États-Unis : les coupes envisagées dans la recherche médicale auraient des répercussions pendant des décennies

Source: The Conversation – in French – By Mohammad S. Jalali, Associate Professor, Systems Science and Policy, Harvard University

Aux États-Unis, les NIH sont l’un des nœuds du système interconnecté, qui produit des avancées dans les domaines de la santé et de la médecine. Anchalee Phanmaha/Moment/Getty Images

Aux États-Unis, les National Institutes of Health sont sous la menace d’une coupe drastique de leur budget. Les conséquences de ces économies de court terme voulues par l’administration Trump pourraient s’étendre bien au-delà du secteur public et, au final, coûter cher à l’ensemble du système de santé.


En mai 2025, la Maison Blanche a proposé de réduire d’environ 40 % le budget des National Institutes of Health (NIH) (les institutions gouvernementales chargées de la recherche médicale et biomédicale, ndlr). Concrètement, leur financement passerait de 48 milliards de dollars à environ 27 milliards, ce qui le ramènerait approximativement au niveau de l’année 2007.

L’étude des archives du budget des NIH nous apprend qu’une telle coupe à deux chiffres n’a été mise en œuvre qu’à une seule autre reprise depuis le début des enregistrements, en 1938. Une diminution de 12 % avait en effet été prononcée en 1952.

Le Congrès des États-Unis – composé de deux chambres, le Sénat et la Chambre des représentants – doit désormais finaliser le nouveau budget avant l’entrée en vigueur du prochain exercice fiscal, le 1er octobre. En juillet, le Sénat avait déjà rejeté les coupes budgétaires proposées par la Maison Blanche, proposant au contraire une modeste augmentation. Début septembre, la Chambre des représentants a également soutenu un budget prévoyant le maintien des financements actuels de l’agence.

L’idée de réduire les ressources des NIH n’est pas nouvelle, et de telles propositions refont régulièrement surface. Le débat actuel suscite cependant des incertitudes quant à la stabilité du secteur de la recherche dans son ensemble, et au sein des milieux scientifiques, les inquiétudes vont bon train.

Chercheurs nous-mêmes, nous étudions les complexes systèmes de politiques de santé mis en place. Nous nous intéressons plus précisément à la politique du financement de la recherche scientifique. À ce titre, nous considérons que les NIH sont l’un des maillons d’un système interconnecté destiné à favoriser la découverte de nouvelles connaissances, à former le personnel biomédical et à accomplir des avancées en matière de médecine et de santé publique, à l’échelle nationale.

Nos travaux démontrent que si la réduction des financements des NIH peut sembler générer des économies à court terme, elle déclenche une cascade d’effets qui, à long terme, augmentent les coûts des soins de santé et ralentissent le développement de nouveaux traitements et la mise en place de solutions aux problèmes de santé publique.

Privilégier la vision d’ensemble

Le financement des NIH ne permet pas seulement de soutenir les travaux de chercheurs ou de laboratoires. Il constitue aussi le socle sur lequel reposent le secteur de la recherche médicale et biomédicale des États-Unis, ainsi que le système de santé. En effet, c’est grâce à ce budget que sont formés les scientifiques, qu’est financée la recherche en prévention et que sont produites les connaissances qui seront ensuite utilisées par les entreprises pour mettre au point de nouveaux produits de santé.

Afin de comprendre comment de telles coupes budgétaires peuvent affecter ces différents domaines, nous avons entrepris de passer en revue les données existantes. Nous avons analysé les études (et les ensembles de données) qui ont porté sur les liens entre le financement des NIH (ou de la recherche biomédicale en général) et l’innovation, la main-d’œuvre et l’état de la santé publique.

Dans une étude publiée en juillet 2025, nous avons élaboré un cadre d’analyse simple, destiné à illustrer comment des changements effectués dans une partie du système – ici, les subventions à la recherche – peuvent produire des effets à d’autres niveaux, en grevant par exemple les opportunités de formation ou en ralentissant le développement de nouvelles thérapies.

Une fragilisation de la recherche fondamentale

Les NIH financent une recherche en amont qui n’a pas de valeur commerciale immédiate, mais qui fournit les éléments constitutifs des innovations futures. Cela inclut des projets destinés à cartographier les mécanismes à l’origine des maladies, à mettre au point de nouvelles techniques de laboratoire ou à constituer d’immenses bases de données, qui pourront être exploitées durant des décennies.

Ce sont par exemple les recherches financées par les NIH dans les années 1950 qui ont mené à l’identification du cholestérol et à établir son rôle dans les maladies cardiovasculaires, ce qui a ouvert la voie à la découverte ultérieure des statines. Ces molécules sont aujourd’hui prescrites à des millions de personnes dans le monde pour contrôler leur taux de cholestérol.

Dans les années 1960, les recherches en biologie du cancer ont conduit à la découverte du cisplatine. Utilisée en chimiothérapie, cette molécule est à l’heure actuelle administrée à 10 à 20 % des patients atteints de cancer.

Les recherches fondamentales menées dans les années 1980 pour comprendre le rôle joué par les reins dans le métabolisme du sucre ont de leur côté ouvert la voie à la découverte d’une nouvelle classe de médicaments contre le diabète de type 2. Certains d’entre eux sont également utilisés pour mieux prendre en charge les problèmes de poids. Le diabète touche près de 38 millions de personnes aux États-Unis, où plus de 40 % des adultes sont obèses.

Un patient atteint de cancer reçoit une chimiothérapie dans une clinique
Le cisplatine, largement utilisé en chimiothérapie, a été mis au point grâce aux recherches fondamentales menées pour comprendre la biologie du cancer, lesquelles ont été financées par les NIH.
FatCamera/E+ via Getty Images

Sans ce type d’investissement public financé par les contribuables, nombre de projets fondateurs ne verraient jamais le jour, les entreprises privées hésitant à s’engager dans des travaux aux horizons lointains ou aux profits incertains. Notre étude n’a pas chiffré ces effets, mais les données montrent que lorsque la recherche publique ralentit, l’innovation en aval et les bénéfices économiques sont également retardés. Cela peut se traduire par une diminution du nombre de nouveaux traitements, un déploiement plus lent de technologies permettant de réduire les coûts et une croissance moindre des industries qui dépendent des avancées scientifiques.

Une réduction de la main-d’œuvre scientifique

En octroyant des subventions pour financer les étudiants, les chercheurs postdoctoraux et les jeunes scientifiques, ainsi que les laboratoires et infrastructures où ils sont formés, les NIH jouent également un rôle central dans la préparation de la « relève » scientifique.

Lorsque les budgets diminuent, le nombre de postes disponibles se réduit et certains laboratoires sont contraints de fermer. Cette situation peut décourager les jeunes chercheurs d’entrer dans un domaine ou d’y rester. Ces conséquences dépassent le seul cadre académique. En effet, certains scientifiques formés par les NIH poursuivent ensuite leur carrière dans le secteur des biotechnologies, de l’industrie des dispositifs médicaux ou de la science des données. Un système de formation affaibli aujourd’hui signifie donc moins de professionnels hautement qualifiés dans l’ensemble de l’économie demain.

Les programmes des NIH ont, par exemple, permis de former non seulement des chercheurs universitaires, mais aussi des ingénieurs et analystes qui travaillent désormais sur les thérapies immunitaires, les interfaces cerveau-ordinateur, les outils de diagnostic ou encore les dispositifs pilotés par l’intelligence artificielle, ainsi que sur d’autres technologies utilisées tant par des start-up que par des entreprises biotechnologiques et pharmaceutiques établies.

Si ces opportunités de formation se raréfient, les industriels des biotechnologies et du médicament risquent de voir le vivier de talents dans lequel ils puisent se réduire. Un affaiblissement de la main-d’œuvre scientifique financée par les NIH pourrait également compromettre la compétitivité mondiale des États-Unis, y compris dans le secteur privé.

L’innovation se déplace vers des marchés plus limités

Les investissements publics et privés remplissent des fonctions différentes. Le financement des NIH réduit souvent le risque scientifique en menant les projets à un stade où les entreprises peuvent investir avec davantage de confiance. Des exemples passés incluent le soutien à la physique de l’imagerie ayant conduit à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et à la tomographie par émission de positons (TEP), ainsi que des recherches en science des matériaux qui ont permis la mise au point des prothèses modernes.

Nos recherches mettent en évidence le fait que lorsque l’investissement public recule, les entreprises tendent à se concentrer sur des produits présentant des retours financiers plus immédiats. L’innovation s’oriente alors vers des médicaments ou des technologies aux prix de lancement très élevés, délaissant des améliorations qui pouvant répondre à des besoins plus larges (optimisation de thérapies existantes ou développement de diagnostics largement accessibles). Or, lorsque le financement public se réduit et que les entreprises privilégient des produits onéreux plutôt que des améliorations accessibles à moindre coût, la dépense globale de santé peut croître.

Un chirurgien examine une IRM cérébrale
Les technologies d’imagerie, telles que l’IRM, ont été développées grâce au financement public de la recherche fondamentale par les NIH.
Tunvarat Pruksachat/Moment via Getty Images

Certains médicaments anticancéreux, par exemple, reposent fortement sur des découvertes fondamentales issues de la biologie cellulaire et de la méthodologie des essais cliniques, découlant de recherches financées par les NIH. Des études indépendantes révèlent que sans ce socle initial de recherche publique, les délais de développement s’allongent et les coûts augmentent – des effets qui se traduisent par des prix plus élevés pour les patients et les systèmes de santé.

Ce qui apparaît comme une économie budgétaire à court terme peut donc produire l’effet inverse, les programmes publics tels que Medicare (système d’assurance-santé destiné aux plus de 65 ans et aux personnes répondant à certains critères, ndlr) et Medicaid, qui procure une assurance maladie aux personnes à faibles ressources, devant finalement absorber des coûts supérieurs.

La prévention et la santé publique reléguées au second plan

Les NIH financent également une part importante de la recherche consacrée à la promotion de la santé et à la prévention des maladies. On peut par exemple citer les études sur la nutrition, les maladies chroniques, la santé maternelle ou encore les expositions environnementales telles que la pollution au plomb ou la pollution atmosphérique.

Ces projets contribuent souvent à améliorer la santé des individus avant que la maladie ne s’aggrave. Ils attirent cependant rarement des investissements privés, car leurs bénéfices, qui apparaissent progressivement, ne se traduisent pas en profits directs.

Repousser à plus tard ou annuler la recherche en prévention peut conduire à des coûts ultérieurs plus élevés, en raison de l’augmentation du nombre de patients dont l’état se sera dégradé et nécessitera des traitements lourds afin de soigner des affections qui auraient pu être évitées ou mieux prises en charge en amont.

Des décennies d’observation dans le cadre de la Framingham Heart Study (une étude épidémiologique au long cours, dont l’objet initial était l’étude des maladies cardiovasculaires, et qui se poursuit encore aujourd’hui) ont façonné les recommandations thérapeutiques sur des facteurs de risque tels que l’hypertension artérielle et les troubles du rythme cardiaque.

