Envie de plus d’orgasmes ? Optez pour une partenaire féminine

Source: The Conversation – in French – By Caroline Pukall, Professor, Department of Psychology, Queen’s University, Ontario

Être en couple avec une femme est associé à un avantage en termes d’orgasme.

(Pexels/Cottonbro)

Le fossé de l’orgasme — cette constatation constante selon laquelle les hommes ayant des rapports sexuels avec des femmes ont des orgasmes plus fréquents que les femmes ayant des rapports sexuels avec des hommes — a été démontrée dans une série d’études menées auprès de participants cisgenres hétérosexuels.

L’écart est important : d’après une étude canadienne récente, environ 60 % des femmes et 90 % des hommes ont déclaré avoir atteint l’orgasme lors de leur rapport sexuel le plus récent.

Dans des échantillons sexuellement diversifiés (comprenant également des femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes et des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes), la tendance devient plus nuancée, mais confirme toujours l’existence d’un écart entre les sexes en matière d’orgasme.

Deux femmes, l’une entourant l’autre de ses bras et l’embrassant sur le front
Les recherches ont montré que les femmes ayant des rapports sexuels avec d’autres femmes connaissent une fréquence d’orgasmes plus équitable au sein de leur relation.
(Pexels/Ketut Subiyanto)

La recherche a montré que l’écart dans la fréquence des orgasmes est moins marqué chez les femmes qui ont des rapports sexuels avec des femmes (environ 75 %), et ce taux est significativement plus élevé que chez les femmes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (environ 62 %). Toutefois, les hommes en tant que groupe —, quelle que soit la personne avec laquelle ils ont des rapports sexuels — ont toujours une fréquence d’orgasme nettement plus élevée (85 %) que les femmes en général (63 %). Ainsi, les femmes sont désavantagées sur le plan de l’orgasme lorsqu’elles ont des rapports avec des hommes.

Le fossé de l’orgasme

Quelle est l’ampleur de l’écart entre les sexes en matière d’orgasme et quels sont les facteurs susceptibles de faire obstacle à l’orgasme pour tous ? Nous — une équipe de chercheurs et de journalistes scientifiques du podcast Science Vs — avons étudié la fréquence des orgasmes dans un vaste échantillon diversifié, incluant des minorités sexuelles et de genre (comme les lesbiennes et les personnes trans), ainsi que des participants racialisés. Les analyses centrées sur l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique n’ont toutefois pas révélé de différences marquées.

La bonne nouvelle ? Nous avons constaté que, dans l’ensemble, de nombreuses personnes avaient beaucoup d’orgasmes — environ deux tiers d’entre elles ont déclaré avoir des orgasmes presque ou à chaque fois qu’elles avaient des rapports sexuels.

La moins bonne nouvelle ? Le fossé de l’orgasme persiste : les hommes cisgenres ont rapporté la fréquence d’orgasme la plus élevée, bien devant les femmes et les personnes de genres minoritaires, qui ne présentent pas de différences marquées entre elles. De plus, nous avons observé que les participants, quel que soit leur genre, ayant des rapports sexuels avec des femmes indiquaient des orgasmes beaucoup plus fréquents que ceux ayant des rapports avec des hommes. Avoir une partenaire féminine semble donc favoriser l’orgasme.




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Tout ce que vous devriez savoir sur le « fossé orgasmique »


Autre nouvelle moins réjouissante : environ 17 % des participantes ont déclaré n’avoir presque jamais ou jamais d’orgasme pendant les rapports sexuels. Pour les femmes cis, les barrières psychologiques — telles que l’insécurité, les problèmes de santé mentale et les distractions — étaient importantes, tout comme les obstacles sexuels (comme le fait de ne pas recevoir une stimulation adéquate), les difficultés inhérentes aux orgasmes (par exemple, ils prennent trop de temps et nécessitent trop d’efforts) et le fait de ne pas savoir pourquoi il leur est difficile d’avoir des orgasmes.

Combler le fossé

Pourquoi le fossé de l’orgasme persiste-t-il ? L’une des raisons principales est que les normes socioculturelles générales privilégient le plaisir sexuel des hommes par rapport à celui des femmes. En effet, ces normes découlent du scénario sexuel traditionnel (hétérosexuel, occidental) qui définit la fin de l’activité sexuelle comme étant l’orgasme masculin ; il est important de noter que l’adhésion des femmes à ce scénario a été associée à une satisfaction sexuelle moindre.

Une femme en robe jaune et un homme en chemise sombre et short kaki assis sur un lit
Le degré de familiarité des femmes avec leur partenaire s’est également révélé déterminant pour réduire l’écart.
(Unsplash/Jonathan Borba)

D’autre part, les médias grand public alimentent des récits d’attentes sexuelles fondés sur le sexe, de sorte que les représentations de femmes sont beaucoup plus acceptées que celles des hommes sans orgasme. Cette inégalité se manifeste lors des rencontres sexuelles, perpétuant le fossé et rendant moins urgente la lutte contre ce phénomène.


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Mais il y a de l’espoir : la motivation des hommes hétérosexuels à amener leur partenaire à l’orgasme et l’intégration intentionnelle d’activités sexuelles qui augmentent les chances d’orgasme de leur partenaire — telles que la stimulation clitoridienne et le sexe oral — peuvent contribuer à réduire (et même à éradiquer !) l’écart. Il a également été démontré que le degré de familiarité entre les femmes et leur partenaire contribue à réduire l’écart. Une plus grande familiarité (pensez à une relation à long terme par opposition à une relation occasionnelle) a été associée à une plus grande fréquence d’orgasme.

Le simple fait de donner la priorité à l’orgasme des femmes — en adoptant des phrases simples comme « elle passe en premier » — pourrait suffire à réduire considérablement l’écart entre les sexes en matière d’orgasme.

La Conversation Canada

Caroline Pukall ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Envie de plus d’orgasmes ? Optez pour une partenaire féminine – https://theconversation.com/envie-de-plus-dorgasmes-optez-pour-une-partenaire-feminine-261130

« Vallée du silicium » : une critique des effets des technologies sur nos vies

Source: The Conversation – in French – By Christophe Premat, Professor, Canadian and Cultural Studies, Stockholm University

Une vue d’Apple Park, siège social d’Apple, à Cupertino en Californie. La Silicon Valley, avec ses mondes virtuels et ses réseaux sociaux, incarne parfaitement cette tendance de notre époque à « l’hypervirtualisation ». (James Genchi/Unsplash), CC BY-NC

Certaines lectures marquent durablement, en offrant des clés pour désigner ce que l’on ressent confusément. Vallée du silicium, un essai d’Alain Damasio paru en 2024 aux éditions Seuil, en fait partie.

Cet article fait partie de notre série Les livres qui comptent, où des experts de différents domaines décortiquent les livres de vulgarisation scientifique les plus discutés.


Dans ce projet hybride, mêlant chroniques, journal de résidence et micro-nouvelle de science-fiction, l’auteur français de science-fiction et de littérature de l’imaginaire observe la Silicon Valley depuis son séjour à San Francisco. Alain Damasio est reconnu pour son style singulier et son exploration de formes narratives innovantes. Il a une approche multimodale de la création. Ses textes s’accompagnent souvent de prolongements sonores, musicaux ou performatifs : il collabore avec des musiciens et des artistes pour prolonger l’univers de ses récits.

Dans Vallée du silicium, il explore comment les technologies numériques reconfigurent nos existences — nos pensées, nos corps, nos relations — avec une écriture à la fois poétique, critique et philosophique.

« Pochette.
XXX, CC BY-NC

Damasio y introduit le concept de « technococon » pour désigner « un univers où la vitesse du branchage devient la garantie d’un dressage psychique et corporel ». Autrement dit, un environnement hyperconnecté, conçu pour notre confort, mais qui façonne subtilement nos comportements et notre manière de penser.

En tant que spécialiste des théories postmodernes et postcoloniales francophones, je m’intéresse notamment aux dispositifs narratifs qui permettent de penser le rapport entre identité et transformation. C’est à ce titre que j’ai souhaité lire Vallée du silicium d’Alain Damasio, dont l’œuvre explore des formes d’énonciation collectives et multimodales, ouvrant la voie à une réflexion sur le vivre-ensemble, l’hybridité et la résistance aux logiques de contrôle.

La pertinence du terme de « technococon »

Le « technococon » ne désigne pas seulement un environnement technologique. C’est une structure invisible dans nos vies : un ensemble d’interfaces, d’algorithmes et de routines numériques pensés pour réduire l’imprévu, fluidifier l’usage, et optimiser notre attention. En pratique, ce confort numérique devient une forme de dressage. À force de déléguer nos choix et nos attentions aux outils, nous perdons la capacité critique de comprendre et de questionner ces mêmes outils.

Damasio ne se contente pas de décrire ce qu’il voit, il replace ses observations dans un cadre plus large. Il s’appuie sur deux penseurs majeurs. Le premier, le sociologue et philosophe français Jean Baudrillard, a forgé l’idée que notre époque vit dans une « hypervirtualisation » : le réel est recouvert par ses images et ses représentations, au point que nous finissons par confondre ce qui existe avec ce qui est montré. La Silicon Valley, avec ses mondes virtuels et ses réseaux sociaux, incarne parfaitement cette tendance.

Le second, Gilles Deleuze, philosophe français lui aussi, a décrit ce qu’il appelait les « sociétés de contrôle » : le pouvoir ne s’exerce plus seulement par des lois ou des interdits clairs, mais de manière diffuse, en orientant en permanence nos comportements et nos choix. Les algorithmes qui décident des informations que nous voyons sur nos écrans ou qui ajustent automatiquement nos préférences en sont un exemple concret.


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À partir de ces idées, Damasio part sur le terrain : il visite les sièges d’entreprises technologiques, observe les lieux de travail ultramodernes, mais aussi les quartiers de San Francisco qui restent à l’écart de cette prospérité numérique. Ce contraste alimente sa réflexion : alors que la Silicon Valley se présente comme un moteur de progrès, elle crée aussi des espaces de mise à l’écart et renforce certaines inégalités.

La science-fiction au service d’un diagnostic politique

Dans ses œuvres précédentes (La Zone du dehors en 1999, La Horde du Contrevent en 2004, ou Les Furtifs, en 2019, Damasio explorait déjà les technologies comme force sociale et politique. Avec Vallée du silicium, il fait un pas supplémentaire : au lieu de projeter un futur dystopique, il l’interroge dans le présent.

Le livre a ainsi une double fonction : documenter, par une écriture immersive et réflexive, les effets des technologies sur nos vies ; stimuler, par sa forme et son ton, une pensée critique et collective face à la tendance à l’hyperindividualisme que les plates-formes numériques renforcent.

Résister au confort anesthésiant

Damasio décrit la Silicon Valley comme l’« idéal-type d’une bureaucratie parfaite ». Tout y est automatisé, standardisé, et l’instinct humain est absorbé dans le code. Cette perfection apparente a un coût : l’érosion de notre autonomie relationnelle et politique.

