Infrastructures côtières menacées : comment mieux évaluer les risques climatiques pour mieux les anticiper ?

Source: The Conversation – in French – By Anthony Schrapffer, PhD, EDHEC Climate Institute Scientific Director, EDHEC Business School

Élévation du niveau de la mer, intensification des tempêtes… La concentration d’infrastructures sur le littoral les place en première ligne face au changement climatique. Les risques sont nombreux : paralysie des transports, coupures d’électricité, ruptures d’approvisionnement. De quoi inviter à mieux mesurer ces vulnérabilités pour mieux anticiper et prévenir les impacts. Ce travail est aujourd’hui compliqué par des données souvent partielles, des méthodes trop diverses et l’absence d’un cadre commun pour bien appréhender le risque.


La fin du mois d’octobre 2025 a été marquée par le passage dévastateur, dans les Caraïbes, de l’ouragan Melissa. Le changement climatique a rendu ce type d’événement quatre fois plus probable, selon une étude du Grantham Institute de l’Imperial College London. En plus de la soixantaine de morts déplorés à ce stade, le coût des dégâts engendrés a déjà été estimé à 43 milliards d’euros.

De nombreuses grandes agglomérations, ainsi que des ports, des zones industrielles et des infrastructures critiques, se trouvent en milieu littoral. 40 % de la population mondiale vit à moins de 100 kilomètres des côtes et 11 % dans des zones côtières de faible altitude – à moins de 10 mètres au-dessus du niveau marin. Ce phénomène s’explique en partie par la facilité d’accès aux échanges maritimes ainsi qu’aux ressources naturelles telles que l’eau et la pêche, et au tourisme.

Mais avec l’élévation du niveau de la mer et l’intensification des tempêtes, cette concentration d’infrastructures sur le littoral se retrouve en première ligne face au changement climatique. Transports paralysés, coupures d’électricité, ruptures d’approvisionnement… les risques sont plus divers et amplifiés.

La mesure de ces vulnérabilités s’impose pour anticiper les effets économiques, environnementaux et sociaux et, surtout, prévenir les ruptures. Mais comment prévoir l’impact du changement climatique sur les infrastructures côtières sans adopter un référentiel commun du risque ?

Des catastrophes climatiques de plus en plus coûteuses

Sous l’effet du changement climatique, de la montée du niveau des mers et de l’érosion qui rend les côtes plus fragiles, les tempêtes, cyclones et inondations côtières gagnent en fréquence et en intensité. Les infrastructures littorales sont particulièrement exposées à ces phénomènes extrêmes, avec des bilans humains et économiques toujours plus lourds.

En 2005, l’ouragan Katrina a submergé 80 % de La Nouvelle-Orléans et causé plus de 1 800 morts et 125 milliards de dollars (soit 107,6 milliards d’euros) de dégâts, dévastant des centaines de plates-formes pétrolières et gazières ainsi que plus de 500 pipelines. En 2019, le cyclone Idai a ravagé le Mozambique, entraînant 1 200 victimes, 2 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros) de dommages et la paralysie du port de Beira. Deux ans plus tard, des pluies diluviennes en Allemagne, Belgique et Pays-Bas ont inondé villes et campagnes, avec pour conséquences : routes coupées, voies ferrées détruites, réseaux d’eau hors service et les transports ont mis plusieurs semaines à se rétablir.

Au-delà des dommages, ces catastrophes provoquent des interruptions d’activité des services produits par les infrastructures, et laissent moins de temps pour les reconstructions étant donné leur fréquence accrue.

Plus préoccupant encore, il existe des effets en cascade entre secteurs étroitement liés. Une défaillance locale devient le premier domino d’une chaîne de vulnérabilités, et un incident isolé peut tourner à la crise majeure. Une route bloquée par une inondation côtière, une panne d’électricité, sont autant de possibles impacts sur la chaîne d’approvisionnement globale. Faute de mesures adaptées, les dommages engendrés par les inondations côtières pourraient être multipliés par 150 d’ici à 2080.

Il y a donc urgence à mesurer les fragilités des infrastructures côtières de manière comparable, rigoureuse et transparente. L’enjeu étant de mieux anticiper les risques afin de préparer ces territoires économiques vitaux aux impacts futurs du changement climatique.

Vers un langage commun pour mesurer les risques

Estimer les potentiels points de rupture des infrastructures côtières n’est pas évident. Les données sont souvent partielles, les méthodes utilisées dans les études souvent diverses, les critères peuvent être différents et il manque généralement d’un cadre commun. Cela rend la prise de décision plus complexe, ce qui freine les investissements ciblés.

Pour bâtir un référentiel commun, une solution consisterait à mesurer les risques selon leur matérialité financière. Autrement dit, en chiffrant les pertes directes, les coûts de réparation et les interruptions d’activité.

L’agence Scientific Climate Ratings (SCR) applique cette approche à grande échelle, en intégrant les risques climatiques propres à chaque actif. La méthodologie élaborée en lien avec l’EDHEC Climate Institute sert désormais de référence scientifique pour évaluer le niveau d’exposition des infrastructures, mais aussi pour comparer, hiérarchiser et piloter les investissements d’adaptation aux risques climatiques.

Ce nouveau langage commun constitue le socle du système de notations potentielles d’exposition climatique (Climate Exposure Ratings) développé et publié par la SCR. Celle-ci s’appuie sur cette échelle graduée de A à G pour comparer l’exposition des actifs côtiers et terrestres. Une notation de A correspond à un risque minimal en comparaison avec l’univers d’actifs alors que G est donné aux actifs les plus risqués.

Comparaison des notations potentielles d’exposition climatique entre les actifs côtiers et l’ensemble des actifs pris en compte dans l’évaluation de l’agence Scientific Climate Ratings (fourni par l’auteur).
Anthony Schrapffer, Fourni par l’auteur

Les résultats de la SCR montrent ainsi que les actifs côtiers concentrent plus de notations risquées (F, G) et moins de notation à faible risque (A, B). En d’autres termes, leur exposition climatique est structurellement supérieure à celle des autres infrastructures terrestres.

Risque bien évalué, décisions éclairées

Dans le détail, la méthode de quantification du risque physique élaborée par l’EDHEC Climat Institute consiste à croiser la probabilité de survenue d’un aléa avec son intensité attendue. Des fonctions de dommage relient ensuite chaque scénario climatique à la perte potentielle selon le type d’actif et sa localisation. Pour illustrer cela, nous considérons par exemple qu’une crue centennale, autrement dit avec une probabilité d’occurrence de 1 % par an, correspond à une intensité de deux mètres et peut ainsi détruire plus de 50 % de la valeur d’un actif résidentiel en Europe.

Ces indicateurs traduisent la réalité physique en coût économique, ce qui permet d’orienter les politiques publiques et les capitaux privés. Faut-il construire ? Renforcer ? Adapter les infrastructures ? Lesquelles, en priorité ?

L’analyse prend aussi en compte les risques de transition : effets des nouvelles normes, taxation carbone, évolutions technologiques… Un terminal gazier peut ainsi devenir un « actif échoué » si la demande chute ou si la réglementation se durcit. À l’inverse, une stratégie d’adaptation précoce améliore la solidité financière et la valeur de long terme d’une infrastructure exposée aux aléas climatiques.

S’adapter est possible : l’exemple de l’aéroport de Brisbane

La résilience pour une infrastructure représente la capacité à absorber un choc, et à se réorganiser tout en conservant ses fonctions essentielles. En d’autres termes, c’est la capacité pour ces actifs à revenir à un fonctionnement normal à la suite d’un choc.

L’initiative ClimaTech évalue les actions de résilience, de décarbonation et d’adaptation selon leur efficacité à réduire le risque et leur coût. Cette approche permet de limiter le greenwashing : seules les mesures efficaces améliorent significativement la notation d’un actif sur des bases objectives et comparables. Plus on agit, mieux on est noté.

L’aéroport de Brisbane (Australie), situé entre océan et rivière, est particulièrement exposé aux risques climatiques.
Nate Cull/WikiCommons, CC BY-SA

L’aéroport de Brisbane (Australie), situé entre océan et rivière, en est un bon exemple. Des barrières anti-crues et la surélévation des pistes ont réduit à hauteur de 80 % le risque d’inondations pour les crues centennales. L’infrastructure a ainsi gagné deux catégories sur l’échelle de notation SCR : une amélioration mesurable qui accroît son attractivité.

Le cas de Brisbane révèle qu’investir dans la résilience des infrastructures côtières est possible, et même rentable. Ce modèle d’adaptation qui anticipe les dommages liés aux catastrophes climatiques pourrait être généralisé, à condition que les décideurs s’appuient une évaluation des risques fiable, cohérente et lisible comme celle que nous proposons.

Face au changement climatique, les infrastructures côtières sont à un tournant. En première ligne, elles concentrent des enjeux économiques, sociaux et environnementaux majeurs. Leur protection suppose une évaluation rigoureuse, comparable et transparente des risques, intégrant matérialité financière et évolution climatique. Une telle approche permet aux acteurs publics et privés de décider, d’investir et de valoriser les actions concrètes : rendre le risque visible, c’est déjà commencer à agir.

