Les femmes dans la finance : déconstruire les stéréotypes pour faire progresser l’égalité

Source: The Conversation – France (in French) – By Gunther Capelle-Blancard, Professeur d’économie (Centre d’Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le secteur de la finance s’est largement féminisé. Mais, à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, les hommes continuent d’être majoritaires. Ces inégalités prennent naissance dans des préjugés – parfois dès le foyer. Est-il possible de les combattre efficacement ? Comment ?


Longtemps, la finance a été considérée comme un bastion masculin. Et si les temps changent, les représentations peinent à évoluer. Golden boys, traders arrogants, dirigeants technocrates : les figures dominantes de l’imaginaire financier restent quasi exclusivement masculines. Or, dans la réalité, la majorité des salariés du secteur bancaire sont… des femmes ! Mais cette majorité est trompeuse. À mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie ou que les postes deviennent plus rémunérateurs et stratégiques, leur part décroît nettement. Aucune femme, à ce jour, n’a dirigé de grande banque française.

Dans un contexte où des voix conservatrices s’élèvent, notamment aux États-Unis, contre les politiques de diversité sur fond de croisade antiwokisme, il importe de continuer à documenter, interroger et à comprendre les mécanismes comportementaux, culturels et institutionnels complexes qui façonnent les trajectoires socioéconomiques et, partant, les inégalités de genre.

Des différences souvent mal comprises

Les différences d’attitudes, de préférences et de valeurs entre les femmes et les hommes sont largement exagérées. Il serait temps d’en finir avec cette fable selon laquelle les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus. Qu’il s’agisse de leur rapport à l’argent, de leur goût pour le risque et la compétition ou de leur volonté de pouvoir, les différences entre hommes et femmes sont souvent faibles, variables et fortement contextuelles. Et surtout, elles sont socialement construites.

Ces différences sont amplifiées par la prégnance de stéréotypes qui finissent par être intégrés, tant par les femmes que par les hommes. Il en résulte des inégalités persistantes au détriment des femmes en matière d’épargne, d’accès aux crédits et de participation sur les marchés boursiers. Les femmes pâtissent aussi lourdement des préjugés dans leur carrière et sont peu nombreuses à occuper les postes les plus prestigieux et les plus rémunérateurs. Et lorsque les femmes finissent par briser ce « plafond de verre », c’est souvent en adoptant des « codes réputés masculins » (en matière de prise de risque, par exemple) – ce qui remet d’ailleurs en cause certains récits sans doute trop simplistes autour des effets vertueux d’une féminisation des instances financières.




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Des stéréotypes qui viennent du foyer

Ces différences se nourrissent des préjugés qui prennent naissance dans les foyers. Ainsi, pendant longtemps, c’est le mari qui s’occupait de gérer le budget du ménage. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les enquêtes montrent au contraire que ce rôle est désormais dévolu majoritairement aux épouses. On en sait toutefois peu sur la gestion de l’argent au sein des couples.

À partir d’une base de données issue d’une banque française regroupant plus de 7 000 couples, on peut analyser la manière dont chacun des partenaires s’auto-évalue en matière de connaissances financières. Fait marquant, un biais de genre est observé dans la perception de ses propres compétences financières puisque la recherche montre que les femmes se sous-estiment plus souvent que les hommes. Pourtant, lorsque les conjoints sont présents ensemble au moment de l’évaluation, l’écart tend à se réduire de 18,7 %.

Ce phénomène suggère que la dynamique du couple peut atténuer ou renforcer les biais de genre. Et plus les couples sont engagés financièrement (épargne, investissement), plus l’écart de confiance tend à s’accentuer au détriment des femmes. Ces écarts ne sont pas anodins : ils conditionnent les prises de décision et les arbitrages patrimoniaux, et il peuvent renforcer les déséquilibres au sein du couple.

Une loi pour quels résultats ?

La finance, ce n’est pas que la gestion des comptes et du budget au sein des ménages. C’est aussi (et surtout) un secteur économique structurant, où les postes les plus stratégiques sont encore largement occupés par des hommes.

En France, la loi Copé-Zimmermann (2011) a imposé un quota de femmes dans les conseils d’administration, dans et hors du secteur financier, suivie plus récemment par la loi Rixain (2021) sur les comités exécutifs. Ces dispositifs ont eu des effets réels. Les conseils d’administration sont, à l’heure actuelle, à quasi-parité en matière de genre et la France est le leader en la matière. Il apparaît, en outre, aujourd’hui, que la loi de 2011 a eu un effet sur la performance extrafinancière des entreprises, qui s’expliquerait par la montée en puissance de femmes ayant eu des parcours professionnels souvent en prise avec les enjeux environnementaux et sociaux.

Si les quotas garantissent donc en général une quasi-parité dans les conseils d’administration (en termes de sièges), ils n’épuisent cependant pas la question des inégalités de genre à la tête des grandes entreprises. En particulier, la hiérarchie au sein même des conseils (présidences, comités stratégiques, etc.) reste très genrée et reproduit les stéréotypes conventionnels, les femmes accédant moins souvent aux fonctions les plus influentes.

Interroger les règles du jeu

Finalement, les inégalités observées ne traduisent pas des différences innées de compétences ou d’appétence pour la finance, mais bien des différences de socialisation, d’éducation et, consécutivement, de trajectoires. Les travaux issus de la recherche expérimentale et des enquêtes institutionnelles convergent : les écarts existent, mais ils sont amplifiés par les structures et les normes sociales. En d’autres termes, il ne suffit pas d’ouvrir les portes de la finance aux femmes. Il faut aussi interroger les règles du jeu, les modèles dominants, et les représentations qui pèsent sur les parcours.

Ainsi, et par exemple, il apparaît clairement aujourd’hui que les quotas à la tête des entreprises, pour importants qu’ils soient, ne suffiront pas à résorber les inégalités de genre aux niveaux inférieurs, à tous niveaux de qualification : le rôle et la prégnance des stéréotypes indiquent que la clé est dans une dynamique bottom up (plus que top down), conduisant les femmes à se projeter pleinement dans l’univers de la finance et des postes à responsabilités, et les hommes à se départir de leurs croyances en la matière. Bref, c’est à la base qu’il faut maintenant agir : dans les écoles, dans les familles, dans les institutions.


Les auteurs de cet article ont supervisé le numéro de la Revue d’économie financière d’avril 2025, « Femmes et finance ».

The Conversation

Antoine Rebérioux a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).

Gunther Capelle-Blancard et Marie-Hélène Broihanne ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Les femmes dans la finance : déconstruire les stéréotypes pour faire progresser l’égalité – https://theconversation.com/les-femmes-dans-la-finance-deconstruire-les-stereotypes-pour-faire-progresser-legalite-257589

Sean Feucht au Québec : la décision d’annuler ses concerts est contre-productive

Source: The Conversation – in French – By Frédéric Dejean, Professeur en sciences des religions, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Le chanteur évangélique et pro-Trump Sean Feucht a fait irruption dans l’actualité québécoise cet été. Un concert annulé, une amende, et une polémique : l’affaire relance le débat sur la liberté religieuse.

Sean Feucht, chanteur évangélique américain et fervent soutien de Donald Trump, est aussi connu pour ses prises de position controversées contre la communauté LGBTQ+ et le droit à l’avortement, souvent exprimées sur ses réseaux sociaux. Jusqu’à récemment inconnu du grand public québécois, il a gagné en notoriété cet été après l’annulation de dernière minute de son concert prévu à Québec le 25 juillet, dans la foulée de la controverse.

La Ville de Montréal a emboîté le pas en interdisant à son tour la tenue d’un spectacle allant « à l’encontre des valeurs d’inclusion, de solidarité et de respect prônées à Montréal », a dit la porte-parole de l’administration de Valérie Plante.

Qu’à ce la ne tienne, une église évangélique de Montréal a quand même organisé un événement avec Feucht, déclenchant une manifestation réunissant partisans et opposants. Feucht a largement relayé ces controverses sur ses réseaux sociaux, dénonçant une atteinte à la liberté religieuse. L’église s’est quand à elle vue infliger une amende de 2500 $ par la Ville de Montréal, car elle ne détenait pas de permis pour organiser un tel événement.

Cochercheur au sein de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression, je poursuis actuellement une enquête sur le prosélytisme évangélique dans les transports en commun et l’espace public montréalais. J’ai développé dans ce cadre la notion d’« effet Sainte Blandine », en référence à cette esclave chrétienne de la ville de Lyon (Lugdunum à l’époque), qui a été martyrisée en juillet 177 et qui, dans la tradition catholique, constitue un symbole de résistance face aux persécutions.

L’historiographie du christianisme primitif a montré que les persécutions n’ont pas du tout eu pour effet de freiner la diffusion du christianisme. Au contraire, les martyrs sont devenus des modèles vénérés capables de susciter la ferveur religieuse.

L’« effet Sainte Blandine » : la foi renforcée dans l’adversité

Par l’expression d’« effet Sainte Blandine » je désigne des situations où la marginalisation sociale des personnes croyantes renforce leurs convictions et affermit en elles la certitude de la justesse de leur cause.

Prenons un exemple : lors d’une séquence d’observation d’une personne qui évangélisait à une station de métro de Montréal, j’ai eu l’occasion d’entendre des propos assez virulents de la part d’usagers qui interrompaient le prêche par des propos injurieux. Discutant avec elle de ces moments de tension, je lui ai demandé si de telles réactions pouvaient la conduire à cesser d’évangéliser. Elle m’a simplement répondu que ceux qui réagissaient de la sorte étaient « conduits par le diable » et qu’il était donc d’autant plus nécessaire de continuer.

Ce petit exemple fait écho à l’ouvrage classique en psychologie sociale L’échec d’une prophétie, ouvrage dans lequel Leon Festinger montrait comment l’individu surmonte la situation d’échec par un travail de rationalisation.

C’est bien le même « effet Sainte Blandine » à l’œuvre lors de la controverse autour de Sean Feucht qui affirmait sur son compte Instagram en date du 23 juillet :

Je n’ai pas ressenti un tel niveau de résistance depuis un bon moment, pas depuis 2020. […] C’est toujours le même stratagème du diable. Il veut que le peuple de Dieu se taise, reste chez lui, remette son masque et garde le silence.




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La pandémie comme catalyseur de notoriété et de discours

La référence à la pandémie de Covid-19 n’est pas fortuite. C’est en effet à cette occasion que Sean Feucht a vu croître sa notoriété, plus précisément quand il a initié le mouvement « #LetUsWorship » qui se voulait une réponse aux restrictions sur les rassemblements pour des raisons sanitaires. Il a déployé alors une rhétorique victimaire assez classique, mais très efficace : la liberté religieuse aurait été injustement confisquée par des responsables politiques qui instrumentaliseraient l’urgence sanitaire à des fins idéologiques.

