Restitutions du patrimoine culturel illicite : un nouveau projet de loi française pourrait changer la donne

Source: The Conversation – in French – By Catharine Titi, Research Associate Professor (tenured), French National Centre for Scientific Research (CNRS), Université Paris-Panthéon-Assas

Image tirée du film _Dahomey_ (2024), de Mati Diop, Ours d’or de la 74<sup>e</sup>&nbsp;Berlinale. Films du Losange

Sur la question des restitutions du patrimoine culturel illicite, la France entend aller plus loin avec un projet de loi qui pourrait devenir une loi phare en la matière. Quelles en sont les modalités, et pourquoi ce projet représente-t-il potentiellement un tournant historique ?


Le discours marquant d’Emmanuel Macron sur le patrimoine culturel africain, prononcé à Ouagadougou au Burkina Faso en 2017, a suscité l’espoir d’un tournant dans la question des restitutions. Depuis, les premiers résultats ont été modestes.

Les conclusions audacieuses du rapport Sarr-Savoy, publié un an plus tard, se cantonnaient au patrimoine culturel subsaharien. Les quelques restitutions qui ont suivi, notamment celles de 26 œuvres au Bénin, d’un objet au Sénégal et d’un autre à la Côte d’Ivoire, se sont révélées moins ambitieuses que celles entrevues.

Certes, deux lois-cadres sur la restitution des restes humains et sur des objets liés aux spoliations antisémites ont bien été adoptées en 2023, mais nous étions là à la traîne d’autres pays européens. Nos voisins d’outre-Manche, connus pour leur scepticisme vis-à-vis des restitutions, disposent de telles lois depuis de longues années.

Cependant, aujourd’hui, la France entend aller plus loin avec un projet de loi qui pourrait devenir une loi phare en matière de restitutions. La promesse date de 2021, quand le président de la République affirmait la nécessité d’une loi « qui permettra de cadrer dans la durée les choses […] pour établir véritablement une doctrine et des règles précises de restituabilité ». Aujourd’hui, les conditions de son adoption semblent enfin réunies.

Une dérogation ciblée au principe d’inaliénabilité

Le projet de loi vise à créer une dérogation ponctuelle au principe d’inaliénabilité qui empêche la vente ou le transfert des œuvres des collections publiques pour certains biens culturels. L’objectif est de faciliter le processus de restitution, afin qu’elle puisse s’effectuer par décret en Conseil d’État, sans que le législateur n’ait à intervenir.

Selon l’étude d’impact du projet, il serait « répétitif et pesant […] pour toutes les parties prenantes de proposer de nouveaux projets de loi ad hoc […] pour restituer au cas par cas » et le Parlement pourrait « être difficilement sollicité de façon répétée pour des lois d’espèce visant des œuvres spécifiques ».

Appropriation illicite entre 1815 et 1972

Les biens culturels concernés sont ceux qui ont fait l’objet d’une « appropriation illicite » entre le 10 juin 1815, lendemain de la signature de l’acte final du congrès de Vienne, qui a décrété la restitution des spoliations européennes de Napoléon, et le 23 avril 1972, veille de l’entrée en vigueur de la Convention de l’Unesco de 1970, qui a mis en place un cadre de lutte contre le trafic international de biens culturels.

Cette période pose question. Par exemple, toutes les antiquités et autres œuvres d’art qui auraient dû être restituées en 1815, selon l’accord établi à l’époque, ne l’ont pas été. Pourquoi ne pas couvrir toute la période napoléonienne ? Ne serait-ce pas aussi un moyen indirect d’exercer une pression sur nos voisins britanniques qui, à l’issue de la bataille du Nil (1798), ont emporté les antiquités égyptiennes de la campagne d’Égypte ?

Le texte du projet de loi retient comme date cruciale celle de l’appropriation illicite de l’objet. La loi pourrait aller encore plus loin en retenant comme date cruciale celle de l’acquisition de l’objet illicite par une collection nationale française. Dans ce cas, un objet volé avant 1815, mais acquis après cette date serait toujours protégé par la loi.

Mieux encore, a-t-on vraiment besoin d’une période de référence ? Ne serait-il pas suffisant de se concentrer sur le caractère illicite du bien ?

Il faut rappeler qu’aucune restitution ne sera automatique : un décret en Conseil d’État pris sur le rapport du ministre de la culture sera nécessaire. Il n’y a donc aucun risque de restitution précipitée.

Par ailleurs, le projet prévoit qu’un comité scientifique pourrait également être consulté pour avis. Il pourrait même être conçu comme un organe pérenne, ce qui lui permettrait de développer une pratique, équivalente à une « jurisprudence » constante.

Enfin, la dérogation ne couvre pas les biens archéologiques ayant fait l’objet d’un accord de partage de fouilles ou d’un échange à des fins d’étude scientifique ni les biens saisis par les forces armées et transformés en « biens militaires ». Ces exclusions pourraient sensiblement restreindre l’impact de la loi, d’autant que la définition du terme « bien militaire » est large et que certains anciens accords relatifs à des biens archéologiques pourraient être considérés comme une appropriation illicite aujourd’hui.

Vol ou exportation illicite à partir de 1972

Au-delà de la dérogation au principe d’inaliénabilité, le projet de loi vise les biens culturels qui ont été « volés ou illicitement exportés » à partir du 24 avril 1972, date d’entrée en vigueur de la Convention de l’Unesco de 1970. Comme la France n’a ratifié cette convention qu’en 1997, il a été décidé de l’appliquer rétroactivement à partir de 1972.

Ici, le processus de restitution est différent : la collection publique qui possède le bien culturel demande au juge d’ordonner sa restitution. L’inconvénient est qu’il concerne uniquement les objets « volés ou illicitement exportés » et donc pas forcément d’autres types d’« appropriation illicite » comme la cession d’un objet obtenue par contrainte.

En outre, on peut s’interroger sur l’intention du projet de loi qui est soit de proposer un cadre législatif nouveau, soit d’intégrer la Convention de l’Unesco de 1970 dans le droit interne français. Dans ce dernier cas, il pourrait involontairement intégrer aussi les limitations de celle-ci. Par exemple, les produits provenant de fouilles archéologiques clandestines n’entrent pas a priori dans le champ de protection de cette convention. Est-ce vraiment la volonté du législateur d’exclure les produits de fouilles clandestines du champ d’application de la loi ?

Politiques de restitution : l’exemple néerlandais

Ces dernières années, les politiques en matière de restitution ont radicalement changé presque partout dans le monde, prouvant que des pratiques, acceptables par le passé, ne le sont plus. À ce titre, l’exemple des Pays-Bas est particulièrement intéressant.

Depuis 2020, ce pays a mis en place une nouvelle politique et a constitué un comité scientifique chargé d’examiner les demandes de restitution émanant d’un État étranger. Il accepte désormais que les objets entrés dans le domaine public néerlandais à la suite d’un déséquilibre des pouvoirs soient restitués. Bien que le comité ait officiellement été créé pour traiter les demandes relatives aux objets coloniaux, son champ d’action s’étend à tous les types d’objets. En cas de doute quant à la manière dont un bien culturel s’est intégré dans une collection néerlandaise, le comité recommande sa restitution. Le doute profite donc à l’État demandeur.

Les mots ont leur importance. Lorsqu’il examine une demande de restitution, le comité néerlandais ne considère pas que l’objet « appartient » à la collection néerlandaise, mais seulement qu’il y est accueilli. Il est question d’objets « perdus involontairement » par l’État concerné (et non « volés » ou « obtenus par contrainte »). Plus important encore, cette nouvelle politique reconnaît que « la réparation de l’injustice est le point de départ du processus de restitution ».

Un projet de loi tourné vers l’avenir

Revenons au projet français de loi présenté par le gouvernement. Il a été déposé au Sénat, le 30 juillet 2025, où trois sénateurs, Max Brisson (LR), Catherine Morin-Desailly (Union centriste) et Pierre Ouzoulias (CRCE-K), particulièrement engagés en la matière, ont déjà été à l’origine d’un nombre de dossiers législatifs portant sur les restitutions.

Le projet de loi devait initialement être discuté en septembre 2025, mais la situation politique a repoussé cette échéance à une date pour l’instant indéterminée.

Le consensus politique qui semble émerger en faveur de ce projet est fondateur. Il permettra à la France de se positionner à l’avant-garde du débat sur la restitution des biens culturels acquis illicitement.

The Conversation

Catharine Titi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Restitutions du patrimoine culturel illicite : un nouveau projet de loi française pourrait changer la donne – https://theconversation.com/restitutions-du-patrimoine-culturel-illicite-un-nouveau-projet-de-loi-francaise-pourrait-changer-la-donne-267580

Comment le Sénégal peut financer son économie sans s’endetter davantage

Source: The Conversation – in French – By Souleymane Gueye, Professor of Economics and Statistics, City College of San Francisco

Le modèle d’endettement externe, longtemps présenté comme le moteur du développement des pays sous-développés en général et du Sénégal en particulier, révèle aujourd’hui ses limites. Le Sénégal fait face à un endettement public record (119 % du PIB) selon le Fonds monétaire international – aggravé par des « dettes cachées » hors bilan et une contrainte budgétaire qui menace à la fois sa stabilité macro-économique et sa capacité à financer un développement durable et inclusif. Lors des assemblées du FMI et de la Banque mondiale, Kristalina Georgieva a salué la transparence dont les autorités sénégalaises ont fait montre en révélant la dette cachée, estimant qu’elles ont eu “le courage de dire la vérité”.

Les crises successives – dette des années 1980, pandémie de COVID-19, guerre en Ukraine, guerre commerciale décrétée par la nouvelle administration américaine, la suspension/diminution de l’aide au développement – ont ravivé une question centrale : comment financer la transformation structurelle du pays sans replonger dans la dépendance et le surendettement ?

En tant qu’économiste ayant étudié les mécanismes d’endettement et les sources alternatives de financement du Sénégal, j’examine dans cet article les alternatives au modèle classique d’endettement. Je défends l’idée que des instruments concrets existent pour soutenir une croissance inclusive, génératrice de richesse, d’emplois et porteuse de réduction des inégalités des revenus.

