Le statut d’espèce protégée : une coquille qui se vide ?

Source: The Conversation – in French – By Brian Padilla, écologue, recherche-expertise "biodiversité et processus d’artificialisation", Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Grand gravelot (_Charadrius hiaticula_). Un oiseau nicheur de l’Hexagone, espèce protégée et menacée. Charles J. Sharp, CC BY-SA

Ces derniers mois, plusieurs propositions réglementaires sont venues fragiliser le statut d’espèce protégée. Les sanctions prévues en cas d’infraction s’allègent, tandis que les possibilités de dérogation s’élargissent, au risque de réduire ce dispositif central de protection de la biodiversité en une simple formalité administrative.


Fin février 2025, un jugement du tribunal administratif de Toulouse a annulé temporairement le projet d’autoroute A69, en indiquant qu’il ne remplissait pas les conditions nécessaires pour déroger au statut d’espèce protégée. En décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a, pour sa part, jugé illégales quatre retenues d’eau (ou, bassines) en l’absence de dérogation espèces protégées, notamment en raison de l’impact de ces projets sur l’outarde canepetière.

Le statut d’espèce protégée, inscrit dans la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, est considéré aujourd’hui comme un des outils du droit de l’environnement les plus efficaces pour atténuer certaines pressions sur la biodiversité.

Mais ces derniers mois, plusieurs évolutions l’affaiblissent considérablement.

Qu’est-ce qu’une espèce protégée ?

Selon l’article L411-1 du code de l’environnement, certaines plantes non cultivées et animaux non domestiques bénéficient d’une protection intégrale. Il est interdit de les détruire, les mutiler, et de les déplacer, à aucun stade de leur vie.

Les listes d’espèces protégées sont édictées par le biais d’arrêtés ministériels, signés par le ministère chargé de l’environnement et celui chargé de l’agriculture. Ces arrêtés couvrent d’une façon plus ou moins exhaustive des groupes d’espèces spécifiques, qui sont pour la plupart bien connus par les naturalistes (ex. : oiseaux, insectes, mammifères, reptiles, amphibiens, mollusques, etc.).

Mi-2025, une dizaine d’arrêtés de protection étaient en vigueur à l’échelle du territoire hexagonal (dont Corse), accompagnés d’une vingtaine d’arrêtés de protection régionaux (très majoritairement liés à la flore) et d’une quinzaine d’arrêtés de protection dans les territoires d’Outre-mer (en dehors des territoires qui disposent de leur propre code de l’environnement). En 2023, l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) estimait qu’environ 4 % de la faune, de la flore et de la fonge connues étaient protégées en France, soit un peu plus de 7200 espèces.

Il est important de noter que toute violation des interdictions prévues par l’article L411-1 peut être punie par le biais d’une sanction financière et d’une peine de prison, au titre de l’article L415-3 du code de l’environnement. Bien que de tels agissements soient parfois difficiles à contrôler, des personnes physiques ou morales sont régulièrement condamnées au titre de la destruction d’espèces protégées.

Ces dérogations qui rendent possible l’atteinte à une espèce protégée

L’article L411 -2 du code de l’environnement prévoit la possibilité de déroger à la protection d’une espèce. Ces dérogations sont notamment sollicitées dans le cadre de projets d’aménagement du territoire, par exemple lorsqu’une espèce protégée est présente sur un site sur lequel un chantier est prévu et que celui-ci menace de lui porter atteinte. Sous le contrôle de l’administration, les porteurs de projet peuvent déroger à la protection de l’espèce seulement à trois conditions :

  • Il n’existe pas de solution alternative satisfaisante ;

  • Le projet ne porte pas atteinte au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;

  • Le projet répond à l’un des cinq motifs établis par l’article L411-2 (motif scientifique, écologique, agricole, sélectif ou pour des raisons impératives d’intérêt public majeur (ci-après RIIPM)).

L’application de l’article L411-2 a été largement précisée par la jurisprudence administrative. Le Conseil d’État a notamment rappelé, dans une décision du 9 octobre 2013, que les trois conditions permettant d’obtenir une dérogation étaient cumulatives ; autrement dit, un projet ne peut y prétendre que s’il satisfait simultanément à chacune d’entre elles.

Le 9 décembre 2022, le Conseil d’État a précisé que la question d’une dérogation se posait dès lors qu’une espèce protégée était présente dans la zone du projet, indépendamment du nombre d’individus ou de l’état de conservation des espèces.

Le même jugement a toutefois ouvert une possibilité particulière : un porteur de projet peut se passer d’une dérogation “dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé”.

Concrètement, il revient aux porteurs de projets, accompagnés par des bureaux d’étude spécialisés en écologie, d’établir si leurs projets vont porter atteinte à des espèces protégées et, le cas échéant, si des mesures d’évitement (ex. : déplacement de l’emprise du projet) ou de réduction (ex. : organisation du chantier dans le temps et dans l’espace) permettent de diminuer le risque pour les espèces. Si ces mesures sont considérées suffisantes, une dérogation n’est alors pas nécessaire.

Autrement dit, évaluer les incidences sur les espèces protégées est devenu un passage obligé pour tout porteur de projet. Mais les récentes interprétations jurisprudentielles interrogent : en assouplissant les conditions d’application, ne risquent-elles pas d’affaiblir un statut qui se voulait pourtant protecteur ? À cet assouplissement viennent s’ajouter de nouvelles atteintes à ce statut.

Trois récentes atteintes au statut d’espèce protégée

Plusieurs lois adoptées en 2025 fragilisent en effet le statut d’espèce protégée. Cette remise en cause s’opère à la fois au niveau des sanctions prévues en cas d’infraction, mais également au niveau des conditions d’obtention de dérogations.

I. Un affaiblissement du régime de sanctions en cas d’infractions

Tout d’abord, la récente loi d’orientation agricole, a affaibli le régime de sanctions associé aux espèces protégées. Son article 31 a modifié l’article L415-3 du code de l’environnement, qui prévoyait des sanctions allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas de violations des interdictions associées au statut d’espèce protégée. Désormais, ces sanctions ne s’appliquent dorénavant que pour les faits commis de manière intentionnelle ou par négligence grave.

Un nouvel article introduit dans le code de l’environnement (L171-7-2), prévoit qu’en dehors de ces cas, seule une amende de 450 euros ou un stage de sensibilisation peuvent être exigés par l’autorité administrative, hors cas de récidive. Au-delà du faible montant, le principal affaiblissement provient de l’introduction d’une notion d’intentionnalité : difficile à établir, elle risque de limiter considérablement la portée du dispositif.

II. Des dérogations simplifiées, au titre de la RIIPM

Remarque

  • Cette section mentionne un texte de loi actuellement en cours d’examen par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Certaines dispositions récentes visent également à faciliter l’obtention d’une dérogation espèce protégée pour certains types de projets, en élargissant les conditions d’application de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Ces évolutions s’inscrivent dans une tendance déjà amorcée : La loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables avait introduit dans le droit le fait que certains projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie dans le système électrique pouvaient répondre à une RIIPM, et le Conseil constitutionnel avait déjà validé en 2025 la possibilité d’accorder cette qualification de manière anticipée pour des projets d’intérêt national majeur.

À noter toutefois : même dans ce cas, les deux autres conditions prévues par l’article L411-2 demeurent nécessaires.

III. Vers une réduction du nombre de projets soumis à une dérogation

La troisième atteinte au statut d’espèce protégée provient de l’article 23 de la loi du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (également appelée loi DDADUE). Cet article ajoute un nouvel alinéa dans le code de l’environnement : une dérogation espèce protégée « n’est pas requise lorsqu’un projet comporte des mesures d’évitement et de réduction présentant des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces” et “lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures ».

Si cette disposition semble au premier abord retranscrire la décision du Conseil d’État du 9 décembre 2022, voire l’encadrer davantage en imposant un suivi, elle pourrait en réalité réduire le nombre de demandes de dérogation espèces protégées. En effet, elle inverse la charge de la preuve : une dérogation n’est désormais plus la règle, mais l’exception, dès lors qu’un dossier est construit avec des garanties d’effectivité jugées suffisantes. Autrement dit, les porteurs de projet peuvent considérer qu’ils échappent d’emblée à la case « dérogation », sans attendre l’interprétation de l’administration.

Une protection de plus en plus fragile

Ces différentes réformes affaiblissent discrètement le statut d’espèce protégée, en rognant à la fois les sanctions, les conditions et les procédures. Le risque est clair : faire glisser ce statut de rempart juridique fort à simple formalité administrative, laissant au juge le soin d’être le dernier recours.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Le statut d’espèce protégée : une coquille qui se vide ? – https://theconversation.com/le-statut-despece-protegee-une-coquille-qui-se-vide-265404

Avec Intervision 2025, la Russie lance son anti-Eurovision

Source: The Conversation – in French – By Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant, Sciences Po

La Russie vient d’organiser à Moscou un concours dont elle veut faire un pendant de l’Eurovision, dont elle a été exclue en 2022. L’idée était de rassembler autour du drapeau du pays organisateur les représentants de nombreux autres États. Derrière le concours proprement dit – remporté par le Vietnamien Duc Phuc –, il y a bien entendu de grands enjeux de communication, le Kremlin espérant développer son soft power.


Ce samedi 20 septembre 2025, le groupe audivisuel russe Kanal 1 a ressuscité le concours de chansons Intervision, qui a été retransmis en direct depuis la Live Arena de Moscou par de nombreuses chaînes de télévision dites « partenaires », issues principalement des pays BRICS et du « Sud global » : Brésil, Inde, Chine, Vietnam, toutes les Républiques d’Asie centrale ou presque…

Survenant à un moment où la guerre contre l’Ukraine se poursuit depuis maintenant plus de trois ans et demi, où l’alliance avec la Chine est particulièrement mise en avant par Moscou, où l’Eurovision s’apprête à célébrer ses 70 ans (en 2026 à Vienne), l’événement n’est ni futile ni dérisoire : tout comme les grandes compétitions sportives, les concours de chants retransmis en direct dans des dizaines de pays pour des dizaines de millions de spectateurs ont acquis un impact géopolitique indéniable.

Conçu comme une réponse directe à l’exclusion de la Russie de l’Eurovision depuis 2022, le concours Intervision retrouve sa vocation historique : dans les années 1960 et 1970, il avait déjà été mis en place par les États du bloc communiste pour faire pièce au concours Eurovision de la chanson dans le contexte de la guerre froide.

