Pourquoi le monde MAGA accorde-t-il autant d’importance à l’affaire Epstein – et pourquoi la publication des dossiers ne devrait pas remettre en cause sa loyauté envers Trump

Source: The Conversation – in French – By Alex Hinton, Distinguished Professor of Anthropology; Director, Center for the Study of Genocide and Human Rights, Rutgers University – Newark

Casquettes MAGA mises à la disposition des soutiens de Donald Trump, pendant la soirée électorale du 5 novembre 2024, à West Palm Beach, en Floride.
Ricky Carioti/The Washington Post/Getty Images

Avec le dernier revirement du président Donald Trump concernant la divulgation des éléments d’enquête de l’affaire Jeffrey Epstein détenus par le ministère américain de la justice – revirement, puisqu’après s’y être opposé, l’hôte de la Maison Blanche s’y déclare aujourd’hui favorable –, les partisans de MAGA pourraient enfin avoir accès aux documents qu’ils attendent depuis longtemps. Dans l’après-midi du 18 novembre 2025, la Chambre a voté à une écrasante majorité en faveur de leur divulgation, un seul républicain ayant voté contre la mesure. Plus tard dans la journée, le Sénat a approuvé à l’unanimité l’adoption de la mesure, ensuite transmise au président pour signature.

Naomi Schalit, notre collègue du service politique de « The Conversation » aux États-Unis, s’est entretenue avec Alex Hinton, qui étudie le mouvement MAGA depuis des années, au sujet de l’intérêt soutenu des républicains du mouvement Make America Great Again pour l’affaire Jeffrey Epstein, accusé de trafic sexuel d’enfants. Hinton explique comment cet intérêt s’accorde avec ce qu’il connaît du noyau dur des partisans de Trump.


The Conversation : Vous êtes un expert du mouvement MAGA. Comment avez-vous constitué vos connaissances en la matière ?

Alex Hinton : Je suis anthropologue culturel, et notre travail consiste à mener des recherches sur le terrain. Nous allons là où les personnes que nous étudions vivent, agissent et parlent. Nous observons, nous passons du temps avec elles et nous voyons ce qui se passe. Nous écoutons, puis nous analysons ce que nous entendons. Nous essayons de comprendre les systèmes de signification qui structurent le groupe que nous étudions. Et puis, bien sûr, il y a les entretiens.

Un homme en costume, entouré d’une foule, se tient devant un pupitre recouvert de microphones sur lequel est inscrit « EPSTEIN FILES TRANSPARENCY ACT » (loi sur la transparence des dossiers Epstein)
Le représentant états-unien Thomas Massie, républicain du Texas, s’exprime lors d’une conférence de presse aux côtés de victimes présumées de Jeffrey Epstein, au Capitole américain, le 3 septembre 2025.
Bryan Dozier/Middle East Images/AFP/Getty Images

Il semble que les partisans inconditionnels de Trump, les MAGA, soient très préoccupés par divers aspects de l’affaire Epstein, notamment la divulgation de documents détenus par le gouvernement des États-Unis. Sont-ils réellement préoccupés par cette affaire ?

A. H. : La réponse est oui, mais elle comporte aussi une sorte de « non » implicite. Il faut commencer par se demander ce qu’est le mouvement MAGA.

Je le perçois comme ce que l’on appelle en anthropologie un « mouvement nativiste », centré sur les « habitants du pays ». C’est là que prend racine le discours « America First ».

C’est aussi un mouvement xénophobe, marqué par la peur des étrangers, des envahisseurs. C’est un mouvement populiste, c’est-à-dire tourné vers « le peuple ».

Tucker Carlson a interviewé Marjorie Taylor Greene, et il a déclaré : « « Je vais passer en revue les cinq piliers du MAGA. » Il s’agissait de l’Amérique d’abord, pilier absolument central ; des frontières – qu’il faut sécuriser ; du rejet du mondialisme, ou du constat de l’échec de la mondialisation ; de la liberté d’expression ; et de la fin des guerres à l’étranger. J’ajouterais l’insistance sur « Nous, le peuple », opposé aux élites.

Chacun de ces piliers est étroitement lié à une dynamique clé du mouvement MAGA, à savoir la théorie du complot. Et ces théories du complot sont en général anti-élites et opposant « Nous, le peuple » à ces dernières.

Et si l’on prend l’affaire Epstein, on constate qu’elle fait converger de nombreuses théories du complot : Stop the Steal, The Big Lie, la « guerre juridique », l’« État profond », la théorie du remplacement. Epstein touche à tous ces thèmes : l’idée d’une conspiration des élites agissant contre les intérêts du peuple, avec parfois une tonalité antisémite. Et surtout, si l’on revient au Pizzagate en 2016, où la théorie affirmait que des élites démocrates se livraient à des activités « démoniaques » de trafic sexuel, Epstein est perçu comme la preuve concrète de ces accusations.

Une sorte de fourre-tout où Epstein est le plus souvent impliqué qu’autre chose ?

A. H. : On le retrouve partout. Présent dès le début, car il fait partie de l’élite et qu’on pense qu’il se livrait au trafic sexuel. Et puis il y a les soupçons envers un « État profond », envers le gouvernement, qui nourrissent l’idée de dissimulations. Que promettait MAGA ? Trump a dit : « Nous allons vous donner ce que vous voulez », n’est-ce pas ? Kash Patel, Pam Bondi, tout le monde disait que tout serait dévoilé. Et, à y regarder de plus près, cela ressemble fortement à une dissimulation.

Mais en fin de compte, beaucoup de membres de MAGA ont compris qu’il fallait rester fidèles à Trump. Dire qu’il n’y a pas de MAGA sans Trump serait peut-être excessif. S’il n’y a certainement pas de trumpisme sans Trump, le MAGA sans Trump serait comme le Tea Party : le mouvement disparaîtrait tout simplement.

La base MAGA soutient Trump plus que les républicains traditionnels sur ce sujet. Je ne pense donc pas que cela provoquera une rupture, même si cela crée des tensions. Et on voit bien en ce moment que Trump traverse certaines tensions.

Une femme blonde coiffée d’un bonnet rouge parle devant un micro tandis qu’un homme en costume se tient derrière elle, avec des drapeaux américains en arrière-plan
Le président Donald Trump et la représentante Marjorie Taylor Greene, qui le soutenait de longue date et qui est devenue persona non grata à la suite de la publication des dossiers Epstein.
Elijah Nouvelage/AFP Getty Images

La rupture que nous observons est celle de Trump avec l’une de ses principales partisanes du MAGA, l’élue républicaine de Géorgie Marjorie Taylor Greene, et non celle de la partisane du MAGA avec Trump.

Avec Greene, sa relation avec Trump ressemble parfois à un yo-yo : tensions, séparation, puis réconciliation. Avec Elon Musk c’était un peu la même chose. Une rupture, puis un retour en arrière – comme Musk l’a fait. Je ne pense pas que cela annonce une fracture plus large au sein de MAGA.

Il semble que Trump ait fait volte-face au sujet de la publication des documents afin que le mouvement MAGA n’ait pas à rompre avec lui.

A. H. : C’est tout à fait vrai. Trump est extrêmement habile pour retourner n’importe quelle histoire à son avantage. Il est un peu comme un joueur d’échecs
– sauf quand il laisse échapper quelque chose – avec toujours deux coups d’avance, et, d’une certaine manière, nous sommes toujours en retard. C’est impressionnant.

Il y a une autre dimension de la mouvance MAGA : l’idée qu’il ne faut pas « contrarier le patron ». C’est une forme d’attachement excessif à Trump, et personne ne le contredit. Si vous vous écartez de la ligne, vous savez ce qui peut arriver – regardez Marjorie Taylor Greene. Vous risquez d’être éliminé lors des primaires.

Trump a probablement joué un coup stratégique brillant, en déclarant soudainement : « Je suis tout à fait favorable à sa divulgation. Ce sont en réalité les démocrates qui sont ces élites maléfiques, et maintenant nous allons enquêter sur Bill Clinton et les autres. » Il reprend le contrôle du récit, il sait parfaitement comment faire, et c’est intentionnel. On peut dire ce qu’on veut, mais Trump est charismatique, et il connaît très bien l’effet qu’il produit sur les foules. Ne le sous-estimez jamais.

Le mouvement MAGA se soucie-t-il des filles qui ont été victimes d’abus sexuels ?

A. H. : Il existe une réelle inquiétude, notamment parmi les chrétiens fervents du mouvement MAGA, pour qui le trafic sexuel est un sujet central.

Si l’on considère les principes de moralité chrétienne, cela renvoie aussi à des notions d’innocence, d’attaque par des forces « démoniaques », et d’agression contre « Nous, le peuple » de la part des élites. C’est une violation profonde, et, bien sûr, qui ne serait pas horrifié par l’idée de trafic sexuel ? Mais dans les cercles chrétiens, ce sujet est particulièrement important.

The Conversation

Alex Hinton a reçu des financements du Rutgers-Newark Sheila Y. Oliver Center for Politics and Race in America, du Rutgers Research Council et de la Henry Frank Guggenheim Foundation.

ref. Pourquoi le monde MAGA accorde-t-il autant d’importance à l’affaire Epstein – et pourquoi la publication des dossiers ne devrait pas remettre en cause sa loyauté envers Trump – https://theconversation.com/pourquoi-le-monde-maga-accorde-t-il-autant-dimportance-a-laffaire-epstein-et-pourquoi-la-publication-des-dossiers-ne-devrait-pas-remettre-en-cause-sa-loyaute-envers-trump-270310

Pourquoi la dernière dégradation de la note du Sénégal par Moody’s ne tient pas la route

Source: The Conversation – in French – By Misheck Mutize, Post Doctoral Researcher, Graduate School of Business (GSB), University of Cape Town

La décision de l’agence de notation Moody’s de dégrader la notation souveraine du Sénégal, fin octobre 2025, a immédiatement déclenché une vente massive des eurobonds du pays qui a duré une semaine. Il s’agissait de la troisième dégradation en un an. Elle a entraîné une décote de 40 % par rapport à leur valeur nominale pour les obligations à 16 ans du pays. Autrement dit, pour un titre libellé à un dollar, les investisseurs ne payaient plus que 60 cents.

Cette décision a relancé les critiques sur la fiabilité des décisions des trois grandes agences de notation mondiales, Moody’s, Standard and Poor’s et Fitch lorsqu’elles évaluent des pays africains.

L’une des principales raisons de la dégradation de la note par Moody’s était la décision du Sénégal de se tourner vers les marchés régionaux pour lever des capitaux. Depuis le début de l’année 2025, le gouvernement a levé plus de 5 milliards de dollars américains via le marché obligataire régional de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Cela représente environ 12 % de la dette publique du Sénégal, estimée à 42 milliards de dollars américains.

Moody’s a interprété cette stratégie du Sénégal comme un signe de fragilité. L’agence affirme que la dépendance vis-à-vis des investisseurs régionaux pourrait exposer le Sénégal à « un revirement de la confiance des investisseurs ». En d’autres termes, l’agence de notation a considéré le fait que le Sénégal ait mobilisé des capitaux nationaux et régionaux comme une nouvelle source de risques. Pourtant, S&P y voit un point fort.

