la famille al-Sadr, comme l’affirme le responsable de l’organisation dans la partie ouest de Bagdad : « L’objectif principal du projet est de satisfaire Dieu, Son Prophète et la famille du Prophète ; la victoire de l’Irak passe par le soutien aux nobles Al-Sadr.»

En outre, cette organisation renforce l’ancrage local du courant sadriste, dans la mesure où l’ensemble des services sociaux sont déployés par des comités locaux étroitement connectés aux réalités spécifiques de chaque territoire. Ces comités ne se limitent pas à la mise en œuvre d’actions sociales : ils assurent également un rôle d’intermédiaire entre la population et les instances centrales du mouvement. En recueillant de manière systématique les doléances et les besoins des habitants, ils offrent à la direction du projet al-Bunyan al-Marsous, et par extension au courant sadriste, un flux d’informations précis et régulier. Ce dispositif contribue à consolider un maillage territorial dense et réactif.

Le projet al-Bunyan al-Marsous s’inscrit parfaitement dans le récit idéologique portée par les sadristes consistant à valoriser la piété, la générosité et le patriotisme du peuple irakien qui sont systématiquement mis en opposition avec la corruption des élites politiques. Il permet une diffusion puissante de narratifs sadristes et renforce l’allégeance de certaines populations chiites défavorisées envers le courant sadriste et plus particulièrement envers son leader, considéré comme le seul à même de soutenir et de sauver le peuple irakien.

The Conversation

Emilien Debaere a reçu des financements dans le cadre d’un contrat doctoral avec l’université Aix-Marseille.

ref. En Irak, le mouvement sadriste s’organise hors des institutions – https://theconversation.com/en-irak-le-mouvement-sadriste-sorganise-hors-des-institutions-262159

À Gaza, les journalistes locaux et les fixeurs sont tués à un rythme sans précédent. Peut-on les protéger ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Simon Levett, PhD candidate, public international law, University of Technology Sydney

Près de 200 professionnels des médias ont été tués dans la bande de Gaza, depuis le 7 octobre 2023. Les journalistes locaux et leurs fixeurs sont mal payés et, surtout, mal protégés, en dépit des efforts de leurs employeurs et des appels lancés à l’attention de l’armée israélienne par les médias, les gouvernements étrangers et les organisations de défense des journalistes.


La journaliste Mariam Dagga n’avait que 33 ans lorsqu’elle a été tuée par une frappe aérienne israélienne à Gaza, le 25 août 2025.

En tant que photographe et vidéaste indépendante, elle a documenté les souffrances des civils à Gaza à travers des images indélébiles d’enfants mal nourris et de familles endeuillées. Elle avait rédigé un testament, dans lequel elle demandait que ses collègues ne pleurent pas à ses funérailles et que son fils de 13 ans soit fier d’elle. Dagga a été tuée avec quatre autres journalistes – et 16 autres personnes – lors d’une frappe visant un hôpital qui a suscité une condamnation et une indignation généralisées.

Cette attaque fait suite au meurtre de six journalistes d’Al Jazeera par les Forces de défense israéliennes (FDI) alors qu’ils se trouvaient dans une tente abritant des journalistes à Gaza au début du mois d’août. Parmi les victimes figurait le journaliste Anas al-Sharif, lauréat du prix Pulitzer.

La guerre menée par Israël depuis près de deux ans à Gaza est l’une des plus meurtrières de l’histoire moderne. Le Comité pour la protection des journalistes, qui recense les décès de journalistes dans le monde depuis 1992, a dénombré pas moins de 189 journalistes palestiniens tués à Gaza depuis le début de la guerre (Ndlr : selon RSF, 220 journalistes ont été tués par l’armée israélienne dans la bande de Gaza en près de 23 mois). Beaucoup travaillaient en tant que pigistes pour de grands organes de presse, Israël ayant interdit aux correspondants étrangers d’entrer à Gaza.

En outre, l’organisation a confirmé la mort de deux journalistes israéliens, ainsi que celle de six journalistes tués lors des frappes israéliennes sur le Liban.





« Cela a été très traumatisant pour moi »

En 2019, je me suis rendu à Tel-Aviv et à Jérusalem en Israël, ainsi qu’à Ramallah en Cisjordanie, afin de mener une partie de mes recherches doctorales sur les protections disponibles pour les journalistes dans les zones de conflit.

Au cours de ce séjour, j’ai interviewé des journalistes de grands médias internationaux tels que le New York Times, le Guardian, l’Australian Broadcasting Corporation, CNN, la BBC et d’autres, ainsi que des journalistes indépendants et des fixeurs palestiniens locaux. J’ai également interviewé un journaliste palestinien travaillant pour la rédaction anglophone d’Al Jazeera, avec lequel je suis resté en contact jusqu’à récemment.

Je ne me suis pas rendu à Gaza pour des raisons de sécurité. Cependant, de nombreux journalistes que j’ai rencontrés avaient effectué des reportages dans cette région et connaissaient bien les conditions qui y régnaient, déjà dangereuses avant même la guerre.

Osama Hassan, un journaliste local, m’a parlé de son travail en Cisjordanie :

« Il n’y a pas de règles, il n’y a pas de sécurité. Parfois, lorsque des colons attaquent un village, par exemple, nous allons couvrir l’événement, mais les soldats israéliens ne vous respectent pas, ils ne respectent rien de ce qui est palestinien […] même si vous êtes journaliste. »

Nuha Musleh, fixeuse à Jérusalem, a décrit un incident qui s’est produit après un jet de pierre en direction de soldats de l’armée israélienne :

« […] Ils ont commencé à tirer à droite et à gauche – des bombes assourdissantes, des balles en caoutchouc, dont l’une m’a touchée à la jambe. J’ai été transportée à l’hôpital. Le correspondant a également été blessé. Le caméraman israélien a également été blessé. Nous avons donc tous été blessés, nous étions quatre. […] Cela a été très traumatisant pour moi. Je n’aurais jamais pensé qu’une bombe assourdissante pouvait être aussi dangereuse. Je suis restée à l’hôpital pendant une bonne semaine. J’ai eu beaucoup de points de suture. »

Une meilleure protection pour les journalistes et les fixeurs locaux

Mes recherches ont montré que les journalistes et les fixeurs locaux dans les territoires palestiniens occupés bénéficient de très peu d’équipement de protection physique et d’aucun soutien en matière de santé mentale.

Le droit international stipule que les journalistes sont protégés en tant que civils dans les zones de conflit en vertu des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels. Cependant, ces textes ne comportent pas de dispositions relatives à la protection spécifique nécessaire aux journalistes.

Des médias, des groupes de défense des droits des journalistes et des gouvernements ont clairement exigé qu’Israël prenne davantage de précautions pour protéger les journalistes à Gaza et enquête sur les frappes telles que celle qui a tué Mariam Dagga.

Malheureusement, les médias semblent peu en mesure d’aider leurs collaborateurs indépendants à Gaza, si ce n’est en se disant inquiets de leur sécurité à travers des communiqués, en demandant à Israël qu’il autorise les évacuations de journalistes et en exigeant que les journalistes étrangers puissent entrer dans la bande de Gaza.

Les correspondants internationaux ont, pour la plupart d’entre eux, suivi une formation sur le reportage dans les zones de guerre, et bénéficiaient d’équipements de sécurité, d’assurances et de procédures d’évaluation des risques. En revanche, les journalistes locaux et les fixeurs à Gaza ne bénéficient généralement pas des mêmes protections, alors qu’ils sont les premiers touchés par les effets de la guerre, notamment la famine massive.

Malgré les énormes difficultés, je pense que les médias doivent s’efforcer de respecter au mieux leurs obligations en matière de droit du travail lorsqu’il s’agit des journalistes et des fixeurs locaux. Cela fait partie de leur devoir de diligence.




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Des recherches montrent que les fixeurs figurent depuis longtemps parmi les acteurs les plus exploités et vulnérables de la production d’information internationale. Ils sont souvent dans des situations précaires, sans formation aux zones dangereuses ni assurance médicale. Ils sont de surcroît très mal rémunérés.

Les journalistes locaux et les fixeurs à Gaza doivent être rémunérés correctement par les médias qui les emploient. Il faut pour cela tenir compte non seulement des conditions de travail et de vie déplorables dans lesquelles ils sont contraints de vivre, mais aussi de l’impact considérable de leur travail sur leur santé mentale.

Comme l’a récemment déclaré le directeur de l’information mondiale de l’Agence France Presse, il est très difficile de rémunérer les contributeurs locaux, qui doivent souvent supporter des frais de transaction élevés pour accéder à leur argent. « Nous essayons de compenser cela en leur versant une rémunération plus élevée », a-t-il déclaré.

Il n’a toutefois pas précisé si l’agence allait modifier ses protocoles de sécurité et ses formations pour les zones de conflit, étant donné que les journalistes eux-mêmes sont pris pour cible à Gaza dans le cadre de leur travail. Ces journalistes locaux risquent littéralement leur vie pour montrer au monde ce qui se passe à Gaza. Ils ont besoin d’une meilleure protection.

Comme me l’a dit Ammar Awad, un photographe local de Cisjordanie :

« Le photographe ne se soucie pas de lui-même. Il se soucie des photos, de la manière dont il peut prendre de bonnes photos, de filmer quelque chose de bien. Mais il a besoin d’être dans un endroit sûr pour lui. »

The Conversation

Simon Levett ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. À Gaza, les journalistes locaux et les fixeurs sont tués à un rythme sans précédent. Peut-on les protéger ? – https://theconversation.com/a-gaza-les-journalistes-locaux-et-les-fixeurs-sont-tues-a-un-rythme-sans-precedent-peut-on-les-proteger-264416

Horaires flexibles : une fausse solution aux embouteillages du matin ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Emmanuel Munch, Urbaniste et Sociologue du temps, Université Gustave Eiffel

La flexibilité des horaires de travail est souvent présentée comme un remède à la congestion urbaine – et à la pollution qui en découle. Une étude comparative menée entre Paris et San Francisco suggère pourtant que cette promesse est largement surestimée. Et si on repensait la place du temps dans nos sociétés et que l’on mettait en place une véritable « écologie temporelle » ?


Chaque jour, des millions de personnes convergent vers leur lieu de travail en même temps. Cette concentration matinale provoque un phénomène bien connu dans les transports, l’heure de pointe qui, en ce qui concerne la voiture, fait bondir les émissions de gaz à effet de serre – en France, 30 % d’entre elles sont causées par les transports. La pollution de l’air qui en découle a également de graves effets sanitaires : selon Santé publique France, 48 000 décès par an sont attribuables aux particules fines.