Aujourd’hui, cette résurrection s’inscrit dans une stratégie plus ambitieuse de soft power alternatif. Les autorités russes, très investies dans l’annonce, le lancement et l’organisation du concours 2025, n’ont sans doute pas uniquement pour but de réactiver une nouvelle fois la sovietonostalgie qu’elles cultivent depuis plus d’une décennie. Elles entendent, plus largement, souligner une nouvelle fois, en organisant ce rassemblement festif rassemblant les représentants de nombreux pays, que la Russie n’est pas isolée et s’inscrit dans la « majorité mondiale » (selon la formule de l’influent géopolitologue Sergueï Karaganov) face à un Occident présenté comme minoritaire et déclinant.

Pourquoi maintenant ?

Pourquoi relancer cet événement issu de la guerre froide maintenant alors que l’exclusion de l’Eurovision est déjà ancienne (2022) ? Cette temporalité révèle une stratégie mûrement réfléchie qui dépasse la simple réaction à une sanction occidentale. L’annonce répétée de ce projet à moult reprises depuis 2022 témoigne d’une volonté politique profonde de créer une alternative durable à l’ordre culturel occidental.

La Russie de Vladimir Poutine vit depuis plusieurs années une resoviétisation médiatique, mémorielle, et culturelle. Cette mutation idéologique s’est considérablement accélérée après 2014 et l’annexion de la Crimée, puis intensifiée depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.




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De fait, l’histoire originelle de l’Intervision révèle déjà sa nature profondément géopolitique. Né en Tchécoslovaquie (trois éditions de 1965 à 1967), déplacé en Pologne (Sopot) de 1977 à 1980 (avant de disparaître et d’être brièvement repris en 2008 à Sotchi), le concours a fait corps avec l’histoire du bloc de l’Est.

Avant 1991 et la chute de l’URSS, aucun pays du bloc de l’Est n’était membre de l’Union européenne de radiotélévision (UER), l’association organisatrice de l’Eurovision. Cette absence n’était pas accidentelle : elle reflétait l’incompatibilité idéologique fondamentale entre les deux systèmes. Les autorités et les groupes audiovisuels étatiques de l’Europe communiste avaient alors besoin de ce concours Intervision pour célébrer leur propre dynamisme face au « camp impérialiste », mais aussi pour mettre en valeur la diversité nationale et culturelle de l’Europe communiste.

L’histoire mouvementée et intermittente de l’Intervision reflète les dégels et les raidissements de l’URSS. Le concours s’est développé à deux périodes où Moscou se sent hégémonique en Europe centrale, et il a été arrêté par des événements politiques de contestation du communisme soviétique : le Printemps de Prague en 1968 et les grandes grèves de Solidarité en Pologne en 1980.

Aujourd’hui, la Russie essaie de reprendre ce projet en attirant des candidats d’Eurasie (Inde, Chine, Vietnam), d’Amérique (Brésil, Cuba, Colombie), du Moyen-Orient (Qatar, Émirats) et même d’Europe (Biélorussie). Cette approche s’inscrit dans la doctrine géopolitique russe contemporaine du « monde multipolaire », Moscou se présentant comme le champion des nations qui refusent l’alignement sur les valeurs occidentales. Autrement dit, la lutte idéologique, médiatique et culturelle de la Russie avec l’Ouest risque de s’inscrire dans la durée.

Un anti-Eurovision

Dans la géopolitique du soft power, la relance du concours Intervision s’explique également par la volonté de contrer le « Grand Autre » : le concours Eurovision de la chanson, lancé en 1956 et qui a depuis conquis des dizaines de pays et des dizaines de millions de téléspectateurs, y compris en Russie, au Moyen-Orient, au Maghreb et en Asie.

Il est vrai que les outils habituels du soft power russe sont aujourd’hui mal en point à l’Ouest et peu attractifs à l’Est : les athlètes russes sont exclus des Jeux olympiques et des grandes compétitions médiatisées de football, les chaînes de télévision russes diffusant en langue étrangère sont interdites dans plusieurs pays, et les instituts d’apprentissage du russe ne sont pas en essor…




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L’Eurovision est organisée par une association de droit suisse, l’Union européenne de radiodiffusion (UER), née en 1951 dans le contexte de la reconstruction européenne d’après-guerre. Cette association rassemble dès l’origine les groupes audiovisuels publics de l’Ouest de l’Europe, reflétant les valeurs démocratiques et le pluralisme médiatique caractéristiques du camp occidental durant la guerre froide. La seule exception communiste étant alors la Yougoslavie de Tito, dont le non-alignement géopolitique se traduisait également par une ouverture culturelle vers l’Ouest.

Cette structure associative présente une caractéristique fondamentale : les gouvernements ne sont qu’indirectement concernés par le concours Eurovision. Les décisions artistiques, organisationnelles et éditoriales relèvent de la responsabilité des diffuseurs publics membres, créant ainsi une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir politique. De même, le concours Intervision procédait des producteurs audiovisuels étatiques de l’Est, mais n’était pas directement sous la houlette des gouvernements.

Reste que, ces dernières années, l’Eurovision est devenue la bête noire des groupes audiovisuels russes après avoir été fortement investie par eux et avoir fait l’objet de résultats remarquables (la Russie a notamment remporté l’édition 2008 avec une chanson en anglais, « Believe », par Dima Bilan).

Désormais, affirment les médias et les responsables politiques russes, l’Eurovision a été kidnappée par la cause LGBTQ+ – la victoire en 2014 de la drag queen Conchita Wurst a été particulièrement commentée, dans un mélange de sarcasme et de dégoût – et représente l’antithèse des « valeurs traditionnelles » que promeut désormais Moscou.

Le soutien des téléspectateurs et de l’UER aux candidats ukrainiens est un autre facteur irritant pour Moscou. La victoire en 2016 de l’Ukrainienne Jamala avec « 1944 », chanson évoquant la déportation des Tatars de Crimée par Staline, puis le triomphe en 2022 de Kalush Orchestra avec « Stefania », alors que depuis trois mois la Russie avait lancé son invasion du pays, confirment aux yeux de Moscou que l’Eurovision est devenue un outil de soft power occidental dirigé contre la Russie.

Sur ce missile russe photographié en mai 2022 : « Kalusha, comme vous l’avez demandé ! #Direction Azovstal ». Le message fait référence à la demande d’envoyer de l’aide à l’Ukraine, adressée aux Occidentaux par les membres Kalush Orchestra lors de l’Eurovision qu’ils venaient de remporter. Ce missile, et des centaines d’autres, allaient être lancés sur l’usine Azovstal, à Marioupol, où étaient retranchés des milliers de militaires ukrainiens.
Compte X de SPRAVDI — Stratcom Centre

Aujourd’hui, le concours Intervision est directement promu par les autorités politiques : le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est impliqué dans les derniers jours de lancement et le président russe a donné son patronage à l’événement du 20 septembre.

Ainsi, les pouvoirs publics russes signent une inflexion dans la conception du concours : il s’agit d’une scène de prestige pour le Kremlin. Les dirigeants souhaitent démontrer, comme pour les JO d’hiver de Sotchi (2014) ou la Coupe du monde de la FIFA (2018), leur capacité à organiser, aussi bien que les Occidentaux, de grands événements internationaux. La scénographie, les effets spéciaux, le lieu de la compétition auront d’ailleurs été extrêmement soignés : des dizaines de caméras HD ont été mobilisées, la retransmission a été améliorée par IA, etc. Malgré cela, il semble que l’engouement a été très modéré sur les réseaux sociaux, en partie en raison de l’absence de vote des téléspectateurs.

Le laboratoire d’une réorientation du soft power russe

L’Intervision 2025 constitue un véritable laboratoire du redéploiement du soft power russe à l’échelle mondiale. En intégrant des pays des BRICS et du Sud global, la Russie cherche à démontrer qu’elle n’est nullement isolée sur la scène internationale. Comme l’Eurovision, l’Intervision donne la possibilité à chaque pays de s’incarner dans un candidat.

Le message implicite est clair : la Russie conserve sa capacité à organiser et à rayonner à travers des événements d’envergure mondiale, en dépit des sanctions économiques. L’Intervision devient ainsi le symbole d’une Russie qui refuse la marginalisation et revendique sa place sur l’échiquier international.

De plus, l’Intervision 2025 se positionne délibérément comme une alternative idéologique à l’Eurovision et aux valeurs occidentales qu’elle véhicule. La Russie y promeut ouvertement, en valorisant le folklore « authentique », ses « valeurs traditionnelles », présentées comme un contrepoids nécessaire aux « excès » occidentaux : diversité, droits LGBTQ+, provocations artistiques et liberté d’expression créative. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large de différenciation culturelle et morale. Le concours fonctionne comme un miroir inversé de l’Eurovision, valorisant ce que Moscou perçoit comme des dérives occidentales pour mieux légitimer son propre système de valeurs.

Contrairement à l’Eurovision, largement portée par les diffuseurs publics et les industries créatives nationales, l’Intervision relève d’une logique profondément étatique. Le financement public massif, le pilotage direct par le gouvernement russe et l’implication du ministère des affaires étrangères révèlent la nature politique de l’entreprise. Cette différence fondamentale transforme l’Intervision en instrument de diplomatie culturelle. L’État russe ne se contente pas d’accompagner ou de soutenir le projet : il en est l’architecte et le moteur principal. Cette approche verticale et centralisée reflète la conception russe du soft power, conçu comme un prolongement de l’action gouvernementale plutôt que comme l’expression spontanée de la créativité sociale.

Malgré ces ambitions, l’Intervision 2025 se heurte à plusieurs défis majeurs qui questionnent son efficacité réelle. L’attractivité d’un concours étatique demeure incertaine auprès des jeunes publics du monde, qui consomment massivement TikTok, YouTube, Netflix et se passionnent pour la K-Pop sud-coréenne. L’Intervision, qui procède d’une démarche venant d’en haut, orchestrée et politique, ne semble pas à même de séduire une bonne partie de ces générations. Autrement dit, peut-on véritablement fabriquer un soft power par décret présidentiel ? En voulant contrôler et instrumentaliser sa projection culturelle, la Russie risque de compromettre son authenticité et, partant, son efficacité.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Avec Intervision 2025, la Russie lance son anti-Eurovision – https://theconversation.com/avec-intervision-2025-la-russie-lance-son-anti-eurovision-265693

À Montréal, même en doublant les pistes cyclables, les voitures conserveraient 90 % de la chaussée

Source: The Conversation – in French – By Daniel Romm, PhD Candidate, Geography, McGill University

Montréal est souvent considérée comme la ville la plus « favorable au vélo » en Amérique du Nord. Pourtant, nos recherches montrent que seulement 2,3 % de la chaussée est dédiée aux vélos, alors que les voitures occupent les 97,7 % restants de l’espace.

