La Syrie post-Assad : se reconstruire à travers l’art

Source: The Conversation – in French – By Albane Buriel, Associate lecturer, Université Rennes 2

Debout sur la statue renversée de Hafez Al-Assad, qui surplombait la ville de Deir Atiyeh, dans le Qalamoun (ouest du pays)… _La Chute_, de Mohamad Khayata, installation-photo. Mohamad Khayata, Fourni par l’auteur

À l’issue d’un récent séjour sur le terrain, Albane Buriel, chercheuse spécialisée en science de l’éducation, dresse un portrait ethnographique de la scène artistique syrienne depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad en décembre 2024. Des initiatives et des collectifs émergent, de Damas à Alep en passant par Homs. Les artistes se réapproprient les lieux, les visages et les souvenirs, pour rendre hommage aux victimes du régime. L’art s’impose comme un outil essentiel sur le chemin vers la reconstruction.


Ce séjour était mon troisième en Syrie, mais le premier dans un contexte de bascule. Entre mai et juin 2025, j’ai mené un terrain ethnographique à Damas, Homs et Alep, dans un pays suspendu entre chute autoritaire et recomposition fragile. La chute du régime Assad, survenue le 8 décembre 2024, ouvre une période de recomposition politique marquée par la libération du pays. J’ai tenté de comprendre ce que signifie « reconstruire une société » après quatorze ans de guerre.

J’ai vu un pays traversé par des dynamiques discrètes de recomposition, où l’art, la mémoire et la parole réinventent des formes de vie et de justice. À travers les gestes et les récits d’artistes et de collectifs, j’ai observé la réémergence d’une parole publique, fragile, mais puissante, souvent située dans les interstices du politique et du sensible.

De la révolution confisquée aux mots qui cherchent de l’espace

Pour comprendre l’effervescence actuelle, il faut revenir sur le long silence imposé dans le pays. Avant 2011, la scène artistique syrienne était vivante, mais étroitement surveillée. Quelques artistes formulaient des critiques feutrées, mais les lignes rouges du régime bridaient l’expression.

En 2011, la révolution change tout : slogans, banderoles, vidéos clandestines, théâtre de rue surgissent. L’art sort dans l’espace public. Très vite, la répression est brutale. L’expression devient un acte de survie. Les lieux culturels ferment, l’exil s’intensifie. Une scène artistique se recompose, souvent hors du pays.

Depuis la chute du régime, un souffle de liberté traverse l’espace public. Certains parlent enfin sans peur, circulent librement, exposent. Mais la libération reste fragile. Les blessures sont vives, les récits dissonants, les attentes multiples. Cette libération s’accompagne d’un appel à la reconnaissance : il s’agit de faire en sorte que la Syrie soit regardée autrement, non comme une terre d’exil ou de ruines, mais comme une société vivante, en quête de dignité. L’art redevient espace de deuil, de projection, de partage.

Réinvestir les lieux : mémoire populaire et héritage révolutionnaire

Lors de mon séjour, l’ancienne gare de Hijaz à Damas a accueilli une exposition consacrée aux célèbres pancartes de Kafranbel, ville du Nord-Ouest syrien devenue, dès 2011, le cœur visuel de la révolution.

Chaque vendredi, jour des manifestations, des habitants y créaient des affiches illustrées, drôles et acérées, appelant à la liberté et à la justice. Kafranbel était un véritable laboratoire de créativité populaire. L’exposition, conçue par de jeunes artistes syriens, proposait une relecture scénographiée de ces slogans iconiques. Présentés dans un espace patrimonial, les messages ne sont ni figés ni dépolitisés, mais restitués dans toute leur force. L’exposition affirmait ainsi un attachement à la mémoire populaire de la révolution, en permettant aux passants de la capitale de la redécouvrir dans un cadre poétique et accessible.

Exposition des banderoles de Kafranbel, gare de Hijaz, Damas.
Albane Buriel, CC BY

Autre lieu, autre geste. Au Musée national de Damas, l’exposition « Les détenus et les disparus », portée par la plateforme Mémoire créative de la révolution syrienne, retrace quatorze années de créations nées du soulèvement et de l’oppression : affiches, pancartes, slogans calligraphiés, poèmes, vidéos, peintures murales et visuels militants.

Une scénographie chronologique donne à voir les imaginaires politiques d’une révolution confisquée, depuis les slogans révolutionnaires jusqu’aux récits des détentions, des formes de résistance, des disparitions forcées, puis des procès de 2020 pour crimes contre l’humanité, engagés en Allemagne.

La photographie The Fall (la Chute), de Mohamad Khayata, clôt l’exposition comme elle clôt une époque (image présentée en tête de l’article, ndlr). Elle montre la statue renversée de Hafez Al-Assad, qui a longtemps surplombé la ville de Deir Atiyeh, dans le Qalamoun (ouest du pays). Sur le visage de la statue renversée, une femme se tient debout enveloppée dans une couverture traditionnelle. Cela ne s’apparente pas simplement à une fin, mais à un basculement d’imaginaire. Comme si cette énorme figure de béton, écrasée dans les gravats, laissait enfin place à autre chose.

En juin dernier, à la suite de cette exposition, l’artiste syrienne Rania Al-Najdi a présenté Origami Birds : For Those Who Will Not Be Forgotten (Oiseaux en origami : Pour ceux qui ne seront pas oubliés), une installation de 1 500 oiseaux de papier en hommage aux disparus syriens.

Ancienne prisonnière politique en 2013, Rania a conçu cette œuvre comme un acte de mémoire et de justice, en collaboration directe avec des familles des détenus. Chaque oiseau représente une vie volée, un inconnu de la liste du rapport « César ». Publié en 2014, il rassemble 55 000 photos exfiltrées par un déserteur de la police militaire syrienne, documentant la torture et l’exécution de milliers de détenus dans les prisons du régime Assad. Une absence devenue présence. L’exposition mêle éclairages sensibles, témoignages, sons et vidéos.




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L’exposition a réuni familles, citoyens et représentants d’institutions en quête de vérité. Rania rappelle :

« Ils ne sont pas que des prénoms. Nous devons rendre justice aux martyrs et aux détenus. »

Des familles syriennes brandissent les portraits de leurs proches disparus, pour que leurs visages ne tombent pas dans l’oubli.
Ali Hajsuleiman, CC BY

Des collectifs pour une mémoire vivante

Si ces expositions réinvestissent des lieux centraux, d’autres gestes se déploient en marge, dans les villes ou les interstices de l’institutionnel.

À Damas et Alep, la fondation MADAD, fondée par l’artiste Buthayna Ali, transforme des lieux abandonnés en scènes contemporaines. Depuis la chute du régime Assad, MADAD déploie des projets artistiques plus audacieux, visibles dans l’espace public et porteurs de récits longtemps refoulés.

L’exposition « Path » (avril 2025) est présentée dans le bâtiment abandonné Massar Rose à Damas. Elle réunit 29 artistes autour des thèmes de la mémoire, du pardon et du retour. Certaines œuvres – comme une épée d’argile fichée dans le sol ou des lettres brûlées – évoquent l’abandon de la violence et la transmission interrompue. Une volonté explicite de traiter les blessures du conflit dans un espace urbain reconquis.

« Embed », de Rala Tarabishi, rassemble 300 épées suspendues en argile. Elles symbolisent les émotions violentes et les blessures.
Ahmad Shhibar, CC BY

Aujourd’hui, MADAD prolonge cette démarche avec Unseen, un concours destiné aux jeunes artistes du nord du pays, explique Kinana Alkoud, une artiste investie dans le processus de sélection. L’exposition finale, prévue dans un hammam restauré à Alep, explorera ces choses que l’on voit sans regarder : gestes quotidiens, souvenirs enfouis, peurs silencieuses.

Homs : créer malgré l’instabilité

Homs, marquée par les destructions et les fractures communautaires, reste une ville à vif, où la mémoire divise encore.

Depuis 2020, le Harmony Forum développe des projets artistiques de consolidation de la paix. Son programme Beyond Colors 3 (2023–2024) a réuni vingt jeunes issus de confessions diverses. Peinture, installation, performance : les œuvres produites explorent la perte, l’exil, la reconstruction intime. Présentées dans une tente sur une place centrale, ces créations ont touché de nombreux visiteurs. Une artiste se souvient :

« Les gens racontaient leurs propres histoires. Leurs souvenirs faisaient écho à ce que nous avions voulu dire. »

Harmony Forum
Vue de l’installation « Un rêve temporaire », de Layla Al-Hashemy et Mario Butrus, dans la première tente.
Harmony Forum, CC BY

À Homs, un volontaire décrit un basculement depuis décembre 2024. Faute de sécurité suffisante, les expositions publiques ont laissé place à des films documentaires. Deux projets sont en cours : Revival, sur la mémoire de Homs et de sa campagne, et Fanjan, consacré au café arabe comme symbole de paix et de transmission. Une manière discrète, mais profonde de continuer à tisser du lien, malgré l’instabilité. Là où se réunir autour de la mémoire peut encore être perçu comme un risque.

Madaniya : pour une mémoire politique de la transition

Dans un registre plus explicitement politique, le collectif syrien Madaniya, fondé en 2023, en exil à l’époque, réunit artistes, chercheurs, militants et écrivains autour d’un même refus : celui d’une normalisation qui ne s’accompagnerait pas de justice rendue aux victimes. Ils défendent une reconstruction centrée sur la vérité, la mémoire et la réparation, où la culture devient un levier citoyen.

Leur programme, « Dialogue syrien sur la justice, la vérité et la réparation », multiplie les ateliers mêlant artistes, survivants et juristes pour penser les contours d’une justice post-conflit enracinée dans l’écoute et la vérité. Théâtre-témoignage, installations, archives visuelles : autant d’outils pour penser une justice sensible, partagée, en dehors des cadres classiques.

En mai dernier, à Damas, une veillée rendait hommage à Bassel Shehadeh, un jeune documentariste et journaliste tué en mai 2012 à Homs, devenu aujourd’hui l’un des symboles de la révolution. L’événement, conçu sous forme de veillée-performance, mêlait lectures poétiques, projection de vidéos d’archives, exposition de portraits et moment de silence collectif.

Témoignages des proches de Bassel Shehadeh durant la soirée-hommage.
Albane Buriel, CC BY

À travers cette diversité d’actions, Madaniya entend maintenir vivante une mémoire politique des soulèvements de 2011, et rappeler que la reconstruction ne peut se limiter à des infrastructures ou à des accords diplomatiques. Le collectif propose ainsi une vision critique et profondément incarnée de la transition, dans laquelle l’art devient un acte de résistance, de reconnaissance, et d’avenir.

Dans les marges, un futur à inventer

Ces exemples ne prétendent pas représenter toute la Syrie. Une large part de la population reste à distance : peur, précarité, silence. L’accès inégal à l’expression, la censure ou l’indifférence creusent les fractures. Ces dynamiques restent localisées, fragiles. Et pourtant, dans les marges, quelque chose se dit. Là où les institutions manquent, des gestes surgissent. L’art ne reconstruit pas un pays, mais il ouvre des brèches : pour dire, pour pleurer, pour résister. Il ne remplace ni les procès ni les réparations, mais offre un espace pour réhabiter le présent, comme en témoigne, par exemple, Romain Huët dans ses « Chroniques d’Ukraine : L’art face à la guerre » (The Conversation, 2022).

