La qualité des médicaments anticancéreux en Afrique est préoccupante : une étude dans 4 pays sonne l’alerte

Source: The Conversation – in French – By Marya Lieberman, Nancy Dee Professor, Department of Chemistry and Biochemistry, University of Notre Dame

Plus de 800 000 personnes sur le continent sont diagnostiquées chaque année avec un cancer. Le nombre de personnes recevant un traitement contre cette maladie a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie dans de nombreux pays africains. Par exemple, il y a dix ans, en Éthiopie et au Kenya, seuls quelques milliers de patients par an pouvaient bénéficier de soins contre le cancer dans quelques hôpitaux. Aujourd’hui, plus de 75 000 personnes reçoivent un traitement contre le cancer chaque année dans ces deux pays.

Mais les agences de réglementation des médicaments de nombreux pays n’ont pas la capacité de mesurer la qualité des médicaments anticancéreux. Cela pose deux problèmes majeurs. Premièrement, le coût élevé des médicaments incite à opter pour des médicaments non homologués. Deuxièmement, certains de ces médicaments sont très toxiques.

La forte demande, combinée à un manque de contrôle réglementaire, crée un terrain propice à la circulation de médicaments de qualité inférieure ou contrefaits. Des rapports inquiétants font état de ce type de produits causant des dommages aux patients dans plusieurs pays, notamment au Brésil, aux États-Unis et au Kenya. Mais aucune étude systématique sur la qualité des médicaments anticancéreux dans les pays à revenu faible et intermédiaire n’a été réalisée. Par conséquent, on sait peu de choses sur la qualité des médicaments utilisés pour traiter le cancer en Afrique.

Je suis chercheur en cancérologie aux États-Unis et je développe des technologies permettant de détecter les médicaments de qualité inférieure ou contrefaits dans les milieux défavorisés. En 2017, j’ai collaboré avec Ayenew Ashenef de l’université d’Addis-Abeba pour tester un dispositif conçu pour évaluer la qualité des médicaments anticancéreux. Nous avons été consternés de constater que la plupart des médicaments utilisés dans un hôpital en Éthiopie étaient de qualité inférieure. Nous avons alors élargi l’étude.

Ce que révèle notre étude dans 4 pays africains

Notre récente étude a examiné la qualité de sept médicaments anticancéreux dans quatre pays africains. Il s’agissait du cisplatine, de l’oxaliplatine, du méthotrexate, de la doxorubicine, du cyclophosphamide, de l’ifosfamide et de la leucovorine. La plupart de ces médicaments sont administrés aux patients par voie intraveineuse. Ils sont utilisés pour traiter le cancer du sein, le cancer du col de l’utérus, les cancers du cerveau et du cou, les cancers du système digestif et de nombreux autres types de cancers. Certains sont également utilisés pour traiter des maladies auto-immunes telles que le lupus.

Les membres de notre équipe de recherche ont collecté 251 produits anticancéreux au Cameroun, en Éthiopie, au Kenya et au Malawi en 2023 et 2024. Les échantillons provenaient de 12 hôpitaux et de 25 pharmacies publiques ou privées. Certains ont été achetés discrètement, d’autres de façon ouverte.

Nous avons analysé la teneur en principe actif de chaque médicament.

Nous avons alors découvert des médicaments anticancéreux de qualité inférieure ou falsifiés dans les quatre pays. Nous avons découvert que 32 (17 %) des 191 lots uniques de sept produits anticancéreux ne contenaient pas la quantité correcte de principe actif pharmaceutique. Des produits de qualité inférieure ou contrefaits étaient présents dans les principaux hôpitaux spécialisés sur le cancer et sur le marché privé dans ces quatre pays.

D’après nos conclusions, il est clair que les praticiens en oncologie et les systèmes de santé en Afrique subsaharienne doivent être conscients de la présence possible de produits anticancéreux de qualité inférieure dans leurs stocks. Nous recommandons donc de renforcer les systèmes de réglementation afin d’assurer une meilleure surveillance.

Comment nous avons testé la qualité des médicaments

Pour mesurer la quantité de principe actif présent dans un flacon ou un comprimé, nous avons utilisé la chromatographie liquide haute performance, ou CLHP. Cette technique permet de séparer et de quantifier les molécules et constitue la méthode de référence pour tester la quantité de principes actifs dans les comprimés, les gélules et les flacons de médicaments.

Avant de préparer les médicaments pour l’analyse, nous avons inspecté les médicaments et leurs emballages. Nous avons ensuite utilisé la HPLC pour mesurer la quantité d’ingrédient pharmaceutique actif présent afin de vérifier si elle correspondait à celle indiquée sur l’étiquette. Chaque produit pharmaceutique a une plage de dosage cible qui est définie dans sa monographie pharmacopée. Celle-ci correspond généralement à 90 %-110 % de la quantité d’ingrédient pharmaceutique actif indiquée sur l’emballage. Ainsi, par exemple, si un flacon indique contenir 100 milligrammes de doxorubicine, il est toujours considéré comme étant de « bonne qualité » s’il contient 93 milligrammes de doxorubicine, mais pas s’il en contient 38 mg ou 127 mg.

Sur les 191 numéros de lot uniques, 32 ont échoué au test, soit environ un sur six.

Plusieurs fabricants ont vu leurs produits échouer au test à des taux plus élevés. Il n’y avait pas de différences significatives dans le taux d’échec des produits collectés dans différents pays, dans les hôpitaux par rapport aux pharmacies, ou même pour les produits testés après leur date d’expiration par rapport à ceux testés avant leur date d’expiration.

La plupart des pays africains utilisent l’inspection visuelle pour identifier les médicaments anticancéreux suspects. De tels produits peuvent échouer à l’inspection visuelle s’ils ont une couleur incorrecte après reconstitution, s’ils contiennent des particules visibles ou s’il y a des irrégularités liées à l’emballage. Or, de manière surprenante, notre étude a montré que les produits ayant échoué au test de chromatographie liquide haute performance ne pouvaient être distingués visuellement des produits qui ont réussi le test. Seuls 3 des 32 produits ayant échoué présentaient des irrégularités visibles.

Les perspectives

La situation que nous avons mise au jour est probablement similaire dans d’autres pays à faible revenu. Nous espérons que la communauté scientifique mondiale accordera davantage d’attention à la qualité de cette catégorie de médicaments en intensifiant la recherche. C’est ce qui a été fait pour les antipaludiques dans les années 2000, ce qui a permis d’améliorer considérablement la qualité de ces médicaments.

Les informations sur la qualité des médicaments anticancéreux sont essentielles, car la chimiothérapie contre le cancer repose sur un équilibre très délicat : tuer les cellules cancéreuses sans mettre la vie du patient en danger. Si la dose administrée au patient est trop importante, celui-ci peut subir les effets secondaires toxiques du médicament. Si la dose est trop faible, le cancer peut continuer à se développer ou à se propager à d’autres parties du corps, et le patient peut alors perdre sa précieuse chance de guérison.

Nous avons partagé nos conclusions avec les autorités de réglementation des quatre pays où les échantillons ont été prélevés et nous nous efforçons de renforcer les capacités de surveillance post-commercialisation de ces médicaments essentiels.

The Conversation

Marya Lieberman reçoit un financement des National Institutes of Health (NIH) des États-Unis. Les recherches présentées dans cette publication ont été soutenues par le National Cancer Institute des NIH sous le numéro de subvention U01CA269195. Le contenu relève de la seule responsabilité de l’auteur et ne reflète pas nécessairement les opinions officielles des NIH.

ref. La qualité des médicaments anticancéreux en Afrique est préoccupante : une étude dans 4 pays sonne l’alerte – https://theconversation.com/la-qualite-des-medicaments-anticancereux-en-afrique-est-preoccupante-une-etude-dans-4-pays-sonne-lalerte-268235

Pourquoi Halloween commence-t-elle beaucoup plus tôt chaque année ?

Source: The Conversation – in French – By Jay L. Zagorsky, Associate Professor Questrom School of Business, Boston University

Halloween trouve ses racines dans une fête celtique honorant les morts. 12Studio/shutterstock

Autrefois fête modeste d’automne, Halloween s’est transformée en un phénomène commercial qui s’étend sur une période de plus en plus longue. On peut difficilement blâmer les commerçants.


Halloween est une période amusante et effrayante pour les enfants et les adultes, mais pourquoi cette période semble-t-elle commencer beaucoup plus tôt chaque année ? Il y a des décennies, quand j’étais jeune, Halloween était une fête concentrée sur quelques jours, et les gens ne commençaient à se préparer qu’à la mi-octobre. Aujourd’hui, dans mon quartier près de l’endroit où j’ai grandi dans le Massachusetts, les décorations d’Halloween commencent à apparaître au milieu de l’été.