Pour résoudre ce problème, une solution de bon sens semble s’imposer : offrir aux salariés davantage de flexibilité dans leurs horaires de travail. Si les salariés n’étaient plus tous contraints d’arriver au bureau à 9 heures, les flux seraient plus étalés, les transports moins saturés, la ville plus fluide. Parmi les pouvoirs publics et les entreprises privées, cette idée fait consensus depuis plus de cinquante ans.

Mais les salariés disposant d’une plus grande autonomie dans le choix de leurs horaires de travail évitent-ils réellement l’heure de pointe ? C’est la question que nous nous sommes posée dans une étude récente. Nous avons analysé deux territoires qui concentrent une part importante de travailleurs aux horaires flexibles : la région parisienne (29 % en horaires flexibles) et la région de San Francisco (59 %).

Horaires flexibles, libres ou modulables

Avant d’en venir aux origines des horaires flexibles, définissons d’abord ce dont on parle. Deux niveaux de définition peuvent être proposés. Les horaires de travail flexibles sont définis par opposition aux horaires officiellement fixés par l’employeur, mais ils peuvent se concevoir selon deux degrés de liberté différents : les horaires libres et les horaires modulables.

Dans la première situation, les horaires libres, le travailleur indépendant ou le salarié autonome agence comme bon lui semble ses horaires de travail au cours de journées et/ou de semaines. Dans le cas des salariés, on parlera, en France, de temps de travail annualisé, ou encore de contrats de travail au forfait, qui doivent néanmoins respecter les durées légales de travail à l’échelle de l’année (trente-cinq heures par semaine, soit 1 607 heures par an) et de repos hebdomadaire.

Deuxième situation, avec un niveau de liberté moindre, les horaires modulables qui se réfèrent, pour leur part, à la possibilité pour le salarié d’arriver et de partir du travail quand il le souhaite, en respectant cependant des heures plancher et plafond, fixées par l’employeur.

Le principe des journées à horaires de travail modulables.
Auteurs, Fourni par l’auteur

Par exemple, les salariés peuvent arriver quand ils le souhaitent entre 7 heures et 10 heures, faire leur pause déjeuner à n’importe quel moment entre 12 heures et 14 heures, et quitter le travail entre 16 heures et 19 heures. Leur seule obligation est de respecter la durée légale de travail quotidienne ou hebdomadaire et être présents durant certaines plages fixes de la journée – dans notre exemple, 10 heures-12 heures et 14 heures-16 heures.

Une organisation largement adoptée

Au moment de leur apparition dans des usines aéronautiques en Allemagne, dans les années 1960, ces horaires de travail modulables furent d’abord pensés comme une politique managériale permettant aux salariés de se rendre au travail en dehors des périodes de pointe.

Cette conception s’est par la suite diffusée en Allemagne et a, petit à petit, été intégrée dans les politiques publiques de gestion de la demande de transport au cours des années 1970 et 1980 aux États-Unis et en Europe.

Une du Parisien, 28 mars 2013.
Le Parisien, Fourni par l’auteur

Aujourd’hui, la flexibilisation des horaires de travail est toujours considérée comme un outil efficace de l’arsenal des politiques de gestion de la demande de transport en heure de pointe. En témoigne une initiative de SNCF Transilien en 2014, en partenariat avec huit entreprises à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Plus récemment, depuis 2019, des opérations de « lissage des pointes » et de flexibilisation des horaires se multiplient, portées par la Région Île-de-France.

Des résultats contre-intuitifs en apparence

Pourtant, notre étude comparative menée à Paris et San Francisco sur les effets des horaires flexibles questionnent leur pertinence.

Nos travaux montrent qu’à Paris, les personnes ayant des horaires flexibles sont plus susceptibles d’arriver pendant la période de pointe (entre 8 heures et 9h30) que celles qui n’en disposent pas. À San  Francisco, nous constatons que la flexibilité horaire n’a pas d’effet significatif sur l’heure d’arrivée au travail.

Autrement dit, la flexibilité n’a pas l’effet attendu dans la réduction des congestions, voire renforce, paradoxalement, la concentration des flux. Nous avons également observé cet effet contre-intuitif dans d’autres régions de France (Bretagne, Hauts-de-France), ainsi qu’en Suisse.

Plusieurs facteurs, selon nous, peuvent expliquer ce paradoxe.

D’un côté, la flexibilité est souvent partielle et asymétrique. Disposer d’une autonomie sur ses horaires ne signifie pas pour autant être libre de son temps. Il s’agit, pour ces salariés, de composer avec les horaires des collègues ou de leurs supérieurs, avec les réunions programmées à des heures fixes et les horaires des crèches ou des écoles. La marge de manœuvre affichée sur le papier est contrainte dans les faits.

De l’autre, ne sous-estimons pas le poids des normes sociales : dans beaucoup d’organisations, arriver tôt reste un signe de sérieux et d’implication.

À l’inverse, décaler ses horaires peut être mal perçu, même si cela ne nuit pas à la productivité. Ces représentations sociales influencent fortement les choix horaires, même chez ceux qui pourraient s’autoriser des horaires décalés.

Privilège ou précarité du travail flexible

Nos résultats révèlent qu’une distinction claire doit être établie entre les travailleurs flexibles à hauts revenus et ceux à bas revenus. C’est surtout lorsque la flexibilité est subie qu’elle peut contribuer à lisser les horaires de pointe.

En effet, ceux qui ont de hauts revenus et qui peuvent choisir leurs horaires comme ils le souhaitent (médecins, avocats, cadres en horaires flexibles…) sont plus susceptibles de se déplacer en même temps que tout le monde, à l’heure de pointe.

Chez ceux qui, en revanche, disposent d’une liberté d’organiser leurs horaires de travail tout en percevant de faibles revenus, la flexibilité tient davantage à la nature même de leur travail (aide à domicile et ménage, garde d’enfants périscolaire, restauration, culture et événementiel…), qui les contraint à exercer au cours de tranches horaires atypiques.

Enfin, le contexte urbain et territorial joue également. Les exemples de Paris et de San Francisco montrent que les effets de la flexibilité dépendent du contexte local. À San Francisco, au moment de l’enquête (2017), la dispersion géographique des lieux de travail et une culture du travail plus numérique (télétravail plus répandu, pratiques asynchrones) pouvaient limiter l’impact direct de la flexibilité sur l’heure d’arrivée.

À Paris, au contraire, la centralisation des fonctions tertiaires et l’inertie des rythmes sociaux (prise de repas notamment) renforcent la synchronisation.


« Le Mag », magazine interne de la SNCF, décembre 2014., Fourni par l’auteur

Désamorcer le mythe de l’autonomie

Ces résultats invitent à repenser une croyance bien ancrée dans les politiques de mobilité, selon laquelle l’étalement des horaires serait une réponse simple et immédiate à la congestion des transports.

Si la flexibilité peut apporter du confort dans la conciliation des vies personnelle et professionnelle, améliorer la qualité de vie au travail et réduire les tensions du quotidien, elle ne suffit pas à transformer les rythmes collectifs. Elle agit au niveau individuel, alors que la congestion est un phénomène structurel, social et fortement normé.

L’illusion d’une solution purement comportementale (laisser les gens « choisir » leurs horaires) occulte les inégalités temporelles, les contraintes de coordination et les « cultures du temps ».

Vers une véritable écologie temporelle ?

Pour alléger les heures de pointe, il ne suffit pas de miser sur les outils : il faut repenser le partage du temps dans nos sociétés. Redéfinir nos rythmes de travail, nos normes sociales, et notre organisation collective du temps à travers une approche que nous appelons « écologie temporelle ».

Elle suppose de reconnaître le temps comme un bien commun soumis à des arbitrages collectifs, de réduire les injonctions à la synchronisation – pourquoi toutes les réunions commencent-elles à 9 heures ? –, de valoriser les marges de désynchronisation, notamment via les politiques publiques et les campagnes de communication, et enfin d’intégrer la question des rythmes dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme.

C’est déjà le cas, notamment, avec les politiques temporelles dites de « bureaux des temps », imaginés par l’association Tempo territorial, qui réfléchit, avec différents acteurs, aux mesures à prendre au sein des organisations pour promouvoir une meilleure conciliation des temps de vie.

The Conversation

Emmanuel Munch est Vice-Président de l’association Tempo Territorial et membre de la Déroute des Routes. Il perçoit des financements d’organismes publics tels que : le Ministère de la Transition Ecologique, l’ADEME, l’ANRT, la SNCF.

Laurent Proulhac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Horaires flexibles : une fausse solution aux embouteillages du matin ? – https://theconversation.com/horaires-flexibles-une-fausse-solution-aux-embouteillages-du-matin-259716

Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015

Source: The Conversation – France (in French) – By Lamine Ighil Ameur, Chercheur en mécanique des sols, Cerema

Les ravages de la sécheresse des sols sur les maisons à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher). L. Ighil Ameur/Cerema 2022 droits réservés, Fourni par l’auteur

Les sécheresses ne posent pas seulement problème pour les stocks d’eau potable et pour l’agriculture : elles occasionnent aussi des dégâts sur le bâti à travers le retrait-gonflement des argiles. Ce phénomène est en pleine expansion en France du fait du changement climatique, avec un point de bascule notable en 2015.


Depuis 2015, la France métropolitaine connaît des sécheresses de plus en plus intenses et fréquentes, pendant des périodes plus longues du fait du changement climatique. La part des sécheresses dans les catastrophes naturelles indemnisées par le régime Cat-Nat est passée de 37 % à 60 % au cours de la période 2016-2021 en termes de charge financière cumulée.

En 2022, la France a connu, pour la sixième fois en dix ans, une sécheresse de grande ampleur. Cette sécheresse, dont le coût est aujourd’hui estimé à plus de 3,5 milliards d’euros, a battu tous les records depuis 1989, qui est l’année où la sécheresse a été intégrée dans le régime Cat-Nat.

La récurrence de telles sécheresses extrêmes accroît la vulnérabilité du bâti, notamment due au phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA), avec des dégâts qui se cumulent dans le temps et, parfois, sur les mêmes bâtiments vulnérables. Ces derniers nécessitent alors des travaux plus lourds et plus coûteux.

Que sait-on de l’augmentation de ce risque et du coût qu’il représente pour les assureurs ? État des lieux.

Le retrait-gonflement des argiles en question

De nombreuses études ont étudié l’impact du changement climatique sur le phénomène de RGA sous différents angles.

En 2009, une étude majeure, produite par les membres du groupe de travail « Risques naturels, assurances et changement climatique », cadrait le problème à travers plusieurs questions :

  • Le phénomène de RGA va-t-il s’intensifier ? Affectera-t-il des constructions jusque-là épargnées ? Engendrera-t-il des désordres plus conséquents sur les maisons sinistrées ?

  • La zone géographique concernée par le RGA va-t-elle s’étendre ?

