Un tourisme durable est-il possible ?

Source: The Conversation – in French – By Christine PETR, Professeur des Université en Marketing – Sciences de Gestion et du Management, Université Bretagne Sud (UBS)

Le surtourisme est d’autant moins une fatalité, que le secteur s’adapte sous l’influence des voyageurs. Une demande pour un autre tourisme, plus respectueux de l’environnement, moins intensif, émerge depuis quelques années. Cette « douce » pression amène le secteur à se métamorphoser. Trop lentement, estimeront certains. Profondément, rétorqueront les autres.


En raison des coûts environnementaux des déplacements des visiteurs et de pratiques peu respectueuses des lieux, des espaces sensibles, et des communautés locales, le tourisme est souvent pointé du doigt. Cette description est encore noircie par la médiatisation croissante des mouvements anti-touristiques d’habitants inquiets ou épuisés par la pression touristique de leurs lieux de vie. Penser que le tourisme n’a pas su évoluer serait pourtant réducteur. Bien au contraire, il y a une évolution croissante dans la prise en considération des enjeux de durabilité depuis la naissance du tourisme de masse.

Ce cadre intégrateur nommé « l’échelle de progression de la durabilité touristique » est l’occasion de rappeler que le tourisme n’est pas un phénomène déshumanisé. Le tourisme est le résultat d’une accumulation de pratiques individuelles de déplacement, d’attentes d’expériences et d’exploration, de désirs, de moments de détente et de rencontres, qui est portée par des voyageurs et des vacanciers, c’est-à-dire ce que nous sommes tous. Le tourisme est fait par les touristes (nous !), et comme les préoccupations des touristes évoluent (nous évoluons dans nos vies et dans nos aspirations !), le tourisme ne cesse de se réinventer, et cela en étant profondément engagé sur une trajectoire de durabilité (Figure 1).

L’échelle de progression de la durabilité touristique

Surtourisme, tourismophobie et recettes touristiques

Depuis les années 1950, l’industrie mondiale du tourisme connaît une forte croissance qui n’a été que provisoirement impactée par les épisodes de confinements et de restrictions de la Covid-19. Ces dynamiques d’expansion touristique nationales et internationales ont mis en lumière le phénomène de surtourisme, défini comme une affluence de touristes dépassant la capacité d’accueil d’une destination. Considéré en termes de vécu subjectif plus que de chiffres objectifs, ce sentiment de débordement engendre des impacts négatifs pour les habitants, les visiteurs et les écosystèmes locaux.

Les impacts négatifs d’une fréquentation non maîtrisée peuvent également engendrer une aversion pour le tourisme, appelée tourismophobie, qui est marquée par la crainte, l’hostilité et le rejet social, souvent liés à des pratiques touristiques de masse non durables.




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Parce que le tourisme est aussi une source de revenus économiques, de développements, d’échanges culturels et de pacification entre les peuples, il devenait urgent de repenser les pratiques touristiques pour limiter les effets délétères du développement du tourisme.

Un défi majeur et une priorité

Face aux enjeux environnementaux et aux menaces pesant sur les habitats naturels partagés par touristes et locaux, le tourisme durable apparaît comme un défi majeur et une priorité pour l’industrie contemporaine. Il repose notamment sur la consommation durable, définie comme « la consommation de biens et de services répondant aux besoins essentiels sans compromettre ceux des générations futures ».

Pour promouvoir l’adoption de comportements touristiques respectueux de l’environnement, il est important d’identifier combien les touristes sont motivés par les dimensions vertueuses de l’éthique et du durable. En effet, les préoccupations relatives à la santé de la planète et à l’assurance de délivrer un héritage de qualité pour les générations futures sont devenues essentielles. Les propositions touristiques qui proposent de s’engager et de se connecter à la nature sont celles désormais jugées à très forte valeur par les touristes car au-delà des bénéfices immédiats pour l’environnement, elles offrent des bénéfices individuels en termes de santé mentale et physique.

L’émergence du tourisme lent

Encore peu étudié par les chercheurs, le tourisme lent est une tendance touristique en émergence. Représentant une forme plus achevée que le tourisme durable, le tourisme lent permet de ralentir non seulement physiquement, mais aussi mentalement, et d’échapper au mode de vie pressé que les touristes adoptent avant de voyager.

Le flux temporel est une dimension importante de l’expérience touristique. La décélération chez les voyageurs fait référence à la recherche par les individus d’opportunités pour échapper au rythme trépidant de la vie et s’engager dans diverses formes de consommation lente que ce soit pour se déplacer, se nourrir et s’occuper. Des recherches internationales approfondies définissent l’expérience du tourisme lent comme « des vacances au cours desquelles les touristes prennent plus de temps et font preuve de plus de flexibilité pour, tout en cherchant l’harmonie avec la nature, les communautés locales, leurs habitants et leur culture, s’engager plus intensément et personnellement dans la découverte des offres touristiques ».


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L’élément au cœur de l’expérience du tourisme lent est la notion du rythme de la consommation. Un tourisme plus ralenti est alors perçu comme vertueux et suscite des sentiments positifs sachant qu’il faut que les contraintes environnementales soient faibles pour qu’il y ait intention de voyage ou de revisite.

Pour évaluer si une offre touristique s’inscrit dans la tendance du tourisme lent, les auteurs proposent un cadre théorique construit sur 6 continuums :

  • Flexibilité (de haute à basse),

  • Engagement social sur place (de riche à superficiel),

  • Consommation de la localité (de l’attachement au détachement),

  • Expérience concrète de la destination (de riche à superficielle),

  • Perceptions de la valeur (de haute à basse),

  • et Vivre le moment (de intensément à faiblement).

Outre l’apport théorique, ce cadre donne des consignes concrètes pour concevoir des offres touristiques du tourisme lent.

Le tourisme régénératif

En mettant l’accent sur la réparation, la restauration et la reconstruction, le tourisme régénératif marque un tournant stratégique pour le secteur du tourisme et constitue une réponse prometteuse pour transformer, reconsidérer et réduire les dommages environnementaux du tourisme conventionnel. Le tourisme régénératif offre à l’industrie un solide potentiel de transformation qui constitue une nouvelle étape vers la réflexion et le développement durable. Le tourisme régénérateur consiste à « proposer aux visiteurs des activités qui permettront aux destinations de guérir, tout en contrebalançant les impacts sociaux, économiques et environnementaux du tourisme ».

Du point de vue des prestataires touristiques, il existe cinq dimensions clés pour décrypter le tourisme régénérateur :

  • la durabilité,

  • l’harmonie avec les communautés,

  • la restauration des ressources,

  • la compensation carbone

  • les économies d’énergie.

Ces clés sont les leviers que les praticiens et les fournisseurs du tourisme doivent activer pour restaurer concrètement les destinations et façonner un avenir touristique durable.

Une source d’inspiration

Le tourisme régénérateur comprend deux dimensions essentielles du point de vue des consommateurs : la durabilité et la restauration. Le tourisme régénérateur est perçu comme une source d’inspiration et a un impact positif à la fois sur l’héritage personnel et sur la volonté des touristes de participer à nouveau. L’héritage personnel des touristes fait référence au sentiment de responsabilité qu’ils éprouvent à l’égard des générations futures et à leur désir de changer le monde en mieux et de laisser un impact durable sur ce monde qui aidera les générations futures et aura un effet positif durable sur la société.

France 24 – 2023.

En outre, les aspects moraux interviennent de la manière suivante : les touristes à la moralité élevée sont plus enclins à s’engager dans des activités de tourisme régénératif. Leur souci de « bien faire » pour les générations futures plutôt que pour eux-mêmes se traduit par un sens moral plus fort, qui les amène à s’attendre à un héritage personnel moins important et qui reflète leur nature altruiste.

Inversement, d’autres sont plus motivés pour « se montrer » et créer une image positive d’eux-mêmes sur le moment. Ces conclusions orientent sur la manière de promouvoir le tourisme régénérateur auprès de tous les touristes : insister pour les uns sur les avantages d’une cause altruiste et à long terme et, pour les autres, sur les avantages de la gratification instantanée et la communication de soi suite à cet engagement régénérateur qui est socialement valorisé. Quelle que soit la voie choisie, l’objectif final et sain de la transformation peut alors être atteint !

La prochaine étape : une vision circulaire et automotivante du tourisme

Signe d’une nouvelle phase d’évolution du tourisme, de futures recherches vont rapidement porter sur l’économie circulaire dans le secteur du tourisme et de l’hôtellerie. Il s’agit par exemple de la consommation d’aliments locaux aux hôtels et restaurants neutres en CO2. La gestion des déchets alimentaires dans le domaine du tourisme et de l’hôtellerie est aussi une voie de recherche prometteuse. Il faut aussi approfondir le rôle du tourisme dans la préservation et la régénération de la flore et de la faune locales en s’appuyant sur l’analyse internationale des situations reconnues de succès et de « best pratices ».

Enfin, l’analyse et la validation des indicateurs de « visites nettes zéro » dans les destinations est une piste importante, tout comme les recherches sur la signification personnelle et le pouvoir de développement et de transformation personnels que représentent, pour un individu, les pratiques de ces tourismes vertueux.

Qu’il soit durable, lent ou régénérateur, quels sont les bénéfices ressentis par l’individu voyageur lorsqu’il adopte ces pratiques durables, et comment faire en sorte que ces expériences touristiques soient l’ancrage et le ciment à partir duquel le voyageur ne désire plus autre chose que ces expériences plus vertes et plus vertueuses ?

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Un tourisme durable est-il possible ? – https://theconversation.com/un-tourisme-durable-est-il-possible-260860

Climat : ce que la décision historique de la Cour internationale de justice change pour l’Afrique

Source: The Conversation – in French – By Zunaida Moosa Wadiwala, PhD candidate in international climate law and litigation and Sessional Lecturer- University of the Witwatersrand, University of the Witwatersrand

_La Cour internationale de justice, la plus haute juridiction au monde, a rendu un avis consultatif le 23 juillet 2025. Elle y affirme que le changement climatique « met en péril toutes les formes de vie ». Cette décision fait suite à une recours porté devant la Cour par Vanuatu, un petit État insulaire du Pacifique Sud menacé par la montée des eaux. Cette initiative a été soutenue par 131 autres pays. Il s’agit du plus grand dossier jamais jugé par la Cour. L’avis définit les mesures que tous les gouvernements doivent prendre pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et empêcher le réchauffement climatique. Zunaida Moosa Wadiwala, spécialiste du droit climatique, explique en quoi cet avis consultatif crée un précédent important en matière de responsabilité climatique mondiale.

Quelles sont les conclusions de la Cour internationale de justice ?

L’avis consultatif de la Cour a confirmé que les États ont l’obligation juridique, en vertu du droit international, de protéger le climat contre les changements climatiques causés par l’homme.

Le juge Dire Tladi, également premier juge sud-africain à siéger à la Cour internationale de justice, a qualifié cette affaire de l’une des plus importantes jamais portées devant la Cour. Il a souligné que le changement climatique est une crise existentielle qui menace potentiellement l’avenir de l’humanité.

À l’unanimité, la Cour a rendu un avis selon lequel les États ont l’obligation juridique contraignante de prévenir le réchauffement climatique. Ces obligations sont fondées sur les traités sur le climat, le droit international des droits de l’homme et le droit international coutumier. Elles s’appuient également sur des accords mondiaux visant à protéger des éléments spécifiques de l’environnement (tels que la Convention sur l’ozone, la Convention sur la biodiversité, la Convention sur la désertification et le droit de la mer des Nations unies).