Les événements de cet été ont donné lieu à une exploitation assez similaire de la part de Feucht puisque dans une vidéo sur Instagram en date du 25 juillet, il évoquait également la liberté religieuse bafouée par les élus du Québec : « Mais cette liberté est en ce moment même menacée au Canada », écrivait-il aussi.

Loin de se résigner, il invitait les chrétiens à se mobiliser (« We need to take a stand in this nation ») de trois façons : par la prière, par la signature d’une pétition et par la participation au concert de Montréal. Cet appel a été relayé et amplifié par des responsables chrétiens québécois.

Ainsi, Emmanuel Ouellet, un jeune pasteur montréalais qui s’est fait connaître l’an dernier par l’organisation de l’évènement « Revival Montreal », a publié sur Instagram une vidéo dans laquelle il affirmait :

la guerre est ouverte, il n’y a plus aucun doute, il est temps pour les chrétiens de sortir la tête du sable […] J’invite tous les chrétiens à se joindre à nous afin d’invoquer la puissance du Saint Esprit afin que Dieu se révèle à nos élus.

Un récit de persécution chrétienne au Québec

Pour bien comprendre le sens donné à cet événement par un certain nombre de chrétiens évangéliques, il est indispensable de le replacer dans un récit plus large qui se développe au Québec, au moins depuis la pandémie, selon lequel la liberté religieuse, en particulier celle des personnes chrétiennes, serait systématiquement attaquée. Par exemple, les Églises montréalaises Good News Chapel ou Nouvelles Création avaient résisté aux mesures sanitaires liées à la Covid-19.

Plus récemment, cette perception d’hostilité s’est exprimée dans l’émission Le Panel proposée par la chaîne chrétienne Théovox, où l’animateur dénonçait « une culture d’annulation ou antichrétienne » et des gestes perçus comme des tentatives d’effacement de la foi dans l’espace public. Il évoquait notamment deux cas : la résiliation, fin 2024, d’un contrat de location entre la Commission scolaire de Montréal et l’Église évangélique La Chapelle, qui y tenait des cultes, ou encore l’annulation au printemps 2023 d’un événement anti-avortement, jugé incompatible avec les valeurs d’égalité par le gouvernement.


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Pour ces raisons « l’Église » (terme utilisé dans le monde évangélique pour désigner les personnes chrétiennes) doit sortir de sa réserve et faire entendre sa voix dans le débat public.

Analysée à travers la lunette de l’« effet Sainte Blandine », la controverse entourant la venue de Sean Feucht montre comment certaines décisions politiques peuvent, paradoxalement, renforcer la mobilisation qu’elles cherchent à freiner.

Alors qu’il s’agissait de dénoncer des valeurs négatives portées par Feucht, ce dernier a non seulement adroitement réactivé une rhétorique ayant fait ses preuves en endossant le rôle de victime, mais a en plus fourni des éléments qui alimentent le récit d’un Québec en guerre contre le christianisme.

La Conversation Canada

Frédéric Dejean a reçu des financements du FRQSC

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Le projet de budget 2026 sous la menace de la censure… et du FMI – Bayrou demande un vote de confiance

Source: The Conversation – in French – By Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School

C’est à une clarification qu’appelle François Bayrou. Le premier ministre a indiqué lors d’une conférence de presse lundi 25 août qu’il prononcera un discours de politique générale qui sera soumis au vote des députés, comme l’autorise l’article 49.1 de la Constitution. Son objet sera de faire approuver la nécessité d’un plan sur quatre ans pour réduire les dépenses et la dette. Une fois la confiance des députés obtenue, le premier ministre a indiqué que les différentes mesures jusqu’à présent évoquées pourront être discutées, amendées ou votées. Décryptage du plan général et des mesures prévues.


Lors de sa conférence de presse de rentrée du 25 août, le premier ministre a confirmé la philosophie du plan qu’il avait présenté le 15 juillet dernier, mais a revu la procédure. Évoquant la nécessité d’une « clarification », alors que « notre pays est en danger car nous sommes au bord du surendettement », le premier ministre a indiqué qu’il procédera à un vote de confiance le lundi 8 septembre prochain. L’objet ? Vérifier qu’une majorité de députés partage la trajectoire de réduction des dépenses et enclencher une spirale favorable au désendettement. « Ne débattre que des mesures, c’est ne pas débattre de la nécessité du plan d’ensemble » estime le premier ministre.

Les grandes lignes des efforts budgétaires visent à réduire le déficit public de 5,4 % attendu en 2025 à 4,6 % en 2026, soit toujours le plus élevé de la zone euro. Pour ce faire, il prévoit un effort de 43,8 milliards d’euros. Diagnostiquant à juste titre l’endettement actuellement hors de contrôle du secteur public comme une malédiction, il appelle « tout le monde à participer à l’effort ».




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Le curieux calcul des 44 milliards

François Bayrou a repris le raisonnement – quelque peu spécieux – initié à l’automne 2024 par son prédécesseur Michel Barnier, qui avait alors mis en scène le projet de budget pour 2025 en le rapportant non pas au budget 2024, mais à une estimation contrefactuelle 2025 à cadre législatif et réglementaire inchangé. Détaillées par la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, lors d’une audition au Sénat, le 17 juin 2025 les dépenses publiques prévisibles en 2026 sont estimées par Bercy à 1 750 milliards d’euros.

Sénat 2025.

Pour que l’écart entre dépenses et recettes ne dépasse pas les 4,6 % du PIB visé, « les dépenses devraient donc s’établir à environ 1 710 milliards d’euros » et la différence entre les deux donne le fameux montant d’environ 44 milliards d’euros. Ce mode de calcul revient à comparer l’objectif d’un déficit de 4,6 % du PIB non pas aux 5,4 % prévus en 2025, mais aux 5,9 % attendus en 2026 ceteris paribus c’est-à-dire si rien n’était fait. La diminution mise en avant représente ainsi 1,3 % du PIB, au lieu de 0,8 % ou 24 milliards en comparant plus simplement 2026 avec 2025.

Gel des dépenses

La stratégie budgétaire et fiscale du premier ministre s’inscrit toujours dans le prolongement de la politique de l’offre définie par le président de la République, Emmanuel Macron, dès son arrivée à l’Élysée en 2017. En 2026, les fameux 44 milliards d’effort budgétaire proviendraient donc pour environ 14 milliards de recettes supplémentaires et pour 30 milliards d’économies sur l’évolution tendancielle des dépenses (il ne s’agit donc pas de réelles coupes dans les dépenses). Ces économies se répartiraient comme suit :

Les dépenses de l’État seraient gelées en valeur en 2026 au niveau de 2025, hors défense qui gonflerait de 6,7 milliards et hors charge de la dette étatique (incompressible et qui augmentera de 8 milliards de 59 milliards d’euros à 67 milliards).

Pour ralentir les dépenses de sécurité sociale, celles qui dérivent le plus avec un déficit attendu de 22 milliards cette année, le gouvernement veut instaurer une année blanche en gelant les prestations sociales et les retraites en 2026 (qui touchera surtout les plus pauvres), soit une économie attendue 7 milliards d’euros. Diverses mesures sur l’assurance maladie sont également prévues dans le cadre d’un plan de réduction de 5 milliards en 2026 comme le doublement à 100 euros de la franchise annuelle, un durcissement de l’accès et des avantages des affections de longue durée ou encore des économies sur les transports sanitaires déjà en partie appliquées par voie réglementaire.

Les collectivités territoriales seraient mises à contribution pour un montant de plus de 5 milliards mais sans plus de détail.

Des hausses d’impôts déguisés

Les ménages ne seraient pas épargnés car le gel du barème de l’impôt sur le revenu traditionnellement augmenté de l’inflation (pour éviter de taxer une hausse des revenus purement nominale) se traduirait par une hausse supplémentaire du rendement de l’IR de 1,8 milliard et surtout, mesure encore plus difficile à faire accepter, par l’entrée dans l’impôt de quelque 400 000 nouveaux foyers fiscaux.

Enfin la suppression de deux jours fériés constituerait une double peine : pour les salariés (les indépendants… et les parlementaires… n’étant pas concernés) puisque ces deux jours de travail ne seraient pas payés ce qui fait dire aux syndicats qu’il s’agit du rétablissement de la corvée d’Ancien Régime mais aussi pour les entreprises qui seraient taxées sur le gain théorique (et très hypothétique) qu’elles tireraient des deux jours d’activité supplémentaires soit 4,3 milliards d’euros. Pour les plus fortunés, une contribution de solidarité est envisagée sans plus de précision à ce jour.

L’analyse des mesures annoncées oblige à douter de leur efficacité : ainsi l’année blanche ne rapporterait que 5,7 milliards au lieu de 7 milliards et plusieurs effets d’annonce n’auront pas d’impact en 2026. Ainsi la règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite pour les années qui viennent ou le dépôt d’un projet de loi « contre la fraude sociale et fiscale » n’auront aucun effet en 2026. Quant aux sanctions contre les entreprises qui tardent à régler leurs partenaires commerciaux ou celles qui imposent des retards de paiement trop longs à leurs partenaires commerciaux pouvant aller « jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires », elles resteront très marginales.

La coalition des mécontents

Au vu des réactions des principaux groupes parlementaires, on peut aisément identifier un large front du refus de toute la gauche et du RN soit une majorité favorable à la censure sans même prendre en compte les réticences des Républicains et d’une partie du camp présidentiel qui refusent toute ponction sur les entreprises au nom de la sauvegarde de l’emploi.

Nous nous retrouvons une fois de plus face au cocktail explosif d’une Assemblée nationale fragmentée, réceptacle de colères sociales qui comme le souligne Giulano Da Empoli, quoique de nature différente voir opposées ne se combattent pas mais s’additionnent.

Un effet boule de neige des intérêts à payer

Face à la paralysie parlementaire, le principal risque est donc de revivre le scénario de blocage budgétaire de la fin 2024 avec la chute annoncée du gouvernement Bayrou et une absence de budget au début 2026. Dans ces conditions, le déficit public resterait figé au delà de 5 % en 2026, tout comme le déficit structurel qui est du même niveau, lui aussi le plus élevé de la zone euro malgré les rustines mise en place sous forme de gel des dépenses par décret.