Je mène depuis des décennies des recherches sur les marchés financiers africains et les institutions qui les régulent. Avec ce recul, il est clair pour moi que l’analyse de Moody’s est non seulement injuste, mais elle est aussi bancale. S’appuyer sur les marchés locaux et régionaux n’est en rien une faiblesse. C’est au contraire une stratégie de souveraineté budgétaire que des économistes et des dirigeants africains recommandent depuis longtemps.

Le problème vient surtout de la façon dont le risque est défini. Les modèles de notation appliqués aux pays émergents se concentrent encore sur quelques indicateurs macroéconomiques : PIB par habitant, réserves de change, solde du compte courant ou existence d’un programme du FMI. Ils ignorent des éléments essentiels, comme le rôle des investisseurs nationaux, la capacité d’adaptation budgétaire ou encore le dynamisme des marchés régionaux.

Marchés régionaux contre marchés mondiaux

Les pays du monde entier s’appuient de plus en plus sur les marchés locaux et régionaux pour lever des capitaux. En Afrique, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Burkina Faso, le Mali et la Côte d’Ivoire ont suivi les mêmes tendances que celles observées au Mexique, au Brésil et en Indonésie, qui privilégient les emprunts nationaux et régionaux.

Le financement régional et local présente plusieurs avantages pour les pays.

Premièrement, il réduit l’exposition au risque de change en diminuant les besoins en réserves de devises étrangères pour le service de la dette.

Deuxièmement, il renforce la liquidité du marché intérieur en augmentant le nombre d’investisseurs locaux sur le marché obligataire.

Troisièmement, il maintient les paiements au titre du service de la dette au sein de l’écosystème financier africain. Il permet ainsi de conserver les capitaux sur le continent et de réduire la dépendance à l’égard de financements externes volatils.

Enfin, il minimise les fluctuations du marché. Les détenteurs d’obligations nationales sont en grande partie des investisseurs institutionnels locaux, un pool de capitaux plus stable et moins spéculatif qui comprend bien mieux la dynamique du marché local que les agences de notation externes.

Les émissions obligataires régionales du Sénégal ont obtenu d’excellents résultats, car les investisseurs souhaitent acheter plus que ce que le gouvernement propose, ce qui témoigne d’une forte demande. Les taux d’intérêt, autour de 7 %, sont aussi largement inférieurs aux taux à deux chiffres qu’auraient exigés les marchés internationaux via les eurobonds.

En clair, emprunter localement était moins coûteux, moins risqué et plus avantageux pour le Sénégal que d’emprunter sur les marchés mondiaux.

Les investisseurs de toute la région (fonds de pension, banques et compagnies d’assurance) se sont bousculés pour acheter les obligations lors des cinq émissions de 2025.

Le succès du Sénégal renforce la confiance des investisseurs locaux et encourage d’autres gouvernements africains à mobiliser leurs propres marchés de capitaux. Il s’agit là d’une puissante dynamique pour lever davantage de capitaux africains pour le développement du continent.

Quand les notations deviennent une source de risque

La dégradation de la note par Moody’s a déclenché des ventes immédiates des euro-obligations du Sénégal arrivant à échéance en 2048, faisant chuter leur prix à environ 72 cents pour un dollar. Cette chute n’était pas due à une détérioration des fondamentaux économiques du pays, mais à un changement d’humeur des investisseurs après la décision de Moody’s.

Ce mécanisme crée un cercle vicieux. Une note négative provoque une fuite des investisseurs, ce qui augmente le coût de l’emprunt et semble confirmer le pessimisme initial. La perception du risque devient ainsi une source de risque.

Ce cycle fragilise la crédibilité des politiques publiques des gouvernements africains. Il décourage les réformes et freine l’innovation.

Ce n’est pas la première fois que les agences de notation mettent en garde contre des risques qui ont une probabilité quasi nulle de se concrétiser. Ce faisant, elles ébranlent la confiance des investisseurs et provoquent une fuite des capitaux. Citons notamment :

  • Pendant la crise du COVID, S&P a mis en garde contre des pénuries alimentaires imminentes et l’épuisement des réserves de devises étrangères en Égypte, malgré la stabilité des flux de transferts de fonds et la gestion active de la banque centrale.

  • En 2023, le gouvernement kenyan a annoncé son intention de racheter une partie de ses eurobonds arrivant à échéance. Il s’agissait d’une mesure prudente de gestion de la dette, mais Moody’s a averti qu’elle serait interprétée comme un signe de détresse. Cela ne s’est jamais produit. En fait, Moody’s a ensuite relevé la perspective du Kenya, en grande partie grâce au succès de cette restructuration qu’elle avait jugée risquée dix mois plus tôt.

Ce qui doit changer

Les notations financières sont censées guider les investisseurs, non orienter les politiques économiques. Mais dans le cas de l’Afrique, elles font souvent les deux. Beaucoup d’investisseurs institutionnels sont tenus de ne détenir que des titres de qualité (bien notés) « investment grade ». Une seule dégradation peut brusquement couper un pays des marchés financiers internationaux.

Les conséquences sont immédiates et graves : hausse des taux d’intérêt, accès réduit au crédit, affaiblissement des devises et perception d’une crise. Cette séquence peut se produire même lorsque les fondamentaux sous-jacents d’un pays restent solides. Des évaluations de notation trop prudentes ne reflètent pas seulement le sentiment négatif du marché, elles le créent.

L’Afrique n’a pas besoin d’un traitement spécial, mais d’une évaluation de notation équilibrée et tenant compte du contexte local.

Une analyse précise du risque devrait reconnaître la logique stratégique du recours aux marchés locaux et régionaux. Ce choix permet aux gouvernements africains de construire des alternatives adaptées à leurs réalités.

Les agences mondiales doivent donc recalibrer leur analyse. Elles doivent intégrer la profondeur des marchés régionaux et domestiques, la capacité d’adaptation budgétaire et la solidité des acteurs financiers africains. Les ignorer et ne retenir que les faiblesses perçues revient à présenter aux investisseurs une image tronquée.

Sans ces ajustements, les agences de notation continueront à être en décalage avec la réalité économique et risquent de devenir des instruments de distorsion plutôt que des outils d’analyse.

The Conversation

Misheck Mutize est affilié au Mécanisme africain d’évaluation par les pairs de l’Union africaine en tant qu’expert principal en matière de notation de crédit.

ref. Pourquoi la dernière dégradation de la note du Sénégal par Moody’s ne tient pas la route – https://theconversation.com/pourquoi-la-derniere-degradation-de-la-note-du-senegal-par-moodys-ne-tient-pas-la-route-270301

Pourquoi la transformation numérique n’est pas une voie royale vers la neutralité carbone

Source: The Conversation – France (in French) – By Bisrat Misganaw, Associate Professor of Strategy and Entrepreneurship, Neoma Business School

Souvent présenté comme un levier indispensable pour décarboner nos économies, le numérique est loin d’être une solution miracle. Derrière ses promesses techniques et économiques se cachent des coûts environnementaux et humains croissants. La planète ne bénéficiera pas nécessairement d’une numérisation massive qui risque, au contraire, d’aggraver notre dépendance en termes de ressources et d’énergie.


Au cours des dernières années, la transformation numérique a souvent été présentée comme nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Le Forum économique mondial de Davos, par exemple, estimait que le secteur des technologies numériques constitue le levier d’influence « le plus puissant pour accélérer l’action pour limiter la hausse des températures mondiales à moins de 2 °C ».

Lors de la COP29, fin 2024, la déclaration sur l’action numérique verte (Green Digital Action) affirmait
« le rôle vital des technologies numériques dans l’action climatique », tout l’enjeu étant d’en tirer parti pour atténuer le changement climatique. Mais dans le même temps, cette même déclaration « prenait note avec inquiétude des effets néfastes pour le climat dus aux […] technologies numériques et aux outils, dispositifs et infrastructures connexes ». Au final, le numérique est-il plutôt porteur de promesses ou de menaces pour l’atteinte des objectifs de neutralité carbone ? La déclaration ne le dit pas.

Dans une étude récente, nous avançons que le problème au cœur de l’idée d’un secteur numérique allié du climat repose sur plusieurs hypothèses clés, discutables à bien des égards.

Certes, il existe déjà – et existera à l’avenir – de nombreux exemples qui montrent que la numérisation peut soutenir la cause de la neutralité carbone. Par exemple, lorsqu’il s’agit de solutions qui permettent des gains d’efficacité énergétique, le pilotage de la production décentralisée d’électricité renouvelable, ou encore lorsqu’elles accélèrent les processus de recherche et développement (R&D).




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Mais l’argument selon lequel la numérisation de l’économie permettra d’atteindre la neutralité carbone repose sur quatre hypothèses implicites, selon lesquelles elle entraînerait nécessairement :

  • davantage de dématérialisation,
  • des gains d’efficacité énergétique,
  • une réduction des coûts de main-d’œuvre,
  • enfin, des décisions économiques plus respectueuses de l’environnement de la part des acteurs économiques.

Or nous montrons qu’aucune de ces hypothèses n’est réaliste.

Ne pas confondre numérisation et dématérialisation

Le lien entre numérisation et dématérialisation, souvent présenté comme allant de soi, doit être interrogé. En effet, la numérisation s’accompagne d’une dépendance aux infrastructures informatiques aux capteurs électroniques utilisés pour convertir et traiter toujours plus d’information sous forme numérique.

Cela implique de construire de nouvelles infrastructures et de nouveaux appareils informatiques. Ces derniers ont une matérialité : leur fabrication implique d’utiliser des ressources minérales limitées, en particulier des métaux rares. Ce problème est encore amplifié par la dépréciation et l’obsolescence plus rapide des appareils informatiques.

Certes, on pourrait dire que ces frais sont compensés par les avantages supplémentaires générés par les services numériques. Cependant, ces avantages ont eux-mêmes un coût pour l’environnement.




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Cela tient d’abord à leur consommation d’énergie. Par exemple, une seule requête ChatGPT consomme entre 50 et 90 fois plus d’énergie qu’une recherche Google classique. Le fonctionnement des systèmes d’intelligence artificielle (IA) nécessite aussi de grandes quantités d’eau pour le refroidissement des infrastructures informatiques, certains modèles consommant, à large échelle, des millions de litres pendant leurs phases d’entraînement et d’utilisation. Enfin, l’essor des IA génératives pourrait faire croître la demande en cuivre d’un million de tonnes d’ici 2030.

Selon un rapport du ministère de la transition écologique, le secteur du numérique représentait 2,5 % de l’empreinte carbone annuelle de la France et 10 % de sa consommation électrique en 2020. Sans intervention, les émissions de gaz à effet de serre du secteur pourraient croître de plus de 45 % d’ici à 2030. Selon un rapport des Nations unies, en 2022, les data centers du monde entier ont consommé 460 térawattheures d’électricité, soit l’équivalent de la consommation d’électricité annuelle de la France. Il est attendu que cette consommation sera multipliée quasiment par deux en 2026 pour atteindre 1 000 térawattheures.

Les risques d’effet rebond

La promesse de gains d’efficacité énergétique dans le numérique doit également être interrogée, car ces technologies produisent des effets rebond. Les gains d’efficacité font baisser les prix, ce qui augmente la demande, augmentant la consommation d’énergie et la quantité de déchets électroniques produits. La conséquence : une pression accrue sur les limites planétaires.