L’avis consultatif précise que les gouvernements doivent prendre les mesures appropriées pour prévenir les dommages environnementaux. Ces mesures doivent se traduire par la mise en des programmes visant à adapter leur pays au changement climatique. Les États doivent également démontrer qu’ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre.

La Cour a également déclaré que le non-respect de ces obligations constituait un acte illégal au vu du droit international. À ce titre, tout gouvernement responsable devra mettre fin à son comportement nuisible. Il devra également s’assurer de ne jamais répéter cet acte illégal et d’offrir des réparations intégrales pour le préjudice causé à toute personne lésée.

Cet avis consultatif devrait redéfinir le contentieux international en matière de climat et les politiques nationales.

S’agit-il d’une victoire pour les pays africains qui ont fourni des preuves ?

Oui. Le Kenya, le Ghana, le Madagascar, l’Afrique du Sud, le Cameroun, la Sierra Leone, Maurice, le Burkina Faso, et l’Égypte ont présenté des observations sur les dommages causés par le changement climatique. La Cour a accepté leurs arguments selon lesquels les pays en développement ont contribué de manière minime aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais subissent les effets du changement climatique plus que les pays développés.

L’avis consultatif a également souligné qu’un environnement propre, sain et durable est nécessaire pour que les populations puissent jouir de leurs droits à l’accès à l’eau, à l’alimentation et au logement. Il s’agit là de questions clés qui ont été soulevées par les États africains.

La Cour a également répondu spécifiquement aux revendications des pays africains en affirmant que les pays développés doivent aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique. Les pays développés sont tenus de fournir un soutien financier, de partager les nouvelles technologies d’adaptation et d’aider les pays vulnérables à renforcer leurs capacités pour faire face au réchauffement climatique.

La Cour a validé une approche fondée sur les droits, en particulier les droits à la vie, à la santé et à un environnement propre et durable. Elle a déclaré que les obligations en matière de changement climatique doivent s’appliquer erga omnes. Cela signifie qu’elles concernent tous les États, et qu’ils ont la responsabilité collective de les respecter. Cette décision donne raison aux demandes anciennes des pays africains pour plus de justice climatique, une reconnaissance juridique claire, et la reconnaissance de l’inégalité des impacts qu’elles subissent.

Cette décision aidera-t-elle les pays africains à réclamer des réparations pour les dommages climatiques qu’ils ont subis ?

Oui. Les pays africains disposent désormais d’outils pour demander réparation pour les dommages liés au climat. Ils devront établir un lien de causalité entre l’acte illégal d’un ou plusieurs États et les dommages subis. En d’autres termes, ils devront établir un lien de causalité clair, factuel et juridique, entre l’acte illégal et les préjudices.

L’une des difficultés pour faire respecter cette décision est que la Cour internationale de justice ne rend pas de jugements contraignants dans ses avis consultatifs. Ainsi, pour réclamer des réparations, les États africains devraient engager une procédure contentieuse devant la Cour contre les pays fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Mais cela n’est possible que si ces pays acceptent la compétence de la Cour.

Étant donné la nature mondiale et cumulative des émissions, prouver qu’un dommage spécifique (inondations, glissements de terrain, sécheresses ou vagues de chaleur) est causé par un pays particulier ou est complexe.

Une autre option pour les pays touchés est de poursuivre en justice des entreprises de combustibles fossiles devant des tribunaux nationaux ou étrangers. L’avis de la Cour renforce les arguments fondés sur le droit des délits (responsabilité pour un acte causant un préjudice) ou sur des notions comme la nuisance (atteinte à l’usage ou à la jouissance d’un bien) et l’enrichissement indu (bénéfice obtenu au détriment d’autrui).

Qu’est-ce que cela signifie pour les pays africains qui continuent d’explorer et d’utiliser les combustibles fossiles ?

L’avis consultatif est très précis sur la manière dont les combustibles fossiles tels que le gaz, le pétrole et le charbon doivent être traités. Il indique que si un État poursuit l’extraction de combustibles fossiles et ne prend pas les mesures climatiques appropriées, il pourrait violer le droit international. Continuer à produire et à consommer des combustibles, octroyer des licences à des sociétés minières pour explorer des combustibles fossiles ou subventionner l’industrie des combustibles fossiles peut également constituer une violation du droit international.

Dans le contexte de la responsabilité des États, cela a de graves implications juridiques pour les 48 pays africains qui sont encore impliqués dans ces activités liées aux combustibles fossiles.

Cet avis consultatif place ces pays devant leurs responsabilités : ils ne peuvent plus demander la justice climatique sur la scène internationale tout en développant les énergies fossiles chez eux. Un État pourrait même être tenu responsable s’il n’impose pas des règles pour encadrer les émissions produites par les entreprises privées sur son territoire.

Il s’agit d’un progrès significatif. Jusqu’ici, par exemple, dans les affaires climatiques sud-africaines qui ont déjà été jugées, elles s’appuyaient principalement sur des questions de procédures, des arguments constitutionnels ou liés aux risques climatiques, comme le manque de consultation des communautés avant l’octroi de licences pour des mines de charbon ou l’impact sur le droit d’accès à l’eau.

Désormais, ce sont les activités liées aux combustibles fossiles elles-mêmes qui peuvent être remises en cause.

En Afrique du Sud, cette nouvelle orientation juridique s’aligne sur la loi sur le changement climatique adoptée en 2024. Cette loi prévoit une réduction progressive, puis une élimination des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Elle trace aussi la voie vers une économie sobre en carbone et capable de résister aux effets du changement climatique.

The Conversation

Zunaida Moosa Wadiwala does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Climat : ce que la décision historique de la Cour internationale de justice change pour l’Afrique – https://theconversation.com/climat-ce-que-la-decision-historique-de-la-cour-internationale-de-justice-change-pour-lafrique-262638

Commerce Sénégal-Turquie : comment les Sénégalais ont bâti un pont entre Dakar et Istanbul

Source: The Conversation – in French – By Papa Sow, Senior Researcher, The Nordic Africa Institute

Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko effectue une visite officielle en Turquie du 6 au 10 août 2025, un déplacement qui s’inscrit dans la continuité des liens anciens et croissants entre Dakar et Ankara. Ce voyage intervient, alors que la Turquie tente de maintenir une position forte en Afrique, avec sa “Politique d’ouverture vers l’Afrique”, adoptée en 1998.

En tant que chercheur sur les questions migratoires et géopolitiques, j’ai analysé, dans une récente étude, les formes d’agences, les réseaux sociaux et le commerce électronique transnational entre Dakar et Istanbul, ainsi que les personnes impliquées, notamment les migrants, les GP (Gratis Passengers ou gratuité partielle). Ces derniers sont des “expéditeurs” de fret ou “facteurs des airs”, qui utilisent leur franchise de bagages, pour transporter des colis hétéroclites entre Istanbul et Dakar. Cette activité est à tort ou à raison taxée de “clandestine”.

Mon étude met en lumière un commerce transnational actif et une migration circulaire et peu visible mais stratégique.

Les entretiens ont principalement porté sur les allers-retours des commerçants entre Dakar et Istanbul, les GP (essentiellement sénégalais) et autres hommes d’affaires sénégalais. Utilisant la puissance des réseaux sociaux tels que WhatsApp, TikTok et Facebook, ils commercent régulièrement avec la Turquie tout en résidant au Sénégal. Certains d’entre eux n’ont d’ailleurs jamais quitté le Sénégal.

Avec les tarifs préférentiels sur les billets d’avion, ils ont réussi à mettre en place un système de transport de colis payant fondé sur leur franchise de bagages. Contrairement aux passagers ordinaires qui ne peuvent dépasser les 46 kg autorisés, les GP peuvent transporter jusqu’à 100 kg par voyage, souvent avec des réductions de 50 % sur leurs tarifs grâce à des cartes de fidélité de compagnies aériennes.




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Origines de la coopération entre les deux pays

Les origines de la coopération entre Dakar et Istanbul remontent à 1900, année où un consulat honoraire fut ouvert à Dakar pour préserver les liens établis avec le Sénégal. Le premier ambassadeur de Turquie fut nommé au Sénégal en 1963. La première ambassade du Sénégal ouvrit en Turquie en 2006. Le Sénégal offre un potentiel considérable pour divers produits tels que le coton, les ressources halieutiques, les céréales, les fruits, les peaux, etc., qui sont tous exportés vers la Turquie.

En 2021, le volume des échanges commerciaux, industriels et d’investissements entre les deux pays a ainsi atteint plus de 540 millions de dollars US, contre plus de 91 millions de dollars américains en 2008. Cette coopération s’étend également à la défense, à la sécurité et à la culture. Une centaine d’entreprises turques sont déjà installées au Sénégal.

En 2017, l’État turc a régularisé plus de 1 400 Sénégalais vivant en Turquie. Le nombre de Sénégalais présents sur le sol turc varie selon les sources. On estime que plusieurs milliers de Sénégalais vivent ou transitent par le territoire turc. Depuis le milieu des années 2000, de nombreux commerçants et entrepreneurs sénégalais, notamment des femmes, effectuent des voyages d’affaires à Istanbul ou promeuvent les échanges commerciaux entre les deux pays.

En compétition avec le hub de Dubai, la nouvelle destination que constitue la Turquie a contribué non seulement à modifier un peu le paysage migratoire des Sénégalais vers l’Europe occidentale (qui demeurait la principale destination), mais a également permis à certains commerçants de se spécialiser dans les importations turques. Ces importations sont communément appelées au Sénégal, en langue Wolof, « bagaassu Turki » (produits turcs). Elles sont composées de cosmétiques, d’accessoires pour la maison, de vêtements et de divers produits technologiques.




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Les réseaux économiques transnationaux entre Istanbul et Dakar

Les commerçants interrogés ont déclaré avoir choisi Istanbul comme centre international d’approvisionnement en gros en raison du coût élevé des voyages vers la Chine et des problèmes de visas avec ce pays. À Istanbul, certains Sénégalais travaillent comme « expéditeurs » de fret, ou GP, en référence aux tarifs préférentiels des compagnies aériennes, et, par extension, comme transporteurs de colis hors taxes vers le Sénégal et d’autres pays africains.

Nous les distinguons des migrants kargo, qui transportent de grosses quantités de marchandises par bateau pour atteindre le Sénégal. Les GP, transportant de plus petites quantités, utilisent l’avion comme moyen de transport. Mais ils peuvent aussi souvent expédier le reste de leurs marchandises via le système Kargo.

Les GP ont également la possibilité de transporter des bagages supplémentaires, facturés comme fret. Dans ce contexte de transactions permanentes, ils effectuent régulièrement deux à trois allers-retours par mois entre Dakar et Istanbul.

Pistes de réflexion autour du phénomène

Premièrement, il serait intéressant de réaliser des études complètes sur le volume de marchandises et de produits expédiés du Sénégal vers la Turquie et inversement, mais aussi de dresser les profils et la cartographie des transporteurs et de connaître leurs revenus annuels. L’étude que j’ai menée n’a pas pu combler ce gap de statistiques. Les États sénégalais et turc seraient ainsi mieux à même de les soutenir en créant de nouveaux emplois.

Cela pourrait mettre en lumière le chiffre d’affaires global des commerçants turcs et sénégalais dans cette mobilité circulaire, mais aussi des nouveaux entrepreneurs émergents sur les réseaux sociaux qui commercent fréquemment sans jamais quitter le Sénégal.