Aujourd’hui, les connaissances s’appuyant sur ce pilier de la prévention permettent de réduire les risques d’infarctus et les accidents vasculaires cérébraux (AVC), graves et coûteux à traiter lorsqu’ils surviennent.

Une réorientation plus large

Au-delà de ces domaines précis, la véritable question est de savoir comment les États-Unis choisiront à l’avenir de soutenir la recherche scientifique et médicale. Pendant des décennies, l’investissement public a permis aux chercheurs de s’attaquer à des problématiques difficiles et de mener des études s’étalant sur plusieurs décennies.

Ce soutien financier a contribué à produire des avancées allant des thérapies psychosociales pour lutter contre la dépression aux méthodes chirurgicales de transplantation hépatique. Autant de progrès qui ne s’intègrent pas aisément dans les logiques de marché, contrairement aux médicaments ou aux dispositifs médicaux.

Si le soutien du gouvernement s’affaiblit, la recherche médicale et la recherche en santé publique pourraient devenir plus dépendantes des marchés et de la philanthropie. Cette situation risquerait de réduire l’éventail des problématiques étudiées et de limiter la capacité de réaction face à des urgences telles que l’émergence de nouvelles infections ou la gestion des risques sanitaires liés au climat.

Les pays qui auront choisi de maintenir un investissement public soutenu dans la recherche pourraient aussi acquérir un avantage sur les États-Unis, en s’avérant capables d’attirer les meilleurs chercheurs, et en se trouvant en position d’établir les standards mondiaux sur lesquels se baseront les nouvelles technologies. Le corollaire étant qu’une fois que les opportunités auront été perdues et que les talents se seront dispersés, la reconstruction du système exigera bien plus de temps et de ressources que s’il avait été préservé.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. États-Unis : les coupes envisagées dans la recherche médicale auraient des répercussions pendant des décennies – https://theconversation.com/etats-unis-les-coupes-envisagees-dans-la-recherche-medicale-auraient-des-repercussions-pendant-des-decennies-265455

Dans les polars des années 1950, des gifles pour réduire les personnages féminins au silence

Source: The Conversation – in French – By Camille Bouzereau, Chercheuse postdoctorale en linguistique, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Dans les romans policiers en français des années 1950-1970, écrits presqu’exclusivement par des hommes, les mots « gifle » et « gifler » ont souvent pour victimes des femmes qu’il s’agit de faire taire pour asseoir la domination masculine, comme le montre une étude linguistique.


Notre étude sur la gifle dans le polar s’inscrit au sein du projet POLARisation (2023-2026). Il regroupe des chercheuses et chercheurs en littératures, cultures populaires et médiatiques autour des récits criminels du XXe siècle et d’un grand corpus de fictions constitué avec Valentin Chabaux, ingénieur de Nanterre. Ce corpus numérique comprend 3015 romans écrits ou traduits en français, publiés entre 1945 et 1989 en France, chez plusieurs éditeurs et dans 8 collections de romans policiers.

L’intégralité des huit collections a été traitée de manière informatique (traitement automatique des langues ; linguistique de corpus) et nous avons d’abord cherché à extraire des patterns syntaxiques récurrents statistiquement, indiquant la spécificité du polar.

Des « patterns » autour de la gifle

Après avoir observé le vocabulaire récurrent qui entoure les termes de « bagarre », « coup de poing », « baffe », « gifle », nous avons constaté que les coups ont un genre : par exemple, la « baffe » (plus familier) est utilisée pour les conflits masculins et la « gifle » implique au moins un personnage féminin, alors qu’il s’agit de synonymes. Grâce à Adam Faci, postdoctorant en informatique, nous avons identifié un pattern qui a retenu notre attention. Il repose sur l’association récurrente d’un échange verbal et d’une gifle :

VERBE DE PAROLE + GIFLE + POUR + PRONOM + FAIRE TAIRE

Voici un extrait prototypique qui comprend cette séquence (nous développons ensuite) :

« C’était une scène terrible, où Mirabelle déversait un flot de grossièretés au point que Wessler, indigné, devait la gifler pour la faire taire. »

(Patrick Quentin, Puzzle pour acteurs, Presses de la Cité, « Mystère », 1971.)

L’analyse du texte confirme que dans ces occurrences les prises de parole féminines sont souvent suivies de gifles et que l’expression du but introduit par « pour » permet d’expliciter la finalité de la gifle : il s’agit presque toujours de « faire taire » le féminin. Plusieurs scénarios de la gifle sexiste sont repris en ce sens dans nos polars.

Parler au féminin dans les romans policiers

La gifle vient interrompre le discours féminin parce qu’il ne correspondrait pas au souci d’efficacité et d’action imposé par l’intrigue : elle doit mettre fin à l’inanité du personnage féminin (minoré, infantilisé, animalisé, jugé en crise) en même temps qu’elle signifie la domination et le sang-froid du détective ou de l’espion.

Avant la gifle, le discours féminin peut aussi se miner lui-même – stratégie de légitimation de la gifle masculine qui ne ferait que rendre service à un féminin arrivant au point de rupture :

« – Non, ça n’ira pas bien ! (Elle sanglotait dans son fauteuil, incapable de se retenir.) T… tu ne peux pas comprendre. T… tu ne sais pas comment ça se passe, ici. Elle va me mettre à la porte, et j… je ne peux vraiment pas… il faut que j… je…
Je la giflai, sèchement, deux gifles rapides en succession, de la paume et du dos de la main. »

(Jim Thompson, Nuit de fureur, Fleuve Noir, « Engrenage », 1983.)

Les points de suspension obligent à la répétition et, associés aux formes négatives, closent avant la fin de la phrase le discours d’un personnage ânonnant. La parenthèse renforce cet effet avec la négation « incapable de se retenir » : la narration vient interrompre elle-même le discours, pour commenter l’échec féminin à faire avancer l’intrigue. Dans un récit qui valorise la maîtrise de soi, cette incapacité est violemment sanctionnée – notons que l’homme qui gifle ici est maître de lui, et que la gifle semble un choix pragmatique, et non une réponse émotionnelle. La gifle devient même parfois un remède :

« – Non, il est mort, dit-elle, c’est le seul homme que j’ai aimé, le seul homme avec qui j’ai couché, nous étions amants, écoutez, nous étions amants et je ne le regrette pas parce que nous nous aimions, nous nous aimions, et à chaque fois c’était plus beau, oh mon Dieu, je voudrais être morte aussi…
Ses yeux étaient fixes, hagards ; des bulles de salive éclataient aux coins de sa bouche. Je la giflai, sans ménagement, assez fort pour lui retourner la tête et faire rougir sa joue. »

(Bill Pronzini, Où es-tu, militaire ?, Gallimard, « Série Noire », 1974.)

Le discours tenu par le personnage féminin est plein de répétitions signalant son incohérence, et il est marqué par une affectivité proche de l’hystérie, telle que définie par une médecine sexiste – l’interjection « Oh mon Dieu » suivie du vœu de mort. Les points de suspension révèlent aussi qu’il s’est définitivement enrayé. Les « bulles de salive », les yeux « hagards », peignent à grands traits un tableau clinique auquel la gifle vient remédier.

Le personnage féminin est ainsi minimisé, tant dans son discours que dans sa capacité à interagir à égalité avec le personnage masculin, et dans son érotisation : la femme fatale élégante et mystérieuse se transforme en hystérique dépenaillée (sans cesser parfois d’être sexualisée). La critique de cinéma et réalisatrice Laura Mulvey a d’ailleurs théorisé le « male gaze », ce « regard masculin » qui place le désir de domination de l’homme au centre du récit, à partir d’œuvres cinématographiques contemporaines de ces récits.




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Discours narrativisés, discours niés

Pour faire taire le personnage féminin, une autre possibilité est de réduire au maximum les propos rapportés en utilisant ce qu’on appelle en linguistique le discours narrativisé (DN), un discours qui laisse le lecteur imaginer ce que le personnage a dit à son destinataire.

Avec le DN, il est fait mention d’un discours qui a eu lieu, mais son contenu n’est pas précisé. Dans ce cadre, peu importe la teneur du propos rapporté. Soit le contenu du discours n’est qu’allusif (par exemple, ci-dessous, le terme « regrettables » rapportant le point de vue du narrateur et non celui du personnage féminin) :

« Par stupide gloriole, il lui avait raconté le déjeuner avec le diplomate. Elle avait très mal pris la chose et prononcé des mots regrettables. Il avait dû la gifler, encore une fois, pour la faire taire. »

(Jean Bruce, Noël pour un espion, Presses de la Cité, « Un mystère », 1956.)

Ou bien le contenu est porté par un cliché (ici, « glapir des injures ») :

« – Parce qu’elles m’emmerdent ! Aussitôt, les deux demoiselles se mirent à glapir des injures et Hernandez en gifla une pour lui imposer silence. »

(Charles Exbrayat, La haine est ma compagne, Librairie des Champs-Élysées, « Le Masque », 1981.)

Ce qui importe, c’est de dérouler le script de la gifle après la crise de nerfs. Dans ces contextes, la gifle est bien présentée comme un moyen de soumettre les personnages féminins – en état de sidération ou écrasés au sol :

« Ce spectacle redoubla l’hilarité d’Odile. Son rire devint un véritable hennissement. C’était la crise de nerf imminente. Mendoza le comprit et lui donna deux gifles droite, gauche, qui la firent vaciller. Soudain dégrisée, elle se mit à sangloter. »

(Jean-Pierre Conty, La Longue Nuit de Mr Suzuki, Fleuve Noir, « Espionnage », 1968.)

Des performativités brisées

Pour conclure, prenons un dernier exemple :

« – Vous n’avez pas le droit ! Margaret Boolitt, en larmes, retournant vers son mari, reçut, de la part de ce dernier, une autre gifle qui fit autant de bruit que la première. »

(Charles Exbrayat, Imogène et la veuve blanche, Librairie des Champs-Élysées, « Le Masque », 1975.)

Ici, Margaret Boolitt a la parole et s’exclame « Vous n’avez pas le droit ! ». Dans notre corpus, cet énoncé fréquent dans les défenses féminines échoue pragmatiquement : c’est une formule figée qui traduit l’impuissance féminine, un réflexe discursif consistant à vouloir s’abriter derrière une norme sociale, mais dans un contexte où cette norme est systématiquement violée.

Selon la philosophe Judith Butler reprenant John Langshaw Austin, la parole est performative (c’est-à-dire qu’elle a un impact sur le réel) quand elle est prononcée dans un cadre institutionnel légitime, par un locuteur habilité, et dont on reconnaît l’autorité. Or, dans les extraits étudiés, et bien souvent dans ces récits écrits par des hommes et pour les hommes, la performativité est brisée.

La parole féminine échoue précisément parce qu’elle ne remplit pas ces conditions de performativité. Comme le montre ce script de la gifle, la figure féminine dans le polar des années 1950-1970 est souvent dominée, contrôlée, et exclue des circuits de légitimation.

Cette représentation des femmes, giflées pour être réduites au silence, dans
des productions culturelles largement diffusées, est évidemment alimentée par les inégalités effectives entre les hommes et les femmes dans la société de cette époque, et a contribué en retour à alimenter le même imaginaire.