Les limites d’un modèle fondé sur la dette

Selon la théorie économique néo-classique, un pays avec un taux d’épargne faible peut accélérer sa croissance économique en finançant ses investissements productifs par la dette internationale. C’est sur ce principe que le Sénégal, comme d’autres pays africains, a beaucoup emprunté sur les marchés internationaux pour construire routes, ponts et infrastructures censés soutenir la croissance et conduire le pays vers l’émergence.

La réalité dément cette théorie dans le cas du Sénégal. Après quarante années de recours aux financements extérieurs, la dette publique dépasse aujourd’hui 118 % du PIB. Le déficit budgétaire s’élève aussi à plus de 14 % du PIB. Le service de la dette absorbe plus de 25 % des recettes fiscales. Les charges d’intérêts sur la dette ont augmenté de 32,7 % durant ce trimestre, atteignant 823 milliards de FCFA (environ 1,34 milliard de dollars US), d’après le ministre des Finances. La croissance économique reste très volatile, avec une productivité stagnante et un taux de chômage très élevé (22,8 %).

Le taux moyen de croissance économique est de 5 %. La productivité du travail n’augmente en moyenne que de 0.6 %. Elle est freinée par la mauvaise orientation de la main-d’œuvre et de l’insuffisance d’équipements performants.

Les investissements massifs n’ont pas créé le cercle vertueux attendu. Au lieu de créer une croissance endogène et inclusive, ils ont consolidé une économie dépendante des importations et des devises étrangères.

Cette dépendance a entraîné un cycle de surendettement. L’État doit sans cesse emprunter de nouvelles sommes pour rembourser les dettes contractées en devises. Le service de la dette augmente chaque année (+21 % sur les intérêts). S’y ajoute un besoin de financement du compte courant estimé à 2700 milliards de FCFA (environ 4,39 milliards de dollars US). Autant de ressources soustraites aux dépenses sociales et d’investissement.

Cette situation n’est pas passagère. Elle traduit un blocage structurel.La théorie de la dépendance montre que l’emprunt international entretient une dépendance durable vis-à-vis des grands centres financiers. Celle-ci est aggravée par des contrats opaques et la pression des agences de notation comme Moody’s qui ne cessent de dégrader la note du pays.

La doctrine de la “dette odieuse” formulée par Alexander Sack considère qu’une dette contractée sans consentement démocratique et contraire à l’intérêt public peut être annulée. Cette idée refait surface au Sénégal : la Cour des comptes a révélé l’existence d’une dette « cachée » estimée à 13 milliards de dollars fin 2024, contre 7 milliards sous le régime précédent.

Ce fardeau de la dette cachée pèse lourdement sur les finances publiques et nuit à la crédibilité du pays sur les marchés. Le Sénégal doit désormais emprunter à des taux très élevés . C’est pourquoi une partie des Sénégalais demande que le pays refuse de rembourser cette dette cachée qu’ils jugent “odieuse”.

Ces analyses montrent la nécessité de diversifier les sources de financement pour atténuer la dépendance du pays à l’endettement.

## Financer autrement l’économe

La recherche d’alternatives au modèle classique d’endettement devient urgente. Au-delà de la mobilisation des ressources domestiques (réformes fiscales, épargne nationale), plusieurs instruments offrent des solutions crédibles pour financer autrement la croissance. Un fonds souverain, alimenté par les revenus des ressources naturelles (or, zircon, hydrocarbures), pourrait constituer une base de financement stratégique.

Les échanges de dette contre développement offrent une solution. Ils convertissent une créance en financements pour des secteurs comme la santé ou l’éducation. Résultat : la dette s’allège tout en soutenant les services publics.

La diaspora sénégalaise, dont les transferts représentent près de 10 % du PIB, constitue un autre levier majeur pour financer des infrastructures stratégiques. Le lancement du premier Diaspora Bond a d’ailleurs permis de lever 450 milliards de FCFA (environ 731,7 millions de dollars US), bien au-delà de l’objectif initial de 487,8 millions de dollars US. Ces obligations citoyennes, assorties de taux de rendement compétitifs, peuvent devenir un outil structurant de patriotisme économique.

L’utilisation des Sukuk islamiques qui sont des obligations en conformité avec la charia (loi islamique) limiterait le risque de change tout en mobilisant une épargne nationale et étrangère compatible avec les valeurs islamiques de nombreux investisseurs. Pour le Sénégal, il faudra simplement rationaliser le recours à cette finance islamique en travaillant sur un cadre juridique et réglementaire transparent. En 2014, le gouvernement l’avait déjà utilisé pour lever 325,2 millions de dollars US.

Un autre levier de financement consisterait à émettre des obligations indexées au PIB. Avec ce système, le remboursement de la dette dépend de la santé économique du pays. Si la croissance est forte, les créanciers sont mieux remboursés. Si l’économie ralentit ou subit un choc climatique (inondation, disette sécheresse), les remboursements diminuent. Ce mécanisme testé en Argentine après 2001 prouve que les finances publiques, en partageant les risques avec les créanciers, laissent aux autorités une marge de manoeuvre budgétaire.

D’autres mécanismes financiers méritent d’être développés. La microfinance, les fintechs, le capital-risque et les sociétés de capital d’investissement peuvent non seulement accompagner les start-up et les PME innovantes mais aussi cibler une partie de la population non bancable.

A ces leviers de financement, il faudra y inclure les fonds verts pour le climat et les obligations vertes, niches qui permettront de lever des fonds pour lutter contre le réchauffement climatique ou de financer des projets environnementaux structurants.

Le Sénégal doit s’appuyer sur une stratégie bien pensée qui combinerait ces formes de financement alternatif avec les investissements directs étrangers (IDE) et les partenariats public-privé transparents dans des secteurs tels que le BTP, les énergies renouvelables, l’agro-industrie et les hautes technologies.

Bien articulés et adossés à une diplomatie économique efficace, ces leviers peuvent diminuer la vulnérabilité externe du pays. Ils peuvent renforcer la nouvelle approche de financement des politiques publiques pour une transformation systémique de l’économie sénégalaise tout en renforçant la crédibilité internationale du Sénégal.

Une réforme en deux temps

Pour rompre ce cercle vicieux dans lequel le Sénégal s’est empêtré, il est nécessaire d’amorcer des réformes qui auront un double objectif.

D’une part, assainir l’héritage de dettes accumulées par un audit rigoureux, une restructuration ciblée et une gouvernance budgétaire plus transparente.

D’autre part, bâtir une nouvelle stratégie de financement capable de mobiliser les ressources domestiques, de diversifier les partenariats et d’intégrer des instruments innovants tels que les échanges de dette contre développement, les sukuk islamiques, les obligations indexées au PIB et les diaspora bonds.

Cette transformation exige une discipline institutionnelle exemplaire et une sélection stratégique des instruments de financement afin de protéger les dépenses sociales, soutenir l’emploi des jeunes et préserver le pouvoir d’achat des Sénégalais les plus vulnérables. En maîtrisant ces leviers, le Sénégal pourra libérer son potentiel productif pour une transformation systémique de son économie et réduire sa dépendance aux marchés financiers internationaux.

Il s’agira ainsi de bâtir une trajectoire de croissance durable, résiliente et véritablement inclusive, capable d’éradiquer la pauvreté et de réduire les inégalités économiques.

La réussite de la Vision Sénégal 2050 – référentiel de développement du pays – dépendra de cette capacité à financer autrement les politiques publiques et l’ économie.

The Conversation

Souleymane Gueye receives funding from Fulbrith et le college de San Francisco.

ref. Comment le Sénégal peut financer son économie sans s’endetter davantage – https://theconversation.com/comment-le-senegal-peut-financer-son-economie-sans-sendetter-davantage-266225

Une étude montre que 60 ans est souvent l’âge de notre apogée

Source: The Conversation – France in French (3) – By Gilles E. Gignac, Associate Professor of Psychology, The University of Western Australia

Raisonnement moral, stabilité émotionnelle, résistance aux biais cognitifs… autant de traits qui atteignent leur maturité bien après la jeunesse et qui expliquent pourquoi cette période de la vie peut être un âge d’or pour le jugement et le leadership.


À mesure que votre jeunesse s’éloigne, votre crainte du vieillissement grandit peut-être. Les résultats de recherche que mon collègue et moi avons récemment publiés dans la revue Intelligence pourraient vous rassurer, car ils révèlent qu’il existe de très bonnes raisons de se réjouir de prendre de l’âge. En effet, pour nombre d’entre nous, le fonctionnement psychologique atteint en réalité son pic entre 55 et 60 ans.

Ces connaissances éclairent les raisons pour lesquelles les personnes de cette tranche d’âge peuvent constituer des atouts dans le milieu professionnel, que ce soit en matière de résolution de problèmes complexes ou dans l’exercice du leadership.

Différents types de pics

De nombreux résultats de recherches indiquent que les êtres humains atteignent l’apogée de leur forme physique entre le milieu de la vingtaine et le début de la trentaine.

Un vaste corpus d’études établit également que c’est aussi vers le milieu de la vingtaine que les capacités intellectuelles « brutes » – c’est-à-dire la faculté de raisonner, de se souvenir et de traiter rapidement les informations – commencent généralement à décliner.

Ce schéma se reflète dans le monde réel. Les athlètes atteignent en général le pic de leurs performances avant 30 ans. Les mathématiciens signent souvent leurs contributions les plus marquantes aux alentours de la trentaine. Quant aux champions d’échecs, ils sont rarement au sommet de leur art après 40 ans.

Pourtant, si l’on regarde au-delà de la seule « capacité de traitement brute », une image bien différente se dessine.

De la capacité de raisonnement à la stabilité émotionnelle

Dans notre étude, nous sommes allés au-delà de la seule faculté de raisonnement. Nous nous sommes concentrés sur des traits psychologiques bien établis, répondant à plusieurs critères : pouvoir être mesurés de manière fiable, refléter des caractéristiques durables plutôt que des états passagers, suivre des trajectoires liées à l’âge bien documentées, et être connus pour prédire les performances des individus dans la vie réelle.