Deuxièmement, le secteur du e-commerce développé par les entrepreneurs des réseaux sociaux est encore peu connu au Sénégal, mais il génère un nouveau marché. Ce créneau peu étudié, qualifié à tort ou à raison d’« informel », mérite une plus grande attention, car il a non seulement contribué à réduire le coût des marchandises sur les marchés locaux pour les consommateurs, mais a également permis de voir au Sénégal la distribution à grande échelle des produits turcs.

Troisièmement, les échanges qui tournent autour du bagaassu Turki sont diversement interprétés. Le mécontentement est visible parmi les artisans sénégalais qui accusent le bagaassu Turki d’avoir contribué à freiner la production textile et les savoir-faire créatifs locaux.

Plusieurs artisans sénégalais – cordonniers, bijoutiers, tailleurs – nous ont confié, par exemple, que les produits turcs – chaussures, sacs en cuir et vêtements surtout – constituent une sérieuse concurrence pour certains produits locaux. Les bagaassu Turki, plus élaborés et plus raffinés, se vendent facilement sur le marché sénégalais grâce à leurs prix abordables, contrairement aux produits locaux fabriqués à la main et nécessitant souvent de nombreuses heures de travail. Une telle doléance mérite également d’être prise au sérieux par les autorités sénégalaises.

Quatrièmement, la migration circulaire de courte durée – aller-retour – est souvent négligée dans les études sur les migrations, mais constitue une solution endogène pertinente entre pays riches et pays à faible revenu.

En favorisant cette forme de migration, au détriment de la migration de longue durée, susceptible de poser davantage de problèmes aux pays hôtes, il est tout à fait possible de redynamiser l’économie des pays à faible revenu grâce à la contribution des migrants. Cela passe par la mise en valeur de leur expertise et compétence, par des actions ciblées et inclusives favorisant l’accès à l’information en temps opportun et à la création d’emplois dans les pays d’origine.

À terme, une telle politique renforcera les capacités institutionnelles et améliorera les politiques migratoires, les cadres juridiques et les réglementations. Cela pourrait ainsi contribuer à faire de la mobilité des personnes et des biens entre les États une solution mutuellement avantageuse et à dissiper progressivement “l’heuristique de la peur” (décrit par le théoricien allemand Hans Jonas qui domine actuellement le débat politique sur les migrations internationales.

The Conversation

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ref. Commerce Sénégal-Turquie : comment les Sénégalais ont bâti un pont entre Dakar et Istanbul – https://theconversation.com/commerce-senegal-turquie-comment-les-senegalais-ont-bati-un-pont-entre-dakar-et-istanbul-262814

Pourquoi l’astrologie et les cartes de tarot, qui ont des siècles d’histoire, nous intéressent-elles encore ?

Source: The Conversation – in French – By Hanna Tervanotko, Associate professor, Religious Studies, McMaster University

Le jeu de tarot Sola Busca, originaire d’Italie, au XVe siècle environ. (Artist unknown), CC BY

D’après un rapport récent du Pew Research Centre, plus de 30 % des Américains croient à des pratiques ésotériques et consultent régulièrement des astrologues, tarologues ou cartomanciens.

Même si l’enquête indique que ces personnes le font « pour s’amuser » et déclarent ne se fier qu’« un peu » aux informations obtenues par la divination, la persistance – et l’augmentation apparente – de ces pratiques semble montrer qu’il y a quelque chose de plus profond en jeu.

un dessin représentant une femme vêtue d’une robe bleue
Carte de tarot : la grande prêtresse (tarot Waite-Smith), vers 1909.
(Pamela Colman Smith), CC BY

Les humains se sont toujours tournés vers la divination pour trouver des réponses à leurs questions et acquérir des connaissances qui pourraient les aider à se préparer pour l’avenir, en particulier dans les périodes d’incertitude. Ainsi, les recherches sur les « cartes de tarot » ont augmenté de plus de 30 % pendant la pandémie.

J’étudie la divination à l’époque de l’antiquité, mais j’ai aussi observé des devins contemporains à l’œuvre et discuté avec eux de leur pratique, afin de mieux comprendre leur travail. Ils affirment que leurs clients demandent des consultations de tarot plus fréquemment qu’auparavant.

Qu’est-ce que la divination ?

Le dictionnaire Usito définit la divination comme suit : « Art, capacité supposée de prévoir l’avenir et de connaître ce qui est caché par l’interprétation non scientifique de phénomènes. » Le Merriam-Webster parle d’un ensemble de « pratiques qui cherchent à prévoir ou à prédire des événements futurs ou à découvrir des connaissances cachées, généralement par l’interprétation de présages ou à l’aide de pouvoirs surnaturels ».

Les méthodes divinatoires, telles que le tarot et l’astrologie, permettent de poser des questions lorsque d’autres systèmes ne fournissent pas de réponse. Ces questions peuvent être très personnelles et difficiles à aborder dans un cadre religieux formel. Les réponses divinatoires donnent le sentiment d’avoir une compréhension plus profonde, ce qui peut engendrer une impression de contrôle sur un avenir incertain.

Outre l’astrologie et le tarot, les méthodes les plus connues sont l’interprétation des rêves, la lecture dans les tasses de café ou les feuilles de thé, l’observation des animaux et de la nature, ainsi que la lecture des lignes de la main et d’autres caractéristiques corporelles, telles que la forme du nez ou l’emplacement des yeux.

Lorsqu’une personne utilise des objets tels que des cartes, des feuilles de thé, des dés ou des coquillages, le facteur commun de ces méthodes est l’impossibilité de contrôler les signes qu’elles produisent. Par exemple, on doit généralement mélanger le jeu de tarot pour garantir des résultats aléatoires. Il ne faut pas manipuler les résultats.

La divination, un autre mode de connaissance

Les données du Pew Centre révèlent qu’aux États-Unis, les jeunes, les femmes et les membres de la communauté LGBTQ sont parmi les personnes qui ont le plus recours à des méthodes divinatoires. Marcelitte Failla, professeure d’études religieuses, a écrit sur les femmes noires contemporaines qui se sont réapproprié le jeu de tarot pour répondre de manière créative à leurs besoins spirituels.

De nombreuses personnes se tournent vers la religion lorsqu’elles sont confrontées à l’inconnu. Elles utilisent leur pratique religieuse pour résoudre leur insécurité et solliciter l’aide divine.

Cependant, il y a toujours eu des personnes qui n’avaient pas accès à une religion formelle. Les pratiques divinatoires peuvent être particulièrement attrayantes pour celles qui ont été exclues de la religion traditionnelle et qui ont dû trouver d’autres moyens de surmonter leurs incertitudes.


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Ce pouvait être le cas pour ceux qui vivaient dans des régions isolées et ne pouvaient se rendre dans des lieux de culte tels que des temples. Ils pouvaient aussi avoir été exclus de la religion pour des raisons d’identité. Les femmes, par exemple, restaient souvent à la maison pour s’occuper des enfants et des malades. Parfois, l’accès aux lieux de culte leur était refusé en raison de leur « impureté » corporelle, lorsqu’elles avaient leurs règles ou qu’elles venaient d’accoucher.

Les personnes LGBTQ+ rencontrent le même type d’obstacle. Aux États-Unis, la discrimination à l’encontre des personnes LGBTQ+ est une des principales raisons pour lesquelles les gens quittent les institutions religieuses traditionnelles. Au Canada, le traitement discriminatoire des minorités sexuelles par les Églises est un des premiers motifs pour lesquels les gens cessent de les fréquenter.

La divination pour répondre à l’incertitude

À une époque marquée par l’anxiété, l’instabilité politique et la perte de confiance dans les institutions, les anciens rituels de divination offrent aux gens des moyens de se divertir, mais aussi de trouver un sentiment de compréhension et de connexion, ainsi qu’une capacité d’action. Ce qui peut sembler n’être qu’un simple divertissement constitue parfois une réponse sérieuse à un monde chaotique. Les pratiques divinatoires apportent à la fois une exploration spirituelle et une validation émotionnelle.

Il est naturel qu’une situation aussi nouvelle qu’une pandémie engendre de l’anxiété et de l’incertitude.

Encore aujourd’hui, les gens ressentent davantage d’anxiété qu’avant la pandémie de Covid-19. Parmi les principales sources d’inquiétude, on compte la politique mondiale, la sécurité d’emploi et les finances personnelles.

Pendant que nous tentons de comprendre des situations nouvelles, déroutantes et en constante évolution, de nombreuses personnes élaborent des théories, dont certaines sont discutables. Pour développer une connaissance du monde, on peut s’intéresser à d’autres approches, comme la divination.

Le tarot pour réfléchir aux émotions

Les gens consultent des lectures de tarot sur des plateformes en ligne. De nombreux comptes de réseaux sociaux présentent du tarot.

Outre l’insécurité politique croissante, une autre raison de cet intérêt accru pour le tarot peut être son aspect visuel. L’attrait pour les cartes illustrées peut refléter notre culture hautement visuelle ainsi que l’intérêt pour d’autres images que nous aimons regarder. Ces cartes sont comme des photos avec des messages.

La fascination pour le tarot peut également refléter un besoin d’avoir une certaine maîtrise de la consultation, car le tarologue et le client voient la même chose. Les images sont symboliques et peuvent être interprétées de différentes manières.

Cela signifie que plutôt que de fournir une réponse directe à une question, les cartes sont des outils qui peuvent aider la personne à réfléchir à ses émotions et à ses sentiments.

Le tarot n’est pas une religion. L’objet que l’on consulte n’est ni une image du divin ni un symbole de transcendance. Cette absence d’alignement sur une religion permet à des personnes de différentes confessions d’aborder le tarot comme une pratique spirituelle.

En principe, il est possible de consulter les cartes n’importe où, sans préparation particulière. Le seul matériel nécessaire est un jeu de cartes. Cette accessibilité peut contribuer à la popularité du tarot.

Les aspects ludiques de la divination

De nombreuses méthodes divinatoires ont un aspect ludique. Les objets utilisés pour la divination par tirage au sort, comme les cailloux, les pierres, les osselets à quatre faces ou les dés, sont en effet les mêmes que ceux utilisés pour jouer à des jeux de société.

Des images anciennes montrent des personnes consultant ces objets ou jouant avec, ce qui suggère que les frontières entre certaines méthodes divinatoires ont toujours été floues.

Le hasard étant un élément important de la consultation divinatoire, les nouvelles perspectives que différentes méthodes permettent d’obtenir peuvent être à la fois surprenantes et divertissantes.

La Conversation Canada

Hanna Tervanotko reçoit un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

ref. Pourquoi l’astrologie et les cartes de tarot, qui ont des siècles d’histoire, nous intéressent-elles encore ? – https://theconversation.com/pourquoi-lastrologie-et-les-cartes-de-tarot-qui-ont-des-siecles-dhistoire-nous-interessent-elles-encore-260074

« Comment ne pas être tué par la bombe atomique » En 1950, les curieux conseils de « Paris Match »

Source: The Conversation – France (in French) – By Anne Wattel, Professeure agrégée, Université de Lille

Il y a 80 ans, le 6 août 1945, se déroulait une tragédie nommée Hiroshima. Les mots de la bombe se sont alors imposés dans l’espace médiatique : « E = mc2 », « Little Boy et Fat Man », « radiations », « bikini », « gerboise », « globocide »…

Dans le Souffle d’Hiroshima, publié en 2024 aux éditions Epistémé (librement accessible en format numérique), la chercheuse Anne Wattel (Université de Lille) revient, à travers une étude culturelle qui s’étende de 1945 à 1960, sur la construction du mythe de l’atome bienfaisant.