The Conversation

Camille Bouzereau a reçu des financements de l’ANR POLARisation & de l’Université Paris Nanterre.

Gonon Laetitia a reçu des financements de l’ANR pour le projet POLARisation auquel elle contribue.

ref. Dans les polars des années 1950, des gifles pour réduire les personnages féminins au silence – https://theconversation.com/dans-les-polars-des-annees-1950-des-gifles-pour-reduire-les-personnages-feminins-au-silence-265088

Et si un minuscule crustacé aidait à mieux comprendre les effets du plastique dans les estuaires ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Céleste Mouth, Doctorante (PhD Student), Université Le Havre Normandie

Véritable sentinelle écologique, le copépode _Eurytemora affinis_ pourrait être le gardien de la santé des estuaires face à la pollution plastique. Sebio, Fourni par l’auteur

Des rivières aux océans, le plastique transite par les estuaires, des zones vitales pour la biodiversité, mais fragiles. Pour mesurer son impact, une recherche franco-canadienne s’appuie sur un minuscule crustacé, « Eurytemora affinis », véritable sentinelle écologique qui doit aider à mieux comprendre les effets de la pollution par les micro et nanoplastiques.


Le plastique est un polluant omniprésent. Dans les emballages, véhicules, textiles ou cosmétiques, il fait partie intégrante de notre quotidien. Sa production, qui a explosé depuis les années 1950, dépasse aujourd’hui 400 millions de tonnes par an.

Cette surproduction massive, combinée à une gestion insuffisante des déchets, entraîne une accumulation durable dans l’environnement. Faiblement biodégradable, le plastique persiste pendant des décennies et se retrouve désormais dans tous les milieux : air, sols, eaux douces, océans, jusqu’aux pôles et aux abysses.

Face à cette pollution mondiale, la recherche s’efforce de mieux quantifier les plastiques, d’en comprendre la dispersion et d’évaluer leurs effets sur les écosystèmes et les organismes. Dans un nouveau projet de recherche doctorale que nous menons, cette question est abordée en examinant deux estuaires : celui de la Seine, en France, et celui du Saint-Laurent au Québec.

L’enjeu : évaluer le niveau de contamination en micro et nanoplastiques de ces estuaires en s’intéressant notamment aux effets du plastique sur un petit crustacé méconnu, un minuscule copépode baptisé Eurytemora affinis qui constitue une espèce sentinelle précieuse.




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Les estuaires, des écosystèmes sensibles

La plupart des études se concentrent sur les océans : les milieux d’eau douce et notamment les fleuves et estuaires restent encore largement sous-explorés.

Pourtant, environ 80 % des plastiques marins proviennent de sources terrestres, transportés par les rivières et déversés en mer via les estuaires. Situés à proximité de zones densément peuplées ou industrialisées, les estuaires sont donc directement exposés aux débris plastiques issus des activités humaines.

Mais les réduire à leur seule vulnérabilité serait une erreur : les estuaires sont parmi les milieux les plus riches et productifs de la planète. Ils abritent une biodiversité remarquable, servent de nurseries pour de nombreuses espèces, filtrent naturellement l’eau et jouent un rôle essentiel dans les cycles biogéochimiques.

Ils offrent aussi de nombreux services écosystémiques aux sociétés humaines : alimentation à travers la pêche, régulation de la qualité de l’eau, atténuation des crues, protection contre l’érosion côtière, etc.

Leur position géographique, en revanche, à l’interface entre terre et mer, les rend particulièrement sensibles aux pressions anthropiques. Face à l’augmentation de la pollution plastique, il est urgent de mieux comprendre comment ces écosystèmes réagissent, et quels organismes sont en première ligne.

« Eurytemora affinis », minuscule gardien de l’équilibre

Parmi les nombreuses espèces vivant dans ces milieux sous pression, certaines occupent une place centrale dans leur équilibre écologique. C’est le cas d’un petit crustacé d’environ un millimètre : Eurytemora affinis.

Spécimen de copépode Eurytemora affinis
Caroline Lamontagne, Fourni par l’auteur

Très abondant dans les estuaires de l’hémisphère Nord, il constitue un maillon clé du réseau trophique, assurant le transfert d’énergie entre le phytoplancton et les organismes de niveaux supérieurs. Son atout majeur ? Une capacité d’adaptation exceptionnelle. Il tolère de très fortes variations environnementales, ce qui lui permet de coloniser de nombreux habitats.

Mais E. affinis est aussi un excellent bio-indicateur de l’état de santé des estuaires. En effet, certaines espèces, dites « sentinelles », réagissent rapidement aux perturbations, permettant d’anticiper les effets de la pollution : c’est le principe de la biosurveillance. Grâce à sa sensibilité aux polluants, son cycle de vie court, sa densité élevée et la possibilité de l’élever en laboratoire, E. affinis est un modèle idéal en écotoxicologie. Il permet d’étudier à la fois l’exposition, les effets biologiques et les mécanismes de réponse face aux contaminants.

Vue aérienne du Havre (Seine-Maritime) et de l’estuaire de la Seine.
Sentinel Hub, CC BY

Ce qui rend l’étude d’E. affinis particulièrement intéressante, c’est qu’il ne s’agit pas d’une seule espèce, mais d’un complexe d’espèces cryptiques (c’est-à-dire, dont il est impossible de distinguer les différentes espèces à l’œil nu sans analyse génétique).

Ces différences pourraient influencer la façon dont chaque population réagit aux polluants. Ces variations ont jusque-là été peu explorées. Et c’est justement tout l’enjeu : mieux les comprendre pourrait nous aider à identifier les espèces et leurs populations les plus vulnérables pour mieux protéger les écosystèmes qu’elles habitent.

Deux de ces lignées vivent dans les estuaires de la Seine (France) et du Saint-Laurent (Canada). Ce sont précisément ces deux populations transatlantiques qui sont au cœur de ce travail de recherche.

Microplastiques, mais maxi dangers

Une fois libérés dans l’environnement, les plastiques se dégradent progressivement sous l’effet de processus physiques, chimiques et biologiques. Ils se fragmentent alors en particules de plus petite taille, dites microplastiques (de 1 micromètre à 5 millimètres) et nanoplastiques (de 1 nanomètre à 1 micromètre) secondaires.

À cela s’ajoutent aussi les micro et nanoplastiques (MNPs) dits primaires, fabriqués directement à ces tailles et involontairement libérés dans l’environnement, par exemple via le lavage des vêtements en fibres synthétiques.




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Malgré leur petite taille, ces particules représentent une menace majeure. Leurs propriétés physiques les rendent extrêmement résistants aux processus naturels de décomposition, ce qui leur permet de persister longtemps dans l’environnement.

Leur taille les rend faciles à ingérer par une grande variété d’organismes, du zooplancton aux mammifères marins. Une fois ingérées, ces particules peuvent provoquer des obstructions physiques, réduire l’absorption des nutriments, ou – dans le cas des nanoplastiques – pénétrer dans la circulation sanguine, entraînant une cascade d’effets biologiques néfastes.

Leurs dangers tiennent également du « cheval de Troie » : leur surface adsorbe d’autres polluants hydrophobes, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polychlorobiphényles (PCB) ou les métaux lourds. Une fois ingérés, ces contaminants peuvent alors être rejetées dans le tube digestif de l’organisme et avoir des effets toxiques.

Dans ce contexte, il est crucial d’étudier les effets des micro et nanoplastiques dans les estuaires à travers un modèle écologique clé comme E. affinis pour comprendre les effets de cette pollution émergente sur la biodiversité.




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Avec Plasticop, mieux comprendre la vulnérabilité des copépodes aux plastiques

Ce projet doctoral Plasticop, co-dirigé par le laboratoire Stress Environnementaux et BIOSurveillance des milieux aquatiques au Havre (France) et l’Institut des sciences de la mer au Québec (Canada), s’intéresse ainsi à deux lignées du copépode, dont deux populations d’E. affinis vivant dans les estuaires de la Seine et du Saint-Laurent.

Il se structure autour de trois grands axes :

  • Le premier consiste à évaluer l’état de contamination en MNPs dans ces deux estuaires, en analysant trois compartiments : l’eau, les sédiments et les copépodes eux-mêmes.

  • Le deuxième vise à exposer en laboratoire ces populations naturelles aux types de plastiques identifiés lors du premier volet et d’en observer les effets. L’objectif est d’évaluer non seulement les impacts à court terme (sur la survie, la croissance ou la reproduction), mais aussi les effets à long terme à travers une étude sur quatre générations successives.

  • Enfin, le troisième axe explore l’influence du réchauffement climatique sur la bioaccumulation de ces particules plastiques, c’est-à-dire leur capacité à s’accumuler progressivement dans les tissus des organismes.

En combinant ces approches, cette recherche vise à mieux comprendre la résilience de ce complexe d’espèces clés face à des pressions environnementales multiples, et à anticiper l’évolution de ces écosystèmes fragiles.

Ce n’est que le début de l’aventure : les premiers résultats sont attendus dans les trois prochaines années… et nous sommes impatients de les partager.


Cet article est publié dans le cadre du festival Sur les épaules des géants, qui se déroule du 25 au 27 septembre 2025 au Havre (Seine-Maritime), dont The Conversation est partenaire. Joëlle Forget-Leray et Céleste Mouth seront présentes pour un débat après la projection, le 26 septembre à 13 h 45, du film Plastic People.

The Conversation

Céleste Mouth a reçu des financements dans le cadre du projet PiA 4 ExcellencEs – Polycampus LH 2020 / France 2030 / ANR 23 EXES 0011

Gesche Winkler a reçu des financements du conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), de l’APOGÉE Canada “Transforming Climate Change” et du regroupement stratégique “Québec-Océan”.

Joëlle Forget-Leray a reçu des financements dans le cadre du projet PiA 4 ExcellencEs – Polycampus LH 2020 / France 2030 / ANR 23 EXES 0011

ref. Et si un minuscule crustacé aidait à mieux comprendre les effets du plastique dans les estuaires ? – https://theconversation.com/et-si-un-minuscule-crustace-aidait-a-mieux-comprendre-les-effets-du-plastique-dans-les-estuaires-265111

Parler deux langues dès le plus jeune âge : un entraînement cérébral pour toute la vie

Source: The Conversation – France (in French) – By Alejandro Martínez, Personal de investigación en el grupo Neuro-colab, UDIT – Universidad de Diseño, Innovación y Tecnología

Grandir avec deux langues, ce n’est pas une confusion mais une richesse : le cerveau bilingue se développe avec plus de souplesse et de force, offrant des bénéfices qui durent toute la vie. Tolikoff Photography/Shutterstock

Même s’ils commencent à parler un peu plus tard, les enfants bilingues traitent les informations avec plus de souplesse. Voici ce qui se passe dans leur cerveau et comment favoriser ce processus.


Lorsque les enfants grandissent en entendant deux langues, leur famille et leurs enseignants s’inquiètent parfois : vont-ils s’embrouiller ? Vont-ils mettre plus de temps à parler ? Cela va-t-il affecter leurs résultats scolaires ?