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Or la remontée des taux longs depuis 2022 au-delà de 3 % (ce qui est plutôt bas comparé à la moyenne historique) se traduira mécaniquement par une envolée des intérêts de l’ensemble de la dette publique (au sens de la Commission européenne, c’est-à-dire en intégrant notamment les intérêts des 60 milliards de dettes de l’assurance-chômage et des 140 milliards de la dette sociale cantonnée dans la CADES). La charge de la dette publique qui représente déjà aujourd’hui 5,6 % des recettes fiscales en France contre 2 % aux Pays-Bas et 2,7 % en Allemagne passera de 74 milliards d’euros en 2025 à 90 milliards d’euros en 2026 puis s’envolera inexorablement dans les prochaines années,

Qui disciplinera les comptes publics ?

Pour y faire face, il faudra dans les toutes prochaines années faire totalement disparaître le déficit public primaire (hors intérêts de 3 % en 2025) soit un effort de près de 100 milliards d’euros, puis dégager un excédent primaire pour réduire la dette. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les taux des emprunts d’État français à 10 ans rejoignent aujourd’hui ceux des emprunts de l’État italien autour de 3,4 %, hypothèse inimaginable il y a peu ni que la dégradation du rating du pays actuellement de AA – (soit l’équivalent de 17/20) soit inévitable à court terme. Le chemin de l’austérité est bien balisé depuis 15 ans par les pays du sud de l’Europe, Grèce, Italie, Espagne et Portugal qui en sortent actuellement.

La France va y entrer très vite mais il est peu probable que la classe politique, responsable de la dérive des comptes publics depuis 1981 accepte de s’autodiscipliner ni que la Commission européenne pourtant gardienne du Pacte de stabilité et de croissance n’abandonne sa coupable indulgence envers la France. De manière très symptomatique, aujourd’hui le principal contempteur de la dérive des comptes publics n’est autre que le président de la Cour des comptes qui fut… ministre des finances puis commissaire européen aux affaires économiques et monétaires. La potion amère nécessitera alors un gendarme extérieur : bienvenue au FMI.

The Conversation

Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Décrocher un diplôme sans reprendre des études : la validation des acquis de l’expérience, un dispositif méconnu

Source: The Conversation – in French – By Céline Hoffert, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

La validation des acquis de l’expérience permet d’obtenir un diplôme en valorisant les compétences acquises sur le terrain professionnel, sans nécessairement reprendre des études. Ce dispositif reste encore peu mobilisé, bien qu’il présente de nombreux atouts.


Dans un monde marqué par la mondialisation et un marché de l’emploi en tension, le diplôme demeure incontournable pour accéder à l’emploi, sécuriser son parcours et améliorer son employabilité. Cependant les trajectoires professionnelles ne sont plus longilignes. Le diplôme obtenu par formation initiale – lorsqu’il existe – ne peut répondre à lui seul aux enjeux économiques et sociaux.

En effet, l’accélération des évolutions technologiques rend nécessaire l’apprentissage constant pour innover et pour rester compétitif. Or la formation professionnelle continue présente encore des lacunes : elle bénéficie surtout aux personnes déjà diplômées et répond avec un temps de retard aux besoins du marché du travail.

Pour penser l’apprentissage tout au long de la vie, il s’agit aujourd’hui de reconnaître la dimension formatrice de l’expérience, au travail ou dans la vie quotidienne. Créée en 2002, la validation des acquis de l’expérience (VAE) répond à ces besoins de certification. Plus de 250 000 diplômes ont été délivrés par cette voie. De quoi s’agit-il ?

Le déroulement de la VAE

La VAE est ouverte à toute personne justifiant d’une expérience de terrain, qu’elle soit professionnelle, bénévole, syndicale ou même personnelle. Elle permet d’obtenir un diplôme, titre ou certificat national, identique à celui délivré par formation initiale ou continue. Il est ainsi possible d’obtenir tout diplôme référencé au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), qu’il s’agisse d’un CAP, d’un baccalauréat professionnel, d’une licence, d’un master ou même d’un doctorat.

La démarche se déroule en moyenne sur une année, indépendamment du calendrier scolaire ou universitaire. Elle est principalement mobilisée hors temps de travail.

La démarche de VAE consiste à « mettre au travail » l’expérience pour démontrer la maîtrise des connaissances et des compétences inscrites au référentiel du diplôme visé. Pour ce faire, le candidat ou la candidate traverse quatre grandes étapes. Il ou elle :

  • identifie le diplôme en lien avec son expérience et son projet ;

  • constitue un dossier de recevabilité-faisabilité (aussi appelé « livret 1 ») pour autoriser son entrée dans le dispositif et sécuriser son parcours ;

  • constitue un dossier VAE (aussi appelé « livret 2 ») qui est un écrit spécifique, à la fois professionnel et académique, nécessitant la maîtrise de compétences transversales (écriture, synthèse…), d’autant plus exigeantes que le niveau du diplôme visé est élevé ;

  • présente le dossier VAE à un jury qui décide d’une validation totale, partielle ou d’un refus.

Plus qu’un diplôme, un processus apprenant

La VAE n’est pas à proprement parlé un dispositif de formation. Sa finalité est d’abord certifiante. Cependant, elle apparaît profondément apprenante, au sens où elle développe les dispositions à apprendre des candidats. Elle répond ainsi aux enjeux de l’apprenance, en encourageant à apprendre en tout lieu et en toute situation. Selon Philippe Carré, auteur du concept, « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres. » Aussi, la plupart des candidats et candidates bénéficient d’un accompagnement, ce qui favorise la dynamique d’apprentissage.

Notre recherche (menée dans l’enseignement supérieur) a mis en exergue cette dynamique générée par la mise au travail de l’expérience.

Celle-ci débute par une mise au jour des connaissances et compétences. Mettre des mots sur son expérience, c’est prendre conscience de ce que l’on sait, de ce que l’on sait faire, de ce que l’on aime ou non faire. C’est mieux se connaître, identifier ses forces et ses zones de progrès.

Cette mise au jour permet ainsi, par comparaison, de mesurer les écarts entre ses acquis et ce qui est requis pour le diplôme, ou pour évoluer professionnellement.

La mise au jour des connaissances et compétences engage leur mise à jour, pour combler les écarts. Les candidats peuvent bénéficier de temps formatifs dans le cadre de l’accompagnement et en dehors, mais ils peuvent aussi apprendre de leurs lectures et de leurs échanges avec leur entourage professionnel et personnel, et avec d’autres candidats.

Ces nouvelles connaissances et compétences mises en œuvre facilitent l’élaboration de leur dossier, et contribuent plus largement au développement professionnel et personnel des candidats. Ainsi ce sont leur rapport au savoir et leur rapport au travail qui évoluent.

Reconnaître le dispositif de VAE

Malgré ses atouts, la diplomation par VAE reste marginale si on la compare aux autres voies d’accès aux diplômes. Elle peine à atteindre pleinement les publics qui en auraient le plus besoin. Si elle est principalement mobilisée par des personnes peu qualifiées, ce sont majoritairement des personnes en situation d’emploi qui se portent candidates.

Le dispositif a donc connu plusieurs ajustements législatifs et réglementaires, plus ou moins conséquents, au gré des réformes de l’éducation et de l’emploi. La loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi marque un tournant pour la VAE. Cette loi entend simplifier les démarches et se focalise principalement sur les freins administratifs pour élargir les publics concernés.

Que la VAE soit davantage connue est une chose, mais est-elle reconnue à sa juste valeur ? Pour ses bénéficiaires comme pour les employeurs, la VAE offre certes des avantages « productifs » en termes logistiques et financiers, elle atteste officiellement de compétences « métiers ».

Mais la VAE peut aussi se révéler « constructive » : elle mobilise et développe des capacités à organiser le travail, à faire preuve d’autonomie et de persévérance ; et surtout elle mobilise et développe les dispositions à apprendre. Ceci apparaît aujourd’hui essentiel dans un monde en pleine accélération.

The Conversation

Céline Hoffert est membre du réseau UnivPro (https://www.univpro.fr).
Elle a été Chargée d’ingénierie et d’accompagnement VAE puis Responsable de la Cellule VAE de l’Université de Strasbourg de 2010 à 2024.

ref. Décrocher un diplôme sans reprendre des études : la validation des acquis de l’expérience, un dispositif méconnu – https://theconversation.com/decrocher-un-diplome-sans-reprendre-des-etudes-la-validation-des-acquis-de-lexperience-un-dispositif-meconnu-260242

Qui était Berta Cáceres, assassinée en 2016 pour avoir défendu une rivière sacrée au Honduras ?

Source: The Conversation – in French – By Shérazade Zaiter, Auteure | Juriste | Conférencière | Ambassadrice pour le Pacte européen du climat, Université de Limoges

Berta Cáceres a reçu, en 2015, le « Nobel vert », le prix Goldman pour l’environnement. Goldman Environmental Prize

Cet été, The Conversation France vous emmène à la rencontre de personnalités pionnières mais méconnues de mouvements pour la protection de l’environnement. Aujourd’hui, il s’agit de Berta Cáceres, militante écologiste qui a défendu les droits des peuples autochtones et qui a été froidement assassinée, en 2016, au Honduras.


En 2023, 196 défenseurs de l’environnement ont été tués à travers le monde. Ces chiffres terrifiants, publiés en septembre 2024 par l’ONG Global Witness, témoignent d’une réalité alarmante : s’engager pour la planète peut coûter la vie. Et dans ce combat, l’Amérique latine reste l’une des régions les plus dangereuses. Depuis 2012, plus de 2 100 militants sont morts, soit un meurtre tous les deux jours.

Parmi les pays les plus touchés : la Colombie, le Brésil, le Mexique, les Philippines… et le Honduras. Dans ce petit pays d’Amérique centrale, 18 défenseurs de l’environnement ont perdu la vie en 2023. La majorité des victimes sont issues des peuples autochtones, qui représentent à peine 5 % de la population mondiale, mais qui concentrent plus d’un tiers des agressions recensées.

Le destin de Berta Cáceres, militante hondurienne assassinée en 2016, en représente un exemple tragique. Ce texte retrace le portrait de cette figure hors norme dont l’écho résonne encore aujourd’hui.

Engagée pour les peuples autochtones

Figure emblématique de la défense des droits autochtones et de l’environnement, Berta Cáceres est devenue le symbole d’une lutte universelle contre la corruption environnementale.

Berta Cáceres en 2007.
UN Environment

Née le 4 mars 1971 à La Esperanza, elle a grandi au sein d’une famille engagée. Sa mère, Austra Bertha Flores, est sage-femme et militante féministe. Son père, Ricardo Cáceres, appartient au peuple indigène lenca.

Très tôt, Berta a été sensibilisée aux inégalités sociales, à la pauvreté et à l’injustice. En 1993, elle a cofondé le Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras (COPINH), une organisation dédiée à la défense des droits des peuples autochtones. Avec le COPINH, elle s’est engagée contre l’exploitation des ressources naturelles et contre le fait que les projets industriels soient imposés aux communautés sans leur consentement.