The Conversation

Anthony Schrapffer, PhD ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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À moins de trois mois des JO d’hiver, quelles attentes environnementales ?

Source: The Conversation – in French – By Alizée Pillod, Doctorante en science politique, Université de Montréal

L’Italie s’apprête à accueillir cet hiver la 25e édition des Jeux olympiques d’hiver, prévus du 6 au 22 février 2026, suivis des Jeux paralympiques, qui se tiendront du 6 au 15 mars.

Après l’effervescence des Jeux de Paris, lesquels avaient placé la durabilité au cœur de leur stratégie de planification, ceux de Milan seront déterminants pour savoir si l’on assiste véritablement à un changement de paradigme au sein du mouvement olympique.

À moins de 100 jours de l’échéance, le comité organisateur des Jeux de Milan-Cortina sera-t-il capable de tenir sa promesse verte ?

Doctorante en science politique à l’Université de Montréal, mes travaux portent à la fois sur la communication climatique et l’élaboration de politiques environnementales, y compris dans le secteur du sport.

Les Jeux d’hiver dans la tourmente climatique

Tout d’abord, il faut souligner que peu de secteurs dépendent autant des conditions météorologiques que celui du sport.

Avec la crise climatique, la pratique sportive, en particulier celle des sports d’hiver, devient de plus en plus difficile. L’annulation de la Coupe du monde de ski alpin au Mont Tremblant l’an dernier, faute de neige, en est un exemple frappant.

Selon une étude de l’Université Waterloo, d’ici 2050, seuls 10 anciens sites olympiques demeureront viables pour accueillir de futurs Jeux d’hiver. À l’horizon 2080, ce nombre pourrait chuter à seulement 6.

Parallèlement, l’organisation de mégaévènements sportifs tels que les Jeux, engendre une empreinte carbone et environnementale considérable.

Bien que généralement plus modestes que celles estivales, les éditions hivernales des Jeux ont fait l’objet de nombreuses controverses écologiques, en lien notamment avec la destruction de réserves naturelles jusque-là préservées.

La plus récente, Pékin 2022, a conduit à l’abattage de plus de 20,000 arbres ancestraux pour permettre l’expansion du domaine skiable et la construction d’infrastructures en tout genre, telles que des routes d’accès, des stationnements ou encore des sites d’hébergement.

Le sport de haut niveau se trouve ainsi pris dans une relation à la fois de dépendance et de contribution au réchauffement climatique.

Les Agendas 20 et 20+5 comme nouveaux standards

Conscient de ces défis, le Comité international olympique (CIO) a adopté ces dernières années plusieurs politiques visant à réduire l’empreinte des Jeux, comme l’Agenda 20, dont les objectifs stratégiques ont été réitérés en 2021 avec l’Agenda 20+5.

Après Paris 2024, les Jeux de Milan-Cortina seront les premiers Jeux d’hiver à devoir respecter ces exigences.

Parmi les intentions formulées figurent la volonté de promouvoir des Jeux durables et de faire de ceux-ci un tremplin pour l’atteinte des objectifs du développement durable de l’ONU.

Pour cela, le CIO demande désormais aux villes hôtes de réduire leurs émissions de CO₂ et met de l’avant la notion d’héritage, en encourageant la réutilisation de sites déjà existants et la reconversion de ceux-ci une fois l’évènement terminé.

Milan-Cortina sur la piste verte

Heureusement pour nous, il semble que le comité organisateur italien ait décidé de faire de la lutte contre le réchauffement climatique un élément central de son plan stratégique. Dès le départ, celui-ci a mis en place un processus rigoureux d’évaluation de ses émissions de gaz à effet de serre.

Dans son deuxième rapport sur sa stratégie de durabilité, publié en septembre 2025, le comité a également présenté plusieurs mesures visant à réduire davantage l’empreinte carbone de l’événement.

Parmi les initiatives phares, le comité s’est notamment engagé à utiliser une alimentation énergétique 100 % renouvelable et à limiter le gaspillage alimentaire en redistribuant l’intégralité des surplus à des organismes caritatifs locaux. Dans une volonté d’encourager l’économie circulaire, plus de 20 000 équipements issus des Jeux de Paris ont aussi été rachetés.

Du côté des infrastructures, à l’instar de ce qui avait été fait à Paris, l’accent est à nouveau mis sur la réutilisation des installations existantes et sur le recours à des structures temporaires qui seront démantelées après les Jeux. Au total, près de 90 % des sites entreront dans cette catégorie.

Les quelques nouvelles constructions permanentes deviendront des centres d’entraînement pour la future élite sportive italienne, ou bien seront transformées pour d’autres usages. Tout comme celui de Paris, le nouveau village olympique à Milan deviendra, par exemple, une résidence universitaire.

Le plan comprend également des mesures d’adaptation. Avec le réchauffement climatique, l’enneigement naturel se fait de plus en plus rare et le recours à la neige artificielle devient la nouvelle norme pour continuer d’offrir aux athlètes des conditions de performances optimales. Dans ce contexte, le comité organisateur a décidé de moderniser ses systèmes de production de neige artificielle afin de pouvoir répondre plus efficacement aux besoins en cas de températures anormalement élevées cet hiver.


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Un plan italien ambitieux, non pas sans défauts

Si le plan semble rassurant sur papier, sa mise en œuvre comporte néanmoins son lot de défis.

Au-delà des retards chroniques dans l’avancement des travaux et des dépassements budgétaires colossaux (avec des dépenses multipliées au moins par deux par rapport au budget initial), la construction de nouvelles infrastructures en montagne a nécessairement une empreinte environnementale élevée.

Rappelons que les Jeux de Milan-Cortina se dérouleront sur des sites répartis dans quatre zones du nord de l’Italie : Milan, Cortina, la Valtellina et le Val di Fiemme. Ensemble, ces sites couvrent un territoire de plus de 20 000 kilomètres carrés, ce qui en fera les Jeux les plus dispersés de l’histoire. Ainsi, il n’y aura pas un mais plutôt six sites de villégiature pour les athlètes (oui, vous avez bien lu !).

Cela explique sans doute pourquoi la majeure partie du budget est allouée au développement des transports publics, notamment du réseau ferroviaire, afin de faciliter les déplacements entre les différents sites. Les infrastructures sportives, quant à elles, représentent moins du quart du budget total.

De plus, certaines constructions ont fait polémiques. La toute nouvelle piste de bobsleigh à Cortina a, par exemple, été fortement critiquée, du fait qu’elle a entraîné l’abattage de plusieurs centaines d’arbres. Même si l’on reste loin des chiffres observés à Pékin, il n’en demeure pas moins que l’organisation des Jeux perturbe la biodiversité locale.

En ce qui concerne les installations temporaires, le comité s’est engagé à restaurer les écosystèmes et, plus largement, à compenser l’ensemble des émissions résiduelles, notamment par l’achat de crédits carbone. Les plus pessimistes diront cependant que ce qui a été détruit ne pourra jamais être entièrement restauré, et qu’aucune compensation financière ou écologique ne saurait réellement en effacer l’impact.

En termes d’adaptation, notons que la production de neige artificielle, même si optimisée, nécessite beaucoup d’eau et d’énergie, en plus de dégrader la qualité des sols. Ainsi, cette solution, censée pallier les effets du réchauffement, finit paradoxalement par y contribuer. D’où l’importance de mieux penser les solutions d’adaptation.

Enfin, les habitants redoutent un effet d’embourgeoisement. À Milan, l’édification du village olympique a entraîné l’expulsion de résidents, et les loyers prévus une fois le site reconverti en résidence universitaire sont jugés trop élevés. Ainsi, dans une perspective de justice sociale, on peut se demander à qui profiteront réellement les nouvelles installations à plus long terme.

Peut-on parler d’un vrai tournant ?

Dans l’ensemble, la stratégie de Milan-Cortina montre une réelle évolution dans la façon de penser la durabilité des Jeux d’hiver. Les organisateurs ont appris des éditions précédentes et proposent désormais des approches d’autant plus innovantes.

Bien que les émissions de gaz à effet de serre anticipées soient moins élevées qu’à Pékin ou à Pyeongchang, celles de Milan-Cortina demeurent estimées à près d’un million de tonnes de CO₂ équivalent. Dans ce contexte, il reste à espérer que le comité parvienne véritablement à mettre en œuvre l’ensemble des mesures prévues afin d’en compenser la plus grande part possible.

Par ailleurs, la prochaine édition des Jeux d’hiver aura lieu, elle aussi, dans les Alpes, mais cette fois en territoire français. Le tout nouveau comité organisateur des Jeux de 2030 suit sans doute avec attention les choix faits du côté italien, conscient des défis climatiques croissants qui l’attendent.

D’ici là, on peut compter sur les athlètes et para-athlètes, lesquels sont déjà à pied d’œuvre au moment où j’écris ces lignes, pour nous éblouir encore, ne serait-ce le temps d’un instant.