Dans un article publié en juin 2025 sur Al-Jumhuriya, un site d’analyse politique, Yassin al-Haj Saleh, écrivain et opposant politique au régime de Bachar Al-Assad, appelait à une justice existentielle. Il mettait en garde : sans vigilance, la transition pourrait favoriser une culture aseptisée, coupée de la mémoire du conflit.

Mais, selon lui, un apprentissage politique souterrain s’est tissé dans les ruines – une maturation lente qui pourrait fonder les bases d’une justice réparatrice, non seulement juridique, mais aussi culturelle et symbolique. Raison de plus pour prêter attention à ces signaux faibles. Sur les murs d’Alep, dans les ateliers de Homs ou les galeries de Damas, une autre Syrie se dessine – une Syrie qui tente, par fragments, de faire récit ensemble.

Mais ces signes d’ouverture restent ambivalents. Le nouveau régime, issu d’une matrice sécuritaire et militaire, tolère certaines formes d’expression artistique – tant qu’elles ne remettent pas en cause les équilibres fragiles du moment : cohésion communautaire, contrôle des récits sur la guerre, image de stabilité à l’international. La surveillance persiste, les lignes rouges demeurent floues, et les artistes pratiquent souvent une autocensure prudente, sans connaître clairement les limites à ne pas franchir. Les dénonciations explicites des crimes passés restent rares, et les récits sur les exactions commises par les différents camps – y compris ceux aujourd’hui au pouvoir – peinent à trouver leur place dans l’espace public. La mémoire, en Syrie, reste un terrain miné.

The Conversation

Albane Buriel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La Syrie post-Assad : se reconstruire à travers l’art – https://theconversation.com/la-syrie-post-assad-se-reconstruire-a-travers-lart-260652

Communautés en ligne : (re)connecter les personnes en quête de perte de poids et les professionnels de santé

Source: The Conversation – in French – By Steffie Gallin, Professeur Assistant, Montpellier Business School

Les personnes désireuses de perdre du poids se rassemblent de plus en plus dans des communautés en ligne. À l’heure où certains influenceurs font la promotion de méthodes amaigrissantes risquées allant jusqu’à l’usage détourné de médicaments, ces espaces numériques pourraient – s’ils étaient encadrés par des professionnels de santé – devenir un complément utile à l’accompagnement médical traditionnel.


Un Français sur deux est en situation de surpoids ou d’obésité. Pour tenter de perdre du poids, les personnes concernées ne font plus seulement appel aux professionnels de santé.

Il existe notamment des communautés en ligne consacrées au soutien à la perte de poids, qui proposent d’échanger avec des « pairs », des personnes « comme nous », qui rencontrent la même problématique.

Des communautés en ligne, sur les réseaux, entre patients…

Tantôt rattachées à une marque (à l’image de la très connue communauté Weight Watchers), tantôt lancées à l’initiative d’internautes sur des sites de santé généralistes (par exemple, Doctissimo) ou sur des réseaux sociaux, disposant parfois d’un comité scientifique composé de médecins (à l’image de certaines communautés entre patients, par exemple Carenity), ces communautés perdurent et continuent d’attirer de nouveaux membres.

Comment expliquer leur succès ? Peuvent-elles constituer un levier vers des comportements alimentaires plus équilibrés ? Comment concilier leur approche avec la prise en charge proposée par des professionnels de santé ?

La place prise par les influenceurs autour des régimes amaigrissants

La perte de poids est un parcours du combattant. C’est ce qui ressort des témoignages recueillis dans notre étude. De nature qualitative, elle a été menée auprès de 25 utilisateurs de communautés en ligne.

Annie, 43 ans, indique par exemple :

« J’aime bien la bonne cuisine, mais je me reprends en main du coup. Je pense que ce régime, ce sera jusqu’à la fin de ma vie, ça m’a aidée à prendre conscience que le surpoids se gère, mais c’est une attention de tous les jours. »

Différentes stratégies sont mises en œuvre pour perdre du poids : par exemple, se rendre dans le cabinet d’un professionnel de santé ou entreprendre un régime hypocalorique à l’instar du célèbre programme Weight Watchers (la marque a cessé ses activités en France fin 2024).

Mais désormais, certaines personnes qui souhaitent maigrir suivent des influenceurs santé/bien-être sur les réseaux sociaux. Cela témoigne d’une nouvelle ère pour les régimes dans laquelle les influenceurs sont particulièrement écoutés.

Les risques liés à la promotion d’usages détournés de médicaments

Actuellement, les influenceurs font une large promotion des sémaglutides tels que l’Ozempic, hors de tout contrôle médical, ce qui présente des risques contre lesquels les autorités de santé ont alerté. Ozempic est en effet un médicament contre le diabète qui est détourné de manière illégale de son usage initial parce qu’il induit une perte de poids.

À noter qu’il existe désormais une version de la même molécule, commercialisée sous le nom de Wegovy, indiquée cette fois pour traiter l’obésité dans des situations très précises. Ce nouveau médicament n’est disponible que sur ordonnance et les prescriptions sont très encadrées.




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Des « communautés de soutien » avec des personnes qui « nous ressemblent »

De nombreuses personnes se tournent également vers des communautés pour partager leur parcours de perte de poids et s’entraider.

Sabah, 35 ans, témoigne :

« Juste le fait de partager nos difficultés, je pense que ça fait quelque chose. Ça peut remonter le moral. »

Ces communautés aident à maintenir sa motivation, au travers des échanges avec des personnes qui ont le même vécu.

Lise, 53 ans, explique :

« Il y a une chose qui m’a toujours paru assez difficile, c’est d’être conseillée pour maigrir par des personnes qui sont filiformes. Quelque part, est-ce qu’elles savent vraiment ce que c’est qu’un régime et le vécu d’un régime ? […] Il y a une compréhension dans ces communautés qu’on n’a pas forcément avec un professionnel. »

Le corps médical ne peut donc plus omettre l’existence de ces lieux de rassemblement, de même que l’écoute et l’empathie dont les patients ont besoin et que ces professionnels n’ont pas toujours le temps de donner.

Ces communautés en ligne créées pour perdre du poids sont désignées par les participants comme des « communautés de soutien ». Le partage est au cœur de ces communautés.

Estelle, 32 ans, analyse :

« Je pense que quand on fait cette démarche-là d’aller sur les forums, on cherche à partager, à se soutenir. »

Ce soutien peut être de nature informationnelle, lorsque les utilisateurs échangent des conseils et des astuces, mais aussi de nature émotionnelle.

Jennifer, 22 ans, rapporte :

« Ça fait plaisir quand on dit qu’on a perdu du poids ou qu’on a fait un excès. C’est bien de se voir écrire “Continue, courage”. »

Les participants cherchent à échanger avec des personnes et « des profils qui [leur] ressemblent ». « Dans la même galère », « des personnes qui sont comme moi », « se trouver des points communs » constituent autant de façons de faire référence à des personnes que l’on pense être comme nous, auxquelles on s’identifie.

Un espace de partage pour manger mieux ?

Notre seconde étude, quantitative, menée auprès de 335 utilisateurs de communautés, montre que plus l’utilisateur se sent soutenu, plus il s’identifie aux membres de la communauté. Cependant, dans tout rassemblement social, des règles doivent être respectées pour que les échanges soient les plus sereins et profitables possibles.

Les règles ou normes qui régissent les communautés sont nombreuses : ne pas juger les autres, afficher sa perte de poids chaque semaine, être sincère, afficher ses menus, ne pas suivre de régime restrictif, participer tous les jours à la communauté ou encore se fixer un objectif précis.

Notre étude montre que plus les participants se conforment à ces règles, plus leur auto-efficacité augmente, ce qui se traduit notamment par une plus grande consommation de fruits et légumes, conformément aux recommandations officielles et à la littérature scientifique. Cette stratégie est reconnue comme efficace pour perdre du poids.

Claude, 70 ans, lorsqu’elle parle d’un partage de recettes sur la communauté, indique également :

« C’était un gratin de pâtes au saumon. Avec un poisson. Ça m’a donné une idée, car je n’ai pas l’habitude de faire ça. »

Myriam, 32 ans, ajoute :

« J’ai intégré le chocolat par exemple dans mon régime alimentaire alors que je ne mange pas du tout de chocolat de base. Je suis plutôt grignotage salé. Le fait d’avoir intégré le chocolat, je me rends compte que ça m’aide à tenir le coup sur une journée. C’est un petit moment de plaisir et ça, c’est un conseil que j’ai eu sur les forums. »

Un accompagnement supplémentaire pour les patients

Alors qu’une de nos précédentes recherches menée auprès de 23 experts en nutrition avait montré la défiance des professionnels de santé vis-à-vis de ces communautés en ligne (informations erronées possibles, trop de croyances, incitation à entreprendre des régimes restrictifs par exemple), ces experts pourraient en tirer parti pour une prise en charge multidimensionnelle du surpoids et de l’obésité.

Le recours à ces communautés pourrait constituer un accompagnement complémentaire dans le contexte actuel, dans lequel l’accent est mis sur le traitement des causes, et non seulement des conséquences de l’obésité, en faisant appel à des experts en nutrition mais aussi à des psychologues, des cardiologues et d’autres professionnels.

Alternatives aux communautés qui prônent des régimes décriés pour leur côté restrictif, des communautés développées, alimentées et encadrées par des professionnels de santé pourraient être source de bien-être psychologique pour leurs patients.




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Il reste encore du chemin à parcourir pour mieux (re)connecter patients et professionnels de santé. Le soutien doit être au cœur de la prise en charge du surpoids et de l’obésité, car il permet d’atteindre plus facilement ses objectifs.

The Conversation

Laurie Balbo a reçu des financements de l’ANR.

Marie-Christine Lichtlé et Steffie Gallin ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Communautés en ligne : (re)connecter les personnes en quête de perte de poids et les professionnels de santé – https://theconversation.com/communautes-en-ligne-re-connecter-les-personnes-en-quete-de-perte-de-poids-et-les-professionnels-de-sante-255233

Voir la planète respirer depuis l’espace, ou comment mesurer les gaz à effet de serre par satellite

Source: The Conversation – France in French (2) – By Carole Deniel, Responsable des programmes de composition atmosphérique et Climat, Centre national d’études spatiales (CNES)

Les activités humaines dégagent du CO<sub>2</sub>. Mais les arbres, les tourbières et les autres écosystèmes sont aussi capables d’en rejeter ou d’en stocker. ©CNES/ill. Oliver Sattler, 2021, Fourni par l’auteur

La quantité de CO2 dans l’atmosphère varie à cause des activités humaines, mais aussi en réponse au fonctionnement des écosystèmes, comme les arbres, qui absorbent et émettent du CO2 en respirant.

Grâce aux satellites, on peut ainsi voir la planète « respirer ». La nouvelle mission MicroCarb du Cnes doit décoller le 25 juillet de Guyane et vient rejoindre d’autres programmes pour suivre de près ce facteur important du changement climatique.