Le « Nobel vert » pour sa mobilisation contre un projet de barrage

Au début des années 2000, le gouvernement hondurien a attribué des concessions à des entreprises privées pour construire des barrages hydroélectriques sur des territoires indigènes. Parmi ces derniers, le projet Agua Zarca, porté par la société Desarrollos Energéticos S.A. (DESA), prévoyait de barrer le fleuve Gualcarque, une rivière sacrée pour les Lenca. Un projet qui menaçait leur existence même : le peuple Lenca dépend de cette rivière pour son eau, sa culture, sa spiritualité et sa survie.

Berta Cáceres a alors organisé la résistance. Manifestations, blocages, campagnes internationales… Pendant des années, elle a dénoncé la collusion entre l’entreprise DESA, les responsables politiques et les forces de sécurité. Bien que pacifique, son action dérangeait. Très vite, elle est devenue la cible de harcèlements, de menaces de mort, et de tentatives d’intimidation. Le gouvernement hondurien, au lieu de la protéger, a préféré l’accuser d’incitation à la violence.

En 2015, Berta Cáceres a reçu le prestigieux prix Goldman pour l’environnement. Ce prix, surnommé le « Nobel vert », récompense les plus grands défenseurs de la nature à travers le monde. Il est venu saluer son combat acharné pour les droits des peuples autochtones et la protection des territoires sacrés. Le monde entier a alors découvert le courage de cette guerrière, porte-voix des rivières et des forêts du Honduras.

Un meurtre qui a provoqué une onde de choc mondiale

Mais cette reconnaissance internationale n’aura pas suffi à la protéger. Dans la nuit du 2 au 3 mars 2016, des tueurs à gages sont entrés chez elle et l’ont froidement abattue. Elle avait 44 ans et était mère de quatre enfants. Elle a été assassinée pour avoir défendu une rivière sacrée.

Son meurtre, parfaitement ciblé et planifié, a provoqué une onde de choc mondiale. Les Nations unies, Amnesty International, les gouvernements étrangers, les ONG environnementales : tous réclament une enquête impartiale. Michel Forst, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, a exhorté le Honduras à garantir une enquête complète sur le meurtre de Berta.

Mais dans ce pays, l’impunité reste la norme. Plus de huit ans après son assassinat, la justice hondurienne peine toujours à poursuivre tous les responsables impliqués dans le crime. Pour l’heure, les quatre tueurs à gages, un major de l’armée, plusieurs responsables de DESA – dont son ancien chef de la sécurité et Roberto David Castillo Mejía, son ancien président – ont été condamnés.

Roberto David Castillo Mejía, en particulier, a été condamné en 2022 par la Cour suprême de justice du Honduras à 22 ans de prison comme coauteur de l’assassinat de Berta. En novembre 2024, il a écopé de cinq années supplémentaires pour fraude et usage de faux documents dans l’affaire de Gualcarque.

Cette condamnation repose en grande partie sur les preuves méticuleusement collectées par Berta elle-même au prix de sa vie. À l’époque, Castillo siégeait également à la direction de l’entreprise nationale d’électricité (ENEE), une position qui lui aurait permis de manipuler l’attribution des contrats publics en faveur de DESA.

Ce cas illustre parfaitement la collusion toxique entre entreprises privées, institutions publiques et réseaux de pouvoir. Si ces condamnations représentent une avancée partielle, elles ne sauraient masquer l’absence de poursuites contre les véritables architectes de ce système de prédation. Roberto David Castillo ne serait que le maillon d’une structure criminelle plus large : la liste des personnes condamnées n’intègre pas toutes les personnes qui ont planifié et ordonné l’assassinat de l’activiste.

Face au refus du gouvernement hondurien d’accepter des investigations d’enquêteurs étrangers, un groupe d’experts indépendant a, en 2017, mis en cause les autorités du Honduras.

Dans ce contexte, le refus du Honduras de ratifier l’accord d’Escazú, qui concerne les droits d’accès à l’information sur l’environnement, la participation du public à la prise de décision environnementale, la justice environnementale et un environnement sain et durable pour les générations actuelles et futures en Amérique latine et dans les Caraïbes, apparaît comme une forme de déni institutionnel.

Signé par 24 pays en septembre 2018 au Costa Rica et entré en vigueur en avril 2021, ce traité régional, pionnier sur l’environnement et les droits humains, engage les États à garantir l’accès à l’information environnementale, à renforcer la participation citoyenne aux décisions écologiques, et surtout à protéger les défenseurs de l’environnement.

Le Honduras, qui reste l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les défenseurs de l’environnement, ne l’a toujours pas ratifié, alors même que la société civile et les ONG internationales réclament son adoption urgente. À ce jour, seuls 18 pays d’Amérique latine et des Caraïbes l’ont ratifié.

L’héritage laissé par Berta Cáceres

L’histoire de Berta Cáceres dépasse les frontières du Honduras et appelle à ce que justice soit faite. Non seulement pour elle, mais pour toutes celles et ceux qui, aujourd’hui encore, risquent leur vie pour défendre la Terre. Ce drame révèle les mécanismes d’un système global où la défense du vivant entre en conflit avec des intérêts économiques puissants. Dans ce système, ce sont souvent les plus vulnérables – peuples autochtones, femmes, paysans – qui paient le prix fort.




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Le COPINH poursuit aujourd’hui l’œuvre de Berta Cáceres, mené en partie par sa fille Laura Zúñiga Cáceres. À La Esperanza, des fresques murales, des cérémonies et des chants perpétuent la mémoire de celle qu’on appelle désormais la gardienne des rivières.

Berta Cáceres est ainsi devenue une figure universelle de la résistance : une femme qui a su unir écologie, justice sociale et lutte pour les droits des peuples dans un même souffle. De nombreuses organisations de défense des droits humains et de

l’environnement à travers le monde évoquent régulièrement son nom pour dénoncer les violences systémiques. Dans un monde confronté à la crise climatique, à l’effondrement de la biodiversité et aux dérives autoritaires, sa mémoire rappelle que défendre l’environnement, ce n’est pas seulement protéger la nature, c’est aussi défendre les droits humains.

Berta Cáceres a ouvert un chemin pour la nouvelle génération de défenseurs de l’environnement : défendre la planète, c’est aussi défendre la vie, la dignité et la démocratie.

Ainsi Berta Cáceres disait-elle :

« Notre Terre-mère, militarisée, clôturée, empoisonnée, témoin de la violation systématique des droits fondamentaux, nous impose d’agir. »

Aujourd’hui, face à l’urgence écologique et climatique, aux atteintes aux droits humains et aux menaces croissantes contre les libertés, ces mots ne sont plus un simple avertissement. Ce sont des impératifs moraux. Agir n’est plus une option : c’est un devoir.

The Conversation

Shérazade Zaiter est membre d’Avocats sans Frontières et du Centre International de Droit Comparé de l’Environnement.

ref. Qui était Berta Cáceres, assassinée en 2016 pour avoir défendu une rivière sacrée au Honduras ? – https://theconversation.com/qui-etait-berta-caceres-assassinee-en-2016-pour-avoir-defendu-une-riviere-sacree-au-honduras-261413

États-Unis : la politique nataliste inégalitaire de Donald Trump

Source: The Conversation – in French – By Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business School

La « grande et belle loi budgétaire », annoncée par Donald Trump, début juillet, vise notamment à inciter les femmes états-uniennes à avoir plus d’enfants. En examinant ses dispositions, on constate que ce sont avant tout les femmes les mieux loties aux niveaux social et économique qui seront à même d’en profiter.


Comme de nombreux autres pays du monde, les États-Unis sont confrontés à une baisse massive des naissances depuis des décennies. Cette chute démographique s’est amorcée, aux États-Unis, dès le XIXe siècle, une époque où les femmes avaient en moyenne sept enfants. Depuis 2007, le taux de natalité outre-Atlantique est tombé à 1,6 enfant par femme, soit un taux largement inférieur au seuil de renouvellement des générations, lequel est estimé à environ 2,05 enfants par femme hors immigration.

Selon les données des centres de contrôle et de prévention des maladies, environ 3,6 millions de naissances ont été enregistrées en 2023, ce qui représente un recul de 2 % par rapport à 2022, et une diminution de 20 % depuis 2007.

Face à ce constat, Donald Trump veut provoquer un baby-boom, une ambition qu’il avait déjà formulée en 2023. En février dernier, le président a signé un décret exécutif visant à « examiner » les moyens de réduire le coût de la fécondation in vitro et d’en faciliter l’accès aux citoyens américains. Toutefois, à ce propos, rien n’a encore été concrétisé à ce jour. En attendant, une nouvelle étape vient d’être franchie avec la loi budgétaire, promulguée le 4 juillet dernier, dite « grande et belle loi budgétaire ». Celle-ci prévoit des mesures incitatives en faveur de la natalité.

Trump n’est pas le seul à avoir une vision nataliste. Le vice-président J. D. Vance, connu pour son mépris envers les femmes sans enfant, a lui aussi affirmé vouloir plus de bébés aux États-Unis. Pour Elon Musk, ancien proche allié de Trump et père de quatorze enfants qu’il a eus avec quatre femmes différentes, la diminution du taux de natalité est plus inquiétante que le réchauffement climatique. Les mouvements pronatalistes gagnent également en visibilité depuis quelques années. Le déclin de la natalité est ainsi devenu un sujet de préoccupation majeur dans le pays.

Comment expliquer cet effondrement démographique, que Donald Trump entend combattre à travers les mesures natalistes prévues dans sa loi budgétaire ? Et ces mesures seront-elles accessibles et équitables pour toutes les familles ?

Les facteurs clés de la dénatalité

Comme le souligne Donna Strobino, experte en recherche sur la santé maternelle et infantile, les femmes, aux États-Unis, poursuivent en moyenne des études plus longues que les hommes. Certaines – principalement les résidentes des métropoles du numérique et de la tech, issues de la population blanche, aisée et diplômée – privilégient ensuite leur carrière à la maternité. D’autres, quoique moins bien loties financièrement, ont fait le choix d’avoir moins d’enfants en raison d’un certain esprit d’indépendance vis-à-vis des valeurs traditionnelles.

S’y ajoute le report du projet parental des unes et des autres pour des raisons sociétales (célibat, inégalité dans la répartition des tâches domestiques), de priorités professionnelles (crainte du « plafond de mère ») ou économiques (remboursement du prêt d’études, chômage, prix élevé du logement, coût ou pénurie des garderies).