La Conversation Canada

Alizée Pillod est affiliée au Centre d’Études et de Recherches Internationales de l’UdeM (CERIUM), au Centre de recherche sur les Politiques et le Développement Social (CPDS) et au Centre pour l’Étude de la Citoyenneté Démocratique (CECD). Ses recherches sont subventionnées par les Fonds de Recherche du Québec (FRQ). Alizée a aussi obtenu la Bourse départementale de recrutement en politiques publiques (2021), la Bourse d’excellence en études environnementales Rosdev (2023), ainsi que la Bourse d’excellence en politiques publiques de la Maison des Affaires Publiques et Internationales (2025). Elle a collaboré par le passé avec le consortium Ouranos, le ministère de l’Environnement du Québec et l’INSPQ.

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La quête de « l’utérus artificiel » : entre fiction et avancées de la recherche

Source: The Conversation – in French – By Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business School

Et si la gestation ou, du moins, une partie du processus, pouvait être externalisée au moyen de dispositifs extra-utérins, que ce soit pour poursuivre le développement de nouveau-nés prématurés ou pour des visées plus politiques, comme lutter contre la baisse des naissances ? Une telle technologie est encore très loin d’être réalisable, mais des recherches sont bel et bien menées dans ce domaine.


En août dernier, la rumeur circulait qu’un chercheur chinois, Zhang Qifeng, fondateur de Kaiwa Technology, travaillait au développement de robots humanoïdes dotés d’utérus artificiels, capables de porter un fœtus jusqu’à dix mois. Le prototype serait presque finalisé et devrait être prêt d’ici à 2026. Prix du « robot de grossesse » : 100 000 yuans (environ 12 000 euros).

Après vérification, il s’avère que cette technique de procréation, appelée « ectogenèse », ne verra pas le jour en Chine et que les informations relayées sont fausses. Il en est de même de l’existence de Zhang Qifeng.

Toutefois, même si pour l’heure l’utérus artificiel (UA) relève de la science-fiction, la création d’un tel dispositif technique – perçu comme le prolongement des couveuses néonatales et des techniques de procréation médicalement assistée – fait l’objet de recherches dans plusieurs pays.

Des recherches sur l’animal autour de dispositifs extra-utérins

L’idée de concevoir et de faire naître un enfant complètement en dehors du corps de la femme, depuis la conception jusqu’à la naissance, n’est pas nouvelle. Le généticien John Burdon Sanderson Haldane (1892-1964), inventeur du terme « ectogenèse », l’avait imaginé en 1923.

Selon les prédictions de ce partisan de l’eugénisme, le premier bébé issu d’un UA devait naître en 1951.

Henri Atlan, spécialiste de la bioéthique et auteur de l’Utérus artificiel (2005), estimait, quant à lui, que la réalisation de l’UA pourrait intervenir d’ici le milieu ou la fin du XXIᵉ siècle.

Même si l’UA n’existe pas encore, les chercheurs ont d’ores et déjà commencé à faire des essais chez les animaux, dans l’espoir de développer par la suite des prototypes d’UA applicables à l’être humain.

En 1993, par exemple, au Japon, le professeur Yoshinori Kuwabara a conçu un incubateur contenant du liquide amniotique artificiel permettant à deux fœtus de chèvres (de 120 jours et de 128 jours, la gestation étant de cinq mois chez la chèvre, soit autour de 150 jours) de se développer hors de l’utérus pendant trois semaines. À leur naissance, ils ont survécu plus d’une semaine.

En 2017, un article publié dans Nature Communications a révélé les travaux de l’équipe d’Alan Flake, chirurgien fœtal à l’hôpital pour enfants de Philadelphie (États-Unis), qui ont permis à des fœtus d’agneaux de se développer partiellement, là encore dans un dispositif extra-utérin rempli de liquide amniotique artificiel, pendant quatre semaines. Avec un apport nutritionnel approprié, les agneaux ont connu une croissance apparemment normale, notamment au niveau du développement des poumons et du cerveau.

Côté développement embryonnaire, toujours chez l’animal, en 2021, des chercheurs chinois ont mis au point un système capable de surveiller le développement d’embryons de souris de manière entièrement automatisée, abusivement surnommé « nounou artificielle ».

L’utilisation d’animaux à des fins de recherche, bien qu’elle soit réglementée dans de nombreux pays, y compris les pays de l’Union européenne (Directive européenne 2010/63 UE) et aux États-Unis (Animal Welfare Act), soulève néanmoins des questions éthiques.

Des recherches et des avancées aussi sur l’humain

Dans le domaine de la procréation humaine, les avancées sont également considérables. Il est possible depuis 1978 – année de la naissance de Louise Brown, premier « bébé-éprouvette » du monde – de concevoir un embryon par fécondation in vitro (FIV), puis de l’implanter avec succès dans l’utérus de la mère.

En 2003, les travaux de la chercheuse américaine Helen Hung Ching Liu ont démontré la possibilité d’implanter des embryons dans une cavité biodégradable en forme d’utérus humain et recouverte de cellules endométriales. Faute d’autorisation légale, les embryons, qui se développaient normalement, ont été détruits au bout de six jours.

En 2016, un article publié dans Nature Cell Biology a également révélé que le développement embryonnaire pouvait se poursuivre en laboratoire, grâce à un système in vitro.

Le défi pour les chercheurs consiste à combler la période qui suit les 14 premiers jours de l’embryon conçu par FIV – période qui correspond à un seuil critique car elle comprend des étapes clés du développement de l’embryon.

À ce jour, de nombreux pays ont défini une limite de quatorze jours à ne pas dépasser pour le développement embryonnaire in vitro à des fins de recherche ou pour la fécondation, soit sous la forme de recommandations, soit par l’intermédiaire d’une loi, comme c’est le cas en France.

Dans le futur, un risque de détournement des finalités initiales ?

Les recherches actuelles sur le développement de l’UA « partiel » dans lequel l’enfant serait placé dans un dispositif extra-utérin rempli de liquide de synthèse sont motivées par des raisons thérapeutiques, notamment la réduction de la mortalité des nouveau-nés prématurés.

Toutefois, l’UA « total » qui permettrait une gestation extra-corporelle, de la fécondation à la naissance, pourrait se déployer pour répondre à d’autres objectifs. Il s’agit naturellement d’un exercice de prospective, mais voici certains développements qui semblent envisageables si l’UA « total » venait à être développé et à devenir largement accessible.

Certaines femmes pourraient y avoir recours pour des raisons personnelles. Henri Atlan en avait déjà prédit la banalisation :

« Très vite se développera une demande de la part de femmes désireuses de procréer tout en s’épargnant les contraintes d’une grossesse […] Dès qu’il sera possible de procréer en évitant une grossesse, au nom de quoi s’opposera-t-on à la revendication de femmes pouvant choisir ce mode de gestation ? »

Dans une société capitaliste, certaines entreprises pourraient encourager la « culture des naissances » extra-corporelles afin d’éviter les absences liées à la grossesse humaine. Une discrimination pourrait alors s’opérer entre les salariées préférant une grossesse naturelle et celles préférant recourir à l’UA dans le cadre de leur projet de maternité. Dans un contexte concurrentiel, d’autres entreprises pourraient financer l’UA. Rappelons à cet égard que, aux États-Unis, plusieurs grandes entreprises (Google, Apple, Facebook, etc.) couvrent déjà le coût de la FIV et/ou de la congélation des ovocytes afin d’attirer les « meilleurs profils », bien qu’aucune de ces pratiques ne constitue une « assurance-bébé ». Plusieurs cycles de FIV peuvent en effet être nécessaires avant de tomber enceinte.

L’UA pourrait être utilisé afin de pallier l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) en vigueur dans de nombreux États, ou être préféré à la GPA afin d’éviter les situations où la mère porteuse, après s’être attachée à l’enfant qu’elle portait, refuse de le remettre aux parents d’intention, ou encore pour une question de coût.

L’industrie de la fertilité pourrait développer ce qui serait un nouveau marché
– celui de l’UA –, parallèlement à ceux de la FIV, du sperme, des ovocytes et de la GPA, déjà existants. Nous aboutirions alors à une fabrication industrielle de l’humain, ce qui modifierait profondément l’humanité.

Indéniablement, l’UA pourrait mener à la revendication d’un droit à un designer baby (bébé à la carte ou bébé sur mesure) sous le prisme d’un eugénisme privé. Avec un corps pleinement visible et contrôlable dans l’UA, les parents pourraient exiger un « contrôle de qualité » sur l’enfant durant toute la durée de la gestation artificielle.

Aux États-Unis, plusieurs cliniques de fertilité proposent déjà aux futurs parents de choisir le sexe et la couleur des yeux de leur enfant conçu par FIV, option couplée à un diagnostic préimplantatoire (DPI). D’autres, telles que Genomic Prediction, offrent la possibilité de sélectionner le « meilleur embryon » après un test polygénique, avant son implantation dans l’utérus de la mère. La naissance de bébés génétiquement modifiés est aussi possible depuis celles de Lulu et de Nana en Chine, en 2018, malgré l’interdiction de cette pratique.