Ci-dessous, nous reproduisons un extrait du chapitre 3, consacré à l’histoire du mot « bikini » ainsi qu’à un étonnant article publié par Paris Match en 1950.


« Il y a eu Hiroshima […] ; il y a eu Bikini avec sa parade de cochons déguisés en officiers supérieurs, ce qui ne manquerait pas de drôlerie si l’habilleuse n’était la mort. » (André Breton, 1949

Juillet 1946 : Bikini, c’est la bombe

Lorsqu’en 1946, le Français Louis Réard commercialise son minimaliste maillot de bain deux pièces, il l’accompagne du slogan : « Le bikini, première bombe anatomique. »

On appréciera – ou pas – l’humour et le coup de com’, toujours est-il que cette « bombe », présentée pour la première fois à la piscine Molitor, le 5 juillet 1946, est passée à la postérité, que le bikini s’est répandu sur les plages et a occulté l’atoll des îles Marshall qui lui conféra son nom, atoll où, dans le cadre de l’opération Crossroads, les Américains, après avoir convaincu à grand renfort de propagande la population locale de s’exiler (pour le bien de l’humanité), multiplièrent les essais atomiques entre 1946 et 1958.

La première bombe explose le 1er juillet 1946 ; l’opération est grandement médiatisée et suscite un intérêt mondial, décelable dans France-soir qui, un mois et demi avant « l’expérience », en mai 1946, renoue avec cet art subtil de la titraille qui fit tout son succès :

« Dans 40 jours, tonnerre sur le Pacifique ! Bikini, c’est la bombe » (France-soir, 19-20 mai 1946)

Mais la bombe dévie, ne touche pas l’objectif et la flotte cobaye est quasiment intacte. C’est un grand flop mondial, une déception comme le révèlent ces titres glanés dans la presse française :

  • « Deux navires coulés sur soixante-treize. “C’est tout ?” » (Ce soir, 2 juillet 1946) ;

  • « Bikini ? Ce ne fut pas le knockout attendu » (Paris-presse, 2 juillet 1946) ;

  • « À Bikini, la flotte cobaye a résisté » (France-soir, 2 juillet 1946).

C’est un « demi-ratage », un possible « truquage » pour l’Aurore (2 juillet 1946) ; et le journal Combat se demande si l’expérience de Bikini n’a pas été volontairement restreinte (Combat, 2 juillet 1946).

Les essais vont se poursuivre, mais le battage médiatique va s’apaiser. Le 26 juillet, Raymond Aron, dans Combat, évoque, effaré, la déception générale occasionnée par la première bombe et se désespère alors qu’on récidive :

« Les hommes seuls, maîtres de leur vie et de leur mort, la conquête de la nature, consacrée par la possession d’un pouvoir que les sages, dans leurs rêves, réservaient aux dieux : rien ni personne ne parviendra à voiler la grandeur tragique de ce moment historique. »

Et il conclut :

« […] Aujourd’hui, rien ne protège l’humanité d’elle-même et de sa toute-puissance mortelle. »




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Premier-Avril 1950 : « Comment ne pas être tué par une bombe atomique »

L’hebdomadaire français Paris Match, qui a « le plus gros tirage dans les années 1950 avec près de 2 millions d’exemplaires chaque semaine », dont « l ‘impact est considérable » et qui « contribue à structurer les représentations », propose dans son numéro du 1er avril 1950 une couverture consacrée, comme c’est fréquemment le cas, à l’aristocratie (ici la famille royale de Belgique) mais, dans un unique encadré, bien visible en haut de page, le titre, « Comment ne pas être tué par une bombe atomique », se présente comme un véritable produit d’appel d’autant plus retentissant qu’on sait officiellement, depuis septembre 1949, que l’URSS possède la bombe atomique.

Paris Match, 54, 1er avril 1950, première de couverture et titres des pages 11 et 12.
© Paris Match/Scoop

L’article, qui nous intéresse et qui se déploie sur deux pleines pages, est écrit par Richard Gerstell qu’un encadré présente comme « un officier de la marine américaine », « un savant », « docteur en philosophie », « conseiller à la défense radiologique à l’Office de la défense civile des États-Unis ». L’auteur est chargé par le ministère de la défense d’étudier les effets de la radioactivité des essais atomiques de Bikini et d’élaborer des « plans pour la protection de la population civile contre une éventuelle attaque atomique ».

L’encadré inséré par la rédaction de Paris Match vise donc à garantir la crédibilité du rédacteur de l’article, un homme de terrain, un scientifique, dont on précise qu’il « a été exposé plusieurs fois aux radiations atomiques et n’en a d’ailleurs pas souffert physiquement (il n’a même pas perdu un cheveu) », qui rend compte de sa frayeur lorsque le compteur Geiger révéla que ses cheveux étaient « plus radioactifs que la limite ». Il s’agit donc, du moins est-ce vendu ainsi, du témoignage, de l’analyse d’un témoin de choix ; il s’agit d’une information de première main.




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Dans les premiers paragraphes de l’article de Match, Gerstell explique avoir eu, dans les premiers temps, « la conviction que la destruction atomique menaçait inévitablement une grande partie de l’humanité ». C’est pourquoi il accueillit favorablement la parution de l’ouvrage de David Bradley, No Place to Hide (1948), qui alertait sur les dangers de la radioactivité. Mais il ne s’appuyait alors, confie-t-il, que sur une « impression » ; il manquait de recul. En possession désormais des « rapports complets des expériences de Bikini et des rapports préliminaires des nouvelles expériences atomiques d’Eniwetok », il a désormais « franchement changé d’avis ».

L’article publié dans Match vise un objectif : convaincre que la radioactivité, sur laquelle on en sait plus que sur « la poliomyélite ou le rhume », « n’est, au fond, pas plus dangereuse que la fièvre typhoïde ou d’autres maladies qui suivent d’habitude les ravages d’un bombardement ».

Fort de son « expérience “Bikini” », durant laquelle, dit-il, « aucun des 40 000 hommes » qui y participèrent « ne fut atteint par la radioactivité », Gerstell entend mettre un terme aux « légendes » sur les effets de cette dernière (elle entraînerait la stérilité, rendrait des régions « inhabitables à jamais »). « Tout cela est faux », clame-t-il ; la radioactivité est « une menace beaucoup moins grande que la majorité des gens le croient ».

Un certain nombre de précautions, de conseils à suivre pour se protéger de la radioactivité en cas d’explosion nucléaire sont livrés aux lecteurs de Paris Match : fermer portes et fenêtres, baisser les persiennes, tirer les rideaux ; ôter ses souliers, ses vêtements avant de rentrer chez soi, les laver et frotter ; prendre des douches « copieuses » pour se débarrasser des matières radioactives ; éviter les flaques d’eau, marcher contre le vent ; s’abriter dans une cave, « protection la plus adéquate contre les radiations »…

On laisse le lecteur apprécier l’efficacité de ces mesures…

Pour se protéger de la bombe elle-même dont « la plupart des dégâts sont causés par les effets indirects de l’explosion », se coucher à plat ventre, yeux fermés ; pour éviter les brûlures, trouver une barrière efficace (mur, égout, fossé) ; porter des « vêtements en coton clair », des pantalons longs, des blouses larges, « un chapeau aux bords rabattus »…

Ainsi, ce témoin, ce « savant », qui étudia l’impact de la radioactivité, rassure-t-il le lectorat français de Match : on peut se protéger de la bombe atomique, des radiations ; il suffit d’être précautionneux.

Foin des légendes ! Ce regard éclairé, scientifiquement éclairé, s’appuie sur l’expérience, sur Bikini, sur Hiroshima et Nagasaki pour minorer (et c’est peu dire) le danger des radiations, car, c’est bien connu, « les nuages radioactifs à caractère persistant sont vite dissipés dans le ciel » (cela n’est pas sans nous rappeler l’incroyable mythe du nuage qui, à la suite de la catastrophe de Tchernobyl, le 26 avril 1986, se serait arrêté aux frontières de la France) ; « la poussière radio-active persistante qui se dépose sur la peau ne paraît pas dangereuse » ; « au voisinage immédiat du point d’explosion, une pleine sécurité peut être assurée par 30 centimètres d’acier, 1 mètre de béton ou 1 m 60 de terre. À un kilomètre et demi, la protection nécessaire tombe à moins d’un centimètre d’acier et quelques centimètres de béton ».

En avril 1950, l’Américain Richard Gerstell, dont les propos sont relayés en France par l’hebdomadaire Paris Match, niait encore l’impact de la radioactivité.

The Conversation

Anne Wattel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. « Comment ne pas être tué par la bombe atomique » En 1950, les curieux conseils de « Paris Match » – https://theconversation.com/comment-ne-pas-etre-tue-par-la-bombe-atomique-en-1950-les-curieux-conseils-de-paris-match-259333

La diplomatie donnant-donnant de Donald Trump en Ukraine, un échec pour arrêter l’agression russe

Source: The Conversation – in French – By Renéo Lukic, Professeur titulaire de relations internationales, Université Laval

Six mois après l’intronisation du président Donald Trump à la Maison-Blanche, son effort d’arrêter la guerre en Ukraine a échoué.

Sa promesse électorale d’y mettre fin « en 24 heures » n’a rien à voir avec la réalité diplomatique présente. Un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine, une proposition américaine et ukrainienne, est constamment refusé par la Russie.

Quant à la « paix durable et juste » tant souhaitée par le président Volodymyr Zelensky et ses alliés européens, elle est hors de la portée des acteurs impliqués dans ce conflit.

Tandis que les alliés européens de l’Ukraine et le gouvernement canadien mènent une politique d’endiguement à l’égard de la Russie depuis son agression contre l’Ukraine, le 24 février 2022, celle du président Trump depuis le début de son mandat politique est diamétralement opposée. Il tente l’apaisement.

Contre toute base factuelle, le président américain a refusé de nommer la Russie comme étant l’État agresseur dans la guerre en Ukraine. Il est même allé jusqu’à accuser l’Ukraine d’être responsable de cette guerre.

Lors d’une réunion à la Maison Blanche, le 28 février dernier, le président et son vice-président, J.D. Vance, ont humilié Zelensky en le traitant de « petit dictateur » qui ne possède « aucune carte diplomatique à jouer », contrairement au président russe, Vladimir Poutine. Même si les relations personnelles entre Trump et Zelensky se sont améliorées par la suite, l’attitude de la politique américaine envers l’Ukraine est restée volatile et mitigée.

Professeur titulaire de relations internationales au département d’histoire de l’Université Laval, j’ai co-écrit cet article avec Sophie Marineau, doctorante à l’Université catholique de Louvain en histoire. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de nos recherches respectives.

Une diplomatie transactionnelle

Depuis le début du nouveau mandat de Trump, l’aide américaine à l’Ukraine s’inscrit donc dans une dynamique résolument transactionnelle. Cette approche ne repose plus sur des principes de solidarité, de défense des valeurs démocratiques ou de sécurité collective, mais sur une logique d’échange, où toute assistance doit générer un retour concret pour les États-Unis.

Loin de la tradition multilatérale qui caractérisait les engagements occidentaux durant les premières années du conflit russo-ukrainien, cette diplomatie est structurée autour du concept de deal, dans lequel chaque concession – qu’elle soit militaire, économique ou politique – doit être compensée.