Ce qui a changé, ce n’est pas seulement le moment où nous célébrons, mais comment : Halloween est passée d’une simple tradition folklorique à un événement commercial massif. En tant que professeur d’école de commerce qui étudie l’économie des vacances depuis des années, je suis stupéfait par la façon dont le business d’Halloween s’est développé. Et comprendre l’ampleur de cette fête commerciale peut aider à expliquer pourquoi elle commence de plus en plus tôt.

Le business d’Halloween

Les racines d’Halloween sont à chercher du côté d’une fête celtique honorant les morts, plus tard adaptée par l’Église catholique comme un moment pour se souvenir des saints. Aujourd’hui, il s’agit en grande partie d’une célébration laïque — une célébration qui donne aux gens de tous horizons une chance de se déguiser, de s’engager dans la fantaisie et d’affronter leurs peurs en toute sécurité.

Ce large attrait a alimenté une croissance explosive. Depuis 2005, la National Retail Federation a interrogé les Américains sur leurs projets pour Halloween chaque mois de septembre. À l’époque, un peu plus de la moitié des Américains ont déclaré qu’ils prévoyaient de célébrer. En 2025, près des trois quarts ont dit qu’ils le feraient — un bond énorme en 20 ans.

Et les gens prévoient de débourser plus d’argent que jamais. Selon la fédération, les dépenses totales pour Halloween devraient atteindre un record de 13 milliards de dollars cette année, soit près de quatre fois plus qu’au cours des deux dernières décennies. En tenant compte de l’inflation et de la croissance démographique, j’ai constaté que l’États-unien moyen dépensera environ 38 dollars pour Halloween cette année – contre seulement 18 dollars par personne en 2005. C’est beaucoup de maïs sucré.

Les importations de bonbons montrent une tendance similaire. Septembre a longtemps été le mois clé pour le commerce des bonbons, avec des importations d’environ un cinquième plus élevées que pendant le reste de l’année. En septembre 2005, les États-Unis ont importé environ 250 millions de dollars de ces sucreries. En septembre 2024, ce chiffre avait triplé pour atteindre environ 750 millions de dollars.

Cela fait partie d’une tendance plus large d’Halloween qui devient un évènement beaucoup plus professionnalisé. Par exemple, quand j’étais enfant, il n’était pas rare que les familles distribuent des brownies, des pommes confites et d’autres friandises faites maison aux enfants. Mais en raison de problèmes de sécurité et d’allergies alimentaires, pendant des décennies, les Américains ont été avertis de s’en tenir à des bonbons produits en masse et emballés individuellement.

Le même changement s’est produit avec les costumes. Il y a des années, beaucoup de gens fabriquaient le leur. Aujourd’hui, les costumes achetés en magasin deviennent majoritaires – même pour les animaux de compagnie.

Pourquoi Halloween continue de commencer plus tôt

Bien qu’aucune recherche définitive n’établisse pourquoi la fête d’Halloween commence plus tôt chaque année, l’augmentation des dépenses commerciales pourrait être l’un des principaux facteurs.

Les produits d’Halloween sont saisonniers, ce qui signifie que personne ne veut acheter des squelettes en plastique géants le 1er novembre. À mesure que les dépenses totales augmentent, les commerçants commandent plus de stocks et le coût de stockage de quantités toujours plus importantes d’articles invendus jusqu’à l’année prochaine devient une variable plus importante.

Une fois que le retour sur investissement d’une saison devient suffisamment important, les commerçants commencent à commander et à exposer des marchandises bien avant qu’elles ne soient réellement nécessaires. Par exemple, les manteaux d’hiver commencent à apparaître dans les magasins au début de l’automne et disparaissent généralement lorsque la neige commence à tomber. C’est la même chose avec Halloween : les commerçants sortent les marchandises tôt pour s’assurer qu’elles ne soient pas coincées avec des marchandises invendues une fois la saison terminée.

De plus, ils fixent souvent des prix stratégiques, en facturant le prix fort lorsque les articles arrivent pour la première fois sur les étagères, en attirant les acheteurs précoces, impatients, puis en baissant les prix à l’approche des vacances. Cela permet de vider les étagères et les entrepôts et de faire de la place pour la prochaine saison.

Au cours des deux dernières décennies, Halloween est devenue une fête commerciale de plus en plus importante. L’augmentation du nombre de personnes profitant des vacances et l’augmentation des dépenses ont fait d’Halloween un régal géant pour les entreprises. L’enjeu pour les commerçants est d’empêcher son commencement avant le 4 juillet…

The Conversation

Jay L. Zagorsky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pourquoi Halloween commence-t-elle beaucoup plus tôt chaque année ? – https://theconversation.com/pourquoi-halloween-commence-t-elle-beaucoup-plus-tot-chaque-annee-268306

Pourquoi les migrants sont-ils nécessaires aux économies américaine et européenne ?

Source: The Conversation – in French – By Deniz Torcu, Adjunct Professor of Globalization, Business and Media, IE University

Les données économiques contredisent frontalement les récits hostiles aux migrants. Loin des peurs et des clichés, la migration apparaît comme un atout stratégique pour l’avenir.


Face à la montée des discours anti-immigration en Europe et aux États-Unis, il est urgent de dépasser les peurs pour regarder les faits. La mobilité humaine n’est pas un fardeau : c’est un moteur de croissance, de résilience démographique et de vitalité culturelle. L’ignorer revient à commettre une erreur stratégique et à trahir les principes démocratiques que les sociétés modernes affirment défendre.

Crise ou continuité ? La mobilité comme norme historique

La migration n’a rien d’une anomalie du XXIe siècle. Des diasporas méditerranéennes de l’Antiquité aux grands mouvements du XXe siècle, l’histoire humaine s’est écrite dans la circulation des personnes, des langues, des savoirs et des marchandises. Considérer la mobilité comme une menace revient à renverser la logique : c’est l’isolement qui est l’exception historique.

Le discours politique qui présente les migrants comme des intrus – plutôt que comme des citoyens potentiels ou des acteurs économiques – représente une distorsion dangereuse, non seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan stratégique.

La contribution réelle des migrants au PIB et à la productivité

Une analyse du McKinsey Global Institute a révélé un fait frappant : en 2015, alors que les migrants ne représentaient que 3,3 % de la population mondiale, ils généraient 9,4 % du PIB mondial (environ 6 700 milliards de dollars). Aux États-Unis, leur contribution s’élevait à environ 2 000 milliards de dollars.

Des études plus récentes le confirment. Le Fonds monétaire international (FMI) a estimé qu’en 2024, les flux migratoires nets vers la zone euro entre 2020 et 2023, y compris les millions de réfugiés ukrainiens, pourraient augmenter le PIB potentiel de la région de 0,5 % supplémentaire d’ici à 2030. Cette croissance n’est pas marginale : elle représente environ la moitié de toute la croissance potentielle attendue. En d’autres termes, sans la migration, les perspectives économiques de l’Europe seraient considérablement plus limitées.

États-Unis : main-d’œuvre, innovation et expansion

Aux États-Unis, plus de 31 millions d’immigrants faisaient partie du marché du travail en 2023, soit 19 % du total, selon le think tank indépendant Council on Foreign Relations – et leur taux de participation (c’est-à-dire le pourcentage de la population en âge de travailler qui est active sur le marché du travail) était de 67 %, contre 62 % pour les personnes nées dans le pays. Cette différence n’est pas négligeable. Elle implique une contribution disproportionnée aux recettes fiscales, à la consommation intérieure et au dynamisme économique en général.

Taux de participation de la population active.
Council on Foreign Relations

Souvent, ils occupent des postes physiquement exigeants ou délaissés par les travailleurs locaux : un rôle complémentaire et non substitutif, d’autant plus crucial dans un contexte de plein emploi et de vieillissement démographique.

Travailleurs occupés âgés de 16 ans et plus, 2022.
Council on Foreign Relations

Migration et innovation : une relation sous-estimée

Les migrations ne se résument pas à de la main-d’œuvre : elles apportent aussi des idées. Le Forum économique mondial rappelle que les immigrés ont 80 % plus de chances de créer une entreprise que les natifs, et que plus de 40 % des firmes du Fortune 500 (_ classement des 500 premières entreprises états-uniennes, ndlr_) ont été fondées par des migrants ou leurs descendants.

Leur empreinte est visible dans la recherche et la technologie : une large part des demandes de brevets déposées aux États-Unis compte au moins un inventeur étranger. Les universités de pointe dépendent aussi des étudiants internationaux pour maintenir leurs filières en sciences, technologies et ingénierie. Fermer les frontières, c’est aussi fermer la porte à l’innovation.

Europe occidentale : une dépendance silencieuse

Dans l’Union européenne, l’impact n’est pas moindre. Selon le même rapport du FMI, entre 2019 et 2023, deux tiers des nouveaux emplois ont été occupés par des migrants non communautaires. Ces données contredisent l’idée selon laquelle les migrants « prennent les emplois » : au contraire, ils pourvoient des postes vacants structurels que ni l’automatisation ni le marché intérieur n’ont réussi à pourvoir.