Les satellites sont devenus des outils indispensables pour suivre l’évolution du climat. En effet, les mesures denses et continues de la teneur en CO2 permettent d’identifier les sites d’émission ou au contraire d’absorption par les écosystèmes et les activités humaines.

Avec le lancement de la mission MicroCarb, qui est consacrée à la mesure précise de la concentration du CO2 atmosphérique, la France va apporter une contribution inédite à l’amélioration de notre connaissance du cycle du carbone.

Le rôle du CO₂ dans l’effet de serre

Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal moteur du changement climatique actuel. Sa concentration dans l’atmosphère a fortement augmenté depuis le début de l’ère industrielle, à cause de la combustion des énergies fossiles et des changements d’usage des terres (en particulier la déforestation).

Ce gaz joue un rôle fondamental dans l’effet de serre, le phénomène naturel par lequel certains gaz atmosphériques absorbent une partie du rayonnement infrarouge émis par la Terre. Le CO2 contribue ainsi à réchauffer la surface. Si cet effet est indispensable à la vie sur notre planète, son amplification par les activités humaines entraîne les modifications du climat dont nous ressentons déjà les conséquences et qui vont encore s’accentuer.




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Le changement climatique entraîne déjà des impacts majeurs : élévation du niveau des mers, intensification des événements extrêmes, réduction des glaciers, modification des régimes de précipitations, et bouleversements pour les écosystèmes et les sociétés humaines.

Le cycle du carbone : des mécanismes d’échange entre les écosystèmes déstabilisés par les émissions issues des activités humaines

Mais au-delà de son rôle moteur du changement climatique, le CO2 intervient aussi dans des rétroactions complexes au sein du cycle du carbone.

Malheureusement, les perturbations sur le cycle du carbone interrogent. Aujourd’hui, environ 55 % des émissions de CO2 sont absorbés naturellement par les océans (où il se dissout) et par la végétation terrestre (via la photosynthèse), qui jouent le rôle de « puits de carbone ». Cette absorption atténue partiellement l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère. Or, ces puits de carbone (océan et végétation) sont sensibles au changement climatique lui-même, ce qui conduit donc à des « rétroactions » entre climat et cycle du carbone.

foret et zone humide
Les forêts et les tourbières absorbent et stockent le dioxyde de carbone, mais le changement climatique affecte leur capacité à mitiger ainsi l’effet de ce gaz à effet de serre.
Juan Davila, Unsplash, CC BY



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Par exemple, quelles seront les conséquences s’ils deviennent moins efficaces du fait, par exemple, de la sécheresse récurrente qui atténue la capacité d’une forêt à absorber le carbone, ou d’autres impacts négatifs du changement climatique sur les écosystèmes ? De même, le réchauffement climatique entraîne des conditions favorables aux incendies, qui peuvent ainsi devenir des sources additionnelles et significatives de CO2 vers l’atmosphère.

Les États signataires de l’accord de Paris (2015) se sont engagés à réduire leurs émissions dans le but de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C, et même de rester aussi proche que possible de 1,5 °C. En 2024, les objectifs apparaissent difficiles à atteindre car, même si les émissions de certains pays ont commencé à décroître, les émissions continuent de croître globalement.

Dans ce cadre, il apparaît nécessaire, d’une part, de disposer d’un système indépendant pour suivre les émissions de CO2 aux échelles nationales et, d’autre part, de suivre l’évolution des flux naturels en réponse au changement climatique. Cela passe par une observation dense et continue des concentrations atmosphériques de CO2.

Mesurer les absorptions et émissions de carbone à l’échelle planétaire est un défi technique

Aujourd’hui, on mesure la concentration atmosphérique de CO2 proche de la surface, sur une centaine de stations très inégalement réparties sur la Terre. La série de données la plus iconique est celle de Mauna Loa, au sommet d’une des îles de l’archipel d’Hawaï, qui décrit la composition atmosphérique en continu depuis 1958. Depuis, plusieurs réseaux d’observation ont été mis en place et regroupés pour l’Europe dans le programme ICOS en 2015.

Quelques campagnes de mesures spécifiques apportent, par ailleurs, une description résolue sur la verticale depuis la surface jusqu’à près de 30 kilomètres d’altitude.

Malgré ces observations, la densité d’observations reste très insuffisante pour les objectifs scientifiques et sociétaux décrits ci-dessus. C’est pourquoi les satellites apportent un complément nécessaire, avec une mesure certes moins précise que celles des observations in situ, mais avec une densité très largement supérieure.

décollage de Véga-C
Le lanceur léger européen décollera dans la nuit du 25 au 26 juillet 2025 du Centre spatial guyanais pour placer en orbite les satellites d’observation français MicroCarb et CO3D (ici pris en photo lors du décollage avec la mission Biomass à bord).
©CNES/ESA/Optique Vidéo CSG/S. Martin, 2025, Fourni par l’auteur

Une dynamique internationale depuis quinze ans

Dans les rapports internationaux intergouvernementaux GEO (intergovernmental Group on Earth Observations) ou des agences spatiales du CEOS (Committee on Earth Observation Satellites), les groupes d’experts sont unanimes pour reconnaître le besoin de mesure de CO2 depuis l’espace.

Ainsi, la Jaxa (Japon) puis la Nasa (États-Unis) se sont lancé, dès 2009, dans la mesure du CO2 depuis l’espace.

Depuis quelques années, la Chine dispose également d’un programme spécifique ambitieux, avec de nombreux capteurs utilisant diverses technologies déjà en orbite, mais dont malheureusement les données restent très peu distribuées à la communauté internationale (communication entre agences).

En Europe, la Commission européenne a étendu son programme spatial de surveillance environnementale opérationnelle (appelé Copernicus, dont l’implémentation a été confiée à l’Agence spatiale européenne, l’ESA) – dont les missions de surveillance du CO₂ atmosphérique sont une priorité. Ainsi, les données de la mission européenne CO2M sont attendues d’ici fin 2027 pour permettre de mieux surveiller depuis l’espace les émissions anthropiques de CO2 grâce à une résolution spatiale de quatre kilomètres carrés et une fauchée de plus de 200 kilomètres permettant d’obtenir une image des panaches issus des émissions intenses localisées.

Avec le lancement prévu cet été de sa mission MicroCarb, développée en collaboration avec l’Agence spatiale du Royaume-Uni et la Commission européenne, le Centre national d’études spatiales (Cnes) va ouvrir la voie en Europe à des données précises de concentration de CO2.

La mission MicroCarb

MicroCarb est un microsatellite d’environ 200 kilogrammes équipé d’un spectromètre. Celui-ci mesure le rayonnement solaire réfléchi par la surface terrestre, après une double traversée dans l’atmosphère. La mesure à très haute résolution spectrale permet d’identifier les raies d’absorption du CO2, dont les intensités peuvent être reliées à la quantité de CO2 dans l’atmosphère.

Avec des outils sophistiqués qui prennent en compte l’ensemble de la physique de l’interaction entre le rayonnement solaire et les molécules de l’atmosphère, on peut en déduire une estimation de la concentration atmosphérique de CO2 avec une précision d’environ 0,25 % sur une surface d’environ 40 kilomètres carrés.

simulation du mode exploratoire pour observer les villes
Le satellite Microcarb va tester un nouveau mode de fonctionnement, qui permet de zoomer fortement pour avoir une résolution de l’ordre de 2 x 2 kilomètres carrés. Cette fonctionnalité est dite exploratoire.
©CNES, Fourni par l’auteur

Le satellite est sur une orbite héliosynchrone pour faire des mesures autour de midi, ce qui permet d’avoir un éclairement solaire d’une intensité nécessaire à la mesure. Cette mission va donc assurer une continuité avec les missions précédentes, en particulier celle de la Nasa dont la poursuite semble fortement compromise suite au budget prévisionnel du gouvernement Trump pour 2026, notamment pour les sciences de la Terre.

Par ailleurs, le spectromètre de MicroCarb est fondé sur un concept optique innovant par sa compacité permise par l’utilisation d’un seul détecteur pour l’ensemble des canaux de mesures et d’une bande spectrale inédite pour l’amélioration de la précision de mesure. En fonction des performances de MicroCarb, ces innovations pourraient être reprises pour les prochaines missions déjà en préparation.

The Conversation

Carole Deniel travaille à l’Agence Spatiale Francaise, le CNES.

François-Marie Bréon est Responsable Scientifique de la mission MicroCarb. Il est professeur invité au Collège de France sur l’année universitaire 2024-2025. Par ailleurs, il a une implication citoyenne en tant que vice-président et porte-parole de l’Association Française pour l’Information Scientifique (Afis).

ref. Voir la planète respirer depuis l’espace, ou comment mesurer les gaz à effet de serre par satellite – https://theconversation.com/voir-la-planete-respirer-depuis-lespace-ou-comment-mesurer-les-gaz-a-effet-de-serre-par-satellite-260931

Voyage en réalité virtuelle : un substitut au tourisme réel ou un impératif écologique ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Adel Ben Youssef, A. Professor, Université Côte d’Azur

L’Unesco a mis en place, en 2021, des visites virtuelles immersives de musées ou de sites touristiques patrimoniaux afin notamment de soulager les infrastructures locales et de les préserver. GroundPicture/Shutterstock

Parcourir le monde sans quitter son salon : c’est désormais possible grâce au tourisme virtuel. Mais ces expériences numériques sont-elles une incitation au voyage réel ou pourraient-elles s’y substituer durablement, notamment face aux contraintes écologiques   ?


Il y a trente ans tout pile, Nintendo sortait l’ancêtre du casque de réalité virtuelle (VR), le Virtual Boy. Si à l’époque, l’équipement a fait un flop, trois décennies plus tard ces casques redessinent les contours de pans entiers de l’économie… comme le tourisme.

Le tourisme virtuel désigne l’ensemble des expériences touristiques réalisées à distance, via des médias numériques. La littérature économique et en gestion propose de définir le tourisme virtuel comme « l’ensemble des activités des personnes qui, pour apprendre ou se divertir, s’immergent dans une réalité virtuelle (VR) afin d’avoir l’illusion de changer de lieu ». Ce tourisme dématérialisé s’oppose au tourisme in situ, c’est-à-dire le voyage physique sur place, avec son lot de déplacements, de rencontres et de sensations réelles.

En 2020-2021, confinements et restrictions ont empêché des millions de personnes de voyager. Faute de pouvoir se déplacer, beaucoup ont découvert les visites virtuelles pour satisfaire leur envie d’évasion. La demande pour ces expériences a explosé. Le musée du Louvre a enregistré plus de 10 millions de visites virtuelles en deux mois seulement. Aujourd’hui, ces offres numériques continuent d’attirer les utilisateurs, devenant une part intégrante du paysage touristique. Une question demeure : le tourisme virtuel est-il devenu une option sérieuse pour la durabilité du tourisme ?

Amuse-bouche numérique

L’arrivée d’une nouvelle vague de technologies numériques appelées Industrie 4.0 au début des années 2010 a permis l’éclosion d’applications sérieuses en matière de tourisme virtuel. Ces applications permettent, sans quitter son salon, de voyager de manière immersive dans divers endroits du monde réservés jusque là aux touristes « in-situ ». La question s’est alors imposée d’elle-même : dans quelle mesure le tourisme virtuel remplacerait les vacances réelles ?