Notre recherche nous a permis d’identifier 16 dimensions psychologiques correspondant à ces critères. Il s’agissait notamment de capacités cognitives fondamentales, telles que le raisonnement, la capacité de mémorisation, la vitesse de traitement, les connaissances ou encore l’intelligence émotionnelle. Figuraient aussi parmi ces 16 dimensions les fameux « Big Five », ou cinq grands traits de personnalité : l’extraversion, la stabilité émotionnelle (névrosisme vs stabilité émotionnelle dans le modèle des Big Five, ndlr), le caractère consciencieux, l’ouverture à l’expérience et l’agréabilité.

Nous avons recensé puis compilé toutes les études portant sur ces 16 dimensions menées sur des cohortes de grandes tailles. En les standardisant, grâce à une échelle commune, nous avons pu établir des comparaisons directes et cartographier l’évolution de chaque trait au fil de la vie.

Un pic plus tard dans la vie

Plusieurs des traits que nous avons mesurés atteignent leur pic bien plus tard dans l’existence. Ainsi, le caractère consciencieux culmine autour de 65 ans, tandis que la stabilité émotionnelle atteint son maximum vers 75 ans.

Des dimensions moins souvent évoquées, comme le raisonnement moral, semblent également s’épanouir à un âge avancé. De même, la capacité à résister aux biais cognitifs – ces raccourcis mentaux qui peuvent nous conduire à des décisions irrationnelles ou moins exactes – peut continuer de s’améliorer jusqu’à 70 ans, voire 80 ans.

En combinant les trajectoires liées à l’âge de ces 16 dimensions dans un indice pondéré, théoriquement et empiriquement étayé, un schéma frappant est apparu.

Le fonctionnement mental global culmine entre 55 et 60 ans, avant de commencer à diminuer vers 65 ans. Ce déclin s’accentue après 75 ans, ce qui suggère qu’à un âge avancé, la diminution des capacités pourrait s’accélérer une fois qu’elle est entamée.

En finir avec les idées reçues sur l’âge

Nos résultats pourraient contribuer à expliquer pourquoi nombre les fonctions de leadership les plus exigeantes dans le secteur des affaires, de la politique ou de la vie publique sont souvent occupées par des quinquagénaires ou des sexagénaires. Si certaines capacités déclinent avec l’âge, elles sont contrebalancées par la progression d’autres traits essentiels. Ensemble, ces compétences favorisent de meilleures capacités de jugement et des prises de décisions plus réfléchies – autant de qualités cruciales au sommet.

En dépit de ces conclusions, les travailleurs les plus âgés sont aussi ceux qui font face aux plus grandes difficultés lorsqu’il s’agit de réintégrer le marché de l’emploi après une perte de poste. Dans une certaine mesure, certains facteurs structurels pourraient influencer les décisions en matière d’embauche. Recruter une personne d’une cinquantaine d’années pourrait par exemple être perçu par les employeurs comme un investissement de court terme dans le cas d’une probable retraite à 60 ans.

Dans d’autres cas, certains métiers imposent un âge de départ obligatoire. Ainsi, l’Organisation de l’aviation civile internationale fixe à 65 ans l’âge limite pour les pilotes de ligne internationaux. Dans de nombreux pays, les contrôleurs aériens doivent eux aussi prendre leur retraite entre 56 et 60 ans (en France, l’âge limite est fixé à 59 ans, ndlr). Étant donné que ces professions exigent des niveaux de mémoire et d’attention particulièrement élevés, ces limites d’âge sont souvent considérées comme justifiées.

Cependant, la situation n’est pas la même d’une personne à l’autre. Des recherches ont montré que si certains adultes voient leur rapidité de raisonnement et leur mémoire décliner en vieillissant, d’autres conservent ces capacités jusqu’à un âge avancé. L’âge, à lui seul, ne détermine donc pas le fonctionnement cognitif global. Les évaluations et les appréciations devraient plutôt se baser sur les capacités et les traits réels des individus, plutôt que sur des présupposés liés à leur âge.

Un pic, pas un compte à rebours

Dans l’ensemble, ces résultats soulignent la nécessité de mettre en place des pratiques d’embauche et de fidélisation plus inclusives sur le plan de l’âge, qui tiendraient compte du fait que chez de nombreuses personnes, vieillir constitue un atout en matière de travail.

Charles Darwin a publié De l’origine des espèces à 50 ans. Ludwig Van Beethoven a créé sa Neuvième symphonie à 53 ans et alors qu’il était profondément sourd. Plus récemment, Lisa Su, aujourd’hui âgée de 55 ans, a engagé le fabricant américain de semi-conducteurs, microprocesseurs et cartes graphiques Advanced Micro Devices (AMD) dans l’un des revirements technologiques les plus spectaculaires du secteur.

L’histoire regorge de personnalités qui ont accompli leurs plus grandes percées à des âges dépassant largement ce que la société considère souvent comme « l’âge d’or ». Peut-être est-il temps de cesser de voir la maturité comme un compte à rebours, et de la reconnaître pour ce qu’elle est vraiment : un sommet.

The Conversation

Gilles E. Gignac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Une étude montre que 60 ans est souvent l’âge de notre apogée – https://theconversation.com/une-etude-montre-que-60-ans-est-souvent-lage-de-notre-apogee-267683

Pollution : quand l’environnement menace la fertilité féminine

Source: The Conversation – France in French (3) – By Sophian Tricotteaux-Zarqaoui, Doctorant, laboratoire Périnatalité et Risques toxiques (UMR_I 01), Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

La fertilité mondiale est en recul depuis plusieurs décennies. Si l’on connaît de multiples facteurs impliqués dans cet inquiétant phénomène, une partie des cas d’infertilité demeure sans explications. Un nombre croissant de preuves semble toutefois incriminer divers polluants environnementaux, en raison de leur capacité à perturber les cycles hormonaux.


Depuis plus de soixante-dix ans, un phénomène discret, mais de plus en plus préoccupant prend de l’ampleur dans le domaine de la santé reproductive : la fertilité mondiale connaît une baisse continue. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dresse un constat alarmant : aujourd’hui, pour un couple sur six dans le monde, devenir parents s’apparente davantage à un rêve difficile à réaliser qu’à une perspective aisément envisageable.

Les raisons de cette situation, qui affecte aussi bien les hommes que les femmes, sont multiples : évolutions sociétales, choix de vie, facteurs médicaux… Mais ils ne suffisent pas à expliquer l’ampleur du phénomène. Pour l’expliquer, les chercheurs s’intéressent de plus en plus aux effets des polluants environnementaux, et en particulier à ceux des perturbateurs endocriniens.

Ces substances, avec lesquelles nous sommes en contact au quotidien, peuvent interférer avec le système hormonal, clé de voûte de la reproduction. Ces substances ont la capacité de dérégler notre système hormonal, pourtant essentiel au bon fonctionnement de la reproduction. Aujourd’hui, les preuves sont accablantes et mettent en cause leur rôle dans les troubles de la fertilité féminine. Explications.

Un recul important de l’âge de la première grossesse

L’âge demeure l’un des facteurs majeurs influençant la fertilité. En effet, les femmes naissent avec un stock limité d’ovules qui diminue progressivement au fil des années jusqu’à la ménopause. Ce processus naturel réduit les chances de conception au fil du temps, jusqu’à l’arrêt complet des règles, qui survient généralement entre 45 et 55 ans, (avec un âge moyen de 51 ans en France).

Or, au fil du XXe siècle, l’accès aux études, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, d’une part, et le coût élevé lié à l’éducation des enfants, d’autre part, ont modifié les stratégies familiales, repoussant toujours plus loin l’âge moyen de la première grossesse. Ainsi, en France, celui-ci ne cesse de reculer depuis les années 1970. En 2022, il atteignait 31 ans, alors qu’il était de 24 ans en 1974.

Facilité par un meilleur accès à la contraception, ce report de l’âge de la parentalité au-delà des 30 ans pose un véritable défi, car la fertilité féminine décline drastiquement après 35 ans. Cette situation rend aussi plus complexe la prise en charge médicale des troubles de l’infertilité. En effet, plus le diagnostic d’infertilité est posé tardivement, plus le projet de devenir parents est mis en péril, car les traitements peuvent être longs.

Il faut souligner que les causes de l’infertilité ne se limitent pas uniquement à l’âge ; d’autres problèmes gynécologiques peuvent être impliqués. Parmi ceux-ci, on y trouve les anomalies utérines, le syndrome des ovaires polykystiques, les problèmes anatomiques, et l’endométriose.

Toutefois, en France, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 10 % à 25 % des cas d’infertilité sont aujourd’hui d’origine inexpliquée. Une partie de ces cas pourrait être due à l’exposition à des polluants environnementaux, qui interfèrent avec le système hormonal et perturbent les mécanismes de la reproduction.

Les polluants environnementaux, la face cachée de l’infertilité

On sait aujourd’hui que des problèmes d’infertilité peuvent résulter d’un certain nombre de facteurs environnementaux, tels que le tabagisme, la consommation excessive d’alcool ou encore l’obésité pour ne citer que les plus connus.

Depuis plusieurs années, différentes études scientifiques incriminent également les perturbateurs endocriniens, parmi lesquels on retrouve certains pesticides, d’être à l’origine de certains cas d’infertilité inexpliquée.

Selon l’OMS, un perturbateur endocrinien est :

« Une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein d’une population »

Pour le dire simplement, les perturbateurs endocriniens sont des substances qui ont la capacité d’interférer avec le système hormonal perturbant ainsi le cycle menstruel.

Aujourd’hui, nous sommes tous exposés à un large spectre de perturbateurs endocriniens, qu’il s’agisse de bisphénols (notamment le bisphénol A, mais pas uniquement), de pesticides tels que le chlorpyrifos, ou de substances telles que les polychlorobiphényles, les phtalates et leurs métabolites, etc.

Ces composés sont présents dans de nombreux produits du quotidien, par exemple les bouteilles en plastique, les contenants alimentaires, les revêtements internes des boîtes de conserve métalliques, les détergents, les microplastiques, les retardateurs de flamme, les appareils électroniques et même les produits cosmétiques…

Notre mode de vie, notre alimentation, les lieux que nous fréquentons, et même notre métier influencent notre exposition à ces substances, et certains sont plus exposés que d’autres : agriculteurs et agricultrices, personnes exerçant des métiers de la coiffure, de l’esthétique, fleuristes

Naturellement, vivre à proximité de zones polluées, comme un champ cultivé en utilisant des pesticides, par exemple, accroît de même le risque de contamination par des perturbateurs endocriniens.




