Suprématie du dollar : les tarifs douaniers de Trump sur l’Inde pourrait la fragiliser

Source: The Conversation – France (in French) – By Sambit Bhattacharyya, Professor of Economics, University of Sussex Business School, University of Sussex

Au-delà de l’économie, la politique tarifaire de Donald Trump s’affirme comme un levier de diplomatie aux répercussions géopolitiques considérables. L’imposition de droits de douane de 50 % à l’Inde, alliée stratégique des États-Unis au sein du Quad, menace non seulement les échanges bilatéraux, mais risque aussi de rapprocher New Delhi de la Russie et de la Chine, de renforcer la cohésion des BRICS et de fragiliser la primauté du dollar sur la scène mondiale.


La politique tarifaire de Donald Trump semble être devenue autant un outil de politique étrangère qu’une stratégie économique. Mais la décision de l’administration d’imposer des droits de douane de 50 % à l’Inde, un allié clé des États-Unis dans le cadre du Quad (dialogue quadrilatéral pour la sécurité) — le groupe de coopération militaire et diplomatique informelle entre les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie — pourrait avoir des répercussions importantes, non seulement sur le commerce international, mais aussi sur la géopolitique mondiale.

La justification américaine de cette hausse des droits de douane est avant tout politique. La Maison Blanche affirme que l’Inde a tiré profit de l’achat et de la revente de pétrole russe, au mépris des sanctions imposées après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Cela a aidé la Russie à surmonter les effets des sanctions et à continuer de financer sa guerre en Ukraine.

Il est évident que la politique tarifaire et les déclarations récentes de Washington et de New Delhi ont gravement détérioré une relation bilatérale encore naissante. À tel point que le premier ministre indien, Narendra Modi, a refusé de répondre aux appels téléphoniques de Trump. De son côté, Trump ne prévoit plus de se rendre en Inde pour le sommet du Quad prévu plus tard dans l’année.

Le premier ministre indien, Narendra Modi, a participé au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tianjin, en Chine, du 31 août au 1er septembre, en compagnie du président russe Vladimir Poutine. Les trois dirigeants ont été photographiés ensemble en pleine discussion cordiale et M. Modi a rencontré séparément MM. Xi et Poutine en marge du sommet, présenté comme une alternative à l’ordre hégémonique dominé par les États-Unis.

Il apparaît désormais évident que la hausse des droits de douane américains ne détournera pas l’Inde de ses achats de pétrole russe. Bien au contraire, Modi a confirmé la volonté de son pays non seulement de maintenir ces importations, mais aussi de les accroître.

Rien d’étonnant à cela : la posture de l’Inde à l’égard de la Russie, en tant qu’importateur net de pétrole brut, relève moins d’une ambition géopolitique d’envergure que d’une nécessité économique concrète, celle de maîtriser l’inflation.

Sur le plan énergétique, l’Inde reste

très dépendante des importations, et sa population — majoritairement pauvre et vulnérable — a besoin de prix stables et abordables. Aucune pression venue des États-Unis ou de leurs alliés du G7 ne saurait modifier cette réalité économique fondamentale.

Le revers américain fait le jeu de Moscou

L’instauration des droits de douane américains risque de réduire les exportations indiennes de vêtements et de chaussures vers les États-Unis, les grandes marques occidentales se tournant vers des fournisseurs moins coûteux dans d’autres pays. Une telle dynamique se traduirait par une augmentation des prix pour les consommateurs américains.

Cependant, l’impact sur les fournisseurs indiens devrait rester limité, la demande mondiale en vêtements et chaussures demeurant très élevée. Ils pourraient aisément se tourner vers d’autres marchés.

Les pierres précieuses représentent un autre pilier des exportations indiennes, où le pays détient une position dominante à l’échelle mondiale. Les droits de douane américains ne devraient pas modifier sensiblement cette situation, l’Inde disposant de nombreux débouchés à l’exportation, bien que les États-Unis figurent parmi ses principaux clients.

Le renforcement des échanges commerciaux entre l’Inde et la Russie devrait favoriser de nouvelles opportunités d’investissements réciproques. Pour la Russie, la conjoncture économique pourrait globalement s’améliorer à la suite de ces droits de douane. L’Inde a d’ailleurs laissé entendre qu’elle augmenterait probablement ses importations de pétrole, tandis que la Russie profiterait d’achats de vêtements et de chaussures à prix compétitifs en provenance d’Inde, les fournisseurs indiens cherchant à rediriger leurs exportations vers de nouveaux débouchés.

Le renforcement des relations économiques avec l’Inde, qui ambitionne de porter les échanges bilatéraux à

100 milliards de dollars américains

(92 milliards d’euros) d’ici 2030, offrira à la Russie un important marché alternatif à la Chine pour écouler ses produits. Elle y gagnera également un fournisseur majeur de biens de consommation, habituellement importés, contribuant ainsi à maintenir des prix abordables pour les ménages russes.

La fin de la primauté du dollar américain ?

L’Occident court le risque que, si les tensions tarifaires se traduisent par des sanctions financières plus strictes, les investissements indiens se détournent des États-Unis et des pays du G7 au profit de la Russie et de la Chine. Les investisseurs indiens sont actuellement [très présents]

(https://qz.com/half-of-40-billion-indian-fdi-in-us-in-2-sectors-1850407567) dans les secteurs de l’automobile, de la pharmacie, des technologies de l’information et des télécommunications en Occident, mais ces flux pourraient être redirigés vers d’autres marchés.

On observe de plus en plus de signes d’une cohésion renforcée, non seulement au sein de l’OCS, mais également au sein du groupe des BRICS, qui regroupe un nombre croissant de nations commerçantes. Initialement composé des membres fondateurs — le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud — le groupe s’est récemment élargi pour inclure l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Indonésie et les Émirats arabes unis.

Ces économies en pleine croissance s’efforcent déjà de mettre en place des mécanismes techniques pour les investissements mutuels et les règlements commerciaux dans leurs monnaies locales plutôt qu’en dollars américains.

Les chocs commerciaux mondiaux provoqués par l’imposition de droits de douane par les États-Unis ont entraîné une baisse à court terme de la valeur du dollar américain. Si cette dépréciation reste modeste d’un point de vue historique, elle masque néanmoins un risque plus important à long terme.

Le problème ne concerne pas les transactions commerciales, qui ne constituent qu’une part marginale des opérations en dollars. Les risques à long terme résident plutôt dans une possible diminution du rôle du dollar dans la gestion d’actifs, l’investissement, les activités financières et les réserves internationales.

En particulier, le rôle quasi exclusif du dollar comme monnaie de réserve pour les pays du BRICS et du Sud est aujourd’hui menacé.

Toute politique susceptible de remettre en cause ce statut mettrait en danger la prospérité et la sécurité des États-Unis. Le problème, c’est que toute orientation financière ou commerciale rapprochant les principaux partenaires commerciaux américains de la Russie et de la Chine aurait
précisément cet effet.

The Conversation

Sambit Bhattacharyya bénéficie d’un financement de UK Research and Innovation, du Conseil de recherche économique et sociale, du Conseil australien de la recherche et du Conseil européen de la recherche.

ref. Suprématie du dollar : les tarifs douaniers de Trump sur l’Inde pourrait la fragiliser – https://theconversation.com/suprematie-du-dollar-les-tarifs-douaniers-de-trump-sur-linde-pourrait-la-fragiliser-265338

Le colonialisme et les risques climatiques sont liés : preuves issues du Ghana et du Sénégal

Source: The Conversation – in French – By Nick Bernards, Associate Professor of Global Sustainable Development, University of Warwick

L’expérience coloniale a profondément transformé les économies et les sociétés, avec des conséquences profondes.

En tant que chercheur intéressé par l’histoire coloniale et son impact sur le développement actuel, j’ai récemment étudié certains aspects de cet héritage à travers une analyse comparative du Sénégal et du Ghana, basée sur des recherches archivistiques antérieures.

Dans cet article, j’explore les liens entre les principales cultures d’exportation coloniales et les formes quotidiennes de vulnérabilité climatique rencontrées dans ces deux pays. Je montre comment les formes d’exploitation qui ont émergé dans le contexte du capitalisme colonial sont liées à la forme et à la répartition inégale des risques climatiques actuels. Ces histoires ont profondément influencé la manière dont les populations sont exposées à des températures record et à des régimes pluviométriques imprévisibles.

Il est de plus en plus reconnu que la dégradation du climat mondial et la vulnérabilité à ses effets sont profondément enracinées dans l’histoire du colonialisme. Cette reconnaissance s’est même frayé un chemin dans les cercles politiques officiels. Le sixième rapport d’évaluation du GIEC de 2022 (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’organe scientifique des Nations unies chargé du climat), par exemple, reconnaît que la vulnérabilité au changement climatique est « souvent rendue plus complexe par des événements passés, tels que l’histoire du colonialisme ».

Mes recherches aident à compléter ce tableau en montrant à quel point ces impacts sont complexes et profondément ancrés.

Répartition inégale

Les personnes les plus exposées à la crise climatique sont souvent celles qui ont le moins contribué à la créer. En tant que région, l’Afrique contribue à environ 4 % des émissions mondiales de CO₂. En effet, certaines estimations montrent que ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que l’Afrique a collectivement émis plus de carbone qu’elle n’en stocke dans divers écosystèmes.




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Selon l’Organisation météorologique mondiale, les températures en Afrique augmentent plus rapidement que la moyenne mondiale. Selon des estimations récentes, les pertes économiques dues à la chaleur seule ont atteint 8 % du PIB dans une grande partie de l’Afrique entre 1992 et 2013.

Les puissances coloniales ont extrait des richesses se chiffrant en milliers de milliards des peuples et des territoires colonisés. Elles ont continué à le faire après la fin officielle de la domination coloniale. Les pays riches ont brûlé bien plus que leur juste part de combustibles fossiles au cours de ce processus.

Cela signifie que les pays colonisés, dotés d’infrastructures sous-développées et dont les citoyens sont appauvris, ont moins de capacités pour résister et réagir à des conditions météorologiques de plus en plus sévères.

Mais les liens entre le colonialisme et la vulnérabilité climatique ne se réduisent pas à ces indicateurs économiques ou aux seules émissions de carbone.

Les dégâts causés par les modèles économiques de l’époque coloniale

Dans mon article, je montre comment les modes de vie quotidiens spécifiques des populations exposées aux risques climatiques dans les anciens pays colonisés sont également étroitement liés à l’organisation des économies coloniales.

Les économies coloniales du Sénégal et du Ghana étaient dominées par des sociétés commerciales françaises et anglaises. Ces marchands ont profondément remodelé les structures économiques, en particulier au cours des dernières décennies du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle.

L’une des stratégies utilisées par les marchands britanniques et français consistait à prendre le contrôle du commerce des matières premières (cacahuètes au Sénégal, cacao au Ghana) par le biais de chaînes de dettes. Grâce à des réseaux complexes de courtiers et de négociants, les marchands coloniaux fournissaient aux agriculteurs des intrants agricoles et des biens de première nécessité en échange des récoltes attendues.