Il met en garde : à force de tout aplanir, nous éliminons les zones d’imprévu où peuvent naître la créativité et la contestation. Les outils conçus pour nous « simplifier la vie » deviennent des structures qui simplifient aussi notre pensée — au sens où elles la réduisent.

L’auteur invite donc à réintroduire volontairement de la friction dans nos vies : passer par des chemins plus longs, se laisser surprendre, créer des espaces de rencontres non médiatisées par des écrans.

L’auteur introduit dans son essai le concept de « technococon » pour désigner un environnement hyperconnecté, conçu pour notre confort, mais qui façonne subtilement nos comportements et notre manière de penser.
(Chandri Anggara, sur Unsplash), CC BY-NC

Cette proposition trouve un contrepoint dans la nouvelle qui ponctue l’ouvrage et qui fonctionne comme une fable dystopique : le « technococon » y est poussé à sa limite. Elle interroge, par fiction, ce que l’enquête a montré, empêchant le lecteur de s’installer dans une posture purement analytique.

L’hyperconnexion, un non-sens anthropologique

Dans un contexte où l’intelligence artificielle, les algorithmes et les plates-formes numériques façonnent rapidement notre rapport au monde, cet essai arrive à point nommé.

Il ne s’agit pas d’un manifeste technophobe, mais d’une invitation à repenser notre façon d’habiter le numérique. Pour Damasio, l’attention, la puissance collective, le soin du lien social sont des ressources à cultiver contre le confort algorithmique.

Le livre pose ainsi une question centrale : comment vivre dans un monde hyperconnecté tout en préservant notre puissance d’agir ensemble, hors du confort du cocon technologique ?

Il serait facile de cantonner ce livre dans le rayon science-fiction. Mais la dimension journalistique et les enjeux contemporains le rendent pertinent pour tout lecteur préoccupé par le numérique.

L’essai propose un modèle littéraire stimulant : croisant théorie, enquête de terrain et micro-récit, il mobilise à la fois l’intellect et l’émotion. Construit comme un essai postmoderne, il brouille les frontières entre observation et imagination. Cela le rend puissant, sensible et urgent à lire.

Inventer d’autres manières de vivre ensemble, hors du cocon

Vallée du silicium nous invite à ressentir, penser et réagir. En forgeant le concept de « technococon », Alain Damasio propose un prisme clair pour analyser notre époque, mais il ne s’arrête pas à un simple diagnostic.

Il se lit comme une réécriture critique d’Amérique de Jean Baudrillard. Là où ce dernier, dans les années 1980, sillonnait les routes des États-Unis pour capter l’essor du simulacre et l’imaginaire du rêve américain, Damasio parcourt la Silicon Valley pour montrer comment le numérique, les algorithmes et l’intelligence artificielle façonnent un nouvel environnement mental et social.

Cette « Amérique » revisitée n’est plus celle des grands espaces et des autoroutes infinies, mais celle des campus high-tech, des open spaces aseptisés et des écrans omniprésents. Elle promet puissance et liberté individuelle, tout en tissant des réseaux invisibles qui orientent nos désirs et nos comportements. C’est un voyage où la vitesse de connexion remplace la vitesse physique, où la route devient un flux de données, et où le lien humain menace de se dissoudre dans une communication permanente.

Damasio nous appelle à inventer d’autres manières de vivre ensemble, hors du cocon. Dans un monde qui valorise la fluidité, l’immédiateté et la personnalisation à outrance, il rappelle que la liberté se niche parfois dans la lenteur, l’imprévu et la rencontre. C’est dans ces espaces non programmés, hors ligne, que peuvent renaître la puissance collective et le plaisir de construire ensemble.

La Conversation Canada

Christophe Premat est Professeur en études culturelles francophones à l’Université de Stockholm et directeur du Centre d’études canadiennes. Il a publié en 2025 l’article “Questionner le ‘technococon’ avec Alain Damasio dans la revue Mouvances Francophones (https://doi.org/10.5206/mf.v10i1.22629). Christophe Premat est actuellement membre de la CISE (Confédération Internationale Solidaire Écologiste), une association des Français de l’étranger créée en 2018. Il est également membre de l’Association Internationale des Études Québécoises depuis 2022.

ref. « Vallée du silicium » : une critique des effets des technologies sur nos vies – https://theconversation.com/vallee-du-silicium-une-critique-des-effets-des-technologies-sur-nos-vies-263392

Israël commet-il un génocide à Gaza ? La justice prendra des années

Source: The Conversation – in French – By Magnus Killander, Professor, Centre for Human Rights in the Faculty of Law, University of Pretoria

En fin décembre 2023, l’Afrique du Sud a saisi la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye d’une plainte contre Israël, affirmant que ce dernier violait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide par ses actions à Gaza et en demandant des mesures provisoires. Magnus Killander, spécialiste du droit international des droits humains, explique la procédure et les raisons de sa lenteur. En droit international, les mesures de la CIJ sont contraignantes. Mais elles ne s’appliquent pas d’elles-mêmes. Chaque État a donc la responsabilité d’y veiller.

Pourquoi faudra-t-il attendre 2028 pour obtenir une décision définitive ?

Le 5 avril 2024, la CIJ a fixé deux dates limites. Elle souhaitait recevoir les mémoires, c’est-à-dire l’ensemble des arguments relatifs au dossier de l’Afrique du Sud avant le 28 octobre 2024 et les contre-mémoires d’Israël avant le 28 juillet 2025. À la demande d’Israël, la Cour a prolongé le délai de dépôt des contre-mémoires d’Israël jusqu’au 12 janvier 2026.

Il est probable qu’Israël, dans le but de retarder la procédure, soulève des objections préliminaires, notamment concernant la compétence de la CIJ pour connaître de l’affaire. L’Afrique du Sud disposerait alors de quelques mois pour répondre. Une audience sur les objections préliminaires se tiendrait ensuite, probablement vers la fin de 2026 ou au début de 2027.

Quelques mois après l’audience, la CIJ rendrait son jugement sur les objections préliminaires. Ces objections ont peu de chances d’aboutir mais elles retarderaient encore la procédure. La CIJ fixerait ensuite un nouveau délai pour la réponse d’Israël sur le fond, qui pourrait encore être prolongé. Après cela, l’Afrique du Sud pourrait demander un droit de réplique et Israël une réplique à son tour.

La Cour devra aussi examiner les demandes d’intervention d’autres États et définir un calendrier pour leurs contributions.

À ce jour, les États suivants ont déposé une requête à des fins d’intervention : Nicaragua, Colombie, Libye, Mexique, Palestine, Espagne, Turquie, Chili, Maldives, Bolivie, Irlande, Cuba et Belize. Le Nicaragua a par la suite retiré sa demande.

Une fois les mémoires écrits déposés, la Cour organisera une audience orale. Les juges rédigeront ensuite leur jugement définitif sur le fond de l’affaire. Ce jugement sera très détaillé ( des centaines de pages d’analyse factuelle et juridique), avec des opinions séparées des seize juges impliqués : les 15 juges permanents (dont le Sud-Africain Dire Tladi) et un juge ad hoc désigné par Israël.

C’est cet arrêt définitif qui déterminera si Israël a violé la Convention sur le génocide par ses actions à Gaza.

Compte tenu de la longueur de la procédure, il est peu probable que l’arrêt définitif dans cette affaire soit rendu avant 2028.

Cela prend-il généralement autant de temps ?

Oui. L’affaire Afrique du Sud contre Israël peut être comparée à celle lancée par la Gambie contre Myanmar. En novembre 2019, la Gambie avait saisi la Cour internationale de justice (CIJ) pour se pencher sur le traitement réservé aux Rohingyas par le Myanmar, qu’elle qualifie de génocide.

La CIJ a rendu son jugement sur les exceptions préliminaires le 22 juillet 2022. L’audience sur le fond n’a pas encore été programmée. La décision finale devrait arriver en 2026.

La première affaire portée devant la CIJ en vertu de la Convention sur le génocide, Bosnie-Herzégovine contre Serbie-et-Monténégro, a été soumise en 1993. Le jugement définitif a été rendu en 2007.

La deuxième affaire, Croatie contre Serbie, a été portée devant la CIJ en 1999 et le jugement définitif a été rendu en 2015.

À ce jour, la CIJ a jugé un État responsable de génocide dans une seule affaire.

Dans son arrêt de 2007, elle a reconnu la Serbie et le Monténégro responsables du génocide de 1995 à Srebrenica. L’affaire portée devant la CIJ a eu un impact limité. Il convient toutefois de noter que Ratko Mladić, un chef militaire serbe de Bosnie, a été arrêté en Serbie en 2011 et transféré au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, conformément à l’arrêt de la CIJ. En 2017, il a été condamné par le tribunal pour le génocide de Srebrenica, un jugement qui a été confirmé en appel en 2021, 26 ans après le massacre de Srebrenica.

Dans les deux affaires contre la Serbie, la Cour a estimé que, mis à part le massacre de Srebrenica, la mens rea, c’est-à-dire l’intention spécifique de détruire un groupe ou une partie d’un groupe, n’avait pas été prouvée. La principale différence avec les affaires concernant le Myanmar et Israël est que l’État serbe n’a pas participé directement au conflit.

Dans les arrêts définitifs rendus dans les affaires Gambie contre Myanmar et Afrique du Sud contre Israël, le débat portera probablement sur la question de savoir si l’élément constitutif de l’intention criminelle (mens rea) sera démontré.

À mon avis, la plupart des juges de la CIJ concluront que les actes de génocide et l’incitation au génocide ont bien eu lieu.

À quoi cela sert-il alors ?

Les décisions de la CIJ sont contraignantes pour les États, mais elles sont souvent ignorées. C’est l’une des grandes limites pour faire respecter le droit international, surtout dans les domaines des droits humains et le droit international humanitaire.

En pratique, seul un rapport de forces politiques de l’extérieur et de l’intérieur d’Israël peut faire bouger Israël, puisque son gouvernement s’estime seul juge de ses actes. Quant au Conseil de sécurité de l’ONU, il ne peut rien imposer : les États-Unis, en tant que membre permanent et allié et principal fournisseur d’armes d’Israël, ont un droit de veto et refusent toute critique.

La question palestinienne a même conduit à une autre procédure : en mars 2024, le Nicaragua a attaqué l’Allemagne pour ses exportations d’armes vers Israël, en arguant qu’elles facilitaient un génocide. En avril 2024, la CIJ a refusé d’imposer des mesures provisoires, considérant que Berlin avait déjà limité ses ventes. Ce n’est toutefois qu’en août 2025 que l’Allemagne a déclaré qu’elle suspendrait l’exportation d’armes pouvant être utilisées dans la guerre à Gaza.

Une autre cour internationale basée à La Haye tente également de traduire en justice les auteurs de crimes internationaux. La Cour pénale internationale (CPI) traite de la responsabilité pénale internationale, par opposition à la responsabilité des États, qui relève de la compétence de la CIJ. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant ont été inculpés par la CPI. Les trois dirigeants du Hamas contre lesquels le procureur de la CPI avait demandé des inculpations ont été tués par Israël.