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Une mécanique hormonale finement régulée

L’exposition aux perturbateurs endocriniens peut avoir des effets particulièrement délétères chez la femme, car elle peut perturber le cycle menstruel.

Ce cycle naturel, qui prépare le corps à une éventuelle grossesse, est contrôlé par un ensemble d’organes qui communiquent entre eux grâce à des hormones : le cerveau (l’hypothalamus et l’hypophyse), les ovaires et l’utérus. Il repose sur deux processus qui se déroulent en parallèle.

L’un se déroule au niveau des ovaires, lesquels passent par plusieurs étapes au cours du cycle menstruel : développement des follicules contenant les ovocytes, libération d’un ovule prêt à être fécondé (l’ovulation), puis formation d’une structure temporaire appelée corps jaune qui permettra la continuité de la grossesse.

Le second processus se passe au niveau de l’utérus, qui se prépare à accueillir un futur bébé en épaississant sa paroi. Si la fécondation n’a pas lieu, cette muqueuse épaissie est éliminée par les voies naturelles : ce sont les règles.

Ce système est orchestré par plusieurs hormones essentielles, produites par les ovaires (œstradiol et progestérone) ainsi que par le cerveau (la GnRH, LH et FSH). C’est cette fine régulation hormonale qui permet au cycle menstruel de se dérouler chaque mois.

Une désorganisation, ne serait-ce que minime, de ce système millimétré, sous l’effet par exemple de perturbateurs endocriniens, peut se traduire par une infertilité dite « inexpliquée ».

Perturbateurs endocriniens et infertilité féminine

Des substances comme le bisphénol A, les phtalates et certains pesticides ont pu être liées à une accélération du vieillissement ovarien. En provoquant un stress oxydatif dans les follicules ovariens, elles endommagent les cellules impliquées dans le développement des ovocytes. Le contact avec ces substances se traduit par une diminution précoce de la qualité et de la quantité des ovules disponibles.

Les perturbateurs endocriniens sont aussi soupçonnés de jouer un rôle dans un trouble plus grave, appelé insuffisance ovarienne précoce. Celui-ci se traduit par un arrêt définitif du fonctionnement des ovaires avant 40 ans. Cette pathologie entraîne une ménopause prématurée, des troubles hormonaux et des difficultés à concevoir.

On sait que l’insuffisance ovarienne précoce peut avoir des causes génétiques, mais certains perturbateurs endocriniens semblent être eux aussi impliqués. C’est par exemple le cas des dioxines ainsi que des perfluoroalkyls et polyfluoroalkyls (aussi nommés PFAS).

Mais ce n’est pas tout : les perturbateurs endocriniens interfèrent également avec la grossesse elle-même. Pour qu’une grossesse puisse survenir, il faut qu’un ovule arrive à maturité et soit libéré lors de l’ovulation. Or, les perturbateurs endocriniens perturbent ce processus de différentes manières.

Certains d’entre eux bloquent la maturation des ovules, empêchant le développement normal des follicules ovariens

D’autres entraînent un déséquilibre hormonal, en modifiant la production des hormones comme l’œstrogène et la progestérone, ce qui perturbe le cycle menstruel et réduit les chances d’ovulation.

Des impacts au-delà de la conception

Les perturbateurs endocriniens peuvent aussi altérer les récepteurs hormonaux. C’est par exemple le cas de substances telles que l’atrazine, un pesticide très répandu, qui diminuent la réponse des ovaires aux hormones essentielles à l’ovulation.

Tous ces mécanismes se traduisent à des perturbations de l’ovulation qui interfèrent avec la fécondation. La conséquence, chez certaines femmes exposées, est la survenue de problèmes de fertilité, voire, dans certains cas, d’une infertilité totale.

Enfin, les perturbateurs endocriniens peuvent aussi s’avérer problématiques lors des étapes qui suivent la fécondation. Pour qu’une grossesse survienne, la fécondation seule ne suffit pas : l’œuf ainsi formé doit ensuite parvenir à s’implanter correctement dans l’utérus. Il faut pour cela que la muqueuse utérine (appelée endomètre) soit réceptive.

Or, les perturbateurs endocriniens, en particulier le bisphénol A, perturbent également cette étape. Les conséquences peuvent être des fausses couches à répétition, des difficultés d’implantation de l’embryon ou les complications pendant la grossesse : dysfonctionnement du placenta (prééclampsie), retard de croissance du fœtus, etc.

Enfin, les perturbateurs endocriniens semblent aussi jouer un rôle dans le développement de l’endométriose. On peut prendre le cas du TCDD, un herbicide agissant comme perturbateur endocrinien, qui est associé à la sévérité de la maladie.

Ce que la science sait… et ce qu’elle ignore encore

Aujourd’hui, nous savons que certains polluants présents dans notre environnement, comme le bisphénol A, les phtalates, certains pesticides, les dioxines ou les PFAS, peuvent altérer la fertilité féminine en perturbant la réserve ovarienne, l’ovulation, l’implantation embryonnaire ou en favorisant des pathologies comme l’endométriose.

Cependant, de nombreuses zones d’ombre subsistent : la proportion exacte de cas d’infertilité liés à ces substances reste inconnue, notamment en raison de la difficulté à mesurer l’exposition réelle et de l’effet « cocktail », autrement dit les résultats des interactions entre différentes molécules (nous sommes en effet exposés simultanément à de nombreuses substances différentes).

Parmi les questions qui restent en suspens, quelle est la part exacte de ces polluants dans les cas d’infertilité ? Quels sont les effets combinés des expositions multiples ? Quelles périodes de la vie sont les plus vulnérables ?

Informer, prévenir, agir

Face à l’ampleur du fléau silencieux que représente l’infertilité, il est essentiel de conjuguer les efforts de la recherche à la prévention et à l’information du public. On peut ainsi espérer mieux comprendre les effets des perturbateurs endocriniens sur la fertilité féminine, et en limiter l’impact.

Adopter quelques gestes simples, tel que limiter l’usage des plastiques alimentaires ou opter pour des cosmétiques exempts de perturbateurs connus peut permettre de réduire son exposition. Si possible, mieux vaut également avancer le plus possible dans le temps son projet parental.

Il est également important que recherches et actions de prévention soient soutenues par les institutions. Celles-ci doivent veiller à ce que la dimension environnementale soit pleinement intégrée aux stratégies visant à améliorer la santé reproductive. Cela peut passer par des réglementations plus strictes et par un meilleur suivi de l’utilisation de ces substances, tout en préservant la responsabilité individuelle.

Agir dès aujourd’hui pour protéger la fertilité féminine, par des choix éclairés et par une mobilisation collective, permettra de préserver la santé reproductive des générations futures.

The Conversation

Sophian Tricotteaux-Zarqaoui a reçu des financements de la région Haut de France dans le cadre de sa thèse

Hafida Khorsi, Mariame Kabbour, Marwa Lahimer et Moncef Benkhalifa ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Pollution : quand l’environnement menace la fertilité féminine – https://theconversation.com/pollution-quand-lenvironnement-menace-la-fertilite-feminine-241654

Pourquoi le prix de l’or s’envole-t-il actuellement ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Luke Hartigan, Lecturer in Economics, University of Sydney

Le prix de l’or vient de franchir un nouveau record, porté par une demande mondiale sans précédent. Investisseurs particuliers, fonds indiciels et banques centrales de pays émergents, en particulier la Chine et la Russie, se ruent sur le métal jaune, détaille Luke Hartigan, professeur d’économie à l’université de Sydney.


Mardi 14 octobre, le cours de l’or a franchi pour la première fois la barre des 4 100 dollars américains (3 525 euros) l’once, portant la hausse de cette année à plus de 50 %. La rapidité de cette flambée dépasse de loin les prévisions des analystes et représente quasiment un doublement depuis le début du mouvement, amorcé début 2024.

Cette envolée a séduit investisseurs et épargnants, au point de provoquer de longues files d’attente devant des comptoirs de change et des négociants en métaux précieux.

Qu’est-ce qui explique cet envol ?

Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cette course record : l’incertitude économique liée à l’endettement croissant des États et à la paralysie budgétaire américaine, ou encore les craintes d’une perte d’indépendance de la Réserve fédérale. Si sous pression politique, elle venait à baisser les taux américains, cela pourrait relancer l’inflation, contre laquelle l’or reste une valeur refuge traditionnelle.

Mais ces facteurs ne suffisent pas à expliquer la hausse fulgurante. D’abord parce que la progression de l’or s’inscrit dans une tendance haussière continue depuis plusieurs années, bien avant que ces éléments ne surgissent.

L’explication la plus plausible se trouve du côté de la demande croissante pour les fonds indiciels cotés en bourse (communément appelés ETF) adossés à l’or. Ces instruments financiers permettent aux investisseurs d’acheter et de vendre de l’or en Bourse aussi facilement qu’une action ou une obligation, ce qui démocratise considérablement l’accès au métal jaune. Avant le lancement du premier ETF or en 2003, il était bien plus difficile pour le grand public de s’exposer à ce marché. Aujourd’hui, l’or peut se négocier comme n’importe quel actif financier, ce qui change la perception de son rôle de valeur refuge en période de turbulences.

À cette demande des particuliers s’ajoute celle de certains pays émergents, en particulier la Chine et la Russie, qui convertissent une partie de leurs réserves officielles en or au détriment des grandes devises comme le dollar. Selon le Fonds monétaire international, leurs réserves physiques d’or ont augmenté de 161 % depuis 2006, atteignant environ 10 300 tonnes, contre seulement 50 % de croissance entre 1955 et 2005.

Cette réorientation s’explique notamment par l’usage accru des sanctions financières par les États-Unis et et d’autres gouvernements émetteurs des principales monnaies de réserve (dollar américain, euro, yen japonais et livre sterling). La Russie, devenue acheteuse nette d’or en 2006, a accéléré ses achats après l’annexion de la Crimée en 2014 et dispose aujourd’hui de l’un des plus gros stocks mondiaux. La Chine, de son côté, réduit ses avoirs en obligations américaines pour renforcer ses réserves en or, dans une stratégie dite de « dédollarisation ».