Dernier élément de cet exercice de prospective : l’UA pourrait être utilisé à des fins politiques. Certains pays pourraient mener un contrôle biomédical des naissances afin d’aboutir à un eugénisme d’État. D’autres États pourraient tirer avantage de l’UA pour faire face au déclin de la natalité.

Qu’en pensent les féministes ?

En envisageant la séparation de l’ensemble du processus de la procréation – de la conception à la naissance – du corps humain, l’UA suscite des débats au sein du mouvement féministe.

Parmi les féministes favorables à l’UA, Shulamith Firestone (1945-2012), dans son livre The Dialectic of Sex : The Case for Feminist Revolution (1970), soutenait que l’UA libérerait les femmes des contraintes de la grossesse et de l’accouchement. Plaidant contre la sacralisation de la maternité et de l’accouchement, elle estime que l’UA permettrait également aux femmes de ne plus être réduites à leur fonction biologique et de vivre pleinement leur individualité. Cette thèse est partagée par Anna Smajdor et Kathryn Mackay.

Evie Kendel, de son côté, juge que, si l’UA venait à devenir réalité, l’État devrait le prendre en charge, au nom de l’égalité des chances entre les femmes.

Chez les féministes opposées à l’UA, Rosemarie Tong considère qu’il pourrait conduire à « une marchandisation du processus entier de la grossesse » et à la « chosification » de l’enfant. Au sujet des enfants qui naîtraient de l’UA, elle affirme :

« Ils seront de simples créatures du présent et des projections dans l’avenir, sans connexions signifiantes avec le passé. C’est là une voie funeste et sans issue. […] Dernière étape vers la création de corps posthumains ? »

Tous ces débats sont aujourd’hui théoriques, mais le resteront-ils encore longtemps ? Et quand bien même l’UA deviendrait un jour réalisable, tout ce qui est techniquement possible est-il pour autant souhaitable ? Comme le souligne Sylvie Martin, autrice du Désenfantement du monde. Utérus artificiel et effacement du corps maternel (2012), tous les êtres humains naissent d’un corps féminin. Dès lors, en cas d’avènement de l’UA, pourrions-nous encore parler « d’être humain » ?

The Conversation

Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Comment la gestion de la dette publique appauvrit l’État au profit du secteur privé

Source: The Conversation – France (in French) – By Jérôme Baray, Professeur des universités en sciences de gestion, Le Mans Université

La croissance de la dette publique fait l’objet de toutes les attentions. Toutefois, si tel est le cas, c’est en raison des choix qui ont été faits pour l’assumer. Recourir aux marchés financiers n’est pas neutre. Et si la solution passait par une définanciarisation de la gestion de la dette.


« L’État vit au-dessus de ses moyens. » La phrase est si souvent répétée qu’elle n’est plus questionnée. De moins de 20 % du produit intérieur brut (PIB) dans les années 1970, la dette atteint aujourd’hui environ 110 %. Au-delà de ces chiffres, de nombreux travaux critiques, de Thomas Piketty à Pierre Bourdieu, montrent une autre réalité.

Loin d’être née d’un excès de dépenses sociales, la dette est aussi née d’une série de choix politiques favorables aux marchés financiers, comme l’ont montré Frédéric Lordon ou François Chesnais, la financiarisation de l’État transformant la dette en outil de transfert de richesses vers le secteur privé.

L’interdiction de la monétisation directe (c’est-à-dire le financement de la dette par émission monétaire), les privatisations massives et les aides publiques non conditionnées ont affaibli l’État, tout en enrichissant le secteur financier. Ainsi, chaque année, des milliards d’euros d’intérêts (68 milliards d’euros en 2025, soit un peu plus que le budget de l’éducation nationale) rémunèrent les créanciers privés, tandis que les services publics doivent se restreindre. Le récit dominant occulte la responsabilité de choix politiques assumés et construits dans le temps long.

L’année du basculement

Jusqu’en 1973, l’État pouvait se financer auprès de la Banque de France à taux nul. La loi du 3 janvier 1973 y a mis fin, imposant l’emprunt sur les marchés. Cette décision s’inscrivait dans un contexte d’inflation forte et dans l’adhésion aux idées monétaristes naissantes : limiter la création monétaire publique était perçu comme un moyen de stabiliser les prix et de moderniser la politique économique.

Cette dépendance a été renforcée par les traités européens : l’Acte unique européen (1986), le traité de Maastricht (1992) puis le traité de Lisbonne (2007).




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Cette réforme, souvent présentée comme une modernisation, peut aussi être lue – et c’est la perspective que je défends – comme un basculement structurel vers une dépendance durable aux marchés financiers. Ce choix était motivé par la crainte de l’inflation et par la volonté d’inscrire la France dans le mouvement de libéralisation financière qui gagnait les économies occidentales à la même époque.

Dans les années 1980, avec la désinflation compétitive, l’endettement a été transformé en une sorte d’impôt implicite, la « taxe intérêts de la dette » ayant remplacé la « taxe inflation ». En effet, à cette époque, le taux d’intérêt était devenu supérieur au taux de croissance de l’économie. Dès lors, la dette augmentait même en l’absence de nouveaux déficits : c’est l’effet dit de « boule de neige », où le poids des intérêts croît plus vite que les recettes publiques.

Ce tournant illustre la manière dont la dette, de simple outil, s’est muée en carcan durable. Il a aussi renforcé l’idée que les marges de manœuvre budgétaires étaient contraintes par des forces extérieures, ce qui a profondément marqué la culture économique et politique française.

Un appauvrissement organisé

À cette contrainte monétaire s’est ajoutée la vente d’actifs publics : banques, télécoms, énergie, autoroutes, aéroports. Ces privatisations ont dépossédé l’État de dividendes réguliers, réduisant sa capacité d’action à long terme. Parallèlement, les aides aux entreprises se sont multipliées, atteignant plus de 210 milliards d’euros en 2023 (Sénat, rapport 2025).

Si certaines aides ont pu avoir des effets positifs à court terme, leur généralisation sans contrepartie claire pose problème. C’est à ce moment-là que l’État s’est progressivement privé d’un levier de régulation.

En additionnant privatisations (moins de ressources régulières) et aides (davantage de dépenses), l’endettement apparaît comme le résultat d’un appauvrissement de l’État, appauvrissement révélateur d’une orientation stratégique privilégiant la rente sur l’investissement collectif. Cette rente est payée par les contribuables sous forme d’intérêts de la dette, et captée par les détenteurs d’obligations d’État – banques, fonds et assureurs.

Qui profite de la dette ?

Le résultat de toutes ces orientations prises au fil du temps est qu’en 2023, le service de la dette a coûté 55 milliards d’euros, soit plusieurs fois le budget de la justice). Ces montants bénéficient surtout aux banques, fonds et assureurs… Une partie est détenue via l’épargne domestique, mais ce circuit reste coûteux : les citoyens prêtent à l’État, paient les intérêts par l’impôt, pendant que les intermédiaires captent la marge. Autrement dit, la collectivité se prête à elle-même, mais avec intérêts.

Pierre Bourdieu parlait de « noblesse d’État » pour désigner les élites circulant entre ministères, banques et grandes entreprises. Dans ce système de connivence, la dette devient une rente pour les acteurs économiques et financiers qui détiennent la dette souveraine, mais aussi pour certains hauts fonctionnaires et dirigeants d’entreprises passés du public au privé. D’où les appels à réorienter la gestion des actifs stratégiques (infrastructures, énergie, transports, recherche) et à renégocier les intérêts jugés illégitimes.

Ces débats dépassent la seule technique financière : ils interrogent la légitimité même du mode de gouvernance économique.

La dette comme instrument de gouvernement

Le discours économique dominant mobilise des termes technocratiques – « règle d’or », « solde structurel » – qui transforment des choix politiques en nécessités. Plus de 90 % de la monnaie en zone euro est créée par les banques commerciales au moment du crédit. En renonçant à la création monétaire publique, l’État rémunère des créanciers privés pour accéder à sa propre monnaie, institutionnalisant sa dépendance. En termes simples, lorsqu’une banque commerciale accorde un prêt, elle crée de la monnaie ex nihilo ; à l’inverse, l’État, privé de ce pouvoir, doit emprunter cette monnaie avec intérêts pour financer ses politiques publiques. À mesure que l’austérité progresse se déploie une « gouvernance par les instruments » : indicateurs, conditionnalités, surveillance numérique des dépenses.

Comme l’avaient anticipé Michel Foucault, dans Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1975), et Gilles Deleuze (Post-scriptum sur les sociétés de contrôle, 1990), l’économie se confond avec un dispositif disciplinaire. La dette devient ainsi l’alibi qui légitime les restrictions et le contrôle social.

Dans le quotidien des citoyens, cela se traduit par des dispositifs concrets : notation bancaire, suivi des allocataires sociaux, encadrement des dépenses publiques, autant de mécanismes qui étendent la logique de surveillance. Ces pratiques ont un effet durable, car elles façonnent des comportements de conformité et réduisent l’espace du débat politique, en donnant l’impression que « l’économie impose ses propres lois ».

France Inter, 2025.