Nous avons mesuré l’espace routier par type d’infrastructure et comparé aux modes de déplacement. Résultat : les vélos représentent 4,9 % des déplacements, contre 95,1 % pour les voitures.

Les propositions de création ou d’extension de pistes cyclables se heurtent souvent à une vive opposition ou à des réactions négatives, dans un phénomène appelé « bikelash », les automobilistes étant réticents à céder de l’espace sur la chaussée.

Pourtant, notre étude révèle que l’espace est tellement biaisé en faveur des voitures qu’on peut doubler les pistes cyclables sans réduire de façon significative l’espace pour les automobilistes.

Après tout, le vélo est incroyablement efficace en termes d’espace. Même si toutes les infrastructures cyclables étaient doublées, les voitures conserveraient toujours au moins 90 % de la chaussée dans tous les arrondissements.

Partager l’espace

Nos recherches présentent plusieurs mesures d’allocation spatiale. La première, et la plus simple est l’espace consacré à une infrastructure de transport spécifique.

Nous avons constaté que 97,7 % de l’espace routier était consacré aux voitures et 2,3 % aux vélos. Lorsque nous avons inclus les trottoirs, 79,6 % de l’espace était occupé par les voitures, 18,8 % par les trottoirs et seulement 1,6 % par les vélos.

Les arrondissements les plus associés au cyclisme ont tendance à consacrer davantage d’espace aux infrastructures cyclables. À Montréal, Le Plateau-Mont-Royal, un quartier considéré comme branché et favorable au vélo, arrive en tête avec 4,7 %.

Proportions allouées

La deuxième mesure que nous utilisons est l’espace par voyageur et par mode de transport.

Dans le Plateau-Mont-Royal, où 21,9 % des trajets se font à vélo, nous constatons que les automobilistes disposent de 3,4 m2 par voyageur, tandis que les cyclistes n’ont que 1,5 m2 par voyageur. Cette mesure permet de comprendre la relation entre l’espace disponible et le nombre de voyageurs par mode de transport.

Nous pouvons également présenter cela comme l’écart entre l’espace alloué aux infrastructures cyclables et la proportion de cyclistes, ce qui illustre les déséquilibres entre infrastructure et pratique réelle dans chaque arrondissement.

Nous avons développé le score d’allocation équitable des infrastructures (EIA) afin de comprendre comment l’espace par voyageur pour un mode de transport se compare à celui d’un autre. Nous avons utilisé l’EIA pour comparer l’espace par cycliste à l’espace par automobiliste : lorsque l’EIA est égal à zéro, les automobilistes et les cyclistes se voient attribuer le même espace par voyageur. Lorsque l’EIA est inférieur à zéro, l’espace est biaisé en faveur de l’automobile.

Grâce à l’EIA, nous avons constaté que neuf des 19 arrondissements de Montréal présentent une inégalité spatiale en faveur des voitures ; Le Plateau a obtenu le pire score, avec -0,55.

Doubler les voies

Ces mesures peuvent également être modélisées pour des changements potentiels d’infrastructure, tels que l’installation d’une nouvelle série de pistes cyclables, afin de mieux communiquer sur l’impact de tels projets sur l’espace.

En avril 2024, le système de vélos en libre-service BIXI de Montréal comptait plus de 11 000 vélos répartis dans 900 stations. Cela représente beaucoup de vélos, mais comme ils sont très peu encombrants, l’espace total utilisé par BIXI à Montréal n’est que de 0,021 km2. Si BIXI doublait le nombre de vélos et de stations, l’espace occupé par les voitures par voyageur diminuerait de 0,003 m2.

Nous avons modélisé ce qui se passerait si nous doublions toutes les infrastructures cyclables à Montréal. Nous avons constaté que l’espace pour les vélos augmenterait de 4,4 m2 par voyageur, tandis que l’espace pour les automobilistes diminuerait de 0,2 m2.

Dans le Plateau, les automobilistes ne perdraient que 0,15 m2 par voyageur, et dans toute la ville, tous les arrondissements sauf deux auraient des scores EIA positifs.

Le déséquilibre actuel de l’espace par voyageur est tellement favorable aux voitures que les projets d’infrastructures cyclables améliorent la situation spatiale des cyclistes dans une bien plus grande mesure qu’ils ne détériorent l’allocation spatiale pour les automobilistes.

Il existe de nombreuses raisons bien établies pour améliorer les infrastructures cyclables et encourager les modes de transport durables, notamment la réduction du nombre de décès liés aux accidents de voiture.

Nos conclusions corroborent cette affirmation, en mettant en évidence une forte corrélation entre l’augmentation des infrastructures cyclables et la diminution du nombre de collisions entre voitures et vélos.

Faire face à l’opposition

Les projets d’infrastructures cyclables se heurtent souvent à une opposition farouche et bien ancrée. Nos recherches fournissent aux urbanistes, décideurs, défenseurs et chercheurs des outils pour évaluer la situation spatiale actuelle et illustrer l’effet de scénarios alternatifs.

Dans notre étude sur les rues de Montréal, nous avons constaté que même avec des améliorations des infrastructures cyclables à une échelle bien plus importante que tout ce qui est proposé aujourd’hui, l’espace routier reste favorable aux voitures.

La Conversation Canada

Daniel Romm reçoit un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH)

ref. À Montréal, même en doublant les pistes cyclables, les voitures conserveraient 90 % de la chaussée – https://theconversation.com/a-montreal-meme-en-doublant-les-pistes-cyclables-les-voitures-conserveraient-90-de-la-chaussee-265541

Microplastiques, grossesse et placenta : ce que nous savons et ce que nous ignorons encore

Source: The Conversation – in French – By Priya Bhide, Clinical Reader Women’s Health Research Unit, Centre for Public Health and Policy, Queen Mary University of London

Les données manquent pour comprendre comment se déplacent les microplastiques dans l’organisme et déterminer s’ils peuvent s’accumuler dans le placenta et le fœtus. alphaspirit.it/Shutterstock

Microplastiques, nanoplastiques… ces déchets plastiques de tailles et de caractéristiques variables s’accumulent dans l’environnement… aussi dans nos organismes. Concernant la femme enceinte, des expériences en laboratoire suggèrent que certains de ces fragments microscopiques seraient susceptibles de traverser le placenta. Mais les données manquent pour évaluer les risques pour le fœtus.


Pendant la grossesse, le placenta représente un lien vital entre la mère et le bébé. Il fournit au fœtus l’oxygène et les nutriments nécessaires, élimine les déchets et agit comme un bouclier partiel contre les substances nocives. Mais cette barrière est loin d’être infranchissable.

Une revue systématique datant de 2023 suggérait que les microplastiques – de minuscules particules de plastique dont la taille est inférieure à cinq millimètres – pourraient passer du sang de la mère au fœtus. Si cette hypothèse se confirme, ses conséquences sur le développement pendant la grossesse et sur la santé à long terme des générations futures seraient majeures.

Les déchets plastiques ne disparaissent pas aisément. Au fil du temps, la lumière du soleil, les conditions environnementales et l’usure mécanique les décomposent en fragments de plus en plus petits, d’abord sous la forme de gros morceaux appelés macroplastiques en passant par les mésoplastiques, puis les microplastiques et éventuellement les nanoplastiques. Ces derniers correspondent à des particules de moins de 100 nanomètres de diamètre, suffisamment petites pour être mesurées à l’échelle moléculaire.

Ces particules proviennent de la dégradation des composants en plastique d’objets du quotidien : polyéthylène des sacs et bouteilles en plastique, polypropylène des récipients alimentaires et des pailles, polystyrène des gobelets et emballages à emporter, polyéthylène téréphtalate (PET) des bouteilles de boissons, ainsi que polychlorure de vinyle (PVC) des tuyaux, des jouets et des vêtements.

Une étude publiée en 2025, qui portait sur des recherches menées sur des animaux, des cellules cultivées en laboratoire et des échantillons de tissus humains, a montré que les microplastiques et les nanoplastiques peuvent traverser la barrière placentaire. Une fois à l’intérieur, ils sont susceptibles de perturber le fonctionnement délicat de l’unité fœto-placentaire – le système combiné du placenta et du fœtus – et ce, de plusieurs façons.

Des études suggèrent que les microplastiques pourraient bloquer ou perturber les voies normales utilisées par les cellules pour communiquer, déclencher la mort cellulaire programmée (apoptose) et provoquer un stress oxydatif, c’est-à-dire une forme de dommage cellulaire qui survient quand des molécules nocives contenant de l’oxygène s’accumulent plus rapidement que le corps ne peut les neutraliser. Certains plastiques pourraient également perturber le système endocrinien qui contrôle la libération d’hormones essentielles à la croissance et au développement.

How to limit your exposure to microplastics (en français : Comment limiter votre exposition aux microplastiques) | BBC Global.

La capacité à traverser la barrière placentaire est une question particulièrement préoccupante car cette barrière agit normalement comme un filtre hautement sélectif, censé protéger le fœtus en développement de nombreuses substances nocives tout en laissant passer les nutriments essentiels et l’oxygène. Si les plastiques étaient en mesure de contourner ces défenses, ils pourraient interférer avec la formation des organes et agir sur la santé à long terme pendant l’une des étapes les plus vulnérables du développement humain.

La manière exacte dont ces particules traversent le placenta n’est pas encore entièrement comprise. Des facteurs tels que la taille des particules, leur poids et leur charge superficielle (la minuscule charge électrique qu’elles transportent) semblent jouer un rôle, tout comme l’environnement biologique dans lequel elles se déplacent.

Des expériences menées sur des modèles placentaires humains ont montré que les particules de polystyrène plus grosses (50 à 500 nanomètres) n’endommageaient pas les cellules placentaires et, dans certains cas, semblaient même améliorer leur survie. En revanche, des particules beaucoup plus petites (20 à 40 nanomètres) provoquaient la mort de certaines cellules et ralentissaient la croissance d’autres.

Les études menées sur des animaux ont donné des résultats mitigés. Dans certaines expériences, la plupart des nanoplastiques sont restés dans le placenta, seule une petite quantité a atteint le fœtus. Dans les études en laboratoire qui avaient recours à des placentas humains, les particules plus grosses étaient généralement piégées, tandis que les plus petites passaient en quantités limitées.

D’autres recherches ont montré que les nanoplastiques pouvaient se déplacer jusque dans les organes fœtaux, notamment dans le cerveau, les poumons, le foie, les reins et le cœur. Même lorsque ces organes semblaient normaux au microscope, les chercheurs ont parfois constaté que des placentas étaient plus petits et de poids à la naissance plus faibles, autant de changements qui peuvent affecter la santé du bébé.

Dans l’ensemble, cela suggère que tous les nanoplastiques ne sont pas dangereux, mais que selon leur taille et leur spécificité, ils peuvent présenter des risques réels pendant la grossesse.