Il est peu probable que nous voyions Netanyahu comparaître à La Haye, car il évite de se rendre dans les pays qui sont parties au Statut de la CPI et qui seraient donc tenus de le livrer à la CPI.

Bien sûr, la CPI n’est pas la seule possibilité en matière de responsabilité pénale. Par exemple, des procureurs suédois enquêtent sur des crimes de guerre à Gaza.

Les rouages de la justice internationale avancent à un rythme extrêmement lent et ne suffiront jamais à eux seuls à apporter des véritables changements.

Quels sont les derniers développements ?

Les mesures provisoires rendues par la CIJ le 26 janvier 2024, le 28 mars 2024 et le 24 mai 2024 sont toujours en vigueur et sont contraignantes. Elles prévoyaient notamment la fourniture de

services de base et d’une aide humanitaire d’urgence.

Il est clair que cette mesure, comme d’autres, n’a pas été respectée.

L’Afrique du Sud n’a pas demandé de nouvelles mesures depuis mai 2024. Cependant, une autre procédure est en cours : à la demande de l’Assemblée générale de l’ONU, la CIJ doit rendre un avis consultatif sur les obligations d’Israël vis-à-vis des Nations unies, des organisations internationales et des États tiers dans les territoires occupés. Les audiences ont eu lieu fin avril et début mai 2025. L’avis devrait bientôt être rendu et portera surtout sur l’accès à l’aide humanitaire.

Il s’agit de la troisième procédure consultative concernant la Palestine. En décembre 2003, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé un avis consultatif sur la construction par Israël d’un mur de séparation avec les territoires occupés de Cisjordanie. L’avis consultatif de la CIJ a été rendu le 9 juillet 2004, concluant que la construction du mur était contraire au droit international.

Le 19 janvier 2023, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé un avis consultatif sur les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. En juillet 2024, elle a confirmé que l’occupation israélienne des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est, était contraire au droit international et qu’Israël devait s’en retirer.

The Conversation

Magnus Killander does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Israël commet-il un génocide à Gaza ? La justice prendra des années – https://theconversation.com/israel-commet-il-un-genocide-a-gaza-la-justice-prendra-des-annees-263493

Quand les enfants dessinent la nature, ils représentent aussi leur classe sociale

Source: The Conversation – France (in French) – By Julien Vitores, Docteur en sociologie, Université Sorbonne Paris Nord

Dessins d’enfants collectés par le sociologue Julien Vitores dans trois écoles. Un établissement privé catholique de l’Ouest parisien, une école publique relevant d’un programme d’éducation prioritaire (REP+), et une école en zone périurbaine étendue du sud de la France. Fourni par l’auteur

Quelles visions de la nature transmettons-nous aux enfants ? Voici l’une des questions auxquelles le sociologue Julien Vitores a tâché de répondre. Il s’est pour cela rendu notamment dans trois établissements accueillant des élèves de trois à six ans. Une école catholique de l’Ouest parisien fortuné, une école publique du nord de Paris accueillant un public social très mixte, et l’école d’une zone périurbaine du sud de la France. Dans ces bonnes feuilles du livre issu de sa thèse, il raconte les réactions diverses provoquées par une question très simple posée à des enfants de 5 ans rencontrés : dessinez la nature.

Extrait de La nature à hauteur d’enfants, Socialisations écologiques et genèse des inégalités, Éditions La Découverte, collection L’Envers des faits, 256 pages.


Dans chacune des trois écoles où j’ai réalisé mon enquête, après les premiers échanges avec les enseignantes, je me suis présenté aux élèves en leur disant que je m’intéressais à « la place de la nature dans la vie des enfants » et que je venais voir « comment ça se passe à l’école ». J’ai déjà souligné l’accueil enthousiaste dans l’école maternelle privée des beaux quartiers parisiens. L’accueil que m’ont réservé les élèves des écoles aux publics plus mixtes en termes d’origine sociale mérite aussi attention. Dans ce contexte, les élèves issus des familles les plus dotées en capital culturel se sont distingués par leur vif intérêt pour le sujet, par leur connaissance du terme « nature » et par leur volonté de me le faire savoir.

Pendant ma première journée d’observation à l’école [dans le nord de Paris] Léon-Blum, quelques enfants, parmi lesquels Elena, cinq ans (mère cadre chargée de projets culturels, père musicien), et Solal, cinq ans (mère approvisionneuse, père ingénieur), mettent ainsi en avant des expériences singulières associées au thème de la nature. Lors du tour de table, Elena précise non sans fierté, juste après avoir donné son prénom : « Moi, j’ai déjà mangé des vers de terre et des criquets ! » Quelques instants plus tard, tandis que l’enseignante m’explique qu’il y a des phasmes dans la salle de classe, Solal m’observe prendre des notes, puis s’exclame, étonné : « Tu notes tout ? ! » Je lui réponds que les phasmes m’intéressent, car ils font partie de la nature. Il lance alors, en référence à ce que disait Elena plus tôt : « Ben moi, j’ai mangé du crocodile, du serpent et de la tortue. C’était en Chine ! » Peu après, je l’entends dire à Léon, cinq ans (mère galeriste, père architecte) : « Comme il aime bien la nature, il a écrit que j’avais mangé du crocodile et du serpent ! » Il continue ensuite à jeter des coups d’œil derrière lui, comme pour vérifier si je note encore. L’attitude de Solal est caractéristique des nombreuses tentatives enfantines d’attirer mon regard – et plus généralement l’attention des adultes – et de se voir valorisés par le fait que je relève leurs actions ou leurs paroles dans mon carnet.

Le fait qu’il comprenne que la nature m’intéresse et qu’il soit capable d’y associer des animaux perçus comme rares et exotiques lui donne la possibilité de surenchérir à la suite du souvenir évoqué par Elena. Pendant plusieurs mois, Solal me raconte régulièrement ses expériences personnelles en espérant que je les note, sans que je le sollicite au préalable. Très souvent, ses récits me frappent par leur adéquation avec ce que j’ai dit de mon enquête. Au-delà des nombreux détails sur son voyage en Chine, il me parle de ses cactus et plantes carnivores, de ses vacances à la plage dans la région de Bordeaux, ou encore de sa pratique de l’escalade en plein air avec son grand frère. Les enfants suffisamment familiers de la notion de « nature », sans nécessairement pouvoir la définir clairement (ce que même des adultes peinent à faire), savent qu’ils et elles peuvent y associer des récits d’expériences susceptibles de capter mon attention.

À l’inverse, de nombreux élèves issus des classes populaires ont du mal à identifier clairement les enjeux de ma recherche. Cette inégale compréhension de la notion de nature se manifeste particulièrement au cours des activités de dessin que j’organise dans les trois écoles. Je demande alors aux élèves de me dessiner « la nature », ou bien « ce qui [leur] fait penser à la nature », avant de lancer des discussions collectives à partir des dessins réalisés. Les commentaires des enfants, pendant et après la réalisation des dessins (enregistrés et retranscrits), permettent de saisir leurs interrogations sur cet atelier, mais aussi d’observer leurs tâtonnements, hésitations et efforts déployés pour donner du sens à la consigne.

De fait, ce sont presque toujours des enfants dont les parents appartiennent aux classes populaires qui expriment une incompréhension quant à mon usage du terme « nature ». En témoigne la réaction à mes consignes de Hamadou, cinq ans – dont les parents sont sans emploi et résident dans un HLM tout proche de l’école –, avant de commencer à dessiner :

Julien [Vitores] : J’aimerais bien que vous me dessiniez la nature. Est-ce que tout le monde peut me dessiner la nature ? À quoi ça vous fait penser ?

Hamadou : C’est comment la nature ?

Julien [Vitores] : Ça te fait penser à quoi quand on te dit le mot « nature » ?

Malo : À des fleurs.

Julien [de nouveau à Hamadou] : Toi, ça te fait penser à quoi ?

Hamadou : Moi, je sais pas faire des natures. Ah oui, il a réussi à faire des natures, Malo ! [En voyant que Malo a commencé à dessiner des fleurs].

Les difficultés rencontrées par les enfants portent parfois sur leurs compétences graphiques (« je sais pas faire »), mais en partie seulement. Par exemple, Hamadou ne saisit manifestement pas à quoi renvoie le mot « nature ». N’ayant pas idée de ce qui est attendu de lui, il s’inspire de la réponse de Malo (mère assistante médicale, père architecte) et comprend « nature » comme un synonyme de « fleur », ce qui explique son usage du terme au pluriel (« des natures »). En fin de compte, un troisième garçon, Adem, cinq ans, me demande s’il peut dessiner des animaux, et Hamadou s’exclame : « Je vais dessiner tous les animaux ! » Son dessin représente finalement plusieurs fauves, qu’il désigne comme des loups. Adem rétorque : « Il est bizarre ton loup », puis affirme vouloir dessiner un lynx. Hamadou s’écrie alors : « Le loup il va manger le lynx ! »

Le dessin d’Hamadou.
Fourni par l’auteur

Les enfants ne sont pas égaux face à ma requête. Certains tentent de s’inspirer du dessin des voisins. Au total, 5 des 85 dessins que j’ai recueillis sont des copies quasi conformes de celui d’un ou d’une autre élèves. Les observations pendant l’activité montrent qu’il s’agit à chaque fois de dessins d’enfants issus des classes populaires imitant des enfants issus des classes moyennes ou supérieures. C’est particulièrement frappant dans le cas de Meriem, cinq ans (mère sans emploi, père chauffeur routier), qui assume ouvertement de s’inspirer du dessin d’Elena, bien plus assurée qu’elle de la pertinence de ses idées sur la nature :

Julien [Vitores] : Tu dessines quoi, Elena ?

Elena : Une méduse !

Julien [Vitores] : Et toi, Meriem, tu dessines quoi ? [Petit silence] C’est à quoi que ça te fait penser, la nature ? [Elle ne répond pas et garde les yeux baissés sur son dessin]

Elena : Tu peux faire l’océan si t’as envie !

Julien [Vitores] : Tout ce qui te fait penser à la nature.

Elena : Les humains, les trucs comme ça…

[Je ris]

Meriem : Je veux faire comme Elena. [Elle regarde le dessin d’Elena et semble hésiter] On a le droit de faire des fleurs ?

Julien [Vitores] : Oui, bien sûr, c’est dans la nature.

Elena [Quelques instants plus tard] : Julien, mais Meriem, elle me recopie !

Julien [Vitores] : C’est pas grave, si elle avait pas d’idées sur la nature.

Elena, très à l’aise avec la consigne, prend plaisir à énumérer les choses qu’elle identifie à la « nature ». Comme plusieurs autres enfants issus des familles aisées, elle semble déjà consciente du caractère extensif de ce mot, qui englobe selon elle plein de « trucs ». Au cours de l’activité, elle donne volontiers des idées à Meriem dans un premier temps (« tu peux faire l’océan »), mais sa bonne volonté s’arrête net quand elle comprend que cette dernière reproduit ses dessins à l’identique, ce qui lui ôte visiblement le privilège de l’originalité, et réduit ainsi à néant ses tentatives de mettre en valeur sa production.