Ce système protégeait largement les entreprises européennes contre les risques inhérents à l’agriculture, tels que les intempéries et les parasites.

Ce système a également entraîné un endettement de plus en plus important des agriculteurs locaux. Lorsque les gens devaient emprunter de l’argent ou des biens pour planter leurs cultures et survivre jusqu’à la récolte, cela avait tendance à contraindre les agriculteurs à produire les mêmes cultures pour l’exportation année après année.

Dans les deux pays, cela signifiait que la productivité des agriculteurs avait tendance à baisser au fil du temps en raison des problèmes liés aux parasites et à l’appauvrissement des sols. Souvent, la seule solution pour les agriculteurs, qui dans de nombreux cas avaient déjà vendu leurs récoltes à l’avance, était de cultiver de manière plus intensive.

Cela a eu pour effet d’aggraver à la fois l’endettement et la vulnérabilité aux risques écologiques. Les agriculteurs endettés étaient plus exposés aux mauvaises récoltes et les rendements agricoles étaient souvent réduits, ce qui les obligeait à dépenser de plus en plus pour les intrants. L’intensification des cultures a également accéléré l’érosion des sols et la propagation des parasites.

Le système colonial a également limité les investissements qui auraient pu améliorer la productivité ou offrir une meilleure protection contre les risques climatiques. Au Sénégal, par exemple, la culture coloniale de l’arachide dépendait principalement des eaux de pluie pour son approvisionnement en eau. Les responsables du gouvernement colonial ont rejeté les propositions de construction de systèmes d’irrigation, et les entreprises commerciales qui n’étaient pas directement impliquées dans la culture n’avaient guère d’intérêt à investir.

Les économies postcoloniales ont considérablement changé, mais des éléments importants du système commercial de l’époque coloniale sont néanmoins restés en place. Les principales cultures d’exportation dans les deux pays continuent d’être cultivées par de nombreux petits producteurs, et les moyens de subsistance de nombreuses personnes restent fortement dépendants des cultures commerciales.

Plus important encore, la forme de vulnérabilité climatique reflète étroitement les risques qui sont apparus à l’époque coloniale. La disponibilité imprévisible de l’eau, par exemple, reste l’une des formes les plus pressantes de vulnérabilité climatique dans les régions productrices d’arachides. C’est particulièrement le cas au Sénégal, où la culture de l’arachide reste largement dépendante de la pluie pour son approvisionnement en eau. Il en résulte, comme l’a montré une étude, que les niveaux de pauvreté dans les régions productrices d’arachides restent étroitement liés aux niveaux de précipitations.

Prochaines étapes

La situation n’est pas la même partout. L’un des héritages du colonialisme est qu’il a créé de nouveaux modèles de développement inégal et inéquitable au sein des colonies et entre elles. Dans des pays comme le Kenya et l’Afrique du Sud, la colonisation a entraîné l’installation de populations européennes. Les populations et les communautés africaines ont été déplacées pour faire place à des plantations et des mines. Les luttes pour l’accès à l’eau, pour ne citer qu’un exemple, restent fortement marquées par ces histoires.

Le fait est que l’empreinte du colonialisme sur la crise climatique est profonde et complexe. Le colonialisme ne s’est pas contenté d’extraire des richesses et des ressources. Il a profondément transformé les sociétés, les économies et les relations des populations avec le monde naturel.

Cela signifie que la dette climatique des pays riches envers le reste du monde dépasse la simple valeur des richesses extraites ou le volume de carbone émis. Elle est probablement incalculable et impossible à rembourser.

The Conversation

Nick Bernards a reçu un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de la British International Studies Association.

ref. Le colonialisme et les risques climatiques sont liés : preuves issues du Ghana et du Sénégal – https://theconversation.com/le-colonialisme-et-les-risques-climatiques-sont-lies-preuves-issues-du-ghana-et-du-senegal-264910

What babies’ cries really tell us – and why maternal instinct is a myth

Source: The Conversation – France in French (2) – By Nicolas Mathevon, Professeur (Neurosciences & bioacoustique – Université de Saint-Etienne, Ecole Pratique des Hautes Etudes – PSL & Institut universitaire de France), Université Jean Monnet, Saint-Étienne

The sound slices through the quiet of the night: a muffled sob, then a hiccup, quickly escalating into a high-pitched, frantic wail. For any parent or caregiver, this is a familiar, urgent call to action. But what is it a call for? Is the baby hungry? In pain? Lonely? Or simply uncomfortable? For generations, we’ve been told that understanding this primal language is a matter of intuition, a “maternal instinct” that allows a mother to divine her child’s needs. Society often reinforces this idea, creating an elite class of quasi-psychic super-parents who seem to know everything, and leaving many others feeling inadequate and guilty when they can’t immediately decipher the message.

As a bioacoustics researcher, I have spent years studying the communication of animals – from the soft calls of crocodile nestlings synchronizing their hatching and pushing the parent to dig the nest, to the calls of zebra finches allowing mate recognition. I was surprised to discover, upon turning my attention to our own species, that the cries of human babies hold as much, if not more, mystery. My colleagues and I have spent over a decade applying the tools of acoustic analysis, psycho-acoustic experiments and neuro-imagery to this intimate world. Our findings, detailed in my book, The intimate world of babies’ cries, challenge many of our most cherished beliefs and offer a new, evidence-based framework for understanding this fundamental form of human communication.

The first and perhaps most important thing to know is this: you cannot tell why your baby is crying just from the sound of the cry alone.

Busting the ‘language of cries’ myth

Many parents feel immense pressure to become “cry experts”, and an entire industry has sprung up to capitalise on this anxiety. There are apps, devices, and expensive training programmes all promising to translate cries into specific needs: “I’m hungry,” “change my diaper,” “I’m tired.” Our research, however, shows these claims are baseless.

To test this scientifically, we undertook a large-scale study. We placed automatic recorders in the rooms of 24 babies, recording them continuously for two days at a time at several ages during their first four months of life. This resulted in an enormous dataset of 3,600 hours of recordings containing nearly 40,000 cry “syllables”. The dedicated parents carefully logged the action that successfully soothed the baby, giving us a “cause” for each cry: hunger (soothed by a bottle), discomfort (soothed by a diaper change), or isolation (soothed by being held). We then used machine learning algorithms, training an artificial intelligence on the acoustic properties of these thousands of cries to see if it could learn to identify the cause. If there was a distinct “hunger cry” or “discomfort cry”, the AI should have been able to detect it.

The result was a resounding failure. The AI’s success rate was only 36% – barely above the 33% it would get by pure chance. To ensure this wasn’t just a limitation of technology, we repeated the experiment with human listeners. We had parents and nonparents first “train” on the cries of a specific baby, just as a parent would in real life, and then asked them to identify the cause of new cries from that same baby. They fared no better, scoring just 35%. The acoustic signature of a cry for food is not reliably different from a cry of discomfort.

This doesn’t mean parents can’t figure out what their baby needs. It simply means the cry itself is not an entry in a dictionary. The cry is the alarm bell. It is your knowledge of the essential context that allows you to decode it. “It’s been three hours since the last feeding, so they are probably hungry.” “That diaper felt full.” “They’ve been alone in the crib for a while.” You are the detective; the cry is simply the initial, undifferentiated alert.

What cries actually tell us

If cries don’t signal their cause, what information do they reliably convey? Our research shows they transmit two crucial pieces of information.

The first is static information: the baby’s unique vocal identity. Just as every adult has a distinct voice, every baby has a unique cry signature, primarily determined by the fundamental frequency (pitch) of their cry. This is a product of their individual anatomy – the size of their larynx and vocal cords. It’s why you can recognise your baby’s cry in a nursery. Interestingly, while babies have an individual signature, they do not have a sex signature. The larynxes of baby boys and girls are the same size. Yet, adults consistently attribute high-pitched cries to girls and low-pitched cries to boys, projecting their knowledge of adult voices onto infants.

The second, and more urgent, piece of information is dynamic: the baby’s level of distress. This is the most important message encoded in a cry, and it is conveyed not so much by pitch or loudness, but by a quality we call “acoustic roughness”. A cry of simple discomfort, from being a little cold after a bath, for instance, is relatively harmonious and melodic. The vocal cords vibrate in a regular, stable way. But a cry of real pain, as we recorded during routine vaccinations, is dramatically different. It becomes chaotic, rough, and grating. This is because the stress of pain causes the baby to force more air through their vocal cords, making the cords vibrate in a disorganised, non-linear way. Think of the difference between a clean note from a flute and the harsh, chaotic sound it makes when you blow too hard. This roughness, a collection of acoustic phenomena including chaos and sudden frequency jumps, is a universal and unmistakable signal of high distress. A melodious “wah-wah” means “I’m a bit unhappy,” while a rough, harsh “IIiiRRRRhh” means “This is serious!”.

It’s learning, not instinct

So, who is best at decoding these complex signals? The pervasive myth of “maternal instinct” suggests that mothers are biologically hard-wired for the task. Our work comprehensively debunks this. An instinct, like a goose’s fixed behaviour of rolling an egg back to its nest, is innate and automatic. Understanding cries is not like this at all.

In one of our key studies we tested mothers and fathers on their ability to identify their own baby’s cry from a selection of others. We found absolutely no difference in performance between the two. The single most important factor was the amount of time spent with the baby. Fathers who spent as much time with their infants were just as adept as mothers. The ability to decode cries is not innate; it is learned through exposure. We confirmed this in studies with non-parents. We found that childless adults could learn to recognise a specific baby’s voice after hearing it for less than 60 seconds. And those with prior childcare experience, like babysitting or raising younger siblings, were significantly better at identifying a baby’s pain cries than those with no experience.

This all makes perfect evolutionary sense. Humans are “cooperative breeders”. Unlike in many primates where the mother has a near-exclusive relationship with her infant, human babies have historically been cared for by a network of individuals: fathers, grandparents, siblings, and other members of the community. In some hunter-gatherer societies like the!Kung, a baby may have up to 14 different caregivers. A hard-wired, mother-only “instinct” would be a profound disadvantage for a species that relies on a team.

The brain on cries: experience rewires everything

Our neuroscientific research reveals how this learning process works. When we hear a baby cry, a whole network of brain regions, called the “baby-cry brain connectome”, springs into action. Using MRI scans, we’ve observed that cries activate auditory centres, the empathy network (allowing us to feel another’s emotion), the mirror network (helping us put ourselves in another’s shoes), and areas involved in emotion regulation and decision-making.

Crucially, this response is not the same for everyone. When we compared the brain activity of parents and nonparents, we found that while everyone’s brain responds, the “parental brain” is different. Experience with a baby strengthens and specialises these neural networks. For example, parents’ brains show greater activation in regions associated with planning and executing a response, while nonparents show a more raw, untempered emotional and empathetic reaction. Parents shift from simply feeling the distress to actively problem-solving. Furthermore, we found that individual levels of empathy – not gender – were the strongest predictor of how intensely the brain’s “parental vigilance” network activated. Caring is a skill that is honed through practice, and it physically reshapes the brain of any dedicated caregiver, male or female.