Les « Ginks » – Green Inclinations No Kids –, de leur côté, ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants pour des raisons d’ordre écologique.

En outre, la commercialisation aux États-Unis de la pilule contraceptive depuis 1960, ainsi que l’accès plus facile à l’avortement (du moins avant l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization en 2022) ont également contribué à cette baisse de la natalité.

Enfin, certaines femmes états-uniennes ont choisi de différer leur projet de maternité en recourant à la congélation de leurs ovocytes, quand bien même cette pratique ne garantit pas une future grossesse.

L’accessibilité inégale des politiques natalistes de Trump

L’une des mesures annoncées par la nouvelle administration, qui sera mise en œuvre dès juillet 2026, est la création d’un compte d’épargne pour les nouveau-nés, baptisé « compte Trump ». Dans le cadre de ce dispositif, le gouvernement fédéral versera 1 000 dollars aux parents de chaque enfant de citoyenneté états-unienne né entre le 1er janvier 2025 et le 31 décembre 2028, quel que soit le revenu du foyer.

« Trump promet 1 000 dollars par bébé », LCI.

La loi autorise les familles à alimenter ce compte jusqu’à un plafond de 5 000 dollars par an jusqu’aux 18 ans du bénéficiaire. Toutefois, ces « comptes Trump », qui sont censés profiter à tous les enfants états-uniens, favoriseraient surtout les familles les plus aisées. Une simulation, effectuée par Washington Monthly, démontre qu’avec un rendement annuel de 8 %, le dépôt unique de 1 000 dollars par l’État fédéral ne rapporterait que 3 996 dollars après dix-huit ans. À l’inverse, une famille capable d’y verser 5 000 dollars chaque année accumulerait près de 191 000 dollars au terme de la même période.

Parallèlement, la nouvelle loi budgétaire a augmenté le crédit d’impôt pour enfants (Child Tax Credit, CTC), le faisant passer de 2 000 à 2 200 dollars par enfant, à compter de l’année d’imposition 2025. Le CTC étant déterminé par le niveau de revenus du foyer, 19,3 millions d’enfants, contre 17 millions actuellement, ne bénéficieront pas de cette augmentation, car leurs familles ne remplissent pas les nouvelles exigences minimales de revenus.

Les enfants appartenant à une catégorie spécifique de la population pauvre en pâtiront davantage. Les données publiées par le Bureau du recensement, en 2023, montrent en effet que les Noirs et les Hispaniques sont davantage touchés par la pauvreté. Pour la juriste Beverly Moran, 17 millions d’enfants appartenant à ces groupes seront exclus du CTC.




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Une inégalité exacerbée par les coupes dans les aides sociales

Medicaid, un programme public d’assurance santé pour les plus démunis, finance plus de quatre naissances sur dix au niveau national, et près de la moitié des naissances en milieu rural. Les coupes drastiques prévues dans ce programme pourraient avoir de graves conséquences sur la pérennité de certains hôpitaux. Plus de 300 hôpitaux situés en zone rurale, déjà confrontés à une pression financière significative, pourraient être amenés à fermer ou à supprimer leurs services de maternité.




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Une telle évolution nuirait gravement à la santé des femmes enceintes et de l’enfant qu’elles portent, à celle des jeunes mères et des nouveau-nés. Cela est d’autant plus préoccupant que le taux de mortalité maternelle ne cesse d’augmenter aux États-Unis. L’Organisation mondiale de la santé définit la mortalité maternelle comme « le décès d’une femme, survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de quarante-deux jours après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou sa prise en charge, mais ni accidentelle ni fortuite ».

Par ailleurs, si Medicaid finance environ 40 % des accouchements à l’échelle nationale, il couvre plus de 64 % des naissances chez les Afro-Américaines. Selon l’association March of Dimes, les taux de naissances prématurées et de mortalité maternelle et infantile, qui sont plus élevés dans la population noire, risquent d’augmenter en raison de ces coupes budgétaires.

« La mortalité maternelle chez les femmes afro-américaines », Nat Geo France.

Le sabrage dans le programme d’aide supplémentaire à la nutrition (Supplemental Nutrition Assistance Program, SNAP), destiné aux plus défavorisés, aura également un impact réel sur la capacité à procréer des personnes qui n’y seront plus éligibles. En effet, une mauvaise nutrition peut affecter la fertilité des hommes et des femmes.

De plus, les femmes ayant été victimes d’insécurité alimentaire risquent plus que les autres d’avoir des carences et de donner par la suite naissance à des enfants en sous-poids et plus vulnérables aux maladies.

Notons qu’en 2023, 55 % des bénéficiaires du programme SNAP étaient des femmes, et près de 33 % étaient des femmes de couleur.




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Il en ressort que les mesures natalistes mises en place par la politique de Donald Trump, pour autant qu’elles soient efficaces, aideront davantage les classes moyennes et supérieures.

Couplées aux réductions de Medicaid et du SNAP, ces mesures traduisent également le choix politique de limiter la reproduction des pauvres et des Noirs. De telles mesures – le retour de l’eugénisme positif comme négatif sous un nouveau visage… – auront de lourdes conséquences.

The Conversation

Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. États-Unis : la politique nataliste inégalitaire de Donald Trump – https://theconversation.com/etats-unis-la-politique-nataliste-inegalitaire-de-donald-trump-261973

Refuges de montagne : entre regain de fréquentation et menaces climatiques

Source: The Conversation – in French – By Philippe Bourdeau, Professeur émérite de géographie culturelle, UMR Pacte, Université Grenoble Alpes (UGA)

Lieux iconiques de l’histoire de l’alpinisme, les refuges bénéficient d’une relance de fréquentation portée par un rajeunissement de leur public. Cette embellie survient au moment où des dizaines de bâtiments et leurs accès sont menacés par les effets du réchauffement climatique. Alors que l’inflation des coûts de maintenance, de rénovation ou de reconstruction engendrés par ces impacts se heurte à la raréfaction de l’argent public, une vision prospective s’amorce pour repenser leur conception et leurs fonctions.


À l’interface entre vallées et moyenne et haute altitude, les refuges jouent un rôle de plus en plus structurant dans la fréquentation de la montagne peu aménagée, à mesure que leur public s’élargit, et que leur statut et leurs fonctions initiales d’hébergement et de restauration se transforment et s’étoffent. Dans les Alpes françaises, on en recense 234 qui représentent une capacité d’accueil de 9 466 lits, dont 138 correspondent strictement aux trois critères de définition retenus par le Code du tourisme, à savoir : l’absence d’accès par voie carrossable ou remontée mécanique, l’inaccessibilité pendant au moins une partie de l’année aux véhicules de secours et la mise à disposition en permanence d’un espace ouvert au public.

Du fait de leurs caractéristiques géographiques, techniques, culturelles et fonctionnelles, ce sont des hébergements très atypiques au regard des standards touristiques conventionnels : accès pédestre à des sites isolés à haute valeur environnementale, souvent dotés d’un statut de protection ; déconnexion fréquente des réseaux de communication ; ressources très restreintes en eau et en énergie ; fortes contraintes de traitement ou de transport des rejets et déchets ; exiguïté de l’espace habitable ; éventualité de circonstances météorologiques exceptionnelles et de situations de risques (avalanches, écroulements rocheux) ou d’accidents ; exigence d’autonomie hors des périodes de gardiennage ou dans les cabanes non gardées.

Il en est de même en ce qui concerne les conditions de séjour : repas pris en commun, menu unique le soir, dortoirs collectifs… Ces particularités les inscrivent au cœur de questionnements sociétaux majeurs : relation à la nature, rapport au confort et à la frugalité, adaptation au changement climatique, sans oublier l’accessibilité sociale et le vivre-ensemble.

Une fréquentation relancée

Au cours de cinq dernières années, dans l’ensemble de l’Arc alpin, la fréquentation des refuges de montagne, mesurée en nuitées, a atteint des records. C’est le cas en Suisse, dès 2019, puis en France en 2023.

L’examen de l’évolution du nombre de nuitées annuelles sur une longue période montre cependant, pour la France, un tableau très contrasté. À l’échelle nationale, les nuitées enregistrées chaque année dans les refuges de la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM) ont connu une nette baisse après un pic d’environ 300 000 nuitées atteint dans la première moitié des années 1990.

Après un rétablissement au début des années 2000, suivi d’une phase de stagnation, le nombre total de nuitées annuelles a recommencé à augmenter à partir de 2017, pour s’établir autour de 370 000 en 2023 et en 2024, selon les données de la FFCAM.

Pour l’année 2023, si l’on prend aussi en compte la fréquentation des 12 refuges du parc national de la Vanoise, c’est ce massif qui comptabilise la fréquentation annuelle la plus importante à l’échelle française (110 000 nuitées), suivi par le massif des Écrins (76 000 nuitées), puis par les Pyrénées (73 000 nuitées), le massif du Mont-Blanc (66 000 nuitées) et les Alpes du Sud (34 000 nuitées).

Contrastes de fréquentation entre moyenne et haute montagne

L’évolution de cette fréquentation est fortement différenciée selon les vallées et les secteurs, ainsi que selon l’altitude et l’accessibilité des sites. Les bâtiments de haute montagne situés au-dessus de 2 700 mètres, tournés majoritairement vers la pratique de l’alpinisme, connaissent à quelques exceptions une baisse tendancielle, alors que les refuges de moyenne montagne ou ceux qui sont les plus accessibles aux randonneurs connaissent une augmentation de fréquentation.

Un contraste très net s’accentue entre la pratique restreinte de l’alpinisme, qui concerne environ 200 000 personnes à l’échelle de la population française, et celle fortement répandue de la randonnée pédestre, qui concerne un public de 10,4 millions de pratiquants hors montagne et de 6,4 millions en montagne, d’après l’enquête nationale sur les pratiques physiques et sportives 2020.

De plus, la nouvelle donne climatique réduit drastiquement la pratique estivale de l’alpinisme, maintenant décalée d’un mois sur la fin du printemps, ce qui tend à instaurer une continuité avec la pratique du ski de randonnée, en fort développement depuis dix ans (jusqu’à représenter plus de 30 % des nuitées annuelles dans certains refuges).

Menaces, enjeux et dilemmes : bienvenue dans les refuges de l’anthropocène

Dans le même temps, l’impact du changement climatique sur les refuges s’amplifie, les bâtiments situés en haute montagne étant les plus vulnérables. Une étude récente portant sur un panel de 45 refuges situés dans trois massifs en Suisse (Valais) et en France (Écrins et Mont-Blanc) souligne que les trois quarts d’entre eux sont affectés par au moins deux des cinq types d’impacts identifiés : dégradation des accès routiers, dégradation des itinéraires pédestres, dommages aux bâtiments, raréfaction des ressources en eau et altération des conditions de pratique des activités autour des refuges.