Dessins d’Elena (à gauche) et de Meriem (à droite)
Dessins d’Elena (à gauche) et de Meriem (à droite). Au cours des ateliers, plusieurs enfants issus des classes populaires ne comprenaient pas à quoi renvoyait la « nature » que le sociologue Julien Vitores leur demandait de représenter. Ils imitaient alors leur camarades pour rendre un dessin jugé conforme.
Fourni par l’auteur

Cet exemple montre qu’il n’est pas possible d’analyser le contenu de ces dessins comme la simple manifestation de « représentations » que les enfants auraient de la nature. Car la pratique du dessin est de part en part une activité sociale, dans laquelle ces derniers tentent de produire un travail recevable à partir de ce qu’ils comprennent de la consigne, et de ce qu’ils sont capables de dessiner. Dès lors que mes attentes ne sont pas clairement comprises, certains élèves ont donc recours à l’imitation afin de sauver la face et d’éviter la sensation d’échouer à ce qui se présente à eux comme un exercice scolaire.

Plus fondamentalement, les interrogations suscitées par l’activité montrent que le mot « nature » lui-même n’est pas évident pour tous les enfants de cinq ans. La maîtrise (relative) de ce terme, la capacité à en faire bon usage, du moins conforme à celui qu’en font les adultes, est déjà en soi une compétence distinctive. Peu après avoir réalisé son dessin, Elena échange par exemple brièvement avec Solal sur le fait que les « humains » font partie de la nature, ce qui témoigne de leur capacité à s’interroger sur les frontières de la notion. De même, alors qu’un de ses camarades explique que les voitures ne font pas partie de la nature, Antoine, cinq ans (mère psychologue, père restaurateur), conteste vivement, en mobilisant ses propres expériences : « Si ! La nature ça peut être sur les routes. On peut se promener, par exemple, quand on est en campagne et qu’il faut partir en voiture. »

Qu’il s’agisse de la confirmer ou de la contester, les élèves les plus dotés en capital culturel ont donc conscience, même vaguement, de l’existence d’une ligne de partage entre des choses qui relèvent de la nature et des choses qui n’en relèvent pas. Mais cette frontière est loin d’être évidente ici. Certains découvrent à l’école le mot « nature », sans savoir quelles expériences personnelles y associer.

The Conversation

Julien Vitores ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quand les enfants dessinent la nature, ils représentent aussi leur classe sociale – https://theconversation.com/quand-les-enfants-dessinent-la-nature-ils-representent-aussi-leur-classe-sociale-263206

Où sont passés les phoques à capuchon, sur la banquise qui fond ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Chercheuse en biologie et écologie marine, La Rochelle Université

Le phoque à capuchon doit son nom à la capacité qu’ont les mâles de remplir d’air une poche qu’ils ont sur le sommet de la tête et de gonfler une de leurs cloisons nasales, à la fois pour impressionner les autres mâles et pour séduire les femelles. Tiphaine Jeanniard-du-Dot , Fourni par l’auteur

Que se passe-t-il quand l’espèce animale que l’on étudie commence à disparaître ? Certains biologistes marins qui étudient le phoque à capuchon doivent aujourd’hui se poser la question. Car, avec la banquise qui fond et les changements brutaux qui perturbent l’Arctique, cette espèce hors du commun est devenue de plus en plus difficile à surveiller.


C’est un mystère qui reste encore sans réponse. Où sont passés les phoques à capuchon ? En 2023, alors qu’une équipe de scientifiques qui étudie cette espèce hors du commun survolait la banquise flottante canadienne, ils n’en ont vu aucun. Depuis 1992, année où le suivi de leur population a commencé, cette absence était une première. Depuis, les phoques ne sont pas revenus. Nous ne sommes, nous non plus, pas retournés survoler cette zone l’année suivante, car, en 2024, la banquise elle-même avait virtuellement disparu. Et s’il n’y a plus de banquise, il n’y aura pas de phoque à capuchon, une espèce qui dépend de cet écosystème, pour vivre, se reproduire, se nourrir.

Pour la biologiste marine que je suis, être témoin de la disparition d’une population de phoque emblématique, que j’ai suivie pendant plusieurs années, est une catastrophe écologique qui rend le réchauffement climatique très concret, même s’il se passe loin de nos yeux.

C’est également édifiant de voir comment des changements environnementaux brusques peuvent impacter une espèce qui a, pourtant, su s’adapter et prospérer jusque-là dans un contexte des plus hostiles.

Le phoque à capuchon est ainsi présent dans une seule région du monde : la banquise flottante en Arctique, entre le Canada et le Svalbard, un archipel au nord de la Norvège. C’est de ce fait un animal peu connu, mais pourtant tout à fait fascinant. Il doit son nom à une particularité notable des mâles. Ces derniers ont la capacité de remplir d’air une poche qu’ils ont sur le haut de leur tête, en plus de gonfler une de leurs cloisons nasales en un ballon rouge protubérant, pour à la fois impressionner les autres mâles et séduire les femelles.

Un phoque à capuchon mâle sur la banquise canadienne
Un phoque à capuchon mâle sur la banquise canadienne.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

Ces dernières ne sont pas en reste. Les phoques à capuchon ont la lactation la plus courte connue chez les mammifères, puisque les mères allaitent leur petit sur la banquise pendant trois à quatre jours seulement. Celui-ci prend environ sept kilogrammes par jour pour doubler son poids de naissance, avant d’être sevré et de devenir autonome.

Phoque à capuchon juvénile
Phoque à capuchon juvénile.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

S’il se sépare alors de sa mère, le jeune phoque à capuchon ne quittera, par contre, jamais vraiment la banquise. Il y retournera toute sa vie pour sa période de mue, qui advient une fois par an, pour se reproduire à son tour, pour se reposer et pour accéder à des zones de pêche. Mais cette banquise arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du globe, ce qui entraîne des changements physico-chimiques dans les océans.

La fonte des glaces due à l’augmentation des températures en est le plus évident, mais on observe également une diminution de la salinité de l’eau de mer, un changement des courants, un approfondissement de la couche de mélange, la partie superficielle des océans très productive en nutriments. Tous ces changements impactent les écosystèmes marins, du phytoplancton jusqu’aux prédateurs tout en haut de la chaîne alimentaire, comme les phoques à capuchon. Cette place, ainsi que leurs grandes capacités de plongée à des profondeurs allant jusqu’à 1 000 mètres et leurs longues migrations dans les eaux arctiques, en font de très bons bio-indicateurs des changements climatiques et de la santé de leur habitat.

Près de trente ans de données sur une espèce remarquable

Mais toutes ces caractéristiques les rendent aussi particulièrement vulnérables aux changements environnementaux.

Dans une recherche récemment publiée, nous avons étudié avec mon équipe deux populations distinctes – l’une dans l’Atlantique nord-ouest canadien, l’autre en mer du Groenland – pour mieux comprendre les impacts des changements de conditions écologiques locales sur cette espèce clé particulièrement sensible à la perte de la banquise. Le but était d’identifier les pressions spécifiques que chaque population subit dans un océan en mutation rapide et les conséquences sur leur distribution ou sur leur capacité à se nourrir.

En combinant le suivi d’animaux en mer grâce à des balises enregistreuses avec des analyses biochimiques, nous avons pu retracer leurs déplacements et comportements de plongée, analyser leur régime alimentaire et évaluer leur efficacité à trouver de la nourriture, et cela, sur plusieurs décennies. Cette incroyable série de données temporelle, réunie grâce à une collaboration entre la France, le Canada, la Norvège et le Groenland, couvre une période de presque trente ans – qui comprend donc la période de réchauffement la plus rapide et intense en Arctique.

In fine, ce que l’on cherche à savoir, c’est ce qu’il adviendra de cette espèce hors du commun si nous continuons sur la même trajectoire climatique.

Pour s’adapter au réchauffement du climat, les populations doivent changer leurs comportements

Les résultats de notre étude sont étonnants : les phoques à capuchon montrent des réactions contrastées face aux bouleversements climatiques. Si certaines populations canadiennes ont donc, ces dernières années, perdu leur lieu de reproduction avec la fonte de la banquise, l’ensemble des populations de phoques étudiées peuvent, elles, adopter des stratégies assez variées.

Au sein de la population de l’Atlantique nord-ouest, les individus se reproduisant dans le golfe du Saint-Laurent, au Canada, privilégient les eaux froides et côtières pour trouver leur nourriture et ont vu leurs zones d’alimentation et de mue se déplacer vers le nord, suivant le recul des eaux froides et la migration de leurs proies.

De plus, leurs plongées pour se nourrir en profondeur sont plus longues que par le passé, ce qui indique qu’ils ont maintenant plus de difficultés à trouver et à attraper leurs proies. Proies qui sont également différentes que dans les années 1990, probablement à cause d’un bouleversement de l’écosystème et du type de proies disponibles dans leur habitat, de plus en plus similaires à celles de l’Atlantique. On parle alors d’« atlantification » de ces zones arctiques.

Les projections climatiques indiquent, par ailleurs, une réduction de l’habitat favorable aux phoques à capuchon de l’Atlantique nord-ouest dans les décennies à venir, ce qui pourrait évidemment, à plus ou moins long terme, entraîner une « crise du logement » et une compétition féroce si toutes les espèces de l’Arctique sont réduites à migrer vers un habitat nordique de plus en plus réduit. Cette réduction de l’habitat favorable semble particulièrement intense pour les phoques du golfe du Saint-Laurent.

Le devenir d’une des populations que nous surveillions jusqu’alors et que nous n’avons plus revue depuis 2023 reste encore mystérieux. Où sont allées les femelles pour mettre bas et fournir un habitat stable à leurs petits ? Les colonies reproductrices ont-elles fusionné vers le nord ? Que se passera-t-il d’ailleurs pour cette espèce quand l’Arctique connaîtra des étés sans glace à l’aune de 2040-2050 ? Les grands prédateurs comme les ours polaires vont-ils s’ajouter aux menaces qui pèsent sur ces animaux, s’ils se rapprochent des côtes pour pallier le manque de banquise ?

Ces questions restent, pour l’instant, en suspens pour l’incroyable phoque à capuchon de l’Atlantique Nord-Ouest, tout comme celle de son avenir dans ces eaux froides arctiques en pleine mutation.

Les phoques à capuchon ont la lactation la plus courte connue chez les mammifères, puisque les mères allaitent leur petit sur la banquise pendant trois à quatre jours seulement. Celui-ci prend environ sept kilogrammes par jour pour doubler son poids de naissance avant d’être sevré et de devenir autonome.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

En plus du climat, les populations subissent d’autres pressions

En revanche, la population des phoques à capuchon de la mer du Groenland paraît, elle, moins inféodée aux eaux très froides pour se nourrir. Contre toute attente, ces phoques ont d’ailleurs déplacé leurs zones d’alimentation vers l’est, s’éloignant du Groenland pour se rapprocher des côtes norvégiennes. Les projections montrent aussi que ces zones auront tendance à s’élargir et à se déplacer encore plus vers l’est – et non, à se rétrécir et à se déplacer vers le nord, comme les phoques de l’Atlantique Nord-Ouest.

