Quand l’excès de positivité dans les pratiques des entreprises peut nuire à la santé

Source: The Conversation – in French – By Sarah Benmoyal Bouzaglo, Professeure des Universités, Université Paris Cité

Évoquer en réunion les aspects positifs d’un projet en omettant les contraintes rencontrées, nier des difficultés réelles vécues par des consommateurs en survalorisant les bénéfices d’un produit dans une publicité ou encore un post sur les réseaux sociaux… tout cela peut mener à la « positivité toxique ». Décryptage.


Des slogans tels qu’« Avec Carrefour, je positive » (1988), « J’optimisme » (2015) ou « L’énergie positive commence ici », en 2022 pour Belvita, illustrent la faveur généralement donnée à la positivité dans les pratiques des entreprises.

Parallèlement, celles-ci accordent aussi une place croissante au management bienveillant et au leadership positif, fondés sur une communication orientée vers les solutions plutôt que sur la critique et la mise en avant de valeurs positives. Mais cette emphase mise sur le discours positif – en interne (ressources humaines, communication, management) comme en externe (marketing off-line et digital) – pourrait finalement s’avérer contre-productive…

Comment la positivité est-elle devenue une injonction sociale ? Que signifie la « positivité toxique » et quels sont ses effets potentiels ? Dans quelles dimensions des pratiques des entreprises la positivité toxique peut-elle se manifester, et comment la contrecarrer ? Nous avons réalisé une recherche publiée dans Gérer & Comprendre qui permet de poser les premières pierres d’une réflexion sur le sujet, encore peu étudié en sciences de gestion et management.

L’injonction sociale à la positivité

L’avènement de la psychologie positive au début des années 2000 a mis en lumière les bénéfices potentiels de la pensée et des comportements positifs sur des aspects tels que le bien-être, la résilience ou la confiance en soi. Cette dynamique a été amplifiée par la multiplication d’ouvrages de développement personnel, de pratiques bien-être (yoga, méditation…) et de coachs spécialisés. Mais, à force d’être survalorisée, la positivité est devenue une norme sociale, pouvant mener à une « tyrannie de l’attitude positive ».

Les réseaux sociaux ont joué un rôle d’amplificateur. Lors de la crise sanitaire du Covid-19, de nombreux internautes se sont affichés, sur les réseaux sociaux, heureux de profiter du confinement pour se recentrer sur eux-mêmes, sur leur famille ou pour découvrir de nouvelles activités. Tandis que d’autres vivaient cette période dans de grandes difficultés (deuils, violences intrafamiliales, difficultés financières, isolement…) et pouvaient percevoir ce contenu positif diffusé en ligne comme excessif. Rien d’étonnant, alors, si la recherche sur la positivité toxique s’est particulièrement développée à cette époque.

À l’instar de la méthode d’autosuggestion consciente d’Émile Coué, consistant à se répéter que l’on va de mieux en mieux chaque jour, il est d’ailleurs possible d’exercer la positivité toxique sur soi-même.

Positif et toxique malgré soi

Avez-vous déjà dit ou entendu dire : « Rien n’arrive par hasard », « Ce qui ne tue pas rend plus fort », « Le temps guérit toutes les blessures », « Regarde le bon côté des choses » ? Si oui, vous avez déjà été, même involontairement, transmetteur et/ou récepteur de phrases qui peuvent susciter de la positivité toxique.

Rahman Pranovri Putra et ses collègues (2023) ont défini la positivité toxique comme

« [une]croyance en des concepts positifs excessifs, exigeant d’une personne qu’elle soit toujours positive en toutes circonstances et dans toutes les situations, et qu’elle ignore les émotions négatives ».




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Cette pression à rester positif peut conduire les individus à réprimer leurs émotions négatives les empêchant d’affronter la réalité d’une expérience difficile. Ils risquent ainsi de développer une détresse psychologique et de voir leur bien-être diminuer. Ils peuvent aussi renoncer à adopter des stratégies adaptées pour faire face à une situation difficile. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une personne ne dénonce pas un harcèlement moral parce qu’on l’encourage à se concentrer sur les aspects positifs de ses conditions de travail – comme un bon salaire, des collègues agréables ou des missions stimulantes. Cette positivité imposée peut également entraîner des symptômes physiques, tels que des sensations d’essoufflement.

Des effets néfastes à anticiper et à endiguer

Dans le monde professionnel, plusieurs pratiques peuvent particulièrement relayer cette injonction à la positivité : certaines actions marketing, comme la publicité – en particulier sur les réseaux sociaux, via les posts d’une entreprise ou de ses créateurs de contenus en partenariat, la communication interne, la politique RH et le management d’équipe. Les études sur la positivité toxique dans les pratiques des entreprises en sont à leurs débuts, mais on en saisit déjà les effets néfastes pouvant aller jusqu’à nuire à la santé mentale et au bien-être des individus.

Les entreprises ont donc intérêt à identifier leur propre « territoire de positivité toxique », c’est-à-dire les discours positifs qui pourraient être perçus comme excessifs et qui masquent potentiellement des aspects négatifs. Cela suppose d’abord de repérer ce type de discours en interne (par exemple, dans la politique RH, la communication interne ou le management) comme en externe (par exemple, dans le marketing ou via la marque employeur). Une fois cela fait, il faudra œuvrer pour y introduire des nuances : des propos plus neutres, voire négatifs, exprimant davantage les difficultés, incertitudes ou contraintes.

Afin d’assurer une cohérence globale, il convient aussi de former les responsables RH, communication et marketing, ainsi que tous les managers à repérer et éviter l’usage excessif de la positivité dans leurs pratiques. En somme, la positivité reste un idéal légitime dans le monde des entreprises, tant qu’elle n’évince pas la réalité vécue par les individus.

The Conversation

Sarah Benmoyal Bouzaglo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quand l’excès de positivité dans les pratiques des entreprises peut nuire à la santé – https://theconversation.com/quand-lexces-de-positivite-dans-les-pratiques-des-entreprises-peut-nuire-a-la-sante-260361

Quelles qualités devrait posséder un bon patron ?

Source: The Conversation – in French – By Michel Ruimy, Professeur affilié, ESCP Business School

La figure du dirigeant d’entreprise est parfois louée, d’autres fois décriée. Mais que serait un « bon patron » ou une « bonne patronne » ? Cela peut-il vraiment exister dans une économie financiarisée ?


La figure du « bon patron » (ou de la « bonne patronne ») est au cœur des dynamiques économiques, sociales et culturelles des entreprises. Si le terme reste largement subjectif, la question est plus actuelle que jamais. Derrière cette notion se cachent des conceptions parfois opposées, voire conflictuelles.

Il ne s’agit plus seulement d’un chef d’entreprise efficace, mais d’un leader complet, qui doit avoir des qualités de gouvernance, de performance et d’éthique, évaluées selon différents prismes, notamment économique, financier, social et sociologique.

Efficacité économique

D’un point de vue économique, un « bon patron » est celui qui assure la pérennité et la croissance de l’entreprise. Il est d’abord celui qui sait où va l’entreprise, et comment s’y rendre. Il ne se contente pas d’exécuter un plan à court terme, mais il projette l’entreprise dans l’avenir, en combinant vision stratégique, innovation et résilience ou adaptation au marché.

Dès le début du XXe siècle, Joseph Schumpeter insistait sur le rôle de l’entrepreneur comme agent du changement, capable de « destruction créatrice » pour faire émerger de nouvelles formes d’organisation plus efficaces. Un « bon patron » sait anticiper les mutations économiques et repositionner son entreprise.




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À cet égard, Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, a tenté d’incarner une « gouvernance durable », conciliant croissance et engagement social. Sous son mandat, Danone a été l’une des premières multinationales à adopter le statut d’« entreprise à mission » (loi Pacte.), 2019). Louable sur le papier, son approche n’a pourtant pas résisté aux pressions des actionnaires. Ironie : il a été évincé au nom… de la rentabilité.

Peut-on vraiment être un « bon patron socialement responsable » dans une économie capitaliste qui reste, fondamentalement, obsédée par le profit immédiat ?

Contrainte financière

Être un « bon patron », c’est aussi faire de bons comptes.

Sur le plan financier, le « bon patron » devrait être, à la fois, un gestionnaire rigoureux et un stratège à long terme. Il maîtrise les équilibres budgétaires, la rentabilité des capitaux investis et la création de valeur pour les actionnaires… tout en refusant une logique de court terme. Le modèle de la « création de valeur partagée », défendu par Michael Porter, s’éloigne du seul rendement actionnarial pour inclure les parties prenantes. Un « bon patron » ne devrait pas sacrifier l’investissement à long terme sur l’autel des résultats trimestriels.

Ainsi, Satya Nadella, PDG de Microsoft depuis 2014, a opéré une transformation radicale de l’entreprise en investissant très tôt et massivement dans le cloud (Azure), en dépit de fortes dépenses initiales. Pari risqué, mais payant. Cette stratégie a restauré la croissance et la valorisation de l’entreprise à long terme.

En France, Carlos Tavares, patron de Stellantis (ex-PSA), a redressé financièrement le groupe avec une discipline de gestion extrême, tout en misant sur l’électrification, devenant l’un des leaders du secteur automobile européen. Pour autant, faut-il admirer des stratégies fondées sur des plans sociaux massifs, comme ceux qu’a orchestrés Stellantis – parfois à peine dissimulés derrière l’innovation technologique ?

Un rôle social ?

Sur le plan social, le « bon patron » est supposé être un leader humain, attentif et équitable, capable de motiver ses équipes (Maslow, Herzberg, de garantir un climat de travail sain et de donner du sens au travail. La crise de la Covid-19 a renforcé cette exigence de proximité et d’écoute. Le « bon patron » est désormais aussi un « leader serviteur », plaçant les collaborateurs au cœur de sa démarche. Il doit ainsi conjuguer exigence de performance et qualité de vie au travail.

À ce titre, Jean-Dominique Senard, ex-patron de Michelin puis président de Renault, a été salué pour son approche sociale du management, avec un dialogue social fort, des investissements dans la formation et l’intéressement des salariés aux résultats. En revanche, des figures comme Elon Musk, bien que visionnaires, sont critiquées pour leur management parfois brutal (licenciements massifs, exigences extrêmes, ruptures sociales), soulevant la question : Peut-on être un « bon patron » sans être un bon manager humain ?

Cette « tolérance au génie toxique » est-elle le prix à payer pour l’innovation ?