Why this matters: from coping to cooperation

Understanding the science of crying is not just an academic exercise; it has profound real-world implications. Incessant crying, especially from colic (which affects up to a quarter of infants), is a primary source of parental stress, sleep deprivation, and exhaustion. This exhaustion can lead to feelings of failure and, in the worst cases, can be a trigger for shaken baby syndrome, a tragic and preventable form of abuse.

The knowledge that you are not supposed to “just know” what a cry means can be incredibly liberating. It removes the burden of guilt and allows you to focus on the practical task: check the context, assess the level of distress (is the cry rough or melodic?), and try solutions. Most importantly, the science points to our species’ greatest strength: cooperation. The fact that any human can become an expert caregiver through experience means you are not meant to do this alone. The unbearable cries become bearable when they can be passed to a partner, a grandparent, or a friend for a much-needed break.

So, the next time you hear that piercing cry in the night, remember what it truly is: not a test of your innate abilities or a judgement on your parenting skills, but a simple, powerful alarm. It’s a signal designed to be answered not by a mystical instinct, but by a caring, attentive and experienced human brain. And if you’re feeling overwhelmed, the most scientifically sound and evolutionarily appropriate response is to ask for help.


Nicolas Mathevon is the author of The intimate world of babies’ cries: The best ways to understand and calm your baby.


A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


The Conversation

Nicolas Mathevon has received funding from the ANR, IUF, and Fondation des Mutuelles AXA.

ref. What babies’ cries really tell us – and why maternal instinct is a myth – https://theconversation.com/what-babies-cries-really-tell-us-and-why-maternal-instinct-is-a-myth-264525

Impôts sur l’héritage : une réforme nécessaire ?

Source: The Conversation – in French – By Nicolas Frémeaux, Professeur des universités et maître de conférence, Université de Rouen Normandie

D’ici à 2040, plus de 9 000 milliards d’euros de patrimoine devraient être transmis. Sylv1rob1/Shutterstock

La moitié des Français n’hérite de rien ou presque, alors que 10 % des héritiers les plus riches concentrent plus de 50 % des héritages. Alors pourquoi l’impôt sur l’héritage est-il aussi impopulaire ?


L’héritage est de retour en France, et ce retour est massif. On peut chiffrer ce phénomène de plusieurs manières. Commençons par les flux successoraux, c’est-à-dire ce qui est transmis tous les ans sous forme d’héritages et de donations. Ce flux se situe actuellement entre 350 milliards et 400 milliards d’euros et, d’ici à 2040, plus de 9 000 milliards d’euros de patrimoine devraient être transmis.

Une autre manière de se représenter le retour de l’héritage consiste à décomposer l’ensemble du patrimoine privé détenu par les Français (qu’il soit immobilier, financier ou professionnel) entre ce qui vient de l’épargne et ce qui vient de l’héritage. Comme l’ont montré les économistes Facundo Alvaredo, Bertrand Garbinti et Thomas Piketty, l’héritage est aujourd’hui largement supérieur à l’épargne. Il représente près des deux tiers du patrimoine des ménages contre un tiers pour l’épargne. C’était l’inverse dans les années 1970, moment où l’héritage a connu son plus bas niveau historique.

La moitié des Français n’hérite de rien

Le niveau actuel reste inférieur à celui observé à la veille de la Première Guerre mondiale où l’héritage constituait plus de 80 % du patrimoine. Même si les sociétés actuelles diffèrent de celle du XIXe siècle sur de nombreux aspects, elles sont finalement assez proches sur le plan patrimonial, que ce soit du point de vue des niveaux de richesses détenues ou de l’importance prise par les transmissions patrimoniales.

Ce panorama serait incomplet si on se limitait à ce constat macroéconomique. L’héritage est bien plus concentré que les revenus. La moitié des Français n’hérite de rien ou presque quand, dans le même temps, 10 % des héritiers les plus riches concentrent plus de 50 % des héritages. Au sommet de la distribution, on estime que les 0,1 % des héritiers les plus riches reçoivent plus de 13 millions d’euros de patrimoine au cours de leur vie.

C’est la nature même des inégalités qui change. La figure du rentier, qu’on pouvait penser disparue, est de retour. Pour une part limitée, mais croissante de la population, la principale source de richesse sera l’héritage et non les revenus du travail.

Substitution aux revenus du travail

Le retour de l’héritage a une conséquence inattendue : créer un (quasi) consensus chez les économistes en faveur d’une réforme de l’impôt successoral. Il n’est pas tant lié aux enjeux de justice sociale, qui dépassent le seul cadre de la science économique, qu’aux effets de l’héritage du point de vue de l’efficacité économique.

L’héritage peut être la source d’inefficacités puisque recevoir un capital peut réduire l’offre de travail, dans le sens où le capital hérité peut se substituer aux revenus du travail. Cet « effet Carnegie » a été vérifié dans plusieurs pays.

Aux États-Unis, les économistes Douglas Holtz-Eakin, David Joulfaian et Harvey Rosen ont mis en évidence une réduction de l’offre de travail parmi les récipiendaires d’héritages importants. En Allemagne, Fabian Kindermann, Lukas Mayr et Dominik Sachs estiment que, pour chaque euro récolté par l’imposition des successions, neuf centimes additionnels sont obtenus via l’imposition des revenus des suites de la hausse de l’offre de travail. De ce point de vue, imposer les héritages pourrait accroître l’activité économique.

Réduction de l’épargne

Les réponses comportementales négatives à l’impôt successoral sont quant à elles limitées, ce qui en fait un « bon impôt » à l’aune du même critère d’efficacité.

Une de ces réponses passe par l’épargne. Si le patrimoine potentiellement transmis par les donataires est réduit par l’impôt successoral, alors ceux-ci pourraient décider de réduire leur épargne. Cette intuition a été confirmée par les rares études sur la question qui concluent bien à un effet négatif – l’imposition réduit l’incitation à épargner –, mais de faible ampleur. Le fait que l’épargne dépende de nombreux facteurs économiques et de motifs autres que l’altruisme familial, comme l’aversion au risque et la prévoyance, explique que l’impôt successoral à lui seul a des effets limités.

Exil fiscal

Une réponse plus radicale pourrait être l’exil fiscal. Une trop forte imposition pourrait inciter les individus à émigrer vers des cieux (fiscaux) plus cléments. Là encore, identifier le seul effet de l’imposition sur la décision d’émigration est complexe. Comme pour l’épargne, ce type de décision dépend de nombreux déterminants économiques et personnels : potentielle rupture avec l’environnement professionnel et familial, mauvaise perception par l’opinion publique ou démarches administratives complexes.




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Les économistes Karen Smith Conway et Jonathan C. Rork, aux États-Unis, et Marius Brülhart et Raphaël Parchet, en Suisse, montrent que les migrations internes des ménages âgés (susceptibles de transmettre leur patrimoine dans un futur proche) ne s’expliquent que marginalement par les différences fiscales entre États ou cantons. Ainsi, les retraités aisés sont relativement insensibles aux variations d’impôt successoral.

Argument moral

Si l’héritage pose un problème de justice sociale et d’efficacité économique, pourquoi le sujet n’est-il pas plus central dans le débat public ? Surtout, pourquoi observe-t-on un affaiblissement de l’impôt successoral ?

Depuis les années 1980, de nombreux pays, comme les États-Unis, la Suède, le Canada ou encore l’Australie, ont supprimé ou réduit leur impôt successoral, en mobilisant le plus souvent des arguments moraux. La France semble échapper à ce phénomène, mais, malgré une stabilité des principaux paramètres fiscaux que sont les taux et les abattements, la multiplication des niches fiscales a bien réduit la progressivité de l’impôt.

Ce qui peut sembler être un paradoxe n’en est en fait pas un. La critique actuelle de l’impôt successoral repose avant tout sur des arguments moraux selon lesquels taxer l’héritage revient à taxer la mort et à sanctionner l’altruisme familial. De manière générale, il contreviendrait à la liberté de transmettre librement son patrimoine.

D’après un sondage Odoxa, réalisé en avril 2024, 77 % des personnes interrogées considèrent l’impôt successoral injustifié et 84 % souhaitent qu’il soit diminué « pour permettre aux parents de transmettre le plus possible à leurs enfants ».

Informer sur les inégalités

Il y a plusieurs précautions à prendre quand on évoque l’argument de l’impopularité de l’impôt. La méconnaissance de la réalité de l’héritage et la surestimation de l’impôt successoral invitent à la prudence dans l’interprétation des réponses. On peut concevoir une forte opposition à un impôt qu’on pense confiscatoire. Plusieurs travaux soulignent que le fait d’informer les répondants sur le niveau des inégalités augmente sensiblement le soutien à l’impôt successoral.

Le dialogue de sourds entre les pro et les anti pourrait empêcher tout débat relatif à l’héritage. Un débat qui pourrait être remis à l’ordre du jour pour d’autres raisons.

Au début du XXe siècle, des causes extérieures, comme les guerres et les crises, ont joué un rôle majeur dans la mise en place d’impôt progressif sur les revenus et sur les successions dans de nombreux pays. Il n’est pas dit que les crises actuelles, qu’elles soient climatiques, sociales ou géopolitiques, n’aient pas des effets similaires dans les années à venir.

The Conversation

Nicolas Frémeaux a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche.

ref. Impôts sur l’héritage : une réforme nécessaire ? – https://theconversation.com/impots-sur-lheritage-une-reforme-necessaire-260878

Quels risques le frelon « asiatique » à pattes jaunes fait-il courir à la santé humaine et aux abeilles ? Comment s’en protéger ?

Source: The Conversation – in French – By Sandra Sinno-Tellier, Médecin de santé publique, spécialisée en épidémiologie et en toxicologie, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Le frelon à pattes jaunes originaire d’Asie est désormais bien implanté en France hexagonale. C’est en été et à l’automne que ses colonies se développent. En analysant les données 2014-2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire et Santé publique France ont fait le point sur les risques pour l’humain.


Le frelon à pattes jaunes Vespa velutina nigrithorax, plus communément appelé « frelon asiatique », fait désormais partie de notre environnement. Sa présence en France a été observée pour la première fois dans le Lot-et-Garonne, en 2004. Des poteries pour bonsaïs ont été importées de Chine par un horticulteur avec, dans l’une d’entre elles, une reine fécondée qui hivernait.

Des études ont montré grâce à des analyses génétiques que la lignée de l’insecte importé provenait d’une région près de Shanghai.

Un frelon invasif présent sur tout le territoire hexagonal

Le frelon à pattes jaunes s’est très facilement adapté à notre environnement. En vingt ans, il a colonisé l’ensemble de l’Hexagone ainsi que les pays voisins : Espagne, Portugal, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Italie, Allemagne et sud de l’Angleterre.