  • Quel sera l’impact de l’augmentation de la fréquence des sécheresses sur les désordres occasionnés ?

Les auteurs de cette étude avaient considéré que

  • la France va continuer à se réchauffer, ce qui s’accompagnera de sécheresses estivales plus fréquentes, plus longues et plus intenses ;

  • l’extension géographique du phénomène, telle que délimitée par les cartes d’aléa retrait-gonflement, est supposée ne pas évoluer avec le changement climatique attendu entre 2010 et 2100 ;

  • le changement climatique ne devrait pas modifier l’intensité du phénomène ;

  • dans l’hypothèse de sécheresses estivales plus fréquentes, l’effet cumulatif lié à la succession rapide d’épisodes de sécheresse, s’il existe, pourrait toutefois être amplifié.

Aujourd’hui, après plus de quinze ans, ces conclusions sont-elles encore valables ?

Un risque en pleine expansion

L’année 2015 a constitué une année de bascule. La France a connu une période 2016-2022 marquée par une accélération des effets du changement climatique sur le phénomène de RGA et sur la sinistralité sécheresse.

On peut retenir plusieurs faits marquants pendant cette période :

D’abord, l’extension géographique du RGA. La part du territoire susceptible et exposée moyennement ou fortement au phénomène de RGA était respectivement de 24 % pour la décennie 2010 et 48 % pour la décennie 2020.

Au total, plus d’une maison sur deux se retrouve désormais très exposée au RGA. En 2017, un premier recensement faisait état de 4,3 millions de maisons potentiellement très exposées, soit 23 % de l’habitat individuel. Le dernier recensement de juin 2021 établissait plus de 10,4 millions de maisons en zone d’exposition RGA moyenne ou forte, soit 54,2 % du nombre total de maisons en France. Ce chiffre devrait même atteindre 16,2 millions à l’horizon 2050.

D’autant plus que la sécheresse s’étend progressivement à tout le territoire français. Alors que la sinistralité était auparavant principalement concentrée sur le croissant argileux, elle s’étend désormais sur les régions Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, y compris sur des sols jadis épargnés, notamment les sols peu argileux.

Comparaison des charges moyennes annuelles par département, avant et depuis 2016.
MRN 2023, Fourni par l’auteur

La dessiccation des sols (suppression naturelle ou artificielle de l’humidité contenue par ceux-ci, ndlr) du fait des sécheresses est également de plus en plus profonde. Avant 2015, sous un climat tempéré, la dessiccation des sols due aux variations saisonnières de teneur en eau affectait les sols superficiels (1 mètre à 2 mètres).

Depuis 2016, avec des sécheresses intenses et récurrentes, la dessiccation des sols est désormais de plus en plus profonde. Elle peut atteindre 3 mètres à 5 mètres,ce qui nécessite alors une prise en charge plus complexe et coûteuse du bâti sinistré

La sécheresse est ainsi devenue le péril le plus coûteux, devant les inondations. La sinistralité cumulée – c’est-à-dire, le ratio financier entre le montant des sinistres à dédommager et celui des primes encaissées – a même atteint 54 % au cours des dix dernières années, ce qui fait de la sécheresse le péril le plus coûteux devant les inondations (31 %) et les autres périls (15 %).

Top 10 des sécheresses en France, en termes de coût des dommages assurés.
Données : Bilan 1982-2022 CCR/Réalisation : L. Ighil Ameur/Cerema 2025, Fourni par l’auteur

Depuis 2016, les sécheresses de grande ampleur se sont succédé, et la sinistralité a connu une forte croissance. Sur les dix années de sécheresse les plus coûteuses depuis 1989, six ont eu lieu après 2015.

De fait, la sécheresse 2022 a représenté un épisode exceptionnel à l’échelle de la France. L’année 2022 a ainsi été marquée par une sinistralité sécheresse record à 3,5 milliards d’euros, soit près d’1,5 milliard de plus que lors du précédent record de 2003.

Répartition des arrêtés Cat-Nat sécheresse.
France Assureurs 2023, Fourni par l’auteur

Au 25 février 2025, après 21 arrêtés parus au Journal officiel, il y a au total plus de 6 851 communes reconnues Cat-Nat sécheresse 2022, un record depuis 1989. En 2022, la sécheresse avait touché presque l’intégralité du territoire métropolitain : 92 départements dont 3 pour la première fois de l’histoire (Côtes-d’Armor, Finistère, Corse du Sud).

Un coût de plus en plus élevé pour les assureurs

Alors que les dégâts indemnisés par les assureurs entre 1989 et 2019 ont été chiffrés à 13,8 milliards d’euros, les dernières projections de France Assureurs estiment que ce montant cumulé devrait tripler entre 2020 et 2050 et atteindre 43 milliards d’euros, dont 17,2 milliards d’euros du fait du seul changement climatique.

En 2023, la Caisse centrale de réassurance (CCR) a publié une étude sur les conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à horizon 2050. Si l’on considère les scénarios de réduction de gaz à effet de serre RCP 4.5 (atténuation limitée) ou RCP 8.5 (rythme d’émission actuel), tels que définis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les dommages augmentent de manière significative sur l’ensemble du territoire français métropolitain.

Répartition des coûts moyens annuels dus à la sécheresse géotechnique, par département sur le territoire métropolitain à climat actuel (à gauche). Évolution du coût de la sécheresse entre le climat actuel et celui de 2050 selon un scénario RCP 4.5 (centre) et celui de 2050 selon un scénario selon un scénario RCP 8.5 (droite).
CCR, 2023, Fourni par l’auteur

Pour le département des Alpes-Maritimes, par exemple, les pertes annuelles moyennes augmenteraient de 25 à 50 %, selon le scénario RCP 4.5, et de 100 à 200 %, selon le scénario RCP 8.5.

Des solutions existent pour traiter le retrait argileux, comme l’agrafage des fissures, l’injection de résine expansive dans le sol de fondation ou encore la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux. Mais ces techniques sont souvent inadaptées au contexte du changement climatique et peuvent engendrer une sinistralité de deuxième, de troisième voire de quatrième génération.

« Les enjeux de retrait-gonflement des argiles appliquées à la rénovation énergétique du bâti ancien », Agence Qualité Construction TV Live, 14 avril 2023.

Il est, dès lors, urgent de développer de nouvelles approches, davantage axées sur la prévention et sur l’adaptation, et important de prendre en compte le risque RGA dans tout projet de génie civil dès qu’il s’agit de terrain sensible.

D’autant plus que certaines initiatives visant à accélérer la transition écologique peuvent présenter un paradoxe vis-à-vis du RGA, par exemple la désimperméabilisation et la renaturation des sols.
Celles-ci visent à réduire le ruissellement et à rétablir le cycle de l’eau, favorisent la biodiversité et contribuant à réduire le phénomène d’îlots de chaleur urbain. Mais sur des sols exposés au RGA à proximité de maisons, routes ou des pistes cyclables, cela peut être préjudiciable, du fait de l’action racinaire qui accentue la dessiccation et l’apport d’eau indésirable, au risque de provoquer un effondrement hydromécanique des sols. D’où la nécessité de soigneusement étudier le contexte de ce type de projet avant de les implanter.


Ce texte est publié dans le cadre du colloque international « Les impacts socioéconomiques de la sécheresse », qui s’est tenu le 31 mai 2024 et dont The Conversation France était partenaire.

The Conversation

Lamine Ighil Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015 – https://theconversation.com/retrait-gonflement-des-sols-argileux-une-explosion-des-risques-depuis-2015-254403

Changement climatique : un indicateur pour prévoir les risques de maisons fissurées

Source: The Conversation – France (in French) – By Sophie Barthelemy, Ingénieure de recherche sur le retrait-gonflement des argiles, BRGM

L’indicateur de sécheresse RGA augmente fortement dans la deuxième partie du XXI<sup>e</sup>&nbsp;siècle, selon les hypothèses du Giec RCP&nbsp;4.5 (scénario d’émissions modérées) et RCP&nbsp;8.5 (scénario d’émissions fortes). Fourni par l’auteur

Le risque de retrait-gonflement des sols argileux, associé aux périodes de sécheresse, est en forte augmentation du fait du changement climatique. Il occasionne des dégâts considérables sur les bâtiments, mais également sur les routes. Rien qu’en 2022, il a coûté plus de trois milliards d’euros à la collectivité et aux assureurs. Des recherches récentes ont construit un indicateur pour prévoir l’évolution future des risques.


Le retrait-gonflement des sols argileux (RGA) est un risque naturel étonnamment méconnu au regard de ses conséquences et de son coût pour la collectivité. Ce phénomène conduit le sol à se rétracter comme une éponge suite à une période de sécheresse, et à gonfler ensuite lors du retour des pluies. Ces variations de volume peuvent endommager les constructions situées en surface.

Le nombre de maisons fissurées est en forte augmentation depuis plusieurs années en France. Cela pourrait encore s’aggraver sous l’effet du changement climatique, en particulier dans le sud-ouest et le nord-est du pays.

Les experts du climat s’accordent sur le fait que les températures vont augmenter en France du fait du changement climatique, mais ces projections ont jusque-là peu été utilisées pour évaluer les tendances associées au phénomène de RGA en particulier. Des travaux récents menés conjointement par Météo France, le BRGM et la Caisse centrale de réassurance (CCR) ont permis d’améliorer les connaissances à ce sujet et ont proposé un indicateur RGA spécifique qui pourrait être utile pour prévoir et quantifier l’ampleur des sécheresses à venir.

Un risque présent sur plus de la moitié du territoire français

De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de RGA ? Certains sols, semblables à des éponges, gonflent et se rétractent de manière cyclique au fil des saisons.

En séchant, le sol argileux se rétracte dans les trois dimensions, ce qui crée des fentes verticales qui se prolongent en profondeur. Photo prise le 17 juillet 2025 à Olivet (Loiret).
Fourni par l’auteur

À l’origine de ce phénomène, on trouve des minéraux argileux, comme la smectite, qui sont capables de retenir de l’eau dans leur structure en millefeuille. Leur changement de volume provoque une variation millimétrique du niveau de la surface, imperceptible à l’œil nu, mais qui peut suffire à fissurer routes, chaussées et constructions légères comme des maisons de plain-pied.

Ce type de sol est présent sur environ la moitié de la superficie du territoire français. Plus de 10 millions de logements individuels y sont construits. Or, sous le climat tempéré qui est actuellement le nôtre, les sols sont humides la plupart du temps. Les sinistres surviennent donc en période de sécheresse.

Les dégâts causés par le RGA sont considérables. Les réparations sont prises en charge dans le cadre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (régime CatNat), qui, reposant sur le principe de solidarité nationale, est alimenté par un pourcentage de nos primes d’assurance. Depuis 1989, ce risque a coûté plus de 25 milliards d’euros à la société et aux assureurs, selon la Caisse centrale de réassurance (CCR), se classant ainsi au deuxième rang derrière les inondations.