Après l’exclusion de la Russie du système de paiements Swift et face aux projets occidentaux de saisie d’avoirs russes pour contribuer à financer l’effort de guerre en Ukraine, de nombreuses banques centrales émergentes ont accru leurs réserves d’or. Pour elles, les grandes monnaies occidentales comportent désormais un risque politique, contrairement à l’or. Cette tendance pourrait à terme réduire l’efficacité des sanctions financières comme outil diplomatique.

Jusqu’où l’or peut-il monter ?

La demande persistante des banques centrales russes et chinoises, conjuguée à l’appétit des investisseurs pour les ETF, laisse entrevoir de nouvelles hausses. Les ETF attirent d’autant plus de capitaux que les prix montent, sous l’effet d’un certain « Fomo » (Fear of missing out ou peur de rater le train). Le Conseil mondial de l’or a ainsi fait état en septembre d’entrées record dans ces fonds : 26 milliards de dollars au troisième trimestre (22,4 milliards d’euros) et 64 milliards de dollars (55 milliards d’euros) sur les neuf premiers mois de l’année.

Les achats des banques centrales émergentes, eux, dépendent moins du prix que des facteurs géopolitiques, ce qui continue de soutenir la demande. Sur cette base, Goldman Sachs a déjà relevé son objectif de cours à 4 900 dollars l’once d’ici à fin 2026.

Un atout pour l’Australie

Quelles conséquences pour l’Australie ? Troisième producteur mondial, avec 19 % des réserves connues, le pays est bien placé pour profiter de cette envolée. Le ministère de l’Industrie, des Sciences et des Ressources du pays prévoit même que la valeur des exportations d’or dépassera dès l’an prochain celle du gaz naturel liquéfié. L’or deviendrait ainsi le deuxième produit d’exportation, juste derrière un autre métal « précieux » : le minerai de fer.

The Conversation

Luke Hartigan reçoit des financements de l’Australian Research Council (DP230100959).

ref. Pourquoi le prix de l’or s’envole-t-il actuellement ? – https://theconversation.com/pourquoi-le-prix-de-lor-senvole-t-il-actuellement-267883

SAAQclic : voici comment les dirigeants de PME peuvent éviter de reproduire les mêmes erreurs

Source: The Conversation – in French – By Azouz Ali, Professeur en Entrepreneuriat, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Ce devait être la vitrine de la modernisation de l’État. C’est devenu un avertissement pour tous ceux qui rêvent de transformation numérique express. En observant le naufrage du projet SAAQclic, les PME québécoises peuvent tirer trois leçons clés avant de se lancer dans leurs propres virages technologiques.

Lancée en 2023 par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), la plate-forme SAAQclic promettait un accès simple et rapide aux démarches d’immatriculation et de permis des citoyens. Mais entre retards, bogues et frustration citoyenne, ce projet technologique (trop) ambitieux est devenu symbole de fiasco.

Alors que son coût pourrait atteindre 1,1 milliard de dollars, presque le double du budget initial, le gouvernement de François Legault a précipitamment mis en place en avril 2025 une commission d’enquête pour comprendre les causes de ce fiasco. Pour les petites et moyennes entreprises (PME), cet épisode rappelle qu’un projet technologique mal géré peut rapidement se transformer en gouffre financier et réputationnel.

Que ce soit pour des projets de refonte de leur site web, l’implantation d’un logiciel de gestion de la relation client (CRM) ou encore l’automatisation de la facturation à l’aide de l’intelligence artificielle, les PME font de plus en plus le choix d’adopter des solutions numériques avancées afin de s’adapter à un environnement mondialisé et concurrentiel.

Bien que les PME soient réputées pour leur agilité et leur capacité d’adaptation, elles ne sont pas à l’abri des mêmes risques que ceux observés dans le projet SAAQclic : sous-estimation de la complexité technique, dépendance excessive aux prestataires externes, communication tardive avec les employés ou les clients, dépassements budgétaires qui plombent la trésorerie. Ainsi, le fiasco SAAQclic rappelle que les projets numériques ne sont pas seulement une affaire de technologie, mais avant tout de gouvernance et d’organisation.




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Trois leçons simples pour les PME

1. Faire confiance, sans perdre le contrôle

Par définition, les PME sont des organisations où la proximité règne. Les liens hiérarchiques y sont plus souples, ce qui favorise naturellement la confiance entre l’entrepreneur et ses équipes internes et/ou externes. Cependant, cette confiance ne devrait pas remplacer un certain niveau de rigueur. Comme les PME ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour mener à bien un projet technologique, confier un mandat à un prestataire externe ne dispense jamais de le suivre de près. Autrement dit, la confiance et le contrôle vont de pair. L’un ne fonctionne pas sans l’autre.

Typiquement, cela implique la nomination d’un référent ou coordonnateur (employé en interne) qui suit le projet au quotidien et s’assure de définir des jalons clairs (maquette, tests utilisateurs, mise en production). L’idéal serait de prévoir aussi des pénalités ou clauses de sortie si les engagements ne sont pas tenus par le prestataire externe.

2. Découper pour mieux maîtriser : avancer par petits pas

L’une des erreurs majeures du projet SAAQclic tient à la décision d’un déploiement intégral et simultané de la plate-forme, une approche connue sous le nom de « big bang ».

Cette stratégie, risquée même pour une grande organisation, laisse peu de place à l’ajustement et amplifie les risques. Dans une PME, mieux vaut fragmenter l’implémentation afin de limiter les risques d’échecs du projet technologique.

Avant de généraliser le projet à toute l’entreprise, il est préférable de lancer d’abord un test sur un module ou une équipe pilote. Par exemple, lors d’un projet de mise en place d’un progiciel de gestion intégré – ou ERP (Enterprise Resource Planning), un système qui centralise les principales fonctions d’une entreprise –, il est plus prudent d’automatiser d’abord la facturation avant d’intégrer le module logistique.

Du point de vue opérationnel, il est aussi essentiel d’adopter des méthodes de gestion de projet flexibles, appelées « méthodes agiles » : avancer par petites étapes (sprints), livrer régulièrement des fonctionnalités, et tester souvent avec les utilisateurs finaux. Ces étapes permettent de détecter et corriger les erreurs rapidement, à moindre coût.

3. Anticiper pour mieux rebondir

L’une des critiques qui ont été faites lors de la commission d’enquête chargée de comprendre les causes du fiasco du projet SAAQclic a été la sous-estimation des risques liés au déroulement du projet : dépassements, retards, résistances internes.

Une PME peut difficilement absorber un tel manque de proactivité. D’un point de vue financier, il est essentiel de prévoir un budget tampon de 10 à 20 % pour absorber les imprévus. Au niveau organisationnel, il est nécessaire d’envisager un plan B si le prestataire externe principal fait défaut.


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Enfin, un plan de communication devrait être établi afin de rester transparent avec les employés et les clients sur les échéances et les problèmes rencontrés. Ainsi, anticiper le pire n’est pas faire preuve de pessimisme, mais plutôt un gage de résilience.




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La transformation numérique, un levier stratégique

La transformation numérique, qu’elle soit publique ou privée, n’est pas qu’une question de technologie. C’est avant tout un exercice de gouvernance, de discipline et de confiance bien placée. Bien menée, une transformation numérique est un formidable levier pour les PME : gain de temps, amélioration de la relation client, meilleure traçabilité et prise de décisions plus rapides. Mais mal préparée, elle peut aussi entraîner perte de crédibilité, stress organisationnel et perte financière lourde.

L’affaire SAAQclic rappelle que les projets numériques sont avant tout des projets humains et organisationnels. Alors qu’il restera sans doute dans les annales comme l’un des grands fiascos numériques publics du Québec, il offre aussi une leçon précieuse pour les PME. En effet, même les projets les mieux intentionnés peuvent échouer lorsque la gouvernance, la communication et la gestion des risques sont insuffisamment réfléchies. Bien que ces principes ne garantissent pas le succès absolu, elles réduisent considérablement le risque d’un fiasco coûteux.

La Conversation Canada

Azouz Ali ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. SAAQclic : voici comment les dirigeants de PME peuvent éviter de reproduire les mêmes erreurs – https://theconversation.com/saaqclic-voici-comment-les-dirigeants-de-pme-peuvent-eviter-de-reproduire-les-memes-erreurs-265835

Le tilapia, un poisson dont le succès pose question, des Caraïbes au Pacifique

Source: The Conversation – France (in French) – By Samson JEAN MARIE, Doctorant en anthropologie et géographie, Ingénieur agronome, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Originaire d’Afrique et du sud-ouest de l’Asie, le tilapia est aujourd’hui présent dans 135&nbsp;pays. Rafael Medina/Flickr, CC BY

Entre promesse de résilience alimentaire et menaces écologiques silencieuses, le tilapia cristallise aujourd’hui les grands enjeux du développement de l’élevage de poissons dans les territoires insulaires. En Haïti par exemple, où il s’est largement développé, le tilapia est présenté comme une solution prometteuse pour renforcer la sécurité alimentaire. Toutefois, cette expansion, souvent promue sans garde-fous écologiques solides, soulève de vives préoccupations environnementales, notamment autour de la gestion de l’eau douce et des risques liés à la diffusion incontrôlée du tilapia dans les milieux naturels.


C’est un poisson que l’on retrouve aujourd’hui sur des îles du monde entier. On l’appelle tilapia, mais derrière ce nom vernaculaire se trouve en réalité un ensemble de cichlidés, des poissons tropicaux d’eau douce, principalement des genres Oreochromis, Tilapia et Sarotherodon, indigènes d’Afrique et du sud-ouest de l’Asie. L’élevage du tilapia est aujourd’hui pratiqué dans plus de 135 pays, de la Chine et de l’Indonésie, dans le Pacifique, au Brésil, au Mexique et à Haïti. Cet engouement s’explique par sa capacité à croître rapidement (atteignant 400 ou 500 grammes en cinq à huit mois en étang), à se nourrir de ressources variées et à s’adapter à des milieux divers, autant d’atouts qui facilitent son élevage par rapport à bien d’autres espèces de poissons d’eau douce.

Importé d’Afrique dans les années 1950, le tilapia (Oreochromis mossambicus) a été largement diffusé à travers Haïti, notamment à partir des années 1980, avec l’appui de la Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural, au point de devenir l’un des poissons d’élevage les plus utilisés dans les projets d’aquaculture rurale.

