L’avenir des véhicules électriques selon les experts du secteur de l’énergie

Source: – By Anne-Lorène Vernay, Chargée de cours en stratégie, Grenoble École de Management (GEM)

Renault Zoé est actuellement le véhicule électrique le plus vendu au sein de l’Union européenne (15% de parts de marché) et leader en France (avec 70% de parts de marché). Wikimedia Commons, CC BY

Depuis que Tesla a commercialisé son premier véhicule électrique (VE) au milieu des années 2000, plusieurs constructeurs automobiles tels que le Chinois BYD, Renault-Nissan ou BMW se sont positionnés clairement sur ce marché. Les VE promettent d’améliorer la qualité de vie en milieu urbain grâce à la réduction de la pollution de l’air et des nuisances sonores. L’augmentation significative de la part des VE devrait également réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment si l’électricité utilisée pour la recharge des batteries provient de sources décarbonées.

Selon le dernier rapport global sur les VE de l’Agence internationale de l’énergie, en 2016, le chiffre record de 750 000 véhicules électriques vendus a été atteint, dont plus de la moitié en Chine. Le marché des VE devrait continuer sa croissance dans les années à venir et d’ici à 2020, entre 9 et 20 millions de VE sont attendus sur les routes. À noter également qu’en 2016, les infrastructures de stations de recharge publiques ont crû sur un rythme annuel de 72%.

Pour soutenir le développement des VE, plusieurs pays proposent des réductions de prix aux acheteurs. En France, cette aide peut s’élever à 6 000 euros (plus une prime additionnelle de 2 500 euros si un véhicule diesel de plus de 16 ans est mis à la casse). En 2017, près de 31 000 véhicules électriques ont été immatriculés en France. Ce chiffre correspond à une part de marché de 1,2%, ce qui reste bien en dessous du pays champion du VE, la Norvège, où 17% des ventes sont électriques. En Allemagne pour la même période, les ventes sont un peu moindres mais se situent dans une fourchette assez similaire à la France.

En lien avec ces développements, l’édition hiver 2017-2018 du Baromètre du marché de l’énergie de Grenoble École de Management et du Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung (Centre pour la recherche économique européenne) questionne les perceptions des experts du secteur de l’énergie sur le développement du véhicule électrique en France et en Allemagne.

Adaptation majeure des réseaux de distribution

Experts français et allemands s’accordent pour dire qu’aucun changement majeur ne sera requis au niveau de la production d’électricité et du réseau de transport. Selon une grande majorité des spécialistes de notre échantillon français, une part de 10% de véhicules électriques en France d’ici 2025, soit environ 4 millions de voitures, ne nécessite pas de tels changements.

En revanche, les experts des deux pays pensent que si la part des VE atteint 10%, cela nécessitera de larges investissements dans le réseau de distribution, c’est-à-dire au niveau des transformateurs et des câbles dont la puissance devra être augmentée.

À titre d’exemple, recharger un VE pourrait doubler la demande électrique d’un foyer. Les réseaux de distribution existants pourraient ne pas être en mesure de supporter la charge supplémentaire si les véhicules sont chargés en parallèle des usages conventionnels. Les niveaux d’investissements sont incertains mais une étude récente d’Artelys montre que pour la France, la facture pourrait s’élever à 150 millions d’euros par an et ce jusqu’en 2030. À défaut, le système électrique risque de ne pas pouvoir faire face.

Domination des distributeurs d’électricité

Pour réduire le stress que les VE pourraient imposer au réseau d’électricité et aux capacités de production, un pilotage de la charge peut être mis en œuvre afin de recharger les véhicules électriques en dehors des périodes de pointe et lorsque beaucoup d’électricité renouvelable est injectée dans le réseau. Ainsi, le pilotage des batteries et la charge des VE peut apporter un réel service au système électrique et à son équilibrage. Beaucoup d’incertitudes demeurent sur qui pourrait profiter de ce marché émergent, et l’opinion des spécialistes est assez divisée.

Les experts des deux côtés du Rhin s’attendent à ce que les distributeurs d’électricité jouent un rôle important, quitte à développer des nouvelles compétences (sur la gestion des données par exemple). Cependant, ils ont des opinions assez divergentes en ce qui concerne le rôle des constructeurs automobiles, traders (négociants), start-ups, ou fournisseurs historiques d’électricité, et les experts allemands envisagent un rôle plus prononcé pour ces deux derniers.

Ces divergences peuvent refléter des potentiels différents dans chacun des deux pays et sont révélatrices de l’intérêt exprimé par des acteurs très divers pour ce marché porteur.

Des prix élevés et une faible autonomie

Interrogés sur les freins à l’achat de véhicules électriques, les experts se montrent assez pessimistes et voient de nombreuses barrières à surmonter avant que les VE puissent véritablement concurrencer les voitures thermiques. Ils s’accordent autour du besoin d’améliorer considérablement la performance technologique des VE afin de diminuer leur prix et d’augmenter leur autonomie. Environ 38% des Français et 52% des Allemands pensent que les prix d’achats élevés sont une barrière très importante. Actuellement, les coûts d’achat d’un VE sont de 15 à 25% plus élevés que pour un véhicule traditionnel.

Dans un futur proche, l’augmentation des volumes de production de voitures électriques devrait permettre de réduire les coûts, et notamment le prix des batteries. Les constructeurs automobiles eux-mêmes ne manquent pas d’annoncer la sortie de véhicules électriques à bas coût, comme Tesla et son modèle 3 (vendu à partir de 35 000 dollars) ou Renault qui ambitionne de commercialiser une version électrique de la Renault Kwid pour 7 à 8 000 dollars dès 2019 en Chine.

De même, les VE ont des coûts de fonctionnement plus limités tant en carburant qu’en entretien du fait d’une mécanique simplifiée (pas de vidange, pas besoin de changer les bougies, etc.). Cependant, l’autonomie reste limitée à environ 250 kilomètres pour la plupart des modèles (c’est environ le double pour la Tesla Model S). Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que 44% des experts français et 64% des experts allemands voient la faible autonomie des VE comme un frein très important.

Le développement des infrastructures de recharge est également souligné. Ainsi, 61% des Français et 47% des Allemands considèrent le manque de stations de recharge comme une barrière importante – et respectivement 29% et 45% comme très importante. Le fait que la France dispose d’un faible taux de densité de station à 0,1 site pour 1 000 voitures immatriculées (comparé à 3 pour le Land de Baden-Württemberg en Allemagne par exemple) peut expliquer ce résultat.

Les temps de charge trop longs sont aussi considérés comme des barrières importantes par 60% des Français et 56% des Allemands. Vraisemblablement, des temps de charge de batteries jusqu’à 12 heures expliquent ces résultats, même si des sites de charge rapide de 30 minutes existent. Cela devrait s’améliorer dans les années à venir. Ainsi, l’Ademe soutient financièrement l’installation de 13 200 bornes de recharges et plusieurs énergéticiens investissent dans le développement de bornes de recharges (EDF, Engie ou Total notamment).

Il est à noter que les spécialistes allemands s’affichent comme plus pessimistes que leurs collègues français, les barrières à la diffusion du véhicule électrique étant plus importantes selon eux. Cela peut refléter une baisse de confiance dans les annonces faites par l’industrie automobile à propos des performances technologiques des véhicules après le scandale Volkswagen.

Interdiction des véhicules thermiques d’ici 25 ans

En présentant le volet mobilité de son « Plan Climat », le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a annoncé l’objectif d’arrêter les ventes de véhicules diesel et essence d’ici 2040 en France. D’autres pays, comme la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont des plans pour interdire la mise en circulation de véhicules à moteur thermique dans les vingt prochaines années. Ces interdictions faciliteront la réduction de la pollution en ville, où les concentration d’oxydes d’azote (NOx) posent des problèmes de santé publique importants.

Les experts ont pu exprimer leur opinion sur la possibilité d’une interdiction des voitures diesel et à essence dans les 20-25 prochaines années. À ce sujet, spécialistes français et allemands semblent en désaccord. Alors que la majorité des Français (près de 65%) pensent que les véhicules thermiques seront interdits dans certaines villes en France, peu d’Allemands (13%) pensent que ce sera le cas outre-Rhin. Et si cela arrivait, l’interdiction serait mise en place au niveau national et non local. Signalons aussi que 60% des experts allemands ne pensent pas qu’un ban aura lieu ou jugent la question complètement ouverte – contre environ 14% seulement des experts français.

On peut présumer que les résultats pour la France reflètent l’impact de l’annonce faite par la ville de Paris d’interdire les véhicules diesel et à essence. Il est à noter également que plusieurs villes en régions (comme Grenoble, Lille, Lyon ou Toulouse) ont pris des décisions en ce sens en instaurant des restrictions de circulation (certificat Crit’air) lors des pics de pollution.

L’analyse globale des résultats de ce nouveau Baromètre du marché de l’énergie confirme que la route vers un changement de modèle dominant de la mobilité est encore longue. Si quelques signaux sont favorables et encourageants pour une transition bas carbone, l’adaptation du réseau, la compétitivité des offres et l’origine renouvelable de l’électricité resteront trois défis majeurs pour la décennie à venir.


Le Baromètre du marché de l’énergie mené fin 2017 (en novembre pour l’Allemagne, en décembre pour la France) interroge 250 spécialistes français et allemands qualifiés dans le secteur de l’énergie et opérant dans l’industrie, la science et l’administration publique sur les défis de la mobilité électrique (e-mobilité) pour le secteur de l’électricité. L’intégralité de l’étude pour la France est à retrouver ici et pour l’Allemagne ici.

Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances.

The Conversation

Nikolas Wölfing is working at ZEW, a research institute which takes funds from third parties for research and consulting work. He moreover received the “EEX Excellence Award”, a research prize of the European Energy Exchange which is awarded for “outstanding research in the field of energy and exchange trading”.

Olivier Cateura a reçu entre 2003 et 2006 des financements publics de l’ANRT (Association Nationale Recherche Technologie) et privés de Electrabel (Engie) dans le cadre d’une Convention CIFRE (Thèse de doctorat) . Par ailleurs, il est membre-auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale).