Depuis 2015, il est même devenu le premier poste d’indemnisation lié aux catastrophes naturelles en France, du fait de la prévalence des sécheresses.

Les experts du climat s’accordent sur le fait que les températures vont augmenter en France du fait du changement climatique, mais la projection de l’état hydrique des sols reste un exercice ardu. Dans ce contexte, il était urgent de développer un outil pour anticiper les conséquences d’un phénomène complexe et diffus comme le RGA.




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Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015


Vers un modèle de prévision des risques de RGA

Depuis plus de trente ans, Météo France développe un outil appelé « modèle des surfaces terrestres » qui permet de simuler les transferts d’eau et de chaleur se produisant entre l’atmosphère, le sol et la végétation à l’aide d’équations biophysiques. Il permet notamment de simuler l’humidité du sol jusqu’à deux mètres de profondeur, sur une grille de résolution de 8 km pour la France.

Fruit de nombreuses années de développement, cet outil de simulation permet de représenter finement les processus à l’œuvre. La végétation, élément clé pour comprendre le fonctionnement des surfaces continentales, y est modélisée en détail (croissance, flétrissement…), avec une distinction entre les principaux types de végétation (arbres feuillus ou conifères, herbacés de prairie ou de culture…).

Cet outil a été utilisé pour mieux comprendre le profil des sécheresses passées ayant causé des dommages liés au RGA, dans l’espoir de pouvoir anticiper leurs évolutions futures. Un indicateur annuel de sécheresse a ainsi été développé afin de mieux caractériser les facteurs favorisant la survenue du RGA et de quantifier, d’un point de vue statistique, le nombre global de sinistres. À noter toutefois que l’objectif de l’outil n’est pas de déterminer le risque de sinistre à l’échelle de chaque maison individuelle.

Concrètement, l’indicateur quantifie la durée et l’intensité du déficit hydrique d’une couche profonde du sol (de 80 cm à 1 m) au cours d’une année complète en se basant sur les simulations d’humidité du sol pour une végétation d’arbres feuillus.

En effet :

  • L’humidité des sols de surface varie continuellement en fonction des aléas météorologiques, mais les variations en profondeur marquent les tendances sur le long terme. Il est donc pertinent de s’y intéresser : plus le front de dessiccation du sol est profond, plus le tassement cumulé du sol en surface est important.

  • L’état hydrique de référence d’un sol et les conditions causant des dommages varient beaucoup d’une région à une autre en fonction du climat. Par exemple, l’humidité volumique (volume d’eau rapporté au volume de sol) est généralement plus faible à Marseille qu’en Moselle. Ce qui est normal dans un cas serait sinistrant dans l’autre. Ainsi, le déficit d’humidité servant au calcul de l’indicateur est évalué par rapport à l’historique du secteur.

  • Le choix de considérer une végétation arborée repose sur le constat que la présence d’un arbre planté à proximité d’une maison peut avoir des conséquences néfastes et engendrer des dégâts en raison de l’absorption accrue d’eau par les racines.

Cet indicateur fonctionne-t-il sur les données historiques ? Une comparaison avec des statistiques communales de sinistres révèle que oui : il y a une corrélation positive entre la valeur de l’indicateur et la survenue de dommages. Cette approche permet bien d’identifier les années où surviennent des sécheresses propices au RGA.

L’indicateur a ainsi été évalué pour la France entre 2000 et 2022 à partir de données climatiques et de données météorologiques collectées par le réseau de stations Météo France. Cinq années particulières ont été mises en évidence par cette analyse : 2003, 2018, 2019, 2020 et 2022.

Indicateur de sécheresse RGA (Year Drought Magnitude) pour les années 2000 à 2022.
S. Barthelemy et al, Fourni par l’auteur

Les sécheresses de ces cinq années figurent toutes parmi les 20 événements les plus coûteux du régime CatNat, tous risques confondus.

Les années 2022, 2018 et 2003 occupent respectivement les première, deuxième et quatrième places du classement. Le coût de la sécheresse 2022 est estimé entre 3,4 milliards et 3,7 milliards d’euros : un montant colossal.

Et le changement climatique dans tout ça ?

Un dernier volet de l’étude avait pour objectif de cerner l’évolution future des sécheresses propices au RGA sous l’effet du changement climatique, en projetant l’indicateur sous différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.

Développés par la communauté scientifique depuis le début des années 1990, ces scénarios climatiques, appelés scénarios RCP, pour Representative Concentration Pathway, visent à proposer une gamme de trajectoires d’évolutions possibles des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en fonction de différentes hypothèses socio-économiques.

Ces scénarios ont été couplés avec des modélisations du système climatique afin de répercuter leurs effets sur les variables météorologiques (température, pression, humidité, etc.). Des simulations ont été réalisées en utilisant un grand nombre de modèles de climat différents, afin de prendre en compte les incertitudes le mieux possible.

Ceci a permis de calculer l’évolution de l’indicateur RGA jusqu’en 2065, à partir de modélisations de l’humidité des sols réalisées à partir de six modèles climatiques différents sous les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 (scénario médian d’émissions modérées et scénario pessimiste, où les émissions continuent d’augmenter au rythme actuel).

Évolution de l’indicateur de sécheresse RGA (centile 75) pour les périodes 2006-2025, 2026-2045, 2046-2065, et les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5.
S. Barthelemy et al, Fourni par l’auteur

Dans les deux scénarios, la valeur de l’indicateur augmente, notamment après 2045, ce qui traduit une intensification à venir des sécheresses favorables au RGA. Le nord-est et le sud-ouest du pays seraient particulièrement touchés par ce phénomène dans le cadre du scénario RCP 8.5.

Il s’agit d’un résultat inédit. L’exercice de projection des impacts du changement climatique est désormais décliné à de nombreux phénomènes, mais des analyses fines des conditions hydriques propices au RGA faisaient jusqu’alors défaut.

Dans un monde de plus en plus chaud, comme en témoigne l’été 2025.), il va falloir apprendre à gérer cette menace qui pèse sur le bâti.

The Conversation

Sophie Barthelemy a reçu des financements de Météo-France, du BRGM et de la Caisse Centrale de Réassurance dans le cadre de sa thèse de doctorat.

ref. Changement climatique : un indicateur pour prévoir les risques de maisons fissurées – https://theconversation.com/changement-climatique-un-indicateur-pour-prevoir-les-risques-de-maisons-fissurees-262568

Maisons, routes, rail, pistes cyclables… comment lutter contre les risques de retrait-gonflement argileux ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Lamine Ighil Ameur, Chercheur en mécanique des sols, Cerema

Les routes départementales et les voies cyclables sont particulièrement exposées au risque de retrait-gonflement argileux. DIR Est 2020, Fourni par l’auteur

C’est en raison du phénomène de retrait-gonflement des argiles que les sécheresses causent des dégâts tant sur les routes – y compris les pistes cyclables – que sur les maisons et les réseaux ferrés. De nouvelles techniques en cours de développement se montrent prometteuses pour limiter l’impact du phénomène.


Alors que le risque de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) lié aux sécheresses a explosé depuis 2015 sous l’effet du changement climatique, se pose la question des outils permettant de lutter contre le phénomène.

Historiquement, ce sont les maisons individuelles – et de façon générale, les bâtiments de plain-pied ou à un étage – ainsi que les routes qui sont le plus souvent concernées par les conséquences du RGA, quand elles sont construites sur des sols argileux, du fait de leurs fondations superficielles. Les pistes cyclables sont également particulièrement vulnérables.

Dans certains cas particuliers, des routes nationales et même des autoroutes peuvent être concernées, de même que les voies ferrées, les digues et les réseaux enterrés (gaz, eau, etc.).

Quelles sont les techniques utilisées et les nouvelles solutions en cours de développement pour faire face à l’aggravation des risques provoquée par le changement climatique ? Panorama.




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Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015


Comment le RGA crée des fissures

Les maisons individuelles et les routes sont parmi les ouvrages les plus vulnérables au RGA quand elles sont construites sur des sols argileux. Leurs fondations peu profondes les rendent sensibles aux variations de teneur en eau du sol sous l’effet des cycles de sécheresses et de précipitations.

En effet, le sol argileux se rétracte durant la sécheresse et gonfle pendant les périodes de précipitations ce qui engendre des déformations volumiques pouvant endommager l’ouvrage et mener à un sinistre.

Le schéma ci-dessous illustre les ondes de dessiccation (lignes rouges) et les déformations de gonflement (flèches bleues) sous une maison et une route, ainsi que les conséquences sur le bâti en termes de mouvements de structure (flèches rouges).

Conséquences du RGA et impacts de l’environnement proche : (a), (b) et (c) sur une route, (d), (e) sur une maison et sur le cycle de l’eau (f).
Reiffsteck, 1999 et Béchade, 2014, Fourni par l’auteur

Un environnement défavorable, caractérisé par de la végétation et une mauvaise gestion des eaux, peut à la fois être à l’origine et aggraver les dommages sur ce type de structures.

En effet, l’action racinaire de certaines essences de végétaux accentue la dessiccation (suppression naturelle ou artificielle de l’humidité) du sol et l’arrivée d’eau indésirable a tendance à fragiliser le sol, ce qui peut induire des fissures et des dégâts.

Crêtes de la digue et de la pente, côté crue, fissurées (Doba, Hongrie).
Illés et Antal, 2022, Fourni par l’auteur

Les ouvrages en terre, digues et barrages, sont eux aussi également particulièrement exposés au RGA et à ses conséquences en termes de dommages. C’est problématique dans la mesure où les digues sont la première ligne de défense contre les inondations. La formation de réseaux de fissures de dessiccation durant la sécheresse dégrade les propriétés du sol et compromet l’intégrité des structures.

L’augmentation soudaine des précipitations peut alors entraîner la rupture des structures en terre. Ce problème s’amplifie lorsque l’on considère la sécheresse des sols expansifs, et notamment argileux. En effet, de nombreuses pentes, à l’état desséché, cèdent lorsqu’elles sont soumises à des précipitations intenses. Ceci en raison d’une diminution de la succion matricielle de l’eau contenue dans le sous-sol et d’une augmentation de la pression de l’eau interstitielle.

Ainsi, toute condition de sécheresse suivie de précipitations intenses peut causer de graves dommages aux structures en terre. Celles-ci devraient être négativement affectées par le changement climatique.

Les réseaux enterrés proches de la surface peuvent également être sujets aux déformations du sol dues au RGA et subir des fissures, voire une rupture de canalisation.