Entre charisme et capital symbolique

Au-delà de la performance, le « bon patron » est aussi un symbole. Il tire sa légitimité de son autorité symbolique (Max Weber), fondée sur sa capacité à incarner des valeurs, à mobiliser une communauté autour d’un projet collectif. Il a la compétence (capital culturel), la richesse (capital économique) et les réseaux (capital social), comme l’analysent Max Weber ou Pierre Bourdieu

Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege), 2021.

Leader charismatique quand il inspire confiance et sens, le « bon patron » agit dans un espace public où sa posture est scrutée. Il est à l’aise dans l’arène médiatique et politique. Michel Crozier, sociologue des organisations, montre que les patrons efficaces savent naviguer dans des zones d’incertitude et créer des alliances internes. Loin du mythe du patron omniscient, un « bon patron » est souvent un fin négociateur politique.

Être un « bon patron » en 2025, c’est réussir un équilibre multidimensionnel combinant vision économique, rigueur financière, responsabilité sociale et légitimité symbolique. Il n’est ni un simple gestionnaire ni un gourou. C’est un stratège éthique, capable de créer de la valeur pour tous, sur le long terme.

Dans un monde en mutation (transition écologique, intelligence artificielle, pressions ESG), le « bon patron » de demain devra être probablement inclusif, résilient et engagé, autant soucieux des résultats que du sens donné à l’action collective. Mais cette image idéale se heurte à une réalité bien plus conflictuelle. Le patron modèle, capable de plaire aux actionnaires, aux salariés, aux citoyens et à la planète… existe-t-il vraiment ? ou est-il un mythe rassurant dans un capitalisme en quête de légitimation ?

The Conversation

Michel Ruimy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quelles qualités devrait posséder un bon patron ? – https://theconversation.com/quelles-qualites-devrait-posseder-un-bon-patron-260966

Femmes et finance : déconstruire les stéréotypes pour faire progresser l’égalité

Source: The Conversation – in French – By Gunther Capelle-Blancard, Professeur d’économie (Centre d’Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le secteur de la finance s’est largement féminisé. Mais, à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, les hommes continuent d’être majoritaires. Ces inégalités prennent naissance dans des préjugés – parfois dès le foyer. Est-il possible de les combattre efficacement ? Comment ?


Longtemps, la finance a été considérée comme un bastion masculin. Et si les temps changent, les représentations peinent à évoluer. Golden boys, traders arrogants, dirigeants technocrates : les figures dominantes de l’imaginaire financier restent quasi exclusivement masculines. Or, dans la réalité, la majorité des salariés du secteur bancaire sont… des femmes ! Mais cette majorité est trompeuse. À mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie ou que les postes deviennent plus rémunérateurs et stratégiques, leur part décroît nettement. Aucune femme, à ce jour, n’a dirigé de grande banque française.

Dans un contexte où des voix conservatrices s’élèvent, notamment aux États-Unis, contre les politiques de diversité sur fond de croisade antiwokisme, il importe de continuer à documenter, interroger et à comprendre les mécanismes comportementaux, culturels et institutionnels complexes qui façonnent les trajectoires socioéconomiques et, partant, les inégalités de genre.

Des différences souvent mal comprises

Les différences d’attitudes, de préférences et de valeurs entre les femmes et les hommes sont largement exagérées. Il serait temps d’en finir avec cette fable selon laquelle les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus. Qu’il s’agisse de leur rapport à l’argent, de leur goût pour le risque et la compétition ou de leur volonté de pouvoir, les différences entre hommes et femmes sont souvent faibles, variables et fortement contextuelles. Et surtout, elles sont socialement construites.

Ces différences sont amplifiées par la prégnance de stéréotypes qui finissent par être intégrés, tant par les femmes que par les hommes. Il en résulte des inégalités persistantes au détriment des femmes en matière d’épargne, d’accès aux crédits et de participation sur les marchés boursiers. Les femmes pâtissent aussi lourdement des préjugés dans leur carrière et sont peu nombreuses à occuper les postes les plus prestigieux et les plus rémunérateurs. Et lorsque les femmes finissent par briser ce « plafond de verre », c’est souvent en adoptant des « codes réputés masculins » (en matière de prise de risque, par exemple) – ce qui remet d’ailleurs en cause certains récits sans doute trop simplistes autour des effets vertueux d’une féminisation des instances financières.




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Des stéréotypes qui viennent du foyer

Ces différences se nourrissent des préjugés qui prennent naissance dans les foyers. Ainsi, pendant longtemps, c’est le mari qui s’occupait de gérer le budget du ménage. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les enquêtes montrent au contraire que ce rôle est désormais dévolu majoritairement aux épouses. On en sait toutefois peu sur la gestion de l’argent au sein des couples.

À partir d’une base de données issue d’une banque française regroupant plus de 7 000 couples, on peut analyser la manière dont chacun des partenaires s’auto-évalue en matière de connaissances financières. Fait marquant, un biais de genre est observé dans la perception de ses propres compétences financières puisque la recherche montre que les femmes se sous-estiment plus souvent que les hommes. Pourtant, lorsque les conjoints sont présents ensemble au moment de l’évaluation, l’écart tend à se réduire de 18,7 %.

Ce phénomène suggère que la dynamique du couple peut atténuer ou renforcer les biais de genre. Et plus les couples sont engagés financièrement (épargne, investissement), plus l’écart de confiance tend à s’accentuer au détriment des femmes. Ces écarts ne sont pas anodins : ils conditionnent les prises de décision et les arbitrages patrimoniaux, et il peuvent renforcer les déséquilibres au sein du couple.

Une loi pour quels résultats ?

La finance, ce n’est pas que la gestion des comptes et du budget au sein des ménages. C’est aussi (et surtout) un secteur économique structurant, où les postes les plus stratégiques sont encore largement occupés par des hommes.

En France, la loi Copé-Zimmermann (2011) a imposé un quota de femmes dans les conseils d’administration, dans et hors du secteur financier, suivie plus récemment par la loi Rixain (2021) sur les comités exécutifs. Ces dispositifs ont eu des effets réels. Les conseils d’administration sont, à l’heure actuelle, à quasi-parité en matière de genre et la France est le leader en la matière. Il apparaît, en outre, aujourd’hui, que la loi de 2011 a eu un effet sur la performance extrafinancière des entreprises, qui s’expliquerait par la montée en puissance de femmes ayant eu des parcours professionnels souvent en prise avec les enjeux environnementaux et sociaux.

Si les quotas garantissent donc en général une quasi-parité dans les conseils d’administration (en termes de sièges), ils n’épuisent cependant pas la question des inégalités de genre à la tête des grandes entreprises. En particulier, la hiérarchie au sein même des conseils (présidences, comités stratégiques, etc.) reste très genrée et reproduit les stéréotypes conventionnels, les femmes accédant moins souvent aux fonctions les plus influentes.

Interroger les règles du jeu

Finalement, les inégalités observées ne traduisent pas des différences innées de compétences ou d’appétence pour la finance, mais bien des différences de socialisation, d’éducation et, consécutivement, de trajectoires. Les travaux issus de la recherche expérimentale et des enquêtes institutionnelles convergent : les écarts existent, mais ils sont amplifiés par les structures et les normes sociales. En d’autres termes, il ne suffit pas d’ouvrir les portes de la finance aux femmes. Il faut aussi interroger les règles du jeu, les modèles dominants, et les représentations qui pèsent sur les parcours.

Ainsi, et par exemple, il apparaît clairement aujourd’hui que les quotas à la tête des entreprises, pour importants qu’ils soient, ne suffiront pas à résorber les inégalités de genre aux niveaux inférieurs, à tous niveaux de qualification : le rôle et la prégnance des stéréotypes indiquent que la clé est dans une dynamique bottom up (plus que top down), conduisant les femmes à se projeter pleinement dans l’univers de la finance et des postes à responsabilités, et les hommes à se départir de leurs croyances en la matière. Bref, c’est à la base qu’il faut maintenant agir : dans les écoles, dans les familles, dans les institutions.


Les auteurs de cet article ont supervisé le numéro de la Revue d’économie financière d’avril 2025, « Femmes et finance ».

The Conversation

Antoine Rebérioux a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).

Gunther Capelle-Blancard et Marie-Hélène Broihanne ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Femmes et finance : déconstruire les stéréotypes pour faire progresser l’égalité – https://theconversation.com/femmes-et-finance-deconstruire-les-stereotypes-pour-faire-progresser-legalite-257589

4 conseils d’un spécialiste pour garder votre cœur en pleine forme

Source: The Conversation – in French – By Lynn Smith, Senior Lecturer in Biokinetics and Head of Department of Sport and Movement Studies, University of Johannesburg

Le cœur humain est un organe extraordinaire. De la taille d’un poing, il travaille sans relâche pour pomper plus de 7 500 litres de sang par jour. Il achemine l’oxygène et les nutriments vers toutes les parties du corps tout en éliminant les déchets, en régulant la température corporelle et en préservant la santé des organes et des tissus.

Mais le cœur reste vulnérable. Les maladies cardiovasculaires demeurent la première cause de mortalité dans le monde, responsables de près d’un tiers des décès. Les décès liés aux maladies cardiovasculaires contribuent à 38 % de tous les décès dus aux maladies non transmissibles en Afrique. En Afrique du Sud, les maladies cardiovasculaires sont responsables de près d’un décès sur six, soit environ 215 décès par jour.

Ces chiffres montrent à quel point le cœur est au centre des enjeux de santé publique.

La santé cardiaque est affectée par des facteurs tels que la sédentarité, une alimentation malsaine et le stress chronique.

C’est là que la biokinétique joue un rôle crucial. La biokinétique utilise les principes de la science du mouvement dans les soins de santé préventifs et de réadaptation. Les biokinétiques procèdent à des évaluations complètes afin d’élaborer des programmes d’exercices personnalisés et fondés sur des preuves scientifiques. L’objectif est d’optimiser la capacité fonctionnelle et d’améliorer la force musculo-squelettique ainsi que la santé physiologique globale.

Pour les biokinétiques, l’exercice physique est un remède. Ils travaillent en étroite collaboration avec leurs patients afin de concevoir des protocoles d’exercices sur mesure, sûrs et adaptés sur le plan clinique.

En quoi cela est-il bénéfique pour votre cœur ?

Des études montrent que la pratique régulière d’une activité physique peut réduire la tension artérielle, améliorer le taux de cholestérol, réguler la glycémie et aider le cœur à fonctionner plus efficacement. En tant que biokineticien agréé et universitaire, je me spécialise dans la gestion et la rééducation des maladies chroniques, en particulier cardiovasculaires, grâce à l’exercice physique.