Dans les années 2010, ce sont en premier lieu les accès aux refuges du bassin de la mer de Glace, dans le massif du Mont-Blanc, qui ont été bouleversés par le retrait glaciaire.

À partir de 2020, les refuges du massif des Écrins connaissent de multiples épisodes de fermeture définitive (la Pilatte, à 2 577 mètres ou temporaire, imputables à des déstabilisations géomorphologiques du fait du retrait glaciaire, à des crues torrentielles, des écroulements rocheux sur les sentiers d’accès ou des pénuries d’eau.

Au-delà des refuges, ce sont aussi toutes les infrastructures d’accès routières et pédestres qui les desservent qui sont régulièrement endommagées, avec comme sujet majeur la destruction chronique de passerelles et de sentiers. Dans les Écrins, les évènements météorologiques survenus en 2023 et en 2024 ont dégradé 30 kilomètres de sentiers sur le linéaire de 600 kilomètres géré par le parc national et détruit 53 des 120 des passerelles installées pour franchir les torrents. Le budget annuel consacré à l’entretien et à la restauration des sentiers et passerelles a augmenté de 65 % entre 2019 et 2024, passant de 260 000 euros à 435 000 euros (source : Parc national des Écrins) et constitue une charge financière de moins en moins soutenable.

Une complexification des conditions de fonctionnement et de gardiennage

La pression climatique s’accompagne de multiples facteurs de complexification qui accentuent la vulnérabilité des refuges en fragilisant les équilibres sur lesquels repose leur fonctionnement. Ainsi, la logique de montée en confort et de service qui a prévalu depuis le milieu des années 2010 se heurte aux impératifs de sobriété en matière d’énergie et de ressource en eau.

De même, l’inflation des coûts de rénovation et de soutenabilité environnementale d’un parc de bâtiments vieillissant fait face à l’érosion des financements publics.

Devant de telles mutations, les gardiens, qui ont le statut de travailleurs indépendants, voient leurs missions largement amplifiées, qu’il s’agisse d’accueillir des publics diversifiés, de transmettre des informations culturelles et patrimoniales, d’expliquer les changements paysagers et les enjeux de biodiversité, de gérer de fait le bivouac aux alentours du refuge, de délivrer des conseils en tout genre destinés à un public de primo-arrivants en montagne, voire de réguler certains comportements maladroits ou inappropriés.

Les refuges, des laboratoires de transition

Malgré le regain d’intérêt qu’ils suscitent et leur rôle d’outil d’aménagement et de vecteur d’accès à la montagne, les refuges sont soumis à de fortes incertitudes structurelles et fonctionnelles dont le tableau peut sembler très sombre. De fait, c’est bien le maintien de l’intégrité du parc actuel qui est remis en question par les effets croisés des destructions climatiques et de l’effondrement programmé des financements publics.

Les logiques de fluidité de fréquentation, fondées sur une mobilité automobile généralisée, instituées depuis des décennies, sont à réinterroger, aussi bien en ce qui concerne l’accès aux hautes vallées, la localisation des parkings, le réseau de chemins d’accès et de passerelles, et le niveau d’entretien des itinéraires de randonnée et d’ascension.

Il s’agit de redéfinir les pratiques touristiques et sportives, en imaginant des séjours plus longs, des itinérances, des périodes de gardiennage élargies. Avec notamment pour enjeu un ré-étagement des refuges en altitude et un redimensionnement (à la hausse ou à la baisse, selon les situations locales) des capacités d’hébergement. L’ensemble des paramètres qui conditionnent le statut et le fonctionnement des refuges doit désormais être pris en compte, comme la question de leur accessibilité sociale, de leur soutenabilité environnementale, de leur mode de gardiennage et de leur modèle économique.

Cette réflexion prospective a fait l’objet d’ateliers créatifs et collaboratifs RefugeRemix organisés en 2019, en 2023 et en 2024 dans le cadre des programmes de recherche Refuges sentinelles et HutObsTour. Dans la continuité des Rencontres sur les refuges au cœur des transitions, organisées en 2023, cette réflexion mobilise les parties prenantes du secteur autour d’une plateforme dont l’objectif est d’élaborer une feuille de route pour l’avenir, sous l’égide du Commissariat de massif des Alpes et avec l’appui du parc national des Écrins.


L’équipe des programmes Refuges sentinelles et HutObsTour a participé à la rédaction de cet article : Victor Andrade, Richard Bonet, Laine Chanteloup, Mélanie Clivaz, Marc Langenbach, Jean Miczka, Justin Reymond, Sophie de Rosemont. Merci également à Brice Lefèvre et Pierrick Navizet.

The Conversation

Philippe Bourdeau a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche, du Labex ITTEM, du FNADT, du Parc National des Écrins, du Parc National de la Vanoise, de la Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix, de la Fondation Petzl.

ref. Refuges de montagne : entre regain de fréquentation et menaces climatiques – https://theconversation.com/refuges-de-montagne-entre-regain-de-frequentation-et-menaces-climatiques-262926

Sean Feucht au Québec : la décision d’annuler ses concerts renforce la mobilisation qu’on souhaite freiner

Source: The Conversation – in French – By Frédéric Dejean, Professeur en sciences des religions, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Le chanteur évangélique et pro-Trump Sean Feucht a fait irruption dans l’actualité québécoise cet été. Un concert annulé, une amende, et une polémique : l’affaire relance le débat sur la liberté religieuse.

Sean Feucht, chanteur évangélique américain et fervent soutien de Donald Trump, est aussi connu pour ses prises de position controversées contre la communauté LGBTQ+ et le droit à l’avortement, souvent exprimées sur ses réseaux sociaux. Jusqu’à récemment inconnu du grand public québécois, il a gagné en notoriété cet été après l’annulation de dernière minute de son concert prévu à Québec le 25 juillet, dans la foulée de la controverse.

La Ville de Montréal a emboîté le pas en interdisant à son tour la tenue d’un spectacle allant « à l’encontre des valeurs d’inclusion, de solidarité et de respect prônées à Montréal », a dit la porte-parole de l’administration de Valérie Plante.

Qu’à ce la ne tienne, une église évangélique de Montréal a quand même organisé un événement avec Feucht, déclenchant une manifestation réunissant partisans et opposants. Feucht a largement relayé ces controverses sur ses réseaux sociaux, dénonçant une atteinte à la liberté religieuse. L’église s’est quand à elle vue infliger une amende de 2500 $ par la Ville de Montréal, car elle ne détenait pas de permis pour organiser un tel événement.

Cochercheur au sein de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression, je poursuis actuellement une enquête sur le prosélytisme évangélique dans les transports en commun et l’espace public montréalais. J’ai développé dans ce cadre la notion d’« effet Sainte Blandine », en référence à cette esclave chrétienne de la ville de Lyon (Lugdunum à l’époque), qui a été martyrisée en juillet 177 et qui, dans la tradition catholique, constitue un symbole de résistance face aux persécutions.

L’historiographie du christianisme primitif a montré que les persécutions n’ont pas du tout eu pour effet de freiner la diffusion du christianisme. Au contraire, les martyrs sont devenus des modèles vénérés capables de susciter la ferveur religieuse.

L’« effet Sainte Blandine » : la foi renforcée dans l’adversité

Par l’expression d’« effet Sainte Blandine » je désigne des situations où la marginalisation sociale des personnes croyantes renforce leurs convictions et affermit en elles la certitude de la justesse de leur cause.

Prenons un exemple : lors d’une séquence d’observation d’une personne qui évangélisait à une station de métro de Montréal, j’ai eu l’occasion d’entendre des propos assez virulents de la part d’usagers qui interrompaient le prêche par des propos injurieux. Discutant avec elle de ces moments de tension, je lui ai demandé si de telles réactions pouvaient la conduire à cesser d’évangéliser. Elle m’a simplement répondu que ceux qui réagissaient de la sorte étaient « conduits par le diable » et qu’il était donc d’autant plus nécessaire de continuer.

Ce petit exemple fait écho à l’ouvrage classique en psychologie sociale L’échec d’une prophétie, ouvrage dans lequel Leon Festinger montrait comment l’individu surmonte la situation d’échec par un travail de rationalisation.

C’est bien le même « effet Sainte Blandine » à l’œuvre lors de la controverse autour de Sean Feucht qui affirmait sur son compte Instagram en date du 23 juillet :

Je n’ai pas ressenti un tel niveau de résistance depuis un bon moment, pas depuis 2020. […] C’est toujours le même stratagème du diable. Il veut que le peuple de Dieu se taise, reste chez lui, remette son masque et garde le silence.




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La pandémie comme catalyseur de notoriété et de discours

La référence à la pandémie de Covid-19 n’est pas fortuite. C’est en effet à cette occasion que Sean Feucht a vu croître sa notoriété, plus précisément quand il a initié le mouvement « #LetUsWorship » qui se voulait une réponse aux restrictions sur les rassemblements pour des raisons sanitaires. Il a déployé alors une rhétorique victimaire assez classique, mais très efficace : la liberté religieuse aurait été injustement confisquée par des responsables politiques qui instrumentaliseraient l’urgence sanitaire à des fins idéologiques.

Les événements de cet été ont donné lieu à une exploitation assez similaire de la part de Feucht puisque dans une vidéo sur Instagram en date du 25 juillet, il évoquait également la liberté religieuse bafouée par les élus du Québec : « Mais cette liberté est en ce moment même menacée au Canada », écrivait-il aussi.

Loin de se résigner, il invitait les chrétiens à se mobiliser (« We need to take a stand in this nation ») de trois façons : par la prière, par la signature d’une pétition et par la participation au concert de Montréal. Cet appel a été relayé et amplifié par des responsables chrétiens québécois.

Ainsi, Emmanuel Ouellet, un jeune pasteur montréalais qui s’est fait connaître l’an dernier par l’organisation de l’évènement « Revival Montreal », a publié sur Instagram une vidéo dans laquelle il affirmait :

la guerre est ouverte, il n’y a plus aucun doute, il est temps pour les chrétiens de sortir la tête du sable […] J’invite tous les chrétiens à se joindre à nous afin d’invoquer la puissance du Saint Esprit afin que Dieu se révèle à nos élus.

Un récit de persécution chrétienne au Québec

Pour bien comprendre le sens donné à cet événement par un certain nombre de chrétiens évangéliques, il est indispensable de le replacer dans un récit plus large qui se développe au Québec, au moins depuis la pandémie, selon lequel la liberté religieuse, en particulier celle des personnes chrétiennes, serait systématiquement attaquée. Par exemple, les Églises montréalaises Good News Chapel ou Nouvelles Création avaient résisté aux mesures sanitaires liées à la Covid-19.