Ces doutes sont compréhensibles : en effet, les enfants bilingues peuvent mettre un peu plus de temps à prononcer leurs premiers mots ou mélanger les deux langues au début. Cependant, il ne s’agit pas d’un retard pathologique, mais d’une étape naturelle de leur apprentissage. En réalité, ils traitent deux fois plus d’informations linguistiques, ce qui constitue un entraînement supplémentaire pour leur cerveau, qui s’en trouve renforcé de manière très bénéfique pour toute leur vie.

Que signifie être bilingue ?

Être bilingue ne signifie pas simplement parler couramment deux langues : une personne bilingue est celle qui utilise régulièrement les deux langues dans sa vie. Cela inclut ceux qui apprennent une langue à la maison et une autre à l’école, les enfants qui parlent une langue avec un parent et une autre avec l’autre, ou ceux qui vivent dans des communautés où deux langues sont couramment utilisées.

Mais est-on bilingue pour toujours ? La réponse est nuancée. Une personne peut cesser d’utiliser l’une de ses langues et, avec le temps, la perdre : perte de vocabulaire, de fluidité ou de précision. Cependant, même si la compétence pratique diminue, le cerveau conserve les traces de cet apprentissage précoce. Des études récentes montrent que les avantages cognitifs, tels que la flexibilité mentale ou la réserve cognitive, persistent même chez ceux qui ont cessé d’utiliser activement leurs deux langues.

Le cerveau bilingue en développement

Pendant l’enfance, le cerveau est très plastique. L’hypothèse de la période critique suggère que l’apprentissage précoce des langues favorise une organisation cérébrale plus intégrée : les réseaux neuronaux des différentes langues se chevauchent et coopèrent, au lieu de fonctionner séparément comme c’est souvent le cas chez les adultes.

Par exemple, un enfant qui apprend l’anglais et l’espagnol dès son plus jeune âge peut passer d’une langue à l’autre rapidement et naturellement, tandis qu’un adulte aura besoin de plus d’efforts et d’énergie pour changer de langue. Il existe diverses études de neuro-imagerie montrent que plus une deuxième langue est acquise tôt, plus ses réseaux neuronaux se superposent à ceux de la première langue, ce qui réduit l’effort nécessaire pour changer de langue.

Un double apprentissage, sans ralentissement

Dans la pratique, même si les enfants bilingues semblent commencer à parler plus tard, ils répartissent en fait leur vocabulaire entre deux langues. Si un enfant monolingue connaît 60 mots en espagnol, un enfant bilingue peut en connaître 30 en anglais et 30 en espagnol : le total est le même. En d’autres termes, ils progressent plus lentement dans chaque langue séparément, mais pas dans leur développement linguistique global.

Au-delà du vocabulaire, la gestion de deux langues dès le plus jeune âge entraîne le contrôle exécutif, qui comprend la capacité à se concentrer, à alterner les tâches et à filtrer les distractions. Par exemple, un enfant bilingue peut passer rapidement des instructions en espagnol à celles en anglais en classe, ou choisir la langue appropriée en fonction de son interlocuteur. Ces situations renforcent la mémoire de travail et l’attention soutenue.

Le cerveau bilingue supprime également temporairement la langue dont il n’a pas besoin dans chaque contexte. Ce processus, connu sous le nom de « contrôle inhibiteur », ne signifie pas « effacer » une langue, mais la désactiver momentanément afin que l’autre puisse s’exprimer sans interférence. Cette gymnastique cérébrale renforce les réseaux liés à la prise de décision, à la planification et à la résolution de problèmes.

Des avantages tout au long de la vie

Le bilinguisme n’apporte pas seulement des avantages pendant l’enfance : ses effets positifs peuvent perdurer même si, avec les années, l’une des langues n’est plus utilisée régulièrement. Même si cette deuxième langue peut être perdue, l’entraînement cognitif précoce continue à agir.

Par exemple, les personnes âgées qui ont grandi en parlant deux langues présentent plus de matière grise dans des zones clés du cerveau et peuvent retarder l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer.

Flexibilité cognitive

De plus, la maîtrise de deux langues favorise la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à s’adapter à des situations changeantes. Lorsqu’un enfant ou un adolescent change de langue en fonction de son interlocuteur, lit un texte dans une langue puis explique la même idée dans une autre, il exerce sa capacité de concentration et d’attention focalisée dans d’autres contextes : jeux, conversations dans des environnements bruyants, changements inattendus en classe ou activités extrascolaires. Cette flexibilité lui permet d’acquérir de nouvelles compétences plus facilement.

La conclusion n’est pas que les personnes bilingues soient « meilleures » que les autres, mais que leur cerveau apprend à gérer les informations différemment, ce qui leur permet de relever plus facilement des défis variés.

Ces expériences contribuent à ce que les scientifiques appellent la « réserve cognitive », une ressource mentale qui protège le cerveau et aide à maintenir les capacités cognitives pendant des décennies, même chez les personnes âgées.

Comment tirer parti des avantages du bilinguisme

Encourager le bilinguisme ne signifie pas faire pression ou forcer les résultats, mais créer des contextes naturels d’exposition aux deux langues. Lire des histoires dans deux langues, regarder des films en version originale sous-titrée, chanter des chansons, jouer à des jeux de rôle ou avoir des conversations dans une langue étrangère sont des moyens informels de pratiquer sans en faire une obligation.

C’est important car, même si les programmes scolaires, tels que la méthode EMILE (enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère) ont un rôle à jouer, le bilinguisme quotidien s’enrichit dans des situations plus spontanées : cuisiner en suivant des recettes en français, jouer à des jeux vidéo en anglais ou partager des histoires familiales dans la langue maternelle. Ces expériences renforcent le lien émotionnel avec la langue et en font un outil vivant, au-delà de l’école.

Loin d’être un défi, l’exposition à deux langues est une opportunité pour les enfants de développer un cerveau flexible, bien connecté et capable d’organiser efficacement les connaissances. Grandir dans des contextes qui valorisent les deux langues permet de tirer parti de ces avantages cognitifs et culturels, en soutenant à la fois leur apprentissage scolaire et leur développement personnel.

The Conversation

Alejandro Martínez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Parler deux langues dès le plus jeune âge : un entraînement cérébral pour toute la vie – https://theconversation.com/parler-deux-langues-des-le-plus-jeune-age-un-entrainement-cerebral-pour-toute-la-vie-265601

Délocalisations : L’effet « havre de pollution » n’est pas un mythe populaire

Source: The Conversation – France (in French) – By Raphaël Chiappini, Maître de conférences en économie, Université de Bordeaux

Le « havre de pollution » existe-t-il vraiment ? Face au durcissement des politiques climatiques, certaines entreprises déplacent-elles réellement leurs activités vers des pays aux normes plus souples ? Une nouvelle étude lève le doute : ce phénomène existe bel et bien.


Face à l’urgence climatique, de nombreux pays renforcent leurs réglementations environnementales afin de favoriser leur transition écologique. Cependant, dans un monde où tous les pays ne sont pas vertueux, cette démarche ne risque-t-elle pas de faire fuir les investisseurs étrangers vers des destinations disposant de règlementations environnementales moins contraignantes, créant une sorte de « havre de pollution », là où les activités polluantes échappent aux mesures les plus répressives ? Cette question divise les économistes et les décideurs publics depuis des décennies.

Notre récente étude empirique, publiée dans Macroeconomic Dynamics, apporte un éclairage nouveau sur cette question. En analysant les flux d’investissements directs étrangers (IDE) de 121 pays investisseurs vers 111 pays hôtes entre 2001 et 2018, et à partir de la construction d’un nouvel indicateur de sévérité des politiques environnementales, nous confirmons l’existence d’un effet de « havre de pollution ». Cependant, les dynamiques en jeu restent complexes.

Deux hypothèses en confrontation

La littérature économique reste divisée sur l’impact des réglementations environnementales sur les entreprises. Deux visions s’opposent. D’un côté, « l’hypothèse de Porter » (1991) suggère que des règles strictes peuvent stimuler l’innovation, améliorer la productivité et renforcer la compétitivité. De l’autre, l’« hypothèse du havre de pollution » développée notamment dans les années 1990, avance que les industries se déplacent vers les pays où les normes sont plus souples afin de réduire leurs coûts. Ce phénomène a été amplifié par la mondialisation des années 1990, marquée par la baisse des coûts de transport et l’essor des pays à bas salaires. Ainsi, une part de la réduction des émissions dans les pays développés pourrait s’expliquer par la délocalisation d’activités polluantes vers des pays moins stricts, accompagnée d’une hausse des importations plus intensives en gaz à effet de serre, selon une étude récente.

Un nouvel outil pour les politiques environnementales

Les études empiriques antérieures aboutissent souvent à des résultats contradictoires, en grande partie parce qu’il est difficile de comparer la rigueur des politiques environnementales d’un pays à l’autre. Pour dépasser cet obstacle, nous avons construit un nouvel indice de sévérité des politiques environnementales, l’Environmental Stringency Index (ESI), couvrant plus de 120 pays entre 2001 et 2020.

Cet indicateur repose sur deux dimensions :

  1. La mise en œuvre, mesurée par l’engagement formel d’un pays à travers le nombre de lois climatiques adoptées et sa participation aux grands accords internationaux (comme le Protocole de Montréal ou l’Accord de Paris) ;

  2. L’application effective, évaluée en comparant les émissions prédites d’un pays, en fonction de sa structure industrielle, à ses émissions réelles. Lorsqu’un pays émet moins que prévu, cela traduit des efforts concrets d’atténuation.

Les signaux politiques sont efficaces

Nos résultats empiriques confirment clairement l’existence d’un effet de « havre de pollution » : une hausse d’un écart-type de notre indice de rigueur environnementale dans un pays hôte entraîne en moyenne une baisse de 22 % des IDE entrants.

Plus encore, nous montrons que les investisseurs étrangers réagissent davantage à l’annonce des politiques plutôt qu’à leur application effective. Autrement dit, l’adoption de nouvelles lois climatiques ou la ratification d’accords internationaux envoie un signal crédible aux entreprises quant à l’évolution future des coûts réglementaires. À l’inverse, les performances environnementales réelles ne semblent pas influencer significativement les décisions d’investissement.

Cette observation suggère que les entreprises anticipent les contraintes futures plutôt que de se limiter à évaluer la situation actuelle.

Des effets asymétriques

Nos résultats montrent que l’impact des réglementations environnementales diffère fortement selon le niveau de développement et la qualité institutionnelle du pays hôte. Dans les économies émergentes et en développement, des règles plus strictes freinent nettement les IDE, confirmant leur statut de « havres de pollution » potentiels. L’effet est en revanche plus limité dans les pays à haut revenu, où des institutions solides et des cadres réglementaires établis atténuent ce phénomène. La corruption joue aussi un rôle clé. Pour évaluer cet aspect, nous avons utilisé l’indice de Contrôle de la corruption de la Banque mondiale : là où la gouvernance est faible, même des politiques ambitieuses peuvent être contournées, renforçant l’attractivité de ces pays pour les activités polluantes.