Ces effets rebond peuvent être directs ou indirects. Un exemple d’effet rebond direct tient à la facilité d’usage des services numériques : en témoigne par exemple l’augmentation constante du nombre de messages en ligne, de visioconférences, de photos et de vidéos stockées sur nos téléphones et/ou dans le cloud, etc.

On peut illustrer l’idée d’effet rebond indirect ainsi : lorsque l’argent, économisé par une entreprise grâce à la réduction des déplacements professionnels (grâce aux réunions virtuelles ou au télétravail), versé sous forme d’augmentations au salarié, lui sert à acheter un billet d’avion pour partir en vacances.

Les cryptomonnaies ont des effets rebond indirects considérables en termes de consommation d’énergie, et donc d’impact climatique.
Jorge Franganillo/Flickr, CC BY-SA

Prenons enfin l’exemple des cryptomonnaies, souvent défendues pour leurs avantages en termes de décentralisation financière. Celle-ci s’accompagne d’un coût énergétique élevé : leur consommation d’électricité a dépassé celle de l’Argentine et devrait continuer à augmenter à mesure que la finance décentralisée se développe.

Moins de main-d’œuvre mais davantage d’impacts environnementaux

Le numérique est souvent vu par les décideurs comme une façon de réduire les coûts de main-d’œuvre, et cela dans la plupart des secteurs. La main-d’œuvre a un coût économique, mais elle est également la plus durable de tous les intrants :il s’agit d’une ressource abondante et renouvelable dont l’utilisation n’affecte pas directement les limites de la planète.

La numérisation du travail, si elle permet de réaliser des économies en remplaçant une partie de la main-d’œuvre humaine (et durable) par des machines gourmandes en énergie et en ressources, se fait donc au détriment de l’environnement et amoindrit la durabilité des activités économiques – et non l’inverse.

Même en considérant qu’une partie de la main-d’œuvre déplacée pourrait être absorbée par de nouveaux business models, ces derniers ne seront pas forcément plus durables que les business models d’aujourd’hui. De plus, cela ne ferait que renforcer les tendances actuelles en matière d’inégalités, qui ont des effets délétères sur la durabilité. Une neutralité carbone qui serait atteinte au prix d’un appauvrissement massif de la population et au mépris des objectifs de développement durable des Nations unies paraît inacceptable.

Enfin, l’argument selon lequel le numérique permettrait aux entreprises de prendre des décisions plus soutenables n’est pas fondé. Ces décisions sont prises en tenant d’abord compte de la maximisation des profits, des opportunités de croissance et de l’amélioration de son efficacité en interne, conformément aux structures de gouvernance en place. Les décisions en matière de numérique n’échappent pas à cette règle.

Tant que la maximisation de la valeur pour les actionnaires restera le principe directeur de la gouvernance d’entreprise, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que la numérisation impulsée par les entreprises privilégie le développement d’une économie neutre en carbone plutôt que les préoccupations de rentabilité. Au contraire, les technologies de l’information semblent avoir jusque-là surtout renforcé les tendances actuelles.

Se méfier du solutionnisme technologique

Les arguments qui précèdent montre que la numérisation en soi ne soutient pas toujours la neutralité carbone. Comme toutes les innovations majeures, elle permet d’élargir l’éventail des possibles au plan économique. Cela signifie qu’il existe des opportunités significatives d’investissements durables et transformateurs.

Mais il convient de se méfier des solutions purement technologiques aux problèmes de durabilité, même si elles sont réconfortantes car elles n’impliquent aucun changement réel du statu quo. Ce faux sentiment de sécurité est pourtant précisément ce qui nous a conduits collectivement à épuiser les limites planétaires.

Le numérique peut soutenir la transition verte, mais, pour que ses opportunités puissent être exploitées, un véritable changement dans les processus décisionnels doit s’opérer. Pour l’heure, les États et quelques entreprises restent les seuls niveaux auxquels ces décisions sont prises. En d’autres termes, nous avons besoin d’un déclic collectif pour mieux appréhender les liens entre technologie, énergie et société, sans quoi atteindre la neutralité carbone grâce au numérique ne restera qu’un vœu pieux.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Pourquoi la transformation numérique n’est pas une voie royale vers la neutralité carbone – https://theconversation.com/pourquoi-la-transformation-numerique-nest-pas-une-voie-royale-vers-la-neutralite-carbone-269636

L’IA générative est-elle soutenable ? Le vrai coût écologique d’un prompt

Source: The Conversation – France in French (2) – By Denis Trystram, Professeur des universités en informatique, Université Grenoble Alpes (UGA)

Circulez, il n’y a rien à voir ? Les estimations du bilan environnemental de l’intelligence artificielle générative, comme celles réalisées à l’été 2025 par Google sur son IA Gemini, semblent rassurantes : seulement 0,003 g de CO2 et cinq gouttes d’eau par « prompt ». Des résultats qui dépendent en réalité beaucoup des choix méthodologiques réalisés, alors que de telles études sont le plus souvent menées en interne et manquent de transparence. Le problème est que ces chiffres font de plus en plus souvent figure d’argument marketing pour inciter à l’utilisation de l’IA générative, tout en ignorant le risque bien réel d’effet rebond lié à l’explosion des usages.


Depuis la sortie de ChatGPT fin 2022, les IA génératives ont le vent en poupe. En juillet 2025, OpenAI annonçait que ChatGPT recevait 18 milliards de « prompts » (instructions écrites par les utilisateurs) par semaine, pour 700 millions d’utilisateurs – soit 10 % de la population mondiale.

Aujourd’hui, la ruée vers ces outils est mondiale : tous les acteurs de la Big Tech développent désormais leurs propres modèles d’IA générative, principalement aux États-Unis et en Chine. En Europe, le Français Mistral, qui produit l’assistant Le Chat, a récemment battu les records avec une capitalisation proche de 12 milliards d’euros. Chacun de ces modèles s’inscrit dans un environnement géopolitique donné, avec des choix technologiques parfois différents. Mais tous ont une empreinte écologique considérable qui continue d’augmenter de façon exponentielle, portée par la démultiplication des usages. Certains experts, dont ceux du think tank spécialisé The Shift Project, sonnent l’alerte : cette croissance n’est pas soutenable.




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Or, tous les acteurs du domaine – y compris les consommateurs – sont aujourd’hui bien conscients que du coût environnemental qui accompagne les usages liés au numérique, mais pas forcément des chiffres que cela représente.

Poussés par de multiples raisons (obligations réglementaires, marketing, parfois par conscience environnementale), plusieurs des grands acteurs de la tech ont récemment réalisé l’analyse de cycle de vie (ACV, méthodologie permettant d’évaluer l’impact environnemental global d’un produit ou service) de leurs modèles.

Fin août 2025, Google a publié la sienne pour quantifier les impacts de son modèle Gemini. Que valent ces estimations, et peut-on s’y fier ?

Une empreinte carbone étonnement basse

Un modèle d’IA générative, pour fonctionner, doit d’abord être « entraîné » à partir d’une grande quantité d’exemples écrits. Pour mesurer l’électricité consommée par un « prompt », Google s’est donc concentré sur la phase d’utilisation – et non pas d’entraînement – de son IA Gemini. Selon ses propres calculs, Google annonce donc qu’un prompt ne consommerait que 0,24 wattheure (Wh) en moyenne – c’est très faible : environ une minute de consommation d’une ampoule électrique standard de 15 watts.

Comment les auteurs sont-ils arrivés à ce chiffre, significativement plus faible que dans les autres études déjà réalisées à ce sujet, comme celle menée par Mistral IA en juillet 2025 ?

La première raison tient à ce que Google mesure réellement. On apprend par exemple dans le rapport que l’électricité consommée par un prompt est utilisée pour 58 % par des processeurs spécialisés pour l’IA (l’unité de traitement graphique, ou GPU, et le circuit intégré spécifique Tensor Processing Unit, ou TPU), 25 % par des processeurs classiques et à hauteur d’environ 10 % par les processeurs en veille, et les 7 % restants pour le refroidissement des serveurs et le stockage de données.

Autrement dit, Google ne tient ici compte que de l’électricité consommée par ses propres data centers, et pas de celle consommée par les terminaux et les routeurs des utilisateurs.

Par ailleurs, aucune information n’est donnée sur le nombre d’utilisateurs ou le nombre de requêtes prises en compte dans l’étude, ce qui questionne sa crédibilité. Dans ces conditions, impossible de savoir comment le comportement des utilisateurs peut affecter l’impact environnemental du modèle.




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Google a racheté en 2024 l’équivalent de la production d’électricité annuelle de l’Irlande

La seconde raison tient à la façon de convertir l’énergie électrique consommée en équivalent CO2. Elle dépend du mix électrique de l’endroit où l’électricité est consommée, tant du côté des data centers que des terminaux des utilisateurs. Ici, on l’a vu, Google ne s’intéresse qu’à ses propres data centers.

Depuis longtemps, Google a misé sur l’optimisation énergétique, en se tournant vers des sources décarbonées ou renouvelables pour ses centres de données répartis partout dans le monde. Selon son dernier rapport environnemental, l’effort semble porter ses fruits, avec une diminution de 12 % des émissions en un an, alors que la demande a augmenté de 27 % sur la même période. Les besoins sont colossaux : en 2024, Google a consommé, pour ses infrastructures de calcul, 32 térawattsheures (TWh), soit l’équivalent de la production d’électricité annuelle de l’Irlande.




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Un data center près de chez soi, bonne ou mauvaise nouvelle ?


De fait, l’entreprise a signé 60 contrats exclusifs de fourniture en électricité à long terme en 2024, pour un total de 170 depuis 2010. Compte tenu de l’ampleur des opérations de Google, le fait d’avoir des contrats d’électricité exclusifs à long terme compromet la décarbonation dans d’autres secteurs. Par exemple, l’électricité à faibles émissions qui alimente les prompts pourrait être utilisée pour le chauffage, secteur qui dépend encore fortement des combustibles fossiles.

Dans certains cas, ces contrats impliquent la construction de nouvelles infrastructures de production d’énergie. Or, même pour la production d’énergie renouvelable décarbonée, leur bilan environnemental n’est pas entièrement neutre : par exemple, l’impact associé à la fabrication de panneaux photovoltaïques est compris entre 14 gCO2eq et 73 gCO2eq/kWh, ce que Google ne prend pas en compte dans ses calculs.

Enfin, de nombreux services de Google font appel à de la « colocation » de serveurs dans des data centers qui ne sont pas nécessairement décarbonés, ce qui n’est pas non plus pris en compte dans l’étude.

Autrement dit, les choix méthodologiques réalisés pour l’étude ont contribué à minimiser l’ampleur des chiffres.

Cinq gouttes d’eau par prompt, mais 12 000 piscines olympiques au total

La consommation d’eau douce est de plus en plus fréquemment prise en compte dans les rapports environnementaux liés au numérique. Et pour cause : il s’agit d’une ressource précieuse, constitutive d’une limite planétaire récemment franchie.

L’étude de Google estime que sa consommation d’eau pour Gemini est de 0,26 ml – soit cinq gouttes d’eau – par prompt. Un chiffre qui semble dérisoire, ramené à l’échelle d’un prompt, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières : il faut le mettre en perspective avec l’explosion des usages de l’IA.

Globalement, Google a consommé environ 8 100 millions de gallons (environ 30 millions de mètres cubes, l’équivalent de quelque 12 000 piscines olympiques) en 2024, avec une augmentation de 28 % par rapport à 2023.