L’OCDE a par ailleurs averti qu’à défaut d’intégrer davantage de femmes, de seniors et de migrants dans la vie active, le PIB par habitant des pays membres pourrait voir sa croissance annuelle passer de 1 % (2000–2020) à seulement 0,6 % d’ici 2060. À l’inverse, une politique migratoire inclusive pourrait ajouter au moins 0,1 point par an.

Indicateurs de pénurie de main-d’œuvre.
OCDE, mai 2024

Envois de fonds : impact économique transnational

Le rapport sur les migrations dans le monde 2024 confirme que les transferts de fonds mondiaux ont atteint 831 milliards de dollars américains en 2022, soit une croissance de plus de 650 % depuis 2000. Ce volume dépasse largement l’aide publique au développement et même, dans de nombreux cas, les investissements étrangers directs. Les transferts de fonds sont principalement investis dans la santé, l’éducation et le logement.

Ils constituent en effet une redistribution mondiale de la richesse qui ne passe pas par le système multilatéral, mais qui produit un effet stabilisateur et profondément humain.

Et si nous regardons vers l’avenir ?

Le problème dépasse l’économie. Adopter un discours d’exclusion, c’est renoncer à la capacité d’adaptation des sociétés. Les coûts sont triples :

  1. Économique, en renonçant à une source structurelle de croissance, d’innovation et de viabilité budgétaire.

  2. Social, en alimentant des stigmates qui fracturent la cohésion.

  3. Géopolitique, en perdant de l’influence dans un monde où la concurrence pour les talents et le capital humain s’intensifie.

Des solutions existent pourtant : reconnaissance plus rapide des diplômes, coopérations régionales, politiques inclusives. Le véritable enjeu est politique – et narratif. Il s’agit de construire un récit qui fasse de la mobilité humaine un élément constitutif du contrat social contemporain.

Comme le souligne le Forum économique mondial, la migration n’est pas un problème à résoudre, mais un atout stratégique à gérer avec intelligence et humanité. La sous-estimer revient à saper les fondements du développement mondial au XXIe siècle.

The Conversation

Deniz Torcu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pourquoi les migrants sont-ils nécessaires aux économies américaine et européenne ? – https://theconversation.com/pourquoi-les-migrants-sont-ils-necessaires-aux-economies-americaine-et-europeenne-263701

Chez les paons, la taille compte… mais aussi la beauté et la vigueur

Source: The Conversation – in French – By Rama Shankar Singh, Professor (Emeritus) of Biology, McMaster University

En 1871, Charles Darwin a présenté sa théorie de la sélection sexuelle par le choix des femelles dans La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe. Il y avançait que les femelles d’une espèce manifestent une préférence pour la beauté et l’ornementation lors du choix de leurs partenaires, ce qui favoriserait la prévalence de ces traits.

Darwin affirmait que cela permettait d’expliquer l’évolution de la longue queue du paon. Plus de 150 ans plus tard, des recherches sur les paons remettent en question cette théorie.

Nos recherches sur la longue queue du paon ont révélé une règle de développement simple qui explique sa symétrie, sa complexité et sa beauté. Elle suggère que les paonnes choisissent leurs partenaires en fonction de leur taille, de leur vigueur et de leur beauté, et non pas uniquement en fonction de leur beauté, comme le pensait Darwin.

Les hypothèses de Darwin

Darwin considérait la queue excessivement longue du paon comme un trait inadapté ; elle était trop longue pour être expliquée par sa grande théorie de la sélection naturelle, selon laquelle les espèces ne développaient que les traits qui les aidaient à survivre.

Comme il l’écrivait à un collègue scientifique : « La vue d’une plume dans la queue d’un paon, chaque fois que je la regarde, me rend malade ! »

Darwin a fait deux hypothèses implicites qui, selon nos recherches, affaiblissent sa théorie de la sélection sexuelle. Premièrement, Darwin n’a pas compris que la mauvaise adaptation peut également être le résultat d’une adaptation, car les compromis entre les traits sont courants dans la nature.

Les queues de paon font ici référence aux longues plumes irisées qui pendent à l’arrière. Des queues plus longues (la hauteur des plumes une fois déployées) peuvent aider les mâles à attirer les femelles, mais elle présente aussi des inconvénients, par exemple en gênant la fuite face aux prédateurs.

un paon sans ses plumes voyantes
Après la saison des amours, les paons perdent leur longue queue.
(J.M.Garg/Wikimedia)

Deuxièmement, Darwin supposait que les paonnes admiraient la queue du paon « autant que nous » et que les oiseaux évaluaient leurs partenaires en fonction de leur attrait esthétique. Il affirmait que les oiseaux avaient le sens de la beauté. Plus tard, cette explication allait ouvrir la voie à des recherches visant à comprendre comment les femelles évaluent la beauté de leurs partenaires.

Les chercheurs se sont intéressés aux taches colorées en forme d’œil présentes sur la queue, mais de nombreuses études menées au cours des 30 dernières années n’ont pas confirmé de façon certaine que les femelles choisissaient leurs partenaires en fonction de ces motifs.

Complexité et vision

En tant que généticien spécialiste des mouches à fruits et intéressé par la variation et l’évolution des gènes liés au sexe et à la reproduction, je suis tombé par hasard sur l’évolution de la longue queue du paon. J’ai remarqué sa grande complexité et je me suis demandé si les paonnes voyaient ce que nous voyons.

J’ai examiné des spécimens de queues de paons conservés dans des musées et identifié deux découvertes majeures. La symétrie, la complexité et la beauté de la queue s’expliquent par une disposition en zigzag/alternée des follicules. Cette disposition, la forme d’empilement sphérique la plus dense connue, produit des effets remarquables lorsqu’elle se retrouve chez les êtres vivants.

gravure en noir et blanc d’un paon assis sur une branche
Illustration d’un paon publiée dans L’Origine de l’homme de Darwin.
(Wikimedia)

Deuxièmement, puisque plumes et ocelles appartiennent à la même structure, la taille de la traîne et le nombre d’ocelles sont corrélés sur le plan du développement. Les paonnes ne peuvent pas percevoir les ocelles et la taille de la queue comme des traits distincts, contrairement à nous ; elles réagissent uniquement à la couleur vert-bleu des ocelles, qui sont trop petites pour être visibles de loin. Les paonnes perçoivent donc la queue comme un trait complexe qui combine la taille de la traîne et certains aspects de la couleur des taches oculaires.


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Cela signifie que les femelles ne voient pas les taches oculaires sans percevoir d’abord la queue, ce qui suggère que la sélection porte directement sur la queue, et non indirectement sur les taches.

Puisque la sélection sexuelle et le choix du partenaire sont des éléments importants des processus évolutifs standard impliqués dans la sélection naturelle, il n’est pas nécessaire d’avoir une théorie distincte de la sélection sexuelle. Le naturaliste avait tort à cet égard.

Répondre aux croyances

À l’époque de Darwin, la théorie de la sélection sexuelle avait peu de soutien. Le naturaliste Alfred Russel Wallace, co-découvreur de la sélection naturelle, estimait que ce processus en relevait.

Mais Darwin avait d’autres raisons de défendre sa théorie de la sélection sexuelle. Il l’utilisait pour résoudre trois problèmes à la fois. Tout d’abord, bien sûr, pour expliquer l’évolution des traits sexuels secondaires et souvent exagérés, en particulier chez les oiseaux, notamment les paons.

Deuxièmement, il a utilisé sa théorie pour expliquer la formation des races chez les humains, en défendant l’idée de normes de beauté inhérentes à chacune d’entre elle, et qui servaient à les isoler les unes des autres.

À l’époque victorienne, on considérait les femmes comme faibles et incapables de choisir leurs partenaires de manière décisive. L’appréciation de la beauté était aussi vue comme un trait exclusivement humain, absent chez les autres animaux. Darwin en a conclu que, chez les oiseaux, ce sont les femelles qui choisissent selon la beauté, tandis que chez les humains, ce seraient les mâles.

Enfin, Darwin a utilisé les plumes du paon pour remettre en question l’ordre religieux et ouvrir la voie à l’appréciation esthétique du monde animal : la beauté, l’intelligence et la moralité, autrefois vues comme des dons divins.

Cette recherche montre pourquoi la théorie de la sélection sexuelle reste controversée, même après un siècle et demi. Le choix du partenaire par sélection sexuelle est indéniable, mais la théorie qui en découle est contestable.