Aujourd’hui, Haïti dispose ainsi de plusieurs initiatives aquacoles d’envergure variable, allant des stations expérimentales aux exploitations privées commerciales comme Taïno Aqua Ferme sur le lac Azuéi. Toutefois, malgré ces efforts, la pisciculture demeure marginale : moins de 4 % des agriculteurs haïtiens y sont engagés, et la consommation annuelle de poisson (4,5 kg/an) reste inférieure à la moyenne caribéenne.

Parmi les freins récurrents figurent l’accès irrégulier aux jeunes poissons et aux aliments (coûts, importations), les contraintes d’eau et d’énergie, l’accompagnement technique limité, l’insécurité et des chaînes du froid et d’écoulement insuffisantes, soit autant d’obstacles qui fragilisent les modèles économiques des petites exploitations.

Malgré ce bilan pour le moins mitigé, certains, à l’instar de l’ancien ministre de l’agriculture Patrix Sévère, ont continué de nourrir l’ambition « de voir tous les plans d’eau du pays peuplés de tilapia ». En voulant « passer de la parole aux actes », l’actuel ministre de l’agriculture Vernet Joseph promettait en août 2024 d’introduire dans quatre plans d’eau du pays (le lac de Péligre, l’étang Bois Neuf, le lac Azuei et l’étang de Miragoâne), trois millions de jeunes tilapias ».

L’opération, selon lui, devait permettre, en deux mois, la production « de 25 tonnes de poissons ». Aujourd’hui, cependant, le projet est suspendu à la suite d’un avis consultatif initial de Caribaea Initiative (organisation consacrée à la recherche et la conservation de la biodiversité caribéenne) soulignant les risques écologiques, notamment pour les espèces de poissons endémiques de l’étang de Miragroâne. Aucune décision officielle n’a encore été actée quant à la poursuite ou non du projet, lequel resterait également conditionné à la mobilisation de financements, « selon un cadre du ministère de l’agriculture ».

Des expériences contrastées en contexte insulaire : l’exemple de Santo (Vanuatu)

À plus de 13 000 kilomètres de là, dans le sud de l’île de Santo au Vanuatu (archipel du Pacifique Sud), une expérience parallèle fortuite permet cependant de tirer des leçons précieuses. En avril 2020, le cyclone Harold a frappé de plein fouet cette île volcanique, provoquant le débordement de nombreux bassins piscicoles artisanaux. Des milliers de tilapias se sont ainsi échappés et ont colonisé les cours d’eau naturels, entraînant une transformation brutale des écosystèmes aquatiques. Les résultats préliminaires des enquêtes menées dans le cadre d’une thèse, conduite au sein du projet « Climat du Pacifique Sud, savoirs locaux et stratégies d’adaptation » (Clipssa), auprès d’une centaine d’usagers de cinq cours d’eau de l’île, révèlent que 87 % des personnes interrogées déclarent avoir constaté une diminution, voire une disparition, de nombreuses espèces de poissons et de crustacés autochtones depuis l’introduction involontaire du tilapia.

« Il y avait des crevettes, des poissons noirs [black fish], des anguilles […]. Maintenant, il n’y a presque plus que du tilapia », témoigne ainsi une habitante du sud-ouest de l’île.

« On ne pêche plus comme avant. Le tilapia est partout, il mange les œufs des autres poissons et tous ceux qu’ils trouvent », ajoute un pêcheur sur la côte est de l’île.

Les études menées par des chercheurs chinois et thaïlandais rapportent que l’introduction de deux espèces de tilapia dans leurs pays respectifs a également entraîné une réduction significative de la biodiversité des poissons natifs. Ces résultats sont corroborés par les données du Global Invasive Species Database, qui soulignent que le tilapia figure parmi les 100 espèces envahissantes les plus problématiques au monde.

Toutefois, il convient de nuancer ce constat. Une introduction maîtrisée de tilapia dans un écosystème ne conduit pas systématiquement à des effets négatifs. Les recherches du biologiste kenyan Edwine Yongo au sujet de la Chine et de Daykin Harohau aux îles Salomon montrent que, dans certaines conditions, l’élevage de cette espèce peut contribuer au contrôle des algues nuisibles, grâce à son régime alimentaire et à ses activités de fouissage des sédiments. Ce processus contrôlé peut ainsi améliorer la qualité de l’eau, tout en soutenant la sécurité alimentaire locale, notamment dans les contextes insulaires ou ruraux.

En somme, c’est donc moins l’espèce en elle-même que les modalités de son introduction et de son suivi qui déterminent si elle devient un facteur de dégradation écologique ou, au contraire, un levier de régulation et de sécurité alimentaire.

Quelles leçons pour Haïti ?

L’expérience de Vanuatu, tout comme les travaux menés en Chine et aux îles Salomon, offre ainsi à Haïti une précieuse grille de lecture pour penser l’avenir de l’élevage du tilapia sur son territoire. Si ce poisson peut devenir un levier de sécurité alimentaire, sa prolifération incontrôlée pourrait également menacer les écosystèmes aquatiques déjà fragiles et nuire à la biodiversité locale. Introduire massivement un poisson « pour nourrir la population locale » sans tenir compte de ces équilibres pourrait donc s’avérer contre-productif, en concurrençant les espèces locales, en perturbant les chaînes alimentaires et, in fine, en fragilisant les moyens d’existence de nombreux ménages. Son introduction dans le lac Miragoâne en Haïti pourrait par exemple entraîner un désastre écologique et conduire à l’extinction de tout un groupe d’espèces de petits poissons du genre Limia, endémiques de ce plan d’eau et que l’on ne trouve donc nulle part ailleurs en Haïti ou dans le monde.

Des exemples d’élevages circulaires ou multitrophiques, c’est-à-dire associant plusieurs niveaux de la chaîne alimentaire (poissons, mollusques filtreurs, algues) afin de recycler les nutriments, menés en Chine, au Sénégal ou d’autres types de projets pilotes en Haïti (comme Taïno Aqua Ferme, Caribean Harvest), montrent qu’il est possible de développer une aquaculture durable, à condition de :

  • maîtriser l’élevage en bassins clos ou cages flottantes sécurisées, de préférence dans des lacs artificiels, afin d’éviter tout risque pour les grands lacs naturels comme le lac Miragoâne, qui abrite une communauté de poissons endémiques ;

  • recourir à des espèces adaptées. Le rapport rédigé par Gilles, Celestin et Belot (2021) à la demande de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) propose un modèle plus durable, adapté aux spécificités haïtiennes : l’élevage du tilapia ouest-africain Sarotherodon melanotheron, une espèce qui se nourrit surtout de débris organiques et d’algues en décomposition et qui tolère de fortes variations de salinité ;

  • valoriser les sous-produits agricoles (son de riz de l’Artibonite, pelures de banane-plantain, tourteaux d’arachide, drêche de sorgho séchée) et limiter la dépendance à des aliments importés ;

  • renforcer la formation technique des éleveurs pour garantir le bon fonctionnement des systèmes d’élevage ;

  • protéger les installations d’élevage contre les évènements météorologiques et climatiques extrêmes.

Poisson miracle pour certains, espèce à risque pour d’autres, le tilapia incarne à lui seul les dilemmes du développement aquacole en Haïti. Tirer les leçons des expériences internationales, notamment celles de Santo au Vanuatu, c’est comprendre qu’une expansion sans garde-fous écologiques pourrait transformer une solution alimentaire en problème écologique. L’avenir de la pisciculture haïtienne ne se jouerait pas seulement dans les bassins : il dépendra aussi de choix politiques éclairés, de modèles durables, et d’une écoute attentive des écosystèmes comme des communautés locales.

The Conversation

Samson JEAN MARIE ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le tilapia, un poisson dont le succès pose question, des Caraïbes au Pacifique – https://theconversation.com/le-tilapia-un-poisson-dont-le-succes-pose-question-des-cara-bes-au-pacifique-265895

John Singer Sargent et la mode : le peintre américain qui fit briller les soies et les satins

Source: The Conversation – France (in French) – By Serena Dyer, Associate Professor, Fashion History, De Montfort University

_Portrait de Mme ***, dite aussi Madame X_ (1884), pièce maîtresse des expositions londonienne et parisienne. Metropolitan Museum, CC BY

Avant que le musée d’Orsay (Paris) organise son exposition « John Singer Sargent. Éblouir Paris » (jusqu’au 11 janvier 2026), un autre événement avait mis le peintre américain à l’honneur. L’exposition « Sargent and Fashion », à Londres, avait permis en 2024 de redécouvrir le travail de cet amoureux des vêtements. L’historienne de la mode Serena Dyer l’avait alors chroniquée pour « The Conversation UK ». En voici une version traduite en français.


En tant qu’historienne de la mode, je repars toujours des musées avec l’appareil photo saturé d’images de vêtements plutôt que de visages. Je reste fascinée par la manière dont un peintre parvient à saisir les reflets changeants d’une soie bruissante ou la lumière dansante sur des bijoux étincelants.

Dans le monde de la critique d’art, la mode en peinture reste pourtant souvent méprisée. L’exposition « Sargent and Fashion » qui se tenait à la Tate Britain en 2024 a été critiquée pour ses « toiles encombrées de vieux habits » ou son « déferlement de mièvrerie ». Ces jugements révèlent des idées reçues persistantes : la mode serait frivole, secondaire, indigne d’un véritable sujet artistique.

Cette exposition, coproduite par la Tate et le Museum of Fine Arts de Boston, s’attache au contraire à corriger cette vision dépassée et réductrice. Sargent ne serait pas Sargent sans son rapport intime à la mode. Le parcours nous invite à considérer que sa virtuosité du pinceau allait de pair avec une véritable maîtrise des étoffes, des aiguilles et des épingles.

Les élégantes victoriennes qu’il peignait avaient d’ailleurs bien compris le pouvoir que leur donnaient leurs vêtements. En 1878, l’écrivaine Margaret Oliphant remarquait déjà :

« Il existe désormais une classe de femmes qui s’habillent d’après les tableaux, et qui, en achetant une robe, demandent : “Est-ce que ça se peindra bien ?” »

Art et mode étaient alors intimement liés, et la modernité, le dynamisme et la pertinence culturelle de la mode s’expriment dans chaque coup de pinceau de John Singer Sargent (1856-1925).