Pour beaucoup de voyageurs, la réalité virtuelle reste surtout un moyen séduisant de découvrir une destination avant d’y aller physiquement, une sorte d’amuse-bouche numérique. Et cela fonctionne particulièrement auprès des jeunes générations. En 2023, 34 % des personnes âgées de 16 à 24 ans et 35 % des 25‑34 ans utilisaient la réalité virtuelle. À l’inverse, certaines circonstances précises – contraintes écologiques, frein financier ou raisons sécuritaires – poussent une partie des utilisateurs à envisager la réalité virtuelle en substitution au vrai voyage.

Coût des équipements

Nous sommes encore loin de confondre tourisme virtuel et réel. La réalité virtuelle, même immersive, reste privée des sensations physiques et des rencontres spontanées qui font la richesse d’un vrai voyage. Aucune simulation ne restitue complètement les sensations réelles, telles que les parfums, les goûts ou les rencontres spontanées, éléments essentiels qui font tout le charme d’un vrai séjour touristique.




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Un autre handicap à l’heure actuelle concerne les coûts des équipements. En France, l’Apple Vision Pro est vendu à partir de 3 999 euros. Ces coûts, jugés prohibitifs, ne permettent pas la démocratisation des usages. Cependant, de nouveaux casques associés aux smartphones, générant des expériences immersives de moindre qualité, arrivent massivement sur le marché. Des modèles autonomes comme le Meta Quest 3, à environ 549 euros, ou sa version plus abordable, le Meta Quest 3S, à environ 329 euros, rendent déjà la réalité virtuelle plus accessible au grand public. Leurs prix devraient encore baisser, comme pour toutes les technologies émergentes.

Gain écologique

Le vrai gain du tourisme virtuel se situe sur le plan écologique et environnemental. Le tourisme virtuel s’impose de nos jours comme une option durable pour limiter les impacts écologiques du tourisme. Une étude récente montre que le tourisme virtuel contribue à la réalisation de 12 des 17 des Objectifs de développement durable (ODD) et de 42 de leurs 169 cibles (25 %).

Remplacer un vol long-courrier par un voyage en réalité virtuelle représente un gain évident : aucun déplacement physique, c’est une empreinte carbone quasiment nulle par rapport au tourisme traditionnel. Par exemple, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), un seul vol aller-retour Paris-New York génère environ 1,7 tonne de CO₂ par passager, soit l’équivalent des émissions moyennes annuelles d’un Français pour le chauffage de son logement.

Eau de Venise limpide

Cette dimension a été mise en lumière lors des confinements, entre janvier et avril 2020, la réduction mondiale des émissions de CO2 a atteint environ 1 749 millions de tonnes, soit une baisse de 14,3 % par rapport à 2019. Elle est principalement due au secteur des transports (58 %).

À Venise, l’arrêt soudain du trafic touristique a rendu l’eau exceptionnellement limpide, permettant d’observer à nouveau les poissons dans les canaux.

Le tourisme virtuel apparaît comme une piste pour un tourisme plus durable et une réponse concrète au surtourisme dans des lieux très fréquentés ou fragiles comme le Machu Picchu 5pérou), Pompéi (Italie) ou la tour Eiffel à Paris. L’Unesco a lancé, dès 2021, des visites virtuelles immersives sur le Machu Picchu afin de détourner une partie du public, de soulager les infrastructures locales et de préserver ce site emblématique.

Ces voyages virtuels démocratisent l’accès à des lieux lointains ou difficiles d’accès. Les personnes à mobilité réduite (16 % de la population mondiale, selon l’Organisation mondiale de la santé), les familles à budget modeste ou les seniors qui ne peuvent plus prendre l’avion, peuvent découvrir le monde depuis chez eux. Cette accessibilité accrue, combinée à l’absence de frais de transport et d’hébergement, fait du tourisme virtuel une option bien plus économique pour le voyageur moyen. Cette dimension sociale est encore faiblement explorée.

Visite virtuelle avant le voyage

Des agences de voyage intégraient des visites immersives de leurs séjours, et des compagnies aériennes expérimentaient la réalité virtuelle en vol pour divertir leurs passagers. La compagnie aérienne allemande Lufthansa propose depuis plusieurs années des casques de réalité virtuelle dans ses salons d’aéroport, permettant aux voyageurs d’explorer virtuellement leurs futures destinations avant de monter à bord.

Pour la plupart, le virtuel ne remplace pas le voyage physique, il le complète. Le Club Med, déjà en 2016, proposait des visites immersives de ses villages aux Maldives (océan Indien). Des initiatives économiques sont apparues. Katie Wignall, une guide londonienne, a proposé des visites interactives permettant à des centaines de participants de découvrir depuis chez eux des lieux emblématiques de la capitale britannique, comme Buckingham Palace, ou des quartiers méconnus.

Vers une cohabitation du réel et du virtuel

À l’arrivée, faut-il opposer tourisme virtuel et tourisme in situ ? Plutôt que des rivaux, on peut y voir des formes complémentaires, appelées à coexister.

Les expériences numériques offrent un aperçu précieux, une manière d’apprendre, de préparer ou de prolonger un voyage. Elles permettent aussi de voyager autrement, de façon plus respectueuse de l’environnement ou plus accessible à ceux qui ne peuvent pas partir. D’un autre côté, le voyage physique demeure une aspiration profonde pour beaucoup : découvrir de ses propres yeux un paysage lointain, sentir l’atmosphère d’une ville, entrer en contact direct avec une autre culture – ce que le virtuel n’émule pas entièrement.

Les progrès rapides de l’intelligence artificielle (IA) pourraient changer la donne. Des agents intelligents capables de créer des expériences virtuelles sur mesure, immersives et dynamiques, rapprochent peu à peu le virtuel du réel, offrant des sensations inédites. Mais ces avancées posent aussi une question plus profonde : Jusqu’où accepterons-nous de confier notre désir d’évasion à des univers numériques générés par l’IA ?

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Voyage en réalité virtuelle : un substitut au tourisme réel ou un impératif écologique ? – https://theconversation.com/voyage-en-realite-virtuelle-un-substitut-au-tourisme-reel-ou-un-imperatif-ecologique-257416

Loup sinistre, souris laineuse et moa : tenter de déséteindre des espèces dans un environnement économique instable est très risqué

Source: The Conversation – in French – By Caroline Gans Combe, Associate professor Data, econometrics, ethics, OMNES Education

L’entreprise Colossal Biosciences a annoncé vouloir redonner vie aux moas, des oiseaux proches des autruches actuelles. John Megahan/Wikipédia, CC BY

Ils comptaient déjà faire revivre le mammouth laineux et le loup sinistre, voilà que l’entreprise états-unienne Colossal Biosciences se lance dans un nouveau projet de « désextinction » avec un oiseau géant, le moa, disparu il y a environ six cents ans. Ces projets posent de très nombreuses questions.


Dans un contexte où l’innovation biotechnologique et les politiques économiques semblent suivre des trajectoires divergentes, les États-Unis se trouvent à un tournant. Ces dernières semaines ont révélé un contraste marquant entre l’annonce de la mise au monde d’un jumeau génétique d’une espèce disparue et la volonté de remettre au monde un oiseau géant disparu depuis des siècles, la création d’une espèce inventée (une chimère) dans la perspective de déséteindre le mammouth et une instabilité financière importante, perpétuellement renouvelée par les discours et orientations économiques controversées de l’administration Trump.

Cette concomitance met en exergue des questions fondamentales sur l’éthique de l’innovation et sa viabilité dans un environnement économique rendu volontairement imprévisible.

La « résurrection » du loup sinistre dans une économie instable

Colossal Biosciences a attiré l’attention, il y a peu, en mettant au monde une créature ayant une structure génétique similaire à celle du loup sinistre (Canis dirus), prédateur géant disparu il y a 13 000 ans. Le processus mobilise extraction et reconstruction d’ADN ancien, puis édition génomique d’embryons actuels de loups, perpétuant l’élan donné par le séquençage du premier génome d’espèce éteinte en 2008.

Parallèlement, l’économie américaine traverse une période de turbulences sans précédent, rappelant les politiques mercantilistes où la richesse se mesurait à l’accumulation de métaux précieux et au protectionnisme. Les dernières semaines ont été marquées par le vote d’un texte qui met dette et déficits américains sur des trajectoires inquiétantes, une succession d’aller-retours vertigineux sur les droits de douane suspendus et réduits le 10 avril à 10 % pour 90 jours face à l’affolement des marchés financiers, mais pour finalement être – s’agissant de certains produits – réinstaurés le 4 juin et pour d’autres, reportés au 1er juillet et, enfin dernièrement, au 1er août.

Cette instabilité s’est amplifiée avec la dégradation historique de la note de la dette américaine par Moody’s de Aaa à Aa1 le 16 mai, la dernière agence à retirer son triple A au pays, justifiant sa décision par une dette de près de 36 000 milliards de dollars et la nécessité à très court terme de refinancer plus de 9 200 milliards de dollars. Même si les doutes sur la réalité de la mise en place de ces droits de douane prohibitifs ont calmé le jeu, la moindre étincelle relance le processus : les indicateurs de volatilité témoignent encore de cette nervosité extrême : l’indice VIX qui mesure la « peur » des marchés financiers face à une conjoncture donnée, a dépassé 60 points en avril 2025 avant de redescendre, la plus forte volatilité enregistrée depuis la pandémie de 2020, avec des pics à 45,30 points en « zone de panique » selon les analystes.

Aussi, les pratiques actuelles de renégociation commerciale et de menaces tarifaires réactivent une vision que la théorie économique moderne considère comme obsolète depuis Ricardo, pénalisant notamment les entreprises biotechnologiques, fortement dépendantes d’investissements à long terme et de financements stables.


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Des défis éthiques et économiques

Un premier enjeu est l’impact de l’incertitude économique sur l’innovation biotechnologique. Les projets comme celui du loup sinistre ou du moa sont vulnérables : qu’adviendrait-il si les financements s’arrêtaient brusquement ? Contrairement aux essais cliniques, il n’existe pas de protocoles de gestion pour l’arrêt prématuré d’un projet de désextinction : euthanasie, vente douteuse, voire lâcher incontrôlé ne relèvent pas de la science-fiction, d’autant plus lorsque des espèces n’ayant pas d’existence historique sont concernées.

Les implications écologiques sont incalculables, l’ADN seul ne garantissant ni comportement ni adaptation harmonieuse d’un prédateur disparu depuis des millénaires à des écosystèmes profondément modifiés.

Pour une éthique des espèces chimériques ?

Au-delà des questions de viabilité économique, la stratégie adoptée pour ressusciter le loup sinistre ou le mammouth laineux soulève des interrogations éthiques inédites. Le processus implique nécessairement la création d’organismes intermédiaires : des « espèces tests » n’ayant jamais existé dans l’histoire du vivant à l’image de la souris laineuse récemment dévoilée.