J’ai publié des travaux sur la nutrition, la réadaptation cardiaque et la qualité de vie ainsi que les risques cardiovasculaires chez les patients ayant subi un pontage coronarien.

La prévalence croissante des maladies cardiovasculaires est largement due à la sédentarité, à une mauvaise alimentation et au stress. Face à cette réalité, je propose, en tant que biokineticien, quatre mesures pour prendre soin de votre cœur.

Il est important de pratiquer une activité physique structurée

Réservez du temps pour faire de l’exercice physique de manière ciblée, et ne vous contentez pas des petits gestes du quotidien.

Si les mouvements de base tels que marcher dans les centres commerciaux ou prendre les escaliers sont bénéfiques, l’exercice structuré offre de plus grands avantages cardiovasculaires. Les directives actuelles recommandent au moins 150 minutes d’activité aérobique d’intensité modérée par semaine. Il peut s’agir de marche rapide, de vélo ou de danse.

Si le manque de temps est un obstacle, envisagez de diviser votre exercice structuré en séances plus courtes. Par exemple, trois séances de 10 minutes par jour.

En outre, des activités de renforcement musculaire, telles que les squats et les pompes contre un mur, doivent être pratiquées au moins deux jours par semaine. Elles améliorent la santé métabolique et réduisent les risques cardiovasculaires.

Un biokineticien peut évaluer votre profil de risque individuel et vous prescrire des exercices personnalisés qui améliorent en toute sécurité votre capacité cardiorespiratoire, réduisent votre tension artérielle et favorisent la récupération de votre fréquence cardiaque.

Prenez les devants face aux symptômes et surveillez vos paramètres vitaux

De nombreuses maladies cardiovasculaires se développent silencieusement. L’hypertension artérielle, l’hyperglycémie et l’hypercholestérolémie passent souvent inaperçues jusqu’à ce qu’un événement grave, comme une crise cardiaque, survienne.

Des recherches montrent qu’un adulte sur trois en Afrique du Sud souffre d’hypertension artérielle. Pourtant, beaucoup ne sont ni diagnostiqués ni traités.

Idéalement, toutes les personnes âgées de plus de 35 ans, en particulier celles ayant des antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires, devraient subir un bilan de santé annuel. Elles devraient s’en servir pour orienter leurs interventions en matière de mode de vie.

Brisez le cycle de la sédentarité : bougez, renforcez vos muscles et étirez-vous

La vie moderne nous incite à passer de longues heures assis à un bureau, dans une voiture ou devant un écran. La sédentarité prolongée est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires et de mortalité toutes causes confondues.

Les bureaux debout et les pauses actives sont utiles. Mais la posture, la mobilité articulaire et la fonction musculaire doivent également être prises en compte. Des étirements réguliers, des exercices de résistance et des exercices d’équilibre favorisent la santé musculo-squelettique et réduisent le risque de blessures ou de complications liées à l’inactivité.

Combattez le stress pas à pas

Le stress chronique contribue à l’inflammation, à l’hypertension et à des comportements malsains. Tous ces facteurs augmentent le risque de maladies cardiovasculaires.

Si la méditation et le soutien psychologique sont des outils essentiels, l’exercice physique est un puissant régulateur du stress, favorisant la libération d’endorphines et améliorant l’humeur, le sommeil et la résilience émotionnelle. Les endorphines sont des substances chimiques naturelles produites par l’organisme qui réduisent la douleur et favorisent les sentiments de bonheur, de plaisir et de satisfaction, améliorant ainsi le bien-être.

Des recherches confirment l’efficacité de l’entraînement aérobique et de la musculation pour réduire les symptômes dépressifs, diminuer l’anxiété et améliorer le bien-être psychologique. En tant que biokineticien, je constate souvent à quel point la pratique régulière d’une activité physique aide mes clients à retrouver le contrôle de leur corps et leur santé émotionnelle.

L’essentiel à retenir

Protéger le cœur ne consiste pas seulement à gérer la maladie, mais aussi à la prévenir. N’attendez pas qu’un accident cardiaque se produise pour agir. Demandez de l’aide pour évaluer vos risques, prenez votre santé en main et mettez en œuvre des stratégies basées sur l’activité physique qui améliorent la durée et la qualité de vie.

Face à l’augmentation des taux de maladies cardiovasculaires, le message reste clair : bougez, connaissez vos risques, gérez votre stress et demandez conseil dès que possible. Votre cœur vous en remerciera.

The Conversation

Lynn Smith does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. 4 conseils d’un spécialiste pour garder votre cœur en pleine forme – https://theconversation.com/4-conseils-dun-specialiste-pour-garder-votre-coeur-en-pleine-forme-263371

Vente de viande sauvage sur TikTok : des espèces menacées sont proposées en Afrique de l’Ouest

Source: The Conversation – in French – By Angie Elwin, Head of Research at World Animal Protection and Visiting Research Fellow at, Manchester Metropolitan University

Au Togo, comme dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, la viande sauvage demeure un élément important du quotidien, prisée pour son goût, sa valeur culturelle et comme source de revenus pour ceux qui en font le commerce.

Elle est souvent considérée comme un mets de luxe dans les centres urbains, où elle se vend à des prix plus élevés que la viande d’élevage. Cela risque d’alimenter la demande. La viande sauvage est vendue ouvertement sur les marchés urbains et dans les étals au bord des routes dans tout le Togo, où les vendeurs s’adressent à la fois à la clientèle locale et aux voyageurs de passage. Dans les zones rurales, il est courant de voir des rongeurs, des pythons et des cobras morts exposés au bord des routes, prêts à être achetés par les visiteurs venus de la ville.




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Cependant, le commerce légal et illégal de viande sauvage pose de sérieux défis pour la biodiversité, le bien-être animal et la santé publique. Une grande partie de ce commerce échappe à toute réglementation et repose sur la chasse, la vente et la consommation d’animaux sauvages. Bon nombre de ces espèces sont menacées ou en déclin, ce qui soulève des préoccupations urgentes en matière de conservation.

Ces dernières années, les commerçants d’Afrique de l’Ouest ont utilisé les réseaux sociaux pour faire la promotion directe de la viande sauvage et entrer en contact avec leurs clients. Des plateformes telles que TikTok et Facebook font office de vitrines en ligne reliées à des marchés physiques, permettant aux vendeurs d’atteindre un public beaucoup plus large que celui qu’ils auraient pu toucher en vendant sur des étals traditionnels. Ce changement attire de nouveaux acheteurs, souvent urbains, sur le marché et modifie la manière dont la viande sauvage est vendue ainsi que l’ampleur globale du commerce.

Nous sommes des chercheurs spécialisés dans la faune sauvage et nous étudions le commerce des animaux sauvages en Afrique de l’Ouest. Nous avons voulu comprendre les nouveaux défis liés au commerce de viande sauvage au Togo. Nous avons choisi d’étudier les vidéos TikTok car cette plateforme est devenue un lieu très visible pour la publicité ouverte de la viande sauvage au Togo. L’analyse de ces vidéos nous a permis de documenter les espèces vendues, leur valeur marchande et les risques liés à leur conservation.




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Nous avons identifié deux créatrices de contenu TikTok basées à Lomé, au Togo, qui publient activement des vidéos faisant la promotion de viandes sauvages à vendre. Toutes deux semblent opérer depuis leur domicile, utilisant TikTok comme leur propre marché en ligne. Leurs vidéos montrent une variété de produits à base de viande sauvage filmés directement chez elles, transformant ainsi leur espace de vie en vitrine virtuelle.

Bien que nous n’ayons pas étudié tous les vendeurs de viande sauvage sur TikTok, ces créatrices représentent un segment visible et accessible de ce commerce. Des recherches ont déjà montré
que la viande sauvage est vendue sur Facebook en Afrique de l’Ouest depuis au moins 2018. Mais le commerce de viande sauvage sur TikTok est resté largement méconnu jusqu’à présent.




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Notre étude a révélé que plus de 3 500 individus appartenant à diverses espèces ont été mis en vente par ces canaux sur une période de 17 mois. Parmi les espèces les plus fréquemment présentées figuraient les varans, les écureuils rayés, les pintades, les francolins, les antilopes, les pangolins à ventre blanc et les rats des roseaux.

Ces résultats soulignent l’ampleur et la diversité du commerce d’animaux sauvages sur TikTok, y compris d’espèces menacées et en voie de disparition comme les pangolins.

Le commerce d’espèces rares et menacées devient viral

Nous avons analysé 80 vidéos TikTok publiées entre novembre 2022 et avril 2024. Ces courtes vidéos, partagées sur des comptes publics, montraient des milliers de carcasses d’animaux sauvages fumées appartenant à au moins 27 espèces identifiables. Il s’agissait principalement de mammifères (78 %), suivis d’oiseaux (15 %) et de reptiles (7 %).

L’audience cumulée de ces 80 vidéos est impressionnante : près de 1,8 million de vues. Certaines vidéos ont été visionnées jusqu’à 216 000 fois. Cela suggère que ce contenu circule bien au-delà du public local.

Plusieurs des espèces vendues sont menacées d’extinction. Il est alarmant de constater que nous avons documenté la présence du pangolin à ventre blanc, classé comme espèce en danger sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature et protégé par l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui interdit tout commerce international de ces espèces.




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L’antilope kob de Buffon et le cob de Defassa, espèces quasi menacées, figuraient également sur la liste.

Notre analyse des commentaires des spectateurs a également révélé une demande pour des animaux qui n’apparaissent pas dans les vidéos. Il s’agit notamment des lions, des léopards, des grenouilles, des serpents, des crocodiles, des primates et des éléphants. Les lions et les léopards sont commercialisés à des fins spirituelles et médicinales, tant au niveau régional qu’international.

Ces espèces sont déjà soumises à une pression importante due à la perte de leur habitat et à la chasse, et il est très inquiétant qu’elles soient probablement proposées à la vente illégale comme viande. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les facteurs à l’origine de cette demande sur les réseaux sociaux.

Que faut-il faire maintenant ?

Notre étude s’ajoute à un nombre croissant de travaux de recherches montrant que les plateformes en ligne deviennent des centres névralgiques du commerce mondial d’espèces sauvages.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment la viande vendue via TikTok est distribuée. Par exemple, les vendeurs l’expédient-ils par courrier dans des zones plus étendues ou les acheteurs viennent-ils le chercher en personne, ce qui pourrait limiter la portée ?