Cela peut favoriser les fuites, qui constituent à la fois un gaspillage des ressources associé à des pertes financières, un danger pour les personnes (en particulier pour les canalisations de gaz) et parfois une accentuation du RGA, en favorisant une arrivée d’eau indésirable (cas des fuites d’eau près des fondations).

De plus en plus de routes concernées

Jusqu’ici les routes concernées étaient pour la plupart des routes départementales, mais certaines configurations défavorables peuvent également concerner les routes nationales et les autoroutes. Par ailleurs, les pistes cyclables, dont la structure est comparable à celle d’une route encore plus légères, sont également vulnérables.

Fissures dues au RGA sur l’autoroute A31 entre Nancy et Metz (Grand-Est).
DIR Est 2022, Fourni par l’auteur

Par exemple, dans la région du Grand Est, la route nationale RN4 est moyennement exposée au RGA. Elle présente des fissures caractéristiques proches des bords. L’autoroute A31 est, elle-aussi, fortement exposée au RGA avec d’importantes fissures longitudinales de l’ordre de plusieurs centimètres, accompagnées de tassement différentiel (c’est-à-dire, un enfoncement du sol non uniforme).

La configuration de cette autoroute avec un terre-plein central de quelques mètres séparant les deux sens de circulation et constitué de terrain naturel végétalisé favorise l’exposition à l’évapotranspiration et la propagation de la dessiccation du sol en période de sécheresse.

Cela revient à considérer l’A31 comme étant deux routes départementales parallèles, avec deux accotements bordés de zones boisées et/ou végétalisées. Par conséquent, les autoroutes présentant cette configuration et construites sur des sols exposés au RGA seront davantage vulnérables face au changement climatique.

L’impact du RGA sur les routes est complexe à identifier vu la diversité des sollicitations auxquelles elles sont exposées (trafic, gel-dégel, circulation des eaux, RGA, etc.). Au Cerema, nous avons accompagné le Conseil départemental d’Indre-et-Loire, en 2019, dans une mission de diagnostic RGA de plusieurs tronçons de routes départementales afin de mieux cibler les actions d’entretien, de prévention et de remédiation, et d’optimiser leur financement. La méthode de diagnostic développée devrait être généralisée par les gestionnaires des routes départementales afin d’avoir une cartographie à l’échelle nationale et estimer le coût du RGA sur les routes.

Les vulnérabilités du réseau ferré national

Le réseau ferré national fait, lui aussi, l’objet de préoccupations quant aux impacts du RGA pour les voies construites sur des sols sensibles aux variations hydriques. Suite à la sécheresse 2022, il y a eu une apparition récurrente de défauts de géométrie sur plusieurs voies. L’ampleur des défauts enregistrés a été telle que des opérations de maintenance ont dû être organisées en urgence.

La ligne ferroviaire Brive (Corrèze)-Toulouse (Haute-Garonne), ici près de Donnazac (Tarn), est particulièrement exposée au RGA.
L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l’auteur

Le RGA contraint également le gestionnaire du réseau ferré à mettre en place des limitations temporaires de la vitesse. Celles-ci affectent la circulation des trains avec des retards potentiels pour les usagers et des pertes économiques pour le gestionnaire.

L’exposition des voies ferrées au RGA dans leur environnement proche est actuellement très peu étudiée. L’une des premières étapes à mettre en place serait de dresser un état des lieux, à l’échelle du réseau national, sur les niveaux d’exposition et les secteurs concernés.

Instrumentation in situ d’une voie ferrée exposée au RGA à Donnazac (Tarn) par l’équipe Cerema.
L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l’auteur

En juin 2024, nous avons accompagné SNCF Réseau dans une expérimentation inédite qui consiste à conforter une portion d’une voie ferrée exposée au RGA à Donnazac (Tarn), près d’Albi.

Pour cela, deux planches d’essais ont été spécialement conçues pour une expérimentation qui doit durer 4 ans :

  • une planche de 80 mètres stabilisée par injection de RemediaClay, une solution que nous avons déjà testée sur une route départementale depuis 2021 en partenariat avec le Département du Loiret,

  • et une planche témoin (non confortée) de 80 mètres, toutes les deux instrumentées par des capteurs de teneur en eau du sol et une station météo.

L’enjeu est à la fois de tester l’efficacité et la durabilité de RemediaClay, et de caractériser l’évolution de la dessiccation du sol sous une voie ferrée en situation de sécheresse. Les résultats de cette étude permettront de mieux adapter les solutions pour le ferroviaire face au RGA.

Les solutions les plus prometteuses en développement

La littérature scientifique et technique présente plusieurs techniques de réparation courantes. Parmi les techniques fréquemment utilisées pour faire face au RGA sur le bâti : l’agrafage des fissures, l’injection de résine expansive dans le sol de fondation et la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux.

Celles-ci sont souvent inadaptées au contexte du changement climatique et engendrent une sinistralité de deuxième, troisième voire quatrième génération. Il est important d’adopter une nouvelle approche dans le développement des solutions de prévention et d’adaptation vis-à-vis du RGA.

Il est indispensable aujourd’hui d’éprouver ces solutions en tenant compte des effets du changement climatique. Cela concerne par exemple les mesures en lien avec la gestion de l’eau et de la végétation dans la parcelle. Le projet Initiative Sécheresse, lancé en 2024 par France Assureurs, CCR et la Mission Risques Naturels, doit permettre de répondre à ces questions.

La recherche est utile pour identifier et évaluer de nouvelles solutions de prévention et d’adaptation des maisons et des routes face au changement climatique. Au Cerema, notre équipe de recherche dédiée au RGA teste et développe de nouvelles solutions d’adaptation au changement climatique depuis 2015.

Première maison test équipée du procédé Mach dans la Vienne (projet Mach Series.
L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l’auteur

C’est le cas du procédé innovant Mach (Maison confortée par humidification), dont le principe consiste à réhydrater le sol argileux pendant les périodes de sécheresse pour stabiliser son état hydrique. Aujourd’hui, nous avons une démarche scientifique, en partenariat avec le groupe Covéa, pour vérifier la reproductibilité du procédé et l’acquisition des données météorologiques et de teneur en eau du sol. Nous avons déjà équipé une première maison test dans la Vienne et plusieurs dizaines d’autres en France métropolitaine devraient l’être également d’ici 2026.

Expérimentation de l’étanchéification des accotements (a) par enduit de surface et (b) par géomembranne.
L. Ighil Ameur/Cerema 2019, Fourni par l’auteur

Pour les routes, en partenariat avec les départementaux de la Région Centre-Val de Loire, nous expérimentons depuis 2017 de nouvelles solutions d’adaptation face au RGA. Ce partenariat inédit, l’Observatoire des routes sinistrées par la sécheresse (Orss), a fait l’objet de restitution partielle lors d’une première journée technique nationale dédiée à l’impact des sécheresses sur les routes exposées au RGA et les solutions d’adaptation en novembre 2023. Cet Observatoire doit évoluer courant 2025 vers un Observatoire national des routes sinistrées par la sécheresse (ONRS).

Parmi les solutions les plus économiques, efficaces et durables, nous avons déjà identifié l’étanchéification horizontale des accotements, que nous avons testée avec le Loir-et-Cher depuis 2019. Il s’agit de limiter la dessiccation du sol au niveau des accotements pour protéger le sol sous chaussée des variations hydriques durant la sécheresse. Depuis sa mise en place fin 2019 sur deux portions de routes départementales, aucun dommage ni déformation ne sont signalés jusqu’à présent.

En 2024, notre équipe a également décroché le financement sur cinq ans de deux projets de recherche nationaux :

  • Le premier, mené en partenariat avec le BRGM, vise à développer un outil de veille et d’anticipation du niveau de sécheresse des sols argileux en France (projet SEHSAR, pour Surveillance étendue du niveau d’humidité des sols argileux pour l’adaptation et la résilience du bâti face au changement climatique)

  • Le second (projet SAFE RGA, pour Solutions innovantes d’adaptation du bâti exposé à la sécheresse face à l’expansion du phénomène de RGA), mené en partenariat avec l’AQC, CEAD, Fondasol et l’Université d’Orléans, doit permettre de mettre au point des solutions innovantes pour l’adaptation des maisons exposées au RGA. Les solutions envisagées visent par exemple à agir sur le sol argileux en place par stabilisation physico-chimique, en ajoutant du sable et du sel ou de lait de chaux, ou encore par des approches préventives.


Ce texte est publié dans le cadre du colloque international « Les impacts socioéconomiques de la sécheresse », qui s’est tenu le 31 mai 2024 et dont The Conversation France était partenaire.

The Conversation

Lamine Ighil Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Maisons, routes, rail, pistes cyclables… comment lutter contre les risques de retrait-gonflement argileux ? – https://theconversation.com/maisons-routes-rail-pistes-cyclables-comment-lutter-contre-les-risques-de-retrait-gonflement-argileux-254407

French national debt under presidents Chirac, Sarkozy, Hollande and Macron: a look at the numbers

Source: The Conversation – France (in French) – By François Langot, Professeur d’économie, Directeur adjoint de l’i-MIP (PSE-CEPREMAP), Le Mans Université

French national debt has grown steadily over the last 30 years. It is the sum of all public deficits accumulated since the mid-1970s. To compare the amount of national debt to the government’s financing capacity, it is expressed as a percentage of gross domestic product (GDP) – debt-to-GDP ratio – which indicates how many years of wealth creation (GDP) are needed to repay it.

Under Jacques Chirac, the debt rose from €663.5 billion to €1,211.4 billion, or from 55.5% to 64.1% of GDP. Under Nicolas Sarkozy, it reached €1,833.8 billion, or 90.2% of GDP. Under François Hollande, it hit €2,258.7 billion, or 98.4% of GDP.

At the end of the first quarter of 2025, France’s debt stood at €3,345.4 billion, or 113.9% of GDP. While this debt is the result of political choices that determine the country’s revenue and spending, it also depends on the economic climate, which can make managing the debt easier or more difficult.

Amid developments such as the dot-com bubble, the economic boom of the 2000s, the subprime crisis in 2008, the eurozone recession, and the Covid-19 pandemic, the governments of Chirac, Sarkozy, Hollande and current President Emmanuel Macron have experienced both gloomy and bright economic conditions.

How economic conditions influence the debt

The economic situation may be analysed using two parameters, both of which are rates: the interest rate (r), set by the European Central Bank (ECB), which determines the interest payable on debt; and growth rates (g for growth), which measure the annual increase in wealth created (GDP).

This situation has two effects.

The first effect is unfavourable to public finances. It occurs when economic conditions cause the interest rate (r) to be higher than the growth rate (g), ie r-g > 0. In this context, the surplus wealth created by growth is less than the interest payable on the debt. De facto, the debt increases, even if policy choices lead to government revenue financing government spending (excluding interest payments on the debt), ie if the primary deficit is zero.