Ces créatures chimériques, fruits d’une ingénierie génétique expérimentale, posent la question fondamentale de notre droit à créer des formes de vie inédites dans le seul but d’en parfaire d’autres. L’instabilité scientifique actuelle aux États-Unis – véritable « guerre contre la science » – aggrave cette problématique : la pression exercée sur les chercheurs pour obtenir des résultats rapides et spectaculaires, combinée à l’incertitude des financements, pourrait conduire à multiplier ces expérimentations sur des « organismes prototypes » sans garantie de leur bien-être ni de leur devenir à long terme.

Dans un environnement où les projets peuvent être brutalement interrompus pour des raisons politiques ou économiques, que devient la responsabilité morale envers ces êtres créés uniquement comme étapes vers un objectif hypothétique ? Cette dérive instrumentalise le vivant au service d’une promesse technologique, dont la réalisation demeure incertaine, soulevant des questions déontologiques qui dépassent largement le cadre de la recherche scientifique traditionnelle.

Une deuxième question touche à notre rapport à la biodiversité. La désextinction, réponse séduisante à la crise écologique actuelle, pourrait créer un « biais d’optimisme technologique » et détourner des efforts classiques de préservation des espèces et des habitats. De plus, les choix d’espèces à ressusciter paraissent guidés par une sorte de « prestige culturel » de candidats considérés (mammouth, loup sinistre, moa) plutôt que par des critères écosystémiques, interrogeant sur la finalité réelle de ces projets : restauration écologique ou satisfaction de l’ego ou de la curiosité humaine ?

Enfin, la question de la compatibilité entre innovation de rupture et instabilité institutionnelle se pose. Schumpeter, qui voyait dans la « destruction créatrice » un moteur de changement, insistait aussi sur la nécessité d’un socle institutionnel solide. Or, la volatilité politique et économique aux États-Unis fragilise ce socle. Les avancées biotechnologiques exigent des régulations prévisibles, un système fiable de propriété intellectuelle, des financements pérennes et une capacité à identifier des marchés, conditions aujourd’hui menacées outre-Atlantique. Les entreprises du secteur des biotechnologies doivent alors adapter leurs stratégies au détriment de la continuité scientifique.

Vers un nouveau foyer de l’innovation biotech ?

Dans ce contexte, l’Union européenne se profile comme une alternative solide, avec un marché unique, un cadre réglementaire stable, et des politiques de financement intégrées autour de l’excellence scientifique et de l’impact sociétal (cf. Horizon Europe). L’engagement politique en faveur de la biodiversité y représente un atout, de même que le recours actif au principe de précaution et le soutien public « à la recherche et à l’innovation responsables (RRI) ». Cela permet une anticipation des impacts sociaux et environnementaux et une implication des acteurs concernés, particulièrement crucial pour les technologies controversées.

La réglementation européenne, récemment renforcée sur la biosécurité, ménage une voie prudente, entre le laisser-faire américain et des interdictions pures et simples, et s’appuie sur un dialogue entre science, politique et société civile, propice à l’élaboration de normes éthiques partagées. L’écosystème du financement, mêlant fonds publics, capital-risque et crowdfunding, réduit la vulnérabilité aux cycles économiques et favorise la viabilité à long terme des innovations.

Dans ce contexte, le récent vote de la loi Duplomb en France semble constituer un message incompréhensible et une erreur économique qui recrée l’instabilité institutionnelle là où elle avait disparu. En réintroduisant des pesticides interdits depuis 2018 et en assouplissant les garde-fous environnementaux, cette législation génère une volatilité réglementaire préjudiciable aux biotechnologies. Les secteurs innovants perçoivent ces revirements comme des signaux d’imprévisibilité institutionnelle compromettant l’attractivité des territoires concernés.

Cette incohérence normative menace l’image de la France comme territoire d’accueil stable pour les innovations technologiques, particulièrement dans l’agriculture de précision où la cohérence réglementaire conditionne les investissements R&D. L’adoption controversée de ce texte, contre tous les avis scientifiques, illustre la façon dont l’incohérence politique pourrait transformer un avantage concurrentiel européen en handicap économique.

La coexistence inquiétante du loup sinistre « ressuscité » et d’une économie américaine déstabilisée par ses propres choix illustre bien nombre de dilemmes contemporains. Dans ce contexte, l’innovation biotechnologique se distingue, car elle ne requiert pas seulement des prouesses techniques, mais aussi un environnement stable et un cadre éthique rigoureux.

Les technologies de désextinction, fascinantes mais problématiques, posent des questions essentielles sur notre rapport à la nature, sur la responsabilité intergénérationnelle et sur l’orientation du progrès.

Alors que les États-Unis semblent s’éloigner d’une innovation responsable, l’Europe pourrait s’imposer comme le nouveau berceau de ces avancées, si tant est que les pays membres ne sombrent pas eux-mêmes dans l’incohérence réglementaire. Mais où que se développe l’innovation, le débat éthique que suscite la désextinction nécessite une réflexion collective et transnationale, dépassant les logiques de marché et les frontières géopolitiques.

The Conversation

Caroline Gans Combe a reçu des financements de l’Union européenne dans le cadre des projets DEFORM et ProRes.

ref. Loup sinistre, souris laineuse et moa : tenter de déséteindre des espèces dans un environnement économique instable est très risqué – https://theconversation.com/loup-sinistre-souris-laineuse-et-moa-tenter-de-deseteindre-des-especes-dans-un-environnement-economique-instable-est-tres-risque-255661

Ces cellules du cerveau qui pourraient aider à lutter contre l’obésité

Source: The Conversation – in French – By Enrica Montalban, Post-doctorante, Inrae

Les astrocytes, ici en vert, au milieu des neurones en rouge, sont un type de cellules présentes dans le cerveau. Dchordpdx/Wikipedia, CC BY

Bien que leur rôle soit moins connu que celui des neurones, les astrocytes sont des cellules essentielles au fonctionnement du cerveau. Une nouvelle étude, chez la souris, parue dans la revue Nature communications révèle le rôle des astrocytes du striatum, une structure du circuit de la récompense, dans le contexte de l’obésité induite par une alimentation enrichie en graisses et en sucres. Ces cellules pourraient représenter une cible intéressante pour le traitement des maladies métaboliques.


Le cerveau est constitué de milliards de neurones. Ce sont des cellules excitables, c’est-à-dire qu’elles peuvent générer des potentiels d’actions et transmettre des informations aux autres neurones sous forme de courant électrique. Cependant, les neurones ne constituent que la moitié des cellules du cerveau, l’autre moitié étant constitué de cellules gliales, parmi lesquelles on trouve les astrocytes. Ces derniers sont impliqués dans de nombreuses pathologies du cerveau telles que les maladies neurodégénératives (la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson), les troubles psychiatriques ou l’épilepsie.

Contrairement aux neurones, les astrocytes ne peuvent pas générer de courants électriques, mais présentent des variations de leur concentration en calcium intracellulaire. Le calcium intracellulaire est impliqué dans de nombreux processus liés au fonctionnement des cellules et aurait un rôle indispensable pour la physiologie des astrocytes. Le fait que les astrocytes soient silencieux pour les méthodes classiques d’enregistrement de l’activité cérébrale telles que l’électroencéphalogramme (ECG) a rendu leur étude beaucoup plus lente et difficile. Par conséquent, leur rôle a été largement sous-estimé et nous sommes encore loin d’avoir élucidé la manière dont ils communiquent avec les neurones.

C’est avec le développement d’outils d’imagerie ciblant des acteurs cellulaires spécifiques que leur rôle dans les processus cérébraux peut enfin être élucidé. Les résultats que nous avons obtenus permettent de mettre en évidence plusieurs caractéristiques de l’activité astrocytaire dans le contexte de l’obésité induite par l’alimentation enrichie en graisse et en sucre.

Quand le corps n’équilibre plus la balance énergétique

L’obésité est un problème majeur de santé publique, affectant 17 % de la population française et accroissant le risque relatif d’un ensemble de pathologies : par exemple, les maladies cardiaques, l’hypertension, le diabète de type 2, des maladies du foie et certaines formes de cancer. Cette pathologie est complexe et implique différents facteurs dont la contribution au développement de l’obésité varie considérablement d’un individu à l’autre : ces facteurs sont génétiques, environnementaux (comme le stress ou la qualité du sommeil) ou liés aux habitudes alimentaires. Une alimentation enrichie en graisses et en sucres est définitivement une coupable identifiée.

Notre corps maintient un état d’équilibre appelé homéostasie, grâce à un mécanisme de régulation précis qui équilibre les apports nutritionnels et les dépenses énergétiques. Cet équilibre de la balance énergétique est réalisé grâce à des circuits cérébraux bien identifiés, impliquant notamment l’hypothalamus. Toutefois, un autre moteur puissant de l’alimentation est l’aspect hédonique de la nourriture, c’est-à-dire le plaisir que nous trouvons à consommer des aliments appétissants, au-delà des besoins énergétiques du corps. Cette motivation à manger pour le plaisir repose notamment sur la libération de dopamine au niveau d’une région cérébrale appelée striatum.

Il a été démontré que l’obésité induite par l’alimentation était associée à des altérations de la transmission de la dopamine, à des dérèglements alimentaires de type addictif/compulsif ainsi qu’à une altération de la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à s’adapter facilement à de nouvelles situations.

Les astrocytes, des cellules protectrices des neurones

Si l’implication des neurones (qui libèrent ou répondent à la dopamine) a été beaucoup étudiée dans le cadre de ces processus physiologiques et physiopathologiques, le rôle des astrocytes a longtemps été négligé.

L’excès de nutriments favorise des mécanismes inflammatoires dans le cerveau qui s’accompagnent de la libération de substances susceptibles de modifier le fonctionnement des neurones et des astrocytes. Or les astrocytes occupent une place stratégique dans le cerveau, à l’interface entre les vaisseaux sanguins et les neurones, ces cellules pivots permettraient de contrôler aussi bien l’information neuronale que l’apport énergétique. En condition d’excès nutritionnel dans la circulation, elles pourraient constituer un premier rempart qui protégerait les neurones des altérations induites par les éléments circulant dans le sang.

Coupe de cerveaux de souris montrant les astrocytes (en vert) au niveau du striatum. L’obésité modifie la forme des astrocytes qui deviennent réactifs, un signe d’inflammation cérébrale.
Montalban et al./Nature Communication, Fourni par l’auteur

Dans notre travail, réalisé chez la souris, nous montrons tout d’abord que les régimes gras affectent la structure et la fonction des astrocytes du striatum.

Nous avions déjà caractérisé de telles modifications dans l’hypothalamus, la région impliquée dans l’initiation de la prise alimentaire et qui est en contact étroit avec le compartiment sanguin, mais elles étaient très peu caractérisées dans le striatum. Nous montrons, d’une part, une réactivité des astrocytes, qui s’exprime par des modifications morphologiques, et, d’autre part, des changements dans la dynamique des flux calciques, susceptibles d’altérer leur communication avec les neurones de la structure.

Un impact sur la flexibilité cognitive et le métabolisme énergétique

Cette observation faite, nous avons décidé de manipuler directement les astrocytes par une approche permettant de forcer une cascade de signalisation dans les cellules en insérant spécifiquement dans les astrocytes un récepteur synthétique jouant le rôle d’interrupteur. Cette approche permet en particulier d’induire une vague de calcium (un second messager clé au niveau intracellulaire) afin d’en observer les conséquences.