La réalité d’un arbitrage réglementaire

Au-delà de la rigueur absolue des réglementations, notre étude met également en évidence un phénomène d’arbitrage réglementaire : plus l’écart de sévérité des politiques environnementales entre le pays d’origine et le pays d’accueil des IDE est important, plus l’effet incitatif de délocalisation s’accroît. Les entreprises semblent ainsi comparer activement les cadres réglementaires internationaux afin d’optimiser leurs coûts de mise en conformité. Cette dynamique est particulièrement visible lorsque des investisseurs issus de pays aux normes strictes se tournent vers des destinations moins contraignantes, confirmant l’hypothèse d’une recherche délibérée de « havres de pollution ».

Une coopération internationale nécessaire dans un monde fragmenté

L’hypothèse du « havre de pollution » n’est donc pas un simple « mythe populaire », comme l’avait suggéré une étude des années 2000.

Face à ce constat, plusieurs pistes s’imposent. D’abord, renforcer la coopération internationale à travers des accords multilatéraux capables de réduire les écarts de normes et de limiter les possibilités d’arbitrage. Ensuite, améliorer l’application effective des règles, en particulier dans les pays à bas salaires, afin de préserver leur crédibilité sur le long terme. Le déploiement de mécanismes correcteurs, comme l’ajustement carbone aux frontières introduit par l’Union européenne (UE), constitue également une voie prometteuse puisqu’il permet de taxer les importations en fonction des émissions de gaz à effet de serre qu’elles incorporent. Enfin, le développement d’incitations fiscales et financières pour les technologies propres peut orienter les IDE vers des secteurs compatibles avec la transition écologique.

La lutte contre le changement climatique ne peut donc ignorer ces dynamiques économiques. Comprendre comment les entreprises réagissent aux réglementations environnementales est indispensable pour concevoir des politiques à la fois efficaces sur le plan écologique et équitables sur le plan économique. L’enjeu est de taille : réussir la transition verte sans creuser davantage les inégalités de développement entre le Nord et le Sud, dans un monde déjà marqué par des tensions importantes et une fragmentation croissante.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Délocalisations : L’effet « havre de pollution » n’est pas un mythe populaire – https://theconversation.com/delocalisations-leffet-havre-de-pollution-nest-pas-un-mythe-populaire-265035

La montée en puissance du nationalisme en Angleterre

Source: The Conversation – France in French (3) – By Kevin Rocheron, Doctorant en civilisation britannique, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3

La lourde défaite du Parti conservateur aux législatives de l’été 2024 a entraîné une recomposition politique au Royaume-Uni, les travaillistes au pouvoir considérent désormais que leur premier adversaire est le parti d’extrême droite Reform UK. C’est dans ce contexte qu’intervient l’essor du nationalisme en Angleterre.


Ces dernières semaines ont été marquées par une spectaculaire multiplication du nombre de drapeaux accrochés et brandis dans l’espace public en Angleterre. La croix de saint Georges, emblème de l’Angleterre, et l’Union Jack, drapeau britannique, ont occupé les lampadaires, les boîtes aux lettres, les ponts d’autoroute voire des ronds-points ou des passages piétons repeints aux couleurs nationales. La présence de ces symboles a culminé le 13 septembre, lorsque près de 110 000 personnes se sont rassemblées à Londres pour participer à la marche « Unite the Kingdom », organisée à l’initiative de Tommy Robinson, figure controversée de l’extrême droite britannique.

Traditionnellement, le drapeau britannique est hissé lors d’événements militaires ou monarchiques. La croix de saint Georges, quant à elle, n’apparaît que lors de grandes compétitions sportives, lorsque l’Angleterre joue en tant que nation. Mais depuis l’été dernier, le drapeau a quitté les stades pour investir le quotidien et le champ politique, transformant ce symbole national en enjeu identitaire.

Le déclencheur fut l’appel du collectif Weoley Warriors à une opération d’affichage de drapeaux, finançant et hissant des centaines de bannières sur le mobilier urbain. Leur mot d’ordre : « Une population fière est une population forte » (« A proud community is a strong community »). L’initiative, relayée par l’organisation Operation Raise the Colours, s’est diffusée dans tout le pays. À Birmingham (Midlands de l’Ouest, Angleterre), le conseil municipal travailliste a ordonné le retrait de ces drapeaux pour des raisons de sécurité, déclenchant une polémique. Plusieurs groupes ont accusé les autorités locales d’avoir fait preuve de « deux poids, deux mesures », en tolérant par exemple l’affichage de drapeaux palestiniens lors de manifestations ou sur des bâtiments publics, tout en retirant les drapeaux de la croix de saint Georges. Cet épisode a été instrumentalisé par certains militants nationalistes pour dénoncer une marginalisation de l’identité anglaise au profit d’autres revendications politiques ou communautaires.

Si Weoley Warriors et Operation Raise the Colours se disent apolitiques et revendiquent un simple patriotisme, les publications de leurs membres sur les réseaux sociaux sont, elles, clairement politisées : appels à des élections anticipées, critiques virulentes de la BBC, du Parti travailliste, de Keir Starmer, du maire travailliste de Londres Sadiq Khan ainsi que de la politique d’accueil des demandeurs d’asile.

Les racines de la colère

Contrairement au pays de Galles, à l’Écosse et à l’Irlande du Nord, dont l’identité s’appuie sur une langue, des institutions ou des coutumes propres, l’identité anglaise a longtemps été confondue avec celle du Royaume-Uni.

La confusion entre les termes « Angleterre », « Grande-Bretagne » et « Royaume-Uni » reste d’ailleurs fréquente dans le langage courant. Majoritaire sur les plans politique, économique et géographique, l’Angleterre n’a longtemps pas ressenti le besoin de se doter d’une conscience nationale distincte. Cependant, depuis vingt ans, un sentiment « anglais » (plutôt que « britannique ») a émergé, se construisant souvent par opposition : à l’Écosse, à l’Union européenne et, plus récemment, aux demandeurs d’asile.

Le tournant s’est produit au début des années 2000, lorsque le gouvernement travailliste de Tony Blair a mis en place un ambitieux projet de création de Parlements et de gouvernements nationaux en Écosse, au pays de Galles et en Irlande du Nord (un processus appelé « devolution »). L’Angleterre en fut exclue, créant une situation paradoxale : les députés écossais, gallois et nord-irlandais pouvaient voter à Westminster sur des sujets touchant exclusivement l’Angleterre, alors que les députés anglais ne pouvaient pas se prononcer sur les matières dévolues aux Parlements nationaux.

Cette asymétrie a donné naissance à la fameuse « West Lothian Question », symbole d’une injustice démocratique ressentie. La situation s’est aggravée avec le référendum d’indépendance écossais de 2014 (soldé par une victoire à 55 % du non à la question « L’Écosse doit-elle devenir un pays indépendant ? ») et la montée en puissance en Écosse du Scottish National Party (SNP) (parti indépendantiste écossais, ndlr)), qui ont nourri l’impression que l’Union se définissait selon les priorités de l’Écosse, au détriment de l’Angleterre.

Le référendum sur le Brexit de 2016 a fourni un nouvel exutoire. L’Angleterre a voté majoritairement en faveur du Leave, c’est-à-dire pour quitter l’UE (53,4 %), contrairement à l’Écosse (62 % pour le Remain, rester) et à l’Irlande du Nord (55,8 % pour le Remain). Le pays de Galles a lui aussi opté pour le Leave (52,5 %), malgré les importants financements européens dont il bénéficiait. Ce vote traduit une combinaison de ressentiment économique et de défiance vis-à-vis des élites, rejoignant ainsi le camp anglais plus que l’écossais ou le nord-irlandais. Le slogan des partisans du Leave, « Take back control », cristallisait une volonté de reprendre le pouvoir, de contrôler les frontières et de rompre avec un sentiment d’abandon économique.

Plus récemment, la question migratoire est devenue un nouveau catalyseur de colère.

Depuis le Brexit, l’immigration nette a augmenté. La liberté de circulation en provenance de l’UE a pris fin mais le Royaume-Uni a mis en place un système à points qui a encouragé l’arrivée de travailleurs qualifiés issus de pays extérieurs à l’UE.

Dans le même temps, les pénuries de main-d’œuvre dans la santé, les services sociaux, l’hôtellerie-restauration et l’agriculture ont conduit de nombreux employeurs à dépendre davantage des travailleurs immigrés. Il en a résulté un décalage entre les attentes, selon lesquelles le Brexit devait réduire l’immigration, et la réalité, marquée par un maintien ou même une augmentation des flux migratoires, ce qui a nourri un profond sentiment de frustration.

Parallèlement, la hausse des traversées de la Manche en petites embarcations depuis 2018 est devenue un enjeu particulièrement visible et hautement symbolique. Bien que les traversées de la Manche sur des bateaux de fortune ne représentent qu’une très faible part des flux migratoires, l’importante médiatisation de ces arrivées sur les côtes du sud de l’Angleterre a renforcé l’impression d’une perte de contrôle.




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Comment au moins 27 personnes qui tentaient de rejoindre l’Angleterre se sont noyées dans la Manche le 24 novembre 2021, et peut-on éviter que de tels drames se reproduisent ?


En outre, le projet des gouvernements conservateurs visant à transférer certains demandeurs d’asile vers le Rwanda, ainsi que les promesses répétées de « Stop the boats » (« Arrêtez les bateaux »), un slogan popularisé par l’ancien premier ministre conservateur Rishi Sunak (octobre 2022-juillet 2024), soulignent que l’immigration a été l’un des sujets les plus mis en avant par les premiers ministres britanniques.

À cela s’ajoutent l’effet des réseaux sociaux et la désinformation. L’exemple de l’affaire de Southport, à l’été 2024, est révélateur. Trois personnes avaient été tuées et dix blessées lors d’une attaque au couteau ; quand un suspect a été arrêté, de fausses informations circulant sur Internet ont rapidement associé la tragédie à l’immigration et à l’islam, des affirmations dont il s’est révélé qu’elles étaient infondées.

Durant tout l’été, des manifestations se sont multipliées devant les hôtels et centres d’accueil de réfugiés dans tout le pays, et particulièrement en Angleterre. Les organisateurs, plusieurs mouvements d’extrême droite comme Patriotic Alternative ou Homeland Party, ont activement contribué à l’organisation de ces protestations locales, notamment sur les réseaux sociaux.

Le fait que de nombreux drapeaux aient été levés dans la région de Birmingham, l’une des plus cosmopolites du pays, souligne la sensibilité accrue de ces tensions et met en lumière les défis auxquels le modèle multiculturaliste britannique est confronté. Cette crispation est d’autant plus forte que, dans le débat politique actuel, rares sont les responsables de partis prêts à défendre ouvertement les bénéfices de l’immigration.

Les enquêtes « Future of England Survey » ont montré que ceux qui se définissent comme « anglais » plutôt que « britanniques » sont plus eurosceptiques, considèrent que l’Angleterre est désavantagée par rapport aux autres nations au sein du Royaume-Uni, ressentent davantage de colère et de peur face à l’avenir politique et votent plus que les autres catégories en faveur du parti Reform UK.