La Conversation Canada

Rama Shankar Singh a reçu un financement du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Il est affilié au Centre d’études sur la paix de l’Université McMaster.

ref. Chez les paons, la taille compte… mais aussi la beauté et la vigueur – https://theconversation.com/chez-les-paons-la-taille-compte-mais-aussi-la-beaute-et-la-vigueur-263501

La langue inclusive : lorsque des mythes font leur entrée dans les politiques publiques

Source: The Conversation – in French – By Alexandra Dupuy, Doctorante en linguistique, Université de Montréal

En interdisant l’usage de certaines formes d’écriture inclusive en français, le gouvernement québécois s’inscrit dans une longue tradition d’aménagement linguistique, mais au risque de restreindre l’expression même des identités qu’il prétend protéger.

Au mois de septembre, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a annoncé le dépôt d’un décret visant à interdire l’utilisation de certaines formes de langue inclusive comme « iels », « toustes » et les doublets abrégés, comme « étudiant.e.s ». Cette mesure s’applique à l’Administration publique québécoise, aux municipalités, aux centres de services scolaires, au réseau de la santé et s’appliquera éventuellement aux cégeps et aux universités.

Une histoire qui se répète

De l’autre côté de l’Atlantique, cette décision donne un air de déjà vu. En 2017, le premier ministre français Édouard Philippe signait une circulaire invitant à ne pas utiliser la langue inclusive dans l’Administration publique française et en 2021, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a publié un règlement interdisant l’utilisation de la langue inclusive dans le milieu de l’éducation. Parmi les motifs évoqués : les difficultés de lecture que les formes inclusives engendrent.

Alors que le gouvernement français se prononçait sur l’usage de l’écriture inclusive, aucune étude empirique n’avait encore mesuré l’effet des formes inclusives en français chez les personnes dyslexiques (plus particulièrement les formes abrégées comme « locuteur·ices »). Des personnes concernées y voyaient d’ailleurs une instrumentalisation des personnes en situation de handicap.

Ce que les données en psycholinguistique nous disent

En entrevue, le ministre Jean-François Roberge fait plusieurs fois référence à la complexification de la lecture causée par des formes inclusives comme les doublets abrégés et les néologismes. Des phrases comme « iels sont content.e.s » ou « si iel n’est pas avec l’enseignant.e souhaité.e » sont des exemples de la « confusion linguistique » qu’il dénonce et de la supposée entrave à la qualité de la langue causée par l’écriture inclusive. Pourtant, lorsque Jean-François Roberge dénonce la présence de néologismes dans la langue, il s’attaque à une réalité qui, d’un côté, est inhérente aux langues vivantes et qui, de l’autre, n’est pas considérée comme problématique d’un point de vue psycholinguistique.

Du côté des doublets abrégés, cet argument de la difficulté ajoutée a été démenti par plusieurs études réalisées à travers la francophonie. En effet, les données récentes montrent que les impacts des doublets abrégés sur la compréhension sont très minimes. De plus, il est fort probable qu’un effet d’habituation soit observable, tout comme c’est le cas pour les néologismes, de sorte que, plus on rencontre une certaine forme linguistique, plus on la lit facilement.

Bien que le décret ne vise que certaines formes de rédaction inclusive, des mythes portant sur l’ensemble de la pratique se sont glissés dans le discours public, notamment lorsque le chef du Parti québécois (PQ) Paul St-Pierre Plamondon a laissé sous-entendre que l’écriture inclusive n’avait aucun bienfait.

Sur ce point, les données en psycholinguistique nous disent en fait tout le contraire. De nombreuses études ont montré que l’écriture au masculin mène les lecteurs et lectrices à se représenter moins de femmes lors de la lecture. Au contraire, différentes formes d’écriture inclusive peuvent atténuer cet effet et améliorer la représentation de toutes personnes dans la langue.




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Au-delà des données, la question de l’aménagement

Dans le préambule de la Charte de la langue française, on indique : « Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer son identité. » Cette loi a pour principal objectif de s’assurer que toute personne au Québec puisse vivre en français dans la sphère publique, sans discrimination.

Les interventions gouvernementales sur la langue française vont ainsi majoritairement porter sur la proposition de mots en français afin d’éviter le recours à d’autres langues. Par exemple, pour éviter le recours au mot anglais e-mail, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a proposé le néologisme « courriel » dans les années 1990 ; ce néologisme est désormais largement diffusé au Québec et, dans une certaine mesure, en France.

L’OQLF en est également à la 6e édition du Concours de créativité lexicale où des jeunes du secondaire ont la possibilité de proposer des néologismes afin de nommer de nouvelles réalités. De ce concours, nous avons notamment obtenu les mots « saute-soucis », « sociomuselage » et « conséconscient ».

L’OQLF a une approche collaborative avec les membres de la société, tout en ayant un rôle pédagogique. Dans cette perspective, l’OQLF publie plusieurs documents visant à outiller la population quant à des difficultés linguistiques, mais également dans l’objectif de promouvoir l’usage du français. Dans le contexte de la féminisation, l’OQLF avait publié des guides et son approche avait été incitative plutôt que coercitive. En ce qui concerne les doublets abrégés ou les néologismes tels que « iel » ou « toustes », l’attitude de l’OQLF est différente de son approche traditionnelle.

Il est à noter que certaines formes tronquées sont permises, alors que d’autres ne le sont pas : les crochets et les parenthèses sont permis par l’organisme lorsque l’espace est restreint. Contrairement aux crochets et aux parenthèses qui sont utilisées en français notamment pour citer ou inclure des informations supplémentaires dans un texte, les points médians n’ont qu’une seule fonction dans l’usage : visibiliser les femmes et les personnes non-binaires dans le texte. Ceux-ci seraient donc moins susceptibles de mener à de la « confusion linguistique » en comparaison avec les signes acceptés par l’OQLF. En d’autres mots, si la clarté du texte était réellement le critère déterminant, les points médians ne seraient pas plus problématiques que les pratiques déjà tolérées.


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Alors qu’aucun guide gouvernemental n’a été publié sur l’ensemble des techniques d’écriture inclusive, ceux conçus par la communauté linguistique pullulent. Cette multiplication d’ouvrages est un signe du désir d’exprimer l’identité de toustes en français.

Le respect des droits fondamentaux

Au-delà d’un débat linguistique, c’est la question du respect des droits fondamentaux qui est en jeu. La Charte des droits et libertés de la personne se veut un reflet des valeurs québécoises. En vertu de cette dernière, l’identité de genre et l’expression de genre sont des motifs de discrimination interdits ; le gouvernement du Québec a d’ailleurs planifié une série de mesures visant entre autres à « Promouvoir le respect des droits des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre ». La protection des minorités s’inscrivant dans la constitution québécoise, il est ainsi légitime de se questionner sur le fait que Québec pose des actions allant à l’encontre des droits protégés par sa propre Charte.

La décision du ministre Jean-François Roberge ainsi que les interventions du chef du PQ sur l’écriture inclusive mettent en lumière des enjeux importants, notamment le détournement de la littérature scientifique afin de justifier des politiques publiques ayant un impact direct sur l’exercice de droits garantis.

Finalement, une question importante se pose : si le français permet au peuple québécois d’exprimer son identité, que devient cette promesse lorsqu’un décret nous interdit de le faire ?

La Conversation Canada

Gabrielle Girard a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec.

Alexandra Dupuy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La langue inclusive : lorsque des mythes font leur entrée dans les politiques publiques – https://theconversation.com/la-langue-inclusive-lorsque-des-mythes-font-leur-entree-dans-les-politiques-publiques-267073

Les virus, ces messagers invisibles de la conversation du vivant

Source: The Conversation – in French – By Armand Namekong Fokeng, Doctorant en biologie cellulaire et épidémiologie, Université de Corse Pascal-Paoli

Bien que les virus n’aient ni cerveau ni langage, leur circulation entre tiques, animaux et humains dans un environnement donné pourrait se lire comme un flux d’informations qui modifierait à jamais des comportements et qui façonnerait notre évolution.


La plupart des animaux ont un mode de communication évident : les cris d’alarme des suricates alertent au danger, les danses des abeilles signalent le nectar, les infrasons des éléphants permettent le maintien de la cohésion des groupes. Ainsi, c’est un nouveau message codé qui circule chaque fois et qui est ensuite interprété pour induire une action collective. Imaginez alors un instant, des virus qui parlent… pas un langage sonore ni gestuel, mais une conversation génétique, gravée dans des molécules (ADN, ARN) qui traversent les espèces en modifiant les corps.

Pour faire simple, un virus n’est qu’un morceau d’information génétique. Dénué de toute autonomie propre, il n’a de vie qu’à travers les cellules hôtes qu’il infecte. Le code génétique du virus est lu et exécuté comme un programme. En conséquence, la cellule cesse ses activités nobles (respiration, reproduction, réparation, etc.) et devient une usine à virus.

Cependant, le message viral n’est presque jamais stable. En effet, la fidélité est limitée dans la réplication des virus à ARN, tels que celui de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHFV) sur lequel porte mon projet de thèse.