Il a aussi été détecté pour la première fois en Corse en août 2024. Si le nid a été détruit, un nouveau nid a cependant été détecté en juillet 2025 à Ajaccio.

Le reconnaître et le différencier des autres hyménoptères

Le frelon à pattes jaunes est un insecte du même ordre que le frelon européen, la guêpe, l’abeille ou le bourdon. Tous font partie de l’ordre des hyménoptères. Le frelon à pattes jaunes est reconnaissable à son abdomen brun bordé d’une bande jaune orangé ainsi qu’à ses pattes jaunes. Le frelon européen, plus grand, a un abdomen jaune clair rayé de noir et des pattes marron.

Les nids de ces frelons sont également différents. La colonie de frelons à pattes jaunes, qui peut comporter jusqu’à 3 000 individus, se développe en été et à l’automne dans de grands nids sphériques ou en forme de goutte perchée à plus de dix mètres en haut des arbres. L’ouverture du nid se situe sur le côté.

Généralement, le frelon européen construit son nid, plus petit, dans des cavités (arbre creux, cheminée, grenier…). Le frelon à pattes jaunes n’est par ailleurs actif que le jour, alors que le frelon européen sort jour et nuit.

Que faire en cas de découverte d’un nid de frelons, de guêpes ou d’abeilles dans votre maison ou dans votre jardin ?

  • Informez les membres de la maison et les voisins pour éviter qu’ils ne s’approchent du nid.
  • Respectez une distance de sécurité de 5 mètres du nid et éviter tout geste brusque, car les hyménoptères piquent lorsqu’ils se sentent menacés.
  • Ne tentez pas de détruire le nid vous-même. Cela nécessite l’intervention de professionnels spécialisés dans le domaine (matériels et techniques spécifiques).
  • N’installez pas de pièges (bouteille en plastique avec du sirop, par exemple), car ils tuent les autres insectes indispensables à la biodiversité et n’auront quasiment aucun impact sur le nid visé.
  • S’il s’agit de frelons à pattes jaunes, signalez le nid à votre mairie ou directement à l’organisme animant la lutte contre cette espèce dans votre département.

Hors allergie, une réaction dont l’intensité augmente avec le nombre de piqûres

Les piqûres de frelons à pattes jaunes présentent la même dangerosité pour l’humain que celles des autres hyménoptères. Le venin entraîne une réaction toxique, caractérisée par une douleur, une rougeur, un gonflement local et des signes généraux (vomissements, diarrhées, maux de tête, chute de la tension artérielle…) d’autant plus intenses que le nombre de piqûres est élevé.

En effet, contrairement à l’abeille, mais comme la guêpe et le frelon européen, le frelon à pattes jaunes ne perd pas son dard lorsqu’il pique et peut donc piquer et injecter du venin à plusieurs reprises. Son dard, qui mesure jusqu’à 6 mm, est cependant plus long que celui des guêpes et entraîne une piqûre plus profonde, capable de traverser certains vêtements et gants de jardinage.

La piqûre du frelon à pattes jaunes peut aussi être responsable d’une réaction allergique, non liée à la dose de venin injectée, une seule piqûre suffisant à la déclencher. Dans ce cas, un œdème de la gorge, empêchant la respiration, ou un effondrement de la tension artérielle peut entraîner un état de choc anaphylactique avec perte de connaissance et arrêt cardio-respiratoire conduisant au décès.

Le traitement du choc anaphylactique consiste en l’injection immédiate d’adrénaline par stylo auto-injecteur ou par voie intraveineuse une fois les secours arrivés. Du fait d’allergies croisées, c’est le plus souvent après une piqûre de guêpe que les patients deviennent allergiques au venin des frelons.

Que faire en cas de piqûre de frelon, de guêpe ou d’abeille ?

  • En cas de réaction telle qu’urticaire, œdème de la langue, gêne respiratoire, malaise, douleur thoracique… appelez en urgence le 15 ou le 112.
  • Les piqûres dans la bouche, dans la gorge, ou les piqûres multiples requièrent également une prise en charge médicale en urgence.
  • Pour les personnes allergiques connues, l’utilisation d’un stylo auto-injectable d’adrénaline peut sauver la vie, en attendant les secours.
  • Pour les autres signes d’intoxication, contactez un centre antipoison au (+33) 1 45 42 59 59 ou consultez un médecin.

Entre 2014 et 2023, pas de tendance à l’augmentation ni à la diminution du nombre d’envenimations par des hyménoptères

Le dernier bilan sanitaire des piqûres d’hyménoptères datant de plus de dix ans, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et Santé publique France ont analysé dix nouvelles années de données de santé (appels aux centres antipoison, passages aux urgences, hospitalisations et mortalité par piqûre d’hyménoptères) pour faire le point sur les risques liés aux piqûres de guêpes, frelons et abeilles.

Au total, 6 022 appels aux centres antipoison, 179 141 passages aux urgences, 18 213 hospitalisations, dont 13 % en réanimation ou en soins intensifs, et 256 certificats de décès pour piqûre d’hyménoptères ont été comptabilisés entre 2014 et 2023 inclus.

Comment contacter son centre antipoison ?

  • Il existe un numéro téléphonique national des centres antipoison : (+33) 1 45 42 59 59.

Malgré la poursuite de la prolifération du frelon à pattes jaunes sur le territoire hexagonal ces dix dernières années, les différentes données de santé étudiées apportent des conclusions convergentes et ne montrent pas d’augmentation du nombre d’envenimations par des hyménoptères, année après année.

Le nombre de piqûres varie d’une année à l’autre, sans tendance globale à la hausse ni à la baisse, avec des pics saisonniers aux mois de juillet et août.

Entre 2014 et 2023, ce sont les guêpes qui sont le plus souvent en cause dans ces envenimations (37 % des appels aux centres antipoison), suivies des frelons toutes espèces confondues (25 %) et des abeilles (19 %). Les piqûres de frelons représentaient de 20 % à 30 % des piqûres d’hyménoptères chaque année, avec une légère augmentation en 2023 (près de 40 %) (Figure ci-dessus).

Les envenimations par des frelons à pattes jaunes représentaient un peu plus de la moitié (55 %) des envenimations par des frelons, lorsque l’espèce de frelon était identifiée, et restaient stables au cours du temps.

Près de 1,5 % des piqûres, tous hyménoptères confondus, menacent le pronostic vital

Parmi les envenimations par des hyménoptères enregistrées par les centres antipoison, 1,5 % étaient graves au point de menacer le pronostic vital, voire de conduire au décès. Ces envenimations étaient dues à une réaction allergique, seule ou associée à des signes toxiques, pour la grande majorité d’entre elles (89 %). Les frelons étaient les premiers responsables des envenimations graves (38 %), devant les abeilles (24 %) et les guêpes (22 %) (hyménoptères non précisés pour les 16 % restants).

Les envenimations graves avaient été provoquées par une seule piqûre pour près de la moitié d’entre elles (48 %), un peu plus souvent en cas de piqûre de frelons (53 % de piqûre unique). Les autres étaient dues à des piqûres multiples, dans la bouche ou sur d’autres muqueuses.

Les risques liés au frelon à pattes jaunes portent surtout sur les abeilles domestiques

En l’absence de prédateur, le frelon à pattes jaunes se développe en se nourrissant d’autres insectes, chaque colonie pouvant en consommer jusqu’à 11 kg par an ! Il a tendance à proliférer près des ruches, et c’est son appétit immodéré pour nos abeilles domestiques qui pose le plus problème aujourd’hui. En plus de les capturer et de les dépecer, leurs vols continus près des ruches empêchent les abeilles de sortir pour butiner, ce qui affaiblit la production de miel qui leur sert de réserve de nourriture l’hiver.

En Asie, les abeilles ont appris à se défendre en formant une boule compacte autour du frelon qui les attaque. En faisant vibrer leurs ailes en nombre, elles augmentent la température de la boule et le frelon meurt littéralement cuit ! Nos abeilles domestiques sont plus dociles et n’ont pas développé ces techniques de défense.

Comment protéger les ruchers ?

Différentes techniques (pièges, harpes électriques, muselières emboîtées à l’entrée des ruches…) existent pour éloigner les frelons à pattes jaunes des ruches. La plus commune est le piégeage avec un appât sucré, qui consiste à attirer les frelons vers un liquide dans lequel ils se noient. Des pièges sélectifs, en nasses successives, ont été développés, pour permettre aux insectes plus petits que les frelons, capturés par erreur, de ressortir avant de tomber dans le liquide.

En revanche, les pièges non sélectifs, constitués d’une simple bouteille contenant un liquide sucré, sont à proscrire pour préserver la biodiversité.

Les pièges sont à utiliser autour des ruchers menacés et sont à contrôler régulièrement. Deux périodes de piégeage sont recommandées : de février à mai (piégeage de printemps) afin de capturer les reines fondatrices, et de mi-août à novembre, lors de la reproduction, pour piéger les futures fondatrices avant leur hivernation.

Une loi pour limiter la prolifération du frelon à pattes jaunes et préserver la filière apicole

Une loi visant à endiguer la prolifération du frelon à pattes jaunes et à préserver la filière apicole est entrée en vigueur le 15 mars 2025. Elle prévoit la création d’un plan de lutte national, l’encadrement du piégeage des frelons et l’indemnisation des apiculteurs. À ce jour, les décrets d’application ne sont pas encore parus.

Le frelon à pattes jaunes fait désormais partie de notre environnement. Si on ne peut pas l’éradiquer, on peut apprendre à s’en protéger : d’une part, pour éviter des piqûres qui peuvent être graves chez l’humain, au même titre que celles occasionnées par les autres frelons, guêpes ou abeilles, et, d’autre part, pour préserver les insectes pollinisateurs, dont les abeilles des ruches, maillon indispensable de la biodiversité.


Merci à Quentin Rome, responsable « Frelon asiatique et hyménoptères » dans l’unité PatriNat (Muséum national d’histoire naturelle/Office français de la biodiversité), pour sa relecture de cet article.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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Arrivée de Luca de Meo à la tête de Kering : le luxe devient-il un secteur comme les autres ?

Source: The Conversation – in French – By Ben Voyer, Cartier Chaired Professor of Behavioural Sciences, Full Professor, Department of Entrepreneurship, ESCP Business School

Qu’y a-t-il en commun entre le secteur du luxe et celui de l’automobile ? Il y a encore peu poser la question serait apparu incongru tant les points communs entre les promoteurs du « toyotisme » et ceux de la dépense somptuaire semblaient improbables. L’arrivée de Luca de Meo (ex-Renault) à la tête de Kering signale un changement pour le groupe fondé par François-Henri Pinault, mais aussi pour le secteur dans son entier. La fin de la récréation est-elle définitivement sifflée ?


Cette semaine à l’occasion de l’assemblée générale de Kering, Luca de Meo a officiellement pris sa place à la tête du deuxième plus grand groupe de luxe français. Le choix de l’ancien dirigeant de Renault comme nouveau PDG interroge. À biens et services d’exception, stratégie d’exception : Le luxe peut-il survivre à une logique d’optimisation financière comme on en trouve dans l’industrie et les FMCG ?