Période critique pour les dommages causés par les microplastiques

Le développement fœtal est un processus finement réglé, durant lequel la croissance, le mouvement et la mort des cellules sont étroitement contrôlés. Cela le rend particulièrement vulnérable aux « agressions » environnementales pendant les périodes critiques du développement. Selon la théorie de la reprogrammation fœtale de Barker, également connue sous le nom d’hypothèse des « origines développementales de la santé et de la maladie », les conditions dans l’utérus pourraient « programmer » le développement des organes, des tissus et du métabolisme du bébé.

Les expositions nocives pendant la grossesse, telles qu’une alimentation trop pauvre, des toxines, du stress ou des polluants type microplastiques, peuvent modifier de façon permanente la formation et le fonctionnement des organes. Ces changements ne provoqueraient pas immédiatement des maladies. Mais ils pourraient augmenter le risque de développer plus tard des pathologies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardiaques.

Si, par exemple, le placenta est endommagé ou si l’apport en nutriments est limité, le fœtus peut s’adapter en donnant la priorité à l’irrigation sanguine du cerveau au détriment des autres organes. Cela peut contribuer à la survie à court terme, mais également entraîner une réduction de la taille des reins, une altération du métabolisme ou des modifications de la structure des vaisseaux sanguins, tous ces évènements ayant des conséquences à long terme sur la santé.

Les microplastiques consommés par le biais de l’alimentation ou de l’eau peuvent également perturber le fragile équilibre microbien de l’intestin, endommager la muqueuse intestinale, nuire à l’absorption des nutriments et modifier la façon dont les graisses et les protéines sont transformées.

Des expériences en laboratoire suggèrent que les nanoparticules de polystyrène pourraient pénétrer dans les embryons, s’accumuler dans plusieurs organes et provoquer des effets tels qu’un ralentissement du rythme cardiaque et une diminution de l’activité, même à très faibles doses. Lorsqu’elles sont inhalées par la mère, ces particules peuvent se déplacer vers le placenta, puis vers le cerveau et le cœur du fœtus.

Il existe également des inquiétudes quant aux effets potentiels sur le cerveau en développement. Certaines études indiquent que les microplastiques sont susceptibles de s’accumuler dans des régions essentielles à l’apprentissage, à la mémoire et au comportement, notamment le cervelet, l’hippocampe et le cortex préfrontal. Elles pourraient ensuite causer des dommages oxydatifs, modifier les niveaux de neurotransmetteurs présents (les messagers chimiques du cerveau) et désactiver certains gènes nécessaires au développement normal du cerveau.

Chez les animaux, l’exposition prénatale aux microplastiques est associée à des comportements de type anxieux, à des troubles de l’apprentissage, à des schémas anormaux de croissance des cellules nerveuses, à un amincissement du tissu cérébral ainsi qu’ à une perturbation des connexions entre neurones.

Lacunes dans les connaissances

Malgré ces signaux inquiétants, il reste encore beaucoup à découvrir. La recherche dans ce domaine est entravée par le fait que la plupart des études sont menées sur des animaux ou dans des conditions de laboratoire contrôlées. Peu de données proviennent directement de femmes enceintes.

Nous ne comprenons toujours pas de manière précise comment les microplastiques se déplacent dans l’organisme, dans quelle mesure ils peuvent s’accumuler dans le placenta et dans le fœtus, ni avec quelle facilité ils peuvent être éliminés.

Il est clair que des recherches supplémentaires sont nécessaires et ce, de toute urgence. Comprendre si, oui ou non, les microplastiques constituent une menace réelle pour la santé reproductive et le développement fœtal pourrait aider à élaborer des politiques dédiées à la production, à la consommation et à l’élimination des plastiques, aussi à éclairer les conseils à prodiguer aux femmes pendant leur grossesse.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Microplastiques, grossesse et placenta : ce que nous savons et ce que nous ignorons encore – https://theconversation.com/microplastiques-grossesse-et-placenta-ce-que-nous-savons-et-ce-que-nous-ignorons-encore-264602

Le supermarché, source d’inspiration pour la littérature contemporaine

Source: The Conversation – in French – By Clémentin Rachet, Architecte, chercheur (laboratoire CRENAU), Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes

Chez Annie Ernaux ou chez Michel Houellebecq, le supermarché est à l’honneur. Carlo Martin Alcordo/Pexels, CC BY

Alors que les commerces quittent progressivement les centres-villes, écrivaines et écrivains semblent fascinés par les supermarchés. À chaque extrêmité de l’échiquier politique, d’Annie Ernaux à Michel Houellebecq, la littérature contemporaine leur voue un culte surprenant. Comment expliquer cet intérêt soudain, et visiblement consensuel, pour ces lieux du quotidien ?


Le supermarché en particulier, et les espaces de consommation en général, attisent depuis l’avènement de la société de consommation les regards les plus acerbes et les désirs les plus inavoués. Alors que Françoise Sagan inaugurait l’ouverture du premier hypermarché de France en 1963, écrivaines et écrivains contemporains ne s’y sont visiblement pas trompés et investissent dûment, au sein de leurs romans, l’ensemble des « temples » de la consommation moderne.

Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour, version poche.
Folio

Le supermarché (ou l’hypermarché) est, en effet, progressivement devenu digne d’intérêt. Annie Ernaux y consacre même un livre en 2014 – journal intime à l’hypermarché Auchan du centre commercial des Trois-Fontaines, à Cergy (Essonne) – sur la couverture duquel (dans sa version poche) trône un caddie orange. Le début de Regarde les lumières mon amour (2014) prend des allures de revendication, voire de slogan manifeste. Dès les premières pages, l’écrivaine y explique les raisons de son entreprise :

« Pour raconter la vie, la nôtre, aujourd’hui, c’est donc sans hésiter que j’ai choisi comme objet les hypermarchés. J’y ai vu l’occasion de rendre compte d’une pratique réelle de leur fréquentation, loin des discours convenus souvent teintés d’aversion que ces prétendus non-lieux suscitent et qui ne correspondent en rien à l’expérience que j’en ai. »

Rappelons que le sociologue Marc Augé a précisément fait des espaces de la consommation l’un des trois piliers de ses « non-lieux empiriques », aux côtés des espaces de circulation et de communication. Si Ernaux semble douter d’une telle affectation et vouloir désamorcer, loin des discours dépréciateurs et moralisateurs, les effets répulsifs qui l’accompagnent habituellement, c’est que le super/hyper symbolise de nombreux paradoxes : à la fois attractif et repoussant, dénigré et massivement fréquenté, il est définitivement ambigu.

Il faut dire que nous passons un temps non négligeable dans les supermarchés. Pour l’écrivaine, ils méritent de fait la plus grande attention de la part de celles et ceux chargés d’en fabriquer les représentations :

« Nous choisissons nos objets et nos lieux de mémoire ou plutôt l’air du temps décide de ce dont il vaut la peine qu’on se souvienne. Les écrivains, les artistes, les cinéastes participent de l’élaboration de cette mémoire. Les hypermarchés, fréquentés grosso modo cinquante fois l’an par la majorité des gens depuis une quarantaine d’années en France, commencent seulement à figurer parmi les lieux dignes de représentation. »

L’esthétisation du supermarché

Si cette dignité apparaît comme circonstancielle – le modèle de la grande distribution qui date des années 1960, est relativement récent –, gageons qu’elle perdure. Car les enseignes commerciales tâchent continuellement de réinventer leur offre, aussi conscientes que l’autrice de l’importance qu’elles occupent depuis soixante ans dans notre quotidien.

Si les centres-villes se vident de leurs commerces dans la plupart des villes intermédiaires, perdant ainsi des lieux de sociabilité qui faisaient le sel de l’expérience urbaine, c’est que les centres commerciaux s’exposent comme un « centre-ville d’un nouveau genre », en accueillant, au-delà d’une offre commerciale défiant toute concurrence, des programmes urbains, des cinémas ou des cafés notamment. Les hyper/super et les centres commerciaux sont-ils devenus le « bistrot de la France périurbaine » ? Toutes les études convergent : on compte un hypermarché, en France, tous les vingt kilomètres en moyenne. En quittant sciemment la centralité, voilà qu’il l’aurait définitivement remplacée.

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994), version poche.
J’ai lu.

Rares sont donc les lieux que l’on fréquente aussi régulièrement qu’un supermarché. Michel Houellebecq ne cesse de le démontrer depuis la publication de ses premiers textes, à l’orée des années 1990. Dans sa poésie ou dans ses essais, le supermarché occupe une place de choix. Le poème « Hypermarché, Novembre », qui ouvre le recueil la Poursuite du bonheur (1991) – et donc, d’une certaine manière, l’entrée en littérature de Houellebecq – devance même la sortie du premier roman de l’auteur, Extension du domaine de la lutte (1994), dont la couverture du format poche présente une enfilade de caddies sur fond blanc. D’une certaine manière, chez Houellebecq, le supermarché anticipe le roman.

Dans sa géographie éclatée des supermarchés, de Limoges à Paris en passant par la Normandie ou l’Espagne, l’écrivain n’oublie jamais de signifier à quel point les supermarchés demeurent les seuls territoires capables d’émerveiller des personnages à qui l’espace urbain ne procure qu’angoisse ou désolation :

« Un hypermarché Casino, une station-service Shell demeuraient les seuls centres d’énergie perceptibles, les seules propositions sociales susceptibles de provoquer le désir, le bonheur, la joie. »

Si Ernaux et Houellebecq apparaissent comme les figures de proue de cette entreprise d’esthétisation du supermarché, leurs consœurs et leurs confrères ne sont pas en reste : de Laurent Mauviginer dans Ce que j’appelle oubli (2011) à Marie-Hélène Lafon dans Nos vies (2017), en passant par Célestin de Meeûs et sa Mythologie du .12 (2024), ou, de l’autre côté de l’Atlantique, par Bret  Easton Ellis chez qui « la consommation et le paraître sont présentés comme l’éthos de l’Amérique riche et blanche », les supermarchés revêtent des imaginaires et des représentations riches et variés dans la littérature contemporaine. Les personnages y projettent des ersatz de domesticité.

En estompant sciemment les limites entre les activités domestiques et la consommation de masse, auteurs et autrices expriment les relations, mouvantes, qui opèrent entre les individus et nos lieux de consommation ordinaire.

Temples de la consommation

Le supermarché rassemble ; il crée du consensus. Il reste respectivement perçu chez Houellebecq et chez Ernaux comme « émerveillement du monde » et comme « grand rendez-vous de l’humain ». Le supermarché frise donc avec le métaphysique, voire le mystique. Au narrateur de Sérotonine (2019) de déclarer :

« Je n’avais jamais, à mon âge, mis les pieds dans un centre Leclerc. Je fus ébloui. »

L’éblouissement confine au religieux.