Quoi qu’il en soit, l’expansion du commerce en ligne soulève de graves préoccupations qui vont au-delà des espèces vendues. Ces ventes semblent remodeler la demande, en particulier chez les consommateurs urbains. Si les consommateurs urbains achètent depuis longtemps de la viande sauvage lorsqu’ils se rendent dans les zones rurales, le passage aux plateformes en ligne porte cette demande à un tout autre niveau en rendant désormais l’accès beaucoup plus facile et massif.

Cette évolution pose de nouveaux défis en matière de durabilité, de réglementation et de santé publique. Si rien n’est fait, la vente en ligne d’espèces sauvages risque d’accélérer le déclin des espèces, d’augmenter la propagation des zoonoses et, à terme, de nuire aux communautés qui dépendent de la faune sauvage pour leur alimentation et leurs revenus.

Nous recommandons plusieurs mesures :

Tout d’abord, les plateformes telles que TikTok devraient investir davantage dans des outils de détection automatisés, tels que des algorithmes de reconnaissance d’images, qui pourraient être mieux formés pour repérer les produits issus d’espèces sauvages et les espèces menacées, et supprimer les publications concernées.

TikTok devrait maximiser sa collaboration avec les experts en conservation dans ce domaine. Bien que TikTok ait mis en place des politiques interdisant la vente d’espèces sauvages et soit membre de la Coalition pour mettre fin au trafic d’espèces sauvages en ligne, le commerce d’espèces sauvages reste très répandu sur la plateforme, ce qui révèle des failles importantes dans son approche.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si les vidéos TikTok augmentent la probabilité que les gens achètent de la viande sauvage ou normalisent ce commerce en le présentant comme légal et acceptable.

Des pays comme le Togo ont besoin de lois et de sanctions plus claires pour relier les objectifs de conservation et les réalités du commerce en ligne.

Des campagnes d’éducation du public pourraient également contribuer à faire évoluer les mentalités des consommateurs et à informer la population sur les risques pour la biodiversité et le bien-être animal.

À mesure que l’accès à l’internet mobile se développe dans les pays à faible revenu, les plateformes numériques sont susceptibles de devenir des marchés encore plus importants. Il est essentiel de comprendre comment les espèces sauvages sont commercialisées et consommées en ligne afin de s’adapter à ces changements.

Sans une action proactive des plateformes et des décideurs politiques, les espèces menacées risquent de devenir virales pour toutes les mauvaises raisons, non pas en tant que symboles de la conservation, mais en tant que produits à vendre.

The Conversation

Angie Elwin travaille pour une ONG internationale, World Animal Protection, en tant que responsable de la recherche, et est chercheuse invitée à l’université métropolitaine de Manchester.

Delagnon Assou est assistant de recherche et chargé de cours bénévole au département de zoologie et de biologie animale de l’université de Lomé, au Togo.

Neil D’Cruze travaille pour une ONG internationale, Canopy, en tant que responsable de la stratégie de recherche.

ref. Vente de viande sauvage sur TikTok : des espèces menacées sont proposées en Afrique de l’Ouest – https://theconversation.com/vente-de-viande-sauvage-sur-tiktok-des-especes-menacees-sont-proposees-en-afrique-de-louest-263655

La longue histoire des tests de grossesse : de l’Égypte antique à Margaret Crane, l’inventrice du test à domicile

Source: The Conversation – France in French (2) – By Valérie Lannoy, Post-doctorante en microbiologie, Sorbonne Université

Depuis la pandémie de Covid-19, nous connaissons tous très bien les tests antigéniques, mais saviez-vous que le principe de l’autotest a été imaginé, dans les années 1960, par une jeune designer pour rendre le test accessible à toutes les femmes en le pratiquant à domicile ? Découvrez l’histoire de Margaret Crane, et les obstacles qu’elle a dû surmonter.


Les tests de diagnostic rapide ont sauvé de nombreuses vies à travers le monde grâce à leurs simplicité et rapidité, et à leur prix abordable. Les plus répandus sont les tests antigéniques, dont nous avons tous pu bénéficier pendant la pandémie de Covid-19. D’autres tests antigéniques existent, comme ceux détectant la dengue ou le chikungunya, deux infections virales tropicales, ou encore le paludisme, la maladie la plus mortelle au monde chez les enfants de moins de 5 ans.

Ces types de tests sont reconnus d’utilité publique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le test antigénique de la grippe est par exemple utilisé en routine. Bien que l’intérêt pour ces tests ait émergé durant la Covid-19, nous étions déjà familiarisés avec les tests antigéniques sans nous en rendre compte ! Les tests de grossesse, ô combien impliqués dans nos histoires personnelles, sont les premiers tests de diagnostic rapide créés. On doit cette découverte à Margaret Crane, dont l’invention a contribué à l’amélioration considérable du domaine diagnostique général.

Les tests de grossesse à travers les âges

Détecter une grossesse a toujours revêtu une importance pour la santé féminine, la gestion familiale et les questions sociales. Un papyrus médical égyptien datant d’environ 1350 avant notre ère, appelé le papyrus Carlsberg, détaille une méthode simple. Des grains d’orge et de blé, enfermés chacun dans un petit sac ou un récipient, étaient humidifiés quotidiennement avec l’urine de la femme à tester. L’absence de germination diagnostiquait l’absence de grossesse. La germination de l’orge, elle, prévoyait la naissance d’un garçon, quand celle du blé présageait celle d’une fille. En 1963, une équipe de recherche a décidé d’essayer cette technique de l’Égypte antique, à première vue rudimentaire. De manière étonnante, même si la prédiction du sexe était décevante, la méthode égyptienne avait une sensibilité très élevée : 70 % des grossesses ont été confirmées ! Cela est probablement dû au fait que les hormones dans les urines de la femme enceinte miment l’action des phytohormones, les hormones végétales.

En 1927, le zoologue anglais Lancelot Hogben obtient une chaire de recherche pour étudier les hormones animales à l’Université du Cap en Afrique du Sud. Il y découvre le « crapaud à griffe » du Cap (Xenopus laevis) dont les femelles ont la capacité de pondre toute l’année. Le professeur Hogben contribue à la création d’un test de grossesse qui porte son nom. Son principe ? Injecter de l’urine de femme enceinte dans un crapaud femelle. En raison des hormones contenues dans l’urine, cette injection déclenchait spontanément la ponte. Le test présentait une sensibilité supérieure à 95 % !

Bien que ce protocole soit devenu un test de routine dans les années 1940, la majorité des femmes n’avait toujours pas d’accès facile aux tests de grossesse. D’autres tests similaires existaient, utilisant des souris femelles ou des lapines, consistant à en examiner les ovaires pendant 48 à 72 heures après l’injection d’urine, pour voir si celle-ci avait induit une ovulation. Ces tests présentaient des contraintes de temps, de coûts et l’utilisation d’animaux, ce qui a motivé la recherche de méthodes plus rapides et moins invasives.

La découverte de l’hormone hCG

Au début des années 1930, la docteure américaine Georgeanna Jones découvrit que le placenta produisait une hormone, appelée la gonadotrophine chorionique humaine, dont l’abréviation est l’hCG. Cette découverte en a fait un marqueur précoce de grossesse, et pour la tester, il ne restait plus qu’à la détecter !

En 1960, le biochimiste suédois Leif Wide immunisa des animaux contre l’hCG humaine et en purifia les anticorps. On avait donc à disposition des molécules, les anticorps, capables de détecter l’hCG, encore fallait-il que la réaction antigène-anticorps (dans ce cas, l’hCG est l’antigène reconnu par les anticorps) puisse être visible pour confirmer une grossesse à partir d’urines.

Le professeur Leif Wide développa un test de grossesse, selon une technologie appelée l’inhibition de l’hémagglutination. Elle se base sur l’utilisation de globules rouges, dont la couleur permet une analyse à l’œil nu. Si les anticorps se lient aux globules rouges, ils ont tendance à s’agglutiner, et cela forme une « tache rouge » au fond du test. En cas de grossesse, l’échantillon d’urine contient de l’hCG : les anticorps réagissent avec l’hCG et ne peuvent pas lier les globules rouges. L’absence de tâche rouge indique une grossesse ! Ce test était révolutionnaire, car, contrairement aux autres, et en plus d’être beaucoup moins coûteux, le résultat n’était obtenu qu’en deux heures.

L’invention de Margaret Crane

En 1962, l’entreprise américaine Organon Pharmaceuticals a commercialisé ce test de grossesse, à destination des laboratoires d’analyses médicales. En 1967, Margaret Crane est une jeune designer de 26 ans sans aucun bagage scientifique, employée par cette compagnie dans le New Jersey, pour créer les emballages de leur branche cosmétique. Un jour qu’elle visite le laboratoire de l’entreprise, elle assiste à l’exécution d’un des tests. Un laborantin lui explique la longue procédure, consistant au prélèvement d’urine par le médecin et à l’envoi à un laboratoire d’analyses. Il fallait attendre environ deux semaines pour une femme avant d’avoir un résultat.

Le test de grossesse inventé par Margaret Crane
Le test de grossesse inventé par Margaret Crane.
National Museum of American History, CC BY

Malgré la complexité théorique de la technique, Margaret Crane réalise alors à la fois la simplicité de lecture du test et du protocole : il suffisait d’avoir des tubes, un flacon d’anticorps et un indicateur de couleur (les globules rouges) ! De retour chez elle à New York, elle lance des expériences en s’inspirant d’une boîte de trombones sur son bureau, et conçoit un boîtier ergonomique – avec tout le matériel et un mode d’emploi simplifié –, destiné à l’usage direct à la maison par les utilisatrices. Margaret Crane montre son prototype à Organon Pharmaceuticals, qui refuse l’idée, jugeant qu’une femme ne serait pas capable de lire seule le résultat, aussi simple soit-il…

La persévérance de Margaret Crane

Peu de temps après la proposition de Margaret Crane, un homme employé par Organon Pharmaceuticals s’en inspire et lance la même idée, et lui est écouté. Elle décide alors de tirer parti de la situation, en assistant aux réunions où elle était la seule femme. Plusieurs tests, prototypés par des designers masculins, y sont présentés : en forme d’œuf de poule, soit roses, soit décorés de strass… Sans aucune hésitation, c’est celui de Margaret Crane qui est choisi pour sa praticité, car elle l’avait pensé pour que son utilisation soit la plus facile possible. Margaret Crane dépose son brevet en 1969, mais Organon Pharmaceuticals hésite à le commercialiser tout de suite, de peur que les consommatrices soient dissuadées par des médecins conservateurs ou par leur communauté religieuse.