Plus récemment, cette perception d’hostilité s’est exprimée dans l’émission Le Panel proposée par la chaîne chrétienne Théovox, où l’animateur dénonçait « une culture d’annulation ou antichrétienne » et des gestes perçus comme des tentatives d’effacement de la foi dans l’espace public. Il évoquait notamment deux cas : la résiliation, fin 2024, d’un contrat de location entre la Commission scolaire de Montréal et l’Église évangélique La Chapelle, qui y tenait des cultes, ou encore l’annulation au printemps 2023 d’un événement anti-avortement, jugé incompatible avec les valeurs d’égalité par le gouvernement.


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Pour ces raisons « l’Église » (terme utilisé dans le monde évangélique pour désigner les personnes chrétiennes) doit sortir de sa réserve et faire entendre sa voix dans le débat public.

Analysée à travers la lunette de l’« effet Sainte Blandine », la controverse entourant la venue de Sean Feucht montre comment certaines décisions politiques peuvent, paradoxalement, renforcer la mobilisation qu’elles cherchent à freiner.

Alors qu’il s’agissait de dénoncer des valeurs négatives portées par Feucht, ce dernier a non seulement adroitement réactivé une rhétorique ayant fait ses preuves en endossant le rôle de victime, mais a en plus fourni des éléments qui alimentent le récit d’un Québec en guerre contre le christianisme.

La Conversation Canada

Frédéric Dejean a reçu des financements du FRQSC

ref. Sean Feucht au Québec : la décision d’annuler ses concerts renforce la mobilisation qu’on souhaite freiner – https://theconversation.com/sean-feucht-au-quebec-la-decision-dannuler-ses-concerts-renforce-la-mobilisation-quon-souhaite-freiner-263389

Purificateurs d’air : la plupart des tests sont insuffisants pour évaluer leur efficacité ou leur  innocuité

Source: The Conversation – in French – By Amiran Baduashvili, Associate Professor of Medicine, University of Colorado Anschutz Medical Campus

Certains purificateurs d’air portables génèrent des substances chimiques telles qu’ozone, formaldéhyde ou radicaux hydroxyles pour tuer les microbes. ArtistGNDphotography/E+/Getty Images

En matière de protection contre les infections, la capacité réelle des purificateurs d’air portatifs est rarement évaluée correctement. En outre, seul un très petit nombre d’études ont évalué les effets potentiellement délétères qui pourraient découler de la production par ces dispositifs de divers composés toxiques. C’est la conclusion d’une revue détaillée de la littérature scientifique, menée sur près de 700 études, dont les auteurs nous présentent ici les conclusions.


De nombreux virus respiratoires, comme le coronavirus SARS-CoV-2 responsable de la pandémie de Covid-19 ou comme le virus de la grippe, peuvent se propager via l’air intérieur. Différentes technologies dites « d’ingénierie de contrôle des infections » visent à prévenir la diffusion de virus et d’autres agents pathogènes en assainissant l’air intérieur, par exemple grâce à des filtres HEPA (de l’anglais, High Efficiency Particulate Air), à l’emploi de lumière ultraviolette ou à la mise en place de types spécifiques de ventilation.

Avec nos collègues, qui travaillent au sein de trois établissements universitaires et de deux agences scientifiques gouvernementales, nous avons recensé et analysé toutes les études visant à évaluer l’efficacité de telles technologies publiées entre 1920 et 2023, ce qui représente 672 articles scientifiques.

Pour mesurer les performances des dispositifs testés en matière d’assainissement de l’air, trois approches principales se détachent :

  • leur capacité à diminuer les infections chez l’être humain ;

  • leur capacité à protéger des animaux de laboratoire, tels que des cobayes ou des souris ;

  • leur capacité à réduire le nombre de particules fines ou de micro-organismes en suspension.

Sur l’ensemble de ces travaux, environ 8 % des études seulement ont employé la première approche (tests de l’efficacité chez l’être humain), tandis que plus de 90 % des auteurs se sont contentés d’évaluer les dispositifs d’assainissement dans des lieux inoccupés.

Ainsi, sur les 44 études visant à mesurer de l’efficacité de l’oxydation photocatalytique (un procédé de purification de l’air qui produit des substances chimiques capables de tuer les microbes), une seule a examiné la capacité de cette technologie à réellement prévenir les infections chez l’être humain. D’autres études (35 au total) ont évalué des technologies basées sur l’emploi de plasmas pour détruire les microbes, mais aucune d’entre elles n’a inclus de participant humain.

Enfin, sur les 43 études consacrées à des filtres intégrant des nanomatériaux conçus pour, à la fois, capturer et détruire les microbes que nous avons identifiées, aucune n’a fait l’objet de tests chez l’être humain.

Pourquoi c’est important

La pandémie de Covid-19, qui a coûté des millions de vies à l’échelle mondiale, mis à rude épreuve les systèmes de santé et entraîné la fermeture d’innombrables écoles et lieux de travail, nous a rappelé à quel point les conséquences des infections transmissibles par les airs peuvent être lourdes. À l’époque, dès lors que les premières études ont établi la que le coronavirus SARS-CoV-2 se propageait de façon aérienne, l’amélioration de la qualité de l’air intérieur est devenue un axe majeur dans la lutte contre la pandémie.

L’enjeu reste d’actualité : parvenir à mettre au point des technologies efficaces pour éliminer les micro-organismes de l’air intérieur pourrait non seulement avoir des retombées considérables en matière de santé publique, mais aussi contribuer à limiter les dommages économiques que pourraient engendrer de futures pandémies. Et ce, sans que les personnes protégées n’aient à faire d’effort particulier, puisque de telles mesures d’ingénierie de contrôle des infections opéreraient en arrière-plan des activités de leur vie quotidienne, sans qu’elles en aient conscience.

Jeune fille lisant en salle de classe
Installer des systèmes d’épuration de l’air efficaces dans les écoles, dans les établissements de santé et dans les autres espaces publics pourrait protéger la population des infections.
Bruce Ayres/Stockbyte/Getty Images

Les fabricants de purificateurs d’air portatifs intégrant des technologies supposées détruire les micro-organismes l’ont bien compris. Ils n’hésitent pas à formuler des affirmations ambitieuses quant à la capacité des produits qu’ils commercialisent à purifier l’air et à prévenir les infections, qu’ils soient destinés au grand public ou à être utilisés dans les crèches, dans les écoles, dans les cliniques ou sur les lieux de travail.

Pourtant, nous avons constaté que la plupart de ces appareils n’avaient pas été correctement testés quant à leur efficacité. Faute de résultats scientifiques solides issus d’études menées chez l’être humain, il est donc impossible de savoir si ces promesses commerciales correspondent à la réalité.

Nos résultats suggèrent que les consommateurs devraient faire preuve de prudence avant d’investir dans de tels dispositifs d’épuration de l’air (en France, dans son rapport d’expertise « Identification et analyse des différentes techniques d’épuration d’air intérieur émergentes », publié en 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail constate que « les technologies implémentées étaient souvent mal décrites sur les dispositifs d’épuration et que l’efficacité revendiquée était peu justifiée », ndlr).

L’écart entre les promesses commerciales et les preuves réelles d’efficacité n’a rien d’étonnant, mais l’enjeu s’étend au-delà des seules déclarations marketing. En effet, pour détruire les microbes, certaines de ces technologies de purification d’air génèrent des substances chimiques telles qu’ozone, formaldéhyde (classé comme cancérigène et mutagène, ndlr) ou radicaux hydroxyles. Autant de composés qui peuvent potentiellement nuire à la santé lorsqu’ils sont inhalés.

De ce fait, être certain de l’innocuité de ces dispositifs devrait constituer un prérequis à tout déploiement à grande échelle. Or, sur les 112 études destinées à évaluer certaines des technologies microbicides actuellement commercialisées que nous avons analysées, seules 14 se sont attelées à rechercher la présence de sous-produits nocifs dans l’air traité par les dispositifs testés.

Le contraste est saisissant avec les standards de sécurité auxquels est soumise la recherche pharmaceutique.

Ce que l’on ignore encore

Plus de 90 % des études que nous avons recensées ont évalué les technologies de purification d’air en s’intéressant à l’air lui-même – par exemple, en analysant dans quelle mesure elles étaient capables d’éliminer les particules de poussière, les microbes ou certains gaz.

L’hypothèse de travail justifiant cette approche est que respirer un air plus pur devrait se traduire par un moindre risque d’infection. Pourtant, on ne sait pas si ces mesures atmosphériques se traduisent réellement par une réduction effective des infections chez les personnes qui évoluent dans des environnements ainsi traités ni, si une telle réduction existe, quel est son ordre de grandeur.

En définitive, identifier les technologies de purification de l’air les plus sûres et les plus efficaces nécessitera d’autres recherches, destinées à détecter d’éventuels sous-produits toxiques et à évaluer ces technologies en contexte réel (autrement dit, dans des environnements dans lesquels évoluent des êtres humains).

En outre, il sera nécessaire de standardiser les protocoles de mesure. C’est seulement à ce prix que l’on pourra espérer collecter des données probantes qui permettront de prendre les bonnes décisions pour améliorer la qualité de l’air dans les logements, les écoles, les établissements de santé, etc.

The Conversation

Amiran Baduashvili, docteur en médecine, a reçu, par l’intermédiaire de l’université du Colorado, un financement du National Institute of Occupational Safety and Health (Institut national pour la sécurité et la santé au travail) pour l’étude évoquée dans cet article.

Lisa Bero, par l’intermédiaire de l’université du Colorado, a reçu un financement du National Institute of Occupational Safety and Health (Institut national pour la sécurité et la santé au travail) pour l’étude évoquée dans cet article.

ref. Purificateurs d’air : la plupart des tests sont insuffisants pour évaluer leur efficacité ou leur  innocuité – https://theconversation.com/purificateurs-dair-la-plupart-des-tests-sont-insuffisants-pour-evaluer-leur-efficacite-ou-leur-innocuite-263649

Graff : de l’underground à la sauvegarde institutionnelle

Source: The Conversation – in French – By Sabrina Dubbeld, Maîtresse de conférences en Histoire et théorie de l’art contemporain, Aix-Marseille Université (AMU)

Graff rue des Muettes, quartier du Panier, Marseille (Bouches-du-Rhône, février 2019). Sabrina Dubbeld , Fourni par l’auteur

Certaines révolutions sont plutôt discrètes. En juillet 2025, sans tambour ni trompette, dans le cadre feutré de l’Institut national de l’histoire de l’art, était inauguré le Centre national des archives numériques de l’art urbain. Jusqu’alors, le graff n’avait pas d’archives institutionnalisées. Il s’agit d’une étape cruciale dans la patrimonialisation de cet art. Elle consacre un mouvement longtemps marginalisé, tout en offrant aux chercheurs un accès inédit à des archives essentielles.