Quelles alternatives crédibles ?

Repenser la dette suppose de l’utiliser de façon ciblée, à taux nul, comme avant 1973. Les aides aux entreprises devraient être conditionnées à des engagements vérifiables en matière d’emploi et d’innovation, au profit des petites et moyennes entreprises. La fiscalité doit être rééquilibrée, en réduisant les niches, en taxant les rentes, en imposant aux grandes entreprises actives en France d’y payer leurs impôts. L’exemple de la taxe sur les superprofits énergétiques (UE, 2022) montre que c’est possible. Il s’agit là d’une mesure de justice élémentaire, que beaucoup de citoyens comprennent intuitivement, mais qui peine encore à s’imposer dans le débat public.

En outre, une loi antitrust limiterait la concentration excessive dans le numérique, la finance ou l’énergie. Pour être efficace, elle devrait s’accompagner d’autorités de régulation fortes, capables de sanctionner réellement les abus de position dominante. Enfin, une cotisation sociale sur l’intelligence artificielle permettrait de partager les gains de productivité et de financer la protection sociale. Une telle mesure contribuerait aussi à une meilleure répartition du temps de travail et à un équilibre de vie plus soutenable. Au-delà de ces leviers, une simplification des structures administratives libérerait des marges de manœuvre budgétaires, permettant de renforcer les métiers à forte utilité sociale et d’améliorer la qualité du service rendu aux citoyens.

La dette publique française n’est pas le fruit d’un peuple dépensier, mais celui d’un système construit depuis 1973 pour enrichir une minorité et fragiliser la puissance publique. Privatisations, aides sans condition, rente d’intérêts et connivence entre élites ont transformé l’endettement en transfert de richesses. Rompre avec cette logique suppose de recourir à l’emprunt à taux nul, de conditionner les aides, de rééquilibrer la fiscalité, de réguler les monopoles et de taxer l’IA.

Reprendre la main sur la dette, c’est gouverner la monnaie et les priorités collectives en fonction de l’intérêt général. C’est aussi affirmer que l’économie n’est pas une fatalité technique, mais un choix de société qui engage la souveraineté et le contrat social de demain.

The Conversation

Jérôme Baray est membre de l’Académie des Sciences Commerciales.

ref. Comment la gestion de la dette publique appauvrit l’État au profit du secteur privé – https://theconversation.com/comment-la-gestion-de-la-dette-publique-appauvrit-letat-au-profit-du-secteur-prive-268938

Comment les chauves-souris et les papillons de nuit préservent les baobabs d’Afrique

Source: The Conversation – in French – By Sarah Venter, Baobab Ecologist, University of the Witwatersrand

Les baobabs sont parfois appelés « arbres à l’envers », car leurs branches ressemblent à des racines qui s’élèvent vers le ciel. Sur les huit espèces de baobabs qui existent dans le monde, six se trouvent à Madagascar, une dans le nord de l’Australie et une autre, Adansonia digitata, se trouve dans les régions de savane du continent africain.

Ces arbres ne sont pas seulement impressionnants, ils sont aussi les pierres angulaires des écosystèmes et des moyens de subsistance africains. Ils fournissent des fruits, des fibres, des médicaments et un abri pour les populations et la faune sauvage. Mais c’est leur floraison nocturne et leur alliance avec de petits visiteurs de la nuit – les chauves-souris et les papillons nocturnes – qui recèlent les secrets de leur évolution et de leur survie future.

Les baobabs ont d’énormes fleurs blanches qui sont visitées la nuit par les chauves-souris et les papillons de nuit pour se nourrir de leur nectar sucré. Pendant qu’ils se nourrissent du nectar, la fleur recouvre ses visiteurs nocturnes de pollen qu’ils transportent vers la prochaine fleur qu’ils visitent. Cela permet de transférer le pollen de la partie mâle (anthère) d’une fleur à la partie femelle (stigmate) de la fleur suivante.




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Sans cette pollinisation, les arbres ne pourraient pas produire les fruits nutritifs que les Africains consomment depuis des milliers d’années, ni les graines qui permettront à la prochaine génération de baobabs de pousser.

Je suis écologiste spécialiste des baobabs et j’étudie ces arbres depuis 18 ans. Dans ma dernière recherche, mon équipe a étudié 284 baobabs à travers l’Afrique occidentale (Ghana), orientale (Kenya) et australe (Afrique du Sud, Namibie, Botswana) afin de déterminer quels animaux pollinisaient leurs fleurs. Nous avons observé les chauves-souris et les papillons de nuit pendant 205 heures, filmé et capturé les chauves-souris afin de les identifier, et collecté le pollen présent sur leur corps. Nous avons également comparé la forme, le nectar et le parfum des fleurs dans les différentes régions.




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L’étude indique aussi que leurs fleurs s’adaptent à ces pollinisateurs différents selon les régions.

Les baobabs sont tous génétiquement de la même espèce, mais leurs caractéristiques florales, leur forme, leur parfum et leur nectar ont évolué pour s’adapter aux différents pollinisateurs de chaque région.

Ces adaptations s’opèrent sur des milliers d’années. Cela signifie également que les arbres dépendent fortement de leur relation avec les chauves-souris ou les papillons de nuit. Si ces créatures disparaissent en raison du changement climatique, les arbres pourraient ne plus se reproduire. Cela mettrait en danger non seulement l’espèce des baobabs, mais aussi tout l’écosystème qui dépend d’eux.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur les animaux qui pollinisent les fleurs de baobab et sur leur importance pour la survie future des baobabs.

Préserver l’arbre de vie de l’Afrique

Protéger les pollinisateurs ne se limite pas à préserver la biodiversité. Cela permet également d’assurer la pérennité de l’un des arbres les plus vitaux d’Afrique et des communautés qui vivent à son ombre.

En matière de restauration et de conservation, une leçon cruciale s’impose : les graines et jeunes plants doivent être choisis en fonction des pollinisateurs propres à chaque région. Les fleurs émettent un parfum et produisent des quantités de nectar adaptées à leurs pollinisateurs. Si les fleurs ne parviennent pas à attirer les visiteurs appropriés, elles ne peuvent pas produire de fruits ou de graines. Par exemple, un baobab adapté aux chauves-souris peut ne pas prospérer dans un endroit où seuls les papillons de nuit sont présents.

Voici ce que nous avons découvert :

  • Afrique de l’Ouest : le principal visiteur des baobabs est la chauve-souris frugivore de couleur paille (Eidolon helvum), une grande espèce qui se nourrit en se suspendant la tête en bas aux branches. Les fleurs de baobab reflètent ici leur compagnon : les fleurs de cette région sont grandes, portées par de longs pédoncules et remplies de nectar. Les chauves-souris font pivoter les fleurs avec leurs pouces, et le pollen se dépose sur leur tête et leur poitrine. Ils transportent ce pollen vers d’autres fleurs, donnant ainsi naissance à une nouvelle génération d’arbres.

  • Afrique de l’Est : ici, c’est la petite chauve-souris frugivore égyptienne (Rousettus aegyptiacus) qui domine. Ces chauves-souris se posent directement sur les fleurs, utilisant la tige comme tremplin. Les fleurs d’Afrique de l’Est ont donc évolué pour devenir plus petites et plus robustes, avec moins de nectar, mais suffisamment pour encourager des visites répétées tout au long de la nuit.

  • Afrique australe : aucune chauve-souris ne visite les baobabs dans cette région. À la place, diverses espèces de papillons de nuit remplissent le rôle de pollinisateurs. Certains volent délicatement, d’autres se posent directement sur les fleurs. Les fleurs y sont plus petites, avec des pétales tombants et des stigmates plus larges. Ces adaptations subtiles poussent les papillons de nuit à entrer en contact direct avec les parties porteuses de pollen.

Les secrets des fleurs : forme nectar et parfum

Nous avons également analysé les fleurs et avons constaté toute une série de différences qui pourrait être reflet des modes d’alimentation des chauves-souris et des papillons de nuit :

Forme : dans les régions où vivent les chauves-souris, les pétales se replient vers l’arrière. Cela permet aux chauves-souris de se poser ou de se suspendre aux fleurs. Dans les régions où vivent les papillons de nuit, les pétales tombent, favorisant un contact étroit et un transfert efficace du pollen.

La longueur du pédoncule (la tige qui relie la fleur, puis le fruit, à la branche) : les fleurs des baobabs d’Afrique de l’Ouest ont de longues tiges qui conviennent aux grandes chauves-souris qui se nourrissent en se suspendant aux branches. En Afrique de l’Est, les tiges plus courtes réduisent les oscillations lorsque les petites chauves-souris se posent directement sur les fleurs.

Nectar : les grandes chauves-souris ont favorisé le développement de fleurs riches en nectar en Afrique de l’Ouest. Les fleurs d’Afrique de l’Est produisent moins de nectar pour les chauves-souris plus petites, et les fleurs de baobab d’Afrique australe ne fournissent que quelques gouttes de nectar, juste assez pour attirer les papillons de nuit.