Figure 1 shows that this unfavourable economic situation occurred during Chirac’s mandate. During this period, the sum of the primary deficits (government expenditure excluding debt servicing) and revenue remained virtually stable (blue curve). Debt rose due to high interest rates (r between 2.5% and 5%), combined with moderate growth (g around 4%), which caused debt to increase (red curve).

A second effect is favourable to public finances. If the real interest rate is lower than the growth rate (r-g < 0), then debt (debt-to-GDP ratio) can be stabilised, even if spending, excluding interest charges, exceeds revenue – that is, even if policy choices lead to a primary deficit. In this case, the annual increase in wealth created (GDP growth) is greater than the interest burden.

Figure 1 shows that such a situation occurred during Macron’s terms in office. During this period, the sum of primary deficits rose sharply (blue curve): political choices led to government spending (excluding interest payments on debt) exceeding its revenue. However, debt increased at a slower rate (red curve), as interest rates remained lower than growth (less than 2% for interest rates, r, compared to more than 2.5% for growth, g).

Figure 1: The gap between the red line and the blue line measures the contribution of net interest charges from growth (r-g) to the change in the debt-to-GDP ratio. Data from France’s National Institute of Statistics and Economic Studies (INSEE).
Fourni par l’auteur

How economic conditions contribute to the debt

Recent history divides presidential terms into two groups. The first group includes those in which “bad” economic conditions are the main reason for the increase in debt (debt-to-GDP ratio), which is shown by the red curve rising more than the blue curve in Figure 1. The second group includes terms in which primary deficits are the main reason for the increase in debt, which is shown by the blue curve rising more than the red curve.

The first group includes the terms of Chirac and Sarkozy. The second includes those of Hollande and Macron.

The data show that during Chirac’s two terms in office (1995–2007), the debt-to-GDP ratio increased by 8.99 points (0.75 points per year). This increase was due to a “poor” economic climate for public finances (r-g effect > 0), which caused the debt-to-GDP ratio to rise by 10.07 points, while the dynamics of primary deficits helped to reduce it by 1.08 points. During this period, interest rates on public debt were very high, ranging between 4% and 6%.

Under Sarkozy’s term (2007-2012), the debt-to-GDP ratio rose by 22.76 points (4.55 points per year), of which 11.01 points were due to primary deficits, representing 48% of the total increase, and 11.75 points were due to economic conditions (52% of the total). Interest rates remained high, between 3% and 4%. The large primary deficits followed policy choices aimed at cushioning the subprime crisis.

Conversely, during Hollande’s term (2012-2017), rising primary deficits accounted for 71.5% of the total increase in the debt-to-GDP ratio (9.13 points out of a total increase of 12.74 points, or 2.55 points per year). Interest rates continued to fall, from 3% to less than 2%, while primary deficits were not curbed, even though the subprime and sovereign debt crises had passed.

Primary deficits under Macron

Macron’s time in office, until 2024, further accentuates this trend. The debt has only increased by 10.8 points (1.35 points per year), as the economic situation has caused it to fall by 15.31 points, with interest rates becoming very low, falling below 1% in 2020.

The increase in debt can be explained solely by the very sharp rise in primary deficits, which caused it to grow by 26.11 points during a period when the Covid pandemic and the energy crisis led the government to protect citizens from excessive declines in purchasing power.

The period from 2025 to 2029 falls into the second scenario, in which economic conditions will make it increasingly difficult to manage public debt (r-g < 0). Even with a policy objective of controlling debt, primary deficits can only be reduced gradually. With these deficits continuing to weigh on debt, growth will increasingly fail to offset rising interest rates.

The budget that Prime Minister François Bayrou presented on July 25 will increase the debt-to-GDP ratio by 4.6 points (0.92 points per year) in a context in which economic conditions will reduce it by 1.7 points. Primary deficits will increase it by 6.3 points. Bayrou’s budgetary proposal will stabilise the debt-to-GDP ratio at around 117%, which is far from the stabilisation at around 60% achieved during Chirac’s terms in office.

Balance between spending and revenue

The evolution of the primary deficit (the difference between spending, excluding interest charges, and revenue) shows that over the last 29 years, there have been 10 years in which it increased. There have been three major increases: by 1.82 points in 2002, with the stock market crash; by 4.2 points in 2009, with the subprime crisis; and by 6.1 points in 2020, with the Covid pandemic. In 2002, the increase in the deficit consisted of 1.1 points linked to increases in spending and 0.72 points linked to reductions in revenue. The sharp increases in 2008 and 2020 were mainly due to spending increases: 95% of the 4.2 points in 2008 and 97% of the 6.1 points in 2020. To contain debt, revenues eventually increased after crises: between 2004 and 2006, between 2011 and 2013, and between 2021 and 2022. However, there were no reductions in spending after 2011 or after 2023.

It is therefore persistent spending at a high level that explains the increase in the debt-to-GDP ratio. Only a very recent period, in 2023, amid the Ukraine crisis, led the government to reduce revenues in order to preserve purchasing power in a context of high inflation.

Restricting public spending

The Bayrou government’s plan, by placing three-quarters of the adjustment on spending, proposes to regain control of public spending so that it represents 54.4% of GDP in 2029 – the level seen before the 2007 crisis. Beyond stabilising the debt-to-GDP ratio, this policy choice also permits consideration of the possibility of managing a potential future crisis. The question that then arises is: which spending items should be reduced as a priority?

Figure 2: Variation in a type of expenditure per term in office. The variation measures the difference in GDP points between expenditure at the end of a term (or, for Macron, 2023) and expenditure at the beginning. INSEE data.
Fourni par l’auteur

The spending items that have increased since 1995 are those related to the environment (+0.8 percentage points of GDP); health (+3.2 percentage points of GDP); leisure, culture and religion (+0.6 percentage points of GDP); and social protection (+1.3 percentage points of GDP). Those that have fallen are related to general government services (-4.1 points of GDP), defence (-1.1 points of GDP) and education (-1.5 points of GDP). In the future, a budget that reallocates spending in favour of defence and education through better restriction of health and social protection spending should therefore be seen as a simple rebalancing exercise.


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The Conversation

François Langot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. French national debt under presidents Chirac, Sarkozy, Hollande and Macron: a look at the numbers – https://theconversation.com/french-national-debt-under-presidents-chirac-sarkozy-hollande-and-macron-a-look-at-the-numbers-264411

Afrique de l’Ouest : une étude met en lumière la dure réalité des enfants migrants travailleurs

Source: The Conversation – in French – By Aly Tandian, enseignant-chercheur, Université Gaston Berger

Une récente enquête menée au Sénégal, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire et en Guinée (avril 2023 à avril 2025) décrit la réalité souvent invisible des enfants migrants travailleurs. Ces enfants vulnérables sont confrontés à l’exploitation, à la précarité éducative et à de graves obstacles d’accès aux soins. L’auteur de cette étude, le chercheur Aly Tandian, s’est entretenu avec The Conversation Africa. Il plaide pour des politiques inclusives afin de garantir leurs droits fondamentaux et prévenir l’apatridie.

Qui sont les enfants migrants en Afrique de l’Ouest ?

En Afrique de l’Ouest, les enfants migrants sont des filles et des garçons de moins de 18 ans qui se déplacent à l’intérieur de leur pays ou au-delà des frontières, de manière volontaire ou contrainte, temporaire ou permanente. Certains voyagent seuls, parfois envoyés par leurs parents ou tuteurs pour trouver du travail, apprendre un métier ou fréquenter une école coranique. D’autres se déplacent avec un ou les deux parents, dans le cadre de migrations familiales (exode rural, déplacements transfrontaliers pour le travail saisonnier).

Nombreux sont ceux placés chez des proches, maîtres d’apprentissage ou maîtres coraniques. Ce qui fait d’eux des migrants placés sous la responsabilité d’un adulte autre que leur parent. Leur mobilité est souvent liée à des stratégies familiales, comme le confiage, la recherche d’opportunités économiques ou l’accès à l’éducation. Elle s’explique aussi par des logiques communautaires, telles que le placement chez un maître coranique, l’apprentissage d’un métier ou le travail saisonnier, mais également par la pauvreté, les conflits, les catastrophes, la traite et l’exploitation.

La prévalence des migrations d’enfants est élevée en Afrique de l’Ouest, mais la quantification précise est difficile à établir en raison de l’informalité, de la mobilité non enregistrée et de l’invisibilité statistique.




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Comment caractérisez-vous la réalité des enfants migrants travailleurs dans la région ?

En Afrique de l’Ouest, les enfants migrants travailleurs sont visibles dans les différents secteurs économiques comme l’agriculture, à la fois urbaine et rurale (plantations de cacao et de café, marchés et gares routières, quartiers périphériques et chantiers, les environnements religieux et éducatifs détournés ainsi que zones minières et portuaires). Ils peuvent être doublement vulnérables à cause des conditions d’abus, d’exploitation, de soumission à des travaux indignes auxquels ils sont soumis mais également à l’isolement et à d’autres difficultés liées au parcours migratoire.

Dans certaines circonstances, ils peuvent ne pas avoir la capacité juridique de faire valoir leurs droits contre des entreprises commerciales et d’autres parties qui les engagent dans le travail. Ces enfants, vulnérables en raison de leur statut d’étrangers, ont un accès limité à la justice, à l’éducation et sont exposés aux abus et à la discrimination.

L’invisibilité juridique et administrative à laquelle ils sont confrontés renvoie à une absence d’identité juridique et à une privation de divers droits. De même, la protection juridique n’est pas équitable et les enfants migrants travailleurs ont besoin dans certains cas de mécanismes particuliers pouvant éviter l’apatridie (situation d’une personne dont aucun Etat ne reconnait la nationalité).




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Quels sont les principaux risques auxquels ces enfants sont exposés ?

Les vulnérabilités sont liées principalement à leur statut irrégulier, au manque de document d’identité, à l’accès limité aux services publics et à l’absence de protection juridique. Elles limitent leur accès à une éducation de qualité et leur développement personnel.

Leur situation scolaire n’est pas favorable car ils vivent dans un déséquilibre scolaire profond avec les nationaux. De fait, leur droit à l’éducation n’est pas respecté. Mais les garçons et les filles de migrants ne sont pas égaux avec les autres ni en termes de droit à l’éducation ni en termes d’opportunités ou d’obligations après un décrochage.

Par ailleurs, ces enfants ont souvent un accès limité aux soins de santé. Les barrières administratives, la non-inscription dans les systèmes de santé nationaux, et la mobilité géographique des familles rendent difficile la continuité des soins, notamment dans les zones urbaines où les migrants sont concentrés.