Mais là aussi, le diable est dans les détails : le rapport de Google ne comptabilise que l’eau consommée pour refroidir les serveurs (selon un principe très similaire à la façon dont nous nous rafraîchissons lorsque la sueur s’évapore de notre corps). Le rapport exclut de fait la consommation d’eau liée à la production d’électricité et à la fabrication des serveurs et autres composants informatiques, qui sont pourtant prises en compte pour le calcul de son empreinte carbone, comme on l’a vu plus haut. En conséquence, les indicateurs d’impact environnemental (carbone, eau…) n’ont pas tous le même périmètre, ce qui complique leur interprétation.




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Des études encore trop opaques

Comme la plupart des études sur le sujet, celle de Google a été menée en interne. Si on comprend l’enjeu de secret industriel, un tel manque de transparence et d’expertise indépendante pose la question de sa légitimité et surtout de sa crédibilité. On peut néanmoins chercher des points de comparaisons avec d’autres IA, par exemple à travers les éléments présentés par Mistral IA en juillet 2025 sur les impacts environnementaux associés au cycle de vie de son modèle Mistral Large 2, une première.

Cette étude a été menée en collaboration avec un acteur français reconnu de l’analyse du cycle de vie (ACV), Carbone4, avec le soutien de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ce qui est un élément de fiabilité. Les résultats sont les suivants.

Pendant les dix-huit mois de durée de vie totale du modèle, environ 20 000 tonnes équivalent CO2 ont été émises, 281 000 m3 d’eau consommée et 660 kg équivalent antimoine (indicateur qui prend en compte l’épuisement des matières premières minérales métalliques).

Résultats présentés par Mistral à l’été 2025.
Mistral AI

Mistral attire l’attention sur le fait que l’utilisation du modèle (inférence) a des effets qu’ils jugent « marginaux », si on considère un prompt moyen utilisant 400 « tokens » (unités de traitement corrélées à la taille du texte en sortie) : ce prompt correspond à l’émission de 1,14 g équivalent CO2, de 50 ml d’eau et 0,5 mg équivalent antimoine. Des chiffres plus élevés que ceux avancés par Google, obtenus, comme on l’a vu, grâce à une méthodologie avantageuse. De plus, Google s’est basé dans son étude sur un prompt « médian » sans donner davantage de détails statistiques, qui seraient pourtant bienvenus.

En réalité, l’une des principales motivations, que cela soit celles de Google ou de Mistral, derrière ce type d’étude reste d’ordre marketing : il s’agit de rassurer sur l’impact environnemental (ce qu’on pourrait qualifier de « greenwashing ») de l’IA pour pousser à la consommation. Ne parler que de l’impact venant des prompts des utilisateurs fait également perdre de vue la vision globale des coûts (par exemple, ceux liés à l’entraînement des modèles).




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Reconnaissons que le principe d’effectuer des études d’impacts est positif. Mais l’opacité de ces études, même lorsqu’elles ont le mérite d’exister, doit être interrogée. Car, à ce jour, Mistral pas plus que Google n’ont pas dévoilé tous les détails des méthodologies utilisées, les études ayant été menées en interne. Or, il faudrait pouvoir disposer d’un référentiel commun qui permettrait de clarifier ce qui doit être pris en compte dans l’analyse complète du cycle de vie (ACV) d’un modèle d’IA. Ceci permettrait de réellement comparer les résultats d’un modèle à l’autre et de limiter les effets marketing.

Une des limites tient probablement à la complexité des IA génératives. Quelle part de l’empreinte environnementale peut-on rattacher à l’utilisation du smartphone ou de l’ordinateur pour le prompt ? Les modèles permettant le fine-tuning pour s’adapter à l’utilisateur consomment-ils plus ?

La plupart des études sur l’empreinte environnementale des IA génératives les considèrent comme des systèmes fermés, ce qui empêche d’aborder la question pourtant cruciale des effets rebonds induits par ces nouvelles technologies. Cela empêche de voir l’augmentation vertigineuse de nos usages de l’IA, en résumant le problème au coût environnemental d’un seul prompt.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. L’IA générative est-elle soutenable ? Le vrai coût écologique d’un prompt – https://theconversation.com/lia-generative-est-elle-soutenable-le-vrai-cout-ecologique-dun-prompt-269432

Pourquoi les adolescentes se sentent-elles moins bien que les garçons ?

Source: The Conversation – in French – By Alejandro Legaz Arrese, Catedrático Área de Educación Física y Deporte, Universidad de Zaragoza

La puberté marque une rupture nette dans le bien-être émotionnel : chez les filles, l’anxiété et les troubles du sommeil augmentent dès 14 ans. Fizkes/Shutterstock

Dans l’ombre de la hausse du mal-être chez les jeunes, une réalité persiste : la puberté marque une rupture nette entre filles et garçons. Des études menées auprès de plus de 10 000 adolescents en Espagne révèlent un écart émotionnel qui s’installe tôt – et qui ne cesse de se creuser.


Ces dernières années, on observe une hausse préoccupante des problèmes de santé mentale chez les jeunes. Pourtant, un aspect essentiel passe souvent inaperçu : cette crise psychique ne touche pas les adolescents et les adolescentes de la même manière.

Dans nos récentes études sur le sommeil, l’anxiété, la dépression, la qualité de vie et le risque de troubles alimentaires, nous avons analysé les données de plus de 10 000 adolescents espagnols âgés de 11 à 19 ans. Les résultats sont sans équivoque : non seulement le fossé émotionnel entre filles et garçons existe, mais il se manifeste tôt et s’intensifie avec l’âge.

Le fossé apparaît à la puberté

La différence entre les sexes n’est pas innée. Elle apparaît avec les changements hormonaux et sociaux de la puberté. Au départ, filles et garçons affichent un bien-être émotionnel similaire. Cependant, à partir de l’âge de 14 ans environ chez les filles, lorsque la puberté bat son plein et que les changements physiques et hormonaux s’accélèrent, les trajectoires commencent à diverger. À partir de ce moment, les filles dorment moins bien, manifestent davantage d’anxiété et rapportent plus de symptômes dépressifs.

Pour beaucoup d’entre elles, l’adolescence devient une période émotionnellement plus intense. De nombreuses jeunes filles décrivent un sentiment de vide, une confusion identitaire et une plus grande difficulté à comprendre ou à réguler leurs émotions. Il ne s’agit pas simplement d’un mal-être passager : à ce stade, l’équilibre émotionnel se fragilise et la réponse au stress s’amplifie.

Un sentiment d’autonomie et de contrôle en recul

Cette phase s’accompagne également d’un changement notable dans la perception de leur autonomie. Certaines adolescentes expriment le sentiment d’avoir moins de prise sur leur temps, leur corps ou leurs décisions. Alors que, pour beaucoup de garçons, la maturité rime avec indépendance, elle s’accompagne chez les filles d’une pression accrue, d’attentes plus fortes et d’exigences plus lourdes envers elles-mêmes.

L’estime de soi chute nettement, tandis que la relation au corps devient plus critique. Les préoccupations liées au poids, à l’apparence ou à l’auto-évaluation constante se multiplient, augmentant le risque de troubles alimentaires. Parallèlement, de nombreuses adolescentes disent se sentir plus fatiguées, avec moins d’énergie et une forme physique en déclin par rapport à la période précédant la puberté.




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Ce schéma rejoint les conclusions internationales du rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui souligne une détérioration plus marquée du bien-être psychologique des femmes à partir de la puberté, ainsi qu’une sensibilité émotionnelle accrue pendant cette période.

Ce n’est pas l’environnement qui change, mais la perception de soi

Un point clé ressort : la sphère sociale n’explique pas cet écart. Les relations familiales, scolaires et amicales évoluent de manière similaire chez les deux sexes. Les données ne révèlent pas de différences significatives en matière de soutien social, d’amitiés ou d’expériences de harcèlement.

Le fossé émotionnel ne provient donc pas d’un environnement plus hostile pour les filles. Il émerge de l’intérieur : dans la manière dont elles se sentent, se perçoivent et évaluent le contrôle qu’elles exercent sur leur vie. Il s’agit d’un déséquilibre intime, plutôt que social.




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Hormones et pression esthétique

Pourquoi cette divergence ? L’explication est complexe et multifactorielle. La puberté féminine survient plus tôt et s’accompagne de changements hormonaux plus intenses qui influent sur le sommeil, l’humeur et la gestion du stress. Mais ces transformations, naturelles et communes aux deux sexes, ne constituent ni la cause unique ni la solution. La différence tient à la manière dont elles sont vécues et interprétées dans un environnement social saturé d’attentes autour du corps féminin.

À cela s’ajoute un contexte contemporain dominé par la pression esthétique, l’exposition permanente aux réseaux sociaux et l’injonction à « être parfaite » sur tous les plans. Les dernières études disponibles établissent un lien entre ces dynamiques et la hausse du mal-être émotionnel chez les jeunes filles.

La puberté devient ainsi une période biologique et culturelle particulièrement exigeante pour elles.

Un fossé qui persiste à l’âge adulte

Ce schéma ne disparaît pas avec les années. Les données de notre groupe de recherche et les travaux scientifiques portant sur la population adulte montrent que les femmes continuent de présenter une qualité de sommeil moindre, des niveaux d’anxiété et de dépression plus élevés, ainsi qu’une insatisfaction corporelle plus marquée que les hommes.

Le fossé émotionnel qui s’ouvre à la puberté ne se comble pas spontanément avec le temps.

Le sport, un facteur de protection

Nos données montrent que l’activité physique, et en particulier la pratique du sport de compétition, est associée à un meilleur sommeil, une plus grande satisfaction de vie et un moindre mal-être émotionnel, aussi bien chez les garçons que chez les filles. Lorsque la pratique sportive est équivalente, les bénéfices le sont aussi : le sport protège de la même manière.

Cependant, l’écart de bien-être entre filles et garçons demeure. Non pas parce que le sport serait moins efficace pour elles, mais parce que les adolescentes font globalement moins d’exercice et participent moins aux compétitions sportives, comme le confirment notre étude et d’autres travaux antérieurs.

Le sport, à lui seul, ne peut compenser les facteurs sociaux qui pèsent plus lourdement sur les adolescentes. En revanche, encourager leur participation, notamment à des niveaux compétitifs, permet de réduire l’écart en leur donnant accès aux mêmes bénéfices que les garçons.

D’autres leviers pour réduire l’écart

La bonne nouvelle, c’est que d’autres stratégies contribuent également à diminuer cet écart émotionnel. Les études montrent que les interventions les plus efficaces sont celles qui renforcent la relation au corps, réduisent la comparaison sociale et améliorent l’estime de soi.

Les programmes scolaires axés sur l’éducation à l’image corporelle et à la perception de soi ont permis de réduire le risque de troubles alimentaires et d’améliorer le bien-être émotionnel des adolescentes.

Les initiatives visant à enseigner une utilisation critique des réseaux sociaux et à identifier les messages nuisibles à l’image de soi se révèlent également efficaces pour limiter la pression esthétique et numérique.




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Enfin, les stratégies de régulation émotionnelle et de pleine conscience, axées sur l’apprentissage de la gestion du stress, l’apaisement de l’esprit et la connexion avec le présent, ont été associées à une amélioration du bien-être psychologique et à une diminution des niveaux d’anxiété chez les adolescentes.