Anne-Lorène Vernay, Joachim Schleich, Swaroop Rao et Wolfgang Habla ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. L’avenir des véhicules électriques selon les experts du secteur de l’énergie – https://theconversation.com/lavenir-des-vehicules-electriques-selon-les-experts-du-secteur-de-lenergie-91048

Un étudiant, combien ça coûte ? Des inégalités dans l’enseignement supérieur

Source: – By François Métivier, Géophysicien, Dynamique des fluides géologiques , Institut de physique du globe de Paris (IPGP)

Les épreuves écrites du concours 2016 de l’Ecole polytechnique. © École polytechnique – J.Barande, CC BY-SA

Nous présentons ici une data visualisation tirée de notre travail, Inégalités de traitement des étudiants suivant les filières en France publié en 2015 dans le cadre de Sciences en marche. Les données existantes montrent sans ambiguïté que le financement par l’État des étudiants à l’université est largement inférieur à celui consenti aux élèves des CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) et des écoles d’ingénieurs. Cette analyse confirme les résultats obtenus il y a plus de dix ans par S. Zuber. Il faut de plus mettre ces inégalités de financement en regard des inégalités sociales : près de 50 % des étudiants des filières sélectives sont issus de milieux socialement favorisés et un étudiant issu des milieux favorisés a 20 fois plus de chance d’intégrer une grande école qu’un étudiant issu de milieux populaires. En conclusion, l’État finance bien mieux les études des plus aisés, et les politiques universitaires poursuivies depuis des années n’ont en rien résolu ces inégalités sociales.

Cette infographie repose sur trois sources de données.

  • Pour les universités, le nombre d’étudiants provient des données mises en ligne par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR).

  • En ce qui concerne le budget, en l’absence de données disponibles sur le site du MESR, nous avons utilisé les dotations 2014 publiées par l’Étudiant. Nous avons dû chercher sur Internet et pour chaque université son budget consolidé. L’essentiel des données provient des rapports du HCERES. Suivant l’université, l’année pour laquelle nous avons trouvé un chiffre « officiel » varie entre 2011 et 2015 (budgets prévisionnels). Ces budgets varient de façon relativement marginale d’une année sur l’autre. Étant donné que les effectifs étudiants sont en croissance rapide, la dépense par étudiant à l’université est probablement inférieure à ce que nous rapportons. Enfin, la dépense par étudiant calculée ici est une valeur maximale car une part du budget, qui peut être importante pour certaines universités scientifiques, est consacrée au financement d’activités de recherche. Le budget rapporté au nombre d’étudiants des l’université est aujourd’hui très probablement inférieur à ce que nous rapportons.

  • Enfin, pour les écoles, les chiffres proviennent du classement 2013 de l’Usine Nouvelle et représentent un échantillon de 126 écoles d’ingénieurs dans lequel nous n’avons conservé que les écoles de statut public ou possédant un contrat quadriennal ou quinquennal avec l’État.

En conclusion de cette note méthodologique, les chiffres indiqués ne sont donc pas à prendre au pied de la lettre et encore moins à l’euro prêt. La situation de certaines écoles ou universités a pu évoluer, leur place aussi. Ils constituent néanmoins une estimation viable de l’état des dépenses par étudiants dans un ensemble significatif d’établissements du supérieur financés par l’État. Ils traduisent enfin une situation étonnamment stable alors que des réformes profondes de l’enseignement supérieur et de la recherche se succèdent depuis plus de dix ans.

La datavisualisation de cet article a été réalisée par Raphaël da Silva.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Un étudiant, combien ça coûte ? Des inégalités dans l’enseignement supérieur – https://theconversation.com/un-etudiant-combien-ca-coute-des-inegalites-dans-lenseignement-superieur-91502

Salaires des sportifs français : le podium des inégalités

Source: – By Pierre Rondeau, Professeur d’économie, Sports Management School

Le média spécialisé L’Équipe, via son magazine hebdomadaire, a publié samedi 24 février le classement des 50 sportifs français les mieux payés (salaires, revenus sponsoring et marketing). Traditionnel top 50 dévoilé tous les ans depuis maintenant une quinzaine d’années, cette hiérarchie permet de dévoiler l’état de l’économie des sportifs hexagonaux et des évolutions structurelles et conjoncturelles.

Que dégagent les investigations de L’Équipe ? Que disent-elles sur le niveau de redistribution et de répartition des rémunérations ? Quels sont les critères qui déterminent le poids des salaires ?

Les sports collectifs sur-représentés

Au total, les 50 sportifs français les mieux payés se partagent 430,2 millions d’euros par an. Le premier est le joueur de football de Manchester United, Paul Pogba, avec 22,2 millions de salaire annuel. Il est suivi par le basketteur Tony Parker, avec 19,7 millions d’euros, puis par l’attaquant de l’équipe de France Antoine Griezmann, à 19,1 millions d’euros.

À noter que les sports collectifs sont sur-représentés puisqu’on ne trouve que deux représentants des sports individuels : le champion de rallye Stéphane Ogier, à la 15e place, émargeant à 9,5 millions d’euros par an, et le double champion olympique de judo Teddy Riner, 37e avec 5,5 millions d’euros.

En théorie, la science économique suppose pourtant que les sports individuels sont plus rentables : on y récompense directement l’utilité de l’agent, alors que dans les sports collectifs, c’est la moyenne des utilités individuelles qui compte (à la fois celles des opportunistes et des agents maximisateurs).

Le sport individuel valorise plus les performances personnelles tandis que dans le sport collectif, les résultats sont basés à la fois sur l’individu et l’équipe, sur le groupe dans son intégralité. Et les rémunérations s’en trouvent alors influencées : un très bon joueur dans une mauvaise équipe n’arrivera jamais à être aussi bien payé qu’un très bon joueur dans un sport individuel, qui ne gagne que grâce à ses performances propres.

Par exemple, en 2015, le classement Forbes des 100 sportifs les mieux payés de l’année avait mis aux deux premières places les boxeurs Floyd Mayweather et Manny Pacquiao, avec respectivement 300 millions et 160 millions de dollars de gains. Le premier représentant des sports collectifs, le footballeur Cristiano Ronaldo, gagnait alors moitié moins que le Philippin Pacquiao, avec 79,6 millions.

Où sont les femmes ?

Au-delà de la comparaison « sport individuel, sport collectif », ce qui interpelle lorsqu’on regarde le classement, c’est l’absence unilatérale de sportives. Aucune femme n’apparaît dans le top 50. D’après L’Équipe, cette absence est malheureusement courante puisque, en 13 ans, la gent féminine n’y a été représentée que 9 fois

Cet état de fait n’est pas propre au cas français. Quand on regarde le classement mondial des sportifs en 2017, sur les 100 premières places, on ne trouve qu’une seule femme, la tenniswoman Serena Williams… à la 51e place (avec 27 millions de dollars engrangés dans l’année).

Comment expliquer cette malheureuse absence ? Comment expliquer cette inégalité sociétale généralisée et internationalisée ?

Le premier élément est économique et médiatique. Sur le marché, le sport féminin ferait, par hypothèse, moins d’argent et moins d’audience que le sport masculin. Résultat : la Ligue de football professionnel française coûte, en droits de retransmission télévisée, 748,5 millions d’euros par an, contre un peu plus d’un million d’euros pour la première division féminine.

Et qui dit moins de valeur économique dit moins de médiatisation, moins de sponsors, moins de partenariats marketing et merchandising. En 2012, 81 % des montants investis par les 100 premiers sponsors concernaient le sport masculin, et seuls 3 % le sport féminin.

Seulement, dans les faits, rien ne justifie ces inégalités économiques. Lorsqu’on se penche sur les audiences télévisuelles, on se rend compte que le sport féminin, notamment le football, fait autant voire plus d’audience que le sport masculin.

Un match de Ligue 1 diffusé sur Canal+ ou beIN Sports enregistre, en moyenne, 1 million de téléspectateurs cumulés contre parfois plus de 2 millions pour des matchs de la Coupe du monde féminine et certains matchs du Championnat de France, en clair.

De plus, d’après une étude publiée par Havas Sports & Entertainment en 2013, 70 % des Français trouvent le sport féminin aussi intéressant que le sport masculin. La différence salariale n’a donc pas lieu d’être.

Tous logés à la même enseigne ?

En étudiant en profondeur le classement, on constate une répartition et une distribution inégalitaire.

Paul Pogba, le sportif le mieux payé, gagne 17,2 millions d’euros de plus que le défenseur du Barça Samuel Umtiti, dernier du top 50, à 5 millions d’euros par an. Le salaire moyen (entre les 50 sportifs) s’affiche à 8,6 millions d’euros alors que la médiane (qui coupe en deux parties égales l’effectif des sportifs) n’est qu’à 6,9 millions d’euros.

En statistiques, on admet que le groupe étudié est inégalitaire lorsque la moyenne n’est pas égale à la médiane. Et si cette dernière est inférieure à la moyenne, les inégalités se situent en haut de l’échelle. Autrement dit, les très très riches gagneraient énormément, et les « moins » riches se partageraient équitablement leurs gains.

En utilisant des outils d’analyse plus pointus, le coefficient de Gini (meilleur indicateur de mesure des inégalités) apparaît à 0,36 contre 0,29 dans le reste de la société française. Dans une situation d’égalité parfaite, cet indice est égal à 0.

La répartition des salaires des 50 sportifs français les plus riches est donc plus inégalitaire que dans la société elle-même. Par comparaison, ce niveau de 0,36 se retrouve dans les sociétés britannique et états-unienne. Même chez les riches, il y a des écarts importants.

Comment expliquer ces rémunérations ?

Reste maintenant à expliquer et à comprendre ces salaires aussi élevés. Au-delà de la question de l’inflation, la hausse des salaires est multifactorielle.

Premièrement, la mondialisation et l’internationalisation du sport ont provoqué une augmentation considérable de la valeur des droits télévisés : 1 milliard d’euros en moyenne dans le foot européen, 2,1 milliards d’euros pour la NBA (le championnat de basket nord-américain), 1,5 milliard pour les Jeux olympiques, etc.

Ensuite, cette inflation des droits a attiré de nouveaux investisseurs étrangers, les « sugar daddies ». Ces derniers, russes, chinois, qataris, émiratis, etc., ont injecté énormément d’argent (d’abord dans un but symbolique avant lucratif) et soutenu les budgets du sport.