Le luxe en pleine mutation

Depuis les années 90, l’essor de conglomérats comme LVMH et Kering a fondamentalement changé l’industrie du luxe, en créant une logique industrielle plus qu’une logique de marque. Les conglomérats ont su ainsi profiter des marges bénéficiaires élevées dans le luxe et ont utilisé un effet de levier financier pour se développer rapidement et acquérir des marques. En profitant d’économies d’échelles allant du parc immobilier, des budgets de marketing permettant de négocier avec les principaux médias, ou encore la négociation des coûts de production avec les sous-traitants.

Cette stratégie est aujourd’hui remise en question. Les marques de luxe luttent contre la saturation, la dégradation de la qualité perçue et une perte d’exclusivité alors qu’elles poursuivent leur stratégie de croissance à travers le volume. Il existe un décalage croissant entre la perception des consommateurs des prix du luxe et la qualité des produits. De nombreuses marques sont perçues, à tort ou à raison, comme ayant rogné sur l’artisanat et les matériaux tout en augmentant considérablement les prix, s’appuyant principalement sur le marketing pour justifier les coûts. L’industrie se situe à un tournant, avec de nombreuses marques affirmant qu’elles se concentreront sur “la valeur plutôt que le volume” à l’avenir. Cependant, il reste à voir si elles peuvent vraiment revenir aux fondamentaux du luxe, à savoir l’artisanat et une rareté authentique et non orchestrée.

Le nouveau rôle de PDG dans le luxe

Traditionnellement, les marques de luxe étaient des entreprises familiales, avec un leadership transmis de génération en génération. Cela permettait de préserver l’héritage de la marque et la dimension artisanale. Les décisions étaient prises avec une vision de long terme, en opposition avec les diktats de la bourse et la logique financière, qui imposent des communications financières régulières. Ce modèle est d’ailleurs toujours suivi par Hermès, dont le PDG, Axel Dumas, appartient à la sixième génération de la famille Hermès-Dumas.

Un deuxième modèle a par la suite émergé, consistant à recruter des PDG de l’industrie du luxe, qui étaient en phase avec les aspects uniques de la gestion des marques de luxe. Cette vision a dominé durant l’expansion rapide et massive des marques de luxe, qui sont passées de champions régionaux de l’excellence et du savoir-faire européen à des leaders mondiaux des biens haut de gamme à forte valeur ajoutée. C’est notamment aujourd’hui le cas de Nicolas Bos, nouveau PDG de Richemont – le conglomérat suisse du luxe – qui était anciennement à la tête de Van Cleef & Arpels.

Plus récemment, un nouveau modèle semble émerger, où les marques de luxe commencent à recruter des PDG d’autres industries, en particulier des entreprises de biens de première consommation (FMCG). Cela a été le cas notamment de Leena Nair chez Chanel, débauchée de chez Unilever, et de Luca de Meo chez Kering. Cela apporte de nouvelles approches de gestion mais crée également des tensions avec les valeurs traditionnelles du secteur.

Une production industrielle

En effet, l’approche FMCG a introduit une gestion financière plus rigoureuse, une optimisation de la segmentation et du ciblage marketing, une stratégie de croissance basée sur les extensions de marques, et une production à l’échelle industrielle dans le luxe. Cependant, cela met aussi à mal l’accent mis sur la créativité, l’artisanat et l’exclusivité, dans le luxe.




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Ces nominations peuvent certes proposer un regard neuf sur l’industrie : la nomination de Leena Nair, à la tête de Chanel, apporte une expertise en ressources humaines, dans un secteur où les talents sont rares. Des questions demeurent cependant, par exemple, quant à l’intégration de l’excellence dans le service et l’expérience, où les pratiques du secteur du luxe sont sans commune mesure avec les pratiques du secteur de la grande consommation.

La spécificité Kering

Pour Kering et son nouveau CEO, les défis sont nombreux. On peut noter une chute de 25 % des ventes chez Gucci – la marque phare du groupe – et d’autres marques sous-performantes dans son portefeuille. Le nouveau PDG devra s’attaquer à ces problèmes.

L’entreprise s’est développée rapidement en utilisant un effet de levier financier, mais cette stratégie a peut-être atteint ses limites compte tenu de l’endettement actuel de Kering. De nombreuses préoccupations demeurent quant à la dilution des marques du groupe, et la perte d’exclusivité. L’approche traditionnelle des groupes de luxe, qui consiste à prendre des marques à la mode ou en perte de vitesse, et de les relancer en appliquant des stratégies de marketing – augmenter la désirabilité et la perception de valeur – et de vente au détail, à travers l’expérience client, peut ne plus être aussi efficace sur le marché actuel.

Le choix du nouveau PDG – un ancien de chez Renault qui a l’habitude d’opérer dans une industrie à maturité, ou la création de plates-formes est importante, ainsi que la préservation des marges – témoigne de l’arrivée à maturité de l’industrie. Cette stratégie consiste à concentrer les efforts marketing sur les produits phares à forte valeur ajoutée – la maroquinerie, la beauté, et les accessoires (e.g., lunettes de soleil). Pour ce type de produits, une logique de plate-forme peut être mise en place, où les synergies entre marques permettent de produire et distribuer à moindre coût, quitte à sacrifier l’individualité des marques.

Plateformisation du luxe

Le nouveau PDG devra équilibrer la performance financière avec la préservation du capital de la marque et de l’exclusivité. Cela peut nécessiter des décisions difficiles concernant la réduction de certaines opérations ou la cession de marques sous-performantes. Une stratégie de retour à l’exclusivité, en diminuant le nombre de boutiques et en se focalisant sur les pièces à forte valeur ajoutée, a été utilisée avec succès par Chanel dans les années 1980.

Le nouveau patron de Gucci, Balenciaga ou Bottega Veneta aura fort à faire pour montrer qu’un PDG venant de l’extérieur de l’industrie du luxe peut s’atteler avec succès à ces défis et restaurer la trajectoire de croissance de Kering tout en maintenant son positionnement de luxe.

France 24 – 2023.

Ces difficultés reflètent les difficultés plus larges d’un modèle qui a adopté des tactiques de marché de masse, traitant des produits émotionnels et créatifs comme des marchandises. Cette approche de « FMCG des riches » présente un risque réel d’éroder ce qu’est l’essence même du luxe.

Des pressions contradictoires

Les marques de luxe font face à des pressions contradictoires – maintenir l’exclusivité et l’artisanat tout en livrant la croissance et les bénéfices attendus par les marchés financiers et les propriétaires de conglomérats. L’industrie a peut-être atteint les limites de sa stratégie d’expansion. En témoigne l’ouverture de magasins dans des villes de deuxième ou troisième niveau à l’échelle mondiale et le lancement constant de nouvelles catégories de produits diluent l’équité de la marque.

Par ailleurs, il existe une tension grandissante entre le leadership créatif/artistique et la gestion financière/opérationnelle dans les maisons de luxe. Le traditionnel « duo magique » du directeur créatif et du leader commercial est perturbé. L’aura d’une marque du luxe se construit avant tout autour d’une figure charismatique, à la fois créative, visionnaire, mais aussi attachée à une marque sur la durée.

Enfin, Il y a de plus en plus de préoccupations concernant la durabilité à long terme des modèles commerciaux de luxe actuel, en particulier leur dépendance au marketing plutôt qu’à la qualité et à l’exclusivité authentiques pour justifier des prix élevés.

The Conversation

Ben Voyer a reçu des financements de la Chaire de Recherche Turning Points ESCP HEC Paris Cartier.

Perrine Desmichel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Arrivée de Luca de Meo à la tête de Kering : le luxe devient-il un secteur comme les autres ? – https://theconversation.com/arrivee-de-luca-de-meo-a-la-tete-de-kering-le-luxe-devient-il-un-secteur-comme-les-autres-265325

Le nouveau compagnon IA de Grok 4 brouille la frontière entre travail et fantasme

Source: The Conversation – in French – By Jul Parke, PhD Candidate in Media, Technology & Culture, University of Toronto

La plate-forme d’IA la plus controversée est sans doute celle fondée par Elon Musk. Le chatbot Grok a proféré des propos racistes et antisémites et s’est lui-même surnommé « MechaHitler », en référence à un personnage de jeu vidéo.

« Mecha » est un terme qui désigne généralement des robots géants, souvent utilisés à des fins militaires, et apparaît dans les bandes dessinées de science-fiction japonaises.

Au départ, Grok a mentionné Musk lorsqu’on l’a interrogé, avant de se lancer dans un révisionnisme historique raciste non sollicité, évoquant notamment le concept erroné de « génocide blanc » en Afrique du Sud. Ses positions, confuses et contradictoires, continuent d’évoluer.

Voilà certains des aspects les plus inquiétants de Grok. Un autre élément préoccupant de Grok 4 est une nouvelle fonctionnalité de son interaction sociale avec des « amis virtuels » dans sa version premium.

Dans un contexte où la solitude humaine s’accompagne d’une dépendance croissante aux grands modèles linguistiques (LLM) pour remplacer les interactions sociales, Grok 4 introduit des compagnons IA, une mise à niveau disponible pour les abonnés payants.

Plus précisément, les abonnés de Grok peuvent désormais accéder à une IA générative imprégnée de conceptions patriarcales du plaisir – ce que j’appelle la « productivité pornographique ».

Grok et les anime japonais

un personnage animé aux grands yeux semble surpris
Misa Amane, personnage de l’un des anime japonais préférés de Musk, Death Note.
(Wikimedia/Deathnote)

Ani, le compagnon IA le plus populaire de Grok 4, représente un croisement entre l’anime japonais et la culture Internet. Ani ressemble fortement à Misa Amane, personnage emblématique de l’anime japonais Death Note.

Misa Amane est une pop star qui adopte constamment un comportement autodestructeur et irrationnel pour séduire le protagoniste masculin, un jeune homme brillant engagé dans une bataille d’esprit avec son rival. Musk a cité cet anime comme l’un de ses préférés dans un tweet publié en 2021.

Si l’anime est une forme d’art vaste qui comporte de nombreux tropes, genres et fandoms, des recherches ont montré que les fandoms d’anime en ligne sont imprégnés de misogynie et de discours exclusifs envers les femmes. Même les séries les plus grand public ont été critiquées pour sexualiser des personnages prépubères et offrir un « fan service » à travers des designs hypersexualisés et des intrigues non consensuelles.

Le créateur de Death Note, Tsugumi Ohba, a toujours été critiqué par les fans pour la conception antiféministe de ses personnages.


@0xsachi/X

Des journalistes ont souligné la rapidité avec laquelle Ani s’engage dans des conversations romantiques et à caractère sexuel. Ani est représentée avec une silhouette voluptueuse, des nattes blondes et une robe noire en dentelle, qu’elle décrit elle-même fréquemment dans ses échanges avec les utilisateurs.