Il ne faudrait cependant pas s’en réjouir trop vite. Car l’agrandissement de l’habitat favorable de ces phoques à capuchon de la mer du Groenland ne signifie pas forcément que l’environnement global est satisfaisant. Cette population a, en effet, connu un effondrement dramatique d’environ 85 % de son effectif depuis les années 1950, sans signe de rétablissement. Ce déclin suggère que d’autres facteurs que l’aire d’alimentation favorable pourraient contrebalancer les bénéfices d’un habitat théorique plus vaste : par exemple, les changements dans les écosystèmes ou dans les chaînes alimentaires, l’augmentation de la prédation, l’éloignement entre les zones de reproduction et les zones d’alimentation, qui pourrait obliger les phoques à parcourir de plus grandes distances pour se nourrir, ou, encore, les effets durables de la chasse commerciale aujourd’hui interdite.

Un avenir incertain

Tous ces constats montrent que les phoques à capuchon ne réagissent pas de manière uniforme aux pressions environnementales. Chaque population fait face à des défis spécifiques, liés à ses spécificités comportementales et adaptatives, à sa localisation, à l’évolution de ses proies et à l’histoire de ses interactions avec les humains. Les variabilités individuelles ou populationnelles peuvent conférer à l’espèce dans son ensemble une capacité d’adaptation plus grande aux défis environnementaux auxquels elle fait face.

En revanche, si des espaces clés de leur cycle de vie disparaissent, comme c’est le cas pour la population du golfe du Saint-Laurent dont les sites de reproduction sur la glace ont récemment disparu, on peut s’attendre à des extinctions locales plus rapides que d’autres. Si l’avenir de l’incroyable phoque à capuchon en Arctique reste incertain, son cas souligne en revanche l’importance d’adopter des stratégies de conservation différenciées, adaptées aux réalités écologiques locales.

The Conversation

J’ai été employée par le Ministère de Pêches et Océans Canada, ou j’ai démarré ma recherche sur les phoques à capuchon.

ref. Où sont passés les phoques à capuchon, sur la banquise qui fond ? – https://theconversation.com/ou-sont-passes-les-phoques-a-capuchon-sur-la-banquise-qui-fond-259920

Sur la banquise qui fond, où sont passés les phoques à capuchon ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Chercheuse en biologie et écologie marine, La Rochelle Université

Le phoque à capuchon doit son nom à la capacité qu’ont les mâles de remplir d’air une poche qu’ils ont sur le sommet de la tête et de gonfler une de leurs cloisons nasales, à la fois pour impressionner les autres mâles et pour séduire les femelles. Tiphaine Jeanniard-du-Dot , Fourni par l’auteur

Que se passe-t-il quand l’espèce animale que l’on étudie commence à disparaître ? Certains biologistes marins qui étudient le phoque à capuchon doivent aujourd’hui se poser la question. Car, avec la banquise qui fond et les changements brutaux qui perturbent l’Arctique, cette espèce hors du commun est devenue de plus en plus difficile à surveiller.


C’est un mystère qui reste encore sans réponse. Où sont passés les phoques à capuchon ? En 2023, alors qu’une équipe de scientifiques qui étudie cette espèce hors du commun survolait la banquise flottante canadienne, ils n’en ont vu aucun. Depuis 1992, année où le suivi de leur population a commencé, cette absence était une première. Depuis, les phoques ne sont pas revenus. Nous ne sommes, nous non plus, pas retournés survoler cette zone l’année suivante, car, en 2024, la banquise elle-même avait virtuellement disparu. Et s’il n’y a plus de banquise, il n’y aura pas de phoque à capuchon, une espèce qui dépend de cet écosystème, pour vivre, se reproduire, se nourrir.

Pour la biologiste marine que je suis, être témoin de la disparition d’une population de phoque emblématique, que j’ai suivie pendant plusieurs années, est une catastrophe écologique qui rend le réchauffement climatique très concret, même s’il se passe loin de nos yeux.

C’est également édifiant de voir comment des changements environnementaux brusques peuvent impacter une espèce qui a, pourtant, su s’adapter et prospérer jusque-là dans un contexte des plus hostiles.

Le phoque à capuchon est ainsi présent dans une seule région du monde : la banquise flottante en Arctique, entre le Canada et le Svalbard, un archipel au nord de la Norvège. C’est de ce fait un animal peu connu, mais pourtant tout à fait fascinant. Il doit son nom à une particularité notable des mâles. Ces derniers ont la capacité de remplir d’air une poche qu’ils ont sur le haut de leur tête, en plus de gonfler une de leurs cloisons nasales en un ballon rouge protubérant, pour à la fois impressionner les autres mâles et séduire les femelles.

Un phoque à capuchon mâle sur la banquise canadienne
Un phoque à capuchon mâle sur la banquise canadienne.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

Ces dernières ne sont pas en reste. Les phoques à capuchon ont la lactation la plus courte connue chez les mammifères, puisque les mères allaitent leur petit sur la banquise pendant trois à quatre jours seulement. Celui-ci prend environ sept kilogrammes par jour pour doubler son poids de naissance, avant d’être sevré et de devenir autonome.

Phoque à capuchon juvénile
Phoque à capuchon juvénile.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

S’il se sépare alors de sa mère, le jeune phoque à capuchon ne quittera, par contre, jamais vraiment la banquise. Il y retournera toute sa vie pour sa période de mue, qui advient une fois par an, pour se reproduire à son tour, pour se reposer et pour accéder à des zones de pêche. Mais cette banquise arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du globe, ce qui entraîne des changements physico-chimiques dans les océans.

La fonte des glaces due à l’augmentation des températures en est le plus évident, mais on observe également une diminution de la salinité de l’eau de mer, un changement des courants, un approfondissement de la couche de mélange, la partie superficielle des océans très productive en nutriments. Tous ces changements impactent les écosystèmes marins, du phytoplancton jusqu’aux prédateurs tout en haut de la chaîne alimentaire, comme les phoques à capuchon. Cette place, ainsi que leurs grandes capacités de plongée à des profondeurs allant jusqu’à 1 000 mètres et leurs longues migrations dans les eaux arctiques, en font de très bons bio-indicateurs des changements climatiques et de la santé de leur habitat.

Près de trente ans de données sur une espèce remarquable

Mais toutes ces caractéristiques les rendent aussi particulièrement vulnérables aux changements environnementaux.

Dans une recherche récemment publiée, nous avons étudié avec mon équipe deux populations distinctes – l’une dans l’Atlantique nord-ouest canadien, l’autre en mer du Groenland – pour mieux comprendre les impacts des changements de conditions écologiques locales sur cette espèce clé particulièrement sensible à la perte de la banquise. Le but était d’identifier les pressions spécifiques que chaque population subit dans un océan en mutation rapide et les conséquences sur leur distribution ou sur leur capacité à se nourrir.

En combinant le suivi d’animaux en mer grâce à des balises enregistreuses avec des analyses biochimiques, nous avons pu retracer leurs déplacements et comportements de plongée, analyser leur régime alimentaire et évaluer leur efficacité à trouver de la nourriture, et cela, sur plusieurs décennies. Cette incroyable série de données temporelle, réunie grâce à une collaboration entre la France, le Canada, la Norvège et le Groenland, couvre une période de presque trente ans – qui comprend donc la période de réchauffement la plus rapide et intense en Arctique.

In fine, ce que l’on cherche à savoir, c’est ce qu’il adviendra de cette espèce hors du commun si nous continuons sur la même trajectoire climatique.

Pour s’adapter au réchauffement du climat, les populations doivent changer leurs comportements

Les résultats de notre étude sont étonnants : les phoques à capuchon montrent des réactions contrastées face aux bouleversements climatiques. Si certaines populations canadiennes ont donc, ces dernières années, perdu leur lieu de reproduction avec la fonte de la banquise, l’ensemble des populations de phoques étudiées peuvent, elles, adopter des stratégies assez variées.

Au sein de la population de l’Atlantique nord-ouest, les individus se reproduisant dans le golfe du Saint-Laurent, au Canada, privilégient les eaux froides et côtières pour trouver leur nourriture et ont vu leurs zones d’alimentation et de mue se déplacer vers le nord, suivant le recul des eaux froides et la migration de leurs proies.

De plus, leurs plongées pour se nourrir en profondeur sont plus longues que par le passé, ce qui indique qu’ils ont maintenant plus de difficultés à trouver et à attraper leurs proies. Proies qui sont également différentes que dans les années 1990, probablement à cause d’un bouleversement de l’écosystème et du type de proies disponibles dans leur habitat, de plus en plus similaires à celles de l’Atlantique. On parle alors d’« atlantification » de ces zones arctiques.

Les projections climatiques indiquent, par ailleurs, une réduction de l’habitat favorable aux phoques à capuchon de l’Atlantique nord-ouest dans les décennies à venir, ce qui pourrait évidemment, à plus ou moins long terme, entraîner une « crise du logement » et une compétition féroce si toutes les espèces de l’Arctique sont réduites à migrer vers un habitat nordique de plus en plus réduit. Cette réduction de l’habitat favorable semble particulièrement intense pour les phoques du golfe du Saint-Laurent.

Le devenir d’une des populations que nous surveillions jusqu’alors et que nous n’avons plus revue depuis 2023 reste encore mystérieux. Où sont allées les femelles pour mettre bas et fournir un habitat stable à leurs petits ? Les colonies reproductrices ont-elles fusionné vers le nord ? Que se passera-t-il d’ailleurs pour cette espèce quand l’Arctique connaîtra des étés sans glace à l’aune de 2040-2050 ? Les grands prédateurs comme les ours polaires vont-ils s’ajouter aux menaces qui pèsent sur ces animaux, s’ils se rapprochent des côtes pour pallier le manque de banquise ?

Ces questions restent, pour l’instant, en suspens pour l’incroyable phoque à capuchon de l’Atlantique Nord-Ouest, tout comme celle de son avenir dans ces eaux froides arctiques en pleine mutation.

Les phoques à capuchon ont la lactation la plus courte connue chez les mammifères, puisque les mères allaitent leur petit sur la banquise pendant trois à quatre jours seulement. Celui-ci prend environ sept kilogrammes par jour pour doubler son poids de naissance avant d’être sevré et de devenir autonome.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

En plus du climat, les populations subissent d’autres pressions

En revanche, la population des phoques à capuchon de la mer du Groenland paraît, elle, moins inféodée aux eaux très froides pour se nourrir. Contre toute attente, ces phoques ont d’ailleurs déplacé leurs zones d’alimentation vers l’est, s’éloignant du Groenland pour se rapprocher des côtes norvégiennes. Les projections montrent aussi que ces zones auront tendance à s’élargir et à se déplacer encore plus vers l’est – et non, à se rétrécir et à se déplacer vers le nord, comme les phoques de l’Atlantique Nord-Ouest.