Puis, toujours à travers la mondialisation, le nombre de fans a augmenté, ce qui a permis une hausse considérable des recettes. Plus de fans à travers le monde, ce sont plus de ventes de maillots, de goodies, de places, de billets… donc plus d’argent à dépenser et à redistribuer aux acteurs.

D’ailleurs, dans un sens très marxiste, le sportif est à la fois un « bourgeois » et un « prolétaire ». Il est le propriétaire des moyens de production et de sa force de travail. C’est lui, et lui seul, qui crée le spectacle et attire les foules de consommateurs. Il n’y a pas d’intermédiaire ou de donneur d’ordres.

La rémunération se base sur la capacité de production du sportif, dont le salaire correspond parfaitement au fruit des ventes. Ainsi, puisque le salaire est négocié en fonction du niveau réel, ceux qui gagnent le plus présentent une productivité marginale supérieure à la moyenne et, par le jeu de la concurrence, poussent continuellement leur contrat à la hausse.

Karl Marx, père du communisme et de la lutte des classes, justifie ici le niveau des rémunérations des sportifs. C’est parce qu’ils rapportent et qu’ils sont bons qu’ils sont bien payés : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. »


Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances.

The Conversation

Pierre Rondeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Salaires des sportifs français : le podium des inégalités – https://theconversation.com/salaires-des-sportifs-francais-le-podium-des-inegalites-92944

La blockchain aux portes de l’entreprise

Source: – By Philippe Dupuy, Professeur Associé au département Gestion, Droit et Finance, Grenoble École de Management (GEM)

La progression forte de la notoriété de ces technologies auprès des responsables financiers devrait leur assurer un avenir radieux. Bergadder/Pixabay, CC BY

Grenoble École de Management et l’association des Directeurs financiers et des contrôleurs de gestion (DFCG) recueillent chaque trimestre l’avis des responsables financiers français. Les résultats sont agrégés au niveau mondial par un réseau d’universités coordonnées par Duke University aux États-Unis. Pour le premier trimestre 2018, l’enquête s’est déroulée du 13 février au 2 mars 2018.


Ce trimestre, nous avons interrogé les entreprises au sujet de l’émergence des nouvelles technologies telles que la blockchain, les contrats intelligents, l’intelligence artificielle ou encore le machine learning. Il est frappant de constater à la lecture des résultats à quel point ces technologies sont désormais connues du plus grand nombre.

Ainsi, grâce à la médiatisation du bitcoin et de ses soubresauts, 84 % des responsables financiers européens nous disent avoir une connaissance au moins partielle de la blockchain sur laquelle s’appuie le protocole de gestion du bitcoin. Il y a exactement deux ans, à cette même question, 57 % des répondants nous disaient n’en avoir jamais entendu parler. De même, les contrats intelligents gagnent du terrain, du moins en notoriété : un directeur financier sur deux serait désormais capable d’en définir les grands principes, contre moins d’un sur trois en 2016. Il y a fort à parier que la diffusion importante des concepts clés de ces technologies permettra leur adoption rapide par les entreprises.

En revanche, les crypto-actifs comme le bitcoin et l’ethereum n’ont pas la côte auprès des responsables financiers : moins de 10 % d’entre eux estiment que ces instruments pourraient avoir un impact éventuel sur leurs activités dans l’avenir. À titre de comparaison, 43 % pensent que l’intelligence artificielle aura un impact sur leur fonction et jusqu’à 66 % pour le big data. La compréhension de ces enjeux et de leurs impacts potentiels semble identique, quelle que soit la taille des entreprises observées. En revanche, le secteur d’activité est un facteur clairement différenciant : les responsables financiers des secteurs du conseil et de la banque semblent en avance sur leurs pairs dans la compréhension de ces mécanismes.

Vers une réduction des effectifs ?

Ces nouvelles technologies devraient bientôt permettre de réduire les coûts de traitement des données, notamment par la réduction des erreurs et la hausse de la productivité. Doit-on s’attendre à une révolution en entreprise ? En Europe, un peu moins de la moitié des entreprises ont déjà réduit ou s’attendent à réduire les effectifs de la fonction finance d’ici à cinq ans. Mais si ces nouvelles technologies pouvaient avoir un impact à moyen terme, c’est essentiellement l’émergence de nouveaux modes de fonctionnement (du type centre de services partagés ou centres d’expertise, par exemple) qui justifie ou a justifié ces réorganisations dans l’immédiat.

Aux États-Unis, le phénomène est comparable – même si ces nouveaux modes d’organisation semblent moins répandus qu’en Europe. Ainsi, moins de 35 % des directeurs administratifs et financiers américains disent bien connaître les centres de services partagés ou centres d’expertise, alors que ce chiffre est supérieur à 50 % en Europe. En conséquence, moins de 30 % des entreprises américaines ont déjà connu ou envisagent des réductions d’effectifs dans la fonction finance.

La blockchain et l’intelligence artificielle n’ont donc pas encore pris le dessus mais sont aux portes des entreprises. La progression forte de la notoriété de ces technologies auprès des responsables financiers devrait leur assurer un avenir radieux et relancer une vague de réorganisation à moyen terme.

Climat des affaires au beau fixe

Notre indicateur de climat des affaires enregistre de nouveaux points hauts ce trimestre en Europe. Il s’établit à 67 au premier trimestre 2018 contre 66,9 au quatrième trimestre 2017 sur une échelle de zéro à cent. Ce niveau est compatible avec une croissance soutenue de l’économie, et ce d’autant plus que l’ensemble des pays pour lesquels nous avons des données dépasse le niveau de 55 – à l’exception de la Grèce. La France et l’Allemagne sont les moteurs principaux de cette performance. L’Hexagone enregistre une nouvelle amélioration qui porte l’indicateur de climat des affaires à 70,1 contre 64,5 au trimestre précédent. Outre-Rhin, le niveau de confiance reste élevé, même s’il s’affiche un recul à 76,8 contre 78,6 précédemment.

Signe d’un climat des affaires très favorable à la croissance, la hausse de la confiance est désormais visible sur l’ensemble des entreprises. En particulier, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME semblent désormais avoir rattrapé leur retard. Le regain d’activité, d’abord enregistré par les plus grandes entreprises portées par la reprise mondiale, se diffuse maintenant dans l’ensemble de l’économie.

Aux États-Unis, la tempête boursière qui a secoué Wall Street début février ne semble pas avoir eu d’incidence sur la confiance des responsables financiers. Le climat des affaires ressort ainsi à 71,2 ce trimestre, contre 68,6 au précédent. L’adoption de la réforme fiscale du président Trump par le Congrès, courant décembre, est le moteur principal de ce regain d’optimisme. En particulier, les entreprises nous disent penser que la réforme aura probablement un impact favorable sur l’emploi, les salaires et les investissements dans les années à venir.

Elle pourrait notamment rendre les États-Unis plus attractifs en termes d’investissements pour les entreprises étrangères. Ainsi, 50 % des entreprises asiatiques percevraient le pays de l’Oncle Sam comme une destination plus attractive pour leurs investissements suite à la réforme fiscale. Enfin, dans le contexte actuel de difficulté à trouver et retenir les talents, 44 % des entreprises américaines envisagent, selon nos données, une augmentation des salaires grâce aux ressources dégagées par la réforme fiscale.

Si le climat des affaires reste élevé partout dans le monde, nous notons néanmoins pour ce trimestre une chute significative en Asie : l’indicateur recule à 61 contre 66,3 au trimestre précédent. Le risque sur les devises est mis en avant par les entreprises interrogées comme un frein à l’activité dans la zone. En Amérique latine, le climat des affaires continue de rebondir pour atteindre 70 au Mexique, 69 au Chili et 62 au Brésil. Ce rebond est frappant puisque ces trois pays ont enregistré des niveaux inférieurs à 50 au cours des deux années précédentes.

Enfin, en Afrique, le climat des affaires enregistre un rebond soudain, entraîné notamment pas l’Afrique du Sud, où la démission du président Zuma semble faire souffler un vent d’optimisme, portant le climat des affaires à 59 contre 42 au trimestre précédent.


L’enquête Duke University–Grenoble École de Management mesure chaque trimestre depuis plus de 20 ans le climat des affaires tel que perçu par les responsables financiers des entreprises à travers le monde. L’enquête est courte (environ 10 questions). Elle recueille plus de 1 000 réponses anonymes d’entreprises de tous secteurs et de toutes tailles. C’est désormais la plus grande enquête de ce type dans le monde. Une analyse détaillée par pays peut être envoyée à chaque participant.

Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances.

The Conversation

Philippe Dupuy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La blockchain aux portes de l’entreprise – https://theconversation.com/la-blockchain-aux-portes-de-lentreprise-93405

Réforme constitutionnelle : le macronisme, horizontal en campagne et vertical au pouvoir

Source: – By Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po

La réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement a pour objet de rationaliser, une fois de plus, le fonctionnement de la Ve République en se focalisant uniquement sur le Parlement. C’est donc bien la démocratie représentative dans sa fonction législative et délibérative qui est jugée malade.

On en connaît les principaux ressorts : réduction du nombre de parlementaires, interdiction de cumuler plus de trois mandats dans le temps, simplification de la procédure législative pouvant aller jusqu’à restreindre le droit d’amendement en fonction de la taille des groupes politique, introduction d’une dose – pour l’instant indéterminée – de proportionnelle afin d’équilibrer la représentation des diverses sensibilités politiques, notamment celle du FN, dont la candidate (Marine Le Pen) a obtenu plus de 10 millions de voix au second tour de l’élection présidentielle et qui se retrouve avec 7 députés seulement.

Au-delà du flou des propositions dont le contour exact n’est toujours pas déterminé et fait l’objet de négociations musclées avec le président du Sénat, cette réforme s’inscrit dans un renforcement sans précédent de la fonction présidentielle. Le seul contrepoids à cette évolution est de supposer que la réduction du nombre de parlementaires et l’augmentation de leurs moyens techniques devraient permettre un meilleur contrôle des politiques publiques – ce qui reste à prouver. Comme il reste à prouver que le contrôle a posteriori peut remplacer la fonction délibérative a priori.