Ce n’est pas seulement leur responsabilité

Mais tout ne dépend pas d’elles. Les recherches montrent également que le contexte joue un rôle clé. Les familles qui écoutent, valident les émotions et encouragent l’autonomie protègent la santé mentale de leurs filles.

Quand les écoles enseignent des compétences socio-émotionnelles universelles, telles que la reconnaissance des émotions, la résolution des conflits ou le renforcement de l’estime de soi, les symptômes d’anxiété et de dépression dus à l’adolescence diminuent.

Et les médias et les réseaux sociaux ont une énorme responsabilité : la manière dont ils représentent les corps et la réussite influence directement la façon dont les jeunes filles se perçoivent.

En outre, les politiques publiques qui encadrent les messages liés au corps et à l’image, tout en favorisant des environnements éducatifs et sportifs inclusifs, contribuent à réduire la pression esthétique et à améliorer le bien-être des adolescentes.

Une période critique (et une occasion à saisir)

L’adolescence est une étape décisive. En soutenant les filles à ce moment clé, en renforçant leur autonomie, leur estime de soi et leur relation à leur corps et à leurs émotions, nous posons les bases d’un bien-être durable.

Il ne s’agit pas de leur demander d’être fortes. Il s’agit de créer des environnements qui ne les fragilisent pas. Investir aujourd’hui dans la santé mentale des adolescents, c’est construire une société plus juste et plus équilibrée demain.

The Conversation

Alejandro Legaz Arrese a reçu des financements du Groupe de recherche sur le mouvement humain financé par le gouvernement d’Aragon.

Carmen Mayolas-Pi a reçu des financements associés au groupe de recherche Movimiento Humano de la part du gouvernement d’Aragon.

Joaquin Reverter Masia a reçu des financements du programme national de recherche, développement et innovation axé sur les défis de la société, dans le cadre du plan national de R&D&I 2020-2025. Le titre du projet est : « Évaluation de divers paramètres de santé et niveaux d’activité physique à l’école primaire et secondaire » (numéro de subvention PID2020-117932RB-I00). En outre, la recherche bénéficie du soutien du groupe de recherche consolidé « Human Movement » de la Generalitat de Catalunya (référence 021 SGR 01619).

ref. Pourquoi les adolescentes se sentent-elles moins bien que les garçons ? – https://theconversation.com/pourquoi-les-adolescentes-se-sentent-elles-moins-bien-que-les-garcons-269663

Sols appauvris : l’autre menace qui pèse sur l’agriculture ukrainienne

Source: The Conversation – in French – By Mark Sutton, Honorary Professor in the School of Geosciences, University of Edinburgh

Un usage du fumier plus efficace fait partie des mesures proposées pour lutter contre l’appauvrissement des sols ukrainiens. Oleksandr Filatov/Shutterstock

L’Ukraine a longtemps été l’un des piliers de l’approvisionnement alimentaire mondial, mais la guerre et des décennies de déséquilibres dans l’usage des engrais ont profondément appauvri ses sols. Une crise silencieuse qui menace la reprise agricole du pays.


Pendant des décennies, l’Ukraine était connue comme le grenier du monde. Avant l’invasion russe de 2022, elle figurait parmi les principaux producteurs et exportateurs mondiaux d’huile de tournesol, de maïs et de blé. Ces productions contribuaient à nourrir plus de 400 millions de personnes. Mais derrière l’enjeu actuel des blocus céréaliers se cache une crise plus profonde et plus lente : l’épuisement même des nutriments qui rendent si productive la terre noire d’Ukraine.

Alors que la guerre a attiré l’attention mondiale sur les chaînes d’approvisionnement alimentaires de l’Ukraine, on sait bien moins de choses sur la durabilité des systèmes agricoles qui les sous-tendent. Si on ne se penche pas rapidement sur l’état de son sol, le pays pourrait perdre son rôle d’acteur majeur de la production alimentaire. Et cela pourrait avoir des conséquences bien au-delà de ses frontières.

Pour nos recherches, nous avons examiné la gestion des intrants dans l’agriculture ukrainienne au cours des 40 dernières années et constaté un renversement spectaculaire. Pendant l’ère soviétique, les terres agricoles ukrainiennes étaient suralimentées en engrais. Des intrants comme l’azote, le phosphore et le potassium étaient appliqués à des niveaux bien supérieurs à ce que les cultures pouvaient absorber. Cela a engendré une pollution de l’air et de l’eau.




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Mais depuis l’indépendance en 1991, le balancier est reparti dans la direction opposée. L’usage d’engrais, en particulier le phosphore et le potassium, s’est effondré à mesure que les importations diminuaient, que le cheptel déclinait (réduisant la disponibilité du fumier) et que les chaînes d’approvisionnement se désagrégeaient. En 2021, juste avant l’invasion, les sols ukrainiens montraient déjà des signes de fatigue. Les agriculteurs apportaient beaucoup moins de phosphore et de potassium que ce que les cultures prélevaient, environ 40 à 50 % de phosphore en moins et 25 % de potassium en moins, et la matière organique des sols avait chuté de près de 9 % depuis l’indépendance.

Dans de nombreuses régions, les agriculteurs utilisaient trop d’azote, mais souvent pas assez de phosphore et de potassium pour maintenir la fertilité à long terme. En outre, bien que le cheptel ait fortement diminué au cours des dernières décennies, notre analyse montre qu’environ 90 % du fumier encore produit est gaspillé. Cela équivaut à environ 2,2 milliards de dollars américains (1,9 milliard d’euros) d’engrais chaque année. Ces déséquilibres ne sont pas seulement un enjeu national. Ils menacent la productivité agricole de l’Ukraine à long terme et, par extension, l’approvisionnement alimentaire mondial qui en dépend.

La guerre a nettement aggravé le problème. L’invasion russe a perturbé les chaînes d’approvisionnement en engrais et endommagé des installations de stockage. Les prix des engrais ont flambé. De nombreux agriculteurs ont volontairement réduit leurs apports en engrais en 2022-2023 pour limiter les risques financiers, sachant que leurs récoltes pouvaient être détruites, volées ou rester invendue si les circuits d’exportation étaient fermés.

Nos nouvelles recherches mettent en lumière une tendance inquiétante au niveau national. En 2023, les cultures récoltées ont prélevé dans le sol jusqu’à 30 % d’azote, 80 % de phosphore et 70 % de potassium de plus que ce qu’elles recevaient via la fertilisation, les microbes du sol et l’air (y compris ce qui tombe avec la pluie et ce qui se dépose depuis l’atmosphère). Si cette tendance se confirme, le sol ukrainien, réputé pour sa fertilité, pourrait subir une dégradation durable, compromettant la capacité du pays à se relever et à approvisionner les marchés alimentaires mondiaux une fois la paix revenue.

Reconstituer la fertilité des sols

Certaines solutions existent et beaucoup sont réalisables même en temps de guerre. Notre équipe de recherche a élaboré un plan pour les agriculteurs ukrainiens qui pourrait rapidement faire la différence. Ces mesures pourraient améliorer sensiblement l’efficacité des intrants et réduire les pertes, en maintenant des exploitations productives et rentables tout en limitant la dégradation des sols et la pollution environnementale.

Ces solutions s’appuient sur :

  1. Une fertilisation de précision – appliquer les engrais au bon moment, au bon endroit et en bonne quantité afin de répondre efficacement aux besoins des cultures.

  2. Une meilleure valorisation du fumier – mettre en place des systèmes locaux pour collecter le fumier excédentaire et le redistribuer à d’autres exploitations, réduisant ainsi la dépendance aux engrais de synthèse (importés).

  3. Un meilleur usage des engrais – utiliser des engrais à l’efficacité renforcée, qui libèrent les nutriments lentement, limitant les pertes dans l’atmosphère ou dans l’eau.

  4. La plantation de légumineuses (comme les pois ou le soja). Les intégrer dans les rotations améliore la santé des sols tout en apportant naturellement de l’azote.

Certaines de ces actions nécessitent des investissements, notamment pour créer de meilleures installations de stockage et pour améliorer le traitement ou l’application du fumier sur les parcelles. Mais beaucoup peuvent être mises en œuvre, au moins partiellement, sans avoir à injecter d’argent. Le fonds de relance de l’Ukraine, soutenu par la Banque mondiale pour aider le pays une fois la guerre terminée, inclut l’appui à l’agriculture et il pourrait jouer, ici, un rôle essentiel.

Pourquoi est-ce important au-delà de l’Ukraine ?

La crise des intrants en Ukraine est un avertissement pour le monde. Une agriculture intensive et déséquilibrée, qu’il s’agisse d’un usage excessif, insuffisant ou inadapté des engrais, n’est pas durable. Une mauvaise gestion contribue à l’insécurité alimentaire comme à la pollution de l’environnement.

Nos travaux s’inscrivent dans le cadre du futur International Nitrogen Assessment, attendu en 2026, qui soulignera la nécessité d’une gestion mondiale efficace de l’azote et présentera des solutions concrètes pour maximiser les bénéfices de l’azote : amélioration de la sécurité alimentaire, résilience climatique, qualité de l’eau et de l’air.

Soutenir les agriculteurs ukrainiens offre l’occasion non seulement de reconstruire un pays, mais aussi de transformer l’agriculture mondiale afin de contribuer à un avenir plus résilient et durable.




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The Conversation

Mark Sutton travaille pour le UK Centre for Ecology & Hydrology, basé à sa station de recherche d’Édimbourg. Il est professeur honoraire à l’Université d’Édimbourg, au sein de l’École des géosciences. Il reçoit des financements de UK Research and Innovation (UKRI) via son Global Challenges Research Fund (GCRF), du ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (Defra), du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Il est directeur du Système international de gestion de l’azote (INMS), financé par le FEM/PNUE, ainsi que du South Asian Nitrogen Hub du GCRF. Il est coprésident du groupe de travail de la CEE-ONU sur l’azote réactif (TFRN) et du Partenariat mondial pour la gestion des nutriments (GPNM), convoqué par le PNUE.

Sergiy Medinets reçoit des financements de UKRI, de Defra, de DAERA, de la British Academy, du PNUE, du FEM, du PNUD et de l’UE.

ref. Sols appauvris : l’autre menace qui pèse sur l’agriculture ukrainienne – https://theconversation.com/sols-appauvris-lautre-menace-qui-pese-sur-lagriculture-ukrainienne-269970

Ukraine : le scandale de corruption dans le secteur énergétique qui fragilise le pouvoir

Source: The Conversation – in French – By Stefan Wolff, Professor of International Security, University of Birmingham

Alors que la Russie pilonne les infrastructures énergétiques ukrainiennes, une affaire de corruption dans le secteur de l’énergie touche directement des associés de longue date de Volodymyr Zelensky. En temps de guerre, la corruption, surtout dans un domaine aussi vital pour le pays, compromet non seulement la capacité du chef de l’État à gouverner mais, surtout, celle du pays à continuer de résister.


Le scandale de corruption qui secoue actuellement l’Ukraine n’aurait pas pu survenir à un pire moment ni dans un secteur plus sensible de l’économie pour le gouvernement, de plus en plus contesté, de Volodymyr Zelensky.

L’armée ukrainienne est désormais sur la défensive dans plusieurs secteurs clés du front. Parallèlement, la campagne de frappes menée par la Russie pour dévaster les infrastructures énergétiques du pays provoque des difficultés croissantes pour les Ukrainiens ordinaires à l’approche de l’hiver.