Position du stigmate : en Afrique australe, certaines fleurs ont des stigmates courts et larges, la partie de l’organe reproducteur féminin qui reçoit le pollen avant qu’il ne soit transféré à l’ovaire enfoui sous la boule staminale. Cela contraste avec les stigmates entièrement saillants des fleurs de baobab d’Afrique occidentale et orientale qui sont visitées par les chauves-souris. Pour les papillons de nuit, cette position augmente les chances qu’ils effleurent les parties reproductrices de la fleur, les forçant ainsi à polliniser la fleur.

Parfum : les baobabs d’Afrique libèrent des composés inhabituels ressemblant au soufre qui attirent les chauves-souris, mais les fleurs d’Afrique australe émettent un parfum plus sucré, ce qui les rend attrayantes pour les papillons de nuit.

Notre avenir repose sur des ailes

Les oiseaux, les abeilles et les coléoptères ne pollinisent pas les fleurs de baobab, qui dépendent donc des papillons de nuit et des chauves-souris pour leur survie. Les baobabs peuvent s’adapter à une grande variété de conditions environnementales et climatiques. Mais les chauves-souris et les papillons de nuit peuvent être plus sensibles au changement climatique.

Nos recherches montrent que même les géants dépendent d’alliances fragiles, nouées ici avec les plus discrets visiteurs de la nuit. Protéger ces pollinisateurs signifie protéger les baobabs eux-mêmes, et avec eux, les communautés et les écosystèmes qui en dépendent.

The Conversation

Sarah Venter reçoit un financement de la Fondation Baobab.

ref. Comment les chauves-souris et les papillons de nuit préservent les baobabs d’Afrique – https://theconversation.com/comment-les-chauves-souris-et-les-papillons-de-nuit-preservent-les-baobabs-dafrique-269519

Réagir face au danger mortel par l’entraide, le réconfort et le soutien : témoignages de l’attentat au Bataclan le 13 novembre 2015

Source: The Conversation – in French – By Guillaume Dezecache, Directeur de recherche en sciences de la durabilité, psychologie et sciences comportementales, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Comment un groupe réagit-il face à un danger de mort ? L’analyse des témoignages de 32 victimes de l’attentat du Bataclan du 13 novembre 2015 montre que les comportements d’entraide, de réconfort émotionnel ou de soutien physique ont été nombreux. Cette stratégie de défense collective est souvent plus efficace que celle du « chacun pour soi ».


Le soir du 13 novembre 2015, six attentats quasi simultanés avaient ensanglanté les abords du Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), des terrasses des dixième et onzième arrondissements de Paris ainsi que l’enceinte, la fosse et les coursives du Bataclan (XIᵉ). Dans cette célèbre salle de concert, trois individus armés de fusils d’assaut font feu, tuent 90 personnes et en blessent plusieurs dizaines.

Dans un contexte marqué par de nombreux attentats en France, en Europe et ailleurs, le CNRS avait souhaité, fin novembre 2015, financer des projets de recherche permettant notamment d’appréhender les répercussions sociétales de ces nombreux événements meurtriers. Avec des collègues psychiatres, neuroscientifiques et psychologues sociaux, nous nous sommes penchés sur la question de ce que deviennent les conduites sociales (la façon dont nous nous comportons avec et face à autrui) lorsque la survie est en jeu.

Cette question est cruciale pour préparer au mieux les communautés aux situations d’urgence, et notamment pour articuler les dispositifs de secours institutionnels avec la tendance des populations à prendre les devants en se protégeant mutuellement dans l’attente ou à la place des secours.

Les comportements « antisociaux » sont rares

Depuis les années 1960 et grâce notamment aux travaux des sociologues du Disaster Research Center de l’Ohio State University (États-Unis), nous savons que la « panique » (définie comme un intense affect négatif, une croyance qu’un danger est présent mais qu’on peut en réchapper, et une motivation à atteindre la sécurité à tout prix) est rare. Évidemment, les personnes qui se sentent mortellement menacées ont peur et fuient. Mais elles le font sans volonté de nuire à autrui. Face au danger mortel, de tels comportements dits « antisociaux » (une action qui a un effet résolument délétère sur autrui) sont ainsi sans doute peu courants. Un survivant à l’attentat de Londres en 2005 raconte notamment « qu’il n’a constaté aucun comportement non coopératif », qu’il a « juste vu certaines personnes tellement absorbées par leurs propres émotions qu’elles étaient davantage concentrées sur elles-mêmes », mais « personne qui ne coopérait pas » ; il n’avait d’ailleurs « constaté aucun mauvais comportement ».

De fait, les comportements prosociaux (entraide, réconfort émotionnel, soutien physique) sont nombreux. Un témoin de la bousculade mortelle lors de la Love Parade de 2010 à Duisbourg (Allemagne) raconte qu’une personne (probablement décédée) l’avait sauvé de la mort en maintenant son bras au-dessus de sa tête, de façon à la protéger des piétinements.

Pourquoi nous montrerions-nous plutôt prosociaux face au danger mortel ? Selon la littérature scientifique, il y aurait trois grandes raisons à cela : d’abord, les normes sociales de l’ordinaire (ne pas marcher sur les autres, respecter leur intimité physique, protéger les personnes blessées, etc.) sont si importantes dans la vie quotidienne qu’elles sont maintenues. De même, la réponse au danger perçu est largement affiliative : face au danger, nous cherchons ce qui est sûr, par le rapprochement voire le contact physique. Enfin, le fait de se trouver avec d’autres face à un élément menaçant crée un sentiment de « destin commun » qui favorise des normes de protection du groupe.

Ces explications ont leur mérite, mais ne nous satisfont pas en ce qu’elles semblent présupposer que les réponses sociales au danger ne dépendent pas également des circonstances matérielles dans lesquelles se trouvent les individus. Serions-nous tout aussi prosociaux si nous avions d’abord l’occasion de nous échapper ? Faut-il se sentir en sécurité physique même minimale avant de vouloir aider autrui ? La prosocialité est-elle la réponse spontanée ou met-elle du temps à émerger ? Nous souhaitions, par un travail empirique, mieux comprendre la dynamique des réponses sociales face au danger mortel.

Une recherche menée avec les rescapés du Bataclan

Entre juin et novembre 2016, nous avons eu l’occasion de rencontrer individuellement trente-deux rescapé·e·s de l’attentat du Bataclan, approché·e·s grâce à nos contacts avec deux associations de victimes des attentats du 13-Novembre.

Après nous être assurés que chacun·e des participant·e·s se sentait en capacité de revivre par le récit sa soirée au Bataclan, nous avons discuté avec elles et eux autour d’un questionnaire portant sur leur position dans l’enceinte du Bataclan, leur perception de la menace, les comportements d’autrui et leurs propres comportements à trois moments clés de l’attentat : le moment où ils ont compris que quelque chose de grave se produisait ; lorsqu’ils prenaient conscience qu’il s’agissait d’une attaque terroriste ; enfin, les suites de l’attentat. Puisque certain·e·s participant·e·s ne se retrouvaient pas dans une telle partition du récit (nous disant notamment qu’elles ou ils n’avaient jamais pris conscience qu’il s’agissait d’un attentat), nous avons très vite abandonné l’idée d’analyser la temporalité des comportements prosociaux – à savoir s’ils émergeaient précocement ou tardivement face au danger.

Pour autant, nous avons pu analyser le rôle des contraintes spatiales et matérielles sur 426 actions sociales (réconfort autrui, pousser quelqu’un, appeler à l’aide, etc.) provenant des 32 participant·e·s (environ 13 épisodes narrés par participant·e), à savoir si elles étaient réalisées lorsqu’il était possible de s’échapper et si les agents de l’action étaient alors protégés par une paroi.

Que nous ont raconté les participant·e·s ? Évidemment, on nous a raconté l’usage de la force et des coudes pour se frayer un chemin jusqu’à la sortie.

Un participant nous a dit :

« On s’est levés, et il y a eu un mouvement de foule à ce moment-là […] on s’est fait un petit peu marcher dessus… »

On nous a aussi raconté des paroles difficiles échangées ainsi que des ordres donnés de manière violente et brutale :

« Y’a un mec (un autre spectateur) qui est arrivé derrière la porte […] et j’entendais : “Si tu n’ouvres pas la porte, je vais te b*, je vais te b*, tu vas le regretter toute ta vie, je vais te… tu vas mourir, je vais te’…” Il était complètement fou. »

Enfin, on nous a parlé de négligence des autres :

« La menace est toujours là […] je lâche la main de mon mari, enfin, le truc hyper égoïste […] je me barre et voilà. Et… euh ben, je marche sur des corps, mais je peux pas faire autrement. […] Les corps, les corps qui sont dans le hall, euh, je je, bah pour moi ils sont morts, mais je vais pas vérifier s’ils sont morts ou pas… »

Cependant, on nous a plus souvent raconté le réconfort donné aux autres :

« Je me retrouve allongée par terre, avec des gens empilés donc, je me retrouve avec un couple en face de moi, avec le mari qui couvre sa femme, et elle [est] terrorisée, et euh… […] je lui parle et je lui dis “Pleure pas… pleure pas… comment tu t’appelles ?” »

Il y eut également des transmissions d’information importante pour la survie d’autrui, en dépit du risque de se faire repérer par un terroriste :

« Quand je me suis retourné, y’avait un des assaillants […] qui était en train d’achever des gens au sol. […] Quand il a levé son arme pour recharger, j’ai demandé… et j’ai dit aux gens “Cassez-vous ! Cassez-vous, il recharge”. Et ma compagne me tenait la main elle était en pleurs, je lui ai dit “Tu te casses !” »

Des personnes témoignent de la collaboration physique :

« Ils tenaient la porte, ils ont arraché le néon, ils se sont occupés de la blessée, lui ont donné de l’eau. »

Notre analyse de la distribution des actions sociales en fonction de la position des participant·e·s suggère que les actions prosociales apparaissent plus fréquemment lorsque les individus ne peuvent pas fuir et bénéficient d’une protection minimale. Les contraintes physiques – murs, recoins, impossibilité de fuite – façonnent un espace d’action où les individus, privés d’alternatives, se tournent les uns vers les autres. La prosocialité devient alors une stratégie de survie collective, lorsque d’autres options ne sont pas ou plus aussi disponibles.