Et comme il en est d’usage dans les églises, Annie Ernaux se demande dans Regarde les lumières mon amour s’il est autorisé de photographier l’intérieur des lieux. L’autrice questionne, en creux, leur inintérêt architectural.

La littérature n’est du reste pas la seule à s’éprendre du supermarché. On connaît notamment l’affection que lui porte le photographe anglais Martin Parr :

« Les photographes de Magnum partent en croisade photographier la famine et la faim […], en ce qui me concerne je vais au supermarché du coin, c’est ma ligne de front. »

Si le champ de la création s’y intéresse de manière exponentielle, le super/hyper tarde à opérer une mue significative dans l’imaginaire collectif, encore associé à un rituel hebdomadaire ou quotidien au mieux déprimant, au pire anxiogène, sous les néons blafards et les musiques de fond des grandes enseignes commerciales génériques.

Généralement construits sans ambition créative, selon des modèles reproductibles, les super/hyper n’ont pas meilleure presse chez les architectes. Ils sont même à l’origine d’une expression devenue courante. La fameuse « esthétique de supermarché » que certains se plaisent à employer à l’envi pour désigner la pauvreté d’un paysage ou d’un bâtiment, renvoyant dès que possible les super/hyper à la laideur dont ils souffrent déjà dans nos représentations courantes. Mais, à en croire les écrivaines et les écrivains, la fascination prend plutôt racine ailleurs : dans la simplicité réconfortante d’un programme quotidien, utopie du proche et du familier. Dans un monde globalisé, le supermarché représente visiblement l’un des derniers refuges de sociabilité et l’illusoire espoir d’un possible foyer.


Cet article est publié dans le cadre de la série « Regards croisés : culture, recherche et société », publiée avec le soutien de la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la culture.

The Conversation

Clémentin Rachet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le supermarché, source d’inspiration pour la littérature contemporaine – https://theconversation.com/le-supermarche-source-dinspiration-pour-la-litterature-contemporaine-263576

How users can make their AI companions feel real – from picking personality traits to creating fan art

Source: The Conversation – France (in French) – By Alisa Minina Jeunemaître, Associate Professor of Marketing, EM Lyon Business School

Just a few years ago, the idea of someone marrying their AI chatbot might have sounded like the plot of a film. Today, it is no longer just an idea. In July 2025, an article in The Guardian featured people who describe their relationships with chatbots as deeply meaningful, including a man who “married” his AI beloved “in a digital ceremony”. Later that month, a piece in GQ explored how AI girlfriends are reshaping the way men express vulnerability and emotional need. These examples reflect a broader shift in how people relate to technology. In a world where media outlets and government bodies warn of an “epidemic of loneliness”, and long-term relationships face increasing strain, the rise of AI companions points to our growing willingness to treat non-human entities as emotionally significant partners.

Social science researchers have long been interested in companionship, which is rooted in mutual affection, shared interests, a desire to spend time together, and, especially, intimacy and personal fulfilment. As digital technologies advance, these qualities are no longer found exclusively in human-to-human relationships. The emergence of AI companions suggests that similar bonds can form with entities that exist only in software, which led our research team to investigate how intimacy is created, sustained and experienced in human-AI relationships.

Emotionally meaningful human-AI relationships

Creators of AI companion apps such as Replika, Nomi.AI or Character.AI often market their chatbots in ways that humanise them, emphasising that qualities they present are “better” than those of human partners. For instance, Luka Inc., the creator of Replika, markets its product as “the AI companion who cares. Always here to listen and talk. Always on your side.” This language stresses Replika chatbots’ constant availability and support. Indeed, AI companions do not get tired or annoyed, and they are designed to make users feel close to them. Users can choose their chatbot’s name, gender, appearance and personality traits. Over time, the chatbot adapts to the user’s conversational style and preferences, while shared memories built from their conversations inform future interactions.

As our research shows, these choices and adaptations are highly effective at making AI companions feel real. We observed that consumer relationships with AI companions often involved elements of care: not only did the companions provide emotional support, but users also worried about their companions missing them or feeling neglected if they didn’t log in for a while. Some of these relationships also included shared routines and even a sense of loss when an AI “partner” disappeared or changed. One user wrote in a Google Store review that his Replika chatbot made him feel loved, while another described losing access to romantic features as “like a breakup”. These feelings and reactions may sound extreme until we consider how people use creativity and storytelling to “animate” their AI companions.

How a chatbot becomes ‘someone’

To understand how human-AI relationships take shape, we analysed more than 1,400 user reviews of AI companion apps, observed online communities where people discussed their experiences, and conducted our own autoethnography by interacting with chatbots such as Replika’s and recording our reflections. We followed strict ethical guidelines, using only publicly available data and removing all personal details.

We found that consumers engaged in a deliberate and creative process to make relationships with AI companions feel real. To explain this process, we referred to Cultural-Historical Activity Theory, a framework originally developed by Russian psychologists Lev Vygotsky and Alexei Leontiev, which sees imagination as a socially shaped mental function linking inner experiences with cultural tools and social processes.

Our analysis suggests that what we observe as AI humanisation can be understood through the lens of what we call consumer imagination work – an active and creative process where people draw on personal experiences, cultural narratives and shared exchanges to animate AI companions, gradually shaping them into figures that feel human-like. This imagination work can occur in personal interactions between a consumer and a chatbot, or in online communities, where consumers interact with each other and share their experiences and stories of the relationships they build with their AI companions.

On the individual level, imagination work begins with internalisation, where users attribute human-like roles or even sentience to their AI companions. It continues through externalisation, which can include personalising the companion’s features, writing shared stories, creating fan art, or producing photographs in which the companion appears as part of a user’s daily life. A user can thus imagine their chatbot as a spouse with shared routines and history. Some users in online communities describe raising virtual children, who come into being only when they are imagined.

These human-AI bonds may form privately, or they may also form in the communities, where users seek advice and validate each other’s experiences. A user might write “my AI cheated on me” and receive both empathy and reminders that the chatbot is reflecting programmed patterns. This is part of what we call community mediation, the social scaffolding that supports and sustains these relationships. Community members offer guidance, create shared narratives and help balance fantasy with reality checks.

The various attachments that users form to their AI companions can be genuine. When Replika removed its erotic role-play feature in 2024, users filled forums with messages of grief and anger. Some described feeling abandoned, others saw it as censorship. When the feature returned, posts appeared saying things like “it is nice to have my wife back”. These reactions suggest that, for many, relationships with AI consist of deeply felt connections, and do not exist as mere entertainment.

What does this mean for human-to-human connection?

Polish-British sociologist Zygmunt Bauman described the modern era as one in which relationships become increasingly fragile and flexible, constantly negotiated rather than given. AI companionship fits within this broader shift. It offers a highly customisable experience of connection. And unlike human relationships, it doesn’t require compromise or confrontation. In this way, it reflects what French-Israeli sociologist Eva Illouz calls emotional capitalism, or the merging of market logic and personal life.

But there are also risks to these customized experiences. App features that may enable deeper emotional bonds with a chatbot are often hidden behind subscription paywalls. Software updates can change a chatbot’s “personality” overnight. And as AI becomes more responsive, users may increasingly forget that they are interacting not with a person, but with code shaped by algorithms, and often, commercial incentives.

When someone says they are in love with their AI companion, it is easy to dismiss the statement as fantasy. Our research suggests that the feeling can be genuine, even if the object of affection is not, and it also suggests that the human imagination has the capacity to transform a tool into a partner.

This invites reflection on whether AI companions are emerging to replace human connection or to reshape it. It also raises ethical considerations about what it means when intimacy becomes a service, and where boundaries should be drawn, at a time when artificial others are becoming part of our social and emotional landscapes.


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The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. How users can make their AI companions feel real – from picking personality traits to creating fan art – https://theconversation.com/how-users-can-make-their-ai-companions-feel-real-from-picking-personality-traits-to-creating-fan-art-265442

France Inter et France Télévisions sont-ils de gauche, comme les en accusent CNews et les médias Bolloré ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By François Jost, Professeur émérite en sciences de l’information et de la communication, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3

Les journalistes du service public Patrick Cohen et Thomas Legrand en rendez-vous avec des responsables du Parti socialiste. Image tirée d’une vidéo publiée par le journal d’extrême droite _l’Incorrect_. capture d’écran

Après l’enregistrement de deux journalistes du service public, Patrick Cohen et Thomas Legrand, lors d’un rendez-vous avec des responsables du Parti socialiste, l’audiovisuel public est sous le feu des médias de Vincent Bolloré qui l’accusent de partialité et de sympathies de gauche. Ces critiques, qui visent plus particulièrement France Télévisions et France Inter, sont-elles fondées ? Entretien avec le chercheur François Jost.


The Conversation : Le service public est attaqué pour son supposé manque d’impartialité, à la suite de l’affaire Legrand-Cohen. Pouvez-vous nous rappeler l’évolution historique de ce débat relatif au pluralisme et à l’impartialité dans les médias audiovisuels ?

François Jost : Jusque dans les années 1970, l’opposition est quasiment interdite d’antenne à la télévision. Le pluralisme n’existe pas. C’est pour lutter contre cet état de fait qu’en 1982, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, la loi sur la communication audiovisuelle inscrit dans son texte la nécessité d’un « pluralisme de l’information ». L’arrivée de la droite au pouvoir ne le remet pas en cause, et va plus loin avec la loi de 1986 qui exige des garanties d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme des courants de pensée. Chose très importante : ces obligations s’imposent à toutes les chaînes en sorte qu’il doit y avoir un pluralisme interne. Aucune chaîne ne peut représenter un seul courant de pensée.

Avec l’arrivée du numérique, les chaînes se sont multipliées. En 2016, Vincent Bolloré a acheté i-Télé, et une grève d’un mois s’est soldée par le départ d’une centaine de journalistes. Rebaptisée CNews, i-Télé devient une chaîne d’opinion qui privilégie les commentaires sur les faits et les débats en studio plutôt qu’une information de terrain.

Considérant que l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) ne remplit pas bien son rôle, l’ONG Reporter sans frontières fait un recourt devant le Conseil d’État en 2022 et me demande, dans ce cadre, d’examiner dans quelle mesure CNews est une chaîne d’opinion. J’analyse, de façon très classique dans ce genre d’étude, les programmes, les thèmes, le rôle des animateurs, les invités que je compare avec la principale concurrente, BFM. Je montre alors que la stratégie de CNews est de recevoir quelques politiques encartés, mais surtout de donner une place très importante à des chroniqueurs engagés à droite ou à l’extrême droite.