Les services de santé mentale sont rares, souvent inaccessibles dans les zones rurales ou les camps de réfugiés, et parfois méconnus des familles. Les enfants se heurtent aussi à la stigmatisation, au manque d’information et à l’insuffisance de moyens financiers. Ce qui les empêche de recevoir les soins dont ils ont besoin. En Guinée, par exemple, la vulnérabilité sanitaire des enfants de migrants s’est particulièrement remarquée à la faveur des épisodes d’épidémie d’Ébola et de la pandémie de la Covid-19 en contradiction avec le droit guinéen.

Quelles sont les conséquences de la séparation familiale des enfants de migrants ?

Au cours de nos enquêtes, nous avons pu constater que de nombreux enfants vivant avec un des deux parents ou avec des tuteurs souffrent de vulnérabilités émotionnelles et psychologiques. Ils sont confrontés à un manque de protection et d’encadrement, des difficultés éducatives ainsi que des risques de migration autonome.

A Bouaké (Côte d’Ivoire) et à Nouadhibou (Mauritanie), certains enfants séparés de leurs parents biologiques affirment « souffrir de sentiments d’abandon ». A Dakar et à Conakry, d’autres disent « ne pas être à l’abri des risques d’exploitation ou de maltraitance ».

L’absence des parents influence différemment la scolarisation des enfants. L’absence du père peut entraîner une faible autorité dans le foyer et un sentiment d’abandon. Quand la mère manque, les filles risquent davantage d’interrompre leur scolarité pour assumer des tâches domestiques.

En outre, il y a une perte du lien émotionnel, car la mère joue souvent un rôle affectif et éducatif quotidien. On constate une baisse du suivi scolaire et nutritionnel, surtout pour les jeunes enfants.

La séparation familiale des enfants de migrants constitue un défi majeur qui exige des politiques inclusives et un soutien coordonné pour leur bien-être et la réunification. Les enfants expriment de façon récurrente leur besoin de surmonter cette séparation.

Entre autres conséquences de la séparation familiale sur les enfants, ces derniers citent le sentiment d’abandon, d’anxiété, de troubles du comportement, de perte de repères, un manque de lien parental, une rupture dans la construction identitaire, un isolement, une déscolarisation possible, etc.




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Quelles formes de soutien ou de protection pourraient améliorer leur condition ?

Les enfants migrants travailleurs ont besoin d’avoir accès aux documents d’état civil (actes de naissance, certificats de résidence, papiers d’identité, etc.). L’absence de ces documents entraîne une absence d’identité légale. Sans les papiers, il est impossible pour les autorités d’identifier l’enfant, de vérifier son âge, son origine ou son lien avec un éventuel accompagnant.

Une telle situation est à l’origine de l’échec de l’instruction ou de la scolarisation de nombreux enfants migrants. L’inaction des autorités publiques favorise des réseaux illicites d’établissement de documents administratifs qui ne satisferont pas les objectifs du tuteur. Ils ont également besoin d’assistance juridique pour défendre leurs droits.

L’absence de documents administratifs limite l’accès des enfants migrants travailleurs à l’éducation, aux soins et à la justice. Elle restreint aussi leurs droits dans leur pays d’origine et peut entraver leur mobilité et leur travail.

Les besoins en santé et bien-être incluent la vaccination, la prise en charge psychologique des enfants migrants travailleurs, ainsi que la santé, la nutrition et la santé mentale des enfants.

Les enfants de migrants séparés de leurs parents rencontrent des obstacles liés aux préjugés et à la marginalisation, qui limitent leur accès aux soins et affectent leur santé mentale. La sensibilisation des tuteurs aux besoins nutritionnels propres à chaque âge est essentielle pour assurer leur développement normal.

Les enfants migrants travailleurs ont besoin de reconnaissance, de soutien moral et d’espaces d’écoute favorisant le dialogue et la médiation. Ils doivent également voir leurs droits fondamentaux, ainsi que ceux liés à leur statut d’enfant migrant, respectés.

Que recommanderiez-vous aux décideurs pour encadrer cette migration dès l’enfance ?

Pour améliorer la situation des enfants migrants travailleurs en Afrique de l’Ouest, il est impératif que les États de la région mettent en place des politiques migratoires et des systèmes d’enregistrement civil garantissant leurs droits fondamentaux, indépendamment de leur statut. Ils doivent aussi renforcer les mécanismes de protection et de justice en faveur des enfants les plus vulnérables.

L’inclusion des enfants de migrants passe par des efforts coordonnés entre les gouvernements, les ONG, les institutions internationales et les communautés locales.

En termes de recommandation, il faut :

  • renforcer des politiques de protection sociale en facilitant l’accès aux soins et à l’éducation pour les enfants de migrants ;

  • créer des mécanismes de régularisation pour assurer un statut légal aux enfants de migrants et leur donner accès aux droits fondamentaux ;

  • lutter contre les discriminations à l’école en sensibilisant les enseignants et les élèves à l’inclusion ;

  • encourager l’éducation des filles en réduisant les obstacles socioculturels et en sensibilisant les familles ;

  • faciliter l’enregistrement des naissances issues de couples de migrants pour garantir un accès aux droits fondamentaux ;

  • mener des campagnes de sensibilisation auprès des communautés migrantes sur l’importance des documents d’identité.

Les enfants migrants constituent une réalité multiple. Ils sont exposés à des formes d’exploitation et leur situation devrait interroger les politiques publiques car ce sont des enfants le plus souvent dépourvus de documents administratifs. Ils se retrouvent confrontés à une non-admission dans les pays de transit, de destination et parfois d’origine.

L’avenir de ces enfants en Afrique de l’Ouest sera déterminé par la capacité des États, des communautés et des organisations régionales à transformer une mobilité souvent synonyme d’exploitation en une mobilité protégée et valorisée.

The Conversation

Aly Tandian does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Afrique de l’Ouest : une étude met en lumière la dure réalité des enfants migrants travailleurs – https://theconversation.com/afrique-de-louest-une-etude-met-en-lumiere-la-dure-realite-des-enfants-migrants-travailleurs-264289

La montée de l’appui à la souveraineté chez les jeunes au Québec, feu de paille ou vague de fond ?

Source: The Conversation – in French – By Éric Bélanger, Professeur en science politique, McGill University

L’été 2025 n’a pas seulement été chaud, il a électrisé la scène politique québécoise. Le Parti québécois (PQ) a fait élire un autre candidat lors d’une élection partielle dans Arthabaska en août, et des sondages récents laissent présager un regain de popularité pour la souveraineté, notamment chez les jeunes. Assiste‑t‑on à un renouveau souverainiste solide ou à une simple poussée estivale d’émotion politique ?

Avec 35 % des voix (contre 46 % pour le PQ), la défaite a été crève-cœur pour Éric Duhaime qui a perdu son second pari visant à se faire élire et à amener le Parti conservateur du Québec à l’Assemblée nationale. Elle aura été cependant l’occasion de se réjouir pour le chef du PQ Paul St-Pierre Plamondon.

Parallèlement, on constate un certain regain dans l’opinion publique alors que des sondages récents ainsi que des jeunes artistes comme Lou-Adriane Cassidy ou le rappeur kinji00 remettent la question de la souveraineté du Québec à l’ordre de jour.

Pour nous, cotitulaires de la Chaire de recherche sur la démocratie, le vivre-ensemble et les valeurs communes au Québec, et spécialistes de la politique québécoise et de l’opinion publique, cette dynamique mérite un regard approfondi. Nous l’examinons sous trois angles : la méthodologie des sondages, les motivations profondes du regain, et les précédents historiques.

Interroger les sondages : ce qu’ils disent… et ce qu’ils ne disent pas

Dans un premier temps, il importe de s’attarder à la dimension méthodologique des sondages cités dans les médias. Ces coups de sondes ont des limites bien réelles. D’abord, l’appui de 56 % des jeunes de 18-34 ans, mesuré par la firme CROP au début du mois d’août, ne correspond pas à une intention de vote à un éventuel référendum – où la réponse se résumerait à « Oui » ou « Non ». Il s’agit plutôt d’un appui exprimé sur une échelle en quatre points, allant de « très favorable » à « très défavorable » à l’idée de souveraineté.

En juin dernier, la firme Léger a quant à elle mesuré une hausse des intentions de vote en faveur du « Oui » dans la même tranche d’âge, s’élevant à environ 48 %.

Sans mettre en doute l’existence de cette évolution chez les jeunes, on n’en sait très peu sur la taille exacte et la provenance des échantillons qui ont été rejoints dans ces deux enquêtes ni sur la manière avec laquelle les deux firmes de sondage ont pondéré les réponses de ces jeunes à ces questions. Par exemple, le chiffre de 48 % chez Léger paraît reposer sur les réponses de 195 jeunes individus seulement. L’appui de ce même groupe d’âge à la souveraineté est d’ailleurs retombé à 42 % dans leur enquête suivante publiée au mois d’août. De manière générale, plus les échantillons sont petits, plus les opinions mesurées sont susceptibles d’être volatiles.

Enfin, on a déjà observé par le passé que les appuis à la souveraineté ont tendance à diminuer une fois le PQ porté au pouvoir. Ces appuis avaient par exemple reculé de 8 points de pourcentage en quelques mois seulement à la suite de la victoire de Pauline Marois en 2012. Ce phénomène peut être attribuable à l’ambivalence qu’entretiennent généralement les Québécois vis-à-vis le PQ : ils aiment l’idée que ce parti dirige le Québec mais ils entretiennent des réserves face à son option constitutionnelle. Il est donc ici important d’offrir une nuance quant aux « réelles » préférences politiques des jeunes personnes sondées.

Langue, culture, crises politiques : ce qui motive l’appui à la souveraineté

Dans un second temps, nos travaux de recherche portant sur l’appui à l’indépendance au Québec et ailleurs dans le monde, notamment en Écosse et en Catalogne, indiquent que c’est surtout la volonté de protéger sa langue ou de conserver sa culture qui alimentent l’intérêt pour cette option constitutionnelle.

Il y a ici lieu de se questionner sur le rapport à la langue française des jeunes interrogés. Quelle est réellement l’importance de cette langue pour eux ? Certains, notamment ceux qui consomment beaucoup de contenu sur les plates-formes numériques comme TikTok, sont plus près des préoccupations des vlogeurs français (voir l’étude de l’Institut de la statistique du Québec). Ces jeunes parlent français certes, mais leurs référents culturels sont beaucoup plus franco-français que québécois.

Par ailleurs, les recherches ont aussi montré que les griefs, stimulés par des crises politiques tels l’échec de l’Accord du lac Meech ou le scandale des commandites, sont parmi les facteurs qui font le plus augmenter les appuis à la souveraineté. Or, il n’y a pas, présentement, de tels griefs ou de telles crises qui soient clairement en place au Québec.