Il est mis pour la première fois sur le marché en 1971 au Canada, où l’avortement venait d’être légalisé. Bien que créditée sur le brevet américain, Margaret Crane ne perçut aucune rémunération, car Organon Pharmaceuticals céda les droits à d’autres entreprises.

L’histoire de Margaret Crane illustre un parcours fascinant, où l’observation empirique rencontre le design industriel. Sa contribution fut finalement reconnue en 2014 par le Musée national d’histoire américaine.

Son concept fondateur, celui d’un test simple, intuitif et autonome pour l’utilisateur, ouvrit la voie révolutionnaire aux tests de grossesse sous la forme que nous connaissons aujourd’hui et aux tests antigéniques, essentiels notamment lors de crises sanitaires.

The Conversation

Valérie Lannoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La longue histoire des tests de grossesse : de l’Égypte antique à Margaret Crane, l’inventrice du test à domicile – https://theconversation.com/la-longue-histoire-des-tests-de-grossesse-de-legypte-antique-a-margaret-crane-linventrice-du-test-a-domicile-263219

Réduire l’empreinte carbone des transports : quand les progrès techniques ne suffisent pas

Source: The Conversation – France (in French) – By Alix Le Goff, Docteur en économie des transports, Université Lumière Lyon 2

Entre 1994 et 2019, les émissions de gaz à effet de serre liées aux mobilités en France ont continué à augmenter, malgré les progrès techniques. Pour inverser la tendance, il faudrait tempérer à la fois l’augmentation des voyages à longue distance en avion et celle des déplacements en voiture des actifs, de plus en plus longs du fait de l’étalement urbain. Les solutions politiques à mettre en place devront composer avec de forts enjeux d’équité sociale.


Les transports représentent 15 % des émissions globales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, mais la France constitue un cas particulier. Les transports occupent un poids relatif plus important en France du fait de son système énergétique peu carboné (notamment du fait de son énergie nucléaire). Ainsi, en 2023, ce secteur représentait 34 % des émissions de gaz à effet de serre.

Réduire ces émissions est donc un enjeu crucial au niveau national, mais les dynamiques en jeu sont complexes. Pour mieux les comprendre, nous nous sommes concentrés sur les mobilités individuelles pour analyser vingt-cinq ans de données issues des trois dernières enquêtes nationales sur la mobilité des Français, menées respectivement en 1994, en 2008 et en 2019.

Il ressort de nos résultats que les progrès techniques enregistrés sur cette période ne suffisent pas à compenser les hausses de distances parcourues. En outre, les politiques de régulation à mettre en place doivent composer avec de forts enjeux d’équité sociale.

C’est, par exemple, le cas pour le transport aérien, qui a connu une hausse des émissions de plus d’un tiers entre 1994 et 2019, avec des disparités marquées. En 2019, les 25 % les plus riches de la population étaient ainsi responsables de plus de la moitié des distances parcourues en avion.

Des émissions encore et toujours en hausse

Principale leçon de l’enquête : pour le climat, le compte n’y est pas. En 2019, le Français moyen a effectué 1 044 déplacements et parcouru 16 550 kilomètres. Ceci correspond à 2,3 tonnes équivalent CO2 pour se déplacer. Or, si la France souhaite respecter l’accord de Paris (c’est-à-dire, faire sa part pour limiter le réchauffement en dessous de 2 °C en 2100), c’est peu ou prou la quantité totale de GES que ce Français devra émettre en 2050… tous usages confondus.

Émissions de gaz à effet de serre liées à la mobilité des Français en 2019.
Fourni par l’auteur

L’automobile pèse lourd dans le bilan : elle représente à elle seule près des trois quarts du total des émissions. L’avion constitue l’essentiel du quart restant, tandis que tous les autres modes pris ensemble ne comptent que pour 4 %.

Par ailleurs, les émissions de notre Français moyen ont augmenté de 7 % entre 1994 et 2019. Il ne réalise pas davantage de déplacements qu’auparavant, mais ceux-ci sont par contre plus longs (+18 %). Les progrès techniques réalisés entre 1994 et 2019 ont permis de baisser les émissions par kilomètre parcouru de 10 %, ce qui n’a compensé que partiellement cet allongement. Enfin, comme la population française a augmenté de 12 % sur la période, la hausse de 7 % des émissions par personne conduit à une croissance totale des émissions de 20 %.

Pour aller plus loin dans l’analyse, nous avons distingué deux types de mobilité : les mobilités locales et les mobilités à longues distances, qui répondent à des besoins différents et ne font pas face aux mêmes contraintes. De ce fait, elles ne recourent pas aux mêmes modes de transports et n’ont pas évolué de la même manière au cours des vingt-cinq années observées.

L’automobile, poids lourd des émissions locales

La voiture est incontestablement le mode de transport dominant pour les trajets quotidiens des Français, tant en termes de distances parcourues que d’impacts environnementaux. Pour ce type de déplacements, elle représente ainsi 85 % des distances totales et 95 % des émissions de gaz à effet de serre. Ces proportions se vérifient dans les trois enquêtes de 1994, de 2008 et de 2019.

Évolution des émissions de GES pour les déplacements locaux entre 1994 et 2019.
Fourni par l’auteur

Entre 1994 et 2019, les émissions totales de GES issues des déplacements locaux ont progressé de 20 %, notamment du fait d’un allongement des distances parcourues par personne, en plus de l’augmentation de la population. Les gains d’efficacité énergétique des moteurs n’ont pas suffi à compenser la croissance du poids des véhicules ni la progression de la proportion d’automobiles occupées par leur seul conducteur. Le taux de remplissage moyen est ainsi passé de 2,1 personnes à 1,8 personne par voiture.

Sur le plan individuel, le facteur déterminant du niveau de gaz à effet de serre émis reste le fait de travailler ou non. En 2019, les actifs en emploi constituaient 43 % de la population et représentaient 65 % des émissions. Les disparités territoriales entrent également fortement en compte : les actifs qui vivent dans les zones rurales ou périurbaines ont vu leurs distances et leurs émissions augmenter de manière significative avec l’élargissement des bassins d’emplois et la disparition des services locaux.

A contrario, ceux des centres urbains ont baissé leurs émissions à la faveur d’une réduction des distances parcourues et d’un basculement progressif vers les modes alternatifs à la voiture, plus facilement accessibles sur leurs territoires.




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À longue distance, les émissions des Français décollent

Les émissions liées aux déplacements à longue distance ont également augmenté de 20 % entre 1994 et 2019, avec une accélération marquée entre 2008 et 2019. L’avion est le principal responsable de cette hausse, avec des distances totales parcourues multipliées par 2,5.

Bien que les émissions par passager au kilomètre en avion aient très fortement baissé sur la période (-45 %) grâce aux progrès techniques et à de meilleurs taux de remplissage, ces dernières restent élevées (170 g équivalent CO2 par passager au kilomètre, contre 99 pour la voiture sur les longues distances). Par ailleurs, cette baisse ne suffit pas à compenser la croissance de l’usage de l’avion. Les émissions dues à ce mode de transport augmentent de 35 % entre 1994 et 2019.

Évolution des émissions de GES pour les déplacements à longue distance entre 1994 et 2019.
Fourni par l’auteur

Sur le plan individuel enfin, les disparités sociales restent extrêmement marquées : les plus diplômés et les plus aisés sont les plus susceptibles de réaliser des voyages longue distance.

Cette hétérogénéité pose la question de l’équité des politiques de régulation. Par exemple, les personnes sans diplôme appartenant au quartile de revenu le plus faible ont émis en moyenne 0,5 tonne équivalent CO2 par an pour leur mobilité à longue distance, contre 2,5 tonnes équivalent CO2 par an pour les titulaires d’un master ou plus, appartenant au quartile de revenu le plus élevé.

Même si on observe une diffusion progressive de l’usage de l’avion dans toutes les catégories de la population, cette démocratisation apparente reste à relativiser. En 2019, les 25 % les plus riches étaient toujours à l’origine de plus de la moitié des distances parcourues en avion. Et ce sont surtout les 25 % suivant qui les rattrapent : la moitié la moins aisée de la population reste encore loin derrière.

Comment réduire l’empreinte carbone de nos mobilités ?

Pour les mobilités locales, nos résultats soulignent l’importance d’adapter les politiques publiques aux spécificités territoriales pour réduire efficacement les émissions des mobilités individuelles.

C’est dans les zones périurbaines et peu denses que les enjeux sont les plus lourds en termes d’émissions. Des initiatives dans ces zones peuvent viser à améliorer et promouvoir l’offre de mobilités alternatives à la voiture individuelle, comme le vélo, les transports en commun ou le covoiturage. La voiture électrique, davantage consommatrice d’énergie et de matériaux rares que sa concurrente thermique lors de la phase de construction, nécessite un usage régulier pour avoir une empreinte carbone plus faible. Elle peut ainsi apparaître particulièrement pertinente dans ces territoires où la dépendance automobile est forte et les distances parcourues sont importantes.

Mais cette solution par l’organisation du système de transport ne fait pas tout. La maîtrise de l’étalement urbain dans les zones rurales et périurbaines est essentielle pour limiter l’augmentation des distances parcourues et, par conséquent, des émissions de GES. Des politiques favorisant la densification des activités et des résidences autour des pôles locaux et inversant la tendance de la disparition progressive des services de proximité pourraient jouer un rôle clé dans cette stratégie, sans se faire au détriment des populations concernées.

Pour les déplacements à longue distance, les évolutions démographiques et socio-économiques globales vont probablement favoriser un renforcement de l’usage de l’avion. Les progrès techniques envisagés à court et moyen terme risquent de ne pas suffire pour compenser cette augmentation prévisible de la demande.

La concentration des émissions de GES sur une fraction aisée et diplômée de la population impose de réfléchir à des politiques de réduction des émissions qui ciblent prioritairement les grands émetteurs. Par exemple, plusieurs travaux économiques montrent l’intérêt d’une taxe progressive sur les vols afin de réduire le nombre des « frequent flyers » de l’avion, sans pénaliser les voyageurs occasionnels.

Parallèlement, le développement des alternatives à l’avion pour certains déplacements, tels que les trains à grande vitesse pour les trajets intraeuropéens, pourrait contribuer à réduire la dépendance vis-à-vis de l’aérien.