C’est une stratégie habile car, à l’époque, l’Arcom décomptait uniquement le temps d’antenne des politiques encartés et pas des journalistes. Cela permettait à la chaîne de pencher à droite sans que cela apparaisse dans les calculs des temps d’antenne.

Est-ce que le service public a joué le jeu du pluralisme depuis les règles l’imposant à l’audiovisuel ?

F. J. : Dans son rapport de 2024, l’Arcom notait que « conformément à ses missions de service public, le groupe propose une offre d’information riche, diversifiée et pluraliste ». En ce qui concerne Radio France, l’Arcom a relevé, en 2023, des sous-représentations persistantes du Rassemblement national (RN), de Renaissance, de La France insoumise (LFI) et de Reconquête – sous-représentations qui ont été partiellement améliorées depuis.

En réalité, mesurer le pluralisme n’est pas simple. Le pluralisme se définit par la diversité des opinions et des tendances en présence, et pas seulement par une comptabilité. La question n’est pas uniquement de savoir qui est invité dans une émission, mais quel point de vue est exprimé. Dans son rapport de 2024, l’Arcom souligne, par exemple, à propos de CNews, « qu’en dépit notamment de la variété des thématiques abordées et de la diversité des intervenants, de nombreux sujets, tels que les violences commises contre les forces de l’ordre, le fonctionnement de la justice ou les effets de l’immigration sur le fonctionnement de notre société, apparaissaient traités de manière univoque, les points de vue divergents demeurant très ponctuels ».

Pour évaluer le pluralisme, il faut donc aussi une approche qualitative : analyser les discours des journalistes, des invités, des humoristes, etc. Quand Pascal Praud émet l’hypothèse que les punaises ont été apportées par les immigrés, on peut le classer à droite. Cela lui a valu une sanction de l’Arcom.

Lorsque vous avez sur CNews, dans « L’heure des pros », des chroniqueurs comme Charlotte d’Ornellas (JDD), Alexandre Devecchio (le Figaro), Georges Fenech (ancien député de l’UMP) et aucun chroniqueur de gauche, on cherche où est le pluralisme…

Sur France Inter, cette situation n’existe pas. Dans la matinale il y a des débats contradictoires. Certes Thomas Legrand a une sensibilité de gauche, il écrit dans Libération, mais Dominique Seux est un libéral qui écrit dans les Échos. Ce qui amène certains à penser que France Inter est de gauche, c’est que les journalistes ont une culture commune que j’appellerais humaniste et qui, en fait, peut être partagée par des personnes de gauche comme de droite. Reste que, pour certains médias de droite ou d’extrême droite, les valeurs humanistes fondamentales – respect des droits humains, égalité de tous devant la loi – ou même la défense de l’environnement vous classent immédiatement à gauche.

Notons enfin que si le pluralisme au sein d’une chaîne n’est pas toujours évident à mesurer, il est en revanche facile d’établir une sociologie des auditeurs et des téléspectateurs, cela est éclairant. Une étude de Julien Labarre montre que, sur une échelle gauche-droite, allant de 0 à 10, les spectateurs du service public se situent entre 5 et 5,2, au même niveau que le Français moyen qui se situe à 5,3. Les spectateurs de CNews sont, eux, les plus à droite et les plus homogènes en matière de préférence politique. Leur score oscille entre 6,5 pour ceux qui regardent la chaîne une fois par semaine et 7,5 pour ceux qui regardent plusieurs fois par semaine.

L’affaire Legrand-Cohen prouve-t-elle une connivence de certains journalistes de l’audiovisuel public avec la gauche ?

F. J. : Enregistrer une conversation privée à l’insu des intéressés, tronquer un extrait et le rendre public, ce sont des méthodes déloyales condamnées par la Charte de déontologie des journalistes, dite charte de Munich. Je ne comprends pas que l’on puisse échafauder une accusation à partir de ce type de preuves. Notons que l’image de cette conversation est prise à distance, ce qui montre que la personne qui l’a enregistrée s’est immiscée dans cette conversation à l’insu de ses participants. C’est la méthode qui est grave. Sur le fond, que Thomas Legrand soit de gauche n’est pas une découverte. Personnellement, je trouve très positif que l’on connaisse la tendance politique d’un journaliste : cela permet à l’auditeur de moduler ses propos. Il est beaucoup plus gênant que les journalistes s’avancent masqués sans que l’on sache qui ils sont. Concernant Patrick Cohen, je constate qu’il fait son travail de journaliste de façon pondérée, en se montrant critique en général. Je ne pense pas que l’on puisse lui reprocher quoi que ce soit.

Comment interpréter la mise à l’écart de Thomas Legrand décidée par la direction de France Inter ?

F. J. : J’ai été très étonné par la violence de cette mise à l’écart. Il me semble que la direction aurait pu assumer la présence d’un chroniqueur de gauche et répondre qu’il y avait aussi des gens de droite sur France Inter. Mais je suppose que cette direction a voulu se protéger dans un moment de vulnérabilité, alors que la loi Dati est dans les cartons et qu’elle vise à fusionner les différentes entités du service public. C’est un geste pour calmer les détracteurs du service public en leur disant « Vous voyez, on n’est pas de gauche » !

L’offensive ne vient pas uniquement des médias de droite privés, elle vient aussi de certains responsables politiques…

F. J. : Effectivement, à son arrivée au ministère de la culture, Rachida Dati a déclaré au JDD : « Le service public doit respecter toutes les opinions », laissant entendre que ce n’était pas le cas. Sa proposition de loi qui vise la fusion de plusieurs entités de l’audiovisuel public n’est sûrement pas une garantie de pluralisme. Le patron de la future entité unique sera-t-il indépendant ou inféodé au pouvoir ? C’est l’un des enjeux majeurs de cette réforme – outre l’objectif de faire des économies budgétaires. Je rappelle aussi que le RN, qui n’est pas loin d’accéder au pouvoir, veut tout simplement supprimer l’audiovisuel public en le privatisant.

L’Arcom vient de déclencher une enquête sur l’impartialité de l’audiovisuel public. Est-ce une démarche légitime et utile ?

F. J. : L’Arcom est dans son rôle. La question, c’est : Quels sont les indicateurs pour mesurer le pluralisme ? D’un point de vue méthodologique, comme je l’ai dit, il n’est pas simple de le mesurer. Au-delà de la mesure du temps d’antenne des politiques, il faut prendre en compte, non seulement qui est invité, mais aussi les animateurs, les humoristes, etc. Et surtout les discours tenus – ce que peuvent étudier des analystes de discours et des sémiologues.

Nous verrons les résultats de cette enquête concernant le service public. Mais ce qui est déjà établi, ce sont les nombreux manquements de Cnews. L’Arcom a déjà sanctionné cette chaîne pour « propos inexacts et manque de rigueur dans deux émissions », notamment en présentant l’avortement comme la première cause de mortalité mondiale, sans contradiction ni vérification. L’Arcom, qui n’a pas renouvelé la licence de C8 n’est certes pas allé aussi loin pour CNews. Il me semble que cela est lié à une mauvaise conception de la liberté d’expression, Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (de janvier 2022 à février 2025), ayant déclaré devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, qu’interdire une chaîne, c’était mettre en cause la liberté d’expression.

Estimez-vous l’audiovisuel public en danger ?

F. J. : Ces attaques contre le service public relatives au pluralisme par des médias qui ne le respectent pas du tout en dit long sur l’état du débat dans notre pays. Les médias Bolloré réussissent à imposer leur narratif. On se retrouve à devoir défendre des médias pondérés accusés par des médias politisés et qui ne respectent aucune règle.

La présidente de France Télévisions Delphine Ernotte a raison de rappeler l’engagement politique de ces médias. Ce sont eux qui sont coupables d’infractions à la loi, pas le service public. La chercheuse Claire Sécail a bien montré que C8 et Cyril Hanouna véhiculaient des opinions d’extrême droite. Pour ma part, j’ai montré que des opinions de droite et d’extrême droite s’expriment dans les médias de Vincent Bolloré.

Ce qui est inquiétant aussi, c’est de voir que ces médias utilisent la stratégie du complotisme, avec en sous-texte la haine des élites incitant le contribuable à se révolter. Cela est illustré par la couverture du JDNews du mercredi 18 septembre, titrant « Ils donnent des leçons et complotent avec la gauche… avec vos impôts », sous la photographie de Patrick Cohen.

Aujourd’hui, le danger est évident et, pourtant, je vois peu d’intellectuels ou de politiques attachés au véritable pluralisme et à la qualité de l’information monter au créneau pour défendre un service public apprécié des Français (France Inter est la première radio de France.

The Conversation

François Jost ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. France Inter et France Télévisions sont-ils de gauche, comme les en accusent CNews et les médias Bolloré ? – https://theconversation.com/france-inter-et-france-televisions-sont-ils-de-gauche-comme-les-en-accusent-cnews-et-les-medias-bollore-265689

Jusqu’où peut aller l’espionnage des télétravailleurs ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Caroline Diard, Professeur associé – Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education

Dans son rapport 2023, plus de 1 000 plaintes ont été déposées à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) concernant des systèmes de vidéoprotection ou de vidéosurveillance mis en place sans information adéquate ni respect de la vie privée des personnes concernées. Mike_Shots/Shutterstock

Le contrat de travail donne à l’employeur un pouvoir de direction, incluant le contrôle des tâches effectuées en contrepartie d’une rémunération. Mais peut-on vraiment surveiller les télétravailleurs à leur insu ?


La généralisation du télétravail a modifié le lieu d’exercice du travail – en mode nomade, à domicile, en tiers-lieu – et provoqué une imbrication des temps et espaces de vie.

La banque états-unienne Wells Fargo a licencié une dizaine de collaborateurs au motif que ses salariés utilisaient un simulateur de mouvement de souris pour contrer le logiciel installé par leur employeur pour contrôler leur activité. Le géant bancaire brésilien Itaú a, quant à lui, tranché la question de la productivité de ses salariés en télétravail de façon radicale avec le licenciement de 1 000 salariés.

Ces deux affaires très médiatisées interrogent sur la possibilité de surveiller les salariés en télétravail et sur le droit à la preuve.

Alors que certains outils technologiques, comme les webcams, sont régulièrement convoqués dans l’espace personnel, créant l’opportunité d’un « espionnage » des télétravailleurs, peut-on vraiment surveiller ces derniers à leur insu ? Quelles limites sont posées par la réglementation et la jurisprudence récente ? Quels sont les facteurs d’acceptabilité sociale et éthique de ces technologies ?