Le premier tournant majeur se produit en mars 2025 – à la suite de la rencontre Trump – Zelensky – lorsque Washington suspend sans avertissement l’aide militaire à l’Ukraine. Les États-Unis bloquent des livraisons déjà en cours, dont des systèmes antiaériens essentiels et des munitions de précision.

Cette décision, prise de manière unilatérale, vise à faire pression sur le gouvernement ukrainien pour l’inciter à accepter un cessez-le-feu temporaire avec la Russie, dans des conditions jugées inacceptables par Kyiv. Ce geste provoque un choc diplomatique en Europe et soulève de vives inquiétudes quant à la fiabilité de l’engagement américain.

Mais au-delà du geste lui-même, ce que révèle cette suspension est la vision profondément transactionnelle des relations internationales portées par Trump : l’aide devient un levier, non un engagement moral ou stratégique.

Un accès aux ressources naturelles

Un exemple encore plus explicite de cette logique apparaît quelques semaines plus tard, avec la proposition controversée d’un accord sur les ressources naturelles.




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Selon ce projet, l’Ukraine aurait cédé jusqu’à 50 % des revenus issus de l’exploitation de ses minerais stratégiques – lithium, titane, terres rares – à un fonds américain, en échange de la reprise de l’aide militaire. L’accord, signé fin avril 2025, aboutit à la création d’un fonds d’investissement conjoint entre Kyiv et Washington, destiné à exploiter les ressources naturelles ukrainiennes : minéraux rares (terres rares, lithium, titane, uranium), pétrole et gaz naturel.


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L’Ukraine conserve la propriété et le contrôle exclusifs de ses ressources, bien que l’exploitation soit encadrée par le partenariat. L’un des buts affichés est de garantir un soutien à long terme des États‑Unis à l’effort de guerre ukrainien, en échange d’un accès prioritaire aux ressources, sans engagements formels en matière de garanties de sécurité pour Kyiv.

Négocier toute forme d’aide

Cette logique transactionnelle s’exprime aussi à travers des actions plus discrètes, mais tout aussi révélatrices, comme le gel temporaire de la livraison de missiles Patriot au mois de juillet, officiellement justifié par une « révision des capacités stratégiques » américaines.

En pratique, cette suspension a été perçue comme un moyen de pression implicite, destiné à inciter l’Ukraine à adopter certaines lignes politiques plus conciliantes, voire à ouvrir la voie à une redéfinition des objectifs militaires.

Au final, cette diplomatie transforme l’aide humanitaire ou militaire en monnaie d’échange. Chaque cargaison devient une pièce de négociation, chaque soutien, un contrat implicite.

Une approche qui fragilise les alliances et redéfinit les règles

La guerre en Ukraine, loin d’être perçue comme un affrontement idéologique entre démocratie et autoritarisme, est reconfigurée comme un théâtre où se négocient des intérêts économiques et politiques à court terme.

Cette approche fragilise les alliances, introduit une incertitude structurelle dans la relation transatlantique et redéfinit les règles du jeu international autour d’une logique marchande assumée, où l’engagement moral est subordonné au bénéfice direct.

Le Canada poursuit des objectifs différents

Face à la tendance américaine à instrumentaliser l’aide à l’Ukraine selon des logiques transactionnelles, le Canada adopte une posture claire : Ottawa rejette fermement l’idée d’une assistance conditionnée à des concessions politiques, économiques ou stratégiques.

À la différence des États-Unis sous l’administration Trump, qui ont suspendu des aides militaires en échange de contreparties, le Canada reste attaché à un soutien fondé sur la solidarité démocratique, le droit international et un engagement multilatéral stable. À plusieurs reprises, le gouvernement canadien a réaffirmé publiquement la fiabilité du Canada comme partenaire, insistant sur l’impartialité et la cohérence des engagements envers l’Ukraine.

Parallèlement, Ottawa renforce son rapprochement avec l’Union européenne. Le sommet UE‑Canada du 23 juin 2025 a abouti à la signature d’un partenariat stratégique en matière de sécurité et défense, première alliance de ce genre entre l’UE et un pays américain. Cet accord établit une coopération élargie sur le soutien à l’Ukraine, la cybersécurité, la mobilité militaire, les matières critiques et les chaînes industrielles stratégiques, tout en offrant au Canada l’accès au fonds européen SAFE de 150 milliards €.

Cet alignement confirme une volonté d’Ottawa de diversifier ses partenariats, de réduire sa dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis, et de consolider un pilier euro-atlantique indépendant. Ce repositionnement renforce la crédibilité canadienne comme acteur fiable dans un ordre international fondé sur les règles, et témoigne d’une vision stratégique plaçant l’UE comme partenaire central de longue durée.

La Conversation Canada

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. La diplomatie donnant-donnant de Donald Trump en Ukraine, un échec pour arrêter l’agression russe – https://theconversation.com/la-diplomatie-donnant-donnant-de-donald-trump-en-ukraine-un-echec-pour-arreter-lagression-russe-262375

Rougeurs, nez bouché… et si vous étiez intolérant au vin rouge ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Mickael Naassila, Professeur de physiologie, Directeur du Groupe de Recherche sur l’Alcool & les Pharmacodépendances GRAP – INSERM UMR 1247, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Rougeur au visage, nez bouché, maux de tête, troubles digestifs… si ces symptômes se manifestent après avoir consommé du vin rouge, ils révèlent peut-être une intolérance à l’histamine contenue naturellement dans cet alcool. À ne pas confondre avec une allergie. Explications


Un verre de vin rouge, et voilà que le nez se bouche, les joues deviennent rouges, la tête se serre, ou la fatigue vous tombe dessus. Est-ce une allergie ? Une réaction aux sulfites ? Une intolérance à l’alcool ? Ce que vous ressentez est peut-être… une intolérance à l’histamine, un trouble mal connu, mais relativement fréquent. Et ce n’est pas la seule cause possible.




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Les réactions d’hypersensibilité aux boissons alcoolisées, et particulièrement au vin rouge, sont relativement fréquentes et affectent environ 10 % de la population générale.

Un cas révélateur d’une intolérance à l’histamine

Prenons le cas de Carine, 51 ans, amatrice de vins de Bourgogne. Depuis quelques années, chaque verre de rouge qu’elle consomme s’accompagne de rougeurs soudaines au niveau de son visage, de maux de tête et d’une grosse fatigue. Les vins blancs, eux, passent sans souci.

Après des tests médicaux, le verdict tombe : intolérance à l’histamine, favorisée par un déficit partiel en diamine oxydase (DAO), l’enzyme qui élimine normalement cette molécule dans l’intestin.

L’histamine : un composé naturel du vin

L’histamine est une molécule produite par notre corps, notamment lors de réactions allergiques. Mais on la retrouve aussi dans l’alimentation, en particulier dans les produits fermentés ou vieillis comme les fromages affinés, les charcuteries… et les vins.

Dans le vin, elle provient principalement d’une deuxième fermentation, appelée fermentation malolactique, menée par des bactéries lactiques. Cette transformation, très recherchée pour assouplir les vins rouges, favorise aussi la production d’histamine et d’autres « amines biogènes » (tyramine, putrescine…).

Le vin rouge davantage à risque d’hypersensibilité

Le vin rouge est plus à risque d’hypersensibilité à l’histamine que le blanc du fait de la vinification. Le vin rouge fermente avec les peaux de raisin, riches en précurseurs d’amines. Le vin blanc, lui, est pressé avant fermentation, ce qui limite la charge en histamine. De plus, les rouges subissent presque toujours une fermentation malolactique, contrairement à de nombreux blancs secs ou mousseux.

Résultat : le vin rouge peut contenir jusqu’à dix fois plus d’histamine que le vin blanc. Une étude autrichienne, menée sur 100 grands crus rouges, a montré que 34 % de ces vins dépassaient la limite de 10 mg/l d’histamine.

Bien qu’aucune politique n’ait encore été mise en œuvre, en Europe, la filière viticole a adopté des seuils limites allant de 2 à 10 milligrammes d’histamine par litre de vin. Mais actuellement, il n’existe aucune réglementation ou restriction spécifique concernant la teneur maximale en histamine dans le vin.

L’intolérance à l’histamine : une question d’enzyme

Normalement, l’histamine ingérée est éliminée dans l’intestin par l’enzyme appelée DAO (pour diamine oxydase). La DAO est présente principalement dans le tractus gastrointestinal (surtout le petit intestin), le foie, les reins et les mastocytes. L’histamine est aussi éliminée par l’histamine N-méthyltransférase (HNMT) présente dans tous les tissus.

Mais certaines personnes ont une activité enzymatique réduite, soit de manière héréditaire (mutation du gène AOC1), soit en raison de maladies digestives chroniques (comme le syndrome de l’intestin irritable ou la maladie cœliaque), soit à cause de médicaments (antidépresseurs, anti-inflammatoires…).

Chez elles, même de faibles quantités d’histamine peuvent déclencher une cascade de symptômes dans l’heure suivant la consommation :

  • rougeurs du visage, bouffées de chaleur ;

  • nez bouché, éternuements ;

  • urticaire, démangeaisons ;

  • maux de tête, migraines ;

  • troubles digestifs (crampes, diarrhées) ;

  • somnolence brutale, baisse de tension.

Selon l’Institut international sur la déficience en DAO, plus de 10 % de la population présenterait une déficience en DAO.

L’alcool inhibe l’activité de la DAO et entraîne donc une accumulation d’histamine. L’alcool augmente aussi la perméabilité intestinale et facilite donc le passage de l’histamine ingérée dans le sang et son accumulation dans le cerveau. L’histamine se fixe aux récepteurs H3 de l’histamine des petits vaisseaux cérébraux, entraînant ainsi une vasodilatation et des maux de tête induits par l’histamine.

Pour toutes ces raisons, si vous êtes intolérant à l’histamine et que vous vous trouvez autour d’un buffet avec de l’alcool et des aliments qui contiennent beaucoup d’histamine, par exemple du fromage, vous risquez de passer un sale quart d’heure.

Allergie ou intolérance ? Une distinction essentielle

Attention, l’intolérance à l’histamine est différente de l’allergie classique.

Dans une allergie vraie, une réaction immunitaire impliquant des anticorps IgE est mise en jeu, ce qui n’est pas le cas pour l’intolérance.

Pourtant, certaines personnes présentent bel et bien des allergies au vin, rares mais authentifiées :

  • allergie au raisin : la protéine Vit v 1, très proche des allergènes de la pêche ou de la cerise, est le principal responsable ;

  • allergie aux agents de collage : certains vins utilisent des protéines animales (œuf, poisson, lait) pour clarifier le vin. Chez les personnes allergiques, des traces résiduelles peuvent suffire à déclencher une réaction ;

  • allergie aux moisissures ou aux levures : Botrytis cinerea, responsable de la « pourriture noble » dans certains liquoreux, peut aussi être allergène ;

  • allergie aux protéines d’insectes : dans des cas extrêmes, des venins de guêpes ou d’abeilles présents dans les moûts peuvent provoquer des chocs anaphylactiques, notamment dans les vins jeunes non filtrés.

À noter qu’une réaction d’hyperréactivité des bronches à la suite de consommation d’alcool est aussi plus fréquente chez les personnes asthmatiques présentant une rhinite.

Et si ce n’était pas l’histamine ?