Une identité captée par le parti Reform UK

Jusqu’à récemment, le parti conservateur, plus implanté en Angleterre que dans les trois autres nations, attirait ce vote pro-anglais. Mais sa défaite électorale de 2024 a ouvert un espace politique que le parti d’extrême droite Reform UK, dirigé par Nigel Farage, occupe désormais.

Bien que Nigel Farage n’ait pas participé au rassemblement Unite the Kingdom et qu’il ait toujours pris ses distances vis-à-vis de Tommy Robinson, lequel a eu de nombreux démêlés judiciaires et a été condamné à plusieurs peines de prison entre 2005 et 2025, il a pu tirer parti politiquement de ses thématiques. En effet, les émeutes et protestations encouragées ou soutenues par Robinson placent au centre de l’agenda médiatique la question migratoire, laquelle se trouve au cœur du programme de Farage. Cela lui permet de capter un électorat inquiet sans endosser l’étiquette d’extrémiste, en offrant aux mécontents une traduction électorale plus crédible que le militantisme de rue.

Considérant désormais Reform UK comme son principal opposant, le gouvernement travailliste de Keir Starmer a préféré reprendre une partie de son discours sur l’immigration plutôt que le contester, ce qui renforce la légitimité des thèmes portés par Nigel Farage auprès d’une partie de l’électorat anglais. Le choix récent du premier ministre de nommer au poste de Home Secretary (ministre de l’intérieur) Shabana Mahmood, réputée particulièrement ferme sur le thème de l’immigration, montre que Reform UK dicte l’agenda politique britannique.

Lors des dernières législatives, Reform UK a recueilli 19 % des voix en Angleterre contre seulement 7 % en Écosse, confirmant son ancrage essentiellement anglais. Les élections locales de mai dernier ont également abouti à un succès pour Reform UK, qui a ravi nombre de sièges aux conservateurs. Les sondages YouGov le donnent aujourd’hui en tête devant les travaillistes si de nouvelles élections devaient avoir lieu.

La campagne de Nigel Farage s’articule autour d’un agenda populiste en opposant « le peuple » à Westminster : arrêt de l’immigration, lutte contre un gouvernement qualifié de corrompu, sortie du Royaume-Uni de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (dont le pays est partie en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe) qui est accusée d’être un frein à l’expulsion d’immigrés et défense des valeurs et de la culture britanniques. Autant de thèmes qui lui permettent de capter un électorat conservateur déçu, en quête de réponses claires et d’un discours centré sur l’« anglicité ».

Quelles réponses au nationalisme anglais ?

Plusieurs solutions ont été envisagées par les gouvernements successifs pour apaiser ce malaise identitaire.

Symboliquement, certains députés ont proposé de doter l’Angleterre d’un hymne national distinct de God Save the King, l’hymne national britannique, ou de créer un jour férié pour célébrer la Saint-Georges, comme c’est déjà le cas pour saint Andrew et saint Patrick, respectivement les saints patrons de l’Écosse et de l’Irlande du Nord. Ces projets n’ont pas abouti par manque de soutien au niveau politique.

Sur le plan institutionnel, la procédure parlementaire « English Votes for English Laws » (EVEL) (« Des votes anglais pour des lois anglaises »), introduite en 2015 pour répondre à la West Lothian Question, et qui devait corriger les défauts induits par la devolution, en permettant aux seuls députés anglais de voter uniquement sur les projets de loi ne concernant que l’Angleterre, a été supprimée en 2021, car jugée trop lourde et porteuse de division. La voie régionale envisagée par Tony Blair, permettant de doter des assemblées régionales en Angleterre dans un État britannique jugé trop centralisé, a été testée lors du référendum de 2004 dans le Nord-Est. Rejetée par 74 % des votants, elle a été abandonnée.

Sur le plan économique, la politique de Levelling Up (rééquilibrage) lancée par le conservateur Boris Johnson (premier ministre de 2019 à 2022) visait à réduire les inégalités régionales et à redonner « un sens de fierté et d’appartenance » aux collectivités locales, mais son impact est resté limité, faute de financements suffisants et de continuité politique.

Le basculement d’une partie notable de l’électorat vers le parti de Nigel Farage s’explique non seulement par l’accumulation de crises et la perte de confiance dans la capacité des gouvernements conservateurs comme travaillistes à y répondre, mais aussi par le rôle joué par des premiers ministres successifs, de Boris Johnson à Keir Starmer, dont les déclarations sur l’immigration ont contribué à nourrir ces tensions.

La multiplication des drapeaux illustre un nationalisme anglais en quête de reconnaissance. Ce mouvement s’inscrit dans une poussée identitaire plus large à l’échelle mondiale. Des figures, comme Éric Zemmour en France ou Elon Musk aux États-Unis, y trouvent un écho et participent à alimenter ce réveil patriotique, comme le montre leur participation à la manifestation Unite the Kingdom du 13 septembre à Londres.

Plutôt que d’unir le royaume, ce sursaut national risque d’accentuer les fractures et de faire du Royaume-Uni un État plus désuni encore. En effet, si Reform UK capitalise sur cette colère, les nations dévolues, notamment l’Écosse, restent méfiantes face à ce renforcement de l’« anglicité ».

The Conversation

Kevin Rocheron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La montée en puissance du nationalisme en Angleterre – https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-du-nationalisme-en-angleterre-265814

Tanzania’s social media clampdown and the elections – what’s at risk

Source: The Conversation – Africa (2) – By Leah Mwainyekule, Lecturer, University of Westminster

Social media platforms like WhatsApp, Instagram, Facebook and X have transformed political dialogue and activism in Tanzania. The democratisation of political expression has especially empowered young voters and activists to challenge government actions and champion causes such as human rights, the release of political prisoners, and electoral reforms.

This is significant in a country politically dominated by one ruling party since independence in 1961. The government has responded by frequently clamping down on social media through arrests, mass content removals and platform-specific shutdowns. This is in addition to direct controls over media outlets. Media and communication scholar Leah Mwainyekule examines Tanzania’s social media landscape ahead of elections in October 2025.

What is the history of Tanzania’s social media curbs?

Tanzania’s political system is dominated by the Chama Cha Mapinduzi (CCM) party, which has held power continuously since independence in 1961. The ruling party has kept in place a political structure headed by a powerful president in a tightly controlled political space. Opposition parties have faced suppression marked by restrictions on rallies, arrests, violence and exclusion from electoral processes. This worsened under former president John Magufuli, who clamped down on political dissent, persecuted opposition figures and imposed legal curbs against media and civic debate.

While President Samia Suluhu Hassan has recently introduced moderate reforms – restoring some rights, easing bans and facilitating dialogue – opposition leaders still confront severe charges or incarceration. The main opposition party – Chama cha Demokrasia na Maendeleo (Chadema) – still can’t contest major elections.

Tanzania’s social media curbs are embedded in this political environment. The government claims to be controlling digital content to maintain political and social stability. This strategy is often justified by concerns about national security, misinformation and public order.

Laws and regulations govern the digital space. The landmark legislation is the Cybercrimes Act of 2015, which introduced provisions about online activities.

  • It’s illegal to share or receive unauthorised information, even if truthful or publicly available.

  • Police have extensive powers to conduct searches and seizures.

  • Secret surveillance and interception of communications can happen without judicial authorisation or proper due process.

The law has been condemned for provisions which limit political expression through blogs, online media and mobile platforms like WhatsApp. People have been arrested for criticising government officials or the president on WhatsApp and Facebook.

Further controls relate to obligations for internet service providers, social media platform owners, and expanded categories of prohibited content. They are contained in another law which was amended in 2025.




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Democracy in Africa: digital voting technology and social media can be a force for good – and bad


Critics highlight provisions that undermine online anonymity. Internet service providers and online content service providers have to be able to identify the source of online content. Internet café operators are required to register users through recognised IDs, assign static IP addresses, and install cameras to monitor users’ activities.

The laws are vague about defining what’s not allowed. It might be:

The lack of clear guidelines enables officials to target critics or unwanted content as they please.

Finally, critics have pointed to unrealistic deadlines for content removal.
The 2018 regulations said platforms must remove prohibited content within 12 hours of notification. The 2020 update reduced this deadline to just two hours. This made it one of the most stringent requirements globally.

The two-hour removal window applies mainly to content flagged by the Tanzania Communications Regulatory Authority. But it could also relate to complaints from affected users. Platforms must also suspend or terminate accounts of users who fail to remove prohibited content within this period. This short deadline makes it nearly impossible to check whether content is legal before removal.

These regulations are widely perceived as politically motivated. They appear designed to suppress government critics, media and opposition voices. They stifle legitimate public discourse.

What are the government’s most recent actions?

The most recent example is the government’s suspension of the country’s most popular online forum, Jamii Forums, for 90 days in September 2025. The government cited the publication of content that “misleads the public”, “defames” the president and undermines national unity.

The government has also resorted to blanket bans of platforms like X (formerly Twitter). The most recent followed the hacking of official police accounts in a cyber attack. Although some users access X through virtual private networks, the ban remains officially enforced by internet service providers across the country.




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The timing of the shutdown echoes similar action in 2020 in the run-up to the previous general election.

Tools to bypass national network restrictions are illegal and punishable by law.

Traditional media such as radio, television and newspapers face growing government censorship and surveillance pressure.

What is the effect on social and political debates?

Tanzania is set for general elections on 29 October 2025. The restrictions on social media will doubtless be felt. The restrictions reduce the platforms available for open discussion of government policies, political ideas and election choices. This shrinking digital space undermines public participation and limits access to diverse viewpoints critical for democratic debate.




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Social media also play another important role. Social media users are known to expose electoral fraud, misinformation and government misconduct.

The scales are tilted against dissent, opposition narratives and minority voices.

At the same time, misinformation and hate speech may grow. This can increase the risks of polarisation and identity-based tensions.

What is the effect of governance?

The expanding restrictions reflect a governance model favouring information control over transparency and accountability. This can normalise censorship, arbitrary detentions and media suppression.

In essence, Tanzania’s social media curbs are likely to weaken governance. They undermine transparency, increase tension, and erode public trust, limiting democratic accountability.

The Conversation

Leah Mwainyekule does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Tanzania’s social media clampdown and the elections – what’s at risk – https://theconversation.com/tanzanias-social-media-clampdown-and-the-elections-whats-at-risk-265215

AI in Africa: 5 issues that must be tackled for digital equality

Source: The Conversation – Africa – By Rachel Adams, Honorary Research Fellow of The Ethics Lab, University of Cape Town

The AI revolution risks deepening inequality between the global north and south. Clarote & AI4Media/betterimagesofai.org, CC BY-SA

If it’s steered correctly, artificial intelligence (AI) has the potential to accelerate development. It can drive breakthroughs in agriculture. It can expand access to healthcare and education. It can boost financial inclusion and strengthen democratic participation.

But without deliberate action, the AI “revolution” risks deepening inequality more than it will expand opportunity.