Chaque nouvelle infection draine avec elle une nuée de variants génétiques, appelés « quasi-espèces ». L’information virale est donc en perpétuelle réécriture pour s’adapter aux environnements et aux hôtes. Parfois, elle s’inscrit dans la mémoire profonde des organismes ayant été en contact avec le virus.

On sait, actuellement, qu’environ 8 % du génome humain provient de séquences virales anciennes parmi lesquelles certaines ont été intégrées à nos fonctions vitales. À titre d’exemple, la protéine syncytine, issue d’un rétrovirus, est indispensable à la formation du placenta chez les mammifères.

Les virus sont-ils toujours des intrus nuisibles ? Eh bien non ! Ils peuvent se présenter comme des créateurs invisibles de notre histoire génétique.

Une communication sans intention

Un virus est sans voix et ne choisit pas ses mots. Cependant, son interaction avec la cellule rappelle un échange de signaux.

En effet, dans le processus de l’infection, il doit reconnaître un récepteur spécifique sur la membrane de la cellule hôte : c’est la clé moléculaire qui lui ouvre la porte. Un exemple assez connu est celui du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) qui cible les lymphocytes T, en exploitant la très célèbre molécule CD4 à laquelle il se lie, et utilise les corécepteurs CCR5 ou CXCR4 pour infecter la cellule.

En réponse, l’organisme infecté met en place une véritable conversation immunitaire entretenue par de nombreux messagers chimiques : cytokines, interférons, fièvre, etc. Ces derniers modifient le comportement des cellules et, parfois, de l’individu lui-même.

À l’échelle sociale, l’infection induit des réactions telles que l’isolement, les soins, les nouvelles pratiques de prévention, etc. Ainsi, sans aucune intention, le virus modifie pourtant les relations collectives.

Virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo : un connecteur écologique

Le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo est une parfaite illustration de cette logique. En effet, il circule dans un réseau où chaque espèce joue un rôle.

En ce sens, les tiques du genre Hyalomma sont à la fois vecteurs et réservoirs. Leur salive est riche en molécules immunomodulatrices, un cocktail de protéines ou de peptides (lipocalines, serpines, évasines, etc.) qui, en neutralisant les défenses immunitaires locales de l’hôte, préparent discrètement la transmission du virus.

Une fois infectés par les tiques, les mammifères domestiques (bovins, ovins, caprins), en tant qu’amplificateurs silencieux, hébergent le virus sans symptômes.

Chez l’humain, le scénario est différent. Ici, l’infection peut entraîner des fièvres hémorragiques potentiellement mortelles (de 10 % à 30 %) en cas d’apparition de symptômes. On estime de 10 000 à 15 000 cas environ, le nombre annuel de nouvelles infections à CCHFV. Ces dernières conduisent à environ 500 décès, soit une létalité moyenne globale d’environ 3-5 %.

En ce qui concerne la France, aucun cas humain symptomatique n’a été rapporté à ce jour. Cependant, des preuves d’une circulation virale dans le sang des animaux hôtes et dans les tiques vectrices prélevées dans ce pays ont été documentées. Bien qu’ayant un risque humain relativement faible pour le moment, la France est située au carrefour de plusieurs zones endémiques (la Turquie, les Balkans, l’Asie, l’Afrique).

À travers son cycle de transmission viral, le CCHV se présente comme un fil invisible qui relie tiques, animaux et humains. C’est un véritable message moléculaire qui circule, traverse les corps et remodèle les dynamiques écologiques et sociales.

Les devenirs d’un message viral

Il importe également de souligner qu’une fois dans la cellule, un virus a un destin riche en opportunités. Il peut ainsi être neutralisé par les défenses immunitaires ou se répliquer jusqu’à consumer entièrement son hôte.

Certains virus ont une présence latente et choisissent de rester silencieux ou endormis dans le génome ou le noyau. Cependant, dès que les conditions sont favorables (stress ou immunodépression), ils se réactivent et causent des dommages.

D’autres s’intègrent durablement dans le génome, modifiant ainsi la biologie de la cellule. Ainsi, ils peuvent dans certains cas activer des oncogènes et conduire à certains cancers, tels que celui du col de l’utérus pour le papillomavirus, ou simplement déclencher des dérèglements immunitaires qui débouchent sur l’expression de certaines maladies auto-immunes. Mais, dans certains cas, les virus passent inaperçus et disparaissent en silence.

La médecine, un nouvel interlocuteur moléculaire

Quand il faut barrer la voie aux virus, on s’attaque à leurs signaux moléculaires. Les antiviraux sont des brouilleurs de signal dans ce dialogue moléculaire.

Ainsi, certains empêchent l’entrée du virus, d’autres inhibent la copie de son génome : c’est le cas du favipiravir, par exemple, qui inhibe la polymérase des virus à ARN. Ce médicament est traditionnellement utilisé contre les pandémies grippales.

D’autres traitements agissent comme amplificateurs. C’est le cas des interférons, qui administrés comme médicament, renforcent l’expression des cellules et leur permettent d’alerter leurs voisines.

Ce jeu demeure toutefois dynamique. Face aux pressions thérapeutiques toujours plus nombreuses, les virus mutent en de nouveaux variants, enrichissant ainsi leur « vocabulaire moléculaire ». Le VIH en constitue un bel exemple ; en effet, il a rapidement développé des résistances aux premiers traitements en mutant. Ainsi, la médecine et la pharmacopée deviennent elles-mêmes des acteurs involontaires de cette conversation évolutive.

Et si l’on élargissait notre vision de la vie, en classant les virus parmi les acteurs de la communication ? Ainsi, la communication ne se limiterait plus seulement aux cris des animaux et aux paroles ou gestes d’humains. Elle pourrait également être inscrite dans la circulation d’informations génétiques entre les espèces.

De ce fait, les virus cesseraient d’être uniquement des ennemis pour devenir aussi, et surtout, des agents de mise en réseau, qui relient les tiques, les animaux et les humains. Ce faisant, ils laisseraient des traces dans nos génomes et modifieraient nos comportements sociaux en cas d’épidémie.

Vue sous cet angle, chaque infection virale deviendrait une conversation biologique, un échange franc où virus, cellules et écosystèmes négocieraient chacun leur position. De la simple chorégraphie d’une abeille au passage d’un virus dans un troupeau, le vivant deviendrait une immense polyphonie de messages.

Loin d’être un simple agent pathogène, le virus apparaît comme une voix invisible de la grande conversation du vivant.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Armand Namekong Fokeng ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les virus, ces messagers invisibles de la conversation du vivant – https://theconversation.com/les-virus-ces-messagers-invisibles-de-la-conversation-du-vivant-266937

Apprendre une nouvelle langue : pourquoi on ne doit pas considérer l’âge comme un frein

Source: The Conversation – France (in French) – By Karen Roehr-Brackin, Reader, Department of Language and Linguistics, University of Essex

Les enfants sont très doués pour apprendre de nouvelles langues. Faut-il en déduire qu’il y aurait un âge limite pour s’initier à une langue qu’on ne connaît pas ? On le pense souvent, mais les dernières recherches contredisent cette idée reçue. Explications.


Si vous avez toujours voulu apprendre une nouvelle langue, ne vous laissez pas décourager par votre âge. Les personnes de plus de 60 ans peuvent être autonomes et faire preuve de souplesse dans leur façon d’apprendre une langue, et avec succès.

Des décennies de recherche ont largement démontré qu’avec l’âge, certaines de nos capacités de cognition et de perception diminuent progressivement. Notre ouïe et notre vue ne sont plus aussi bonnes qu’avant, nous traitons les informations moins rapidement et notre mémoire n’est peut-être plus aussi vive que lorsque nous étions plus jeunes. Ce sont là les conséquences connues du vieillissement et cela n’a généralement pas d’impact négatif majeur sur la vie quotidienne.

Ce que l’on dit moins souvent, c’est que ces effets ne sont pas nécessairement des déficits en soi, mais résultent d’une vie entière de connaissances et d’expériences accumulées. Plus nous vieillissons, plus nous avons d’informations à trier, ce qui peut nous ralentir. Dans ce contexte, il est important aussi de souligner le fait que les connaissances générales, et en particulier les connaissances verbales, peuvent en réalité s’accroître avec l’âge.

Des chercheurs se sont ainsi penchés sur l’apprentissage des langues à un âge avancé et ont démontré qu’il n’y a pas de limite d’âge pour acquérir une nouvelle langue : nous pouvons le faire à tout moment de notre vie. Cependant, il est moins évident de déterminer quelle approche d’apprentissage et d’enseignement des langues fonctionne le mieux à un âge avancé.

Quel type d’apprentissage privilégier ?

Des recherches menées auprès de jeunes adultes indiquent qu’une approche explicite, comprenant par exemple des explications sur la langue cible et des règles grammaticales détaillées, est ce qui est le plus efficace.