On assiste donc à un véritable retournement du macronisme. Ce dernier, dans une posture presque gaullienne, s’était construit en 2016 contre les oligarchies partisanes sur la base de réseaux militants pratiquant avec fierté la participation high-tech. Il s’agissait d’inventer une nouvelle façon de faire de la politique, une méthode réticulaire regroupant tous les « Marcheurs » de bonne volonté suffisamment diplômés pour utiliser les réseaux sociaux et s’engageant dans des délibérations permettant de faire remonter les demandes du terrain.

Deux ans plus tard, ce même macronisme produit une série de réformes peu ou pas négociées avec les partenaires sociaux, notamment celle de la SNCF, et une réforme constitutionnelle devant réduire la part de parlementarisme au sein de la Ve République.

Pour comprendre ce qui se joue dans la vie politique française, on peut faire l’hypothèse qu’un nouveau clivage est né, opposant les tenants du pouvoir vertical aux partisans du pouvoir horizontal.

Les deux représentations du pouvoir

L’aspiration à la délibération et à la participation citoyenne a sans doute été l’un des marqueurs de l’élection présidentielle de 2017. Elle s’est exprimée, bien que de manière malheureuse et caricaturale, dans l’organisation des primaires à gauche comme à droite, mais aussi dans les programmes de la plupart des candidats, à la notable exception de celui de François Fillon.

Il est indéniable qu’une transformation du paysage politique français s’est opérée depuis quelques années, sous l’influence notamment d’expériences participatives locales ou de tentatives de relancer la démocratie directe en créant de nouveaux lieux de rencontres où la parole politique puisse se construire et se libérer, comme l’a illustré l’aventure de Nuit debout.

La vague 9 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof, dont le terrain a été réalisé en décembre 2017, nous apprend que la confiance dans les institutions politiques, loin de s’améliorer avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, s’est au contraire tassée de manière spectaculaire : la confiance dans la plupart des catégories d’élus, y compris les élus locaux, a perdu environ une dizaine de points par rapport aux résultats engrangés une année avant, alors que François Hollande faisait l’objet de toutes les réprobations.

Comme le macronisme s’est (aussi) présenté en tant que mouvement réformateur ne voulant plus s’embarrasser de tergiversations ou de débats, on s’est interrogé sur ce qui faisait aux yeux des enquêtés un « bon » responsable politique au début de l’année 2018. S’agit-il de quelqu’un qui sait s’entourer d’experts compétents, prendre ses décisions sans tenir compte des critiques (indicateurs de pouvoir vertical) ou bien de quelqu’un qui prend l’avis du plus grand nombre avant de décider et qui sait passer des compromis pour éviter les conflits (indicateurs de pouvoir horizontal) ?

Le macronisme : libéralisme culturel, tolérance sociétale et pratique verticale du pouvoir

Ces caractéristiques ont été présentées sous la forme de deux questions permettant aux enquêtés de dire ce qu’ils plaçaient en première et seconde position. Le regroupement des réponses, en tenant compte de la priorité donnée à chaque item, montre que les enquêtés se répartissent en deux groupes égaux puisque 50 % choisissent le pouvoir vertical, 47 % le pouvoir horizontal et 3 % ne savent pas.

L’analyse montre, tout d’abord, que les partisans du pouvoir vertical se rencontrent surtout chez les électeurs d’Emmanuel Macron (64 %) et de François Fillon (68 %) au premier tour de l’élection présidentielle. En revanche, ceux de Benoît Hamon sont bien plus partagés (54 %), alors que ceux de Jean‑Luc Mélenchon le rejettent (38 %), comme ceux de Marine Le Pen (34 %). Dans l’esprit de ses électeurs, et non pas de ses militants, le macronisme n’est donc pas assimilé à un pouvoir participatif horizontal mais bien à une volonté d’appliquer de manière assez unilatérale le programme de réformes.

Le second résultat contre-intuitif de l’enquête est de montrer que si les catégories supérieures et diplômées se caractérisent par un haut niveau de libéralisme culturel et de tolérance sociétale, elles se distinguent également par leur défense du pouvoir vertical. Comme quoi le libéralisme culturel ne préjuge pas du type de pouvoir ou de démocratie que les enquêtés défendent.

C’est ainsi que 38 % de ceux ayant un niveau CAP-BEP défendent la vision verticale contre 47 % de ceux ayant le niveau du bac et 58 % ayant au moins une licence. Le niveau de libéralisme culturel (tel qu’on peut le mesurer sur la base de questions portant sur le rétablissement de la peine de mort, le nombre jugé excessif ou non d’immigrés et la suppression de la loi autorisant le mariage homosexuel) et la représentation du « bon élu » sont donc relativement déconnectés.

On est ici au cœur de l’ambivalence du managérialisme qui renforce le pouvoir hiérarchique en le couvrant d’un masque de libre communication et de culture soixante-huitarde. Cela montre aussi que les électeurs (et non pas les militants) des mouvements « populistes » qui sont, en l’espèce, défenseurs du pouvoir horizontal, ne sont pas nécessairement à la recherche d’un modèle autoritaire, et ne sont pas nécessairement caractérisés par une « personnalité autoritaire ». L’autoritarisme a peut-être pris d’autres chemins aujourd’hui.

Pouvoir vertical et libéralisme économique sont associés

En revanche, la défense du pouvoir vertical s’intensifie avec le degré de libéralisme économique. On a créé un indice sur la base de trois questions (il faut réduire le nombre de fonctionnaires, faire confiance aux entreprises pour sortir de la crise économique, ne pas prendre aux riches pour donner aux pauvres afin d’assurer la justice sociale) et allant donc de 0 à 3 en fonction du nombre de réponses positives. On voit alors que les enquêtés au niveau 0 du libéralisme économique choisissent le pouvoir vertical à concurrence de 32 % contre 42 % de ceux qui se situent au niveau 1 puis 54 % de ceux qui sont au niveau 2 et 67 % de ceux de niveau 3. La proportion de ceux qui préfèrent le pouvoir horizontal varie de manière inverse.

On peut mesurer ici le fait que la dimension « managériale » du macronisme ne signifie nullement une perspective de pouvoir horizontal ou participatif, comme pourraient le laisser croire les métaphores entrepreneuriales utilisées lors de la campagne. De fait, 22 % des électeurs d’Emmanuel Macron se situent au niveau 3 de l’indice de libéralisme économique contre il est vrai 62 % de ceux de François Fillon mais 15 % de ceux de Marine Le Pen, 4 % de ceux de Jean‑Luc Mélenchon et 3 % de ceux de Benoît Hamon.

Cette association entre les représentations de la démocratie et le niveau de libéralisme économique renvoie à l’appartenance sociale des enquêtés. Les deux représentations de la démocratie se retrouvent dans la distribution en grandes classes sociales, construites sur la base des occupations professionnelles selon la grille de lecture retenue pour les travaux précédents.

Le sens de la révision constitutionnelle

Le clivage entre pouvoir vertical et pouvoir horizontal détermine le niveau de la confiance placée dans les institutions. Les enquêtés préférant le pouvoir horizontal ont moins confiance dans les institutions politiques, nationales ou locales, que ceux qui préfèrent le pouvoir vertical.

Tous derrière et lui devant : le Président Macron, lors des cérémonies du 14 juillet 2017.

De la même façon, la critique des élus est plus forte chez les partisans du pouvoir horizontal : 74 % d’entre eux contre 52 % des tenants du pouvoir vertical estiment que la plupart des responsables politiques ne se soucient que des riches et des puissants et 63 % des premiers contre 37 % des seconds pensent que c’est le peuple et non les responsables politiques qui devrait prendre les décisions les plus importantes.

La révision constitutionnelle actuelle s’appuie donc sur la dénonciation assez générale des élus (ils sont trop nombreux, plutôt corrompus et ne travaillent pas beaucoup) développée chez les partisans du pouvoir horizontal pour renforcer le pouvoir vertical associé au macronisme.

Au-delà de son élitisme, confirmé par le profil des nouveaux députés de la République en Marche, le macronisme se présente comme un moment politique où se joue une confrontation non seulement entre deux visions de la démocratie mais aussi entre deux anthropologies du pouvoir. La réforme constitutionnelle en cours doit venir séparer encore un peu plus le personnel politique national et le personnel politique local.

Une attente de proximité

L’agrandissement mécanique des circonscriptions lié à la réduction du nombre d’élus va rendre plus difficile le contact avec les électeurs. Or c’est bien la proximité physique et sociale des électeurs et des élus qui reste au sein de la relation de confiance politique, qui est elle-même au cœur de la démocratie représentative. Et c’est bien cette attente de proximité qui nourrit la vision d’un pouvoir horizontal participatif.

La révision constitutionnelle, telle qu’elle est actuellement proposée, entend dissocier le national du local et rendre le national encore plus lointain et abstrait en laissant le local se confronter aux difficultés quotidiennes. Comment peut-on penser que cette réforme puisse améliorer la confiance politique dans les institutions ?

De plus, l’instauration d’une dose de proportionnelle va contribuer à relancer les manœuvres au sein des partis politiques, comme on le voit déjà lors des élections régionales. La plupart des réformes nées d’une ingénierie institutionnelle hasardeuse comme le quinquennat ou les primaires n’ont fait qu’aggraver les problèmes.

La révision constitutionnelle actuelle, tout comme les conflits sociaux qui secouent le secteur public, partagent des structures communes dans le sens où l’on voit s’affronter dans chaque cas une revendication de terrain – soucieuse de la réalité vécue par les élus et les agents – à une norme juridique ou financière devant décliner un modèle de pouvoir désincarné et impalpable.

À travers l’opposition entre pouvoir vertical et pouvoir horizontal se joue donc une opposition entre deux modes d’interaction politique, l’un virtuel et numérique, l’autre physique et humain.


Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances.

The Conversation

Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Réforme constitutionnelle : le macronisme, horizontal en campagne et vertical au pouvoir – https://theconversation.com/reforme-constitutionnelle-le-macronisme-horizontal-en-campagne-et-vertical-au-pouvoir-93593

Peut-on laisser un chargeur branché en permanence ?