Le fait que le dernier scandale de corruption en date touche le secteur de l’énergie est donc particulièrement préjudiciable au gouvernement et au moral de la population.

Les agences anticorruption ukrainiennes, qui sont indépendantes du pouvoir, viennent de publier les conclusions de l’opération Midas, une enquête de 15 mois menée sur Energoatom, l’opérateur public de toutes les centrales nucléaires ukrainiennes. Avec une capacité totale de près de 14 000 mégawatts, Energoatom est le plus grand producteur d’électricité d’Ukraine.

Les enquêteurs affirment avoir mis au jour l’existence d’un vaste système de pots-de-vin représentant entre 10 % et 15 % de la valeur des contrats des fournisseurs, soit l’équivalent d’environ 86 millions d’euros. Des perquisitions ont été menées en 70 lieux à travers le pays le 10 novembre. Sept personnes ont été inculpées et cinq sont en détention.

Le cerveau de ce système corrompu serait Timur Mindich, un homme d’affaires et producteur de films, qui s’est enfui précipitamment d’Ukraine à la veille des perquisitions. Ce qui rend cette affaire très dangereuse pour Zelensky, c’est que Mindich est copropriétaire, avec le président ukrainien, du studio Kvartal 95, la boîte de production qui a tourné les séries et émissions ayant rendu Zelensky célèbre en tant que comédien avant son accession à la présidence en 2019.

Volodymyr Zelensky et Timur Mindich
Volodymyr Zelensky et Timur Mindich, deux vieux amis et partenaires en affaires.
Harry Boone/X

Une fois de plus, de proches collaborateurs du président sont éclaboussés par un scandale, ce qui compromet Zelensky par association. La question se pose de savoir s’il aurait pu agir plus tôt pour mettre fin à ces agissements.

Mais la façon dont cette affaire s’est déroulée indique également qu’il s’agit de la manifestation d’un conflit beaucoup plus profond qui se déroule en coulisses entre des groupes de l’élite qui se disputent le contrôle du dernier actif précieux de l’État : le secteur de l’énergie.

Campagnes de dénigrement

Ce dernier épisode est le dernier en date d’une série d’événements qui remonte à l’été dernier, lorsque le groupe parlementaire « Serviteur du peuple » – le parti de Zelensky – a tenté de mettre fin à l’indépendance des agences anticorruption ukrainiennes. Des manifestations massives, qui ont rassemblé essentiellement de jeunes Ukrainiens, ont alors contraint le gouvernement à revenir sur sa décision.

À ce moment-là, des rumeurs concernant l’existence d’enregistrements secrets de conversations impliquant Mindich ont commencé à circuler dans les médias ukrainiens. Cependant, aucun détail sur le contenu de ces conversations n’a été divulgué à l’époque, et les allégations de corruption ne sont restées que des spéculations.

Alors que le gouvernement s’est retrouvé sous une pression croissante après les frappes aériennes massives menées par la Russie contre le secteur énergétique le 10 octobre, qui ont privé la population ukrainienne d’électricité pendant près d’une journée entière, les accusations ont commencé à fuser. L’attention s’est portée sur Volodymyr Kudrytsky, l’ancien directeur d’Ukrenergo, le principal opérateur du réseau électrique ukrainien.

Kudrytsky, figure influente de la société civile ukrainienne pro-occidentale et anti-corruption, a été arrêté le 28 octobre pour fraude présumée dans le cadre d’un complot visant à détourner l’équivalent de 1,4 million d’euros de fonds publics en 2018. L’enquête le visant a été menée par le Service d’audit de l’État ukrainien et le Bureau d’enquête de l’État, deux institutions qui sont directement subordonnées à Zelensky.

Kudrytsky a vigoureusement défendu son bilan contre ce qu’il a qualifié d’attaques à motivation politique visant à détourner l’attention de la responsabilité que porte le gouvernement dans la destruction du réseau énergétique ukrainien par la campagne aérienne russe.

Bien que Kudrytsky ait été libéré sous caution, l’enquête le concernant est toujours en cours.

Luttes de pouvoir

Quelle que soit leur issue sur le plan juridique, les rumeurs qui circulent à l’encontre de Mindich et les attaques contre Kudrytsky semblent, du moins pour l’instant, être des campagnes d’information classiques visant à détruire leur réputation et à nuire aux personnes et aux programmes qui leur sont associés.

Opposant les camps pro- et anti-Zelensky au sein de l’élite ukrainienne, les dernières révélations sur la corruption mettent en lumière une lutte de pouvoir pour le contrôle des actifs les plus précieux de l’État et des leviers du pouvoir en Ukraine. Même si les adversaires du président ne parviennent pas à le destituer, sa capacité à gouverner pourrait être sévèrement limitée du fait des attaques visant ses proches alliés tels que Mindich.

Un autre des principaux conseillers de Zelensky, le ministre de la justice (et ex-ministre de l’énergie) Herman Halouchtchenko, a également été suspendu de ses fonctions à la suite de l’opération Midas.

Ces luttes intestines au sein de l’élite, qui touchent un secteur essentiel pour la capacité de l’Ukraine à continuer de résister à l’agression russe, se déroulent alors que le pays est menacé dans son existence même. Si leur issue reste incertaine pour l’instant, plusieurs conclusions importantes peuvent déjà en être tirées.

Il est essentiel que le pays revienne pleinement à une vie politique concurrentielle aussi normale que possible, où la liberté d’expression, des médias et d’association, serait pleinement respectée. Cette vie politique a été dans une large mesure en raison de la guerre. Si certains estiment que mettre en évidence l’ampleur de la corruption en Ukraine ferait le jeu de la propagande russe, la réalité est que plus les fonctionnaires corrompus pourront continuer à abuser de leur pouvoir, plus les chances du pays de l’emporter sur la Russie s’amenuiseront.

Une implication plus directe de l’Union européenne et des États-Unis dans la lutte contre la corruption en Ukraine est nécessaire. La corruption réduit les fonds alloués à la guerre et alimente également les doutes de l’opinion publique dans les pays donateurs quant à l’efficacité du soutien à Kiev.

Cette corruption a eu des conséquences extrêmement néfastes sur le recrutement dans les forces armées. Une enquête récente a révélé que 71 % des Ukrainiens considèrent que le niveau de corruption a augmenté depuis l’invasion à grande échelle lancée par la Russie en février 2022.

Le taux mensuel de désertion dans l’armée s’élève actuellement à environ deux tiers parmi les nouvelles recrues. Cela représente 21 000 déserteurs pour 30 000 engagements. Cette situation n’est pas viable pour la défense de l’Ukraine et explique en partie les récents revers subis sur le front.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est plus seulement la réputation du pays et de ses perspectives d’intégration à l’Union européenne. Assainir la politique ukrainienne – et montrer que cela a été fait – est désormais aussi essentiel pour la survie de l’Ukraine que de renforcer ses défenses aériennes et terrestres contre la Russie.

Tolérer la corruption est un luxe que l’Ukraine ne peut plus se permettre si elle veut survivre en tant que pays indépendant.

The Conversation

Stefan Wolff a bénéficié par le passé de subventions du Conseil britannique de recherche sur l’environnement naturel, de l’Institut américain pour la paix, du Conseil britannique de recherche économique et sociale, de la British Academy, du programme « Science pour la paix » de l’Otan, des programmes-cadres 6 et 7 de l’UE et Horizon 2020, ainsi que du programme Jean Monnet de l’UE. Il est administrateur et trésorier honoraire de la Political Studies Association du Royaume-Uni et chercheur principal au Foreign Policy Centre de Londres.

Tetyana Malyarenko a reçu des financements de l’Elliott School of International Affairs de l’université George Washington.

ref. Ukraine : le scandale de corruption dans le secteur énergétique qui fragilise le pouvoir – https://theconversation.com/ukraine-le-scandale-de-corruption-dans-le-secteur-energetique-qui-fragilise-le-pouvoir-269790

Les marques et savoir-faire culturels français : des atouts convoités à l’étranger

Source: The Conversation – in French – By Cécile Anger, Docteur en droit des marques culturelles, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le patrimoine culturel, les musées et monuments jouent un rôle prépondérant dans les motivations des touristes qui visitent la France. Mais ce patrimoine est aussi, dans sa dimension immatérielle, un vecteur d’expertise valorisée au-delà de nos frontières.


Première destination touristique mondiale, la France a attiré 100 millions de visiteurs internationaux en 2024.

L’intérêt porté aux musées et monuments, dans leur composante matérielle – en tant que lieux qui se visitent – se mesure aussi dans leur composante immatérielle. L’apport du patrimoine culturel à l’économie se traduit par l’accueil de touristes se rendant en France, mais aussi à travers l’exportation des institutions culturelles hors des frontières françaises.

Pour la campagne de promotion des entreprises françaises, Choose France, le gouvernement a choisi de metrre en avant des monuments insignes.

C’est précisément en raison de son patrimoine culturel que la France est arrivée en tête du classement annuel Soft Power 30 en 2017 et en 2019.

De nombreux rapports publics ont investi cette question, percevant les musées ou monuments comme détenteurs d’actifs immatériels susceptibles d’être valorisés à l’international.

Le tournant de l’économie de l’immatériel

Dès 2006, les auteurs du rapport remis à Bercy sur l’économie de l’immatériel écrivaient : « Aujourd’hui, la véritable richesse n’est pas concrète, elle est abstraite. » Au capital matériel a succédé le capital immatériel, le capital des talents, de la connaissance et du savoir. Ce rapport invitait les acteurs français à miser davantage sur leur capital intangible, gisement devenu stratégique pour rester compétitif. Identifiant trois atouts immatériels culturels – le nom des établissements culturels, leur image et leur expertise –, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet recommandaient d’engager une transition vers leur valorisation.

Un rapport spécifique a ainsi été commandé en 2014 par le ministère de la culture au haut fonctionnaire Jean Musitelli, « La valorisation de l’expertise patrimoniale à l’international ». En 2019, la Cour des comptes se penchait sur la valorisation internationale de l’ingénierie et des marques culturelles.

Plus récemment, en 2023, le Sénat a publié un rapport d’information réalisé par les parlementaires Else Joseph et Catherine Morin-Desailly sur l’expertise patrimoniale internationale française, faisant état d’un savoir-faire complet, ancien et reconnu, la qualité scientifique de l’expertise française étant établie « sur l’ensemble du champ patrimonial ».

L’expertise culturelle française : un vivier de métiers hautement qualifiés

La notion d’expertise renvoie à des connaissances ou compétences qui ne sont juridiquement pas protégées par brevet et qui permettent la création de produits ou services. L’expertise peut faire l’objet d’une transmission dans le cadre d’une transaction, son transfert se matérialisant par des missions de conseil ou de formation.

Les musées regorgent d’une variété de métiers et savoir-faire liés aux activités exercées par les professionnels y travaillant. Véritable « conservatoire de talents », ils détiennent une expertise technique particulièrement qualifiée et recherchée.

Constitué en interne en 2014, le département Louvre conseil a la charge de valoriser l’expertise des équipes du musée. Cette expertise porte sur les collections, les publics mais aussi sur le management. La brochure présentant l’ingénierie patrimoniale du Centre Pompidou énumère la liste des prestations possibles dans la création et la gestion d’espaces culturels : conseil en muséographie, en médiation… mais aussi accompagnement sur le plan administratif.