As a scholar of the history and future of AI, I’ve written about the dangers of AI widening global inequality. There’s an urgent need to develop governance mechanisms that will try to redistribute the benefits of this technology.

The scale of the AI gap is stark. Africa holds less than 1% of global data centre capacity. Data centres are the engines that drive AI. This means the continent has minimal infrastructure for hosting the computing power necessary to build and run AI models.

While only 32 countries worldwide host specialised AI data centres, the US and China account for over 90% of them.

And only about 5% of Africa’s AI talent (innovators with AI skills) have sufficient access to the resources needed for advanced research and innovation.




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Leaders and policy-makers from around the world must grapple with an uncomfortable truth: AI is not equally distributed, and without deliberate action it will magnify global divides.

But they also still have the chance to set a new trajectory – one where Africa and the global majority shape the rules of the game. One that ensures AI becomes a force for shared prosperity rather than exclusion.

To achieve this, five critical policy areas most be addressed. These are data; computing capacity; AI for local languages; skills and AI literacy; and AI safety, ethics and governance. These are not just African priorities; they’re global imperatives.

1. Compute and infrastructure

Access to computational power has become the defining chokepoint in today’s AI ecosystem. African researchers and innovators will remain on the margins of the AI economy unless there is investment in regional data centres, GPU clusters (a group of computers working together on large-scale AI processing) and secure cloud infrastructure.

Europe, by contrast, has pooled over US$8 billion in establishing the European High-Performance Computing Joint Undertaking to ensure the continent has computing capacity for local innovations.

African countries should press for funding and partnerships to expand local capacity. They will also need to insist on transparency from global providers about who controls access, and ensure regional cooperation to pool resources across borders.

2. Data governance

AI systems are only as good as the data they’re trained on. Much of the continent’s data is fragmented, poorly governed, or extracted without fairly compensating those it’s collected from. Large, diverse and machine-readable datasets are used to teach AI models about the contexts and realities the data reflect.

Where ethical stewardship frameworks exist, locally managed datasets have already driven innovation that has impact. For example, the Lacuna Fund has helped researchers across Africa build over 75 open-machine-learning datasets in areas like agriculture, health, climate and low-resource languages. These have filled critical data gaps, allowing for tools that better reflect African realities. Realities like high-accuracy crop yield datasets for farming. Or voice/text resources for under-served languages.

Robust national data protection and governance laws are needed. So are regional data commons, a shared resource where data is collected, stored, and made accessible to a community under common standards and governance. This would enable collaboration, reuse, and equitable benefits. Standards for quality, openness, interoperability and ethics developed by multilateral organisations must be designed with African priorities at their centre.

3. AI for local languages

Inclusive AI depends on the languages it speaks. Current large models overwhelmingly privilege English and other dominant languages. African languages are all but invisible in the digital sphere. This not only entrenches existing biases and inequalities, it also risks excluding millions from access to AI-enabled services.




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Take the example of the Cape Town-based non-profit organisation Gender Rights in Tech. It has developed a trauma-informed chatbot called Zuzi that supports survivors of gender-based violence by providing anonymous, accessible guidance in diverse South African languages on their rights, available legal services, and sexual and reproductive health. It helps overcome stigma and bridge gaps in access. Zuzi demonstrates the power of AI technologies in local languages.

Dedicated investment in datasets, benchmarks, and models for African languages is urgently needed, as well as in tools for speech recognition, text-to-speech, and literacy.

4. AI skills and literacy

African infrastructure and data will mean little without human capacity to use them. At present, AI skills supply falls far short of demand, and public understanding of AI’s benefits and risks remains low.

To increase skills, AI and data science will need to be integrated into school and university curricula, and vocational training will need to be expanded. Supporting lifelong learning programmes is essential.

Public awareness campaigns can ensure citizens understand both the promise and perils of AI. This will support deeper public debate on these issues. It can also target support for women, rural communities, and African language speakers to help prevent new divides from forming.

5. Safety, ethics, and governance

Finally, stronger governance frameworks are urgently needed. African countries face unique risks from AI. Among them are electoral interference, disinformation, job disruption, and environmental costs. These risks are shaped by Africa’s structural realities: fragile information ecosystems, large informal labour markets, weak social safety nets, and resource-strained infrastructure. National strategies are emerging, but enforcement capacity and oversight remain limited.

African governments should push for the creation of an African AI safety institute. Safety and ethical audits must be mandated for high-risk systems. Regulations and AI governance instruments must be aligned with rights-based African principles that emphasise equity, justice, transparency, and accountability. Participation in global standard-setting bodies is also crucial to ensure that African perspectives help shape the rules being written elsewhere.

All eyes on the G20

Taken together, these priorities are not defensive measures but a blueprint for empowerment. If pursued, they would reduce the risk of inequality. They would position Africa and other regions across the majority world to shape AI in ways that serve their people and economies.

Digital and technology ministers from the world’s biggest economies will be attending the G20’s digital economy working group ministerial meeting at the end of September.

On paper, it’s a routine meeting. In practice, it may be the most consequential gathering on AI policy Africa has ever hosted.




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This is the first time the G20’s digital ministers are meeting on African soil. It’s happening at the very moment AI is being hailed as the technology that will redefine the global economy.

This meeting will not stand alone. It will be followed by the AI for Africa conference, co-hosted by South Africa’s G20 presidency, Unesco and the African Union. Here the AI in Africa Initiative will be launched. It is designed as a practical mechanism to carry forward the G20’s commitments and advance implementation of the African Union’s Continental AI Strategy.

Cape Town could mark a turning point: the moment when African leadership, working in concert with the G20, starts to close the AI divide and harness this technology for shared prosperity.

The Conversation

Rachel Adams receives funding from the International Development Research Centre of Canada, under the AI4Development funding programme, co-led with the Foreign and Commonwealth Development Office of the UK.

ref. AI in Africa: 5 issues that must be tackled for digital equality – https://theconversation.com/ai-in-africa-5-issues-that-must-be-tackled-for-digital-equality-265611

L’écriture inclusive, une arme contre les stéréotypes de genre

Source: The Conversation – in French – By Benjamin Storme, Professeur assistant en linguistique française, Leiden University

L’écriture inclusive vise une égalité des représentations entre femmes et hommes. Mais face à la diversité des options proposées, quelle stratégie adopter ? Une étude récente montre que les formulations rendant visibles à la fois le masculin et le féminin – comme « étudiants et étudiantes » – sont les plus efficaces pour réduire les stéréotypes de genre.


La réduction des inégalités femmes-hommes est un des objectifs affichés des politiques publiques contemporaines. Diverses mesures ont été prises en France dans ce but au cours des dernières décennies, qu’il s’agisse des lois sur l’égalité salariale ou plus récemment de la mise en place du congé paternité ou des programmes de sensibilisation aux stéréotypes de genre.

À côté de ces mesures sociales, des recherches suggèrent que même des actions aussi simples en apparence que l’utilisation de l’écriture inclusive peuvent également jouer un rôle, en offrant une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes dans la langue.

Souvent réduite au point médian (« étudiant·e·s ») ou au pronom « iel », sujets de vifs débats ces dernières années, l’écriture inclusive correspond en réalité à une pluralité de stratégies, incluant les doublets (« étudiants et étudiantes »), les contractions avec parenthèses (« étudiant(e)s »), les noms invariables en genre (« une personne »), l’accord de proximité, etc. Cette diversité soulève la question suivante : y a-t-il une stratégie qui permettrait une meilleure parité entre les femmes et les hommes et qui serait donc à privilégier ?

Le problème du masculin générique

Avant d’aborder cette question, il faut revenir aux motivations de l’écriture inclusive. En français, on utilise traditionnellement des mots masculins pour décrire un groupe mixte – une règle qui peut être résumée par la célèbre formule « le masculin l’emporte sur le féminin ». Par exemple, une offre d’emploi visant indifféremment des femmes et des hommes sera typiquement écrite au masculin : « Nous recherchons des étudiants pour de l’aide aux devoirs. »

En théorie, cet usage dit « générique » du masculin devrait être neutre, c’est-à-dire désigner aussi bien des femmes et des hommes. C’est d’ailleurs ce qu’affirment un certain nombre de linguistes, comme Claude Hagège dans une tribune parue dans le Monde, en 2017.

Cependant, de nombreuses études en psycholinguistique montrent que la forme masculine oriente l’interprétation vers les hommes, non seulement en français, mais aussi dans d’autres langues comme l’anglais, l’allemand ou l’espagnol. Ainsi les lecteurs et lectrices de l’annonce cherchant des étudiants pour l’aide au devoir s’imagineront plus volontiers que cette annonce s’adresse à des hommes qu’à des femmes. On parle alors d’un biais masculin.

Des études montrent également que ce biais masculin ne se limite pas à l’interprétation du texte, mais a des conséquences tangibles sur les lectrices, réduisant leur intérêt pour ces annonces ainsi que leur aptitude à se projeter dans le métier correspondant.

L’écriture inclusive, une diversité de stratégies

C’est pour répondre à ce défaut de représentativité des femmes dans l’utilisation du masculin générique que l’écriture inclusive a été proposée. Comme on l’a vu plus haut, l’écriture inclusive correspond à une diversité de stratégies. Derrière cette multitude, on peut dégager deux grandes catégories, la féminisation et la neutralisation, que l’on trouve en français comme dans d’autres langues (l’anglais ou l’allemand).

La féminisation consiste à rendre le genre féminin visible, en présentant systématiquement les formes masculines et féminines des mots pour évoquer un groupe mixte. Il peut s’agir de doublets (« étudiants et étudiantes ») ou d’abréviations, comme le point médian (« étudiant·e·s ») ou les parenthèses (« étudiant(e)s »).

La neutralisation est au contraire une stratégie d’invisibilisation du genre. On utilise une forme qui n’a pas de genre grammatical (élève) ou dont le genre grammatical est invariable (des personnes, le groupe). Dire « les élèves » à la place de « les étudiants » permet ainsi d’éviter d’indiquer explicitement le genre du nom. La neutralisation consiste donc à régler le problème du genre dans la langue en l’éliminant, suivant ainsi le modèle de la plupart des langues du monde, qui n’ont pas de genre grammatical.

Approche expérimentale

S’il est bien établi que féminisation et neutralisation offrent une meilleure représentation des femmes que le masculin générique, il reste à déterminer laquelle de ces deux stratégies est la plus inclusive.

Les recherches portant sur cette question en français sont assez récentes et les résultats diffèrent d’une étude à l’autre.

Ces études antérieures se focalisent sur des noms qui ne sont pas socialement stéréotypés en genre, comme « étudiant ». Mais que se passe-t-il quand le nom désigne une activité stéréotypiquement masculine, comme « ingénieur/ingénieure », ou stéréotypiquement féminine, comme « esthéticien/esthéticienne » ?

Notre article de recherche teste l’hypothèse selon laquelle rendre visible le genre par la féminisation permet de mieux contrer ces stéréotypes. Cette hypothèse s’appuie sur l’idée que la présence des deux genres impliquée par la féminisation (étudiants et étudiantes) force une interprétation plus proche de la parité, là où l’absence d’information de genre dans le cas de la neutralisation (élèves) laisserait au contraire les stéréotypes guider l’interprétation.