Source: – By Glen Farivar, Lecturer in Power Electronics, The University of Melbourne

Un chargeur qui reste branché consomme en continu une petite quantité d’énergie dont une partie se perd sous forme de chaleur. YG PhotoArtWorks/Shutterstock

Pour désigner l’énergie consommée par un chargeur qui reste branché sans être utilisé, les Québécois ont un joli terme : l’« énergie vampire » ou « énergie fantôme ». Cette énergie est-elle un mythe ? Peut-on laisser les chargeurs branchés ? Y a-t-il d’autres risques – du vieillissement accéléré à la surchauffe, voire au départ de feu ?


Combien de chargeurs possédez-vous ? Nous sommes entourés d’appareils électroniques rechargeables : téléphones mobiles, ordinateurs portables, montres intelligentes, écouteurs, vélos électriques, etc.

Il y a peut-être un chargeur de téléphone branché à côté de votre lit, que vous ne prenez jamais la peine de le débrancher quand vous ne l’utilisez pas. Et un autre, d’ordinateur portable, près de votre bureau ?

Mais est-ce risqué ? Y a-t-il des coûts cachés liés au fait de laisser les chargeurs branchés en permanence ?

Que contient un chargeur ?

Bien sûr, tous les chargeurs sont différents. En fonction de leur application et de la puissance requise, leur structure interne peut varier et être très simple… ou très complexe.

Toutefois, un chargeur classique reçoit le courant alternatif (AC) de la prise murale et le convertit en courant continu (DC) à basse tension, qui est adapté à la batterie de votre appareil.

Pour comprendre la différence entre courant continu et alternatif, il faut considérer le flux d’électrons dans un fil. Dans un circuit à courant continu, les électrons se déplacent dans une seule direction et continuent de tourner dans le circuit. Dans un circuit à courant alternatif, les électrons ne circulent pas et se bougent successivement dans un sens puis dans l’autre.

La raison pour laquelle nous utilisons les deux types de courant remonte à l’époque où les inventeurs Thomas Edison et Nicola Tesla débattaient de savoir quel type de courant deviendrait la norme. In fine, aucun n’a vraiment eu le dessus, et aujourd’hui, nous sommes toujours coincés entre les deux. L’électricité est traditionnellement générée sous forme de courant alternatif (quand on utilise des bobines d’alternateurs), mais les appareils modernes et les batteries requièrent un courant continu. C’est pourquoi presque tous les appareils électriques sont équipés d’un convertisseur AC-DC.

Pour effectuer la conversion du courant alternatif en courant continu, un chargeur a besoin de plusieurs composants électriques : un transformateur, un circuit pour effectuer la conversion proprement dite, des éléments de filtrage pour améliorer la qualité de la tension continue de sortie, et un circuit de contrôle pour la régulation et la protection.

Un chargeur partiellement cassé avec deux broches et les puces internes exposées
Les chargeurs ont plusieurs composants électriques pour convertir le courant alternatif en courant continu que la batterie peut utiliser.
PeterRoziSnaps/Shutterstock

Les chargeurs consomment de l’énergie même lorsqu’ils ne chargent rien

L’« énergie vampire », ou « énergie fantôme » – le terme utilisé par les Québécois pour désigner l’énergie consommée par un chargeur qui reste branché sans être utilisé – est bien réelle.


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Si vous le laissez branché, un chargeur consommera continuellement une petite quantité d’énergie. Une partie de cette énergie est utilisée pour faire fonctionner les circuits de contrôle et de protection, tandis que le reste est perdu sous forme de chaleur.

Si l’on considère un petit chargeur individuel, l’énergie vampire – également connue sous le nom d’énergie de veille – est négligeable. Toutefois, si vous additionnez la consommation des chargeurs de tous les appareils de la maison, le gaspillage d’énergie peut devenir important au fil du temps. De plus, l’énergie de veille n’est pas l’apanage des chargeurs : d’autres appareils électroniques, comme les téléviseurs, consomment également un peu d’énergie lorsqu’ils sont en veille.

Selon le nombre d’appareils laissés branchés, cela peut représenter plusieurs kilowattheures au cours d’une année.

Ceci étant, les chargeurs modernes sont conçus pour minimiser la consommation d’énergie vampire, avec des composants de gestion de l’énergie intelligents, qui les maintiennent en veille jusqu’à ce qu’un appareil externe tente de tirer de l’énergie.

Vue sous un bureau avec de nombreux appareils branchés sur une multiprise
Le fait d’avoir de nombreux chargeurs branchés dans votre maison peut entraîner une consommation d’énergie vampire considérable.
Kit/Unsplash

Les autres risques des chargeurs laissés branchés

Les chargeurs s’usent au fil du temps lorsqu’ils sont traversés par un courant électrique, en particulier lorsque la tension du réseau électrique dépasse temporairement sa valeur nominale. Le réseau électrique est un environnement chaotique et diverses hausses de tension se produisent de temps à autre.

Exposer un chargeur à ce type d’événements peut raccourcir sa durée de vie. Si ce n’est pas vraiment un problème pour les appareils modernes, grâce aux améliorations sur leur conception et leur contrôle, il est particulièrement préoccupant pour les chargeurs bon marché et non certifiés. Ceux-ci ne présentent souvent pas les niveaux de protection appropriés aux surtensions, et peuvent constituer un risque d’incendie.

Comment dois-je traiter mes chargeurs ?

Bien que les chargeurs modernes soient généralement très sûrs et qu’ils ne consomment qu’un minimum d’énergie vampire, il n’est pas inutile de les débrancher de toute façon – quand c’est pratique.

En revanche, si un chargeur chauffe plus que d’habitude, fait du bruit, ou est endommagé d’une manière ou d’une autre, il est temps de le remplacer. Et il ne faut surtout pas le laisser branché.

The Conversation

Glen Farivar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Peut-on laisser un chargeur branché en permanence ? – https://theconversation.com/peut-on-laisser-un-chargeur-branche-en-permanence-258019

Trois littoraux où les jumeaux numériques pourraient permettre de mieux maîtriser les conséquences des inondations

Source: – By Raquel Rodriguez Suquet, Ingénieure d’applications d’Observation de la Terre, Centre national d’études spatiales (CNES)

Un jumeau numérique de la région de Nouméa est en cours d’élaboration. ©BRGM, Fourni par l’auteur

Entre sa densité de population et ses richesses naturelles, le littoral est une zone stratégique, mais vulnérable aux événements extrêmes et à la montée du niveau de la mer. Pour mieux prévenir les risques d’inondations côtières, les « jumeaux numériques » allient imagerie spatiale, mesures de terrain et modélisations sophistiquées – afin de fournir des informations fiables aux particuliers et aux décideurs publics.


La zone littorale, située à l’interface entre la terre et la mer, est une bande dynamique et fragile qui englobe les espaces marins, côtiers et terrestres influencés par la proximité de l’océan. À l’échelle mondiale, elle concentre une forte densité de population, d’infrastructures et d’activités économiques (tourisme, pêche, commerce maritime), qui en font un espace stratégique mais vulnérable.

Le niveau moyen global des mers de 1993 à 2025 et la densité de population sur le littoral métropolitain par façade maritime de 1962 à 2020 par kilomètre carré sur le littoral.
Données des missions TopEx/Poseidon, Jason-1, Jason-2, Jason-3 et Sentinel-6MF (source AVISO, gauche) et source MTECT, Fourni par l’auteur

On estime qu’environ un milliard de personnes dans le monde et plus de 800 000 de personnes en France vivent dans des zones littorales basses, particulièrement exposées aux risques liés à la montée du niveau de la mer due au changement climatique et aux phénomènes météorologiques extrêmes. Les enjeux associés sont multiples : érosion côtière, submersions marines, perte de biodiversité, pollution, mais aussi pressions liées à la forte artificialisation du sol, due à la forte augmentation démographique et touristique. La gestion durable de la zone littorale représente un enjeu crucial en matière d’aménagement du territoire.

Dans le cadre de notre programme Space for Climate Observatory, au CNES, avec nos partenaires du BRGM et du LEGOS, nous créons des « jumeaux numériques » pour étudier les zones côtières dans un contexte de changement climatique et contribuer à leur adaptation.




À lire aussi :
Pourquoi l’océan est-il si important pour le climat ?


Dans cet article, focus sur trois zones représentatives de trois sujets emblématiques des zones côtières : le recul du trait de côte en France métropolitaine, la submersion marine en Nouvelle-Calédonie (aujourd’hui liée aux tempêtes et aux cyclones, mais à l’avenir également affectée par l’élévation du niveau de la mer) et l’évolution des écosystèmes côtiers en termes de santé de la végétation, de risque d’inondation et de qualité de l’eau sur la lagune de Nokoué au Bénin.

Le trait de côte est en recul en France hexagonale

Avec près de 20 000 kilomètres de côtes, la France est l’un des pays européens les plus menacés par les risques littoraux. Sa façade maritime très urbanisée attire de plus en plus d’habitants et concentre de nombreuses activités qui, comme la pêche ou le tourisme, sont très vulnérables à ce type de catastrophes. Ainsi, cinq millions d’habitants et 850 000 emplois sont exposés au risque de submersion marine et 700 hectares sont situés sous le niveau marin centennal, c’est-à-dire le niveau statistique extrême de pleine mer pour une période de retour de 100 ans) dans les départements littoraux.


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Le trait de côte désigne la frontière entre la terre et la mer. Cette limite se modifie continuellement sous l’action de facteurs naturels tels que les marées, les tempêtes, le dépôt de sédiments, les courants marins et les vagues. En France hexagonale, un quart du littoral est concerné par un recul du trait de côte (soit plus de 5 000 bâtiments menacés d’ici 2050) du fait de l’érosion côtière, aggravée par le changement climatique qui s’accompagne, entre autres, d’une élévation du niveau marin et de la puissance des tempêtes.

des cartes avec des prévisions
Le recul du trait de côte à Hendaye dans les Pyrénées-Atlantiques (gauche) et la probabilité de l’occurrence d’eau.
Bergsma et al. 2024, Fourni par l’auteur

Grâce à la télédétection par satellites, notamment Sentinel-2 et Landsat, il est possible d’observer avec précision la position du trait de côte et d’analyser sa dynamique sur le long terme. Ces informations permettent de mieux comprendre les phénomènes d’érosion ou d’accrétion (à rebours du recul du trait de côte, son avancée est due en bonne partie au dépôt sédimentaire et concerne 10 % du littoral français), ainsi que les risques liés à ces évolutions.