Les savoir-faire patrimoniaux français ont bénéficié d’une large couverture médiatique lors du chantier de restauration de Notre-Dame. Les sénatrices à l’origine du rapport précité jugeaient judicieux de profiter de la grande visibilité du chantier – servant ainsi de vitrine des métiers d’art français – pour « valoriser l’ensemble des savoir-faire qui ont collaboré à cette entreprise (archéologues, artisans d’art, architectes, maîtres d’ouvrage, restaurateurs, facteurs d’instruments…) ».

Une expertise recherchée en majorité par les pays émergents

Les pays émergents sont les principaux demandeurs de cette expertise, le patrimoine étant perçu comme un levier d’attractivité et suscitant ainsi un intérêt croissant. Faute de compétences suffisantes pour construire, agencer et gérer des musées, ils font appel à des institutions disposant de cette expérience. Les pays du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique constituent « les marchés les plus prometteurs » sur ce plan.

Le rapport du Sénat considère que la France possède de sérieux atouts pour prendre part à ce marché :

« Il est clair que la réputation de ses savoir-faire et la renommée de certains de ses établissements au niveau mondial, qu’il s’agisse du Louvre, du château de Versailles ou du Mont Saint-Michel, contribuent à asseoir sa position sur le plan international. »

Une combinaison gagnante : l’apport de marque et d’ingénierie

Les grands accords internationaux s’accompagnent fréquemment d’un élément complémentaire à l’expertise : la marque des institutions culturelles.

Le Louvre Abou Dhabi incarne cette pluralité. Signé en 2007 entre la France et les Émirats arabes unis, l’accord prévoyait la création d’un musée constitué avec l’expertise des équipes muséales françaises et portant le nom du Louvre. Plusieurs volets composent cet accord : l’accompagnement en ingénierie, le prêt d’œuvres des collections françaises (plusieurs musées étant parties prenantes) ainsi que le prêt du nom du Louvre à travers un contrat de licence de marque.

Il en va de même dans l’expérience du Centre Pompidou, qui valorise tant ses savoir-faire que sa marque, celle-ci étant apposée sur le devant des nouveaux musées, dont les façades s’ornent ainsi du sceau de l’institution française. Présent sur tous les continents, il a collaboré en Europe avec la ville de Malaga (Espagne) et la Fondation bruxelloise Kanal. En Asie, il s’est associé avec la société d’aménagement West Bund pour accompagner la création d’un musée à Shanghai (Chine). Son action se mesure aussi en Amérique du Sud (Brésil) et dans les pays du Golfe (Arabie saoudite).

On notera cependant que la valorisation de la marque, a fortiori dans un contexte international, n’a de sens que pour des institutions notoires. Si l’expertise des musées français peut relever tant d’institutions nationales que de structures territoriales, le rayonnement de la marque semble limité aux grands musées, qualifiés par certains auteurs, dont l’économiste Bruno S. Frey, de « superstar » en raison de leur statut et de leur aura.

Une économie fondée sur l’excellence française ?

L’affirmation constante de la nécessité de valoriser l’expertise et les marques culturelles peut être vue comme l’application de la théorie de l’avantage comparatif développée par l’économiste britannique David Ricardo au XIXe siècle. Selon cette théorie, « chaque nation a intérêt à se spécialiser dans la production où elle possède l’avantage le plus élevé comparativement aux autres ». Aussi s’agit-il de « concentrer ses efforts à l’export sur des secteurs où le pays possède de réels avantages comparatifs ».

Il convient toutefois de nuancer ce postulat, car si la France possède assurément des marques fortes et une expertise patrimoniale reconnue, elle n’est pas la seule à en disposer ni à les proposer sur la scène internationale, ce marché étant concurrentiel et, au demeurant, occupé par d’autres États « également bien positionnés », notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne ou l’Italie.

Les marques muséales américaines s’exportent également. D’aucuns auront en tête l’exemple très connu du Guggenheim, à l’origine même du concept de « marque muséale », au sens de « brand » et de « trademark », c’est-à-dire un outil de développement économique et d’expansion internationale. Le Guggenheim de Bilbao (Espagne) en témoigne : la fondation new-yorkaise a cédé le droit d’usage de son nom et perçu, en échange, 20 millions de dollars (17,2 millions d’euros) de royalties pour l’usage de sa marque.

Le Museum of Modern Art de New York (MoMA) valorise aussi son nom et son expertise. Il a, par exemple, exporté son concept de boutique de design hors des frontières américaines, avec l’implantation de deux MoMA Design Stores au Japon, à Tokyo et à Kyoto.

Des outils de diversification des ressources propres

On rappellera qu’historiquement, les musées apportaient leur savoir-faire dans une logique, non pas de valorisation mais de solidarité avec d’autres pays. C’est le cas des chantiers de fouilles archéologiques relevant avant tout d’une logique de coopération. La valorisation économique des savoir-faire est un phénomène nouveau, dont l’émergence s’explique par une demande croissante d’ingénierie culturelle émanant de certains pays mais aussi par le contexte budgétaire.

Ce désir de valorisation ne saurait être appréhendé indépendamment du contexte économique contemporain. Il s’agit également de favoriser le développement de ressources propres, venant abonder les budgets, de plus en plus tendus, des institutions culturelles. Les subsides publics n’étant pas mirifiques, les musées doivent répondre à l’impérieuse nécessité de diversifier leurs sources de financement.

Le Centre Pompidou perçoit entre 14 millions et 16 millions d’euros par an au titre de ses partenariats internationaux. S’agissant de l’exemple emblématique du Louvre Abou Dhabi, le montant total de l’accord s’élève à 1 milliard d’euros, la valorisation de la marque « Louvre » représentant 400 millions d’euros.

Ces redevances de licence de marque et d’ingénierie culturelle viennent compléter les ressources propres des établissements, rejoignant ainsi d’autres recettes, parmi lesquelles le mécénat, la location d’espaces, la vente de produits en boutique…

Pendant la fermeture du Centre Pompidou Paris, le programme Constellation prend le relais pour aller hors les murs à la rencontre des publics, partout en France et dans le monde, entre 2025 et 2030.
Centre Pompidou

Des partenariats adaptés au contexte local

Face au constat d’un intérêt marqué de la part de pays émergents auprès de musées européens et états-uniens pour construire une offre culturelle, se pose la question de la construction de cette offre et de la confrontation de regards différents.

Ainsi que le relève la juriste Marie Maunand :

« Le développement des échanges internationaux dans le domaine patrimonial induit une dynamique de transfert d’expertise des pays du Nord – pays développés à économie de marché – vers des pays dits du Sud – qui sont soit émergents soit moins avancés – qui pourrait contribuer à la diffusion d’un modèle culturel unique. »

La diversité doit être au cœur de ces accords afin d’éviter toute forme de standardisation. Une approche pragmatique adaptée au contexte local, propre à celui qui est demandeur de l’expertise, s’avère primordiale.

Un transfert de savoir-faire suppose une transmission d’informations ou de compétences. En dépit de la nature commerciale de ces partenariats, il ne saurait s’agir d’un discours simplement descendant de la part de l’expert ou du « sachant » vers son partenaire, mais bien d’un échange favorisant la rencontre de points de vue variés. Dans ce sens, Émilie Girard, présidente d’ICOM France observe un « changement de paradigme et de posture dans le mode de construction d’une expertise plus tournée vers le dialogue ».

Mentionnant la mise en œuvre du partenariat avec les Émiriens, Laurence des Cars, présidente-directrice générale du Louvre, évoque la question de la médiation et de l’explication des œuvres, et, dans le cadre de cet échange entre la France et les Émirats arabes unis, de « l’altérité culturelle » et des manières permettant aux différents publics de partager des œuvres d’art en l’absence de références culturelles ou religieuses communes.

En 2015, le rapport livré par Jean Musitelli cité par Marie Maunand relevait :

« La valorisation dans le contexte de la mondialisation doit […] concourir à la diversification des expressions culturelles […] en se montrant attentif aux attentes et aux besoins des partenaires et en ajustant l’offre aux réalités et traditions locales, [avec] […] des alternatives au modèle standard tel qu’il est véhiculé par la globalisation. »

C’est aussi un rôle que souhaitent allouer à l’expertise française les autrices du rapport de la mission sénatoriale d’information.

Si sa valorisation procède pour partie d’une démarche économique, elle est aussi le reflet d’enjeux diplomatiques, dont l’objectif est de renforcer le rayonnement et l’influence de la France sur la scène internationale. Else Joseph, sénatrice des Ardennes, notait ainsi :

« Ces dernières années, combien l’influence de la France est, si ce n’est en recul, du moins de plus en plus contestée et fragilisée. C’est particulièrement vrai dans les instances internationales en matière culturelle, à l’instar de l’Unesco, où les pays occidentaux se voient régulièrement reprocher une attitude néocoloniale. »

En vue d’y apporter une réponse, la parlementaire suggérait de « tirer parti de la solide expertise de la France dans le domaine patrimonial pour maintenir notre capacité d’influence ».

En ce sens, l’expertise et les marques culturelles sont assurément une incarnation du soft power de la France, qu’il importe autant de valoriser que de préserver.

The Conversation

Cécile Anger a soutenu sa thèse de doctorat en 2024 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est depuis jeune docteure associée à l’Ecole de Droit de la Sorbonne.
Son domaine de recherche porte sur les marques culturelles ainsi que la protection et la valorisation de l’image des œuvres d’art, musées et monuments.
Elle a commencé sa carrière au musée de Cluny, puis occupé le poste de Cheffe du service marque et mécénat au Domaine national de Chambord avant de rejoindre l’équipe de l’Établissement public du Mont Saint-Michel.

ref. Les marques et savoir-faire culturels français : des atouts convoités à l’étranger – https://theconversation.com/les-marques-et-savoir-faire-culturels-francais-des-atouts-convoites-a-letranger-266295

Bébés abandonnés : deux tragédies récentes révèlent l’urgence de services pour parents en détresse

Source: The Conversation – in French – By Nicole Racine, Associate Professor, School of Psychology, Scientist, Children’s Hospital of Eastern Ontario Research Institute, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

En l’espace d’un mois, deux bébés ont été abandonnés à Longueuil. Ces tragédies ne sont pas des événements isolés : elles révèlent la détresse croissante des femmes enceintes et parents vulnérables, et soulignent l’urgence de services spécialisés pour protéger ces vies fragiles.

Le premier, un petit garçon prématuré de 34 semaines, a été laissé devant la porte d’une maison le 5 octobre. La famille qui habite cette maison a trouvé le bébé et a immédiatement appelé la police. Le 27 octobre, le deuxième bébé a été découvert dans un abribus. Le bébé a été transporté d’urgence à l’hôpital où son décès a été prononcé. Une femme de 33 ans, qui fréquentait un refuge voisin, a été arrêtée dans le hall d’entrée, puis relâchée afin de recevoir un soutien psychologique et médical.

Le nombre de femmes et de futures mères sans domicile fixe est en augmentation au Québec et dans tout le pays. Psychologues communautaires et psychologues pour enfants, nous travaillons avec des organismes qui soutiennent ces femmes et constatons chaque jour les difficultés du personnel à leur trouver un logement.