Sargent, styliste avant l’heure

Dès la première salle, on a l’impression d’entrer dans un salon mondain. Le visiteur est accueilli par le portrait d’Aline de Rothschild, Lady Sassoon (1907). Drapée dans une spectaculaire fantaisie de taffetas noir, son visage émerge d’un tourbillon d’ombre, irradiant sous le velours sombre de sa cape d’opéra. Même si, en tant qu’historienne de la mode, je choisis mes tenues avec soin, mais je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir affreusement mal habillée face à tant d’éclat.

Mais sans doute est-ce parce que je ne dispose pas d’un John Singer Sargent comme directeur artistique. Car l’exposition le montre autant peintre que styliste. Il maniait les pinceaux, certes, mais aussi les épingles, modelant les tissus autour de ses modèles pour créer des formes vertigineuses. Les commissaires le comparent d’ailleurs à un directeur artistique de séance photo : ses portraits ne reproduisent pas la mode de son époque, ils construisent sa propre vision esthétique.

La cape de Lady Sassoon, exposée à proximité, en est la preuve. Datée de 1895, elle précède le tableau d’une décennie. Entre ses mains, ce vêtement ancien devient, par un savant jeu de drapés et d’épingles, une image saisissante de modernité.

Tout au long du parcours, les tableaux dialoguent avec des caricatures d’époque moquant la mode, des photographies des modèles dans leur vie quotidienne, ou encore des pièces textiles et accessoires ayant servi à la composition des œuvres.

Les femmes qu’on ne voit pas

Si le rôle de John Singer Sargent comme peintre et styliste est omniprésent, celui des créateurs et créatrices de ces vêtements – souvent des femmes modestes – reste dans l’ombre. À part un court panneau consacré à Charles Frederick Worth, figure surestimée de la couture du XIXe siècle, peu d’hommages sont rendus aux mains qui ont coupé, épinglé et cousu ces merveilles. La plupart des pièces exposées portent la mention « créateur inconnu ».

L’une de ces créatrices est cependant mise en avant : Adele Meyer, dont Sargent a peint le portrait en 1896. Femme élégante et militante, Meyer fut aussi une défenseure des droits des ouvrières du vêtement. Avec Clementina Black, elle publia en 1909 Makers of our Clothes : A Case for Trade Boards, enquête pionnière sur les conditions de travail dans les ateliers de couture.

Le livre est exposé à côté du tableau, quelque peu éclipsé par le rayonnement du portrait. Cette mise en scène rappelle – plus qu’elle ne dénonce – combien la beauté de la mode a souvent invisibilisé le labeur de celles qui la produisent.

Une exposition discrètement féministe

L’exposition interroge aussi, avec subtilité, les rapports de pouvoir. Dans les livres d’art et les catalogues d’exposition, les modèles de John Singer Sargent sont le plus souvent désignées par le nom de leur mari.

Mary Louisa Cushing devient « Mrs Edward Darley Boit », Mathilde Seligman « Mrs Leopold Hirsch ». Suivant l’étiquette victorienne, ces femmes perdent leur identité propre pour n’exister qu’à travers celle de leur époux.

Les commissaires ont pris le parti – subversif en apparence, mais en réalité légitime – d’associer à chaque titre officiel le nom de jeune fille du modèle. Un détail discret, sans doute imperceptible pour la majorité des visiteurs, mais essentiel pour redonner leur individualité à ces femmes.

Au final, cette exposition ne bouleverse pas l’histoire de la mode, mais elle avance dans la bonne direction. L’opportunité de voir ou revoir le célèbre portrait de Madame X, qui représente la mondaine Virginie Amélie Avegno Gautreau dans sa robe noire – un tableau qui a fait scandale à l’époque – a certainement attiré les foules. Mais l’exposition nous rappelle surtout une vérité subtile : si Sargent a su devenir un grand peintre, c’est parce qu’il fut d’abord un immense styliste.

The Conversation

Serena Dyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. John Singer Sargent et la mode : le peintre américain qui fit briller les soies et les satins – https://theconversation.com/john-singer-sargent-et-la-mode-le-peintre-americain-qui-fit-briller-les-soies-et-les-satins-267681

Des parasites découverts chez les vers plats envahissants, enfin une piste de lutte ?

Source: The Conversation – France in French (2) – By Jean-Lou Justine, Professeur, UMR ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Une des espèces de plathelminthes pour laquelle des parasites ont été identifés&nbsp;: _Austroplana sanguinea_. Gastineau et al., CC BY-SA

Les vers plats terrestres (ou, plathelminthes) causent d’importants dégâts écologiques en France, car ces espèces n’ont pas de prédateurs dans l’Hexagone. La découverte très récente de parasites va-t-elle permettre de lutter contre ces espèces ?


Depuis une dizaine d’années, nous étudions l’invasion de la France et de l’Europe par des vers plats terrestres (ou, plathelminthes). Ces animaux exotiques, généralement longs comme le doigt, sont arrivés en Europe par l’intermédiaire du transport des plantes en pots. Une dizaine d’espèces sont maintenant chez nous, venant principalement de l’hémisphère Sud (Argentine, Australie, Nouvelle-Guinée, Asie du Sud-Est). Elles se sont largement installées dans les jardins, en particulier Obama nungara, désormais présent dans plus de 70 départements. D’autres sont aussi connues du public, comme Bipalium kewense, qui peut atteindre une trentaine de centimètres, ou Vermiviatum covidum.

Quand une espèce envahit un écosystème, elle provoque souvent toute une série de problèmes écologiques. Les plathelminthes terrestres sont des prédateurs, et on sait qu’ils consomment (en particulier dans le cas d’Obama nungara) les vers de terre, ces précieux alliés du jardinier pour la fertilité des sols.




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La fameuse théorie du « relâchement de la pression des ennemis »

Et là, se pose la question, comment lutter contre ces envahisseurs ? Aucun produit chimique n’étant homologué ni même testé, oublions immédiatement cette solution. Des prédateurs qui mangeraient ces vers ? On n’en connaît pas en Europe. Des parasites qui pourraient limiter leur prolifération ? Inconnus aussi.

Les scientifiques qui étudient les invasions considèrent généralement qu’une espèce envahissante abandonne derrière elle prédateurs et parasites en arrivant dans un nouveau territoire, ce qui supprime tout frein à sa prolifération : c’est la théorie du « relâchement de la pression des ennemis ». C’est bien le cas des plathelminthes terrestres en France et en Europe.

La découverte de parasites

Nous avons sursauté quand nous avons trouvé les premières traces de parasites dans des plathelminthes terrestres envahissants. Mais, comme vous allez le lire, cette découverte n’a pas été aussi facile qu’on pourrait l’imaginer.

Nous n’avons pas vu ces parasites. Comment, alors, ont-ils été découverts ? Nous faisons, depuis plusieurs années, une analyse moléculaire des plathelminthes terrestres. En particulier, nous avons décrit, non pas le génome entier, ce qui serait très long et coûteux, mais le génome mitochondrial de plus d’une dizaine d’espèces.

Le génome mitochondrial, ou mitogénome, est celui qui permet aux mitochondries, ces petits éléments présents dans toutes les cellules, de fonctionner. Chez les plathelminthes, les organes sont noyés dans un tissu mou appelé parenchyme. Ainsi, lorsqu’on analyse un individu, on obtient non seulement son propre ADN, mais aussi celui de ses proies présentes dans l’intestin. Cela permet de mieux comprendre leur régime alimentaire en identifiant les espèces consommées.

Nous voilà donc faisant une analyse de routine sur deux espèces trouvées en Irlande du Nord, Kontikia andersoni et Australoplana sanguinea. Ces deux espèces viennent d’Australie et de Nouvelle-Zélande et ont envahi les îles Britanniques, mais pas (encore) l’Europe continentale. Les analyses ont rapidement permis de caractériser les mitogénomes des plathelminthes et de déterminer leurs proies, qui sont, dans les deux cas, des vers de terre. Mais une surprise nous attendait.

Des mitogénomes de parasites ?

Dans chacune des espèces de plathelminthes, nous avons trouvé un signal moléculaire d’une espèce du genre Mitosporidium. Jusqu’ici, le genre Mitosporidium ne contenait qu’une seule espèce, Mitosporidium daphniae, qui est un parasite des daphnies, des petits crustacés d’eau douce. Mitosporidium est très original : c’est une microsporidie « primitive ». Que sont les microsporidies ? Des parasites unicellulaires.

Une microsporidie est devenue tristement célèbre dans les années 1980, Enterocytozoon bieneusi, qui infectait les patients atteints du sida dont l’immunité était compromise. Avant la génétique moléculaire, on classait les microsporidies dans les « protozoaires » et on les reconnaissait par leurs spores très caractéristiques. On a depuis compris que ce sont des champignons très modifiés par le parasitisme, en particulier par la perte des mitochondries.

Comme mentionné plus haut, les mitochondries sont des organites présents dans toutes les cellules des eucaryotes, mais les microsporidies, qui vivent dans les cellules de leurs hôtes, n’en ont plus besoin et s’en sont débarrassées.

Une spore typique de microsporidie, colorisée pour montrer les structures internes.
Jaroenlak et coll., 2020, CC BY

Mais la nature aime les exceptions, et les scientifiques aiment les exceptions quand elles permettent de mieux comprendre la nature… Mitosporidium daphniae a toutes les caractéristiques d’une microsporidie, sauf qu’elle a conservé un génome de mitochondrie. C’est pour cela que l’on considère cette espèce comme « basale » : elle représenterait une étape de l’évolution des champignons vers les microsporidies, en ayant déjà la morphologie et la vie intracellulaire d’une microsporidie, mais en ayant gardé le mitogénome.

Et donc, nous avons trouvé deux nouvelles espèces de Mitosporidium, une dans chaque espèce de ver plat. Rien que le fait de faire passer ce genre d’une seule espèce à trois était déjà une découverte significative ; la seule espèce connue avait été décrite en 2014, et aucune depuis.

Les génomes mitochondriaux des deux espèces de microsporidies découvertes.
Gastineau et al, CC BY

Parasites de quoi ?