En réponse à ces enjeux, un jumeau numérique du trait de côte est en cours de construction à l’échelle de la France. Cet outil permettra de « prendre le pouls » de la zone côtière en fournissant des données actualisées à échelle mensuelle et trimestrielle aux acteurs concernés, des mairies aux ministères, afin de faciliter la prise de décision pour une gestion durable et adaptée du littoral. Par exemple, les principaux leviers d’actions sont la mise en place d’infrastructures de protection potentiellement fondées sur la nature, des opérations d’ensablement ou d’enrochement ainsi que l’évolution des autorisations d’urbanisme pouvant aller jusqu’à la destruction de bâtiments existants.

Les jumeaux numériques pour le littoral

    Aujourd’hui, les jumeaux numériques jouent un rôle clé dans l’amélioration de notre compréhension de l’hydrologie des bassins versants, de la dynamique des inondations et de l’évolution des zones côtières, qu’il s’agisse d’événements passés ou de la situation actuelle. Les données spatiales vont y occuper une place croissante: elles permettent de suivre l’évolution des territoires sur le long terme et de manière régulière, d’alimenter les modèles avec des informations précises et continues, et d’analyser les impacts à grande échelle. Les données spatiales sont particulièrement utiles pour observer les changements dans les zones peu accessibles ou mal instrumentées.

    Les jumeaux numériques contiennent également des capacités de modélisation qui, couplées aux données, permettent d’évaluer l’impact du climat futur ainsi que d’évaluer les meilleures solutions d’adaptation. Dans les années à venir, ces outils d’aide à la décision vont devenir incontournables pour les acteurs de la gestion des risques, de l’aménagement du territoire et de l’adaptation au changement climatique.




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Climat : Pourquoi l’ouverture des données scientifiques est cruciale pour nos littoraux


Risques d’inondations et qualité de l’eau à la lagune de Nokoué au Bénin

La lagune de Nokoué au Bénin est représentative des systèmes lagunaires d’Afrique de l’Ouest : bordée d’une large population qui avoisine les 1,5 million de personnes, cette lagune constitue une ressource vivrière majeure pour les habitants de la région.

cases dépassant de l’eau
La crue exceptionnelle de 2010 du lac Nokoué (sud du Bénin).
André O. Todjé, Fourni par l’auteur

La lagune subit une importante variabilité naturelle, notamment aux échelles saisonnières sous l’influence de la mousson ouest-africaine. Ainsi, les zones périphériques sont inondées annuellement (en fonction de l’intensité des pluies), ce qui cause des dégâts matériels et humains importants. La lagune est aussi le cœur d’un écosystème complexe et fluctuant sous l’effet des variations hydrologiques, hydrobiologiques et hydrochimiques.

Là aussi, le changement climatique, avec la montée des eaux et l’augmentation de l’intensité des évènements hydrométéorologiques, contribue à faire de la lagune de Nokoué une zone particulièrement sensible.

Nous mettons en place un jumeau numérique de la lagune de Nokoué qui permettra de répondre aux besoins des acteurs locaux, par exemple la mairie, afin de lutter contre les inondations côtières en relation avec l’élévation du niveau de la mer, les marées et les événements météorologiques extrêmes.

imagerie satellite et modèles
La lagune de Nokoué vue par satellite (gauche) et la bathymétrie et maillage du modèle hydrodynamique SYMPHONIE.
Sentinel-2 (gauche) et LEGOS/IRD/CNRS (droite), Fourni par l’auteur

En particulier, ce jumeau numérique permettra de modéliser la variabilité du niveau d’eau de la lagune en fonction du débit des rivières et de la topographie. Il géolocalisera l’emplacement des zones inondées en fonction du temps dans un contexte de crue — une capacité prédictive à court terme (quelques jours) appelée « what next ? »

Le jumeau numérique sera également en mesure de faire des projections de l’évolution du risque de crue sous l’effet du changement climatique, c’est-à-dire prenant en compte l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation de l’intensité des pluies. Cette capacité prédictive sur le long terme, typiquement jusqu’à la fin du siècle, est appelée « what if ? »

Enfin, il permettra de modéliser et d’évaluer la qualité de l’eau de la lagune (par exemple sa salinité ou le temps de résidence de polluants). Par exemple, en période d’étiage, quand l’eau est au plus bas, la lagune étant connectée à l’océan, elle voit sa salinité augmenter de manière importante, bouleversant au passage l’équilibre de cet écosystème. Le riche écosystème actuel est en équilibre avec cette variation saisonnière mais des aménagements (barrages, obstruction du chenal de connexion à l’océan…) pourraient le mettre en péril.

Un démonstrateur de jumeau numérique consacré à la submersion marine en Nouvelle-Calédonie

L’élévation du niveau de la mer causée par le changement climatique, combinée aux marées et aux tempêtes, constitue un risque majeur pour les populations côtières à l’échelle mondiale dans les décennies à venir. Ce risque est « évolutif » — c’est-à-dire qu’il dépend de comment le climat évoluera dans le futur, notamment en fonction de notre capacité à atténuer les émissions de gaz à effet de serre.

Il est donc très important d’être capable de modéliser le risque de submersion marine et de projeter ce risque dans le futur en prenant en compte la diversité des scénarios d’évolution climatiques afin de supporter l’action publique au cours du temps, avec différentes stratégies d’adaptation ou d’atténuation : relocalisation de populations, modification du plan local d’urbanisme, création d’infrastructures de protection côtières qu’elles soient artificielles ou bien basées sur la nature.

La modélisation de la submersion marine nécessite une connaissance en 3D sur terre (du sol et du sursol, incluant bâtiments, infrastructures, végétation…), mais aussi – et surtout ! – sous l’eau : la bathymétrie. Si cette dernière est assez bien connue sur le pourtour de la France métropolitaine, où elle est mesurée par le Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), une grande partie des zones côtières en outre-mer est mal ou pas caractérisée.

En effet, le travail et le coût associé aux levés topobathymétriques in situ sont très élevés (supérieur à 1 000 euros par km2). À l’échelle du monde, la situation est encore pire puisque la très grande majorité des côtes n’est pas couverte par des mesures bathymétriques ou topographiques de qualité. Aujourd’hui, plusieurs techniques permettent de déterminer la bathymétrie par satellite en utilisant la couleur de l’eau ou le déplacement des vagues.

3 cartes
Le jumeau numérique de la région de Nouméa : génération du maillage à partir de la bathymétrie et de la topographie (gauche) ; projection climatique avec calcul de hauteur d’eau par submersion (centre) ; bâtiments impactés (droite).
BRGM, C. Coulet, V. Mardhel, M. Vendé-Leclerc (2023) — Caractérisation de l’aléa submersion marine sur Grand Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Rapport final — Méthodologie générale V1. BRGM/RP-72483-FR, 88 p., et Résultats Nouméa V1. BRGM/RP-72923-FR, 48 p, Fourni par l’auteur

En Nouvelle-Calédonie, nous explorons le potentiel des satellites pour alimenter un jumeau numérique permettant de faire des modélisations de submersion marine. Nous nous concentrons dans un premier temps sur la zone de Nouméa, qui concentre la majeure partie de la population et des enjeux à l’échelle de l’île. Une première ébauche de jumeau numérique de submersion marine a ainsi été réalisée par le BRGM. Il permet par exemple d’évaluer la hauteur d’eau atteinte lors d’un évènement d’inondation et les vitesses des courants sur les secteurs inondés.

Dans un deuxième temps, nous étudierons la capacité à transposer notre approche sur une autre partie de l’île, en espérant ouvrir la voie à un passage à l’échelle globale des méthodes mises en place.

The Conversation

Vincent Lonjou a reçu des financements du CNES

Raquel Rodriguez Suquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Trois littoraux où les jumeaux numériques pourraient permettre de mieux maîtriser les conséquences des inondations – https://theconversation.com/trois-littoraux-ou-les-jumeaux-numeriques-pourraient-permettre-de-mieux-maitriser-les-consequences-des-inondations-258272

Maths au quotidien : pourquoi votre assurance vous propose un contrat avec franchise

Source: – By Niousha Shahidi, Full professor, data analysis, EDC Paris Business School

Un contrat avec franchise incite à ne pas prendre de risques – une manière pour les assurances de se garantir que leurs clients ne se reposent pas complètement sur elles. Ce sont les maths qui le disent.


Nous avons tous un contrat d’assurance contre des risques précis : assurance auto, assurance multirisque habitation (45,9 millions de contrats en 2023 en France)… Vous avez signé ce contrat d’assurance afin de vous couvrir des frais en cas de sinistre. Ce qui est inhabituel, avec les assurances, c’est que vous achetez « un produit » (contrat), mais vous le récupérez (les indemnités) que si vous subissez un sinistre. De plus, il est courant que l’assureur vous propose un contrat « avec franchise », c’est-à-dire qu’en cas de sinistre, une partie fixe des frais reste à votre charge.

Pourquoi les contrats « avec franchise » sont-ils si répandus ? Il existe plusieurs réponses.

Franchise : un contrat idéal

Des chercheurs se sont intéressés au contrat optimal en modélisant mathématiquement la relation entre l’assureur et l’assuré. On dit qu’un contrat est optimal s’il n’existe pas d’autre contrat qui profiterait davantage à l’un (l’assuré ou l’assureur) sans détériorer la situation de l’autre.

Pour trouver le contrat qui maximise à la fois les préférences de l’assuré et de l’assureur, il faut résoudre un problème d’« optimisation ».

L’assureur est considéré comme neutre au risque, c’est-à-dire qu’il n’a pas de préférence entre une richesse dite « aléatoire » (impactée par un risque subi, mais incertain) et une richesse certaine égale à l’espérance de la richesse aléatoire.

Par contre, l’assuré est considéré comme risquophobe, c’est-à-dire que dans l’exemple précédent, il préfère la richesse certaine à la richesse aléatoire.