Il ne faudrait cependant pas s’en réjouir trop vite. Car l’agrandissement de l’habitat favorable de ces phoques à capuchon de la mer du Groenland ne signifie pas forcément que l’environnement global est satisfaisant. Cette population a, en effet, connu un effondrement dramatique d’environ 85 % de son effectif depuis les années 1950, sans signe de rétablissement. Ce déclin suggère que d’autres facteurs que l’aire d’alimentation favorable pourraient contrebalancer les bénéfices d’un habitat théorique plus vaste : par exemple, les changements dans les écosystèmes ou dans les chaînes alimentaires, l’augmentation de la prédation, l’éloignement entre les zones de reproduction et les zones d’alimentation, qui pourrait obliger les phoques à parcourir de plus grandes distances pour se nourrir, ou, encore, les effets durables de la chasse commerciale aujourd’hui interdite.

Un avenir incertain

Tous ces constats montrent que les phoques à capuchon ne réagissent pas de manière uniforme aux pressions environnementales. Chaque population fait face à des défis spécifiques, liés à ses spécificités comportementales et adaptatives, à sa localisation, à l’évolution de ses proies et à l’histoire de ses interactions avec les humains. Les variabilités individuelles ou populationnelles peuvent conférer à l’espèce dans son ensemble une capacité d’adaptation plus grande aux défis environnementaux auxquels elle fait face.

En revanche, si des espaces clés de leur cycle de vie disparaissent, comme c’est le cas pour la population du golfe du Saint-Laurent dont les sites de reproduction sur la glace ont récemment disparu, on peut s’attendre à des extinctions locales plus rapides que d’autres. Si l’avenir de l’incroyable phoque à capuchon en Arctique reste incertain, son cas souligne en revanche l’importance d’adopter des stratégies de conservation différenciées, adaptées aux réalités écologiques locales.

The Conversation

J’ai été employée par le Ministère de Pêches et Océans Canada, ou j’ai démarré ma recherche sur les phoques à capuchon.

ref. Sur la banquise qui fond, où sont passés les phoques à capuchon ? – https://theconversation.com/sur-la-banquise-qui-fond-ou-sont-passes-les-phoques-a-capuchon-259920

Réunions séparées avec Poutine et Zelensky : Trump fait le jeu de la Russie

Source: The Conversation – in French – By James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser University

Depuis 2022, l’Ukraine n’a jamais été dans une situation aussi vulnérable, alors que les combats se poursuivent sans relâche et que les frappes contre les infrastructures civiles deviennent de plus en plus courantes.

Les dirigeants mondiaux en appellent désormais à la fin du conflit. On pourrait croire que les rencontres du président américain Donald Trump avec les dirigeants ukrainien et russe constituent une approche équilibrée. En réalité, c’est bien la Russie qui en profite.

Sommet en Alaska

Après sa récente rencontre avec le président russe Vladimir Poutine en Alaska, Trump a déclaré ce sommet « très utile ». Prié de l’évaluer sur une échelle de 1 à 10, le président a déclaré que la rencontre méritait la plus haute note en raison du climat de bonne entente.

Mais s’ils se sont si bien entendus, c’est parce qu’il n’a pas été question de la raison même d’un tel sommet : l’agression russe en Ukraine. Cette approche s’est avérée fort « utile » pour Poutine et la Russie — d’autant que ni l’Ukraine ni aucun de ses alliés n’avait été invité au sommet.

Ce format a suscité une vive consternation. En Ukraine, on redoutait la conclusion d’un accord sans son consentement. Côté européen, c’est la menace d’invasion et le révisionnisme russes qui suscitent la crainte.

Avant le retour de Trump au pouvoir en 2025, l’Ukraine profitait d’un front largement uni entre l’OTAN et l’Union européenne. Cette unité s’est affaiblie depuis, et encore davantage avec ce sommet, au bénéfice de la Russie.

Un cessez-le-feu parti en fumée

Poutine et ses négociateurs ont ainsi obtenu une concession majeure de Trump lors du sommet : sa renonciation à réclamer un cessez-le-feu.

Pour l’Ukraine et ses alliés, il s’agissait pourtant d’une condition fondamentale pour toute négociation de paix — a fortiori depuis que la Russie intensifie ses attaques contre les villes et les civils ukrainiens.

Enfin, la nature même de la réunion en Alaska contribue à légitimer l’invasion russe auprès de l’opinion internationale.

Bien que les Européens et les Nord-Américains l’admettent difficilement, la Russie a su entretenir l’ambivalence d’une grande partie de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine — et même à y obtenir du soutien.

Toutefois, les condamnations prononcées contre la Russie par plusieurs organisations internationales, dont l’ONU, en refroidissaient plusieurs, notamment l’interdiction de voyager prononcée par la Cour pénale internationale.

Mais la consécration diplomatique américaine, en accueillant Poutine sur son sol, a sapé les condamnations de ces institutions.

Zelensky à Washington

Les avantages que Poutine a obtenus de Trump en Alaska ont exigé une réponse immédiate de l’Ukraine. Le président Volodymyr Zelensky a rapidement organisé une réunion à la Maison-Blanche. Et il s’y est déplacé en compagnie de plusieurs dirigeants européens, dont la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président français, Emmanuel Macron.

Le secrétaire d’État Marco Rubio a insisté sur le fait que leur présence ne visait pas à empêcher Trump d’intimider Zelensky dans le Bureau ovale, comme il l’avait fait précédemment.

Chose certaine, les dirigeants européens étaient là pour empêcher Trump de contraindre le dirigeant ukrainien à faire des concessions préjudiciables à leurs propres intérêts.

Le message publié par Trump sur les réseaux sociaux avant la réunion avait de quoi inquiéter. Il y faisait porter la responsabilité de la paix à Zelensky, affirmant que l’Ukraine devait accepter la perte de la Crimée et ne jamais adhérer à l’OTAN.

Soigneuse mise en scène

Pour cette rencontre, le président Zelensky, qui portait le costume, a remis une lettre de la première dame ukrainienne à Melania Trump.

Ces efforts de mise en scène, soigneusement orchestrés par le protocole ukrainien, visaient à flatter l’égo trumpien. La manœuvre a en partie marché à en juger par sa réaction : il aurait jugé Zelensky « fabuleux » dans son costume, selon un journaliste — le même qui avait critiqué le président ukrainien pour sa tenue en février lors de sa visite malheureuse.

Durant cette rencontre, Trump n’a pas exclu que des soldats américains puissent contribuer au rétablissement de la paix en Ukraine. Selon les observateurs, une telle présence serait une condition fondamentale à une paix durable.

Bien qu’il ne s’y soit pas opposé, Trump n’a pas non plus pris d’engagement ferme à cet égard. Quelques heures plus tard, il a soutenu au contraire qu’il offrirait du soutien aérien sans mettre de troupes au sol.

Il a toutefois déclaré qu’il s’efforçait d’organiser une réunion trilatérale avec Poutine et Zelensky.

Ce qui reste à voir, étant donné sa propension à revenir sur les déclarations.

Espoir contre réalité

Rappelons toutefois que l’une des principales promesses de campagne de Trump était de ne pas impliquer les États-Unis dans des « guerres étrangères sans fin ». Le déploiement de soldats américains en Ukraine compromettrait le soutien de sa base politique, laquelle est déjà divisée quant à sa gestion du dossier Jeffrey Epstein.

La cordialité de la rencontre de Trump avec Zelensky et les dirigeants européens permet de nourrir certains espoirs parmi les partisans de l’Ukraine dans les jours à venir.

Mais tout optimisme doit être tempéré par les dégâts causés par le sommet Trump-Poutine en Alaska. Le président américain aurait même interrompu les réunions à Washington pour appeler Poutine.

Le refus de Trump de prendre des engagements fermes en présence de Zelensky et des dirigeants européens réunis signifie que la Russie est parvenue à faire valoir ses intérêts au détriment de l’Ukraine et des perspectives d’une paix durable à long terme.

La Conversation Canada

James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Réunions séparées avec Poutine et Zelensky : Trump fait le jeu de la Russie – https://theconversation.com/reunions-separees-avec-poutine-et-zelensky-trump-fait-le-jeu-de-la-russie-263491

Faire de l’IA une force de progrès plutôt qu’une menace

Source: The Conversation – in French – By Simon Blanchette, Lecturer, Desautels Faculty of Management, McGill University

L’intelligence artificielle (IA) bouleverse le monde du travail, mais elle offre aussi d’immenses possibilités. Plutôt que de la subir, préparons-nous à en faire un véritable moteur de transformation et de progrès.

L’IA, bien que loin d’être nouvelle, progresse à une vitesse vertigineuse. Plus récemment, l’émergence de l’intelligence générale artificielle (IGA), une forme d’IA capable de comprendre et d’apprendre n’importe quelle tâche humaine, alimente de nombreuses inquiétudes.

Cette anxiété est légitime : la rapidité des avancées technologiques et la perspective de systèmes capables d’apprendre de manière autonome comme pourrait le faire l’IGA nourrissent la crainte d’une perte de contrôle et de bouleversements massifs sur le marché du travail.

Si ces craintes sont compréhensibles, elles ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel : l’IA est là pour durer. Il est donc impératif de continuer à planifier la transition. Faire l’autruche n’est pas une option.

De la peur à l’action : un changement de posture nécessaire

La peur de l’IA est compréhensible. Comme toute innovation majeure, elle provoque un réflexe d’inquiétude, surtout lorsqu’il s’agit de technologies capables d’automatiser des tâches cognitives. Des figures influentes comme Sam Altman, PDG d’OpenAI, estiment que « des millions d’emplois sont à risque », tandis que Bill Gates va jusqu’à prédire que les humains ne seront bientôt plus nécessaires « pour la plupart des choses ».

Ces propos chocs nourrissent un sentiment d’urgence et, parfois, un fatalisme qui détourne l’attention des véritables questions : comment s’y préparer concrètement ?

Les données récentes incitent à relativiser. Selon le Future of Jobs Report 2025 du Forum économique mondial, près de 78 millions d’emplois nets devraient être créés d’ici 2030. Oui, les compétences exigées évolueront profondément, mais il demeure que l’IA entraîne surtout un déplacement des rôles, pas une disparition massive du travail.

Dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre et de compétences demeure un enjeu critique pour les entreprises, l’IA peut en fait faire partie de la solution si elle est bien utilisée. Mais sur ce plan ,le Canada tire de l’arrière en termes d’adoption de l’IA dans les entreprises. Adopter l’IA de manière plus large pourrait faire progresser le PIB de 5 à 8 % au cours de la prochaine décennie.




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Oui, il est essentiel de surveiller les dérives potentielles de l’IA, mais il est tout aussi urgent de faire passer le discours de la peur à celui des opportunités.