À première vue, on pourrait supposer que cela devrait également s’appliquer aux personnes plus âgées, voire que cela devrait être encore plus vrai pour elles, étant donné que cela reflète une approche traditionnelle de l’enseignement des langues. Les personnes âgées ont peut-être justement connu cette approche pendant leur scolarité et pourraient donc la privilégier.

À ce jour, il existe étonnamment peu de recherches qui ont testé cette hypothèse. Une étude récente menée aux Pays-Bas n’a trouvé aucune preuve permettant d’affirmer que les apprenants en fin de vie obtiennent de meilleurs résultats avec une approche explicite.

Le fait que l’enseignement soit explicite ou implicite, c’est-à-dire avec ou sans explications grammaticales, n’avait aucune importance. Les participants seniors ont obtenu des résultats tout aussi bons, quelle que soit la méthode d’enseignement utilisée.

Une capacité d’adaptation

Dans une nouvelle étude menée avec mon collègue Renato Pavlekovic, nous avons comparé une approche explicite et une approche incidente de l’apprentissage des langues. Dans le cadre d’une petite série de cours en ligne, 80 volontaires anglophones âgés de 60 à 83 ans ont appris les bases du croate, une langue qui leur était totalement inconnue.

Dans l’approche explicite, une explication complète de la structure grammaticale ciblée a été fournie. Dans l’approche incidente, aucune explication n’a été donnée, mais des exercices pratiques supplémentaires étaient proposés.

Woman with headphones and laptop taking notes
Les apprenants plus âgés ont obtenu de bons résultats avec différentes méthodes d’apprentissage.
fizkes/Shutterstock

Nous avons constaté que les apprenants obtenaient des résultats tout aussi bons, quelle que soit l’approche pédagogique utilisée. Ils ont d’abord appris un ensemble de mots de vocabulaire, puis la structure grammaticale ciblée, avec un taux de réussite élevé, obtenant des scores moyens d’environ 80 % de précision. Cela suggère que l’approche pédagogique n’avait pas d’importance pour ce public plus âgé : ces participants sont capables de trouver leur propre voie, indépendamment de la manière dont le matériel d’apprentissage était présenté.

Image de soi et statut professionnel, des facteurs à prendre en compte

Dans cette nouvelle étude, nous avons également exploré le rôle des facteurs cognitifs et liés à la perception ainsi que l’image que nos volontaires avaient d’eux-mêmes, c’est-à-dire leur opinion sur leur propre santé, leur bonheur et leurs capacités. De plus, nous leur avons posé des questions sur leur (ancienne) profession et leur expérience antérieure en matière d’apprentissage des langues. Il est intéressant de noter que nous avons découvert un lien entre la capacité d’apprentissage implicite (c’est-à-dire la capacité à comprendre des choses à partir du contexte sans en avoir conscience), le statut professionnel (que la personne soit à la retraite ou encore en activité) et l’image de soi.

Plus précisément, les personnes qui ont déclaré avoir une image plus positive d’elles-mêmes ont montré de meilleures capacités d’apprentissage implicite. C’est le cas également des personnes qui travaillaient encore au moment de l’étude par rapport aux personnes à la retraite, ce que nous avions également observé dans une étude précédente. Il est important de noter que cet effet était indépendant de l’âge.

À première vue, le lien entre le statut professionnel, la capacité d’apprentissage implicite et l’image de soi peut sembler peu évident. Il existe toutefois un dénominateur commun : la confiance en soi pourrait être au cœur d’un cercle vertueux. Une personne dotée d’une forte capacité d’apprentissage implicite reste plus longtemps sur le marché du travail. Cela renforce son image de soi, ce qui l’incite à poursuivre plus longtemps son activité professionnelle.

Au travail, ils doivent aussi faire avec les tâches qui leur plaisent comme celles qui ne leur plaisent pas ; ils ne peuvent donc pas se contenter de faire uniquement ce qu’ils aiment. Cela signifie qu’ils continuent à puiser dans leur capacité d’apprentissage implicite, etc.

Dans l’ensemble, les résultats de notre étude montrent que les personnes qui apprennent une langue sur le tard peuvent le faire avec succès. Elles semblent suffisamment indépendantes pour choisir la voie qui leur convient le mieux, de sorte que l’approche pédagogique utilisée ne compte pas tant que ça. Mais la confiance en soi, qui semble résulter des compétences comme du statut social dont on dispose, est importante.

The Conversation

Karen Roehr-Brackin a reçu un financement de la British Academy/Leverhulme Trust (référence de subvention SRG23230787).

ref. Apprendre une nouvelle langue : pourquoi on ne doit pas considérer l’âge comme un frein – https://theconversation.com/apprendre-une-nouvelle-langue-pourquoi-on-ne-doit-pas-considerer-lage-comme-un-frein-266763

L’influence de la famille Peugeot dans l’industrie automobile

Source: The Conversation – France (in French) – By Giulio Cesare Giorgini, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles, Université Côte d’Azur

Avec 11,9 % des droits de vote, la famille Peugeot figure parmi les principaux actionnaires de Stellantis, aux côtés de la famille Agnelli (créateurs de Fiat) et de l’État à travers Bpifrance. VladProkopenko/Shutterstock

La famille Peugeot détient 7,7 % du capital du quatrième groupe automobile mondial Stellantis, issu de la fusion, en 2021, de Peugeot Société Anonyme (PSA) et de Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Depuis 1897, la dynastie industrielle incarne l’automobile française dans le monde entier. Avec quelles perspectives ?


La famille Peugeot est originaire de la région de Montbéliard (Doubs) en Franche-Comté. En 1810, Jean-Pierre et Jean-Frédéric Peugeot transforment leur moulin à grain familial en aciérie. Leur aventure dans l’automobile commence avec le lancement de la « type 3 », première voiture au monde à être fabriquée en série. Elle se poursuit avec la création de la société Peugeot en 1897. La fusion avec la société Citroën donne naissance au groupe Peugeot Société Anonyme (PSA) en 1976, qui fusionne avec le groupe Fiat Chrysler Automobiles (FCA) en 2021 pour donner naissance à Stellantis.

Quelle est l’influence de cette dynastie emblématique de l’industrie automobile française ? Quel est le rôle de Robert Peugeot, homme clé de la famille Peugeot ? Quelles sont les perspectives de la famille Peugeot au sein de Stellantis ?

Établissements Peugeot Frères

La famille Peugeot est composée d’environ 300 porteurs de parts qui possèdent 7,7 % du capital du groupe Stellantis, par l’intermédiaire de Peugeot 1810, filiale détenue à 76,5 % par la société d’investissement Peugeot Invest et à 23,5 % par les Établissements Peugeot Frères. Avec 11,9 % des droits de vote, la famille Peugeot figure parmi les principaux actionnaires de Stellantis, aux côtés de la famille Agnelli (créateurs de Fiat) et de l’État, qui détiennent respectivement 15,5 % et 6,7 % à travers Exor (société holding de la famille Agnelli) et Bpifrance.

Armand Peugeot (1849-1915) sur une Peugeot type 28 Phaeton, en 1900.
Wikimediacommons

Nous avons mené un travail de recherche qui porte sur les enjeux juridiques et managériaux de la fusion Stellantis, qui réunit le groupe français Peugeot Société Anonyme (PSA) et le groupe italo-américain Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Notre étude met en relief la complexité juridique et organisationnelle de cette mégafusion « entre égaux ». Nos investigations montrent que la gouvernance de Stellantis est marquée par la présence des familles Peugeot et Agnelli, qui sont à l’origine de PSA et de FCA et qui continuent d’exercer une forte influence au sein du groupe.

Création du groupe Stellantis

Les familles Peugeot et Agnelli sont à l’origine du groupe Stellantis.

C’est en 2019 que Fiat Chrysler Automobiles engage des pourparlers avec Peugeot Société Anonyme (PSA) et avec Renault pour négocier un rapprochement avant que son conseil d’administration ne rejette la proposition de fusion avec Renault.

Par la suite, les familles Peugeot et Agnelli reprennent les discussions. Robert Peugeot propose d’abord une acquisition de Fiat Chrysler Automobiles (FCA), puis une fusion. Les deux projets sont refusés par John Elkann, petit-fils de Giovanni Agnelli (dirigeant emblématique de Fiat), qui craint la dilution des intérêts de la famille Agnelli. Les négociations reprennent et le projet est finalement approuvé par les deux familles, puis validé par le conseil de surveillance de PSA et par le conseil d’administration de FCA.