Dans ce contexte, des travaux de recherche ont montré que le contrat avec franchise est optimal. En effet, ce type de contrat permet à l’assuré risquophobe de réduire le risque puisqu’en cas de sinistre, il aura juste à payer la franchise. Si la franchise est nulle, le contrat neutralise alors complètement le risque puisqu’en payant juste la prime, l’assuré recevra une indemnité égale au dommage subi (potentiellement avec un plafond, mentionné dans le contrat) : on dit qu’il aura une richesse certaine.


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Franchise : incitation cachée et aléa moral

D’un point de vue pratique, la mise en place d’un contrat avec franchise représente plusieurs avantages pour l’assureur.

Tout d’abord, ce type de contrat réduit ses frais de gestion car les petites pertes (en dessous du montant de la franchise) ne sont plus traitées.

L’assuré est alors incité à faire un effort afin d’éviter les petites pertes qui resteraient à sa charge, ce qui permet de réduire le phénomène d’« aléa moral ». Ce dernier décrit une situation d’asymétrie d’information entre l’assureur et l’assuré. En effet, une fois le contrat d’assurance signé, l’assurance ne peut pas observer l’effort consenti par l’assuré pour éviter un risque (par exemple la vigilance au volant). Non seulement la mise en place de la franchise permet à l’assureur d’obliger l’assuré à faire un effort, elle lui permet aussi de détourner les individus à haut risque, qui cherchent souvent un contrat plus généreux que les individus à bas risques et qui sont prêts à payer une prime (même chère) afin de ne pas subir les petits risques.

Un autre problème d’asymétrie de l’information, connu sous le nom d’« antisélection » (ou sélection adverse) est alors soulevé. Dans ce contexte, l’assureur ne connaît pas le type (haut/bas risque) de l’assuré. Un individu à haut risque peut acheter un contrat destiné à un individu bas risque.

Si l’assureur ne propose que des contrats sans franchise, il risque d’avoir trop d’assurés à haut risque. L’assureur devra alors statistiquement faire face à un nombre important de sinistres (l’assureur par manque d’information se trouve avec les hauts risques alors qu’il aurait souhaité l’inverse), ce qui aboutit souvent à un déséquilibre entre le montant des primes perçues et le montant des indemnités versées. Il est donc important pour l’assureur de diversifier ses produits en proposant des contrats avec ou sans franchise.

Un contrat avec franchise est donc bien un optimum : l’assuré comme l’assureur a intérêt à éviter les petits sinistres. La franchise permet à l’assureur de faire des économies et en même temps de sélectionner ses clients. Le contrat choisi révèle votre « appétence au risque », que les assureurs classifient en types haut et bas risque !

The Conversation

Niousha Shahidi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Maths au quotidien : pourquoi votre assurance vous propose un contrat avec franchise – https://theconversation.com/maths-au-quotidien-pourquoi-votre-assurance-vous-propose-un-contrat-avec-franchise-259187

Les arbres savent-ils quand a lieu le solstice ?

Source: – By Andrew Hacket-Pain, Senior Lecturer, School of Environmental Sciences, University of Liverpool

Les arbres sont très sensibles à la lumière et à la chaleur. Cashcashcash/Shutterstock

Le solstice d’été semble jouer un rôle d’aide-mémoire arboricole. Les températures autour de cette période affectent le nombre de graines produites par les arbres.


Depuis la Préhistoire, les humains célèbrent le solstice d’été. Mais nous ne sommes pas la seule espèce à avoir remarqué que le 21 juin est un moment particulier. Des études montrent que c’est aussi un moment important pour les plantes.

Ainsi, des études récentes (dont une des miennes) suggèrent que les arbres puissent utiliser le jour le plus long de l’année comme un marqueur clé de leurs cycles de croissance et de reproduction. Comme si le solstice était un aide-mémoire arboricole.

Par exemple, les arbres qui poussent dans des régions froides ralentissent la création de nouvelles cellules de bois aux environs du solstice et concentrent leur énergie à finir des cellules déjà formées mais encore incomplètes. Ce qui permettrait d’avoir le temps d’achever la construction des cellules avant l’arrivée de l’hiver – dont les températures glaciales endommagent les cellules incomplètes, les rendant inutiles pour le transport de l’eau l’année suivante.

Le solstice initie-t-il le brunissement des feuilles avant l’automne ?

Il semble également que les arbres profitent du solstice pour préparer de l’automne, avec la « sénescence » de leurs feuilles. La sénescence permet à l’arbre de réabsorber les nutriments essentiels présents dans les feuilles avant qu’elles ne tombent. Ce processus doit arriver au bon moment : si la sénescence est trop précoce, la perte de feuille réduit la photosynthèse (et donc l’acquisition d’énergie qui sert à la croissance de l’arbre entier). Si la sénescence est trop tardive, les gelées d’automne détruisent les feuilles encore vertes, ce qui fait perdre à l’arbre les précieux nutriments qu’il y avait stockés.

Ainsi, des observations satellites des forêts et des expériences contrôlées dans des serres montrent que des températures élevées juste avant le solstice ont tendance à avancer le brunissement des feuilles à l’automne

À l’inverse, des températures élevées juste après le solstice semblent ralentir le processus de sénescence, ce qui allonge la période de transition entre les feuilles vertes et les feuilles entièrement brunes. Ce réglage fin permettrait aux arbres de prolonger la période de photosynthèse les années où les températures restent plus élevées et de ne pas manquer ces conditions favorables.


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Ces observations et leurs interprétations font cependant débat parmi les scientifiques.

En effet, du point de vue de l’évolution, le solstice ne serait peut-être pas le meilleur marqueur temporel de ces transitions dans le cycle annuel des arbres. Par exemple, dans les forêts du Grand Nord, les feuilles n’apparaissent pas avant le début du mois de juin, quelques jours seulement avant le solstice, et la saison de croissance peut se prolonger jusqu’en octobre. Dans ces forêts où certains arbres viennent à peine d’entamer leur croissance pour l’année, utiliser le solstice pour amorcer le processus de réduction progressive des activités ne semble guère avoir de sens.

Par contre, il existe un consensus plus large sur l’utilisation du solstice par les plantes pour synchroniser leur reproduction.

Solstice, dis-moi combien de graines produire cette année

Chez de nombreuses plantes, en particulier les arbres des latitudes moyennes tempérées, le nombre de graines produites varie considérablement d’une année à l’autre, ce que l’on appelle le masting. Par exemple, un grand hêtre européen peut produire des centaines de milliers de graines lors d’une année exceptionnelle (une « masting year ») et renoncer totalement à la reproduction d’autres années.

La réduction de la production de graines par les hêtres, qui leur permet d’augmenter l’efficacité de leur reproduction, se fait souvent à l’échelle continentale, et par étapes.

Forêt de hêtres avec un vieil arbre au soleil
Les hêtres coordonnent leur reproduction.
Gabriele Rohde/Shutterstock

Un petit papillon, Cydia fagiglandana (ou le carpocapse des faînes, en français – le faîne est le fruit du hêtre), pond ses œufs dans les fleurs de hêtre. Lorsque les larves éclosent, elles mangent et détruisent les graines en développement. L’alternance entre des années fastes en faînes et années de disette contribue à protéger les populations de hêtres de ces papillons.

Au Royaume-Uni par exemple, les hêtres perdent moins de 5 % de leurs graines à cause de Cydia. En effet, les cycles affament les papillons et réduisent leur population, qui attend les années fastes. Si les arbres sont désynchronisés dans ces cycles de forte et faible production de fruits, la perte de graines peut atteindre plus de 40 %.

Nous savons depuis des dizaines d’années que les années d’abondance se produisent après un été particulièrement chaud. En effet, les températures élevées augmentent la formation des bourgeons floraux, ce qui entraîne généralement une plus grande récolte de graines à l’automne.

Comment les hêtres savent-ils que le solstice est le jour le plus long ?

Par contre, nous ne savons pas pourquoi ou comment les hêtres de toute l’Europe semblent utiliser la même fenêtre saisonnière (fin juin-début juillet) pour déterminer leur production de graines, quel que soit l’endroit où ils poussent en Europe. Comment un hêtre peut-il connaître la date ?

En 2024, en étudiant des dizaines de forêts à travers l’Europe, mon équipe a montré que ces arbres utilisent le solstice comme marqueur saisonnier : dès que les jours commencent à raccourcir après le solstice, les hêtres de toute l’Europe semblent percevoir simultanément la température.

Partout où les températures sont supérieures à la moyenne dans les semaines qui suivent le solstice, on peut s’attendre à une forte production de faînes l’année suivante, tandis que les conditions météorologiques des semaines précédant le solstice ne semblent pas avoir d’importance.

Comme le montrent les cartes météorologiques, les périodes de chaleur et de fraîcheur ont tendance à se produire simultanément sur de vastes zones.

Ceci permet aux hêtres de maximiser la synchronisation de leur reproduction, que ce soit en investissant dans une forte production (températures chaudes) ou en renonçant à la reproduction pendant un an (températures basses). L’utilisation d’un repère fixe comme le solstice est la clé de cette synchronisation et des avantages qui en découlent.

Quatre cartes d’Europe montrent que les années d’abondance sont synchronisées à travers le continent
Sur ces cartes, les années d’abondance et de disette semblent se synchroniser à l’échelle régionale, parfois même à l’échelle européenne.
Andrew Hacket-Pain, CC BY-NC-ND

Désormais, nous collaborons avec une douzaine d’autres groupes européens pour tester cet effet sur différents sites, en manipulant la température de branches de hêtre avant et après le solstice. Les recherches en cours semblent indiquer que les gènes de floraison s’activent au moment du solstice d’été.

Enfin, des études sur les rythmes circadiens des plantes montrent que celles-ci possèdent des mécanismes moléculaires permettant de détecter de minuscules changements dans la durée du jour, et d’y répondre – ce serait la base de cette extraordinaire échelle de reproduction synchronisée.

Si le temps reste chaud au cours du mois qui vient, les hêtres de votre région produiront sans doute beaucoup de faînes à l’automne prochain – et il est bien probable que ce soit le cas dans le centre et le nord de l’Europe.