Reconfigurer les emplois, pas les éliminer

Les scénarios de remplacement massif de travailleurs ne reflètent pas encore la réalité de mes recherches et de mon expérience, il en ressort que l’IA provoque davantage une reconfiguration des emplois que leur disparition pure et simple. Il existe également beaucoup de variations à travers les secteurs. Les tâches évoluent, mais des nouveaux rôles émergent, souvent plus qualifiés et porteurs de valeur. L’important est d’accompagner les employés dont les fonctions sont en mutation.

Dans mon rôle de consultant et de formateur, j’ai accompagné plusieurs entreprises ayant automatisé certaines fonctions ou départements, en soutenant la gestion du changement par l’élaboration de stratégies de transition et de requalification. Peu d’entre elles ont eu recours à des licenciements ; la plupart ont plutôt investi dans la formation de leurs employés et les ont redéployés vers des postes difficiles à pourvoir ou des rôles de supervision liés à l’automatisation. Cette approche leur a permis d’optimiser l’utilisation de leurs équipes tout en répondant à leurs besoins opérationnels.


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Faire de l’IA une transformation maîtrisée

L’erreur principale est de voir l’IA comme une révolution soudaine. En réalité, elle fait partie d’une évolution plus large des entreprises et nécessite les mêmes clés pour réussir :

  • Une vision claire et partagée : les dirigeants doivent expliquer pourquoi et comment l’IA s’intègre à la stratégie de l’entreprise ;

  • Une communication continue et transparente : informer régulièrement réduit l’incertitude et limite les rumeurs ;

  • Une implication active des équipes : impliquer les employés dès le départ, écouter leurs préoccupations et valoriser leurs idées favorise l’adhésion et crée des ambassadeurs internes tout en diminuant la résistance ;

  • Une expérimentation progressive : commencer par des projets pilotes, apprendre des erreurs et ajuster en cours de route.

Certes le rythme des changements est plus rapide. Toutefois, les organisations qui appliquent ces pratiques solides de gestion du changement sont 1,6 fois plus susceptibles de dépasser leurs objectifs liés à l’IA que celles qui n’en tiennent pas compte.

Investir dans les compétences : le véritable avantage concurrentiel

Voir l’IA comme un changement important, c’est aussi comprendre que les compétences deviennent un atout clé. D’ici 2030, près de 40 % des compétences essentielles aujourd’hui auront changé. Cela montre l’importance de former et d’améliorer les compétences, un enjeu essentiel. Pour y parvenir, il faut :

Comme je le soulignais récemment, cette transition ne peut réussir que si elle est inclusive. Les initiatives liées à l’IA doivent tenir compte des inégalités existantes en milieu de travail et dans la société.

L’IGA : anticiper sans céder à la spéculation ?

Encore un peu science-fiction, l’IGA, si elle atteint son potentiel, aura sans doute des impacts plus profonds encore, car elle pourrait accomplir des tâches cognitives complexes de manière quasi autonome. Mais le principe reste le même : une organisation qui a appris à intégrer l’IA actuelle comme une transformation structurée sera beaucoup mieux préparée pour les vagues suivantes.

Cette perspective soulève des questions fondamentales sur l’évolution du travail humain. Quelles compétences resteront exclusivement humaines ? Comment préparer nos organisations à cette transition potentielle ? L’histoire des transformations technologiques suggère que l’adaptation humaine surpasse souvent les prédictions les plus pessimistes.

En d’autres termes, l’IGA n’exige pas de nouvelles règles de base, elle exige seulement de les appliquer avec plus de rigueur et de rapidité.

Plutôt que de rester paralysés par une menace hypothétique, qui, certes, finira par se concrétiser, mobilisons notre énergie pour la gérer de manière proactive. Restons alertes et agiles.

Choisir l’action plutôt que la résignation

L’IA et l’IGA ne sont pas des forces incontrôlables : ce sont des transformations à gérer, avec proactivité, intelligence et humanité. Eh oui, les enjeux de sécurité et les risques de dérives sont réels, mais il est possible de les encadrer, de les mitiger et de les réglementer. L’Union européenne l’a démontré en 2024 avec l’AI Act, le premier cadre juridique mondial à imposer des règles strictes fondées sur les risques et à garantir une supervision humaine. Au Canada, même si le projet de loi C‑27 n’a pas été adopté, il a lancé un débat essentiel sur la gouvernance de l’IA au pays. C’est une question de leadership, de gouvernance et de concertation. Des conversations à avoir maintenant et à poursuivre activement.

Le choix est devant nous : subir cette transformation ou la diriger.

Les organisations qui l’ont compris dès maintenant transforment déjà ces changements en avantage concurrentiel. Celles qui attendront risquent, elles, d’être réellement dépassées.

La Conversation Canada

Simon Blanchette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Faire de l’IA une force de progrès plutôt qu’une menace – https://theconversation.com/faire-de-lia-une-force-de-progres-plutot-quune-menace-259860

Derrière l’unité transatlantique affichée à la Maison Blanche, l’absence de progrès vers une paix juste en Ukraine

Source: The Conversation – in French – By Stefan Wolff, Professor of International Security, University of Birmingham

Le 15 août, Donald Trump a rencontré Vladimir Poutine. Le 18, il a reçu Volodymyr Zelensky ainsi que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le secrétaire général de l’Otan Mark Rutte et plusieurs dirigeants européens (Emmanuel Macron, Friedrich Merz, Keir Starmer, Giorgia Meloni et Alexander Stubb). Ces échanges ont donné lieu à de nombreuses images marquantes et à quelques déclarations d’intention, mais une paix durable paraît toujours une perspective très lointaine.


Ce 18 août, à la Maison Blanche, Donald Trump et Volodymyr Zelensky ont tenté de définir les grandes lignes d’un éventuel accord de paix avec la Russie. Le ton de leur entretien a fortement contrasté avec celui de leur dernière conférence de presse conjointe à Washington en février 2025, qui s’était terminée par l’humiliation de Zelensky par Trump et son vice-président J. D. Vance.

Cette discussion, suivie d’une réunion des deux hommes avec les dirigeants de la « coalition européenne des volontaires », s’est tenue à peine trois jours après l’entretien Trump-Poutine en Alaska le 15 août, lequel avait été perçu par la plupart des observateurs comme une nette victoire politique du président russe. Les résultats des échanges du 18 août entre Trump, Zelensky et les Européens tendent à rééquilibrer dans une certaine mesure la situation en faveur de la partie ukrainienne.

Pressions de Trump sur Zelensky plus que sur Poutine

Ce résultat relativement positif n’était pas acquis d’avance. Au cours du week-end, Trump avait publié sur sa plateforme Truth Social un post où il affirmait que le président ukrainien « peut mettre fin à la guerre avec la Russie presque immédiatement ». Mais cette possibilité était assortie d’une condition : Zelensky devait officiellement accepter la perte de la Crimée au profit de la Russie et renoncer à une future adhésion de son pays à l’Otan.

Post de Donad Trump sur Truth Social, le 18 août 2025, où il affirme que Zelensky peut rapidement mettre fin à la guerre, mais en renonçant à la Crimée (dont Trump attribue la perte à Barack Obama) et à la perspective d’une adhésion à l’Otan.

Cette idée ainsi que d’autres suggestions similaires relatives à des « échanges de territoires » entre la Russie et l’Ukraine ont déjà été catégoriquement rejetées par le président ukrainien.

Il est important de noter que la position de Kiev a été pleinement soutenue par les alliés européens de l’Ukraine. Les dirigeants de la « coalition des volontaires » avaient publié, dès le 16 août, une déclaration commune soulignant que « c’est à l’Ukraine qu’il appartiendra de prendre des décisions concernant son territoire ».

En revanche, leur déclaration était plus ambiguë en ce qui concerne l’adhésion à l’Otan. Sur ce sujet, les dirigeants européens ont, certes, affirmé que « la Russie ne peut avoir de droit de veto sur le chemin de l’Ukraine vers l’Union européenne et l’Otan » ; mais la coalition a aussi réaffirmé son engagement à « jouer un rôle actif » dans la garantie de la sécurité future de l’Ukraine, ce qui a ouvert la voie à Trump pour offrir à Kiev des « protections similaires à celles prévues par l’article 5 » du traité de l’Alliance atlantique contre toute future agression russe et de lui promettre « une aide considérable en matière de sécurité ». L’article 5 affirme qu’une attaque contre un membre est une attaque contre tous et engage l’alliance à assurer une défense collective.

Durant la rencontre télévisée entre Trump et ses visiteurs, organisée avant une autre réunion, à huis clos cette fois, il a été question d’un accord par lequel l’Ukraine accepterait certaines concessions territoriales en contrepartie de la paix et de garanties communes fournies par les États-Unis et les Européens. De différentes façons, chacun des invités européens a reconnu les efforts réalisés par Trump en vue d’un règlement et tous ont souligné l’importance d’une approche commune à l’égard de la Russie afin de garantir que tout accord aboutisse à une paix juste et durable.

Signe que ses invités n’étaient pas disposés à accepter sans broncher les termes de l’accord qu’il avait ramené de sa rencontre avec Poutine en Alaska, le président des États-Unis a alors interrompu la réunion pour appeler son homologue russe. Les signaux en provenance de Russie étaient loin d’être prometteurs, Moscou rejetant tout déploiement de troupes de l’Otan en Ukraine et accusant spécifiquement le Royaume-Uni de chercher à saper les efforts de paix mis en œuvre par les États-Unis et par la Russie.

La paix reste difficile à atteindre

À l’issue de la réunion, lorsque les différents dirigeants ont présenté leurs interprétations respectives de ce qui avait été convenu, deux conclusions se sont imposées.

Premièrement, la partie ukrainienne n’a pas cédé à la pression des États-Unis et les dirigeants européens, tout en s’efforçant de flatter Trump, avaient également campé sur leurs positions. Il est important de noter que Trump ne s’était pas retiré du processus pour autant et semblait au contraire vouloir continuer d’y participer.

Deuxièmement, la Russie n’a pas cédé de terrain non plus. La prochaine étape devrait être une entrevue Poutine-Zelensky, mais le flou plane encore sur ce projet, aussi bien en ce qui concerne le lieu que la date. Cette rencontre devra être suivie, selon Trump, par une réunion à trois entre Zelensky, Poutine et lui-même.

Un processus de paix – si l’on peut l’appeler ainsi – est donc, en quelque sorte, à l’œuvre ; mais on est encore très loin d’un véritable accord de paix. Peu de choses ont été dites à la suite de la réunion à la Maison Blanche sur les questions territoriales. Les pressions à exercer sur la Russie n’ont été évoquées que brièvement dans les commentaires des dirigeants européens, dont l’ambition de s’impliquer officiellement dans les négociations de paix continue à ce stade de relever de la chimère. Et malgré l’optimisme initial concernant les garanties de sécurité, aucun engagement ferme n’a été pris, Zelensky se contentant de prendre note du « signal important envoyé par les États-Unis concernant leur volonté de soutenir et de participer à ces garanties ».