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Robert Peugeot, homme clé de la famille

Fils de Bertrand Peugeot (1923-2009), l’un des acteurs à l’origine de la création du groupe PSA, Robert Peugeot (né en 1950) est aujourd’hui le membre le plus éminent de la famille Peugeot. Diplômé de l’École centrale de Paris et de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), il a occupé plusieurs fonctions de direction au sein du groupe PSA. À la suite de la fusion de PSA et de Fiat Chrysler Automobiles, il devient le vice-président du conseil d’administration de Stellantis. À ce titre, il représente la société d’investissement Peugeot Invest qu’il préside jusqu’à la nomination de son fils Édouard Peugeot, en mai 2025.

Robert Peugeot, en 2012, aux 40ᵉ St. Gallen Symposium.
Wikimediacommons

Dans ses fonctions de vice-président du conseil d’administration de Stellantis, Robert Peugeot travaille depuis 2021 aux côtés de John Elkann, président du groupe, et de Carlos Tavares, président-directeur général. Fin 2024, il participe à la décision de contraindre Carlos Tavares à la démission, à la suite des divergences qui ont éclaté entre le PDG et le conseil d’administration du groupe Stellantis.

Nomination d’un ancien dirigeant de Fiat

En mai 2025, Robert Peugeot soutient la nomination d’Antonio Filosa à la tête du groupe Stellantis. Il s’agit d’un ancien dirigeant de Fiat, puis de FCA qui a dirigé les opérations de Stellantis en Amérique du Nord et du Sud.

Robert Peugeot explique la nouvelle nomination :

« Son leadership prouvé au cours de ses nombreuses années au sein de notre entreprise parle pour lui-même et cela, combiné à sa connaissance profonde de notre activité et de la dynamique complexe à laquelle notre industrie est confrontée. Cela fait de lui le choix évident pour devenir le prochain CEO de Stellantis. »

Le jour de sa nomination, le nouveau PDG de Stellantis choisit d’ailleurs de visiter l’usine historique de Sochaux (dans la région de Montbéliard) et le musée local consacré à l’histoire de l’aventure Peugeot.

Avenir de la famille Peugeot au sein de Stellantis

Début 2025, l’influence de la famille Peugeot au sein du groupe Stellantis se renforce avec plusieurs nominations stratégiques. Édouard Peugeot, fils cadet de Robert Peugeot, est nommé au poste de directeur de Citroën France. Charles Peugeot, fils aîné de Robert Peugeot, est nommé directeur de la marque Opel. Xavier Peugeot, cousin de Robert Peugeot, prend la tête de la marque DS.

Depuis mai 2025 et avec l’arrivée d’Édouard Peugeot à la tête de Peugeot Invest, la société d’investissement de la famille Peugeot semble afficher une nouvelle stratégie de diversification de ses investissements et de réduction de son exposition dans Stellantis. Les Peugeot auraient ainsi fait savoir qu’ils n’entendraient pas participer à une éventuelle recapitalisation de Stellantis.

Alors que le mandat de Robert Peugeot au Conseil d’administration de Stellantis doit s’achever au printemps 2026, la neuvième génération de la dynastie Peugeot entend-elle prendre la relève et écrire le prochain chapitre du quatrième constructeur automobile mondial ?

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. L’influence de la famille Peugeot dans l’industrie automobile – https://theconversation.com/linfluence-de-la-famille-peugeot-dans-lindustrie-automobile-261715

Pour vendre en boutique, Shein devra accomplir une rupture logistique

Source: The Conversation – France (in French) – By Salomée Ruel, Professeur, Pôle Léonard de Vinci

Des entrepôts de Shein pourraient éclore en France dans les prochaines années, si la marque de prêt-à-porter ultra-rapide s’installe durablement dans les magasins français. Jonathan Weiss

Passer de la vente 100 % en ligne à la vente en magasin n’est pas chose si aisée. Cela nécessite de revoir l’ensemble de sa logistique.


Le géant de l’ultrafast fashion, Shein, a bâti son succès sur une chaîne logistique mondiale « sans frontières », mais bel et bien centrée sur la Chine, un pays clé pour la plupart des chaînes logistiques mondiales. Au cœur de son modèle économique se trouvent la production par micro-lots, l’expédition directe à bas coût et l’agilité extrême dans la création et la diffusion de nouveaux produits pour coller aux tendances des réseaux sociaux.

L’annonce de la vente de produits de cette marque dans six magasins en France, une première mondiale pour la marque, change radicalement la donne… et pas seulement d’un point de vue marketing. C’est une véritable rupture logistique qui se joue.

Pour passer du modèle « ultra-flexible, centré sur la production « à la demande », à un modèle « semi-physique avec stocks localisés », la viabilité de cette nouvelle chaîne logistique, et donc de son modèle économique, dépend de la capacité de Shein à maintenir l’équilibre entre résilience, agilité et robustesse.




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Un tournant à haut risque

Migrer d’un modèle de pur player (100 % en ligne) à celui de la vente en boutique impose de nouvelles contraintes : constituer des stocks avancés en France (ou à proximité), gérer les flux omnicanaux (qui mêlent les flux vers les boutiques et l’e-commerce), organiser les éventuels retours (problèmes de taille…), anticiper la demande locale afin de maximiser les ventes et éviter d’avoir à gérer des invendus ou les minimiser.

Tout l’inverse ou presque du « modèle historique » de Shein, celui de l’agilité extrême, caractérisée par peu de stocks, une production selon la demande et des délais courts de création et de production. Cette nouvelle stratégie pourrait bien se heurter aux réalités du retail traditionnel : coûts fixes, délais d’acheminement, surstocks, obsolescence… Autrement dit, Shein devra désormais composer avec la rigidité physique du point de vente. Cette mutation logistique, au-delà de la stratégie marketing, mérite qu’on s’y arrête.

Une logistique historiquement centralisée

Shein a prospéré grâce à une organisation hypercentralisée, avec une production majoritairement basée dans le sud de la Chine et des expéditions directes vers les clients européens sous format de colis. Ce modèle lui permettait d’éviter les coûts d’entreposage et de produire en fonction de la demande. Un article n’était fabriqué qu’après l’apparition d’une tendance en ligne, notamment sur les réseaux sociaux.

L’ouverture de boutiques physiques change tout. Pour alimenter ces « corners » annoncés à Paris, à Dijon (Côte-d’Or), à Reims (Marne), Grenoble (Isère), Angers (Maine-et-Loire) et Limoges (Haute-Vienne) au sein du BHV ou aux Galeries Lafayette, l’entreprise devrait disposer de stocks tampons à proximité, probablement dans des entrepôts situés en France ou dans un pays limitrophe. Shein entre dans un champ d’équations nouvelles : livraisons régulières aux magasins, gestion du « dernier kilomètre » (avec notamment les difficultés de livraison en hypercentre), retours croisés entre les achats effectués en e-commerce et en boutique… Autant de contraintes qui augmentent les coûts et allongent les délais.

Or, Shein c’est avant tout des prix bas et des délais serrés. Cette réorganisation peut supposer de nouvelles infrastructures comme des entrepôts régionaux, des systèmes d’information capables d’assurer la visibilité des stocks en temps réel, et des flux de transport réguliers entre hubs logistiques et points de vente. Ces ajustements logistiques risquent de réduire l’agilité qui faisait la force du modèle initial…

Ira-t-elle jusqu’à décevoir les clients en boutique ?

Des précédents éclairants

Shein n’est pas la première entreprise à franchir le pas du physique. Aux États-Unis, Amazon, qui avait longtemps juré ne jamais ouvrir de magasins, a finalement lancé en 2018 ses enseignes Amazon Go, avant d’en fermer près de la moitié à partir de 2023. C’est la preuve que la gestion opérationnelle du physique (stocks, personnel, emplacement) peut peser lourd même pour un géant du numérique.

Plusieurs marques françaises, dites digital natives, ont expérimenté cette transition. Cabaïa, connue pour ses sacs et accessoires personnalisables, a débuté comme pure player avant d’ouvrir des boutiques en propre et des corners dans les gares et centres commerciaux. Ce virage a nécessité une refonte logistique complète de la constitution de stocks régionaux, à l’adaptation des flux entre le site web et les points de vente, en passant par la synchronisation des références pour éviter les ruptures ou doublons d’inventaire. La marque reconnaît que la prévision de la demande locale et la logistique de réassort ont été les plus grands défis de cette expansion.

Le Figaro TV, 2025.

Autre exemple, le Slip français, pionnier du Made in France digital, a lui aussi multiplié les boutiques physiques pour renforcer la proximité avec les clients. Cette stratégie a entraîné des investissements en entrepôt, en personnel et en systèmes d’information, nécessaires pour assurer une cohérence entre le stock en ligne et celui en magasin, tout en maintenant la promesse du local et du circuit court.

Ces expériences montrent que passer du digital au physique, via une transition multicanale, ne consiste pas seulement à ouvrir une boutique. Cela implique de repenser la chaîne logistique dans son ensemble : prévisions, entreposage, transport, gestion de stocks… et même durabilité (si cela est un objectif de Shein !). Shein, avec son modèle fondé sur la vitesse et la dispersion mondiale, se retrouve confrontée à des défis similaires… mais à une échelle sans commune mesure.