Que se passe-t-il si l’on augmente artificiellement la quantité de calcium et que l’on « active » les astrocytes ? Est-ce que cela a un impact sur l’activité neuronale et le comportement des souris ?

L’activation de cet interrupteur moléculaire et l’afflux de calcium cohérent dans la population d’astrocytes ciblée a effectivement eu pour conséquence de modifier la cinétique et la réponse des neurones avoisinants démontrant ainsi, pour la première fois, que la manipulation des astrocytes pouvait interférer avec les réseaux neuronaux.

Nous avons appliqué cette technique en comparant des souris nourries avec un régime standard avec des souris rendues obèses par un régime enrichi en graisses et en sucres. Les souris sous régime enrichi présentent des défauts cognitifs qui s’expriment par une difficulté à s’adapter à une nouvelle situation. Dans notre cas, les souris devaient apprendre qu’une récompense était située dans le bras gauche d’un labyrinthe, puis nous avons examiné comment elles s’adaptaient si nous changions le bras récompensé.

Dans ce contexte, les souris nourries avec un régime enrichi avaient du mal à s’adapter, or l’activation forcée des astrocytes du striatum dorsal a permis aux animaux de réapprendre facilement la tâche, et ce, en absence de perte de poids. La manipulation des astrocytes du striatum a ainsi permis de corriger l’altération cognitive induite par le régime riche.

Si le striatum est bien connu pour son rôle dans les processus cognitifs et motivationnels, cette structure cérébrale n’est pas traditionnellement associée à la régulation du métabolisme corporel. Notre étude apporte un élément supplémentaire dans ce sens. En effet, nous montrons que la manipulation in vivo des astrocytes dans le striatum exerce un contrôle sur le métabolisme énergétique de l’animal en affectant particulièrement le choix des substrats métabolique (lipides ou sucres) utilisés par la souris pour assurer son métabolisme. Après activation des astrocytes, elles utilisent plus de lipides.

Ce travail révèle un rôle nouveau pour les astrocytes dans les circuits de la récompense. Ils participent en effet au contrôle des fonctions cognitives et nos résultats illustrent pour la première fois leur capacité à restaurer une fonction cognitive dans un contexte obésogène. D’autre part, ce travail établit un lien direct entre les astrocytes du striatum et le contrôle du métabolisme énergétique global de l’animal.

Une approche prometteuse consisterait à développer des stratégies thérapeutiques ciblant spécifiquement les astrocytes, plutôt que les neurones, au sein du système de la récompense, dans le traitement de l’obésité et, plus largement, des pathologies métaboliques.

The Conversation

Serge Luquet a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ANR-19-CE37-0020-02, ANR-20-CE14-0020, and ANR-20-CE14-0025-01, la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) FRM Project #EQU202003010155.

Claire Martin et Enrica Montalban ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Ces cellules du cerveau qui pourraient aider à lutter contre l’obésité – https://theconversation.com/ces-cellules-du-cerveau-qui-pourraient-aider-a-lutter-contre-lobesite-261213

Le mode privé vous garantit-il l’anonymat sur Internet ?

Source: The Conversation – France in French (2) – By Sabrine Mallek, Professeure Assistante en Transformation Digitale, ICN Business School

La plupart des navigateurs proposent une « navigation privée », souvent perçue comme un moyen de surfer anonymement. Pourtant, ce mode ne garantit pas l’anonymat en ligne, et de nombreux internautes surestiment sa portée.


La navigation privée permet d’éviter que quelqu’un d’autre ayant accès à votre ordinateur voie vos activités en ligne a posteriori. C’est utile, par exemple, sur un ordinateur public ou partagé, pour ne pas laisser d’identifiants enregistrés ni d’historique compromettant.

Cependant, il est important de comprendre que cette confidentialité est avant tout locale (sur votre appareil). Le mode privé n’implique pas de naviguer de façon anonyme sur le réseau Internet lui-même. Il ne s’agit pas d’un « bouclier d’invisibilité » vis-à-vis des sites web visités, de votre fournisseur d’accès à Internet (FAI), ou de votre employeur.

Comme l’indique la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), même en mode privé, les sites peuvent collecter des informations via des cookies (des petits fichiers qui enregistrent vos préférences et activités en ligne) ou des techniques de fingerprinting, qui permettent d’identifier un utilisateur de façon unique en analysant les caractéristiques techniques de son navigateur.

Le mode privé présente de nombreuses limites

Des études confirment les limites techniques du mode privé. Des traces subsistent malgré la fermeture de la session, en contradiction avec ce qu’affirme la documentation du navigateur. Une analyse sur Android a révélé que la mémoire vive conserve des données sensibles : mots-clés, identifiants, cookies, récupérables même après redémarrage.

Le mode privé ne bloque pas les cookies publicitaires, il les supprime simplement en fin de session. Lorsqu’on revient sur un site dans une nouvelle session privée, celui-ci ne « se souvient » pas des choix précédents : il faut donc souvent redéfinir ses préférences (accepter ou refuser les cookies). Les bannières de consentement aux cookies, bien connues des internautes européens depuis l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la directive ePrivacy, réapparaissent donc systématiquement. La fatigue du consentement pousse de nombreux internautes à tout accepter sans lire.

En France, 65 % des internautes acceptent systématiquement les cookies, malgré une meilleure information sur le sujet ces dernières années. Pourtant, les internautes sont conscients des risques liés à leur vie privée en ligne, mais n’agissent pas systématiquement, souvent par manque de connaissances ou de confiance dans les outils disponibles. Certains sites dissimulent même l’option « Refuser » pour vous influencer : un panneau bien conçu peut réduire de moitié les acceptations.

Quelles alternatives pour se protéger réellement ?

Le mode privé ne suffit pas à garantir l’anonymat en ligne. Pour mieux protéger sa vie privée, il faut combiner plusieurs outils.

Un VPN (virtual private network ou réseau privé virtuel, en français) crée un tunnel sécurisé entre votre appareil et Internet, permettant de naviguer de façon plus confidentielle en chiffrant vos données et en masquant votre adresse IP. En 2024, 19 % des utilisateurs de VPN français souhaitent avant tout cacher leur activité, et 15 % protéger leurs communications.

Un navigateur comme Tor va plus loin : il rebondit vos requêtes via plusieurs relais pour masquer totalement votre identité. C’est l’outil préféré des journalistes ou militants, mais sa lenteur peut décourager un usage quotidien. Des alternatives comme Brave ou Firefox Focus proposent des modes renforcés contre les traqueurs, tandis que des extensions comme uBlock Origin ou Privacy Badger bloquent efficacement pubs et trackers. Ces extensions sont compatibles avec les principaux navigateurs comme Chrome, Firefox, Edge, Opera et Brave.

Il est aussi essentiel d’adopter une hygiène numérique : gérer les cookies, limiter les autorisations, préférer des moteurs comme DuckDuckGo, qui ne stockent pas vos recherches, ne vous profile pas et bloque automatiquement de nombreux traqueurs, et éviter de centraliser ses données sur un seul compte. En ligne, la vraie confidentialité repose sur une approche globale, proactive et éclairée.

The Conversation

Sabrine Mallek ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le mode privé vous garantit-il l’anonymat sur Internet ? – https://theconversation.com/le-mode-prive-vous-garantit-il-lanonymat-sur-internet-258648

Échecs : quand un professeur de statistiques enquête sur des allégations de tricherie au plus haut niveau

Source: The Conversation – France in French (2) – By Jeffrey S. Rosenthal, Professor of Statistics, University of Toronto

Lorsque l’ancien champion du monde d’échecs Vladimir Kramnik a laissé entendre qu’Hikaru Nakamura, l’un des meilleurs joueurs du monde actuellement, trichait sur la plateforme en ligne Chess.com, un statisticien a été appelé pour enquêter.


En tant que professeur de statistiques, il n’est pas fréquent que je sois contacté directement par le PDG d’une entreprise valant plusieurs millions de dollars, et encore moins au sujet d’une histoire d’allégations de tricherie et de malversations impliquant des champions du monde d’échecs.

C’est pourtant ce qui s’est passé l’été dernier. Erik Allebest, PDG du plus grand site d’échecs en ligne au monde, Chess.com, m’a demandé d’enquêter sur les allégations de l’ancien champion du monde d’échecs Vladimir Kramnik concernant les longues séries de victoires d’un des meilleurs joueurs du monde, l’Américain Hikaru Nakura.

Kramnik a déclaré que ces séries avaient une très faible probabilité de se produire et qu’elles étaient donc très suspectes. Il n’a pas formellement accusé Hikaru de tricherie, mais le sous-entendu était clair. Sur Internet, les esprits se sont vite échauffés : les partisans de Kramnik postant des commentaires virulents (souvent en russe) sur cette présumée tricherie, tandis que de nombreux joueurs de Chess.com et partisans d’Hikaru rejetaient les accusations.

Qui a raison ? Qui a tort ? Est-il possible de trancher ?

Erik Allebest m’a demandé de réaliser une analyse statistique indépendante et impartiale pour déterminer le degré d’improbabilité de ces séries de victoires.

Le calcul de probabilités

Pour résoudre ce problème, j’ai d’abord dû calculer la probabilité que chaque joueur gagne ou fasse match nul dans chaque partie. Les joueurs peuvent avoir des niveaux de jeu très différents. Les meilleurs ont évidemment plus de chances de vaincre des adversaires moins expérimentés. Mais à quel point ?

Chess.com attribue un classement à chaque joueur qui varie après chaque partie, et ces notes m’ont été communiquées. Mon analyse a suggéré qu’un modèle mathématique pouvait fournir une estimation précise des probabilités de victoire, de défaite ou de nulle pour chaque partie.

En outre, les écarts par rapport à cette probabilité dans les résultats de parties successives étaient approximativement indépendants, de sorte que l’influence d’une partie sur la suivante pouvait être ignorée en toute sécurité. J’ai ainsi obtenu une probabilité claire que chaque joueur gagne (ou perde) chaque partie.

Je pouvais alors analyser ces séries de victoires qui avaient provoqué tant de débats enflammés. Il s’est avéré qu’Hikaru Nakamura, contrairement à la plupart des autres joueurs de haut niveau, avait joué de nombreuses parties contre des joueurs beaucoup plus faibles. Cela lui donnait donc une très grande probabilité de gagner chaque partie. Mais malgré cela, est-il normal d’observer de si longues séries de victoires, parfois plus de 100 parties d’affilée ?

Tester le caractère aléatoire

Pour le vérifier, j’ai effectué ce que l’on appelle des simulations de Monte Carlo, qui répètent une expérience en intégrant des variations aléatoires.

J’ai codé des programmes informatiques pour attribuer au hasard des victoires, des défaites et des nuls à chaque partie d’Hikaru Nakamura, selon les probabilités de mon modèle. J’ai demandé à l’ordinateur de mesurer à chaque fois les séries de victoires les plus surprenantes (les moins probables). Cela m’a permis de mesurer comment les séries réelles d’Hikaru pouvaient se comparer aux prédictions.