Face au danger, nous ressentons un fort besoin d’affiliation et de contact physique, davantage à l’égard des personnes qui nous sont familières, mais aussi sans doute avec le tout-venant. De fait aussi, des facteurs matériels nous empêchent parfois de nous échapper, nous obligeant à faire avec les autres. Cela tombe bien, la présence d’autres personnes est aussi souvent très rassurante.

La prosocialité face au danger peut donc être envisagée comme une stratégie de défense collective fondée sur un principe plus élémentaire : l’interdépendance. Lorsque nos chances de survie sont liées à celles des autres, agir pour soi revient à agir pour autrui – et inversement.

The Conversation

Guillaume Dezecache a reçu des financements du programme CNRS Attentats-Recherche.

ref. Réagir face au danger mortel par l’entraide, le réconfort et le soutien : témoignages de l’attentat au Bataclan le 13 novembre 2015 – https://theconversation.com/reagir-face-au-danger-mortel-par-lentraide-le-reconfort-et-le-soutien-temoignages-de-lattentat-au-bataclan-le-13-novembre-2015-269000

Cameroun : Paul Biya réélu pour un huitième mandat, et après ?

Source: The Conversation – in French – By Serge Loungou, enseignant-chercheur, Université Omar Bongo (UOB)

Le 27 octobre 2025, le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats de l’élection présidentielle organisée le 12 octobre. Paul Biya a officiellement obtenu 53,66 % des voix, contre 35,19 % pour son principal challenger et ancien ministre, Issa Tchiroma Bakary. Or, selon son propre décompte, ce dernier revendique 54,8 % des voix, contre 31,3 % pour le président sortant.

Dès l’annonce de la réélection de Paul Biya, de nombreuses villes ont été secouées par des manifestations dont le bilan est difficile à établir avec précision. Les autorités maintiennent une opacité sur le nombre des pertes en vies humaines.

De leur côté, la société civile et les Nations Unies déplorent des milliers d’arrestations et plusieurs dizaines de civils tués.

La tension est montée d’un cran, le 2 novembre, quand Issa Tchiroma Bakary a lancé via son compte Facebook, depuis son refuge secret du Nigeria, le mot d’ordre de « villes mortes » durant trois jours. La mobilisation a été forte à Douala, la capitale économique et épicentre de la contestation, ainsi que dans les villes du Nord, de l’Est et de l’Ouest. Mais à Yaoundé, la capitale administrative, et dans les régions du Centre et du Sud, bastion du clan présidentiel, les populations ont semblé indifférentes à l’appel de son opposant.

Il n’empêche que les troubles post-électoraux perturbent les activités économiques, faisant ainsi surgir le spectre de l’inflation.

Depuis 1992, les réélections de Paul Biya ont été suivies de manifestations violentes. Son régime est parvenu à survivre au moyen de la répression, de l’instrumentalisation du régionalisme et de ralliement opportuniste d’opposants.

Pour avoir étudié les perspectives de transition politique au Cameroun, je pense que, cette fois-ci, la grogne populaire semble transcender les multiples clivages (identitaires, sociaux, politiques) qui traversent la société camerounaise.

Une évolution rétrograde

Les ferments de cette colère grandissante sont avant tout d’ordre socioéconomique. En effet, longtemps présenté comme le pays le plus prometteur d’Afrique centrale, le Cameroun connaît, depuis au moins deux décennies, une « descente aux enfers » économique et morale. Celle-ci mine sa cohésion sociale et menace sérieusement son ordre sociopolitique.

Les marqueurs significatifs de cette évolution rétrograde sont :

Ces lacunes structurelles entretiennent une tension sociale permanente.
Combinées à des circonstances politiques (compétitions électorales, révisions circonstancielles de la Constitution, revendications syndicales), elles débouchent fréquemment sur de violentes manifestations urbaines, à l’exemple des « émeutes de la faim » de 2008 et des pillages orchestrés récemment dans plusieurs villes du pays, en lien avec les protestations post-électorales.

Les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, traditionnellement appelées le NOSO, symbolisent, pour emprunter l’expression du philosophe Franklin Nyamsi, la « tragédie kamerunaise ». L’ancien Cameroun britannique possède d’importantes ressources naturelles (pétrole, gaz) et d’inestimables potentialités halieutiques, agricoles et touristiques. Celles-ci en font une zone stratégique de premier plan, lui permettant de contribuer au PIB national à hauteur de 16,3 % jusqu’en 2015.

Mais le déclenchement en 2017 d’une guerre de sécession menée par les nationalistes « ambazoniens » a plongé le NOSO dans une grande insécurité, causant une grave crise humanitaire ainsi que des dommages aux économies des deux régions anglophones et partant du pays.

En 2021, un rapport de la Banque mondiale suggérait déjà que le PIB national chuterait de 9 % si le conflit devait durer jusqu’en 2025.

Une histoire coloniale particulière

Le conflit du NOSO est né des vicissitudes de l’histoire coloniale particulière du Cameroun. Il doit son enlisement autant à l’indifférence manifeste de la communauté internationale qu’à l’intransigeance de ses protagonistes locaux qui ne parviennent ni à aplanir leurs divergences politiques ni à s’imposer militairement à l’adversaire.

Alors que Paul Biya entame son huitième mandat, rien ne semble présager du retour à l’accalmie dans cette zone où l’impopularité du président provient de ce qu’il est considéré comme le “seul responsable” de la crise du NOSO.

Une défiance qui tranche avec la bienveillance dont le candidat Issa Tchiroma Bakary a semblé bénéficier de la part de l’électorat anglophone, après qu’il a promis de libérer les leaders “ambazoniens”, d’engager un dialogue pour mettre fin à la guerre et de réinstaurer le fédéralisme aboli par le pouvoir central dominé par les francophones.

Lors de sa prestation de serment organisée le 6 novembre à Yaoundé, en l’absence de dirigeants étrangers, Paul Biya a promis d’œuvrer à l’unité, la stabilité et la prospérité du pays. Son âge « canonique » tend cependant à alimenter l’incertitude. En effet, celui qu’une certaine presse se plaît à caricaturer comme le « président fantôme » ou l’« omniabsent », en raison de la rareté de ses interventions officielles et de sa propension à séjourner longuement à l’étranger, avoisinera les 100 ans au terme de ce nouveau septennat.

Cette perspective suscite forcément des interrogations. Le « sphinx d’Etoudi » — surnom attribué à Paul Biya pour sa résilience au pouvoir, Etoudi étant la colline où se situe le palais présidentiel dans la capitale Yaoundé — pourra-t-il toujours gouverner le pays réel et continuer d’incarner la stabilité ?

Envisage-t-il seulement de mener à son terme cet énième mandat ? Pourrait-il être contraint d’y renoncer ? Autant de préoccupations lancinantes auxquelles il est difficile de répondre sans se livrer à un exercice de divination.

Quoiqu’il en soit, le contexte sociopolitique camerounais parait peu se prêter à un scénario successoral de type héréditaire ou familial, comme on l’a vécu dans certains pays (République démocratique du Congo, Togo, Gabon, Tchad), ou tel qu’on le pressent pour d’autres (Guinée équatoriale, Congo, Ouganda).

La raison principale en est liée, manifestement, aux règles de gouvernance que Paul Biya est parvenu à imposer. D’une part, il veut tenir sa progéniture à l’écart de la sphère politique (État, parti). D’autre part, il cherche à demeurer le « maître de l’échiquier » annihilant toute velléité de rivalité ou de concurrence politique dans son propre camp.

L’instrument implacable de cette stratégie d’endiguement est l’« opération Épervier ». Destinée à lutter contre la corruption et l’enrichissement illicite des agents publics, cette opération a conduit à l’embastillement de longue durée de nombreux cadres administratifs et politiques associés au pouvoir, pour la plupart adversaires réels ou supposés du président. Parmi eux figurent des personnalités issues de sa communauté.