The Conversation

Andrew Hacket-Pain a reçu des financements de UK Research and Innovation, du Department for Environment, Food & Rural Affairs et du British Council.

ref. Les arbres savent-ils quand a lieu le solstice ? – https://theconversation.com/les-arbres-savent-ils-quand-a-lieu-le-solstice-259616

Comment comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur du Soleil ?

Source: – By Gaël Buldgen, Docteur en astrophysique, spécialiste de physique solaire et stellaire, Université de Liège

Le Soleil est le seul lieu où la fusion nucléaire est stable dans notre système solaire. Cela fait des décennies que les scientifiques tentent de comprendre sa physique. Où en est-on aujourd’hui ?


Notre Soleil représente à lui seul plus de 99 % de la masse du système solaire. Sans lui, la vie sur Terre serait impossible. Au delà de fournir de l’énergie à la Terre, on peut aussi le considérer comme un laboratoire de physique fondamentale. L’étude de sa structure interne et de sa modélisation théorique permet de mettre en évidence les limitations de nos connaissances. Depuis bientôt 4,6 milliards d’années, notre Soleil est le seul lieu de réaction de fusion nucléaire stable du système solaire. C’est en effet par la fusion d’hydrogène en hélium qu’il produit son énergie et qu’il continuera à le faire pour encore 5 milliards d’années.

Depuis plusieurs décennies, des groupes de recherche de par le monde s’attachent à mieux révéler l’intérieur de notre étoile et à étudier les phénomènes physiques agissant dans ces conditions extrêmes. Les expertises sont variées, allant de physiciens et astrophysiciens européens, dont je fais partie, Russes et Japonais, en passant par des spécialistes de physique nucléaire du Los Alamos National Laboratory ou du CEA de Paris-Saclay. Ensemble, nous tentons de percer les mystères de notre étoile en révélant sa face cachée, sa structure interne. Nos outils comptent des observations astronomiques effectuées tant depuis le sol que l’espace, mais aussi des simulations numériques avancées de la structure et de l’évolution du Soleil, appelées simplement « modèles solaires » (au sens de modèle physique, tels les modèles utilisés en géophysique pour décrire la Terre).

Elles constituent la base théorique sur laquelle sont élaborés les modèles utilisés pour étudier toutes les autres étoiles de l’Univers. Notre Soleil sert de calibrateur pour la physique stellaire. En conséquence, changer de modèle solaire, c’est changer de point de référence pour toutes les étoiles.

Calculer un modèle solaire est un exercice d’équilibre pour un astrophysicien. Il faut bien choisir ses éléments constitutifs. On pense immédiatement à sa composition chimique (en masse : 73 % d’hydrogène, 25 % d’hélium et 2 % d’éléments plus lourds ; en nombre d’atomes : 92 % d’hydrogène, 7,8 % d’hélium, 0,2 % d’éléments plus lourds). Cependant, d’autres choix entrent en jeu. Il s’agit de modéliser l’ensemble des phénomènes physiques se produisant en son sein. Tous ces ingrédients constituent des éléments de physique fondamentale définissant notre vision du Soleil, son « modèle standard ». La première définition d’un modèle standard pour notre Soleil date de 1980 environ et est due à John Bahcall, un astrophysicien américain.


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La crise des modèles solaires

Le modèle standard solaire a connu de grands succès, survivant à la « crise des neutrinos solaires ». Cette crise résultait de la détection de trois fois moins de neutrinos que prévu théoriquement. La divergence fut expliquée par une révision de la physique des neutrinos (récompensée par les prix Nobel en 2002 et 2015).

Le modèle standard solaire s’en trouva renforcé, devenant un élément clé de la théorie de l’évolution stellaire. Dans les années 2000, la révision de la composition chimique solaire a entraîné une nouvelle crise. Ces mesures furent réalisées à l’aide d’observations spectroscopiques, permettant d’identifier chaque élément chimique présent dans l’atmosphère solaire. L’amélioration des mesures spectroscopiques et des techniques d’analyse était à l’origine de cette révision.

Ces travaux, confirmés par la suite, menaient à une réduction de 30 % de l’abondance en masse de carbone et d’oxygène. Ce changement détruisit l’accord existant du modèle standard avec les mesures de neutrinos et les contraintes issues de l’étude des oscillations solaires, appelée héliosismologie. Comme en sismologie terrestre, qui se sert des ondes traversant notre planète pour en étudier l’intérieur, l’héliosismologie utilise les ondes acoustiques se propageant dans le Soleil pour en mesurer les conditions internes. Grâce aux oscillations solaires, on connaissait précisément certaines propriétés comme la masse volumique dans 95 % de l’intérieur de notre étoile.

La révision de la composition chimique du Soleil fut mal accueillie, car elle invalidait le modèle standard. Plusieurs groupes voulurent maintenir les valeurs du XXe siècle. La polémique enfla et de récentes mesures indépendantes par héliosismologie confirmèrent la réduction en oxygène, tout en maintenant les écarts observés dans les régions centrales.

L’explication des désaccords des modèles théoriques avec l’intérieur du Soleil est à chercher ailleurs… C’est dans ce contexte de débat intense que mon travail a commencé, il y a dix ans, durant ma thèse de doctorat. Je choisis d’adapter des outils numériques à ma disposition pour étudier la structure interne du Soleil. Ce qui devait être un petit détour au cours de ma thèse est devenu un projet majeur, en raison du regain d’intérêt pour l’héliosismologie et pour les modèles solaires.

L’importance de la physique fondamentale en physique solaire

Un modèle solaire ne se limite pas à sa composition chimique. Il fait intervenir une série d’éléments devant suivre les avancées de physique théorique et expérimentale. Nous savons que le Soleil produit son énergie par fusion d’hydrogène en hélium, les observations des neutrinos solaires l’ont confirmé de manière irréfutable. Cependant, la vitesse de ces réactions reste sujette à de petites corrections. Ces révisions sont minimes, mais le degré de précision quasi chirurgical avec lequel nous étudions le Soleil les rend significatives.

Un autre ingrédient clé des modèles solaires est l’opacité de la matière solaire, liée à sa capacité à absorber l’énergie du rayonnement. Comme dit plus haut, le Soleil génère son énergie par fusion nucléaire en son cœur. Cette énergie, avant de nous parvenir sur Terre, doit être transportée de l’intérieur du Soleil vers son atmosphère. Dans 98 % de sa masse, c’est le rayonnement à haute énergie (rayons X) qui s’en charge. Ainsi, si l’on change la « transparence » du milieu solaire, on change totalement la structure interne de notre étoile.

Dans le cas solaire, nous parlons de conditions extrêmes, quasi impossibles à reproduire sur Terre (températures de plusieurs millions de degrés, densités élevées). L’opacité a toujours joué un rôle clef en physique stellaire, ses révisions successives permirent de résoudre plusieurs crises par le passé. Chaque fois, les calculs théoriques avaient sous-estimé l’opacité. Rapidement, on envisagea qu’une nouvelle révision permettrait de « sauver » les modèles solaires. Dès 2009, les astrophysiciens s’attelèrent à estimer les modifications requises. Cependant, une des grandes difficultés résidait dans la connaissance de la composition chimique de l’intérieur solaire. En effet, notre étoile n’est pas statique. Au fil du temps, sa composition chimique évolue sous l’effet des réactions nucléaires au cœur et de la sédimentation. Ainsi, un atome d’oxygène à la surface du Soleil, plus lourd que son environnement, « tombera » vers les couches profondes, changeant les propriétés du plasma.

Le Soleil comme laboratoire de physique

Ces questions sont liées à notre connaissance des conditions physiques internes du Soleil et donc à notre capacité à les mesurer.

La précision atteinte sur la masse volumique du milieu solaire est phénoménale, inférieure au centième de pourcent. Ces mesures très précises m’ont permis de développer des méthodes de détermination directe de l’absorption du plasma solaire, l’opacité tant recherchée.

Elles ont montré que l’opacité des modèles solaires actuels est inférieure aux mesures héliosismiques d’environ 10 %. Ces résultats ont confirmé indépendamment les mesures des Sandia National Laboratories (États-Unis), où des physiciens ont reproduit des conditions quasi solaires et mesuré la capacité d’absorption du plasma. En 2015, ces mesures avaient déjà montré des écarts significatifs entre théorie et expérience. Dix ans plus tard, elles sont confirmées par de nouvelles campagnes et des mesures indépendantes. La balle est désormais dans le camp des théoriciens, afin d’expliquer des différences préoccupantes qui révèlent les limites de notre compréhension de la physique dans les conditions extrêmes de notre étoile.

Z Pulsed Power Facility : l’installation des Sandia National Laboratories qui effectuent des mesures d’opacité en conditions solaires.
Sandia National Laboratories

Du Soleil aux étoiles

L’enjeu dépasse toutefois de loin notre vision de l’intérieur du Soleil. Depuis le début du XXIe siècle, de nombreuses missions sont consacrées à l’étude des étoiles et de leurs exoplanètes. Les techniques d’héliosismologie se sont naturellement exportées aux autres étoiles, menant au développement exponentiel de l’astérosismologie.

Pas moins de quatre missions majeures furent consacrées à cette discipline : CoRoT, Kepler, TESS et bientôt PLATO. Toutes visent à déterminer précisément les masses, rayons et âges des étoiles de notre galaxie, les modèles stellaires étant essentiels pour cartographier l’évolution de l’Univers. Cependant, toutes ces considérations sur la datation des objets cosmiques nous ramènent à l’infiniment proche et petit. Donner l’âge d’une étoile requiert de comprendre précisément les conditions physiques régissant son évolution.

Ainsi, savoir comment l’énergie est transportée en son sein est primordial pour comprendre comment, de sa naissance à sa mort, l’étoile évolue. L’opacité, régie par des interactions à l’échelle de l’Angström (10-10 m), est donc essentielle pour modéliser l’évolution des astres, à commencer par notre Soleil.

The Conversation

Gaël Buldgen a reçu des financements du FNRS (Fonds National de la Recherche Scientifique, Belgique) et du Fonds National Suisse (FNS).

ref. Comment comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur du Soleil ? – https://theconversation.com/comment-comprendre-ce-quil-se-passe-a-linterieur-du-soleil-258649