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En définitive, les progrès techniques enregistrés au cours des vingt-cinq dernières années, tant dans l’aérien que pour l’automobile, n’ont pas permis d’inverser la tendance à la hausse des émissions de GES des Français, pas plus au niveau individuel qu’au niveau global. Si l’on veut tenir les objectifs de l’accord de Paris, les actions à mener doivent aussi toucher les pratiques de mobilités elles-mêmes et l’organisation spatiale du territoire, ce qui ne peut se faire sans prendre également en compte les forts enjeux d’équité sociale du secteur.


Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une recherche subventionnée par l’Agence de la transition écologique (Ademe). Leur détail et les hypothèses des calculs sont disponibles dans le rapport publié par les auteurs de l’article sur le site de l’Ademe.

The Conversation

Alix Le Goff a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), notamment concernant des travaux traitant de la modélisation des déplacements et de la dépendance automobile.

Damien Verry a reçu des financements de l’ANR, de l’ADEME.

Jean-Pierre Nicolas a reçu des financements de l’ADEME

ref. Réduire l’empreinte carbone des transports : quand les progrès techniques ne suffisent pas – https://theconversation.com/reduire-lempreinte-carbone-des-transports-quand-les-progres-techniques-ne-suffisent-pas-261321

Les frontières des États-Unis vont rester ouvertes pour les immigrés hautement qualifiés en sciences et en technologies

Source: The Conversation – France (in French) – By Dominique Redor, professeur émérite université Gustave Eiffel, chercheur affilié au Centre d’Etudes de l’emploi, CNAM, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

L’administration Trump 2 a fait de la lutte contre l’immigration une priorité de politique interne. Au-delà des images chocs d’arrestations, la réalité est plus complexe, notamment pour les immigrés ayant des compétences scientifiques très pointues. La suprématie scientifique et technologique des États-Unis continue et continuera de dépendre de leur capacité à attirer les cerveaux du monde entier.


Le président Trump expulse en masse les immigrés sans papiers, tente de remettre en cause le droit du sol pour les enfants nés aux États-Unis de parents qui n’y résident pas officiellement. Il s’en prend aussi aux étudiants étrangers des universités les plus prestigieuses. C’est un moyen que le président utilise pour les forcer à accepter les ingérences de son administration dans la sphère universitaire et de la recherche scientifique. Cette administration tente ainsi d’obtenir le licenciement ou l’arrêt du recrutement de certains scientifiques de haut niveau états-uniens et surtout étrangers.

Largement médiatisées, ces attaques ne doivent pas faire oublier qu’une part importante des immigrés présents aujourd’hui aux États-Unis est hautement diplômée, selon l’enquête American Community Survey (disponible sur le USA IPUMS dont sont extraites la plupart des données du présent article. Le président Trump va-t-il aussi leur fermer les frontières des États-Unis ? Ou, au contraire, va-t-il se borner à effectuer une sélection, entre ceux et celles qui, jugés indispensables au bon fonctionnement de l’économie, bénéficieront de toutes les protections et de tous les avantages matériels, tandis que les autres seront de plus en plus rejetés ?




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Le grand tournant des années 1960

L’histoire du brain drain (l’attraction des cerveaux), notamment européens, vers les États-Unis est ancienne. Le grand tournant de la politique migratoire eut lieu en 1965. Le président démocrate Lyndon Johnson voulait que les États-Unis redeviennent une « terre d’accueil ». Pour cela, une nouvelle législation fut adoptée pour favoriser l’immigration familiale et, surtout, celle des personnes ayant des qualifications ou des compétences exceptionnelles. On leur offrait la possibilité d’obtenir un droit de séjour permanent, encore dénommé Green Card (carte verte).

Par ailleurs, les personnes ayant au minimum un diplôme de niveau bachelor (license) – dans la pratique un master était requis –, pouvaient obtenir un visa de travail temporaire de trois à six ans, suivi, le cas échéant, par la carte verte.

Depuis lors, cette législation a connu de nombreuses adaptations, mais n’a pas fondamentalement changé. Ses effets, jusqu’en 2024, ont été progressifs et massifs. Précisons que l’enquête American Community Survey considère comme immigrée toute personne née à l’étranger. En 1980, ces immigrés d’âge pleinement actif (de 25 ans à 64 ans) représentaient 7,2 % de la population résidant aux États-Unis. En 2020, ils constituaient 19 % de cette population. Une partie de celle-ci, surtout d’origine latino-américaine, avait un très faible niveau de diplôme. En effet, 84 % de ces derniers avaient un niveau d’éducation inférieur ou égal au diplôme de fin d’études secondaires.

Des immigrants diplômés

Cependant, beaucoup d’immigrants, admis dans les années 1980 et 1990, étaient de plus en plus diplômés. Depuis, leur montée en qualification a été régulière. En 2020, parmi l’ensemble de la population immigrée, on trouvait davantage de titulaires d’un diplôme de 3e cycle (master ou doctorat), qu’au sein de la population d’origine états-unienne. Si bien que les immigrés représentaient un tiers des personnes résidant aux États-Unis qui étaient titulaires d’un doctorat.

Ce constat mérite d’être relativisé. Si les diplômés dans les disciplines scientifiques et technologiques et du management représentaient la grande majorité des immigrés admis à résider et travailler aux États-Unis, les diplômés de sciences sociales, de disciplines littéraires et artistiques, étaient beaucoup moins nombreux à obtenir cette admission.

Européens, Chinois et Indiens

Trois groupes d’immigrants se distinguaient par leur niveau d’éducation particulièrement élevé. Tout d’abord, par ordre croissant, on dénombrait 1,5 million d’Européens des 27 pays de l’Union européenne, appartenant à cette classe d’âge pleinement active ; 30 % d’entre eux étaient titulaires d’un diplôme de 3e cycle. La palme revenait aux Français au nombre de 120 000 ; 52 % d’entre eux possédaient un diplôme de 3e cycle.

Ensuite, un deuxième groupe de personnes hautement diplômées était constitué par les Chinois, au nombre de 1,9 million pour cette classe d’âge ; 37 % d’entre eux avaient un diplôme de 3e cycle. Enfin, le groupe des immigrés indiens était le plus nombreux avec 2,8 millions de personnes, dont 43 % possédaient un tel diplôme.




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En témoignent quelques figures bien connues comme, par exemple, les Français Yann Le Cun ou Jérôme Pesenti qui ont exercé de hautes fonctions chez Meta, tandis que Joëlle Barral était directrice de la recherche fondamentale en intelligence artificielle (IA) chez Google Deep Mind. Quant à Fidji Simo, elle est devenue, en 2024, directrice générale des application d’Open AI. Sundar Pichaï chez Google ou Shantanu Narayen chez Adobe System illustrent, quant à eux, la présence des Indiens.

Les données de l’administration états-unienne de l’immigration montrent que ce sont les entreprises de la tech qui obtiennent le plus grand nombre de visas pour employer des immigrés les plus qualifiés. Les « seven magnificients » : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Nvidia et Tesla arrivent en tête. Chacune d’elles obtient chaque année plusieurs milliers de visas pour embaucher des étrangers hautement diplômés.

Des immigrés aux postes les plus élevés

D’une manière générale, les immigrés sont nombreux dans les échelons supérieurs de ces organisations. Ceci est attesté par leur position dans la hiérarchie des salaires. Par exemple, dans le secteur de la construction électronique (incluant Apple), les 5 % de salariés les mieux payés perçoivent un salaire annuel égal ou supérieur à 220 000 dollars. Parmi ceux-ci, on compte 38 % d’immigrés. De même, dans le secteur de la communication et des réseaux sociaux (incluant Facebook), 5 % des salariés perçoivent une rémunération annuelle égale ou supérieure à 310 000 dollars. On dénombre 33 % d’immigrés parmi eux. Dans l’enseignement supérieur, on trouve 26 % d’immigrés dans la classe des 5 % de salariés les mieux payés.

France 24 – 2025.

La longue histoire du brain drain vers les États-Unis est loin d’être terminée, malgré de possibles soubresauts, comme l’ont montré, en décembre dernier, les dissensions au sein du camp MAGA.

Le Made in USA et son économie ne peuvent pas se passer de l’emploi des étrangers. Quelles que soient les évolutions politiques dans les années à venir, les gouvernants continueront à donner la priorité absolue à la suprématie de leur pays dans ces domaines. La politique migratoire de Trump et de ses successeurs laissera les frontières largement ouvertes aux scientifiques et managers étrangers, comme au cours de ces soixante dernières années.

Des attaques ciblées de D. Trump

Les attaques de Donald Trump contre la science ne doivent pas tromper. Son combat concerne les disciplines et les scientifiques dont les travaux et les démonstrations s’opposent à son idéologie, qu’il s’agisse de la climatologie, d’une partie des sciences médicales et de la quasi-totalité des sciences sociales (études sur le genre, les inégalités, les discriminations de toutes origines).

Sa politique relève d’une conception instrumentale de la science et des scientifiques, rejetant ceux qui ne servent pas ses intérêts économiques et ses options idéologiques. S’ils sont étrangers, ils risquent l’expulsion. Les autres, indispensables aux entreprises de la tech, sont les bienvenus aux États-Unis et le resteront, car il existe désormais une concurrence intense sur ces marchés mondialisés de l’emploi des « talents », selon l’expression popularisée par les publications de l’OCDE. Cette compétition va se poursuivre et s’exacerber.

Cette situation devrait davantage préoccuper les gouvernements européens et français. L’exode des cerveaux de l’UE risque de se prolonger, voire de s’accroître. Les données de l’OCDE font ressortir l’insuffisance des investissements en recherche et développement (R&D) de la France au même niveau que la moyenne de l’UE (2,15 % du PIB), et très en deçà des États-Unis (3,45 %). Cette faiblesse des investissements concerne aussi bien la recherche publique que privée. Sur la période 2013-2024, les entreprises états-uniennes ont investi dans l’IA 470 milliards de dollars, les entreprises allemandes 13 milliards et les entreprises françaises 11 milliards. C’est dire, sur ce domaine d’avenir, combien le pouvoir d’attraction de l’économie des États-Unis est déterminant.

The Conversation

Dominique Redor est membre des Economistes Atterrés

ref. Les frontières des États-Unis vont rester ouvertes pour les immigrés hautement qualifiés en sciences et en technologies – https://theconversation.com/les-frontieres-des-etats-unis-vont-rester-ouvertes-pour-les-immigres-hautement-qualifies-en-sciences-et-en-technologies-263378

Kabylie-État algérien : une confrontation politique persistante (2/2)

Source: The Conversation – France in French (3) – By Salem Chaker, Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, Aix-Marseille Université (AMU)

Deuxième partie d’un texte rassemblant une série de constats et de réflexions nourris par plus d’un demi-siècle d’observation et d’engagement – une observation que l’on pourrait qualifier de participante – au sein de la principale région berbérophone d’Algérie : la Kabylie.