Le vin est un concentré chimique complexe. D’autres composants peuvent aussi être en cause :

  • les sulfites (additifs conservateurs), en particulier dans le vin blanc, peuvent déclencher des crises d’asthme ;

  • l’éthanol et ses métabolites (comme l’acétaldéhyde) peuvent provoquer des réactions pseudoallergiques ;

  • les flavonoïdes et les tanins, abondants dans le vin rouge, sont soupçonnés de favoriser les migraines en perturbant certaines enzymes du cerveau.

En plus de donner sa couleur au vin rouge, les flavonoïdes inhibent des enzymes : la catéchol-O-méthyl-transférase (COMT) et la phénol sulfotransférase (PST). Le corps ne peut plus détoxifier les phénols qui passent dans le cerveau et causeraient la migraine, comme le ferait l’histamine. Les polyphénols, souvent cités comme des molécules très bénéfiques pour la santé ont donc en fait des effets délétères.

  • Les congénères, substances secondaires de la fermentation, intensifient les effets indésirables et la fameuse « gueule de bois ».

Peut-on continuer à boire du vin ?

Si vous souffrez d’intolérance au vin rouge, vous pourriez vous reportez sur d’autres vins… ou en profiter pour vous tourner vers des boissons non alcoolisées. Si vous optez pour d’autres vins que le rouge, sachez que le champagne aussi contient plus d’histamine que le rosé ou le vin blanc.

Il convient également d’éviter les repas qui cumulent aliments contenant beaucoup d’histamine (fromages, charcuteries, crustacés…) et vin rouge.

En cas de réaction d’hypersensibilité, il est recommandé d’écarter les aliments ou boissons alcoolisées qui sont ciblés comme étant potentiellement responsables, et ce, pendant plusieurs jours, puis de les réintroduire un à un pour identifier la source des symptômes d’intolérance.

Il est possible de demander à son médecin de faire un dosage de DAO (l’enzyme chargée d’éliminer l’histamine) dans un prélèvement sanguin afin d’explorer les pistes possibles sur cette intolérance au vin rouge.

Une affaire de gènes…

Le phénomène d’intolérance est déjà bien connu avec l’alcool et trouve sa source dans des mutations du gène codant l’enzyme de dégradation du métabolite toxique de l’éthanol : l’acétaldéhyde.

En effet, certaines populations asiatiques, près de 40 % en Asie du Sud-Est (Japon, Chine, Corée), sont porteuses d’une mutation génétique affectant l’ALDH2, chargée de métaboliser l’acétaldéhyde (produit toxique de la dégradation de l’alcool).

Résultat, l’acétaldéhyde s’accumule et déclenche nausées et rougeurs au visage dès les premières gorgées – c’est le fameux « flush asiatique » et une réaction d’intolérance violente à l’alcool.

Un médicament, le disulfirame, aussi appelé antabuse, (qui inhibe l’enzyme qui dégrade acétaldéhyde) est d’ailleurs utilisé pour traiter l’addiction à l’alcool, car il empêche toute consommation au risque d’en être puni physiologiquement.

En résumé

Non, vous n’êtes peut-être pas allergique au vin rouge. Mais vous êtes peut-être sensible à l’histamine, aux sulfites, aux tanins ou à d’autres composants présents dans certains vins.

Grâce aux progrès de la recherche en nutrition, en œnologie et en immunologie, on comprend mieux ces réactions… et on peut mieux adapter ses choix. Pour continuer à savourer – avec modération – sans souffrir. Ou pour avoir une raison supplémentaire d’arrêter de consommer de l’alcool.

The Conversation

Mickael Naassila est Président de la Société Française d’Alcoologie et d’Addictologie (SF2A) et de la Société Européenne de Recherche Biomédicale sur l’Alcoolisme (ESBRA); Vice-président de la Fédération Française d’Addictologie (FFA) et vice-président junior de la Société Internationale de recherche Biomédicale sur l”Alcoolisme (ISBRA). Il est membre de l’institut de Psychiatrie, co-responsable du GDR de Psychiatrie-Addictions et responsable du Réseau National de Recherche en Alcoologie REUNIRA et du projet AlcoolConsoScience. Il a reçu des financements de l’ANR, de l’IReSP/INCa Fonds de lutte contre les addictions.

ref. Rougeurs, nez bouché… et si vous étiez intolérant au vin rouge ? – https://theconversation.com/rougeurs-nez-bouche-et-si-vous-etiez-intolerant-au-vin-rouge-262456

Sous pression, l’Ukraine rétablit l’indépendance de ses agences anticorruption

Source: The Conversation – France in French (3) – By Paul Cruz, Centre Émile Durkheim, Université de Bordeaux

Moins de deux semaines après avoir restreint l’autonomie des agences anticorruption, le Parlement ukrainien a fait volte-face. Sous la pression de la rue et de Bruxelles, le parquet spécialisé anticorruption et le bureau national anticorruption, deux piliers institutionnels, retrouvent leur indépendance – un signal fort en écho aux aspirations de la révolution de Maïdan en 2014.


Les députés de la Rada urkainienne ont redonné ce 31 juillet leur autonomie au Bureau national anticorruption (NABU) et au parquet spécialisé anticorruption (SAP), deux institutions clés en Ukraine, issues de la révolution de Maïdan en 2014. Ce vote est un revirement : il intervient 8 jours après que ces mêmes députés ont voté une loi allant dans l’exact sens contraire, et dont la controverse avait provoqué les premières manifestations publiques antigouvernementales en Ukraine depuis 2022.

De fait, la première version de la loi diminuait drastiquement l’indépendance politique du NABU et du SAP. Avec l’acte législatif initial, lancer des enquêtes sur des membres de l’équipe gouvernementale et de la présidence ne pouvait se faire sans l’accord du procureur général, traditionnellement allié politique du président. Nommé en juin 2025, à seulement 35 ans, Ruslan Kravchenko ne fait pas exception à cette règle.

Une nouvelle loi pour répondre aux inquiétudes de la société civile sur la lutte anticorruption

L’Ukraine est coutumière de ce type de crise politique. Le point de tension est avant tout un nouvel épisode d’une guerre entre services, qui empoisonne régulièrement la vie politico-judiciaire ukrainienne. Cela fait des années que la question de la compétence sur le traitement des affaires de corruption fait l’objet de discordes entre les services de sécurité (SBU) et le NABU. La diminution d’influence avortée du NABU est donc aussi à comprendre comme une victoire manquée du SBU, qui venait de lancer une série de perquisitions dans les locaux du NABU.

Les protestataires suspectaient aussi les députés et d’autres acteurs politiques de trouver un avantage tout à fait personnel en calmant les ardeurs de ces institutions. Depuis sa création, le NABU n’a en effet jamais craint de viser des personnages haut placés, et les dernières semaines ont même vu se multiplier des enquêtes sur des membres du gouvernement ou des proches de Volodymyr Zelensky. Il y a fort à parier qu’avec la première réforme, celui-ci cherchait à s’acheter une tranquillité politique afin de concentrer l’action de ses équipes sur l’action contre le Kremlin.

Le président a paru surpris par l’ampleur des protestations, mais a mis quelques heures à prendre celles-ci au sérieux. Avant de proposer de revenir sur la réforme, sa première réaction avait été de la défendre, en la présentant comme une garantie contre les manœuvres de pénétration de la Russie au sein de l’administration ukrainienne.

Non, mauvais calcul, lui ont répondu les protestataires. C’est justement en diminuant l’indépendance de ces institutions que le risque de perméabilité à l’influence russe augmente : en revenant sur les acquis de Maïdan, l’Ukraine courrait le risque de voir progresser les mécaniques corruptives du Kremlin en son sein.

Une mobilisation qui réaffirme l’attachement des Ukrainiens à l’État de droit, même en temps de guerre

En exprimant vigoureusement ces contestations en dépit de la guerre, les protestataires ont aussi exprimé ce qui fait aujourd’hui l’identité du pays. Les Ukrainiens n’ont pas oublié que l’invasion qu’ils combattent est avant tout une guerre de modèle politique : celle d’une dictature autoritaire où l’État de droit est une chimère, contre une démocratie pluraliste, avide de voir consolidées la transparence de sa justice et de sa politique.

C’est cette conscience aiguë du modèle de société en jeu qui explique le choc qu’a provoqué la réforme dans la société ukrainienne, créant des remous jusque dans le rang des militaires mobilisés.

Tout dans cette crise a rappelé ce qui fait la profondeur de la liberté en Ukraine : une presse libre qui a joué un rôle crucial en alertant la population de ce qui se jouait au Parlement, une société civile sans la moindre crainte de déclencher une crise au nom de l’État de droit, et la transmission entre générations des valeurs démocratiques acquises à Maïdan. Nombreux parmi ceux qu’on a vu dresser des pancartes dans les manifestations étaient en effet trop jeunes pour avoir marché lors de la « Révolution de la dignité » en 2014. En revenant sur la loi, l’Ukraine montre également sa capacité à se remettre en question, et à maintenir un cap démocrate.

La mobilisation de la société civile a été cruciale, mais toute aussi déterminante a été la désapprobation de l’Union européenne dans le dénouement de la crise. Dès le 22 juillet, la commissaire européenne à l’élargissement Marta Kos s’était déclarée « profondément préoccupée » par la première mouture de la loi, qu’elle qualifiait de « sérieux recul ». Outre les prises de parole diplomatiques, l’UE a aussi montré son agacement en annonçant, le 25 juillet, retenir le versement de 1,7 milliard d’euros de financement à l’Ukraine, conditionnant le transfert de la somme à des progrès en termes de gouvernance politique.

Un recul maîtrisé par Zelensky, mais qui pourrait fragiliser sa majorité dans le futur

Avec cet épisode, la crédibilité politique de Volodymyr Zelensky vient de recevoir son plus important coup depuis 2022. D’abord, parce que le monde a redécouvert combien les Ukrainiens étaient capables de critiquer leurs dirigeants, même en temps de guerre, et que l’effet drapeau avait ses limites. Ensuite, parce que même les troupes du parti présidentiel au Parlement ont montré certains signes d’agacement à être utilisées pour soutenir une position puis son inverse, dans une précipitation peu glorieuse. En période de guerre, il est parfois difficile de réunir suffisamment de députés pour faire passer les lois de la majorité, et Volodymyr Zelensky a besoin de pouvoir compter sur la loyauté des parlementaires pour soutenir ses projets législatifs.

Autre source potentielle de fragilité future : le directeur de cabinet du président Andriy Yermak, un proche historique de Volodymyr Zelensky en poste depuis 2020, a cristallisé nombre de critiques dans la séquence. Sa volonté supposée de resserrer le cercle du pouvoir sur l’entourage présidentiel de même que son implication présumée dans les manœuvres visant à mettre sous tutelle les organes anticorruption ont fait l’objet d’interrogations dans la presse.

La nouvelle loi redonnant leur autonomie au SAP et au NABU ayant été votée à l’unanimité par tous les députés présents, quel que soit leur parti, il reste à espérer que la classe politique du pays aura compris que la lutte contre la corruption demeure un totem pour la population ukrainienne. Car ce qui est en jeu n’est pas uniquement une question de justice. C’est aussi la voie vers un modèle de société opposé à celui du Kremlin, et vers une intégration européenne plus poussée.