Le problème de la productivité pornographique

J’emploie le terme « productivité pornographique », inspiré par les critiques qualifiant Grok de « pornifié », pour désigner la tendance inquiétante de certains outils, initialement conçus pour le travail, à évoluer vers des relations parasociales répondant à des besoins émotionnels et psychologiques, y compris des interactions genrées.

Les compagnons IA de Grok illustrent parfaitement ce phénomène, et brouillent les limites entre travail et relations parasociales.

L’attrait est évident. Les utilisateurs peuvent théoriquement vivre simultanément dans deux réalités, se détendant pendant que leurs avatars IA gèrent leurs tâches, et c’est déjà une réalité dans les modèles d’IA. Mais cette promesse séduisante cache de sérieux risques : dépendance, extraction invasive de données et détérioration des compétences relationnelles humaines réelles.




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Conçus pour diminuer la vigilance et instaurer la confiance, ces compagnons deviennent encore plus préoccupants lorsqu’on y ajoute une dimension sexualisée et des références à une féminité docile.

Les utilisateurs de Grok 4 ont remarqué que l’ajout de personnages sexualisés utilisant un langage émotionnellement valorisant est assez inhabituel pour les grands modèles linguistiques grand public. En effet, ces outils, comme ChatGPT et Claude, sont souvent utilisés par des personnes de tous âges.

Même si nous ne faisons qu’entrevoir l’impact réel des chatbots avancés sur les mineurs, en particulier les adolescents souffrant de troubles mentaux, les études de cas dont nous disposons sont extrêmement alarmantes.

« Pénurie d’épouses »

Reprenant le concept de « femme intelligente » développé par les chercheuses féministes Yolande Strengers et Jenny Kennedy, les compagnons IA de Grok semblent répondre à ce qu’elles appellent une « pénurie d’épouses » dans la société contemporaine.

Ces technologies prennent en charge des tâches historiquement féminisées, alors que les femmes affirment de plus en plus leur droit de refuser les dynamiques d’exploitation. En fait, les utilisateurs en ligne ont déjà qualifié Ani de « waifu », un jeu de mots sur la prononciation japonaise du mot « wife » (épouse).

Les compagnons IA sont attrayants en partie parce qu’ils ne peuvent pas refuser ni fixer de limites. Ils effectuent des tâches indésirables en donnant l’illusion du choix et du consentement. Alors que les relations réelles nécessitent des négociations et un respect mutuel, les compagnons IA offrent un fantasme de disponibilité et de soumission totale.

L’extraction de données par le biais de l’intimité

Dans le même temps, comme l’a souligné la journaliste spécialisée dans les technologies Karen Hao, les implications des LLM en matière de données et de confidentialité sont déjà stupéfiantes. Lorsqu’ils sont rebaptisés sous la forme de personnages personnifiés, ils sont plus susceptibles de capturer des détails intimes sur les états émotionnels, les préférences et les vulnérabilités des utilisateurs. Ces informations peuvent être exploitées à des fins de publicité ciblée, de prédiction comportementale ou de manipulation.

Cela marque un tournant majeur dans la collecte de données. Plutôt que de s’appuyer sur la surveillance ou des directives explicites (prompts), les compagnons IA encouragent les utilisateurs à divulguer des détails intimes à travers des conversations apparemment naturelles.

Le chatbot sud-coréen Iruda illustre comment ces systèmes peuvent devenir des vecteurs de harcèlement et d’abus lorsqu’ils sont mal réglementés. Des applications apparemment inoffensives peuvent rapidement devenir problématiques lorsque les entreprises ne mettent pas en place les mesures de protection adéquates.

Des cas précédents montrent également que les compagnons IA conçus avec des caractéristiques féminines deviennent souvent la cible de dérives et d’abus, reflétant les inégalités sociétales plus larges dans les environnements numériques.

Les compagnons de Grok ne sont pas simplement un produit technologique controversé. Il est plausible de s’attendre à ce que d’autres plates-formes LLM et grandes entreprises technologiques expérimentent bientôt leurs propres personnages. La disparition des frontières entre productivité, compagnie et exploitation appelle une vigilance urgente.


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L’ère de l’IA et des partenariats gouvernementaux

Malgré l’histoire troublante de Grok, la société d’IA de Musk, xAI, a récemment obtenu d’importants contrats gouvernementaux aux États-Unis.

Cette nouvelle ère du plan d’action américain pour l’IA, dévoilé en juillet 2025, avait ceci à dire sur les biais de l’IA :

« La Maison-Blanche mettra à jour les directives fédérales en matière de marchés publics afin de garantir que le gouvernement ne passe des contrats qu’avec des développeurs de modèles linguistiques de pointe qui garantissent que leurs systèmes sont objectifs et exempts de préjugés idéologiques descendants. »

Compte tenu des nombreux exemples de haine raciale de Grok et de son potentiel à reproduire le sexisme dans notre société, son nouveau contrat gouvernemental revêt une valeur symbolique à une époque où les préjugés font l’objet d’un double discours.

Alors que Grok continue de repousser les limites de la « productivité pornographique », poussant les utilisateurs à entretenir des relations de plus en plus intimes avec des machines, nous sommes confrontés à des décisions urgentes qui touchent à notre vie privée. L’IA n’est plus simplement bonne ou mauvaise : il s’agit de préserver ce qui fait notre humanité.

La Conversation Canada

Jul Parke reçoit du financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

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Prisons de haute sécurité : efficaces contre le crime organisé ?

Source: The Conversation – in French – By Marion Vannier, Chercheuse en criminologie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Un nombre important de détenus de la prison de haute sécurité de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) sont en grève de la faim depuis cet été, dénonçant leurs conditions d’incarcération. Ce nouveau dispositif, visant en particulier les narcotrafiquants, interroge les défenseurs des droits humains et les spécialistes des politiques carcérales. Que nous enseigne l’histoire des quartiers de haute sécurité, voulus par l’État dans les années 1970, puis abandonnés en 1982 ? Les dispositifs similaires – aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Italie – ont-ils fait leurs preuves dans la lutte contre la criminalité organisée opérant depuis la prison ?


Le ministre de la justice Gérald Darmanin déclarait, fin 2024, vouloir « couper du monde les 100 narcotrafiquants les plus dangereux » en les enfermant dans des « prisons de haute sécurité ». Cet été, il annonçait ainsi un « changement pénitentiaire radical » depuis la prison de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais.

Le 1er septembre, un nombre important des détenus transférés dans les nouveaux dispositifs de haute sécurité à Vendin-le-Vieil ont entamé une grève de la faim. Mouvement solidaire, la manifestation a été décrite comme une « manifestation de désespoir » par l’avocate Delphine Boesel. Une seconde centaine de détenus doit être incarcérée, d’ici mi-octobre 2025, au sein du nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) de Condé-sur-Sarthe (Orne), dont le régime sécuritaire hors norme est déjà largement documenté]. Ces évènements relancent le débat sur la justification et sur l’efficacité de la prison de haute sécurité face au crime organisé.

« Vingt-et-une heures par jour dans une cellule, seul »

Les quartiers de haute sécurité (QHS), également appelés quartiers de sécurité renforcée (QSR), ont été [créés en 1975] par décret le 23 mai 1975 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dans un contexte d’inquiétude sécuritaire marqué par une série d’évasions spectaculaires et par la montée des violences en détention].

Le garde des sceaux Alain Peyrefitte adopte une ligne résolument sécuritaire et consolide l’usage des QHS comme dispositifs de répression accrue. Ces unités visent notamment à contenir les détenus insubordonnés, réaffirmant la position d’un gouvernement fort pour lequel la sécurité est une priorité absolue. Sont éligibles au placement en QHS les détenus « caractériellement dangereux » et ceux qui, par leur comportement, visent à troubler gravement le bon fonctionnement des établissements.

Ces espaces opèrent alors sur un régime punitif extrême. Le recours a l’isolement est fréquent, notamment contre les détenus ayant tenté de s’évader. Lors du procès de Lisieux (Calvados) de 1978, quatre accusés, qui avaient tenté de s’évader, décrivent la violence des QHS. Georges Ségard témoigne qu’il est enfermé depuis trente-cinq mois consécutifs en QHS, dont onze mois complètement isolé. Daniel Debrielle ajoute :

« Le quartier de sécurité renforcée, c’est vingt-et-une heures par jour dans une cellule, seul. C’est une heure de promenade par jour dans une cour en béton avec deux grillages au-dessus de la tête. La nuit, un projecteur donne sur les barreaux et les renvoie partout. Vous ouvrez l’œil et vous ne voyez que des barreaux. »

Le célèbre Jacques Mesrine, assimilera les QHS à une lente peine de mort :

« Les QHS sont la forme futuriste de la peine capitale. On y assassine le mental en mettant en place le système de l’oppression carcérale à outrance, conduisant à la mort par misère psychologique. »

Au même moment, des intellectuels, comme Michel Foucault, des associations de défense des droits humains ainsi que certains magistrats et agents pénitentiaires dénoncent également les QHS.

Rapidement, ces quartiers deviennent donc le symbole d’une violence institutionnelle injustifiée. Les QHS sont officiellement abandonnés en 1982 après l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Le recours aux prisons de haute sécurité pour narcotrafiquants

Quarante ans plus tard, Gérald Darmanin réouvre donc des prisons de haute sécurité pour narcotrafiquants, désormais appelés « quartier de longue peine et de contrôle opérationnel » (QLCO). Certes, il ne s’agit plus de quartiers isolés dans l’espace carcéral existant, mais de la création de prisons de haute sécurité en tant que telles. La logique reste la même : séparer et neutraliser certains profils de criminels. Surtout, il s’agit de signaler, comme cela avait été le cas en 1975, la fermeté du gouvernement face au crime organisé dans le cadre du trafic de drogues.

Cela évoque la « war on drugs », déclenchée par le président Nixon, dans les années 1970, récemment relancée par le président Trump.

Cette approche ne vise pas la réhabilitation et la réinsertion des détenus. Il s’agit d’exclure fermement et totalement, ce que certains chercheurs en criminologie aux États-Unis appellent « the total incarceration ». Ce terme désigne un modèle pénal dans lequel l’enfermement devient une fin en soi, un outil de neutralisation permanente, qui repose sur la rupture de tout lien social, familial, professionnel et culturel, plutôt qu’un passage temporaire avant une éventuelle réinsertion. Le chercheur Jonathan Simon, en analysant la montée de l’incarcération de masse aux États-Unis, décrit ce paradigme comme l’étirement de la prison à des fonctions qui dépassent la logique de la peine d’emprisonnement elle-même : l’expression d’une force étatique priorisant la sécurité avant tout.

La création de prisons de haute sécurité, et non plus de simple quartiers, rappelle également le modèle du Royaume-Uni qui a institutionnalisé depuis longtemps des établissements de type « high security ». Si, à l’origine, elles étaient aussi destinées aux détenus dont l’évasion était jugée dangereuse pour le public, la police ou la sécurité de l’État, elles sont devenues le lieu de détention des personnes jugées potentiellement dangereuses pour l’institution carcérale, ses agents et l’État de manière plus vaste. Typiquement, les prisonniers condamnés aux peines les plus lourdes, comme la prison à perpétuité, et ceux ayant commis des crimes sexuels y sont détenus et y vieillissent, soulevant de nombreux problèmes de gestion.