La pratique du graffiti writing – ou graff– apparaît à la fin des années 1960 aux États-Unis. En Europe, elle s’impose en tant que pratique culturelle urbaine au cours des années 1980. Les acteurs de cet art font du travail autour du lettrage et de la typographie de leur signature (dit aussi « blaze ») le cœur de leur recherche. Selon l’écrivain Norman Mailer, qui publia en 1974 l’un des premiers grands essais consacrés au graff, une nouvelle « religion » est née : celle du nom, qui se multiplie depuis lors à l’envi sur l’ensemble des supports disponibles : murs, portes, palissades, mais aussi sur les trains, « l’extase du railway » participant pleinement de la mythologie du mouvement.

Plus de cinquante ans après son apparition, l’histoire du graff demeure secrète en France : « Le graffiti est encore un mouvement underground. Son évolution, ses différents courants restent obscurs pour le grand public », précise l’artiste et spécialiste de l’art urbain Nicolas Gzeley. Pourtant, depuis les années 1980, de nombreuses expositions ont été consacrées à ses acteurs. Parmi les plus récentes, on trouve « Rammellzee » au Palais de Tokyo à Paris (2025), « Graffiti X Georges Mathieu » à la Monnaie de Paris (2025), « Aréosol, une histoire du graffiti » (2024) au musée des Beaux-Arts de Rennes (Ille-et-Vilaine).

Des galeristes pionniers apportèrent également très tôt leur soutien au mouvement, tels que Willem Speerstra, Magda Danysz ou encore Agnès B., qui invita des graffeurs, repérés dans les rues de Paris et de New York, à exposer dans sa galerie dès 1985. Ce soutien anticipait d’une vingtaine d’années l’engouement pour l’art urbain sur le marché de l’art, succès qui ne s’est pas démenti depuis.

Comment, dans ces conditions, expliquer la confidentialité dans laquelle se maintient cette pratique artistique ?

Le graff : des origines illégales et subversives

Le graff – tel qu’il est appréhendé, décrit et pratiqué par la majorité de ses acteurs – constitue une contre-culture souterraine, largement transgressive et fortement codifiée. En témoigne le sociolecte complexe et proliférant dont les graffeurs font usage – tag, flop, chrome… – et dont l’évolution, fort rapide, nécessite la mise à jour régulière de glossaires spécialisés. Les œuvres produites, dès lors qu’elles sont réalisées dans l’espace de la cité sans autorisation, sont considérées, au regard de la loi, comme des actes délictueux.

« On a souvent tendance, écrit le commissaire d’exposition Hugo Vitrani, à oublier que la première institution à laquelle sont confrontés les graffeurs est le palais de justice, bien avant le musée. »

Les travaux de Julie Vaslin, chercheuse en science politique, mettent en exergue l’ampleur et le caractère systématique des moyens déployés par les pouvoirs publics dans la lutte anti-graffitis depuis le début des années 1980 : effacement, poursuites judiciaires pouvant déboucher sur de lourdes condamnations. Encore aujourd’hui, alors que la labellisation « street art » a supplanté depuis une dizaine d’années celle de « graffiti » et que différentes formes d’institutionnalisation de l’art urbain se développent, « l’effacement de l’immense majorité des graffitis, écrit Julie Vaslin, est la condition sine qua non de l’encadrement culturel de quelques-uns d’entre eux ». À titre d’exemple, en 2024, la Ville de Paris a dépensé pas moins de 6,9 millions d’euros pour le nettoyage et la suppression de ces écritures sauvages.

Une histoire lacunaire, « parsemée de zones d’ombres »

Face à la rigueur de cette répression et l’efficacité des dispositifs d’effacement, le culte du secret fut savamment entretenu par les graffeurs. Ils s’organisèrent très tôt au sein de leur « crew » (équipe) afin de documenter leurs pratiques en constituant des traces graphiques et photographiques, seuls vestiges de leurs œuvres, par nature éphémères. Ces documents circulèrent un temps clandestinement, souvent par courrier, en France mais aussi à l’étranger, la mobilité faisant partie intégrante de la culture graff. Les fanzines ainsi que les vidéozines jouèrent également un rôle de premier plan pour la préservation de la mémoire du mouvement et sa dissémination au-delà des frontières. Il en va de même pour les magazines spécialisés qui se diffusèrent dans les kiosques à journaux français début 2000.

Esquisses du graffeur ASHA dans son atelier, Marseille, papier, crayon de couleur, crayon feutre, crayon à bille, 21 x 29, 7 cm.
Esquisses du graffeur ASHA dans son atelier, Marseille, papier, crayon de couleur, crayon feutre, crayon à bille, 21 x 29,7 cm.
S. Dubbeld, février 2019, Fourni par l’auteur

Cette « fièvre d’archives » n’a toutefois pas empêché la disparition de nombre d’entre elles, que ce soit lors de leur transfert d’un lieu à un autre afin d’éviter qu’elles ne constituent des preuves matérielles incriminantes, ou lors de leur saisie et mise sous scellés dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Lors du mythique procès de Versailles qui s’acheva en 2011, la communauté perdit ainsi plusieurs mètres cubes de books (« carnets ») renfermant d’innombrables photographies, esquisses et dessins préparatoires, en dépit d’une pétition ayant récolté des milliers de signatures pour leur dépôt et leur sauvegarde aux Archives nationales.

Disséminées, fragmentées et constituées dans des conditions précaires, hors de toute norme de conservation, les archives du mouvement furent soumises aux vicissitudes du temps, à un inexorable processus de dégradation, voire de disparition. Elles dessinent une histoire lacunaire, « parsemée de zones d’ombres ».

Cette histoire est en outre reléguée à la marge de la reconnaissance des institutions publiques artistiques et universitaires, particulièrement dans le champ de l’histoire de l’art où cet art n’a pas encore acquis sa pleine légitimité. L’étude, menée en 2024 par les chercheurs Juliette Theureau, Camila Goulart-Narduchi et Christophe Genin portant sur la représentation de l’art urbain dans les collections publiques françaises, confirme la faible présence de cet art dans les musées. Il ne constitue que 0,02 % du volume total des œuvres des musées d’art moderne et contemporain et, dans 75 % des cas, il s’agit des quatre mêmes artistes.

En outre, 85 % de ces productions sont conservées dans quatre institutions et 55 % d’entre elles se trouvent dans la capitale.

De même, le nombre de travaux scientifiques de fond qui sont consacrés au graff en histoire et sciences de l’art s’avère peu encourageant. À ce jour, on recense moins d’une dizaine de thèses de doctorat consacrées à l’analyse de cette pratique depuis son émergence en Europe. De fait, jusqu’à une date très récente, le mouvement suscitait avant tout l’intérêt des sociologues et des anthropologues. D’ailleurs, la plus grande collection consacrée au graff en Europe – plus de 1 800 objets – se trouve dans un musée de société en France (le Mucem, à Marseille), et non dans un musée d’art contemporain.

Ainsi que le résume la chercheuse en anthropologie Claire Calogirou, «  pour se constituer en “œuvre d’art”, il manque encore au graffiti des historiens et des critiques d’art ».

Arcanes : un centre pour la sauvegarde et la valorisation de l’art urbain

En 2022, conscient de l’urgence à lutter contre la disparition progressive de ce patrimoine archivistique, la Fédération de l’art urbain, avec le soutien du ministère de la culture, entreprit la création du centre Arcanes « destiné à la sauvegarde et à la valorisation des archives de l’art urbain ».

Depuis trois ans, l’équipe réunissant des spécialistes ainsi que des professionnels de la culture et de l’archivage s’attelle à la collecte et au traitement de fonds d’archives numériques relatifs à cette thématique. Ces fonds émanent tant d’artistes, de critiques d’art, d’amateurs et de commissaires d’expositions que d’institutions publiques.

Mur de la Plaine, Marseille
Mur de la Plaine, Marseille.
Sabrina Dubbeld, février 2019, Fourni par l’auteur

Ouverte au public le 15 juillet 2025, la plateforme propose d’ores et déjà 10 000 documents à la consultation, 18 000 images, et des milliers de fiches renvoyant à des lieux de création ou à des acteurs de l’art urbain. Outre des vidéos et de nombreux entretiens avec les acteurs, Arcanes accueille également des articles de presse, ephemera, carnets de croquis, portfolios, archives judiciaires, reconstitutions et modélisations 3D de certains murs de sites historiques du graff, comme le terrain vague de Stalingrad (quartier La Chapelle, Paris, XVIIIe arrondissement), un des foyers majeurs du graffiti français européen à la fin des années 1980.

Des perspectives enthousiasmantes pour la recherche

La création de ce centre d’archives offre des perspectives enthousiasmantes en ce qui concerne la recherche en art consacrée au graff. Le fait de pouvoir accéder à une documentation centralisée, rigoureusement indexée, facilitera grandement le travail d’interprétation et de contextualisation des sources, en particulier pour les doctorants qui pourront y puiser des matériaux essentiels à leurs enquêtes.

L’enrichissement du corpus documentaire, appuyé par la constitution d’archives orales, ouvre la voie à la réalisation d’études ciblées explorant des pans moins investigués jusqu’alors par la recherche : retracer les évolutions stylistiques et graphiques du graff ainsi que ses liens avec d’autres formes artistiques et contre-culturelles qui lui sont contemporaines ; s’intéresser à la circulation et aux transferts artistiques entre les différentes scènes ; écrire l’histoire précise de sa répression ; se questionner sur sa réception, sa matérialité, sa mise en exposition, sa restauration, son statut, les critères esthétiques qui ont contribué à son établissement pérenne sur le marché de l’art…

Ainsi, Arcanes constitue assurément un pas crucial pour la patrimonialisation, la visibilité et la reconnaissance institutionnelle du mouvement graff. Espérons toutefois que cette initiative s’accompagnera bientôt de la création d’un centre d’archives physique à même de sauvegarder durablement ces archives fragiles.

D’autant que celles-ci portent, ainsi que le souligne l’historien de l’art et directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) Éric de Chassey,

« les traces des actions menées dans l’espace urbain par certains des artistes les plus importants des dernières décennies ».

The Conversation

Sabrina Dubbeld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Graff : de l’underground à la sauvegarde institutionnelle – https://theconversation.com/graff-de-lunderground-a-la-sauvegarde-institutionnelle-263398