The Conversation

Paul Cruz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Sous pression, l’Ukraine rétablit l’indépendance de ses agences anticorruption – https://theconversation.com/sous-pression-lukraine-retablit-lindependance-de-ses-agences-anticorruption-262721

Plongée dans les « microcamps », étape sur la route migratoire entre Calais et le Royaume-Uni

Source: The Conversation – France in French (3) – By Sophie Watt, Lecturer, School of Languages and Cultures, University of Sheffield

Sur la côte du Nord-Pas-de-Calais, un nouveau type de campements apparaît depuis à peu près un an : ces « microcamps » sont une réponse à la multiplication des traversées vers le Royaume-Uni, aux conditions de vie difficiles dans les plus grands camps informels, mais aussi aux mesures policières de plus en plus agressives visant les migrants, dans les campements comme au cours de leurs tentatives de passage de la Manche.


Dans le cadre d’un projet de recherche sur les frontières, j’ai passé les deux dernières années à constater les conditions de vie dans les camps de réfugiés informels dispersés le long de la Côte d’Opale (Nord-Pas-de-Calais). Ces sites sont des lieux de rassemblement pour celles et ceux qui s’apprêtent à tenter la traversée de la Manche vers le Royaume-Uni.

Le gouvernement britannique a récemment validé un projet d’accord de renvoi de personnes migrantes vers la France, visant à décourager les tentatives de traversée. Des sanctions financières contre les passeurs ont également été décidées : elles suivent de près une augmentation des crédits consacrés à la surveillance des frontières britanniques. Les forces de l’ordre qui en sont chargées appliqueront dans le cadre de leur mission des tactiques issues de la lutte contre le terrorisme, dans le but affiché par les autorités d’« écraser les gangs ».

Mais, d’après mes observations, ces politiques ne semblent guère dissuader les départs. À l’inverse, plus la répression policière s’intensifie, plus les réseaux de passeurs prennent de risques pour contourner les obstacles qui entravent leurs activités.

Mon travail de terrain s’est principalement appuyé sur du bénévolat au sein de l’association Salam, une organisation qui distribue des repas chauds et des vêtements dans les principaux camps informels de Calais et de Dunkerque. J’ai également collaboré avec d’autres organisations, comme Alors on aide, qui s’occupe des « microcamps » au sud de Calais, et Opal’Exil, chargée des maraudes littorales.

Ces dernières années, les réseaux de passeurs ont modifié leurs méthodes pour échapper à la surveillance policière. Alors qu’ils gonflaient auparavant les embarcations directement sur les plages entre Calais et Dunkerque, ils utilisent désormais surtout des « bateaux-taxis ». Ces embarcations partent de plus au nord ou de plus au sud, parfois d’aussi loin que de la ville côtière du Touquet, à près de 70 kilomètres de Calais. Elles viennent ensuite récupérer des groupes de personnes exilées déjà à l’eau, réparties le long du littoral, pour éviter toute intervention des forces de l’ordre.

Plusieurs personnes sont assises à même le sol dans une forêt
Un « microcamp » dans la forêt d’Écault, non loin de Boulogne-sur-Mer.
Sophie Watt

Pour tirer parti de ce nouveau système, et multiplier les traversées, des « microcamps » ont vu le jour. Il s’agit de petits campements temporaires plus proches de la mer, situés le long de la côte entre Hardelot et Calais. Ces « microcamps » servent de points d’étape entre les grands camps informels, où vivent les exilés, et les lieux de départ sur le littoral, où les bateaux-taxis viennent les récupérer. Ils permettent également de tenter la traversée à plusieurs reprises sans avoir à retourner dans les grands camps, où les conditions de vie sont plus difficiles.

Les grands camps informels, comme ceux de Loon-Plage (Nord) ou de Calais, sont le véritable centre névralgique des activités des passeurs. Ils font l’objet d’expulsions au moins une fois par semaine – toutes les 24 heures à Calais – en vertu de la politique des autorités françaises dite du « zéro point de fixation ». Cette doctrine, qui empêche les exilés de s’installer durablement, a été mise en place après le démantèlement du camp dit de la « jungle de Calais » , en octobre 2016.

Dans les camps, des conditions de vie extrêmement difficiles

Les opérations des forces de l’ordre visant à faire respecter cette politique du « zéro point de fixation » entraînent des expulsions fréquentes, des restrictions d’accès à l’aide humanitaire, ainsi que la destruction régulière des lieux de vie. À Loon-Plage, j’ai ainsi pu constater que l’unique point d’accès à l’eau des habitants était un abreuvoir pour le bétail.

Selon les directives officielles du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), les personnes vivant dans ces campements, quel que soit leur degré d’informalité, doivent pourtant avoir accès à l’eau, à des infrastructures d’hygiène et à un abri.

Des abreuvoirs dans un camp informel
Dans le camp de Loon-Plage (Nord), l’accès à l’eau se limite à des abreuvoirs pour animaux.
Sophie Watt

L’ONG Human Rights Observers a par ailleurs documenté des cas fréquents de violences policières, ainsi que la saisie systématique d’effets personnels et de tentes dans les camps.

Au-delà des opérations régulières d’expulsions visant les grands camps informels, les « microcamps » font désormais l’objet d’interventions policières de plus en plus brutales. Des témoignages racontent l’usage de gaz lacrymogène, la lacération de gilets de sauvetage et de tentes, contribuant à rendre les conditions de vie intenables. Des violences et des fusillades entre réseaux de passeurs ont également été signalées dans le camp de Loon-Plage.

Des faits observés sur le terrain témoignent de cette situation. Lors d’une mission avec l’association Alors on aide et le photographe Laurent Prum, nous avons rencontré dans un « microcamp » à la lisière de la forêt d’Écault (Pas-de-Calais) environ 50 personnes, dont sept enfants (âgés de douze mois à 17 ans). Nous avons immédiatement constaté une tension entre le groupe et les gendarmes qui surveillaient les lieux.

La plupart de ces personnes avaient passé plusieurs années en Allemagne, avant de voir leur demande d’asile refusée. Elles m’ont expliqué avoir été contraintes de revenir en France par crainte des mesures d’expulsion actuellement mises en œuvre par le gouvernement allemand.

Quelques-unes m’ont confié qu’il s’agissait de leur cinquième et ultime essai de traversée de la Manche. Pour rentabiliser plus rapidement leurs opérations, les réseaux de passeurs imposent désormais une limite au nombre de traversées qu’une personne peut tenter avant de devoir repayer. Avec les plus gros réseaux de passeurs, les exilés pouvaient auparavant tenter leur chance autant de fois qu’il était nécessaire.

La veille, ce groupe nous a raconté avoir été chassé d’un autre campement qu’ils avaient établi dans la forêt. Sur le lieu décrit, nous avons retrouvé plusieurs cartouches de gaz lacrymogène vides – ce qui corrobore plusieurs récits selon lesquels la police française en ferait usage lors d’interventions contre des camps informels.

Ce groupe souhaitait rester dans ce campement qu’il occupait, car un abri délabré leur permettait à eux et à leurs enfants de se protéger de la pluie. Les gendarmes les ont finalement expulsés, les forçant ainsi à passer la nuit dehors, sous la pluie. Du fumier a ensuite été épandu par le propriétaire du champ occupé afin d’empêcher le groupe de revenir.

Un jeune Soudanais nous a montré des vidéos de l’altercation entre les exilés et les gendarmes, au cours de laquelle cinq personnes ont été arrêtées. Les images témoignent d’un moment violent : les enfants y apparaissent terrorisés et du gaz lacrymogène, utilisé contre le groupe par les gendarmes, y est visible. Une mère palestinienne a été arrêtée et placée en garde à vue lors de cette intervention, la contraignant à laisser ses deux jeunes filles derrière elle. Lors de nos échanges, son mari m’a demandé :

« Pourquoi l’ont-ils arrêtée alors qu’ils voyaient bien qu’elle avait deux enfants avec elle ? »

L’association Alors on aide a mobilisé plusieurs de ses membres pour apporter des vêtements, des couvertures et de la nourriture au groupe, et a récupéré la jeune femme palestinienne après sa garde à vue, aucune charge n’ayant été retenue contre elle.

Des bateaux détériorés par les gendarmes alors qu’ils sont encore à l’eau

Alors que les conditions de vie dans les camps et la faible capacité d’accueil de demandeurs d’asile compliquent le séjour en France des personnes migrantes, la police renforce ses actions contre les bateaux tentant la traversée, les empêchant ainsi de quitter le territoire.

Le 4 juillet, lors d’une maraude littorale destinée à aider des personnes migrantes après l’échec d’une tentative de traversée, nous sommes ainsi arrivés sur la plage d’Équihen (Pas-de-Calais) vers 7 heures du matin pour constater que la gendarmerie française venait de crever un bateau dans l’eau.

Le gouvernement britannique a félicité les forces de l’ordre françaises pour cette intervention, réalisée devant les caméras des médias internationaux. Le Royaume-Uni et la France ont également évoqué la possibilité de permettre aux garde-côtes français d’intercepter les bateaux-taxis jusqu’à 300 mètres des côtes.

Cela représenterait un changement significatif par rapport à la réglementation actuelle, qui interdit aux forces de l’ordre françaises d’intervenir en mer, sauf en cas de détresse des passagers. Même la police aux frontières française émet des doutes sur la base légale de cette potentielle nouvelle mesure et sur ses implications pratiques en mer, compte tenu du risque accru d’accidents qu’elle engendrerait.

Piégés entre les opérations policières sur les plages et les évacuations incessantes des campements informels, les exilés n’ont en réalité d’autre choix que de tenter de traverser la Manche à tout prix. Quatre-vingt-neuf réfugiés sont ainsi morts à la frontière franco-britannique en 2024 – un sinistre record. Quatorze décès en mer ont déjà été recensés en 2025.

Les mesures franco-britanniques récemment annoncées pour intensifier le contrôle aux frontières ne dissuaderont pas, selon moi, les réfugiés présents sur le littoral français de tenter la dangereuse traversée de la Manche. Elles inciteront, en revanche, les réseaux de passeurs à adopter des tactiques encore plus risquées, mettant davantage de vies en péril et violant au passage les droits des personnes migrantes.

Tout accord visant à les renvoyer du territoire britannique, à restreindre leur accès à l’asile ou à forcer leur retour de l’autre côté de la Manche ne fera qu’aggraver les violences déjà subies par celles et ceux qui cherchent à trouver refuge au Royaume-Uni.

The Conversation

Sophie Watt a reçu des financements de l’université de Sheffield et de la British Academy / Leverhulme Small Research Grants.

ref. Plongée dans les « microcamps », étape sur la route migratoire entre Calais et le Royaume-Uni – https://theconversation.com/plongee-dans-les-microcamps-etape-sur-la-route-migratoire-entre-calais-et-le-royaume-uni-262157

Rosa Luxemburg (1871-1919), une critique marxiste de la course à l’armement

Source: The Conversation – France (in French) – By Mylène Gaulard, Maître de conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)

Rosa Luxemburg s’opposa à la Première Guerre mondiale, ce qui lui vaut d’être exclue du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD). Elle cofonda ensuite la Ligue spartakiste, puis le Parti communiste d’Allemagne. Wikimediacommons

En 1915, alors qu’elle est en prison pour s’être opposée à la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg formule une analyse critique des dépenses militaires, qui résonne avec la situation actuelle en Europe. Selon la militante révolutionnaire et théoricienne marxiste, le réarmement sert de débouché à la surproduction et permet au capital de se maintenir face à la stagnation économique.


Rosa Luxemburg est née le 5 mars 1871, à Zamość en Pologne ; elle est morte assassinée, le 15 janvier 1919 à Berlin en Allemagne, par des membres d’un groupe paramilitaire nationaliste d’extrême droite. Cofondatrice en 1893, à 22 ans, du Parti social-démocrate du royaume de Pologne et de Lituanie (SDKPIL), qui jouera un rôle important dans les grèves et la révolution russe de 1905, Rosa Luxemburg adhère six ans plus tard au Parti social-démocrate allemand (SPD).