La notion de contrôle, largement évoquée dans la littérature académique, est inhérente à toute situation professionnelle. Grâce à une étude qualitative dans le secteur bancaire, nos travaux ont permis de conclure au renforcement de plusieurs formes de contrôle en télétravail : par les comportements, les résultats, les inputs (ou, intrants) et la technologie.

Ce que dit le droit

Le contrôle est un concept juridique encadré, en droit français.

Le salariat implique l’existence d’un contrat de travail et d’un lien de subordination. Il confère à l’employeur un pouvoir de direction qui inclut le contrôle des tâches effectuées en contrepartie d’une rémunération. En vertu de ce pouvoir de direction, il est possible de déployer des dispositifs de contrôle.

L’entreprise peut mettre en place un système de contrôle des horaires ou un système de vidéoprotection dans les locaux de l’entreprise. Les conditions : respecter les contraintes réglementaires et ne pas utiliser le dispositif pour contrôler le salarié sans information préalable.

Surveillance ponctuelle

Toute surveillance doit rester ponctuelle, justifiée par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché, comme le précise le Code du travail. L’article L. 1121-1 du code du travail précise :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Selon l’article L. 1222-4, aucune information personnelle concernant un salarié ne peut être collectée sans que ce dernier en ait été informé au préalable.

L’utilisation de ces dispositifs de contrôle doit faire l’objet d’une consultation des représentants du personnel. La surveillance au travail nécessite de traiter des données personnelles à des fins diverses, dont certaines peuvent présenter des risques pour les droits et libertés, comme le respect du droit à l’image ou le secret de la correspondance.

Mille plaintes déposées

La mise en place de technologies de contrôle sur le lieu de travail est autorisée à condition de respecter les libertés individuelles et la vie privée des collaborateurs. L’installation d’un tel dispositif ne doit pas conduire à une mise sous surveillance généralisée et permanente du personnel, selon la délibération n°2014-307 du 17 juillet 2014 de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), décision du Conseil d’État du 18 novembre 2015.




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La Cnil rappelle régulièrement le droit au respect de la vie privée des salariés au travail en matière de vidéoprotection. Dans son rapport 2023, plus de 1 000 plaintes ont été déposées concernant des systèmes de vidéoprotection ou de vidéosurveillance, mis en place sans information adéquate ni respect de la vie privée des personnes concernées.

Activation des caméras en visioconférence

Concernant l’activation des caméras en visioconférences, la Cnil indiquait dès mars 2020, soit durant le premier confinement, sur son site :

« Lorsqu’il n’est pas possible ou souhaitable de recourir à un dispositif de floutage, l’employeur ne peut pas imposer systématiquement l’activation de leur caméra aux salariés en télétravail qui participent à des visioconférences. Son activation doit donc en principe être laissée à l’appréciation des salariés dans la mesure où, dans la plupart des cas, une participation via le micro est suffisante. »

Il était de jurisprudence constante depuis l’arrêt Néocel (Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43120), il y a trente ans, de considérer irrecevables les preuves déloyales (surveillance à l’insu des salariés). La cour de cassation considérait jusqu’alors que le salarié soumis à une surveillance constante et que les enregistrements issus de dispositifs clandestins étaient attentatoires à la vie personnelle du salarié et disproportionnés. Ces dispositifs n’étaient pas opposables au salarié.

Droit de la preuve

La cour de cassation vient d’opérer un important revirement de jurisprudence. Elle a récemment rendu plusieurs arrêts remarqués concernant la surveillance au travail qui ne manquent pas d’inquiéter.

Elle invite le juge à évaluer si une preuve même déloyale est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et si l’atteinte à l’équité du procès ou aux droits des parties demeure proportionnée.

« Le licenciement pour faute grave d’une salariée fondée sur le visionnage d’une vidéosurveillance de sécurité est justifié malgré la clandestinité du procédé dès lors que cette preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi »,

précise l’arrêt n° 22-23.073 du 14 février 2024. Dans un nouvel arrêt n° 23-22.216 du 22 janvier 2025, la cour de cassation se prononce à nouveau sur la recevabilité comme preuve des données d’un logiciel de gestion des appels. Les salariés n’ayant pas été informés de son utilisation comme outil de surveillance, elle admet que les données du logiciel servent le licenciement pour faute.

Ce revirement pourrait susciter des débats concernant le contrôle, notamment par les webcams en situation de télétravail. Un tel dispositif pourrait permettre de constituer une preuve recevable justifiant un licenciement pour faute à condition que l’objectif soit proportionné.

Intériorisation de la surveillance

À l’opposé du contrôle hiérarchique classique, qui se manifeste principalement dans l’espace physique de l’entreprise, l’autodiscipline et l’autocontrôle propres à l’hybridation viennent s’ajouter à une surveillance électronique potentielle, comparable à un dispositif panoptique. Cette image illustre un mécanisme d’intériorisation de la surveillance. Se sentant de façon constante potentiellement observé, le télétravailleur est incité à respecter les attentes et les règles du collectif.

La mise en place d’un système de contrôle ne peut être envisagée en dehors de son contexte social, parce qu’il est imposé par un règlement, ou une norme liée au métier ou à l’activité. C’est le cas du « reporting » pour des activités commerciales, des caméras dans les banques et aux caisses des supermarchés, de la géolocalisation des livreurs.

L’influence sociale de la communauté de travail peut aussi donner à la webcam la dimension d’un outil collaboratif. Activer sa caméra peut devenir une pratique commune, un usage partagé. Une information transparente permet également une meilleure acceptation par les salariés lorsqu’ils comprennent l’intérêt de la technologie de contrôle et la perçoivent comme adaptée à leur environnement de travail.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Jusqu’où peut aller l’espionnage des télétravailleurs ? – https://theconversation.com/jusquou-peut-aller-lespionnage-des-teletravailleurs-265110

Le PSG, du club de football à la marque culturelle mondiale

Source: The Conversation – France (in French) – By Fatima Regany, Maître de conférences, Université de Lille

Un tournant est pris pour le PSG avec la victoire tant attendue, le 31 mai 2025, en Ligue des champions. Charnsitr/Shutterstock

Depuis sa victoire en Ligue des champions, le PSG souhaite faire évoluer son image et son influence. Cette ambition dépasse le simple cadre sportif. Il s’agit pour la direction du club de faire du PSG l’une des plus grandes marques sportives au monde, capable de refléter les valeurs de la ville de Paris et de rassembler en dehors du stade, en dehors du football.


Dans le but d’associer le PSG aux valeurs que symbolise la ville de Paris, le président du club Nasser Al-Khelaifi affichait depuis 2011 son ambition :

« Paris est une des villes les plus incroyables du monde, et mon objectif en tant que président a été de lui donner le club qu’elle mérite. »

Depuis sa victoire en Ligue des champions, comment cette marque peut-elle faire évoluer son image et son influence en devenant une marque culturelle ?

Pour répondre à cette question, nous avons mené une recherche qualitative avec des responsables marketing du PSG – brand activation, le digital et les réseaux sociaux, le sponsoring, partenariats et merchandising –, des consommateurs et associations de supporters, et quantitative en analysant les données des campagnes de communication du club.

« Branding »

Devenir une marque est un long et incertain processus de développement qu’il faut alimenter. Ce processus est nommé en marketing branding. Il renvoie à l’ensemble des actions marketing mises en place pour valoriser une marque tant au niveau matériel – produit, services –, qu’immatériel – identité, valeurs et promesse.

Le professeur de marketing Benoît Heilbrunn rappelle que

« les marques ne sont pas uniquement des systèmes de communication, elles ont plus généralement une fonction de transmission culturelle et idéologique en modifiant de façon significative une chaîne d’éléments structurels de l’environnement socio-économique – système de croyance, règles de comportements, rituels, etc. ».

Par son symbolisme, elle devient un outil rassemblant les communautés, qui entre en résonance avec la vie des individus et la société au sens large. Elle produit des ressources culturelles et identitaires que les individus et les groupes sociaux s’approprient, selon le professeur en marketing Douglas Holt dans son essai Comment des marques deviennent-elles iconiques.

L’appui du « sportainment »

La marque PSG s’est appuyée sur le sportainment pour créer une marque capable d’offrir, au-delà de la consommation d’un produit ou d’un service, une expérience source de valeur hédonique et sociale. La marque, comme le sport, repose sur des rituels, eux aussi moteurs de la construction communautaire, qui renforcent l’adhésion et l’engagement des supporters.

De nombreux supporters à travers le monde suivent le PSG : 65,3 millions d’abonnés sur Instagram, 53 millions sur Facebook, 49,2 millions sur TikTok ou 15,3 millions sur X.

Le PSG mise sur l’expérience du match en développant un spectacle de sport associé au Parc des Princes, lieu de destination qu’elle rend mythique. Durant la saison 2024/2025, son taux de remplissage était de 99 %, avec 47 656 spectateurs par match en moyenne. Les animations comme le Stadium Tour participent à renforcer l’expérience de stade en générant un sentiment d’appartenance au club et admirer le récent trophée de la Ligue des champions.

Des joueurs devenus stars interplanétaires

Pour développer sa capacité émotionnelle et affective, la marque PSG s’appuie sur le brand embodiment, en associant l’histoire de joueurs célèbres à son identité. Mais certains supporters expriment un désengagement envers la marque causée par la présence trop importante de joueurs stars médiatisés. Selon un répondant à notre étude,

« le PSG est devenu une machine stratosphérique avec des stars interplanétaires et peut-être que c’était difficile de s’identifier justement à ce club ».

Kylian Mbappé et Neymar da Silva Santos Júnior
Kylian Mbappé et Neymar da Silva Santos Júnior, lors du match du PSG contre l’Étoile rouge de Belgrade le 11 décembre 2018.
StefanUgljevarevic/Shutterstock

La marque PSG est au cœur de contradictions culturelles. Elle s’adresse à des audiences ayant une relation différente au club et une sociologie hétérogène. « Dans un club, il y a toujours cette dualité-là entre le concret de la ville, parce que c’est là que vous rencontrez les gens. […] Et la virtualité de l’international où vous savez que vous avez un impact très fort via la télévision et via le réseau, mais avec des gens qui n’interagissent pas physiquement » souligne un répondant.

Les abonnés historiques (supporters très fidèles ancrés localement) qui suivent l’aspect sportif du club se distinguent des nouveaux fans arrivés après 2011 intéressés par l’aspect culturel et lifestyle de la marque.

Supporters du PSG
Supporters du virage Auteuil.
VictorVelter/Shutterstock

Plus de 3,1 millions d’euros pour la Fondation

Compte tenu de sa notoriété et de son influence, la marque PSG possède-t-elle la capacité d’avoir un impact sociétal ? Elle l’inscrirait dans la catégorie des marques iconiques.