Le poids de l’histoire : les jeunes (presque) toujours en tête du mouvement

Dans un troisième temps, c’est en posant un regard historique qu’il est possible d’offrir un autre éclairage sur cette montée, même modeste, de l’appui à la souveraineté. Historiquement, ce sont les jeunes qui ont surtout appuyé l’idéal d’indépendance. Ce fut le cas tant au Québec qu’ailleurs, comme en Écosse. Il est donc cohérent que ce soit la jeunesse québécoise qui soit à l’avant-garde de ce regain de soutien pour la cause souverainiste.

C’est notamment ce qui a été observé dans les précédents regains d’intérêt pour la souveraineté (chez les baby-boomers durant les années 1970 ; dans une moindre mesure chez la génération X durant les années 1990). Avec le recul, on se rend compte que la réelle anomalie historique tient peut-être à la cohorte des millénariaux (les individus nés entre 1980 et 1995) qui a davantage boudé le mouvement souverainiste que les autres.

À la lumière de ces différents travaux, les causes actuelles de ce regain pour la souveraineté chez les jeunes sont donc loin d’apparaître claires. Verrons-nous un réel engouement pour le Parti québécois ou bien seulement un passage à ce parti en raison de la fatigue envers le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) ?

Ces trois dernières années, le PQ a su tirer son épingle du jeu, profitant d’une période de turbulence pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et Québec solidaire (QS), moins présents dans le débat public. Même s’il formait l’opposition officielle, le PLQ a été affaibli par une absence de chef permanent depuis 2022, comblée seulement en juin par l’élection de Pablo Rodriguez, ce qui a freiné son redéploiement politique. Quant aux membres et aux élus de QS, ils étaient trop occupés par leurs guerres intestines pour fonctionner ensemble et offrir une seule voix commune à l’Assemblée nationale et aux médias.

Et maintenant ?

Les jeunes ont presque toujours été attirés par la souveraineté. Cet attrait observé actuellement est-il lié à un rapport à l’avenir qui serait fondamentalement différent chez cette cohorte ? Se transformerait-il en appui réel dans l’urne à l’occasion d’un nouveau référendum ? Est-ce que les votes enregistrés dans les élections partielles étaient des votes de protestation ou bien un appui réel au PQ et à son option constitutionnelle ?

Nous avons des bémols. L’évolution de l’appui à la souveraineté demeure bien sûr à surveiller et à étudier.

La Conversation Canada

Éric Bélanger a reçu des financements du programme de Chaires de recherche du Québec (FRQSC)

Mireille Lalancette a reçu des financements du programme de Chaires de recherche du Québec (FRQSC)

ref. La montée de l’appui à la souveraineté chez les jeunes au Québec, feu de paille ou vague de fond ? – https://theconversation.com/la-montee-de-lappui-a-la-souverainete-chez-les-jeunes-au-quebec-feu-de-paille-ou-vague-de-fond-264227

Pourquoi y a-t-il encore des éboulements rocheux alors que des solutions de protection existent ?

Source: The Conversation – in French – By Marion Bost, Directrice technique Géotechnique, PhD, HDR, experte internationale en mécanique des roches, Cerema

Une zone d’habitation sécurisée par des écrans de filets à Foix, dans l’Ariège. Marion Bost, Fourni par l’auteur

En montagne, les éboulements sont fréquents. Leurs conséquences peuvent être dramatiques au dessus des routes et des installations humaines, de plus en plus présentes en montagne. Comment nous protéger ?


Le 20 août dernier, un éboulement rocheux dans la descente des Egratz vers Chamonix (Haute-Savoie) sur la RN 205 a causé un accident mortel. Début février 2025, à une semaine des vacances d’hiver, la route nationale 90 était bouchée à l’entrée de la vallée de la Tarentaise (Savoie). Le trafic ferroviaire entre Paris et Milan a été interrompu pendant plus d’un an et demi… à cause d’un éboulement rocheux fin août 2023. Ces évènements nous rappellent que ces phénomènes naturels constituent encore aujourd’hui une forte menace dans les territoires de montagne.

Entre 1900 et 2021, sur le territoire national, on recense 18 éboulements rocheux qui ont fait des victimes. Mais une route coupée peut aussi conduire à des effets que l’on imagine moins spontanément : une rupture dans l’accès aux soins, dans le transport transfrontalier de personnes et de marchandises et aussi, bien sûr, l’accès aux stations de ski – secteur qui représente plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en France.

Comment se protéger des éboulements rocheux ?

Pour protéger les personnes et les biens, des structures de protection « passives » peuvent être mises en œuvre, soit en interceptant les blocs rocheux lors de leur propagation dans la pente, soit en les déviant. Les merlons comme les filets métalliques peuvent servir aux deux actions selon leur conception.

Un bloc de 4 mètres cubes arrêté par un écran de filets à Notre-Dame-de-Briançon sur la route nationale 90 en Savoie.
Fourni par l’auteur

Ainsi les écrans souples de filets sont constitués de nappes de filets déformables maintenues par des poteaux et par des câbles, qui sont fixés au sol par des ancrages. Des systèmes de dissipation d’énergie (appelés « freins ») sont disposés sur les câbles ou au niveau des ancrages pour limiter les efforts dans la structure et dissiper l’énergie cinétique d’impact du bloc.

Les écrans de filets peuvent arrêter des blocs avec une énergie d’impact jusqu’à 12 000 kilojoules, ce qui correspond à des blocs de 15 mètres  cubes, soit l’énergie d’un bloc du volume d’un SUV circulant à la vitesse de 90 kilomètres par heure.

Les merlons sont des structures massives en élévation par rapport au terrain naturel, constituées de matériaux de remblai, comme le sol en place, renforcés ou non par différentes technologies (géosynthétique, armature métallique, pneu…).

Selon leur conception, la capacité d’arrêt des merlons peut être supérieure à celle des écrans de filets métalliques, et atteindre plusieurs dizaines de milliers de kilojoules, soit plus de trois à quatre blocs de quinze mètres cubes à 90 kilomètres par heure.

immense construction en béton devant une montagne
Merlon pour le chantier EDF à Livet-Gavet dans l’Isère.
Marie-Aurélie Chanut, Fourni par l’auteur

La solution des écrans souples de filets est cependant souvent privilégiée en zone de montagne, car elle nécessite peu d’emprise au sol et peut être installée en forte pente grâce à des hélicoptères.

Comment conçoit-on ces ouvrages de protection ?

Comme tout ouvrage du génie civil, un écran de filets doit être dimensionné. Pour cela, il faut recenser sur le terrain les blocs potentiellement instables et évaluer s’ils sont susceptibles de s’ébouler. Dans un second temps, nous réalisons des simulations numériques pour estimer l’énergie et la hauteur de passage de chaque bloc, afin de définir l’endroit dans la pente où positionner l’ouvrage de protection et avec quelles caractéristiques. Ensuite, un produit existant sur le marché permettant de remplir ces conditions est choisi.

des blocs au dessus d’une route en montagne
Des blocs arrêtés par les écrans de filets souples installés au-dessus de la route nationale 90 en Savoie.
Marie-Aurélie Chanut, Fourni par l’auteur

Notons que la capacité d’arrêt de certains produits marqués CE a été testée par des essais d’impact réalisés en grandeur réelle. De plus, après l’installation des structures sur le terrain, des inspections détaillées et un entretien des ouvrages permettent d’assurer le niveau de service attendu pendant la durée de vie de chaque ouvrage, soit au minimum vingt-cinq ans en atmosphère peu corrosive.

La conception d’un écran de filets de protection contre les chutes de blocs est cependant complexe. Elle doit tenir compte d’un comportement dynamique et non linéaire de l’ouvrage sous l’impact d’un bloc. Ce type d’ouvrage favorise de grands déplacements au sein de la nappe de filets, qui limitent la concentration des efforts. Certains composants, essentiellement les freins, se déforment alors de façon irréversible.

un bloc tombe dans un filet. Simulation numérique
Simulation numérique d’un bloc rocheux impactant un écran de filets.
Jibril Coulibaly et collaborateurs, C2ROP, Fourni par l’auteur

Ainsi depuis les années 1970, la communauté scientifique et technique se mobilise pour améliorer la compréhension du comportement de ces ouvrages sous sollicitation dynamique.

Quand les filets ne remplissent pas leur mission

Malgré ces efforts pour améliorer la fiabilité des écrans de filets, ces ouvrages peuvent encore être mis en défaut aujourd’hui.

Par exemple, un éboulement exceptionnel peut dépasser la sollicitation prise en compte lors du dimensionnement. Ce fut le cas lors de l’éboulement déjà cité sur la RN90, pendant lequel trois blocs de plus de 10 mètres cubes ont percuté à grande vitesse, estimée à 28 mètres par seconde, et presque simultanément, un écran de filets neuf de capacité d’arrêt maximale égale à 8 000 kilojoules (c’est-à-dire pouvant arrêter un seul bloc de 8 mètres cubes chutant à plus de 100 kilomètres par heure).

L’impact d’un bloc rocheux de forme tranchante présentant une vitesse de rotation significative ou encore un impact au niveau des câbles de haubanage ou des extrémités de l’ouvrage peuvent être également plus sévères que l’impact dans les conditions des essais en vraie grandeur de certification du produit.

Écrans de filets 8 000 kilojoules, installés dans le versant de Ponsérand pour sécuriser la RN 90 en Savoie.
Laurent Dubois, Fourni par l’auteur

Enfin, des erreurs de montage ou encore le vieillissement de certaines pièces métalliques par corrosion peuvent avoir une incidence sur la capacité d’arrêt de l’ouvrage tout au long de sa durée de vie.

Des enjeux qui évoluent

Les enjeux (bâtiments, infrastructures de transports…) situés dans les fonds de vallée des régions montagneuses sont de plus en plus vulnérables. En effet, les dernières décennies ont vu l’augmentation du trafic et de la pression foncière, en lien notamment avec l’essor du tourisme de montagne. En conséquence, les besoins en ouvrages de protection performants et fiables ne font qu’augmenter.

Des stratégies territoriales de protection doivent donc être mises en place. Mais les coûts élevés de mise en œuvre et d’entretien obligent à définir et à prioriser les actions de sécurisation vis-à-vis du risque rocheux.

The Conversation

Marion Bost a reçu des financements de la Direction Générale de la Prévention des Risques du Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.

Laurent Dubois travaille avec des entreprises de travaux construisant des merlons ou des écrans de filets sur les chantiers et dans le cadre de groupes de travail méthodologiques ou de normalisation.

Marie-Aurélie Chanut a reçu des financements de IREX.

ref. Pourquoi y a-t-il encore des éboulements rocheux alors que des solutions de protection existent ? – https://theconversation.com/pourquoi-y-a-t-il-encore-des-eboulements-rocheux-alors-que-des-solutions-de-protection-existent-261712