Un gros problème est apparu. Pour des raisons techniques, nous n’avons pas vu les microsporidies. On ne les reconnaît facilement que quand elles sont au stade de spores, et les autres stades, dans les tissus de l’hôte, sont difficiles à détecter. Et puis surtout, la question a été : de qui sont parasites ces microsporidies ? Rappelez-vous, notre analyse a été faite sur un mélange de tissus : tissus du plathelminthe prédateur et tissus du ver de terre dans son intestin. Ces Mitosporidium étaient-ils des parasites des plathelminthes eux-mêmes ou de leurs proies, les vers de terre ?

Pour l’instant, nous ne pouvons pas trancher définitivement, mais un principe biologique nous guide : la spécificité parasitaire. En effet, un parasite est souvent associé à une seule espèce d’hôte. Or, dans chaque plathelminthe terrestre étudié, nous avons trouvé une espèce unique de Mitosporidium.

Deux hypothèses sont possibles. Soit ces parasites viennent des vers de terre que les plathelminthes consomment – mais il faudrait alors admettre un hasard improbable : que chaque plathelminthe ait mangé une seule espèce de ver de terre, elle-même infectée par son parasite spécifique. Soit, plus simplement, chaque plathelminthe possède son propre Mitosporidium. C’est cette seconde hypothèse qui nous paraît la plus plausible, en attendant des analyses plus larges.

Un avenir pour la lutte contre les vers plats ?

Nous supposons, donc, maintenant avoir découvert des parasites de vers plats envahissants. Selon la théorie générale du « relâchement de la pression des ennemis », un moyen de se débarrasser d’une espèce envahissante est de l’infecter par un parasite ou par un pathogène qui va réduire ses populations. Un exemple classique est celui du lapin en Australie : libéré de ses prédateurs et parasites, il s’est multiplié de façon incontrôlable et seule l’introduction de la myxomatose a permis de réduire un peu sa population. Mais ce n’est pas toujours facile : pour le frelon asiatique, envahissant en Europe, plusieurs parasites ont été identifiés, sans qu’aucun ne puisse freiner réellement son expansion.

Introduire des microsporidies pour réduire les populations de plathelminthes terrestres envahissants ? Une idée séduisante, mais nous en sommes très loin.

D’abord, comme expliqué plus haut, nous ne sommes pas encore sûrs que les Mitosporidium soient des parasites de plathelminthes. Ensuite, on ne sait pas du tout s’ils sont pathogènes ! La seule espèce connue avant notre travail, Mitosporidium daphniae, n’a qu’une petite influence négative sur la fertilité des daphnies infectées. Des années de recherche sont encore nécessaires.

The Conversation

Jean-Lou Justine est Rédacteur-en-Chef de Parasite, la revue scientifique de la Société Française de Parasitologie, dans laquelle a été publiée cette étude. Toutes les précautions éthiques ont été prises, en suivant les recommandations de COPE https://publicationethics.org/ .

Archie K. Murchie a reçu des financements du Department of Agriculture, Environment & Rural Affairs, Northern Ireland

Romain Gastineau a reçu des financements du ministère de la recherche et de l’éducation de Pologne.

Leigh Winsor ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Des parasites découverts chez les vers plats envahissants, enfin une piste de lutte ? – https://theconversation.com/des-parasites-decouverts-chez-les-vers-plats-envahissants-enfin-une-piste-de-lutte-266265

Comment le sens de l’orientation vient aux enfants – et ce que changent les GPS

Source: The Conversation – France in French (3) – By Clément Naveilhan, Doctorant en Sciences du Mouvement Humain, Université Côte d’Azur

Avec le développement des outils numériques, perdons-nous ce sens de l’orientation qui se forge durant les premières années de la vie ? Comprendre comment les enfants apprennent à élaborer ces cartes mentales nous éclaire sur ce qui se joue vraiment derrière ces mutations.


Vous avez prévu un séjour en famille et ça y est, tout est prêt pour le départ. Vous allumez alors le téléphone pour lancer votre application GPS préférée mais, stupeur, rien ne se passe… Vous réessayez alors en lançant une autre application ou en changeant de téléphone mais toujours rien. Il va falloir faire sans.

Après tout, cela ne devrait pas être si difficile, c’est la même route chaque année ; pour rejoindre l’autoroute, c’est sur la gauche en sortant du pâté de maisons. À moins qu’il faille plutôt prendre à droite pour d’abord rejoindre la nationale, et ensuite récupérer l’autoroute dans la bonne direction ?




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Finalement, ce n’est pas gagné… et le départ devra attendre le retour du GPS ou que vous retrouviez cette ancienne carte format papier perdue (elle aussi) quelque part chez vous. En cherchant la carte routière, peut-être vous demanderez-vous comment on faisait pour se déplacer avant les GPS.

Cette technologie nous aurait-elle fait perdre le sens de l’orientation ?

Qu’est-ce que « la navigation spatiale » ?

Attention, nous n’allons pas parler de fusée ou d’astronautes en parlant de « navigation spatiale », l’expression désigne tout simplement l’ensemble des processus qui nous permettent de nous orienter et de nous déplacer dans notre environnement.

Les capacités de navigation reposent à la fois sur l’intégration de nos propres mouvements dans l’environnement via le calcul en continu de notre position. C’est cette capacité qui vous permet de vous orienter aisément dans le noir ou les yeux fermés, sans risquer de confondre la salle à manger avec les toilettes lors de vos trajets nocturnes par exemple.

Mais, avec la distance parcourue, la précision diminue et on est de plus en plus perdu. Afin de garder le cap, nous utilisons en complément des points de repère externes particuliers offerts par le monde qui nous entoure, comme un monument ou une montagne. Grâce à la combinaison de ces deux sources d’informations spatiales, nous sommes capables de créer une carte mentale détaillée de notre environnement.

La création de ce type de carte mentale, relativement complexe, n’est pas la seule stratégie possible et, dans certains cas, on préférera se souvenir d’une séquence d’actions simples à accomplir, par exemple « à gauche, en sortant » (direction l’autoroute), « puis tout droit » et « votre destination sera à 200m sur votre droite ». On est ici très proche des outils digitaux GPS… mais pas de risque de déconnexion… bien pratique, ce système de navigation embarqué !

S’orienter dans l’espace, un jeu d’enfant ?

Dès les premiers mois de vie, les nouveau-nés montrent des capacités étonnantes pour se repérer dans l’espace. Contrairement à ce qu’on pouvait penser il y a quelques décennies, ces tout petits êtres ne voient pas le monde uniquement depuis leur propre point de vue et, dès 6 à 9 mois, ils arrivent à utiliser des repères visuels familiers pour ajuster leur orientation, surtout dans des environnements familiers.

À 5 mois, ils perçoivent les changements de position d’un objet et, vers 18 mois, ils peuvent partiellement mémoriser des emplacements précis. Vers 21 mois, ils commencent à combiner les informations issues de leurs propres mouvements avec les repères extérieurs pour retrouver une position précise dans l’espace.

L’expérience motrice semble jouer un rôle clé ici : plus les jeunes enfants marchent depuis longtemps, plus leurs compétences spatiales progressent. Dans la suite des étapes du développement, les compétences spatiales s’affinent de plus en plus. À 3 ans, ils commettent encore des erreurs de perspective, mais dès 4 ou 5 ans, ils commencent à comprendre ce que voit une autre personne placée ailleurs dans l’espace.




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Entre 6 ans et 10 ans, les enfants deviennent capables de combiner différents types d’informations externes comme la distance et l’orientation de plusieurs repères pour se situer dans l’espace. À partir de 10 ans, leurs performances spatiales se rapprochent déjà de celle des adultes.

Le développement de ces capacités repose notamment sur la maturation d’une région cérébrale connue sous le nom du complexe retrosplénial (RSC). Cette zone est impliquée dans la distinction des endroits spécifiques (comme un magasin près d’un lac ou d’une montagne), ce qui constitue la base d’une navigation spatiale fondée sur les repères.

Des résultats récents montrent que cette capacité à construire des cartes mentales est déjà en partie présente dès l’âge de 5 ans. Mais alors, si ce sens de l’orientation se développe si tôt et est si fiable, pourquoi avons-nous besoin de GPS pour nous orienter ?

Le GPS, allié ou ennemi de notre sens de l’orientation ?

S’il est facile de s’orienter dans les lieux familiers, le GPS devient vite un allié incontournable dès que l’on sort des sentiers battus. Cependant, son usage systématique pourrait tendre à modifier notre manière de nous repérer dans l’espace en général. Dans ce sens, quelques études suggèrent que les utilisateurs intensifs de GPS s’orientent moins bien dans des environnements nouveaux et développent une connaissance moins précise des lieux visités.

Une méta-analyse récente semble confirmer un lien négatif entre usage du GPS, connaissance de l’environnement et sens de l’orientation. Toutefois, certains des résultats nuancent ce constat : les effets délétères semblent surtout liés à un usage passif. Lorsque l’utilisateur reste actif cognitivement (en essayant de mémoriser ou d’anticiper les trajets) l’impact sur les compétences de navigation est moindre, voire nul.

Ainsi, le GPS ne serait pas en lui-même néfaste à nos capacités de navigation. Ce serait davantage la manière dont on l’utilise qui détermine son influence positive, négative ou neutre sur nos capacités de navigation spatiale.

Donc, bonne nouvelle, même si vous n’êtes pas parvenu à retrouver votre carte routière, vous avez remis la main sur votre ancien GPS autonome, celui qui n’a jamais quitté votre tête ! Et, même si désormais la destination est programmée et qu’il ne vous reste plus qu’à suivre le chemin tracé, songez parfois à lever les yeux pour contempler le paysage ; en gravant quelques repères à mémoriser, vous pourriez savourer le voyage et réapprendre à naviguer.

The Conversation

Clément Naveilhan a reçu des financements de l’Université Côté d’Azur.

Stephen Ramanoël a reçu des financements nationaux (ANR) et locaux (Université Côte d’Azur – IDEX)

ref. Comment le sens de l’orientation vient aux enfants – et ce que changent les GPS – https://theconversation.com/comment-le-sens-de-lorientation-vient-aux-enfants-et-ce-que-changent-les-gps-264631