Un « stress-test » logistique grandeur nature

L’implantation de Shein en France est un test grandeur nature pour son modèle logistique. Si l’entreprise parvient à articuler e-commerce et commerce physique sans compromettre sa rapidité et ses marges, elle pourrait redéfinir les standards de l’ultrafast-fashion… Mais la probabilité inverse est tout aussi plausible : que les rigidités du retail viennent brider l’agilité et révéler les limites d’un modèle conçu pour l’instantanéité numérique.

L’expérience française devrait donc servir en quelque sorte de laboratoire logistique. Soit Shein réussit à hybrider ses flux mondiaux avec des capacités locales efficaces, soit cette transition exposera la fragilité structurelle d’une fast-fashion devenue trop rapide pour le monde physique. En définitive, plus qu’une simple diversification commerciale, cette implantation marque l’entrée de Shein dans une nouvelle ère, celle où l’optimisation logistique devient la clé de sa nouvelle expansion.

The Conversation

Salomée Ruel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pour vendre en boutique, Shein devra accomplir une rupture logistique – https://theconversation.com/pour-vendre-en-boutique-shein-devra-accomplir-une-rupture-logistique-267234

La peur de rater quelque chose : entre cerveau social et anxiété collective

Source: The Conversation – France (in French) – By Emmanuel Carré, Professeur, directeur de Excelia Communication School, chercheur associé au laboratoire CIMEOS (U. de Bourgogne) et CERIIM (Excelia), Excelia

Un rêve d’ubiquité entretenu par les outils numériques. Roman Odintsov/Pexels, CC BY

La « peur de rater quelque chose » (« Fear Of Missing Out », ou FOMO) n’est pas née avec Instagram. Cette peur d’être exclu, de ne pas être là où il faut, ou comme il faut, a déjà été pensée bien avant les réseaux sociaux, et révèle l’angoisse de ne pas appartenir au groupe.


Vous l’avez sans doute déjà ressentie : cette sensation distincte que votre téléphone vient de vibrer dans votre poche. Vous le sortez précipitamment. Aucune notification.

Autre scénario : vous partez en week-end, décidé à vous « déconnecter ». Les premières heures sont agréables. Puis l’anxiété monte. Que se passe-t-il sur vos messageries ? Quelles conversations manquez-vous ? Vous ressentez la « peur de rater quelque chose », connue sous l’acronyme FOMO (« Fear Of Missing Out »).

D’où vient cette inquiétude ? De notre cerveau programmé pour rechercher des récompenses ? De la pression sociale ? De nos habitudes numériques ? La réponse est probablement un mélange des trois, mais pas exactement de la manière dont on nous le raconte.

Ce que les penseurs nous ont appris sur l’anxiété sociale

En 1899, l’économiste Thorstein Veblen (1857-1929), l’un des théoriciens invoqués dans l’industrie du luxe décrit la « consommation ostentatoire » : l’aristocratie ne consomme pas pour satisfaire des besoins, mais pour signaler son statut social. Cette logique génère une anxiété : celle de ne pas être au niveau, de se retrouver exclu du cercle des privilégiés.

À la même époque, le philosophe allemand Georg Simmel (1858-1918) prolonge cette analyse en étudiant la mode. Il décrit une tension : nous voulons simultanément nous distinguer et appartenir. La mode résout temporairement cette contradiction, mais au prix d’une course perpétuelle. Dès qu’un style se diffuse, il perd sa valeur. Cette dynamique crée un système où personne n’est épargné : les élites doivent innover sans cesse tandis que les autres courent après des codes qui se dérobent.

En 1959, le sociologue Erving Goffman (1922-1982) théorise nos interactions comme des performances théâtrales. Nous gérons constamment l’impression donnée aux autres, alternant entre scène (où nous jouons notre rôle) et coulisses (où nous relâchons la performance). Sa question résonne aujourd’hui : que se passe-t-il quand les coulisses disparaissent ? Quand chaque instant devient potentiellement documentable, partageable ?

Enfin, plus récemment, le philosophe Zygmunt Bauman (1925-2017) a développé le concept de « modernité liquide » : dans un monde d’options infinies, l’anxiété n’est plus liée à la privation, mais à la saturation. Comment choisir quand tout semble possible ? Comment être certain d’avoir fait le bon choix ?

Ces quatre penseurs n’ont évidemment pas anticipé les réseaux sociaux, mais ils ont identifié les ressorts profonds de l’anxiété sociale : l’appartenance au bon cercle (Veblen), la maîtrise des codes (Simmel), la performance permanente (Goffman) et l’angoisse du choix (Bauman) – des mécanismes que les plateformes numériques amplifient de manière systématique.

FOMO à l’ère numérique

Avec la généralisation des smartphones, le terme se popularise au début des années 2010. Une étude le définit comme « une appréhension omniprésente que d’autres pourraient vivre des expériences enrichissantes desquelles on est absent ». Cette anxiété naît d’une insatisfaction des besoins fondamentaux (autonomie, compétence, relation) et pousse à un usage compulsif des réseaux sociaux.

Que change le numérique ? L’échelle, d’abord : nous comparons nos vies à des centaines de vies éditées. La permanence, ensuite : l’anxiété est désormais continue, accessible 24 heures sur 24. La performativité, enfin : nous ne subissons plus seulement le FOMO, nous le produisons. C’est ainsi que chaque story Instagram peut provoquer chez les autres l’anxiété que nous ressentons.

Le syndrome de vibration fantôme illustre cette inscription corporelle de l’anxiété. Une étude menée sur des internes en médecine révèle que 78 % d’entre eux rapportent ces vibrations fantômes, taux qui grimpe à 96 % lors des périodes de stress intense. Ces hallucinations tactiles ne sont pas de simples erreurs perceptives, mais des manifestations d’une anxiété sociale accrue.

Au-delà de la dopamine : une anxiété d’appartenance

De nombreux livres et contenus de vulgarisation scientifique ont popularisé l’idée que le FOMO s’expliquerait par l’activation de notre « circuit de récompense » cérébral.

Ce système fonctionne grâce à la dopamine, un messager chimique du cerveau (neurotransmetteur) qui déclenche à la fois du plaisir anticipé et une forte envie d’agir pour ne rien manquer. Dans le Bug humain (2019), Sébastien Bohler développe notamment la thèse selon laquelle notre cerveau serait programmé pour rechercher constamment davantage de ressources (nourriture, statut social, information).

Selon cette perspective, les plateformes de réseaux sociaux exploiteraient ces circuits neuronaux en déclenchant de manière systématique des réponses du système de récompense, notamment par le biais des signaux de validation sociale (likes, notifications), ce qui conduirait à des formes de dépendance comportementale.

D’autres travaux en neurosciences pointent vers une dimension complémentaire, peut-être plus déterminante : l’activation de zones cérébrales liées au traitement des informations sociales et à la peur de l’exclusion. Les recherches menées par Naomi Eisenberger et ses collègues depuis les années 2000 ont révélé que les expériences d’exclusion sociale activent des régions cérébrales qui chevauchent partiellement celles impliquées dans le traitement de la douleur physique.

Elles suggèrent que le rejet social constitue une forme de souffrance inscrite biologiquement. Ces deux mécanismes – recherche de récompense et évitement de l’exclusion – ne s’excluent pas mutuellement, mais pourraient opérer de manière synergique. Au fond, ce n’est pas tant le manque d’un like qui nous inquiète que le sentiment d’être en marge, de ne pas appartenir au groupe social.

Cette inscription neurobiologique de la peur de l’exclusion confirme, d’une autre manière, ce qu’avaient analysé Veblen, Simmel, Goffman et Bauman : l’anxiété d’appartenance constitue un ressort fondamental de nos comportements sociaux, que les plateformes numériques amplifient désormais de manière systématique.

Reprendre le contrôle de l’attention ?

L’anxiété sociale comparative n’a donc pas attendu Instagram pour exister. Mais il faut reconnaître une différence d’échelle : nos cerveaux, façonnés pour des groupes de quelques dizaines d’individus, ne sont pas équipés pour traiter le flux incessant de vies alternatives qui défile sur nos écrans.

Face à cette saturation, la déconnexion n’est pas une fuite mais une reconquête. Choisir de ne pas regarder, de ne pas savoir, de ne pas être connecté en permanence, ce n’est pas rater quelque chose – c’est gagner la capacité d’être pleinement présent à sa propre vie. Cette prise de conscience a donné naissance à un concept miroir du FOMO : le JOMO, ou « Joy of Missing Out », le plaisir retrouvé dans le choix conscient de la déconnexion et dans la réappropriation du temps et de l’attention.

The Conversation

Emmanuel Carré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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