Après avoir soutenu à Zurich (Suisse) une thèse de doctorat portant sur le développement industriel de la Pologne, elle enseigne l’économie politique à l’école du SPD. Située à l’aile gauche du parti, elle se montre rapidement critique de la bureaucratie qui s’y constitue, ainsi que de ses tendances réformistes.

Selon elle, le capitalisme ne peut être réformé de l’intérieur. Seule une révolution, s’appuyant sur la spontanéité des masses, est susceptible de mener à un réel dépassement de ce mode de production. Dans Grève de masse, parti et syndicats, elle affirme :

« Si l’élément spontané joue un rôle aussi important dans les grèves de masses en Russie, ce n’est pas parce que le prolétariat russe est “inéduqué”, mais parce que les révolutions ne s’apprennent pas à l’école. »

Opposition au militarisme

Karl Liebknecht cofonde avec Rosa Luxemburg, en 1914, la Ligue spartakiste puis, en 1918, le Parti communiste d’Allemagne (KPD).
EverettCollection/Shutterstock

Autre point de divergence avec la majorité des membres du SPD, le parti social-démocrate d’Allemagne, elle affiche une opposition marquée aux tendances militaristes de son époque. Cela lui vaut d’être emprisonnée dès 1915, quelques mois après les débuts de la Première Guerre mondiale. Elle n’est libérée que trois ans et demi plus tard. C’est d’ailleurs en prison qu’elle rédige, en 1915, la Brochure de Junius, dans laquelle elle adresse de vives critiques à son parti et à la presse sociale-démocrate.

Cette presse justifie le vote des dépenses militaires en agitant le chiffon rouge d’une Russie tsariste assoiffée de sang et prête à envahir l’Allemagne. En 1914, Karl Liebknecht, avec qui elle cofonde Parti communiste d’Allemagne, est le seul membre du Reichstag à refuser de voter les crédits de guerre.

Cette décision l’amène à créer, avec Rosa Luxemburg, la Ligue spartakiste, groupe politique révolutionnaire qui appelle à la solidarité entre les travailleurs européens. Grande figure de l’insurrection berlinoise de janvier 1919, il est assassiné, aux côtés de sa camarade polonaise, par un groupe paramilitaire, les Freikorps, à l’instigation du gouvernement social-démocrate.

Spirale militariste

Le réarmement européen a un air de déjà-vu. Les propos militaristes fleurissent comme à l’époque. Pour Nicolas Lerner, le directeur de la DGSE, la Russie est une « menace existentielle ». Les menaces d’invasion conduisent l’Allemagne à renforcer son équipement en bunkers.

Car la Russie de son côté, est passée de 16,97 milliards de dollars états-uniens de dépenses militaires en 2003 à 109,45 milliards en 2023. L’« Opération militaire spéciale » russe en Ukraine, déclenchée le 24 février 2022, marque le retour de la guerre de haute intensité.

Dans un tout autre contexte international, en pleine Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg souligne les conséquences de l’impérialisme allemand sur ses relations avec le tsarisme russe, faisant de ces anciens alliés des ennemis sur le front. « Ce n’est pas dans le domaine de la politique intérieure qu’ils s’affrontèrent […] où, au contraire […] une amitié ancienne et traditionnelle s’était établie depuis un siècle […], mais dans le domaine de la politique extérieure, sur les terrains de chasse de la politique mondiale. »

La militante internationaliste ironise sur ceux qui, dans la presse social-démocrate allemande, trompent la population sur les buts de guerre de la Russie :

« Le tsarisme […] peut se fixer comme but aussi bien l’annexion de la Lune que celle de l’Allemagne. »

Et de souligner : « Ce sont de franches crapules qui dirigent la politique russe, mais pas des fous, et la politique de l’absolutisme a de toute façon ceci en commun avec toute autre politique qu’elle se meut non dans les nuages, mais dans le monde des possibilités réelles, dans un espace où les choses entrent rudement en contact. »

Selon elle, les peurs entretenues par le pouvoir n’ont qu’une fonction : justifier la spirale militariste. Ce mécanisme de psychose collective sert de levier à l’expansion des budgets militaires, véritable bouée de sauvetage pour un capitalisme en crise. Dès 1913, dans l’Accumulation du capital, elle y démontre l’inévitabilité des crises de surproduction. Présentée comme un débouché extérieur indispensable pour la poursuite du processus d’accumulation, la périphérie du mode de production capitaliste – Asie, Afrique, Amérique latine – joue un rôle majeur tout au long du XIXe siècle.

Surproduction mondiale

Rédigée en 1915 en prison, la Crise de la social-démocratie est plus connue sous l’appellation de Brochure de Junius.
Agone, FAL

Cette stratégie de report sur les marchés périphériques, et les politiques impérialistes qui l’accompagnent, ne constitue qu’une solution temporaire. Rosa Luxemburg en est consciente. L’intégration progressive de nouvelles régions à la sphère de production capitaliste renforce naturellement la surproduction et la suraccumulation. En un siècle, l’Asie passe de la périphérie au centre de l’industrie mondiale. Sa part dans la production manufacturière bondissant de 5 % à 50 % entre 1900 et aujourd’hui – 30 % uniquement pour la Chine.

Quelques chiffres révèlent l’ampleur des phénomènes de surproduction actuels. En 2024, pour le seul secteur sidérurgique, 602 millions de tonnes d’acier excédentaire, soit cinq fois la production de l’Union européenne, pèsent sur la rentabilité du secteur. On estime que la surproduction mondiale d’automobiles correspond à 6 % du volume produit, avec près de 5 millions de véhicules excédentaires, l’équivalent de la production allemande.

Production/destruction

Consciente de l’incapacité de la périphérie à absorber durablement les excédents de production, Rosa Luxemburg se penche dans le dernier chapitre de l’Accumulation du capital sur les dépenses militaires, solution qu’elle remettra en question sur le plan économique.

« Si ce champ spécifique de l’accumulation capitaliste semble au premier abord être doué d’une capacité d’expansion illimitée […], on peut redouter qu’à un certain degré de développement, les conditions de l’accumulation se transforment en conditions de l’effondrement du capital. »

Il est pourtant fréquent pour une branche de la pensée marxiste de considérer que ces dépenses participent à lutter contre la surproduction, en entrant simplement dans un cycle rapide de production/destruction. Opposé à l’analyse de Luxemburg, cela rejoindrait en fait la thèse du « keynésianisme militaire ». Keynes déclarait, en 1940, qu’une politique de relance réellement efficace ne pouvait être observée que dans le cadre d’un conflit armé.

« Il semble politiquement impossible pour une démocratie capitaliste d’organiser des dépenses à l’échelle nécessaire pour réaliser les grandes expériences qui prouveraient ma thèse, sauf en temps de guerre. »

Deux mille sept cent vingt milliards de dollars

Face à un ralentissement économique se renforçant depuis cinquante ans, les dépenses militaires mondiales ont pour cette raison plus que doublé entre 2000 et 2021. Elles passent de 1 000 milliards à 2 100 milliards de dollars, avant de croître encore de 28 % ces trois dernières années, pour atteindre 2 720 milliards en 2024 (presque l’équivalent du PIB de la France)… Avec une domination écrasante des États-Unis – 40 % du total, contre 11 % pour la Chine et 5,5 % pour la Russie.




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Le programme ReArm Europe, lancé en mars 2025 par l’Union européenne, marque un tournant décisif. Il permet aux États membres d’acquérir des équipements militaires à des conditions privilégiées. Grâce à la possibilité de dépasser le plafond de déficit public fixé jusque-là à 3 % du PIB, les pays membres de l’UE devraient augmenter de 650 milliards d’euros d’ici 2029 leurs dépenses militaires, complétant ainsi l’emprunt européen de 150 milliards effectué dans ce sens.

Dividendes de la guerre

Si le retrait progressif des États-Unis du conflit ukrainien pourrait sous-tendre la montée en puissance militaire actuelle, ce sont pourtant bien les motivations et objectifs économiques qui priment.

ReArm Europe impose aux États membres de s’approvisionner auprès d’industriels européens, un impératif stratégique encore loin d’être atteint. Entre 2022 et 2023, 78 % des dépenses militaires européennes se sont orientées vers des fournisseurs extérieurs, 63 % vers des firmes états-uniennes. Mais aujourd’hui, ce sont finalement les géants historiques de l’armement allemand, comme Rheinmetall, Thyssenkrupp, Hensoldt et Diehl, qui tirent leur épingle du jeu, au point d’offrir à l’Allemagne une bouffée d’oxygène face à la récession. Rosa Luxemburg estimait d’ailleurs :

« Le militarisme assure, d’une part, l’entretien des organes de la domination capitaliste, l’armée permanente, et, d’autre part, il fournit au capital un champ d’accumulation privilégié. »

Les carnets de commandes de firmes françaises comme Dassault ou Thales se remplissent aussi ces derniers mois. Grâce aux dernières commandes de l’État, Renault s’apprête à produire des drones de combat à quelques kilomètres seulement du front ukrainien. Volkswagen, qui envisageait pourtant 30 000 licenciements d’ici 2030, amorce sa mue vers le secteur militaire.

Une reconversion qui dope l’emploi industriel et enchante les marchés : l’indice STOXX Aerospace and Defense a bondi de 175 % depuis 2022.

Remise en cause de l’État-providence

Rosa Luxemburg met pourtant en garde contre cette fausse solution des dépenses militaires qui ne permettent que temporairement d’éviter les « oscillations subjectives de la consommation individuelle ». Elle rappelle :

« Par le système des impôts indirects et des tarifs protectionnistes, les frais du militarisme sont principalement supportés par la classe ouvrière et la paysannerie […]. Le transfert d’une partie du pouvoir d’achat de la classe ouvrière à l’État signifie une réduction correspondante de la participation de la classe ouvrière à la consommation des moyens de subsistance. »

Au-delà d’une hausse d’impôts, il est actuellement admis par la plupart des dirigeants politiques européens qu’une réduction des dépenses non militaires, notamment sociales, deviendra aussi rapidement nécessaire.

Alors que 17 milliards d’euros de dépenses militaires supplémentaires sont prévus en France d’ici 2030, 40 milliards d’économies sont réclamées dans les autres secteurs. La dette publique atteignant 113 % du PIB en 2024, proche de son niveau record de 1945.

En réalité, non seulement les dépenses militaires ne représentent pas une réponse pérenne sur le plan économique aux difficultés évoquées plus haut, mais elles risquent même d’avoir l’effet inverse. Sur le plan humain, le désastre ukrainien qu’elles contribuent à alimenter, par l’envoi massif d’armes et une production d’armes accélérée, n’est aussi que le prélude des catastrophes qui nous attendent. La logique même de ces dépenses exigeant l’écoulement d’une production toujours plus importante sur le terrain.

Il est donc à craindre que l’absence d’un véritable débat politique sur la pertinence de ces dépenses ne précipite l’avènement de cette barbarie évoquée par Rosa Luxemburg en 1915.

« Un anéantissement de la civilisation, sporadiquement pendant la durée d’une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. »

The Conversation

Mylène Gaulard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Rosa Luxemburg (1871-1919), une critique marxiste de la course à l’armement – https://theconversation.com/rosa-luxemburg-1871-1919-une-critique-marxiste-de-la-course-a-larmement-259328