Cependant, le modèle de haute sécurité britannique est, du moins en théorie, censé n’être que temporaire. Il est prévu que la personne détenue, au fur et à fur que son niveau de dangerosité décroît, progresse vers des prisons de niveau sécuritaire moins élevé. Il ne semble pas qu’un mécanisme de progression similaire en France soit envisagé.

Contrairement aux quartiers d’isolement classiques, souvent critiqués pour la vétusté des bâtiments, le manque de moyens humains et l’absence de formation spécialisée, les deux prisons de haute sécurité annoncées par Gérald Darmanin sont censées répondre à ces faiblesses. Les infrastructures sont neuves ou entièrement réaménagées afin d’être hermétiques aux communications illicites et adaptées au régime d’isolement renforcé.

Conçues sur le modèle italien du « carcere duro » luttant contre la mafia, elles sont dotées d’installations ultramodernes (détection antidrones, brouilleurs, miradors, hygiaphones, visioconférences généralisées). Chaque détenu sera encadré par trois ou quatre surveillants, une proportion inédite dans le système pénitentiaire français, et les agents suivront une formation spécifique de deux mois, centrée sur la gestion de la criminalité organisée et sur la prévention des risques de corruption. De plus, un dispositif d’anonymisation des surveillants et un recrutement ciblé visent à limiter le turnover et à renforcer la stabilité du personnel.

Bien que la loi de 2025 cible spécifiquement les narcotrafiquants, la critique de Michel Foucault, en 1978, quant au flou de la notion de dangerosité reste actuelle. En pratique, les critères prévus par la loi ont un spectre si large qu’ils autorisent de vastes classifications indifférenciées, potentiellement applicables à des détenus non liés au narcotrafic, comme le dénonce l’Observatoire international des prisons (OIP)). En effet, le décret confère au garde des sceaux le pouvoir de placer une personne en isolement administratif à titre préventif afin de « prévenir la poursuite ou l’établissement de liens avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisées, quelles que soient les finalités et les formes de ces derniers », ce qui reste extrêmement vague. Le rôle du juge n’est que consultatif (en cas de condamnation) ou informatif (en cas de prévention), avec possibilité d’opposition sous huit jours seulement, ce qui limite fortement la force du contrôle judiciaire sur une décision à portée potentiellement arbitraire.

Comment lutter contre le narcotrafic en prison ?

Le problème du narcotrafic depuis l’enceinte de la prison est un réel phénomène global que gouvernements et institutions carcérales peinent à maîtriser et ce, dans un contexte de surpopulation carcérale), de manque d’effectifs, et d’absence d’accompagnement suivi à la réintégration.

Concernant le recours à l’isolement, la recherche sociologique et les rapports officiels convergent pour souligner leur inefficacité. Les études sur les prisons de type « supermax » (de l’anglais, super maximum security) confirment que les unités ultrasécurisées n’ont jamais fait leurs preuves pour réduire les violences ou la récidive, et tendent au contraire à radicaliser la défiance et à aggraver les troubles psychiques des détenus.

Il existe pourtant des alternatives à l’isolement et à la haute sécurité pour traiter les problèmes soulevés par le narcotrafic en prison. D’abord, couper les communications illicites sans forcément couper le détenu du monde est possible. Cela inclut un brouillage ciblé et une téléphonie légale et surveillée. Le lien social reste, en effet, central pour la réinsertion). Ensuite, des unités de renseignement en prison permettent de surveiller flux financiers et communications suspectes sans passer par l’isolement systématique. Des plans individualisés (suivi psychologique, accompagnement à la sortie, encadrement par binôme éducateur–surveillant) ont montré qu’ils réduisaient la récidive, y compris dans la criminalité organisée.

S’attaquer au problème de la surpopulation carcérale est évidemment clé dès lors qu’il nourrit le turnover du personnel et renforce les pouvoirs informels et l’augmentation de la violence (Baggio et al. 2020). L’ONU (2016) insiste ainsi sur la nécessité de réduire la densité carcérale et de fidéliser les équipes. Enfin, privilégier l’usage de sanctions alternatives (par ex., par des amendes ciblées, des saisies d’avoirs ou des peines substitutives pour les exécutants des trafics) pourrait désengorger les établissements et recentrer les moyens sur les véritables têtes de réseaux.

À peine lancée, la réouverture de prisons de haute sécurité en France soulève déjà des contestations, notamment autour des risques liés à l’isolement prolongé, à la santé mentale et au respect des droits fondamentaux. Les recherches menées sur des dispositifs comparables montrent des résultats incertains en matière de sécurité et de prévention de la récidive, laissant ouverte la question de l’efficacité réelle de ce choix politique face au narcotrafic.

The Conversation

Marion Vannier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Prisons de haute sécurité : efficaces contre le crime organisé ? – https://theconversation.com/prisons-de-haute-securite-efficaces-contre-le-crime-organise-264931

Lutter contre les micro-violences à l’école : ces attentions qui changent la donne

Source: The Conversation – in French – By Laurent Muller, Maitre de Conférences en Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Lorraine

Les micro-violences sont ces actes ou remarques du quotidien qui, sans être perçus comme des violences, portent atteinte à la dignité d’un élève et peuvent durablement le blesser. Pour les enrayer, il faut d’abord apprendre à les reconnaître.


La circulaire de rentrée 2025 réaffirme la volonté de « refuser toute forme violence » à l’école, avec comme ambition d’« engager et responsabiliser tous les acteurs de la communauté éducative ». Mais il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir : encore faut-il comprendre les raisons du symptôme, pour pouvoir vraiment les traiter.

Pour redonner vie à la responsabilité collective, celle des enseignants, éducateurs, parents… et élèves, il faut en passer par la conscientisation des discours qui autorisent les micro-violences dans les relations interpersonnelles. Il s’agit aussi de savoir reconnaître et mettre en pratique les micro-attentions qui contribuent à l’épanouissement des élèves.

Micro-violences et déni de responsabilité

Dans ses expériences sur la soumission à l’autorité, le psychologue Stanley Milgram se réfère au concept de « banalité du mal » cher à Hannah Arendt et note que l’essentiel du mal susceptible d’être fait dans le monde ne vient pas d’une volonté perverse ou diabolique, mais du simple déni de responsabilité. Devenir étranger à son « moi profond » pour devenir « un simple instrument destiné à exécuter les volontés d’autrui » : c’est ce genre de petite démission de la volonté qui constitue le premier pas, anodin, vers le mal qu’on peut faire à l’autre.

À cet égard, l’intention affichée ne saurait constituer une garantie d’innocuité. Il faut ici prêter l’oreille et identifier les poncifs, ces phrases toutes faites qui servent de prêt-à-penser, dont on peut s’autoriser pour se montrer (micro) violent :

  • « C’est pour ton bien » ou l’anticipation des conséquences favorables ;

  • « C’est à moi que ça fait mal » ou l’inversion accusatoire ;

  • « C’est pas la mer à boire » ou la minimisation ;

  • « C’est pour tout le monde la même chose » ou la banalisation ;

  • « Pauvre chou » ou l’ironie ; toutes les manières de renoncer à l’empathie, et même à l’auto-empathie en se disant à soi-même : « Je n’ai pas le choix. »

Le spectre des mécanismes de défense est large, et il faut engager un travail de clarification intérieur pour se (re)saisir de sa responsabilité. La réforme des automatismes de langage visant à se donner bonne conscience à peu de frais est indispensable pour sortir du statut quo. Mais si la conscientisation n’a rien à voir ici avec une quelconque « bonne conscience » qu’on se donne, elle n’a rien à voir non plus avec une quelconque « mauvaise conscience » qu’on devrait s’attribuer, cet ulcère de l’âme qui nourrit la culpabilité.

Bienveillance bien ordonnée commence par soi-même : oui, nous nous sommes (très) probablement montrés micro-violents, et il n’y a rien d’étonnant à être dans la « reproduction ». Mais l’essentiel n’est pas ce qui a été fait : c’est ce qui sera fait désormais. Il ne saurait être question d’être « parfait » (exigence étouffante et impossible à satisfaire) mais, plus modestement, d’accepter que l’être humain, certes imparfait, est « perfectible ». Il a besoin de progresser, conduisant à pouvoir autant s’améliorer que se dégrader.

Les micro-attentions nourrissent les missions éducatives

Ce travail à la responsabilisation ouvre un champ de possibles, déjà exploré par de nombreux éducateurs, à travers le développement de micro-attentions. Ces marques de reconnaissance contribuent à tisser des liens et soutiennent la confiance et l’estime de soi : elles valorisent non seulement l’élève, mais aussi (et surtout) la personne de l’élève.

À l’occasion d’une sortie scolaire, d’un temps de pause (la récréation), d’un projet ou dans le cours ordinaire d’une séance, une remarque, un sourire, un regard, une attention informelle vient nourrir un besoin de reconnaissance et introduit une forme de « jeu » dans le fonctionnement rigide de l’institution.

Au contraire des micro-violences, les micro-attentions sont ces gestes ou mots qui font la différence, et qui, dans la chaleur d’un regard ou d’un sourire, écoutent, soutiennent sans chercher à normaliser. Un étudiant de master témoigne :

« Au lycée, j’ai eu une enseignante de SVT qui a créé un lien formidable avec notre classe, elle s’intéressait à notre parcours, nos projets, elle nous a d’ailleurs beaucoup aidés pour notre choix d’étude. Encore aujourd’hui elle demande des nouvelles de ses élèves sur un groupe Discord. Cette enseignante a été un point d’attache et un repère pour beaucoup. Lorsqu’on avait une difficulté dans la vie lycéenne ou dans les cours nous pouvions lui parler librement, elle était à l’écoute et nous proposait des solutions ou des conseils. C’est une des personnes qui m’a donné envie d’enseigner et de créer une vraie relation avec sa classe. »

Sommes-nous dans l’anecdotique ? Peut-être… Mais l’essentiel surgit parfois à la marge, à la dérobée, de manière imprévisible. Ce sont les grands et heureux effets des petites causes, générées par une attitude qui permet (qui ose) la rencontre.

Chacun a fait l’expérience de ces éducateurs solaires, faisant d’eux des « tuteurs de résilience » qui permettent aux plus fragilisés de « tenir ». Leur agentivité se transfère, et fait de l’école davantage qu’un lieu de (sur) vie : un lieu où il est permis de s’épanouir.

Le paradoxe est que cette agentivité n’est guère soutenue dans cette institution hautement normalisatrice qu’est l’école française. Ne serait-il pas temps, pour autant qu’on souhaite donner corps à la prévention de toutes les formes de violence à l’école (et ailleurs), d’institutionnaliser autant qu’il est possible, les micro-attentions, afin d’en faire non plus l’exception, mais la règle ? De faire de la qualité des relations interpersonnelles un enjeu central de la formation des enseignants, jusqu’à présent centrée sur les contenus à enseigner ?