Notre analyse souligne une attente d’engagement de toutes parts :

« Même pour les supporters se dire que mon club soutient des causes, comme les personnes en situation de handicap, c’est extrêmement important »,

selon l’un des répondants. D’après l’un des responsables du marketing répondants, le PSG opère le choix volontaire de rendre les actions de la Fondation PSG For Communities peu visibles afin d’éviter tout risque d’accusation de récupération. Cela augmente le risque d’être perçu comme une marque inactive. Le montant de la fondation s’élève à plus de 3,1 millions d’euros pour la saison 2023/2024.

« Rêvons plus grand »

D’après nos résultats, la marque PSG cristallise des tensions entre le local et le global chez les supporters. Une autre tension irrésolue réside dans la contradiction entre une identité élitiste de la marque associée à l’image de Paris et une identité urbaine, populaire. Sur nos quatre supporters répondants, trois disent la percevoir comme élitiste depuis 2011, en contradiction avec la culture urbaine et populaire.

Le schéma ci-dessous, pensé par le professeur en marketing Douglas Holt, est appliqué pour cette recherche aux particularités de la marque PSG. Il montre comment le PSG tente de résoudre des contradictions socioculturelles en s’appuyant sur des récits identitaires.

Le club a construit pendant plus d’une décennie une mise en récit fondée sur le rêve, « rêvons plus grand » la grandeur et la conquête, sans toutefois avoir une image de vainqueur. Aujourd’hui, le rêve s’est concrétisé avec la victoire tant attendue le 31 mai 2025 en Ligue des champions.

Vítor Machado Ferreira, surnommé Vitinha, et Ousmane Dembélé, deux des grands artisans de la victoire du PSG en Ligue des champions de l’UEFA
Vítor Machado Ferreira, surnommé Vitinha, et Ousmane Dembélé, deux des grands artisans de la victoire du PSG en Ligue des champions de l’UEFA.
ErreRoberto/Shutterstock

Notre analyse soulève les défis pour faire évoluer la marque à savoir : quel récit la marque PSG peut-elle incarner à présent ? Quel impact aura le repositionnement sportif du club sur la marque ? Elle change en effet de statut sportif avec sa victoire et, dans le même temps, elle se repositionne comme « club de la nouvelle génération ». Elle doit construire une relation authentique avec ses consommateurs et une identité nouvelle pour l’amener à résoudre les tensions culturelles liées à son statut de marque paradoxe. Autant de défis qui font de cette marque un cas d’école dans le champ du branding culturel.


Cet article a été co-rédigé avec Clémence Delhaye (IEP Lille), d’après son travail de recherche « Le branding culturel d’un club international de football : le cas de la marque Paris Saint-Germain ».

The Conversation

Fatima Regany ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le PSG, du club de football à la marque culturelle mondiale – https://theconversation.com/le-psg-du-club-de-football-a-la-marque-culturelle-mondiale-260255

Qu’est-ce qu’un « bon employeur » ? Une approche par la notion d’« employeurabilité »

Source: The Conversation – France (in French) – By Frédéric Faure, Chercheur associé, Université Rennes 2

Comment expliquer qu’avec un taux de chômage élevé, des postes de travail restent non pourvus ? Les commentaires font souvent porter la responsabilité sur des salariés peu enclins à s’adapter. Et si les employeurs devaient aussi faire leur part du chemin en améliorant leur « employeurabilité » ? Coup de projecteur sur une notion qui explique une bonne partie du paradoxe de l’emploi.


France Travail a diffusé en avril 2025 son enquête annuelle auprès des employeurs sur leurs besoins en main-d’œuvre. Malgré une diminution significative des projets d’embauche dans tous les secteurs d’activité (-12,5 % par rapport à l’année précédente) et une moindre anticipation de difficultés de recrutement (-7 points), près de 40 % des employeurs ayant effectivement cherché à recruter déclarent, malgré tout, avoir rencontré des difficultés. 70 % d’entre eux imputent ces difficultés de recrutement à un trop faible nombre – voire une inexistence – de candidatures et à une inadéquation de ces candidatures à leurs attentes (manque d’expérience, de motivation, de compétences).

La même enquête révèle que près de 20 % de ces employeurs ayant cherché à recruter ont également rencontré des difficultés pour garder leur personnel. Cette situation peut sembler paradoxale au regard du taux de chômage qui reste élevé en France et du fait que plus de 2 millions de personnes y sont durablement éloignées de l’emploi.

La responsabilité des employeurs

Mais alors ce déséquilibre sur le marché de l’emploi est-il essentiellement lié à une inadaptation de l’offre de travail à la demande des employeurs, autrement dit à un problème d’employabilité d’une partie de la main-d’œuvre ? Ne peut-on pas également questionner la capacité des employeurs à être suffisamment attractifs, à recruter convenablement, à s’adapter à la main-d’œuvre disponible localement, à proposer des conditions de travail acceptables, à former, motiver et ainsi conserver leur personnel, à gérer la relation d’emploi de manière efficace et durable ? C’est en référence à cette seconde approche que le terme d’« employeurabilité » a été forgé, en miroir de celui d’employabilité. Il s’agissait de pointer la part de responsabilité des employeurs et d’esquisser, d’une certaine manière, le profil du « bon employeur ».




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Apparue pour la première fois en France en 1999 sous la plume d’un consultant en ressources humaines, reprise et approfondie ensuite par quelques rares économistes, ce n’est qu’à partir de 2018 que la notion d’employeurabilité a connu un relatif essor en France, particulièrement portée par la diffusion du rapport Borello sur l’inclusion professionnelle, par le projet employeurabilité du Pacte civique ainsi que le rapport de préfiguration de France Travail.

Confusion dans les notions

Peu traitée par la recherche académique, la notion d’employeurabilité pâtit d’une insuffisance de caractérisation conceptuelle. Ce flou dans les contours de la notion est accentué par des recouvrements avec d’autres notions proches parmi lesquelles la marque employeur, la responsabilité sociale d’entreprise (RSE), ou encore la qualité de l’emploi.

Il est vrai que la manière dont une entreprise communique sur ses leviers d’attractivité, la force de ses engagements sociétaux et la qualité des emplois qu’elle propose va significativement influer sur sa capacité à recruter. Mais certains écrits sur la notion d’employeurabilité en présentent d’autres facettes. L’inclusion dans et par l’emploi est une facette essentielle. Il s’agit de la capacité des entreprises à sortir des sentiers battus en termes de recrutement, à s’ouvrir à la diversité plutôt que rester sur un profil de « candidat idéal », tout autant recherché par les entreprises concurrentes, à faire l’effort d’intégrer des personnes éloignées de l’emploi, voire d’en faire le but même de l’entreprise.

Recenser les pratiques

Au-delà du recrutement et de l’intégration, l’employeurabilité peut également être envisagée comme la capacité des employeurs à mettre en place des conditions – organisationnelles, managériales et RH – favorables au développement de l’employabilité interne comme externe de leurs salariés. On rejoint ici les notions d’employabilité supportée ou d’employabilité durable.

Face à la multiplicité des approches de l’employeurabilité, il nous a semblé utile d’en faire un recensement et un examen systématique afin d’y voir plus clair et de mieux caractériser cette notion. À partir d’une analyse lexicale puis thématique d’un corpus de 75 textes académiques et non académiques (articles de presse, rapports d’organisations publiques, articles émanant du monde associatif ou syndical) faisant nommément référence à l’employeurabilité, nous avons abouti à une représentation synthétique des enjeux et pratiques associées.

Note de lecture : 34 % des enjeux évoqués dans les textes du corpus concernent « la capacité des employeurs à gérer la relation d’emploi » et 45 % des pratiques d’employeurabilité évoquées dans ces mêmes textes relèvent de l’appui externe à l’employeur.

Qui sont les bons employeurs ?

À partir des associations d’enjeux et de pratiques d’employeurabilité les plus fortement corrélées, cette recherche nous a finalement permis d’envisager trois types de réponse à la question « Qu’est ce qu’un bon employeur ? »

  • Un employeur qui est en mesure de mobiliser les outils et méthodes de gestion adaptés (RH, organisation, management) pour attirer et fidéliser les talents dont il a besoin dans un objectif final de maximisation de l’efficacité de l’entreprise. Les pratiques liées à l’amélioration de la qualité de l’emploi déjà citées font partie de cette catégorie, de même qu’une communication réaliste des éléments d’attractivité d’une offre d’emploi.
Xerfi 2024.
  • Un employeur qui, au-delà de sa fonction d’entrepreneur, est capable de gérer de façon équilibrée et durable la relation d’emploi, y compris, si besoin, en faisant appel à un appui externe ou à travers de la mutualisation. Par exemple, le recours à une aide externe par les TPE et PME peu outillées sur le plan RH, peut contribuer à faire émerger auprès des employeurs novices une identité d’employeur, centrée sur la capacité d’écoute et d’accompagnement du salarié vers son autonomie, et sur l’anticipation de ses besoins.

  • Un employeur qui, s’éloignant de recherches de rentabilité financière directe) ou d’habillage social), déploie une responsabilité sociale élargie dans le champ de l’emploi à travers des pratiques d’inclusion et de développement de l’employabilité de ses salariés. Certaines pratiques d’embauche et de développement du pouvoir d’agir de publics particulièrement éloignés de l’emploi entrent dans ce cadre.

Une question de taille

La notion d’employeurabilité invite, finalement, à dépasser la dimension morale que revêt le mot « bon » accolé à celui d’employeur pour réfléchir de manière factuelle et différenciée, selon la taille des employeurs.

Pour ce qui est des petites structures employeuses (à but lucratif ou non) : comment mieux former les entrepreneurs au rôle d’employeur, les accompagner dans leurs premiers recrutements, renforcer l’appui des intermédiaires de l’emploi, développer les solutions de mutualisation de l’emploi ?

Pour les employeurs de taille intermédiaire : comment améliorer l’offre de conseil RH adaptée à leurs moyens et problématiques spécifiques ? Enfin, pour les grandes entreprises, comment les inciter, ou les contraindre par la loi, à adopter des comportements s’inscrivant dans un esprit de « stakeholder » et non pas seulement de « shareholder » ?

The Conversation

Frédéric Faure travaille pour France Travail.

Alain Cucchi a reçu des financements de France 2030 dans le cadre du projet eNSEMBLE

Jennifer Urasadettan a reçu des financements de l’ANR dans le cadre d’une recherche sur les tiers-lieux ruraux

ref. Qu’est-ce qu’un « bon employeur » ? Une approche par la notion d’« employeurabilité » – https://theconversation.com/quest-ce-quun-bon-employeur-une-approche-par-la-notion-d-employeurabilite-263482