Dans un précédent article, nous avons vu qu’une palette assez complète de moyens répressifs, politiques et juridiques a été utilisée par l’État algérien pour contrôler une région qui s’est régulièrement opposée à lui, opposition qui n’a d’ailleurs pas eu que des formes paroxystiques.

Il suffit de se pencher sur la sociologie électorale de la Kabylie depuis 1963 pour constater, sur la base même de chiffres officiels – dont la fiabilité est pourtant très douteuse –, qu’il existe dans cette région une défiance tenace vis-à-vis du pouvoir politique. Lors de toutes les consultations électorales, de niveau local ou national, on a pu constater en Kabylie des taux d’abstention très élevés avoisinant souvent les 80 % et un rejet quasi systématique des candidats officiels.

À l’élection présidentielle de 2019, la participation était quasi nulle en Kabylie (0,001 % à Tizi-Ouzou et 0,29 % à Béjaia, par exemple). Dans le reste du pays, la participation, sans être massive, a été significative (39,88 %). En 2024, selon les chiffres officiels, évidemment sujets à caution, le taux de participation en Kabylie (Tizi-Ouzou et Béjaia) a été inférieur à 19 %, bien en-deçà de la moitié de la moyenne de la participation au niveau national (46,10 %).

Certes, les diverses confrontations entre la Kabylie et le pouvoir central ont favorisé certaines avancées et fait évoluer la position de l’État. En particulier, le tabou pesant sur la langue et la culture berbères a été levé, avec leur reconnaissance comme « langue nationale » en 2002, l’arabe restant langue officielle, et la promotion du berbère au rang de seconde « langue officielle » en 2016.

C’est d’ailleurs la pratique permanente du pouvoir face à toutes formes de contestation : quand on ne peut pas la réprimer directement et immédiatement, on la neutralise par des concessions tactiques. C’est ce qu’a illustré le grand mouvement de contestation national de 2019-2020 (Hirak) qui a certes obtenu la mise à l’écart définitive de Bouteflika, mais qui a vu en même temps se renforcer les actions de répression de toute nature contre les « meneurs » et contre la presse.

Dans tous les cas, et quelle que soit la forme de l’opposition, on a le sentiment que celle-ci bute sur le socle inébranlable d’un pouvoir autoritaire. Toujours et partout, les méthodes du pouvoir et de ses exécutants ont été les mêmes : infiltration, division, répression et récupération.

Même les mouvements de protestation les plus massifs (Kabylie 2001-2002, aussi appelé printemps noir, où la protestation populaire sévèrement réprimée s’est soldée par près de 130 morts et des milliers de blessés ; Hirak 2019-2020) n’ont pas réussi à remettre en cause le socle du système et à imposer une évolution démocratique, même très progressive.

En fait, en dehors de ces appareils répressifs redoutables et remarquablement efficaces, le régime algérien depuis 1962 dispose d’atouts extrêmement puissants :

  • Bien sûr, en premier lieu, la rente des hydrocarbures qui lui permet souvent de calmer les ardeurs contestataires et surtout d’intégrer une grande partie des élites culturelles et politiques ;

  • En second lieu, la rente idéologique constituée à la fois de ce qui a été appelé « la rente mémorielle » fondée sur la guerre de libération, mais aussi sur ce que le régime lui-même appelle « les constantes de la nation », c’est-à-dire l’unité et l’indivisibilité de la nation, l’identité arabe et l’islam. Ces « opiums », systématiquement diffusés par l’École, les médias officiels et les mosquées, permettant d’anesthésier la société et, en cas de contestation, de légitimer la répression sont donc nombreux et durables.

La Kabylie ou « l’adversaire de l’intérieur »

Le régime algérien, comme tous les régimes autoritaires, a structurellement besoin d’ennemis, extérieurs et/ou intérieurs, pour se maintenir et légitimer son autoritarisme et ses pratiques répressives. Depuis la tentative d’invasion marocaine de 1963, qui marqua le premier conflit frontalier connu sous le nom de « Guerre des Sables », puis surtout depuis la crise du Sahara occidental à partir de 1974, l’ennemi extérieur désigné reste le voisin et « frère » marocain, ainsi que ses alliés.

Sur le temps long, l’ennemi extérieur sert surtout de prétexte pour renforcer le sentiment national face à une menace perçue. Dans la réalité, cette rhétorique n’a guère de traduction concrète : il est difficile d’imaginer les généraux algériens s’engager dans une guerre contre le Maroc, tant un tel pari militaire et politique serait incertain et pourrait compromettre la survie même du régime.

En revanche, la Kabylie reste perçue par le pouvoir central comme un adversaire intérieur, et ce depuis 1963 et l’insurrection armée de Hocine Aït Ahmed. Elle est une proie facile que l’on peut aisément désigner à la vindicte populaire, en tant qu’ennemi de la nation et de son unité. C’est pour cela que ce ressort est systématiquement utilisé depuis 1963.

On se reportera aux discours des présidents de la République algériens (Ben Bella, Boumédienne, Chadli et à ceux des gouvernements successifs à l’occasion des crises « kabyles » en 1963, en 1980, en 2001-2002 et en 2021-2022, cette dernière ciblant spécifiquement le MAK qui n’est donc qu’un cas parmi une longue série rappelée plus haut.

En fait, cette pratique antikabyle a des racines bien plus anciennes, au sein même du mouvement nationaliste algérien radical. On rappellera que le mouvement national algérien né à la fin des années 1920 était très divers, allant de courants partisans de la lutte armée (indépendantistes comme le Parti du Peuple algérien de Messali Hadj) à des mouvements réclamant une autonomie au sein de la France, comme ce fut initialement le cas de Fehrat Abbas.

Mais devant le blocage du système colonial, ce sont les partisans du passage à la lutte armée qui se sont imposés et ont constitué le FLN de 1954.

Cette tension culminera avec l’assassinat, en 1957, d’Abane Ramdane, l’un des leaders du FLN, qui prônait la primauté du politique sur le militaire.

Au départ, il s’agissait moins d’un clivage ethnique que d’une opposition idéologique sur les moyens d’action, certains militants nationalistes kabyles s’opposant à la définition arabo-islamique de la nation et manifestant un tropisme marqué en faveur d’une conception laïque de l’État.

D’où les condamnations et stigmatisations récurrentes de « berbérisme et berbéro-matérialisme ». Cette divergence idéologique évoluera rapidement vers une suspicion antikabyle largement répandue, qui s’est manifestée après l’indépendance par l’élimination ou l’éviction de tous les chefs historiques kabyles du FLN (Krim Belkacem, Hocine Aït Ahmed…).

Un contexte répressif aux racines idéologiques anciennes

Ces invariants (islam, arabité, unité et indivisibilité de la nation) sont pour l’essentiel induits par l’histoire politique contemporaine au cours de laquelle s’est constitué le nationalisme algérien. Cette donnée historique a déterminé des options idéologiques et des pratiques politiques pérennes :

  • La référence quasi obsessionnelle à l’identité arabe et musulmane de la nation ;

  • Un nationalisme exacerbé posant l’existence éternelle de la nation incarnée par l’État ;

  • Une tendance lourde à l’unanimisme et au refus de toute diversité interne, ethnique, religieuse ou linguistique.

Au plan politique, ces fondamentaux se sont traduits par :

  • Un autoritarisme marqué n’hésitant pas à recourir à toutes les formes de répression, y compris sanglantes ;

  • Une justice non indépendante ;

  • Une presse en liberté surveillée, avec des fluctuations selon les périodes ;

  • Une omniprésence, voire une omnipotence, des services de sécurité qui participent directement à l’exercice du pouvoir ;

  • Des partis politiques, depuis qu’ils ont été autorisés (1989), sous contrôle étroit de l’exécutif.

Bien qu’il ait connu des fluctuations, avec des alternances de périodes d’ouverture et de périodes de fermeture, ce contexte d’autoritarisme et de répression est structurel : il est la concrétisation au niveau de la gestion politique des orientations idéologiques fondamentales du mouvement nationaliste.

C’est donc une erreur d’analyse, ou une illusion naïve de croire qu’il y ait eu à l’indépendance un « détournement » d’un mouvement populaire progressiste et démocratique. Un détournement de la « Révolution », comme on dit souvent en Algérie, n’a eu lieu ni en 1962, ni en 1965, ni plus tard. Le régime politique qui s’est mis en place à l’indépendance, avec le tandem Ben Bella – Boumédiène, n’est que la concrétisation directe des orientations fondamentales du mouvement nationaliste.

Rares ont été les analystes qui, comme Mohamed Harbi, sans aucun doute l’historien algérien du nationalisme le mieux informé et le plus lucide, ont perçu que les prémisses du régime politique algérien post-indépendance étaient déjà en germe dans le mouvement nationaliste.

Il ne s’agit donc pas d’une confiscation par une oligarchie, mais bien de la réalisation d’une programmation qui remonte aux origines même du nationalisme.

C’est pour cela que le combat berbère, comme tous les combats démocratiques, est difficile en Algérie. Ces combats sont difficiles, voire désespérés, pour répondre au titre de l’ouvrage de Pierre Vermeren (2004).

Si l’on veut remettre en cause réellement un pouvoir « corrompu et corrupteur », comme le disait la plateforme d’El-Kseur (2001), élaborée à la suite du « printemps noir » de 2001, il faut nécessairement s’attaquer aux bases historiques et idéologiques qui fondent ce régime.

D’autant qu’à ces blocages internes s’ajoute un contexte géopolitique peu favorable à toute évolution démocratique. L’Algérie (de même que le Maroc) apparait de plus en plus comme l’un des gardiens de la frontière sud de l’Europe, avec pour fonction essentielle le contrôle de l’immigration africaine et la lutte contre l’islamisme radical. Autrement dit, le régime en place à Alger mais plus généralement les pouvoirs installés au Maghreb, rendent de grands services à l’Europe.

Dans une telle configuration, il peut compter sinon sur le soutien, du moins sur une bienveillante tolérance des pays occidentaux qui s’accommodent fort bien des violations les plus flagrantes des droits humains chez leurs auxiliaires du Sud.