La paix en Ukraine reste donc, pour l’instant, hors de portée. Le seul succès tangible de la récente séquence politique est que le processus envisagé par Trump pour parvenir à un accord de paix n’a pas complètement échoué. Mais ce processus est extrêmement lent et, pendant ce temps, la machine de guerre russe déployée contre l’Ukraine continue de progresser.

En fin de compte, les discussions du 18 août n’ont pas changé grand-chose. Elles ont simplement confirmé que Poutine continue de gagner du temps, que Trump n’est pas disposé à exercer de réelles pressions sur lui et que l’Ukraine et l’Europe n’ont aucun moyen de pression efficace sur l’une ou l’autre des parties.

Trump a déclaré avec assurance avant sa réunion avec Zelensky et les dirigeants européens qu’il savait exactement ce qu’il faisait. C’est peut-être vrai, mais cela ne semble guère suffire à aboutir à une paix durable au vu de la posture inflexible de son homologue russe.

The Conversation

Stefan Wolff a reçu par le passé des financements du Conseil britannique de recherche sur l’environnement naturel, de l’Institut américain pour la paix, du Conseil britannique de recherche économique et sociale, de la British Academy, du programme « Science pour la paix » de l’OTAN, des programmes-cadres 6 et 7 de l’UE et Horizon 2020, ainsi que du programme Jean Monnet de l’UE. Il est administrateur et trésorier honoraire de l’Association britannique d’études politiques et chercheur senior au Foreign Policy Centre de Londres.

ref. Derrière l’unité transatlantique affichée à la Maison Blanche, l’absence de progrès vers une paix juste en Ukraine – https://theconversation.com/derriere-lunite-transatlantique-affichee-a-la-maison-blanche-labsence-de-progres-vers-une-paix-juste-en-ukraine-263551

Reconnecter l’agriculture et l’élevage est nécessaire, mais l’effet rebond peut annuler les bénéfices espérés

Source: The Conversation – France (in French) – By Julia Jouan, Enseignante-chercheuse en économie agricole, UniLaSalle

La reconnexion des cultures et de l’élevage entre exploitations agricoles est prometteuse pour rendre l’agriculture plus durable. Néanmoins, un effet contre-productif peut apparaître et contrebalancer les bénéfices environnementaux attendus, à cause de l’intensification de la production agricole.


Depuis le milieu du XXe siècle, l’agriculture française tend à se spécialiser, avec une déconnexion entre les productions végétales et animales. Ce phénomène a d’abord été observé à l’échelle des exploitations agricoles, quand certaines d’entre elles se sont spécialisées soit en cultures, soit en élevage afin de bénéficier d’économies d’échelle importantes.

Mais cette spécialisation a aussi eu lieu à l’échelle de régions entières qui se sont spécialisées soit en grandes cultures, comme la région céréalière de la Beauce, soit en élevage, comme la Bretagne. Néanmoins, depuis les années 2000, les impacts négatifs sur l’environnement de cette évolution a remis en question la spécialisation de l’agriculture.

En effet, celle-ci va de pair avec son industrialisation, dont les conséquences sur l’environnement sont largement reconnues : pollution de l’eau, dégradation des sols, réduction de la biodiversité, émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, la plupart des avantages économiques et environnementaux des agroécosystèmes diversifiés sont perdus lors de la spécialisation.

Les conséquences de la spécialisation de l’agriculture

Un des principaux écueils de la déconnexion entre cultures et élevages est la gestion de l’azote, alors même que l’azote est un élément indispensable à la croissance et au développement des plantes. Lorsque l’agriculture et l’élevage étaient couplés, les apports en azote des cultures étaient majoritairement apportés par les effluents d’élevage (fumier, lisier), riches en cet élément.

Avec la spécialisation de l’agriculture, les exploitations et régions spécialisées en grandes cultures souffrent d’un déficit en azote, qui est généralement compensé par des achats massifs d’engrais synthétiques. Au contraire, les exploitations et les régions spécialisées en élevage sont caractérisées par un excès d’azote issu des effluents d’élevage qui sont présents en quantités très importantes. Cet excédent est tel qu’une partie de l’azote se perd dans l’environnement et cause des pollutions importantes, comme celle des algues vertes en Bretagne.

Par ailleurs, la question de l’azote s’étend aussi à celle des protéines dans l’alimentation animale, car le constituant principal des protéines est l’azote. Les exploitations et les régions spécialisées en élevage ne produisant pas suffisamment d’aliments pour couvrir les besoins des animaux, elles doivent en acheter. C’est notamment le cas du tourteau de soja majoritairement importé du Brésil, ce qui peut conduire au phénomène de déforestation importée.

« Comment nourrir la France de 2050 sans engrais chimiques ? », Le Monde.

Les échanges entre exploitations, ou comment coopérer pour une agriculture plus durable

Une solution de plus en plus souvent avancée pour faire face à ce déséquilibre dans la gestion de l’azote consiste à valoriser les liens culture-élevage, non pas à l’intérieur des exploitations agricoles, mais entre les exploitations d’une même région : les exploitations de grandes cultures pourraient ainsi vendre des aliments riches en protéines aux exploitations d’élevage, qui pourraient utiliser ces cultures pour nourrir les animaux.

En contrepartie, les exploitations d’élevage pourraient exporter des effluents vers des exploitations de grandes cultures qui manquent d’azote pour fertiliser leurs cultures. Cet exemple d’économie circulaire semble n’avoir que des bénéfices sur le papier, mais qu’en est-il réellement ? Notre article montre que les échanges entre exploitations ne sont pas toujours aussi vertueux, du fait de l’apparition d’effets rebonds.

Effet rebond : de quoi parle-t-on ?

Un effet de rebond apparaît lorsque des gains d’efficacité permettant d’obtenir un même produit ou service à moindre coût, entraînent en « rebond » une augmentation de la consommation de ce bien ou service, ce qui finit par annuler une partie des bénéfices environnementaux initialement réalisés. Dans certains cas extrême, l’effet rebond peut entraîner un effet « retour de flamme » lorsque l’augmentation de la consommation compense complètement les bénéfices initiaux.

William Stanley Jevons, l’économiste anglais auteur de La Question du charbon et théoricien de l’effet rebond
William Stanley Jevons (1835-1882), l’économiste britannique auteur de la Question du charbon (1865) et théoricien de l’effet rebond.

L’effet de rebond a été décrit pour la première fois sous le nom de « paradoxe de Jevons » pendant la révolution industrielle et a ensuite été souvent observé dans de nombreuses problématiques relatives à l’énergie. Un exemple typique d’effet rebond apparaît lorsqu’on utilise plus souvent sa voiture parce qu’elle consomme moins de carburant ou lorsqu’on chauffe plus fortement son logement après avoir installé un système de chauffage performant.

Dans ces deux exemples, l’économie d’énergie, donc la réduction de la pollution initialement prévue, est amoindrie par l’augmentation de la consommation. En agriculture, l’effet rebond a été peu documenté, et d’autant moins lorsque les gains d’efficacité résultent des échanges entre exploitations, comme c’est le cas pour notre étude.

Effets rebond et « retours de flamme » dans certaines exploitations qui coopèrent

À travers notre étude, nous voulions comprendre si l’échange d’effluents ou d’aliments entre exploitations pouvait donner lieu à un effet rebond et donc limiter les bénéfices environnementaux d’une telle coopération.

Pour cela, nous avons réalisé une enquête auprès de 18 exploitations agricoles situées dans la région de Saragosse en Espagne : la moitié des exploitations est spécialisée en grande culture et l’autre moitié en élevage. Parmi ces 18 exploitations, certaines échangent des effluents ou des aliments tandis que d’autres ne le font pas. Nous avons ensuite calculé deux indicateurs de l’effet rebond de l’azote : l’un pour les exploitations de grandes cultures pour découvrir si les échanges permettent de consommer moins d’engrais synthétiques et l’autre pour les exploitations d’élevage pour découvrir si les échanges permettent de limiter les risques de fuites d’azote dans l’environnement.

L’analyse des résultats montre que seulement une exploitation de grande culture sur quatre utilise moins d’engrais synthétiques grâce à l’échange d’effluents. Les trois autres connaissent, non pas un effet rebond, mais un effet « retour de flamme ». Elles utilisent bien des effluents, mais continuent aussi d’appliquer des engrais synthétiques. Peut-être les agriculteurs craignent-ils que les effluents seuls n’apportent pas assez d’azote aux cultures ? Ils continueraient alors d’utiliser des engrais synthétiques pour s’assurer d’obtenir de bons rendements.

Dans les exploitations d’élevage étudiées, deux exploitations sur les cinq qui échangent des effluents ont des pertes d’azote plus faibles que celles qui n’en échangent pas. Les trois autres exploitations subissent un effet rebond (pour l’une d’entre elles), voire un effet « retour de flamme » (pour deux d’entre elles). Comment cela s’explique-t-il ?

En exportant des effluents vers d’autres exploitations, ces fermes se sont libérées d’une contrainte réglementaire qui limite le nombre d’animaux par hectare afin de pouvoir gérer leurs effluents correctement. Sans cette contrainte, elles peuvent élever plus d’animaux, augmentant par la même occasion leurs achats d’aliments, ce qui augmente le risque de pertes azotées.

À travers notre étude, nous montrons qu’il est important de questionner les potentiels effets rebond en agriculture, car, c’est un sujet trop souvent oublié lorsqu’on promeut des nouvelles pratiques qui sont a priori bénéfiques pour l’environnement. En effet, dans notre étude, des effets rebond sont parfois apparus lorsque les grandes cultures et l’élevage étaient reconnectés grâce à des échanges entre fermes.

Autrement dit, la coopération entre les fermes spécialisées n’amène pas forcément des économies d’azote et donc des bénéfices environnementaux. Néanmoins, cette coopération reste une piste prometteuse pour diminuer les impacts négatifs de l’agriculture, tout en profitant des avantages de la spécialisation agricole, à condition de faire en sorte d’éviter les effets rebond.

Pour cela, des mesures plus ambitieuses sur la taille des troupeaux ou sur la gestion de l’azote devraient être mises en place afin d’éviter une intensification de la production agricole. Le Danemark a récemment pris cette direction en proposant aux agriculteurs l’équivalent de 100 dollars par tonne pour qu’ils réduisent les émissions de gaz à effet de serre provenant de la fertilisation azotée.

The Conversation

Ce travail de recherche a bénéficié de financements du projet Cantogether, EU 7th Framework Programme Grant agreement no. FP7-289328

Ce travail de recherche a bénéficié de financements du projet Cantogether, EU 7th Framework Programme Grant agreement no. FP7-289328

ref. Reconnecter l’agriculture et l’élevage est nécessaire, mais l’effet rebond peut annuler les bénéfices espérés – https://theconversation.com/reconnecter-lagriculture-et-lelevage-est-necessaire-mais-leffet-rebond-peut-annuler-les-benefices-esperes-242940