Nous avons publié plus tôt cette année une analyse dans le Journal de l’Association médicale canadienne sur la hausse du nombre de femmes enceintes et de parents sans abri, les effets néfastes de l’itinérance sur la santé des femmes et le développement des enfants, ainsi que sur les stratégies pour répondre à cette crise.




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Le profil de l’itinérance se féminise

Il est difficile de déterminer le nombre de femmes enceintes sans domicile fixe au Canada, car les principales sources de données ne posent pas de questions sur la grossesse. Toutefois, selon des données fédérales récentes, le nombre de personnes sans domicile fixe au Canada a augmenté de 20 % entre 2018 et 2022. Parmi les personnes recensées, 10 % déclarent avoir une famille. Si la plupart des personnes sans domicile au Canada sont des hommes, une analyse menée par Statistique Canada en 2022 a révélé que le nombre de femmes en âge de procréer sans domicile a augmenté.

Il existe de nombreuses raisons qui peuvent expliquer cette hausse. L’itinérance se situe à l’intersection de plusieurs autres inégalités sociales : pauvreté, troubles mentaux, traumatismes, statut de réfugié et consommation de substances psychoactives. Les difficultés financières accrues, l’exposition à la violence familiale et les problèmes de santé sont les principaux facteurs associés à l’itinérance en général. Plus précisément, l’exposition à la violence – y compris la violence sexuelle, la traite des êtres humains et la pauvreté – est un facteur majeur à l’origine de l’itinérance chez les femmes et les filles.

Une étude réalisée en 2013 comparant les femmes sans domicile avec et sans enfants a révélé que celles qui ont des enfants sont plus susceptibles de souffrir de problèmes physiques, de santé mentale et de toxicomanie. C’est la dernière étude comparant directement ces deux groupes.




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Cependant, au cours de la dernière décennie, les chercheurs se sont concentrés sur les femmes sans enfants et les femmes avec enfants de manière isolée, et continuent de montrer que les femmes sans domicile, qu’elles aient ou non des enfants, continuent d’être confrontées à des taux disproportionnés de maladies, de traumatismes et de dépendances.

Ces tragédies ne peuvent être réduites à la seule détresse individuelle. Elles découlent d’interactions complexes entre les conditions sociales, parcours marqués par les traumatismes et lacunes profondes dans les services, des défaillances qui laissent tomber les femmes précisément lorsqu’elles sont le plus vulnérables.

Les femmes enceintes et les mères décrivent le système comme déroutant, peu réactifs à leurs besoins et pas sécuritaire. Elles peinent à trouver un logement temporaire ou permanent adapté, avec un soutien avant et après l’accouchement. Cela augmente les risques de fragmentation des soins, de stress et de conséquences négatives sur la santé tant pour les mères que pour les nourrissons.

Les obstacles et la stigmatisation dans les services de santé contribuent en outre à l’insuffisance des soins prénataux et augmentent le risque de complications telles que les hémorragies, les accouchements prématurés et l’insuffisance pondérale à la naissance.

Des aides pour répondre à des besoins complexes

Les femmes et les personnes enceintes sans domicile fixe ont besoin d’un soutien spécialisé répondant à leurs besoins multiples et interdépendants. Bien que l’accès au logement soit une exigence fondamentale, il est urgent que ces logements offrent des services qui s’attaquent aux causes profondes de l’itinérance maternelle.


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Les aides au logement doivent être accompagnées de services de santé physique et mentale qui ciblent ces causes : troubles mentaux, dépendance, traumatismes, exposition à la violence et besoins parentaux. Les femmes doivent pouvoir accéder à des services répondant à leurs besoins périnatals, ainsi qu’à des aides pour la santé et le développement de leur enfant. Elles doivent également avoir accès à des soins leur permettant de faire des choix libres concernant leur santé et leur désir d’être parent ou non.

Idéalement, ces services sont fournis en partenariat avec d’autres services sociaux, notamment la protection de l’enfance, afin d’assurer aux familles un soutien complet. Un soutien intégré peut transformer profondément l’expérience des femmes enceintes en situation de vulnérabilité. Comme le raconte une ancienne cliente d’un centre pour femmes à Toronto, interviewée dans le cadre de nos travaux :

« Ils avaient tout ici. Pas seulement de l’aide pour ma toxicomanie, mais aussi pour devenir mère… Je n’avais jamais été autour de bébés ou de jeunes enfants, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. »

Ces témoignages montrent à quel point un service sans jugement est essentiel à la réussite à long terme. Une autre femme décrit ainsi son parcours :

« J’étais au plus bas, je n’avais rien, je n’avais personne, je suis venue demander de l’aide, et aujourd’hui, je peux dire que je suis très reconnaissante. Sans eux, je ne serais pas ici… Ils ne vous jugent pas. »

Un exemple de services intégrés au Canada

Les services de santé, de santé mentale et de développement de l’enfant doivent être regroupés et fournis en tandem avec des aides au logement. Il existe au Canada certains modèles qui ont adopté cette approche intégrée.

Par exemple, le centre de santé communautaire Maxxine Wright à Surrey, en Colombie-Britannique, offre des services de santé maternelle et infantile, un soutien en santé mentale, un accompagnement parental et une aide pour les besoins fondamentaux, tout en proposant un hébergement. Grâce à ce modèle, les femmes confrontées à des problèmes de toxicomanie ou de violence peuvent obtenir un logement pendant deux ans après la naissance de leur enfant. Ce type de soutien et de stabilité est essentiel pour aider les familles confrontées aux plus grandes difficultés.

Pour faire face à ces réalités, il ne suffit pas de sensibiliser l’opinion publique : il faut une coordination communautaire, avec une action concertée des services de santé, de santé mentale, de traitement des dépendances, de logement, d’emploi et des organismes communautaires, appuyée par les gouvernements municipaux et provinciaux. Ces réponses doivent être fondées sur la compassion, la bienveillance et un engagement commun à garantir qu’aucune femme et aucun enfant ne soient privés de sécurité, de soutien ou de dignité.

La Conversation Canada

Nicole Racine a reçu des financements de l’Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines.

Stéphanie Manoni-Millar a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines.

ref. Bébés abandonnés : deux tragédies récentes révèlent l’urgence de services pour parents en détresse – https://theconversation.com/bebes-abandonnes-deux-tragedies-recentes-revelent-lurgence-de-services-pour-parents-en-detresse-268718

L’IA générative, un moyen de développer l’approche par compétences

Source: The Conversation – in French – By Chrysta Pelissier, Maîtresse de conférences en sciences du langage et sciences de l’Education, Université de Montpellier

En aidant à personnaliser les parcours, l’intelligence artificielle enrichit la dimension interactive des dispositifs d’apprentissage, permettant à l’approche par compétences de se déployer pleinement.


Si les changements débutés dans l’enseignement avec et par le numérique constituent depuis leur émergence un phénomène intéressant à étudier, la sortie de ChatGPT 5 (GPT-5), le 7 août 2025, par OpenAI, donne à ces questions de recherche une acuité particulière. Les évolutions des pratiques éducatives se sont en effet considérablement accélérées ces derniers mois, laissant une plus large place aux outils technologiques issus notamment de l’intelligence artificielle (IA) générative.

Les enseignants, les élèves, les étudiants et les responsables de formation se sont emparés de ces nouvelles conditions de transmission d’informations, et de partages d’idées.

Cette palette d’outils peut-elle aider à développer de nouvelles manières d’envisager les apprentissages, en privilégiant une approche par compétences ?

L’approche par compétences, une démarche en pleine mutation

L’approche par compétences a pris forme avec le texte de cadrage national des formations conduisant à la délivrance des diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et de master, en 2014. Elle a été complétée, en 2018, par l’arrêté relatif au diplôme de licence et, en 2019, par celui relatif au diplôme de licence professionnelle.

Cette approche impulse des changements nouveaux et profonds dans les universités. Elle se définit comme un mode de conception de l’enseignement qui tente de dépasser certaines limites de la pédagogie par objectifs.

Pour les enseignants, les changements associés à l’approche par compétences se situent notamment dans les modalités de transmission des connaissances et de l’aide apportée à chacun des étudiants. Au niveau des modalités de transmission, l’approche par compétences apparaît comme un mouvement où les objectifs d’enseignement ne se définissent plus comme des contenus à transmettre mais plutôt comme des capacités d’actions qu’un apprenant doit développer afin de pouvoir accomplir ses activités dans une situation professionnelle.

Confronté à ces situations professionnelles nouvelles, l’étudiant est amené à appréhender ses propres besoins en termes de savoirs, savoir-faire et savoir-être pour ensuite mettre en place une démarche de sélection de connaissances personnelles (déjà acquises), de recherches documentaires et de questionnements auprès de professionnels.

Des exemples d’usages de l’IA générative, pour les apprenants

D’abord, dans des activités stimulant l’apprentissage par la découverte, l’apprenant peut explorer et questionner. Il peut par exemple demander à une IA générative de lui proposer des situations propres à un métier, celui qu’il envisage, afin de lui permettre d’entrevoir toute leur diversité, mais aussi de s’entraîner dans la formulation d’hypothèse de résolution pour chacune d’entre elles.

Ensuite, l’apprenant peut demander à l’IA de lui donner des exemples de métiers en lien avec ses propres compétences, qu’il aura lui-même identifiées. Attention, il ne s’agit pas d’imposer un métier en particulier mais plutôt de le renvoyer vers des métiers possibles. Restera à sa charge alors, la nécessité de vérifier les missions associées à ces métiers et les compétences qui lui sont rattachées.

Enfin, ChatGPT peut l’aider à « apprendre à apprendre » en lui permettant de planifier ses révisions (« Quelles sont tes priorités ? »), d’identifier une répartition du temps (« Quels sont tes temps de pause ? »), d’envisager une méthode de travail (« Qu’as-tu trouvé facile aujourd’hui ? », « Pourquoi ? », ou « Aurais-tu pu faire différemment ? »), de bénéficier d’un encouragement dans la formulation d’objectifs personnels (« Que veux-tu comprendre aujourd’hui ? », « Quel était ton objectif du jour ? », « Es-tu fier de toi ? »)

Des exemples d’usages de l’IA générative, pour les enseignants

D’abord, des scénarios pédagogiques peuvent être envisagés à partir de données originales, amenant les enseignants à proposer des escape games (jeux d’évasion), quiz, jeux de société ou encore des contextes immersifs, propres à un métier ciblé par la formation.

Ensuite, des pratiques d’usage d’IA génératives peuvent proposer des activités visant à développer des compétences que l’apprenant a lui-même sélectionnées, celles que cible l’enseignant, mais aussi de répondre à des questions en lien avec un concept particulier qui n’aurait pas été compris en classe.

En analysant plusieurs supports, les outils d’IA peuvent aider à identifier des besoins collectifs (sur une même classe) ou encore créer des supports de formations, des explications, des retours sous différents formats (textes, podcasts, vidéos et montages d’images), adaptés à différents apprenants ou groupes d’apprenants.

Enfin, l’enseignant peut envisager de proposer des activités visant l’esprit critique, en utilisant différentes méthodologies de création de prompts, en comparant les résultats de plusieurs IA tout en développant la capacité d’argumentation.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a eu lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Chrysta Pelissier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’IA générative, un moyen de développer l’approche par compétences – https://theconversation.com/lia-generative-un-moyen-de-developper-lapproche-par-competences-267766