The Conversation

Salem Chaker ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Kabylie-État algérien : une confrontation politique persistante (2/2) – https://theconversation.com/kabylie-etat-algerien-une-confrontation-politique-persistante-2-2-262528

Israël-Palestine : comment les religions juive et islamique sont mobilisées pour justifier la violence

Source: The Conversation – France in French (3) – By Haoues Seniguer, Maître de conférences HDR en science politique. Spécialiste de l’islamisme et des rapports entre islam et politique, Sciences Po Lyon, laboratoire Triangle, ENS de Lyon

Le conflit israélo-palestinien ne se résume en aucun cas à une guerre de religion. Pour autant, l’aspect religieux, mobilisé par bon nombre des représentants des deux parties et, souvent, par leurs soutiens extérieurs, y joue un rôle certain. Haoues Seniguer, directeur pédagogique du Diplôme d’établissement sur le monde arabe contemporain (DEMAC) de Sciences Po Lyon et chercheur au laboratoire Triangle, UMR 5206, CNRS/ENS Lyon, examine ces questions cruciales dans « Dieu est avec nous : Le 7 octobre et ses conséquences. Comment les religions islamique et juive justifient la violence », qui vient de paraître aux éditions Le Bord de l’Eau. Extraits de l’introduction.


L’enjeu d’une prise de parole sur le 7 octobre

Aborder le 7 octobre et ses répercussions relève d’un exercice périlleux, tant les enjeux sont complexes et les sensibilités à incandescence. Plusieurs raisons, plus ou moins légitimes, expliquent cette difficulté. Tout d’abord, le sujet a déjà fait l’objet de nombreuses analyses et prises de position ; dès lors, quel intérêt y aurait-il à ajouter sa voix à ce flot d’interventions, qu’elles émanent de chercheurs avertis ou de commentateurs plus ou moins éclairés ?

Ensuite, dans un contexte où le conflit israélo-palestinien suscite des débats souvent passionnels, ne risque-t-on pas, en s’y engageant, d’exacerber les tensions sans réellement parvenir à faire entendre une voix qui, à tort ou à raison, se voudrait singulière ? Chercher à analyser et à expliquer cet événement d’ampleur mondiale, dans ses développements successifs, ne revient-il pas à s’exposer au risque d’être accusé, comme l’avait autrefois suggéré le premier ministre Manuel Valls, de tenter de justifier l’injustifiable, en l’occurrence les attaques du 7 octobre et l’émotion qu’elles ont suscitée dans le monde ?

Prendre la parole comporte un risque, mais garder le silence ne revient-il pas à abdiquer sur le plan de la pensée et à renoncer à la mission du sociologue du politique ou de l’intellectuel public ? Ces derniers ont en effet le devoir d’éclairer la société, sans quoi les événements et les tragédies demeurent non seulement incompréhensibles et énigmatiques, mais risquent, par cette absence d’analyse, de se répéter et de perpétuer les incompréhensions.

Une approche non exclusiviste centrée sur le religieux dans le conflit israélo-palestinien

Le cœur de cet ouvrage est de reconsidérer la place du religieux dans l’analyse du conflit israélo-palestinien à travers trois axes principaux qui n’ont pas la prétention d’en embrasser toutes les facettes.

Primo, nous nous interrogerons sur la manière dont le référentiel islamique a été investi et mobilisé discursivement par les principaux instigateurs des attaques du 7 octobre et leurs soutiens. Cela impliquera un retour sur l’idéologie fondatrice du Hamas ainsi que sur les discours des oulémas palestiniens et arabes les plus influents qui ont pour habitude de défendre la cause palestinienne.

Secundo, nous examinerons en parallèle les discours israéliens, juifs ou judéo-israéliens, qui justifient, explicitement ou implicitement, l’intervention militaire post-7 octobre en s’appuyant sur une grammaire religieuse et des références tirées des traditions juives.

Tertio, nous analyserons les réactions discursives d’acteurs individuels et collectifs juifs et musulmans en contexte français, afin de mieux comprendre comment le religieux façonne, éventuellement, la perception et la prise de position face à ce conflit dans le choix des mots.

L’analyse se concentrera toutefois principalement sur la façon dont la religion, loin de se cantonner à des injonctions morales, spirituelles ou pacifistes, est au contraire mobilisée pour légitimer diverses formes d’actions belliqueuses, y compris les plus extrêmes. C’est un angle analytique certes sujet à débat, voire à polémique, néanmoins indispensable pour saisir comment la sacralisation d’un conflit peut favoriser des dynamiques de déshumanisation progressive de l’autre, justifiant ainsi, à des degrés divers, sa mise à l’écart, voire son élimination sans autre forme de procès.

La violence n’a guère besoin du secours de la religion pour se déployer et sévir parmi les hommes, il suffit pour en prendre la mesure de regarder du côté de la philosophie morale et politique de Thomas Hobbes (1588-1679) qui explique « qu’on trouve dans la nature humaine trois causes principales de conflit : premièrement, la compétition ; deuxièmement, la défiance ; troisièmement, la gloire ». Mais la religion, elle, peut en devenir un redoutable carburant et adjuvant.

Clarifier les enjeux : éviter les lectures simplistes du religieux

Toutefois, nous souhaitons dès à présent dissiper certains malentendus sous – jacents : il ne s’agit ni de présenter la religion en général, ni le judaïsme et l’islam en particulier, comme des monothéismes intrinsèquement violents, voués à s’épanouir uniquement dans la violence la plus débridée. Une telle vision serait à la fois réductrice, erronée, injuste et dangereuse.

Par ailleurs, le référentiel religieux et ses ressources ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer le déclenchement et la perpétuation du conflit israélo-palestinien. Les conditions de naissance de l’État d’Israël, les structures sociales et politiques passées et présentes, ainsi que les dynamiques idéologiques dans les deux espaces jouent un rôle tout aussi déterminant dans cette confrontation sanglante vieille à ce jour, en 2025, de 77 ans. Autrement dit, il importe de ne ni minimiser ni absolutiser le rôle de la religion dans ce conflit, tant il est pris dans un enchevêtrement de facteurs historiques, politiques et territoriaux qu’il importe de démêler.

[…]

Cadre théorique et inspirations méthodologiques

Et, précisément, pour parvenir à une lecture plus juste du statut de la religion dans le conflit […], il est essentiel d’adopter un cadre théorique minimal. Certains penseurs ont déjà tracé la voie, et bien que plus nombreux, trois d’entre eux nous ont été particulièrement précieux : le philosophe américain Michael Walzer, le sociologue Mark Juergensmeyer, également américain, et le journaliste franco-israélien Charles Enderlin.

Le premier, dans la préface d’un ouvrage consacré à la politique selon la Bible, entend « examiner les idées sur la politique, les approches du gouvernement et de la loi qui s’expriment dans la Bible hébraïque ». Si la perspective adoptée par le philosophe est intéressante, notre approche s’en distingue et dépasse le seul cadre du judaïsme. En effet, notre démarche consiste à partir des discours des acteurs sociaux contemporains impliqués, à divers titres, dans le conflit avant et après le 7 octobre, qu’ils soient figures politiques ou autorités religieuses.

Nous nous attachons ainsi à analyser la manière dont ils interprètent et mobilisent les textes du corpus juif ou islamique pour légitimer leurs positions et actions. En ce sens, notre approche se situe en quelque sorte à l’opposé de la sienne. Bien que, tout comme lui, nous accordions une importance majeure aux contenus théologiques. Walzer précise d’ailleurs sa position en définissant ce qu’il ne souhaite pas entreprendre dans son étude, tandis que nous faisons précisément le choix d’explorer cette dimension dans le présent travail. Ce contraste nous donne ainsi l’opportunité de clarifier et d’affiner davantage notre propre approche :

« […] Je ne traiterai pas de l’influence des idées bibliques sur la pensée politique occidentale : ni au Moyen Âge, ni au début des Temps modernes (où les textes bibliques étaient très souvent étudiés et cités), ni chez les fondamentalistes religieux de nos jours. »

Nous admettons cependant, à l’instar de Walzer, que la Bible est peut-être avant tout un livre religieux, mais qu’elle reste également un livre politique, dans la mesure où elle fait l’objet, de manière continue, de lectures et d’interprétations politisantes qu’elle ne peut ni empêcher ni interdire.

Mark Juergensmeyer, lui, a consacré un travail « au terrorisme religieux à la fin du XXe siècle, c’est-à-dire aux actes de terreur, perpétrés à l’encontre des civils, que la religion a motivés, justifiés, organisés », en s’efforçant, écrit-il, « de pénétrer l’esprit de ceux qui commanditent ou accomplissent ces actes […] », poursuivant ainsi :

« Il ne s’agit bien évidemment pas pour moi de trouver des circonstances atténuantes à ceux qui sont capables de telles horreurs, mais bien de tenter d’appréhender leur vision des faits, de comprendre comment ils peuvent justifier leurs actes. Mon but étant de comprendre l’environnement culturel à l’origine de ces actes de violence, j’ai étudié les idées qui motivent ceux-ci ainsi que les communautés qui soutiennent les terroristes, plutôt que ces derniers eux-mêmes. »

Ces extraits sont tirés de « Dieu est avec nous : Le 7 octobre et ses conséquences. Comment les religions islamique et juive justifient la violence » d’Haoues Seniguer, qui vient de paraître aux éditions Le Bord de l’Eau.

À l’instar de Juergensmeyer, nous considérons qu’il est essentiel de souligner que les idées, notamment lorsqu’elles sont nourries par la croyance et des convictions religieuses, idéologisées ou non, jouent un rôle déterminant dans l’action, qu’elle soit accomplie ou en devenir. Il serait cependant incomplet d’en rester là. En effet, Pierre Bourdieu (1932-2002) souligne que la réussite d’un acte de langage n’est jamais purement linguistique, mais dépend des conditions sociales qui l’entourent.

En d’autres termes, la parole ne peut être efficace (ou du moins efficiente) que si elle est soutenue par des rapports sociaux, éventuellement des impulsions politiques, qui lui confèrent une légitimité et un pouvoir d’action. Dans cette perspective, nous inscrivons notre réflexion dans la continuité des travaux du sociologue français, selon lesquels un ordre ne peut acquérir une véritable valeur performative que si son émetteur dispose d’une autorité reconnue. De même, l’efficacité du discours politique repose étroitement sur le capital symbolique de l’orateur, d’autant plus cardinal s’il s’appuie sur un volume conséquent de ressources matérielles qui permettront de la sorte un pouvoir d’injonction ou d’influence encore plus décisif.

The Conversation

Haoues Seniguer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Israël-Palestine : comment les religions juive et islamique sont mobilisées pour justifier la violence – https://theconversation.com/israel-palestine-comment-les-religions-juive-et-islamique-sont-mobilisees-pour-justifier-la-violence-263549