J’ai constaté que dans de nombreuses simulations, les résultats simulés comprenaient des séries tout aussi « improbables » que les séries réelles.

Cela démontre que les résultats d’Hikaru aux échecs étaient à peu près conformes à ce que l’on pouvait attendre. Il avait une telle probabilité de gagner chaque partie, et avait joué tellement de parties sur Chess.com, que des séries de victoires aussi longues étaient susceptibles d’émerger selon les règles des probabilités.

Les réponses à mes découvertes

J’ai rédigé un bref rapport à propos de mes recherches et l’ai envoyé à Chess.com.

Le site a publié un article, qui a suscité de nombreux commentaires, pour la plupart favorables.

Nakamura a ensuite publié son propre commentaire en vidéo, soutenant également mon analyse. Pendant ce temps, Kramnik a publié une vidéo de 29 minutes critiquant mes recherches.

Ce dernier ayant soulevé quelques points importants, j’ai rédigé un addendum à mon rapport pour répondre à ses préoccupations et montrer qu’elles n’avaient pas d’incidence sur la conclusion. J’ai également converti mon rapport en un article scientifique que j’ai soumis à une revue de recherche.

Puis je me suis ensuite consacré à mes tâches d’enseignant et j’ai laissé de côté les controverses sur les échecs jusqu’à ce que je reçoive une réponse de plus de six pages en décembre dernier. Il s’agissait de trois rapports d’arbitres et de commentaires d’éditeurs de la revue dans laquelle j’avais soumis mon article scientifique.

J’ai également découvert que Kramnik avait posté une deuxième vidéo de 59 minutes critiquant mon addendum et soulevant d’autres points.

J’ai tenu compte des points supplémentaires soulevés par Kramnik et par les arbitres tout en révisant mon article en vue de sa publication. Il a finalement été publié dans Harvard Data Science Review.

J’étais heureux de voir mes résultats publiés dans une prestigieuse revue de statistiques, ce qui leur conférait un sceau d’approbation officiel. Et peut-être, enfin, de régler cette controverse sur les échecs au plus haut niveau.

The Conversation

Jeffrey S. Rosenthal reçoit des fonds de recherche du CRSNG du Canada, mais n’a reçu aucune compensation de Chess.com ou de qui que ce soit d’autre pour ce travail.

ref. Échecs : quand un professeur de statistiques enquête sur des allégations de tricherie au plus haut niveau – https://theconversation.com/echecs-quand-un-professeur-de-statistiques-enquete-sur-des-allegations-de-tricherie-au-plus-haut-niveau-260884

Faut-il peler les fruits, ou se prive-t-on de ce qu’ils ont de meilleur ?

Source: The Conversation – in French – By Cristina López de la Torre, DIRECTORA DE DEPARTAMENTO DE FARMACIA Y NUTRICIÓN, Universidad Europea

La science nous invite à considérer les épluchures non pas comme des déchets, mais comme une autre partie de l’aliment. Lia Sanz/Shutterstock

La plupart des gens jettent la peau des fruits et légumes. Mais est-ce vraiment la meilleure chose à faire ? Des experts donnent des arguments pour et contre la consommation de la peau, cette partie de l’aliment dont l’intérêt nutritionnel reste sous-estimé.


Chaque jour, des millions de personnes dans le monde épluchent leurs fruits et légumes avant de les manger. Ce geste, fait de manière automatique, est hérité d’habitudes familiales ou alors soutenu par l’idée selon laquelle il s’agit là d’une façon de manger plus « saine ».

Cependant, cet acte apparemment innocent est plus controversé qu’il n’y paraît. En effet, si ce geste peut sembler plus hygiénique, il s’avère que la peau des fruits et légumes est pleine de nutriments, ce qui remet en cause les bénéfices de l’épluchage de ces aliments.

Cependant, et c’est là que réside le dilemme, la peau des fruits et légumes peut également contenir des résidus de pesticides.

La question posée est donc la suivante : à quoi devons-nous prêter le plus d’attention, aux nutriments que nous perdons en épluchant les fruits ou aux pesticides que nous évitons d’ingérer ?

Une étude publiée dans Current Research in Food Science se penche sur ce dilemme et conclut que la réponse, comme pour beaucoup d’autres questions liées à l’alimentation, est loin d’être simple.

Ce que nous perdons en épluchant un fruit

La peau de la pomme contient environ deux fois plus de fibres que la chair et une forte concentration de composés phénoliques qui agissent comme des antioxydants naturels.




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Leur présence contribue à maintenir l’équilibre au niveau cellulaire et à prévenir ou retarder les dommages cellulaires causés par les radicaux libres ainsi que l’exposition à la pollution, par la fumée de tabac ou les rayons UV qui causent un stress oxydatif. Tous ces éléments contribuent au vieillissement cellulaire et peuvent être liés à des pathologies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, certains cancers et le diabète de type 2.

Par ailleurs, des propriétés anti-inflammatoires et antimicrobiennes ont également été identifiées dans des fruits tels que les poires, les raisins et les agrumes dont les écorces sont également une source précieuse de vitamine C et d’huiles essentielles.

La peau de certains légumes apporte également des fibres, du potassium et des antioxydants tels que les polyphénols. C’est le cas de la peau des pommes de terre, des carottes et des concombres.

Un autre exemple peu connu est la peau de l’aubergine, qui contient de la nasunine, un puissant antioxydant qui protège les membranes cellulaires des dommages oxydatifs.

La peau de l’aubergine est riche en nasunine, un puissant antioxydant.
Olepeshkina/Shutterstock

De l’autre côté de la balance, les pesticides

Au vu des nombreuses propriétés précieuses associées à la peau, on pourrait penser que la balance penche en faveur de la consommation de fruits et légumes sans les peler. Cependant, l’épluchage a aussi ses justifications. La plus évidente, comme mentionné ci-dessus, est la présence de résidus de pesticides à la surface.

Bien que les niveaux soient réglementés par des organismes tels que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), certaines études ont trouvé des résidus de ces substances même après le lavage. C’est pourquoi de nombreux consommateurs optent pour l’épluchage par mesure de précaution.

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des moyens efficaces de réduire la charge en pesticides sans éliminer la peau.

Laver les fruits et légumes à l’eau courante, les frotter avec une brosse adaptée à l’alimentation ou les faire tremper brièvement dans un mélange d’eau et de bicarbonate de soude ou de vinaigre peut éliminer jusqu’à 80-90 % des résidus.

Bien entendu, l’idéal est de consommer des fruits et légumes produits de manière écologique ou localement, des modes de production dans lesquels les pesticides sont moins voire pas du tout utilisés.

Durabilité : l’impact invisible des épluchures

Un autre argument pertinent – et moins connu – est l’impact environnemental de l’épluchage systématique des fruits et légumes. Selon des estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), chaque année, 14 % des aliments produits dans le monde sont perdus avant d’atteindre le consommateur. Une part importante de ce gaspillage provient des épluchures jetées inutilement.

Ces peaux, qui pourraient être utilisées comme aliments, finissent dans des décharges où elles se décomposent et génèrent du méthane, un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le dioxyde de carbone.

Selon plusieurs études, on estime que si l’on réduisait les déchets de fruits et légumes dans les ménages, les émissions mondiales de gaz à effet de serre diminueraient de manière significative.




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En outre, des recherches sont déjà en cours dans certains pays sur la manière de convertir les peaux en produits utiles : des farines enrichies aux bioplastiques, en passant par les engrais et les aliments pour animaux.

Alors, que faire ?

Peler ou ne pas peler ne doit pas être une décision automatique, mais une décision éclairée. Si le fruit ou le légume est bien lavé et provient d’une source fiable, il est préférable, d’un point de vue nutritionnel et écologique, de le consommer avec la peau.

Il existe bien sûr des exceptions. Certaines peaux sont trop dures, amères ou contiennent des composés indésirables, comme la solanine dans la peau des pommes de terre vertes.

La solanine est un glycoalcaloïde naturel que les pommes de terre produisent pour se défendre contre les insectes et les maladies. Elle est principalement concentrée dans la peau et les zones vertes du tubercule, qui apparaissent lorsque la pomme de terre est exposée à la lumière ou endommagée physiquement.

Bien que la chlorophylle qui donne la couleur verte soit inoffensive, sa présence indique une augmentation potentielle de la solanine. La consommation de pommes de terre à forte teneur en solanine peut provoquer des symptômes tels que des nausées, diarrhées, douleurs abdominales, maux de tête et, dans les cas les plus graves, paralysies, hallucinations…

Des études récentes indiquent que des doses de solanine de 2 à 5 mg/kg de poids corporel peuvent provoquer des symptômes toxiques et que des doses supérieures à 6 mg/kg peuvent être mortelles.

Finalement, il s’agit d’une évaluation au cas par cas, en équilibrant les avantages et les risques. La science nous invite à considérer les épluchures non pas comme des déchets, mais comme une autre partie de l’aliment : nutritive, polyvalente et, à bien des égards, sous-estimée.

The Conversation

Cristina López de la Torre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Faut-il peler les fruits, ou se prive-t-on de ce qu’ils ont de meilleur ? – https://theconversation.com/faut-il-peler-les-fruits-ou-se-prive-t-on-de-ce-quils-ont-de-meilleur-258031

Au sud de la Syrie, les affrontements entre les Druzes et les Bédouins ravivent le spectre des divisions communautaires

Source: The Conversation – France in French (3) – By Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)

Les récents affrontements dans le sud syrien ravivent les tensions entre les communautés druze et bédouine, sur fond de retrait des forces gouvernementales et d’intervention d’acteurs extérieurs. Entretien avec le politiste Thomas Pierret, auteur, entre autres publications, de « Baas et Islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas » (Presses universitaires de France, 2011).


Pourriez-vous revenir brièvement sur l’histoire de la communauté druze en Syrie ?

Thomas Pierret : La principale zone de peuplement des Druzes en Syrie est la région de Soueïda, même si on en trouve aussi sur le plateau du Golan, dans la région frontalière avec le Liban (il s’agit du pays avec la communauté druze la plus importante), ainsi qu’un village druze isolé dans la région d’Idlib.

À cela, il faut ajouter les effets des migrations plus récentes, qui ont conduit à la constitution de quartiers druzes à Damas, principalement Jaramana, ainsi que dans la localité d’Ashrafiyyet Sahnaya, au sud de la capitale.

Quelles sont aujourd’hui les relations qu’entretient la communauté druze avec le gouvernement de Damas ?

T. P. : Au moment où le régime d’Assad tombe, les relations entre les Druzes et le nouveau gouvernement ne sont pas vouées à être conflictuelles. Contrairement à une idée reçue, les Druzes ne constituent pas historiquement une minorité religieuse particulièrement favorable au régime des Assad.

Dans les années 1960, des purges ont eu lieu au sein de l’armée syrienne qui ont notamment visé une bonne partie des officiers druzes. Cette purge a profité essentiellement à des officiers issus de la communauté alaouite, dont Hafez Al-Assad.

Ainsi, la communauté druze n’a pas été étroitement associée au pouvoir. Les hauts gradés d’origine druze, comme le général Issam Zahreddine, tué sur le front contre l’État islamique en 2017, étaient peu nombreux. Avant 2011, la communauté comptait également de nombreux opposants, généralement marqués à gauche.