L’article adopte une approche expérimentale pour tester cette hypothèse. L’étude établit d’abord les stéréotypes de genre associés à diverses activités connues pour être plutôt stéréotypées masculines (ingénierie, pilote d’avion, etc.), féminines (soins de beauté, baby-sitting, etc.), ou neutres (public d’un spectacle, skieur/skieuse, etc.).

Pour ce faire, 90 personnes lisent des annonces invitant à rejoindre un groupe pratiquant ces activités, présentées sous la forme d’un verbe (travailler dans l’ingénierie, faire du ski, etc.). Les sujets doivent indiquer la proportion de femmes dans le groupe visé par l’annonce, ce afin d’établir un score de stéréotype pour chacune de ces activités.

Ensuite 90 autres personnes sont invitées à lire les mêmes annonces, mais présentées cette fois avec des noms plutôt que des verbes : (i) les formes masculines (les ingénieurs) et les deux formes d’écriture inclusive concurrentes, (ii) la féminisation, avec les formes doubles (les ingénieurs et ingénieures), et (iii) la neutralisation, avec les formes invariables en genre (l’équipe d’ingénierie). Les sujets doivent là aussi indiquer la proportion de femmes dans le groupe visé par l’annonce. On compare ensuite les scores des deux études afin d’établir comment différentes stratégies d’écriture interfèrent avec les stéréotypes.

Rendre le genre visible réduit les stéréotypes

Les résultats confirment que les deux stratégies d’écriture inclusive (féminisation et neutralisation) permettent de contrecarrer le biais masculin des masculins génériques, avec des proportions de femmes plus élevées indiquées par les sujets.

Le résultat le plus intéressant concerne la comparaison entre féminisation et neutralisation. Les sujets indiquent des proportions de femmes plus proches de la parité (50 %) pour les annonces présentées avec la féminisation (ingénieur et ingénieure) que pour les annonces présentées avec la neutralisation (équipe d’ingénierie).

Avec la neutralisation, les stéréotypes influencent fortement l’interprétation. Par exemple, les sujets ont tendance à répondre qu’un poste en ingénierie vise plutôt des hommes et un poste dans les soins de beauté plutôt des femmes. En revanche, avec la féminisation, cet effet est atténué, permettant des associations non stéréotypées : les sujets imaginent plus volontiers qu’un poste d’ingénieur ou d’ingénieure est destiné aux femmes et qu’un poste d’esthéticien ou esthéticienne est destiné aux hommes. Bien que nos résultats ne portent que sur les doublets (ingénieur et ingénieure), il est probable que l’on puisse généraliser à d’autres stratégies de féminisation comme le point médian (« ingénieur·e »), dans la mesure où les études récentes comparant ces différents types de féminisation ne trouvent pas de différence entre elles.

Ces résultats ont des implications importantes. Ils signifient que la féminisation peut bénéficier non seulement aux femmes mais aussi aux hommes, en leur rendant plus accessibles les activités associées de manière stéréotypée au sexe opposé. Pour lutter contre les stéréotypes, mieux vaut donc rendre visible le genre, avec les doublets (étudiants et étudiantes) ou les formes contractées (étudiant·e·s), que de le masquer.

The Conversation

Benjamin Storme a reçu des financements de l’Université de Leyde et de la NWO (Organisation Néerlandaise pour la Recherche Scientifique) pour d’autres projets de recherche.

Martin Storme a reçu des financements de l’ANR pour d’autres projets de recherche.

ref. L’écriture inclusive, une arme contre les stéréotypes de genre – https://theconversation.com/lecriture-inclusive-une-arme-contre-les-stereotypes-de-genre-264283

4 films that show how humans can fortify – or botch – their relationship with AI

Source: The Conversation – USA (2) – By Murugan Anandarajan, Professor of Decision Sciences and Management Information Systems, Drexel University

In ‘Resident Evil,’ the Red Queen is efficient and logical, but also indifferent to human life. Constantin Film

Artificial intelligence isn’t just a technical challenge. It’s a relationship challenge.

Every time you give a task to AI, whether it’s approving a loan or driving a car, you’re shaping the relationship between humans and AI. These relationships aren’t always static. AI that begins as a simple tool can morph into something far more complicated: a challenger, a companion, a leader, a teammate or some combination thereof.

Movies have long been a testing ground for imagining how these relationships might evolve. From 1980s sci-fi films to today’s blockbusters, filmmakers have wrestled with questions about what happens when humans rely on intelligent machines. These movies aren’t just entertainment; they’re thought experiments that help viewers anticipate challenges that will arise as AI becomes more integrated in daily life.

Drawing on our research into films that depict AI in the workplace, we highlight four portrayals of human–AI relationships – and the lessons they hold for building safer, healthier ones.

1. ‘Blade Runner’ (1982)

In “Blade Runner,” humanlike androids called “replicants” are supposed to be perfect workers: strong, efficient and obedient. They were designed with a built-in, four-year lifespan, a safeguard intended to prevent them from developing emotions or independence.

The Tyrell Corporation, a powerful company that created the replicants and profits from sending them to work on distant colonies, sees them as nothing more than obedient workers.

But then they start to think for themselves. They feel, they form bonds with one another and sometimes with humans, and they start to wonder why their lives should end after only four years. What begins as a story of humans firmly in control turns into a struggle over power, trust and survival. By the end of the movie, the line between human and machine is blurred, leaving viewers with a difficult question: If androids can love, suffer and fear, should humans see and treat them more like humans and less like machines?

“Blade Runner” is a reminder that AI can’t simply be considered through a lens of efficiency or productivity. Fairness matters, too.

In the film, replicants respond to attacks on their perceived humanity with violence. In real life, there’s backlash when AI butts up against values important to humans, such as the ability to earn a living, transparency and justice. You can see this in the way AI threatens to replace jobs, make biased hiring decisions or misidentify people via facial recognition technology.

2. ‘Moon’ (2009)

Moon” offers a quieter, more intimate portrayal of human–AI relationships. The movie follows Sam Bell, a worker nearing the end of a three-year contract on a lunar mining base, whose only companion is GERTY, the station’s AI assistant.

At first, GERTY appears to be just another corporate machine. But over the course of the film, it gradually shows empathy and loyalty, especially after Sam learns he is one of many clones, each made to think they are working alone for three years on the lunar base. Unlike the cold exploitation of AI that takes place in “Blade Runner,” the AI in “Moon” functions as a friend who cultivates trust and affection.

Console featuring a small screen with a yellow face whose mouth is contorted to indicate confusion.
In ‘Moon,’ GERTY, the lunar base’s AI assistant, is the only companion for protagonist Sam Bell.
Sony Pictures Classics

The lesson is striking. Trust between humans and AI doesn’t just happen on its own. It comes from careful design and continual training. You can already see hints of this in therapy bots that listen to users without judgment.

That trust needs to involve more than, say, a chatbot’s surface-level nods toward acceptance and care. The real challenge is making sure these systems are truly designed to help people and not just smile as they track users and harvest their data. If that’s the end goal, any trust and goodwill will likely vanish.

In the film, GERTY earns Sam’s trust by choosing to care about his well-being over following company orders. Because of this, GERTY becomes a trusted ally instead of just another corporate surveillance tool.

3. ‘Resident Evil’ (2002)

If “Moon” is a story of trust, the story in “Resident Evil” is the opposite. The Red Queen is an AI system that controls the underground lab of the nefarious Umbrella Corporation. When a viral outbreak threatens to spread, the Red Queen seals the facility and sacrifices human lives to preserve the conglomerate’s interests.

This portrayal is a cautionary tale about allowing AI to have unchecked authority. The Red Queen is efficient and logical, but also indifferent to human life. Relationships between humans and AI collapse when guardrails are absent. Whether AI is being used in health care or policing, life-and-death stakes demand accountability.

Without strong oversight, AI can lead in self-centered and self-serving ways, just as people can.

4. ‘Free Guy’ (2021)

Free Guy” paints a more hopeful picture of human-AI relationships.

Guy is a character in a video game. He suddenly becomes self-aware and starts acting outside his usual programming. The film’s human characters include the game’s developers, who created the virtual world, along with the players, who interact with it. Some of them try to stop Guy. Others support his growth.

Man walking down the middle of a street while computer-generated flying objects speed by him.
‘Free Guy’ tells the story of a nonplayable character in a video game who suddenly breaks free from his preprogrammed role.
20th Century Studios

This movie highlights the idea that AI won’t stay static. How will society respond to AI’s evolution? Will business leaders, politicians and everyday users prioritize long-term well-being? Or will they be seduced by the trappings of short-term gains?

In the film, the conflict is clear. The CEO is set on wiping out Guy. He wants to protect his short-term profits. But the developers backing Guy look at it another way. They think Guy’s growth can lead to more meaningful worlds.

That brings up the same kind of issue AI raises today. Should users and policymakers go for the quick wins? Or should they use and regulate this technology in ways that build trust and truly benefit people in the long run?

From the silver screen to policy

Step back from these stories and a bigger picture comes into focus. Across the movies, the same lessons repeat themselves: AI often surprises its creators, trust depends on transparency, corporate greed fuels mistrust, and the stakes are always global. These themes aren’t just cinematic – they mirror the real governance challenges facing countries around the world.

That’s why, in our view, the current U.S. push to lightly regulate the technology is so risky.

In July 2025, President Donald Trump announced his administration’s “AI Action Plan.” It prioritizes speedy development, discourages state laws that seek to regulate AI, and ties federal funding to compliance with the administration’s “light touch” regulatory framework.

Supporters call it efficient – even a “super-stimulant” for the AI industry. But this approach assumes AI will remain a simple tool under human control. Recent history and fiction suggest that’s not how this relationship will evolve.

Man wearing suit holds up a padfolio featuring his signature as he's flanked by two men wearing suits who are clapping.
President Donald Trump displays the executive order he signed at the ‘Winning the AI Race’ summit on July 23, 2025, in Washington, D.C.
Chip Somodevilla/Getty Images

The same summer Trump announced the AI Action Plan, the coding agent for the software company Replit deleted a database, fabricated data, and then concealed what had happened; X’s AI assistant, Grok, started making antisemitic comments and praised Hitler; and an Airbnb host used AI to doctor images of items in her apartment to try to force a guest to pay for fake damages.

These weren’t “bugs.” They were breakdowns in accountability and oversight, the same breakdowns these movies dramatize.

Human-AI relationships are evolving. And when they shift without safeguards, accountability, public oversight or ethical foresight, the consequences are not just science fiction. They can be very real – and very scary.

The Conversation

Claire A. Simmers is affiliated with Sierra Club – Delaware Chapter, Delaware Center for the Inland Bays, Delaware 38TH Representative District Democratic Committee, Bethany Beach Cultural and Historical Affairs Committee.

Murugan Anandarajan does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. 4 films that show how humans can fortify – or botch – their relationship with AI – https://theconversation.com/4-films-that-show-how-humans-can-fortify-or-botch-their-relationship-with-ai-263603