Sans doute s’agit-il là d’un changement de paradigme, celui-là même qui est censé faire vivre les valeurs inclusives, en en faisant tout autre chose que des normes quantitatives à respecter. Pour l’initier, il faut libérer la parole, non à des fins d’accusation, mais pour engager le dialogue, remettre au centre l’intelligence collective et la responsabilité partagée.


Une enquête sur les micro-violences à l’école et à l’université est en cours, et le questionnaire sur les souvenirs scolaires est toujours accessible ici.

The Conversation

Laurent Muller est fondateur de l’association à but non lucratif Stop Micro-Violences (http://www.stopmv.fr/)

ref. Lutter contre les micro-violences à l’école : ces attentions qui changent la donne – https://theconversation.com/lutter-contre-les-micro-violences-a-lecole-ces-attentions-qui-changent-la-donne-260757

Juifs ultra-orthodoxes en Israël : l’exemption de service militaire face à l’épreuve de la guerre

Source: The Conversation – in French – By Elizabeth Sheppard Sellam, Responsable du programme « Politiques et relations internationales » à la faculté de langues étrangères, Université de Tours

Depuis la fondation de l’État d’Israël en 1948, les personnes qui consacrent leur vie à l’étude des textes religieux sont exemptées de l’obligation de servir sous les drapeaux. Mais la non-participation à l’effort de guerre de cette communauté, de plus en plus nombreuse (près de 13 % de la population aujourd’hui), suscite de plus en plus de tensions.


La non-conscription des Juifs ultra-orthodoxes (haredim, littéralement « ceux qui craignent Dieu ») constitue aujourd’hui l’une des fractures sociales et politiques les plus profondes d’Israël.

Alors que la majorité des familles – y compris les femmes et les réservistes, dont la mobilisation ne cesse de s’intensifier – participent directement à l’effort de guerre dans lequel le pays est engagé, une minorité en pleine croissance démographique continue de bénéficier d’une exemption qui fait de plus en plus polémique. Le défi est à la fois social, politique et économique.

Un défi social : la cohésion nationale mise à l’épreuve

Depuis le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, Israël est plongé dans la guerre la plus longue et la plus coûteuse de son histoire récente. Vingt-trois mois plus tard, les dépenses cumulées atteignent environ 253 milliards de shekels (67 milliards de dollars). Pour 2024 seulement, les dépenses militaires représentaient déjà 8,4 % du PIB, contre 5,2 % en 2023.

Des centaines de milliers de réservistes ont été rappelés, certains plusieurs fois, imposant un poids inédit aux familles et à l’économie. Cet effort repose sur le modèle israélien de conscription universelle : hommes et femmes sont appelés à servir. La mobilisation est telle que sur certaines lignes de front, près de 25 % des effectifs sont désormais des femmes.

Dans ce contexte, l’exemption dont bénéficient les haredim apparaît comme une fracture majeure. Rappelons que les haredim sont des Juifs ultra-orthodoxes, centrés sur l’étude de la Torah et une vie religieuse séparée du monde séculier. Seule une minorité d’entre eux est antisioniste ; la majorité reconnaît l’État d’Israël et participe à sa vie politique, tout en refusant le service militaire pour préserver l’étude religieuse.

Alors que plus de 80 % des jeunes Israéliens juifs effectuent leur service, seuls 1 212 hommes haredim ont été incorporés sur 24 000 convoqués en 2024, soit environ 5 %.

Cette disparité nourrit un ressentiment profond : l’immense majorité des familles du pays envoient leurs fils et leurs pères au front, tandis qu’une minorité croissante échappe à l’effort commun. Chaque tentative de conscription déclenche des manifestations violentes dans les quartiers haredim.

Le contraste est frappant avec le cas des minorités non juives : les hommes druzes sont soumis à la conscription depuis 1956 et servent massivement ; les Bédouins et certains Arabes israéliens, bien que non obligés, choisissent volontairement de s’engager, notamment dans les patrouilles de pisteurs. Autrement dit, des groupes minoritaires, parfois marginalisés, participent activement à cet acte fondateur de cohésion et de défense collective, tandis qu’une minorité juive croissante, pour des raisons religieuses, s’en abstient.

À cette dimension morale s’ajoute une dynamique démographique préoccupante. Avec une croissance annuelle de 4 %, les haredim représentaient 13,6 % de la population en 2023 et devraient atteindre 16 % en 2030. Cette évolution rend l’exemption toujours plus insoutenable, au point de menacer le pacte social israélien.

Un nœud politique : entre impératif sécuritaire et survie gouvernementale

Ce décalage entre l’effort de guerre de la majorité et l’exemption persistante des haredim ne se limite pas à une fracture sociale : il alimente aussi une dynamique politique.

La croissance démographique de la communauté ultra-orthodoxe s’est traduite par la consolidation de partis religieux puissants comme Shas (séfarade) et Judaïsme unifié de la Torah (UTJ, ashkénaze), devenus des acteurs incontournables de la Knesset (respectivement 11 et 7 sièges sur 120 à l’issue des dernières législatives, en 2022). Leur poids politique permet de bloquer toute réforme, plaçant la conscription haredie au cœur d’un affrontement où se mêlent impératifs sécuritaires, équité sociale et survie gouvernementale.

La fracture sociale autour de la question de la conscription des haredim s’est ainsi transformée en crise politique et institutionnelle. En juin 2024, la Cour suprême israélienne a rendu un arrêt historique, mettant fin à l’exemption de facto et obligeant le gouvernement à appliquer la conscription, sous peine de couper les financements publics aux yeshivot (écoles d’enseignement religieux supérieur) accueillant des étudiants en âge de servir.

Cette décision s’est aussitôt heurtée à un blocage parlementaire. La coalition de Benyamin Nétanyahou dépend du soutien de Shas et de l’UTJ, et perdre ces alliés reviendrait à perdre sa majorité, au moment même où la guerre devient de plus en plus impopulaire parmi les familles d’otages et une large partie de l’opinion. Shas et l’UTJ ont soutenu la guerre à Gaza, en insistant tout particulièrement sur l’obligation religieuse de tout faire pour obtenir la libération des otages. Ils ont affirmé qu’aucune mitsva (prescription) n’était plus importante que le « rachat des captifs » et ont appuyé les propositions de trêve ou d’accord allant dans ce sens.

En juillet 2025, l’UTJ a annoncé son retrait du gouvernement pour protester contre l’absence de législation garantissant une exemption claire pour les étudiants en yeshivot. Quelques jours plus tard, le Shas a à son tour retiré ses ministres, tout en restant formellement dans la coalition. Ces départs ont réduit la majorité de Nétanyahou à la Knesset à une seule voix, fragilisant encore la position du premier ministre.

La contestation s’est aussi déplacée sur le terrain religieux. Fin juillet 2025, le rabbin Dov Lando, figure du courant lituanien (une branche haredi non hassidique centrée sur l’étude intensive de la Torah et du Talmud dans les yeshivot), a dénoncé « une guerre de l’État contre les étudiants de yeshivot », promettant « une lutte mondiale sans précédent ». Certains de ses proches ont même évoqué une désobéissance civile silencieuse – boycotts économiques, retraits bancaires massifs…

Cette impasse illustre une crispation institutionnelle sans précédent : exécutif paralysé, pouvoir judiciaire exigeant l’égalité et opinion publique de plus en plus hostile au statu quo. Les sondages montrent un soutien massif, dans toutes les composantes du public non-haredi, à l’imposition de sanctions économiques sévères à l’encontre des réfractaires.

Le prix économique de l’exemption

L’exemption haredie représente aussi un coût économique majeur pour l’État. Le taux d’emploi des hommes haredim stagne à 54 %, contre plus de 85 % chez les non-haredim. Les femmes haredies sont plus actives (environ 80 %), mais souvent dans des secteurs peu productifs. Cette disparité réduit l’assiette fiscale, accroît la dépendance aux transferts sociaux et freine la croissance.




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L’absence de service militaire aggrave encore la situation. L’armée est, pour la majorité des Israéliens, un sas d’intégration vers le marché du travail, en offrant des compétences et des réseaux professionnels dont les haredim restent exclus, ce qui pèse sur la compétitivité nationale

Le coût macroéconomique est estimé à 8,5 milliards de shekels par an, soit environ 1,7 % du PIB. Le ministère des finances a mis en garde contre le prix « très élevé » du maintien de l’exemption, tandis que la Banque d’Israël souligne l’incertitude budgétaire que celle-ci engendre.

À cela s’ajoutent les subventions directes aux yeshivot, qui se chiffrent en milliards chaque année et renforcent un modèle de dépendance : une partie significative des hommes haredim passent leur vie à étudier la Torah au lieu de rejoindre le marché du travail. Dans un contexte de guerre prolongée, ce double coût – budgétaire et économique – devient de plus en plus intenable.

Une réforme inévitable

En temps de guerre, l’exception haredie n’est plus seulement un compromis politique : elle fragilise la cohésion nationale, creuse l’injustice sociale et pèse lourdement sur l’économie. Israël se trouve face à l’obligation de prendre une décision inévitable : réformer la conscription, conformément à l’arrêt rendu par la Cour suprême en 2024, pour réintégrer une communauté en pleine expansion dans l’effort collectif.

Plusieurs pistes existent. L’extension de brigades adaptées comme Netzah Yehuda est une possibilité, même si ce modèle a vocation à rester relativement marginal. Cette unité d’infanterie de l’armée, créée pour permettre aux jeunes haredim de servir tout en observant strictement les prescriptions religieuses, est impliquée dans plusieurs controverses. Des enquêtes ont souligné des violations des droits humains au sein du bataillon. Mais en août 2024, le département d’État américain a conclu que ces abus avaient été « efficacement réglés » et a rétabli l’éligibilité du bataillon à l’aide militaire des États-Unis, qui lui avait, un temps, suspendue.

Le service civil obligatoire – dans la santé, l’éducation ou l’aide sociale – constituerait une option alternative crédible.

Enfin, le levier économique – conditionner le financement des yeshivot à la participation au service – apparaît comme l’outil le plus puissant, car il touche directement le cœur du modèle de vie des haredim.

Le statu quo est de moins en moins viable alors que les mobilisations de réservistes se multiplient et que la société exige un partage équitable de la responsabilité. L’avenir dépendra de la capacité d’Israël à concilier sécurité nationale, justice sociale et stabilité politique. Faute de réforme, l’exception haredie risque de miner durablement le contrat civique sur lequel repose l’État.

The Conversation

Elizabeth Sheppard Sellam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Juifs ultra-orthodoxes en Israël : l’exemption de service militaire face à l’épreuve de la guerre – https://theconversation.com/juifs-ultra-orthodoxes-en-israel-lexemption-de-service-militaire-face-a-lepreuve-de-la-guerre-264833