Par ailleurs, l’État syrien sous les Assad, très centralisé, ne tolère pas l’expression d’identités communautaires ou régionales distinctes. Il est par exemple interdit aux Druzes d’afficher le drapeau aux cinq couleurs qui leur sert de symbole.

Durant la guerre commencée en 2011 a émergé à Soueïda une posture politique que l’on pourrait qualifier de « troisième voie » ou de neutralité. Cela s’est traduit par la formation de groupes armés, le principal appelé les « Hommes de la dignité », est encore actif aujourd’hui. Ces groupes ont refusé à la fois de soutenir la rébellion et de rejoindre les forces paramilitaires du régime d’Assad, qui n’a réussi à embrigader qu’une petite partie des combattants de la région. L’objectif des partisans de cette troisième voie était de défendre la communauté druze et sa région, notamment contre les attaques de l’État islamique, sans pour autant soutenir les opérations de contre-insurrection menées par le régime.

Soulignons que le fondateur des Hommes de la dignité, Wahid al-Balous, a été assassiné en 2015, sans doute par des éléments du régime, ce qui illustre la complexité des relations entre les Druzes et l’ancien pouvoir.




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Et que sait-on des différentes factions druzes impliquées dans le conflit ?

T. P. : Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut revenir un peu en arrière. Une date clé est 2018, lorsque, avec l’aide de la Russie, le régime d’Assad reprend le contrôle du sud de la Syrie, à l’exception de la région de Soueïda. Cette dernière conserve un statut de quasi-autonomie, car ses groupes d’autodéfense ne sont pas désarmés, en partie à cause de l’opposition tacite d’Israël à une offensive du pouvoir central dans cette région.

Cette période voit également évoluer la stratégie du cheikh al-’aql Hikmet al-Hijri, l’un des trois principaux chefs religieux des Druzes de Syrie. Plutôt aligné sur le régime d’Assad à l’origine, il a soutenu le mouvement de contestation civile qui a émergé à Soueïda en 2023, évolution qui peut être interprétée comme un moyen pour al-Hijri de renforcer son influence politique. Il s’est également attribué le titre inédit de raïs rūḥī, c’est-à-dire « chef spirituel », manière de se démarquer des deux autres cheikh al-’aql, Hamoud al-Hinawi et Youssef Jarbu’.

Al-Hijri est également en concurrence avec le courant des Hommes de la dignité, dont le leadership se divise, après l’assassinat de son fondateur, entre son fils Laith al-Balous et d’autres figures comme Yahya al-Hajjar. Ce courant compense sa moindre légitimité religieuse par une dynamique de mobilisation milicienne et une posture plus indépendante vis-à-vis du pouvoir central, du moins jusqu’au tournant contestataire d’al-Hijri en 2023.

En 2024, lors de l’effondrement du régime d’Assad, ces groupes se positionnent différemment : al-Hijri défend l’autonomie régionale avec une position ferme contre Damas, rejetant les formes limitées de décentralisation proposées par le nouveau régime. En revanche, d’autres groupes, comme celui de Laith al-Balous ou Ahrar al-Jabal, adoptent une posture plus conciliatrice, cherchant à se rapprocher du pouvoir central. Le nouveau gouvernement, pour sa part, mise sur ces factions plus loyales afin de constituer une force de sécurité locale druze, distincte des combattants proches d’al-Hijri.

Vous évoquiez Israël : quelles sont les relations entre les factions druzes en Syrie et ce pays ?

T. P. : Avant décembre 2024, elles restent très limitées. Depuis des décennies, nouer des liens avec Israël constitue un tabou absolu en Syrie, et toute personne qui s’y risquerait serait immédiatement sanctionnée pour haute trahison. Les acteurs druzes évitent donc cette voie, d’autant plus qu’après 2011, certains villages druzes, notamment sur le plateau du Golan, fournissent des paramilitaires au régime [et au Hezbollah].

Le seul lien notable réside dans une sorte de « ligne rouge » tacite : Israël ne tolérerait pas que les rebelles ou le régime s’en prennent aux populations druzes. Cela explique qu’en 2023, malgré un mouvement de contestation, le régime syrien n’a pas tenté de reprendre Soueïda par la force ni de désarmer les groupes armés druzes.

Pourquoi Israël a-t-il tracé cette « ligne rouge » concernant les populations druzes en Syrie ?

T. P. : La raison principale, avant 2024, tient au fait qu’il existe une communauté druze en Israël, où elle constitue une minorité relativement privilégiée par rapport au reste des Palestiniens d’Israël. Je parle ici des Druzes citoyens israéliens, pas des Druzes vivant dans le Golan syrien occupé. Cette communauté druze est plutôt loyale à l’État israélien, avec des membres servant dans l’armée, y compris dans des régiments d’élite.

Cette position privilégiée leur confère une certaine influence, et lorsque les Druzes d’Israël expriment des inquiétudes concernant leurs coreligionnaires en Syrie, le gouvernement israélien se sent obligé de répondre à ces préoccupations.

Après 2024, cette dynamique a aussi servi d’argument à Israël pour empêcher le nouveau pouvoir syrien de déployer ses forces dans le sud du pays. L’objectif affiché d’Israël est clairement que le sud de la Syrie soit démilitarisé, du moins en dehors de ses propres forces déployées dans la région du Golan.

Par ailleurs, Israël mène également une stratégie d’influence plus douce, en invitant des religieux druzes syriens à effectuer un pèlerinage dans la région de Nazareth sur le tombeau du prophète Chouaïb, particulièrement important pour la foi druze. Un projet d’invitation de travailleurs druzes syriens dans les exploitations agricoles du Golan a aussi été envisagé par le gouvernement israélien, mais a été abandonné pour des raisons sécuritaires liées au contrôle des entrées sur le territoire. Enfin, des financements humanitaires ont été octroyés aux Druzes syriens via des ONG servant d’intermédiaires.

Il est important de souligner que très peu de groupes druzes se sont officiellement affichés comme pro-israéliens. Par exemple, une manifestation à Soueïda, il y a quelques mois, a vu l’apparition d’un drapeau israélien, mais celui-ci a rapidement été arraché par d’autres participants, témoignant du rejet majoritaire de cette posture.

Cela dit, certains acteurs politiques, notamment Hikmet al-Hijri, semblent adopter une posture politique qui s’explique mieux si l’on prend en compte le facteur israélien. Al-Hijri mène une politique intransigeante, différente de celle des autres cheikh al-’aql, qui se montrent plus enclins au compromis avec Damas. D’ailleurs, lors des récents incidents, ce sont ces derniers qui signent les cessez-le-feu, tandis qu’Al-Hijri les critique ouvertement.

Comment expliquer les affrontements récents entre Bédouins et Druzes à Soueïda ?

T. P. : Ce conflit est ancien, il remonte à plusieurs décennies. En 2000, un épisode particulièrement sanglant avait fait plusieurs des centaines de morts. Il ne s’agit pas d’un conflit religieux à l’origine, mais d’un différend lié au contrôle et à l’usage des terres. La région étant aride, les terres cultivables et les pâturages sont rares et donc très disputés.

La guerre en Syrie, de 2011 à 2024, a envenimé la situation : l’effondrement de l’État et la prolifération des armes ont donné plus de moyens aux deux parties pour régler leurs différends par la violence. Par ailleurs, des acteurs extérieurs comme l’État islamique ont soutenu les tribus bédouines sunnites, tandis que le régime d’Assad a appuyé certains groupes druzes. Après 2018, le pouvoir de Damas s’est à son tour retrouvé du côté des Bédouins, afin d’affaiblir l’autonomie de fait des Druzes de Soueïda, et parce qu’en reprenant la région, il a coopté d’anciens groupes rebelles sunnites, eux-mêmes liés aux tribus bédouines. Ce conflit a aussi une dimension criminelle, avec des éléments des deux côtés impliqués dans des activités illicites comme le trafic de drogue ou les enlèvements pour rançon.

Comment ces tensions communautaires s’inscrivent-elles dans le contexte politique syrien actuel ?

T. P. : Depuis décembre 2024, les tribus bédouines sunnites en appellent à la solidarité du gouvernement syrien, qui lui-même affiche une identité musulmane sunnite affirmée. Au début des derniers incidents, elles ont réclamé le soutien du gouvernement en accusant à demi-mot ce dernier de négliger leur sort.

De son côté, le régime a aussi un intérêt à soutenir les tribus bédouines pour faire obstacle au courant autonomiste druze dans la province. Cela lui est d’autant plus nécessaire que, depuis les massacres d’alaouites sur la côte en mars et les incidents armés survenus en mai entre sunnites et Druzes à Jaramana et Ashrafiyyet Sehnaya, les factions druzes les plus disposées au dialogue avec Damas se sont graduellement rapprochées de la ligne dure d’al-Hijri. Cette tendance s’est accélérée durant la récente escalade des violences (plus de 1 100 morts depuis le début des affrontements, le 13 juillet) : face aux exactions commises contre les civils de Soueïda par les forces progouvernementales, les groupes armés druzes ont uni leurs forces pour défendre la communauté.




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Pourquoi en arrive-t-on à cette escalade ?

T. P. : Le gouvernement a vu dans les affrontements communautaires locaux une occasion d’imposer son autorité en déployant ses forces dans la province, officiellement pour séparer les belligérants mais, dans les faits, pour désarmer les groupes druzes autonomistes. Al-Charaa pensait bénéficier d’un contexte international favorable, à savoir un soutien tacite des États-Unis qui le protégerait des représailles israéliennes. On l’a vu, cela s’est révélé être une erreur de jugement majeure.

En face, Al-Hijri, peut-être mieux informé des intentions israéliennes, a refusé de reculer, à la suite de quoi la situation s’est embrasée.

Quelle place peut-on envisager aujourd’hui pour la justice dans le règlement du conflit ?

T. P. : À court terme, l’enjeu prioritaire ne paraît pas être la justice, mais avant tout le retour au calme et la cessation des affrontements. Des tensions persistantes risquent en effet de raviver des violences, non seulement à Soueïda mais aussi autour des autres localités druzes du pays.

Certes, la justice reste importante si l’on souhaite discipliner les troupes et prévenir les exactions futures. Cependant, juger et condamner des membres des forces gouvernementales dans le contexte actuel pourrait déstabiliser davantage le régime, en fragilisant un pouvoir déjà contesté, et en risquant d’alimenter des velléités de coup d’État militaire de la part d’éléments plus radicaux.

Par ailleurs, un processus judiciaire serait d’autant plus déstabilisateur qu’il devrait aussi concerner les combattants druzes qui se sont rendus coupables d’exactions ces derniers jours. On comprend donc aisément pourquoi la justice n’est prioritaire pour aucun des protagonistes.


Propos recueillis par Coralie Dreumont et Sabri Messadi.

The Conversation

Thomas Pierret a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR).

ref. Au sud de la Syrie, les affrontements entre les Druzes et les Bédouins ravivent le spectre des divisions communautaires – https://theconversation.com/au-sud-de-la-syrie-les-affrontements-entre-les-druzes-et-les-bedouins-ravivent-le-spectre-des-divisions-communautaires-261464