Guerre de succession

Pour autant le « bilan successoral » de Paul Biya ne présente pas les garanties d’une transition plus sereine qu’ailleurs. En effet, l’absence de dauphin officiel ou consensuel, associée à l’incertitude qui entoure les modalités de désignation du candidat du parti au pouvoir – le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) –, ne pourrait qu’intensifier la guerre de succession larvée. Cette guerre, perceptible depuis quelques années au sein du camp présidentiel, s’amplifierait à mesure que l’autorité du chef de l’État irait en s’érodant à l’épreuve du temps et/ou de la maladie.

Alimentées par de fortes oppositions de personnes, ces rivalités successorales conduiraient inévitablement à la désintégration des solidarités construites artificiellement autour de la figure tutélaire de Paul Biya.

Dans un Cameroun où, plus que jamais, le tribalisme imprègne fortement la vie sociale et politique, on peut raisonnablement craindre que les luttes intra-partisanes pour le pouvoir ne s’alimentent des fractures identitaires existantes, voire les exacerbent.

De surcroît ces querelles de succession se superposeraient à des périls bien réels qui actuellement mettent à mal la sécurité et l’unité du pays :

  • des tensions intercommunautaires dans plusieurs régions ;

  • des revendications sécessionnistes en zone anglophone ;

  • une guerre d’usure imposée par la secte islamiste Boko Haram au nord ;

  • l’insécurité alimentée à l’est par la faillite de la République centrafricaine voisine.

Âgé de 92 ans, Paul Biya est le chef d’Etat en exercice le plus vieux au monde. La perspective de son départ imminent du pouvoir est donc inéluctable. Le vide politique que laisse entrevoir ce départ a libéré des forces antagonistes. Leur affrontement expose le Cameroun à une forte instabilité dont les effets pourraient se propager dans la sous-région.

 moins que Paul Biya n’établisse les conditions d’une transition apaisée comme ce fut le cas lorsque, en 1982, il succéda conformément à la Constitution à Ahmadou Ahidjo.

The Conversation

. Serge Loungou est affilié au Centre d’études et de recherche en géosciences politiques et prospective. Il exerce la fonction de Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Libreville. A ce titre, il reçoit des financements de l’Etat gabonais.

ref. Cameroun : Paul Biya réélu pour un huitième mandat, et après ? – https://theconversation.com/cameroun-paul-biya-reelu-pour-un-huitieme-mandat-et-apres-269292

Pesticides : quand les équipements censés protéger exposent davantage

Source: The Conversation – in French – By Fabienne Goutille, Maîtresse de Conférences en Ergotoxicologie, Université Clermont Auvergne (UCA)

Les équipements individuels de protection sont obligatoires pour les agriculteurs qui épandent des pesticides. Pourtant, on sait aujourd’hui qu’ils peuvent aggraver l’exposition aux pesticides. RGtimeline/Shutterstock, CC BY

Peu adaptés aux conditions de travail réelles des agriculteurs, les équipements censés les protéger des expositions aux pesticides se révèlent bien souvent inefficaces voire même néfastes. La discipline de l’ergotoxicologie tâche de remédier à cela en travaillant auprès des premiers concernés.


Alors que la loi Duplomb a été adoptée, ouvrant la voie à la réintroduction de pesticides interdits et à la remise en cause de garde-fous environnementaux, un angle mort persiste dans le débat public : qui, concrètement, est exposé à ces substances, dans quelles conditions, et avec quelles protections ?

Loin des protocoles théoriques, la réalité du terrain est plus ambivalente. Porter une combinaison ne suffit pas toujours à se protéger. Parfois, c’est même l’inverse. Une autre approche de la prévention s’impose donc en lien avec les personnes travaillant en milieu agricole.

Avec le programme PESTEXPO (Baldi, 2000-2003), en observant le travail en viticulture en plein traitement phytosanitaire, une réalité qui défiait le bon sens est apparue : certaines personnes, pourtant équipées de combinaisons de protection chimique, étaient plus contaminées que celles qui n’en portaient pas.

Grâce à des patchs cutanés mesurant l’exposition réelle aux pesticides, l’équipe de l’Université de Bordeaux et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a confirmé un phénomène aujourd’hui bien documenté : la perméation, c’est-à-dire la traversée des tissus protecteurs par les molécules chimiques.

Sous l’effet de la chaleur, de l’humidité et de l’effort, la combinaison piégeait en fait les pesticides à l’intérieur du vêtement, empêchant leur évaporation et créant un effet piège, favorisant leur contact prolongé avec la peau. Ce n’était pas seulement un échec de protection : c’était un facteur aggravant.

Cette situation soulève une question centrale : comment des équipements conçus pour protéger peuvent-ils exposer davantage ?

Une protection illusoire imposée… et mal pensée

Les équipements de protection individuelle (EPI) portés par les agriculteurs relèvent en grande partie d’une conception industrielle. Leur homologation repose sur des tests réalisés en laboratoire, par les fabricants eux-mêmes, selon des protocoles standardisés dans des conditions semi-contrôlées, déconnectées du travail réel. Les conditions extrêmes du terrain – chaleur, humidité, densité – et les variabilités du travail ne sont pas prises en compte.

Dans les exploitations, ces équipements sont portés sur des corps en action : monter et descendre du tracteur, passer sous les rampes, manipuler les tuyaux, se faufiler entre les rangs, porter des charges, travailler au contact des machines ou de végétaux abrasifs. Les combinaisons ne suivent pas toujours ces gestes. Elles peuvent gêner la précision, limiter l’amplitude, se coincer ou se déchirer. Et parce qu’elles sont conçues sur un gabarit standardisé, elles s’ajustent mal à la diversité des morphologies, notamment des femmes, pour qui la coupe, la longueur ou l’encombrement des tissus rendent certains mouvements plus difficiles, voire plus risqués.

Pourtant, la réglementation impose le port de ces équipements. En cas de contrôle, ou d’accident, la responsabilité incombe aux propriétaires ou aux gestionnaires de l’exploitation. Cette logique repose sur une fiction rassurante : le port d’un EPI serait une protection suffisante. La réalité est tout autre.

Les personnes qui travaillent au contact des pesticides le savent bien. Lors des manifestations, on a pu entendre le slogan « Pas d’interdiction sans solution », qui résume bien leur colère : trop de normes, trop peu de moyens pour les appliquer.

Porter une combinaison étanche, par 30 °C, retirer ses gants à chaque étape, se rincer entre deux manipulations, tout en assurant la rentabilité de l’exploitation… Cela relève souvent de l’impossible. De plus, les combinaisons sont pour la plupart à usage unique, mais compte tenu de leur coût, elles peuvent être réutilisées de nombreuses fois.

On ne peut pas simplement reprocher aux agriculteurs et agricultrices de ne pas faire assez. C’est tout un système qui rend la prévention inapplicable.

L’ergotoxicologie : partir de l’activité réelle pour mieux prévenir

Face à ces constats, l’ergotoxicologie propose un autre regard. Issue de la rencontre entre ergonomie et toxicologie, cette approche s’attache à comprendre les situations d’exposition telles qu’elles se vivent concrètement : gestes, contraintes, matériaux, marges de manœuvre, savoirs incorporés. Elle repose sur une conviction : on ne peut pas prévenir sans comprendre le travail réel.

Dans notre démarche, nous utilisons des vidéos de l’activité, des mesures d’exposition, et surtout des temps de dialogue sur le travail, avec et entre les travailleurs et travailleuses. Ce sont elles et eux qui décrivent leurs gestes, les développent, et proposent des ajustements. Nous les considérons comme des experts de leurs expositions.

Dans le projet PREVEXPO (2017-2022), par exemple, un salarié de la viticulture expliquait pourquoi il retirait son masque pour remplir la cuve et régler le pulvérisateur :

« Il était embué, je n’y voyais rien. Je dois le retirer quelques secondes pour éviter de faire une erreur de dosage. »

Ce type de témoignage montre que les choix en apparence « déviants » sont souvent des compromis raisonnés. Ils permettent de comprendre pourquoi la prévention ne peut pas se réduire à une simple application de règles abstraites ou générales.

Co-construire les solutions, plutôt que blâmer

En rendant visibles ces compromis, les personnes concernées peuvent co-construire des pistes de transformation, à différentes échelles. Localement, cela peut passer par des ajustements simples : une douche mobile, un point d’eau plus proche et assigné aux traitements, un nettoyage ciblé du pulvérisateur ou du local technique, des sas de décontamination entre les sphères professionnelle et domestique, une organisation du travail adaptée aux pics de chaleur.

Encore faut-il que l’activité de protection soit pensée comme une activité en soi, et non comme un simple geste ajouté. Cela implique aussi de créer les conditions d’un dialogue collectif sur le travail réel, où risques, contraintes et ressources peuvent être discutés pour mieux concilier performance, santé et qualité du travail.

Mais cela va plus loin : il s’agit aussi d’interroger la conception des équipements, les normes d’homologation et les formulations mêmes des produits.

Faut-il vraiment demander aux agriculteurs et agricultrices uniquement de porter la responsabilité de leur exposition ? Ces réflexions dépassent leur seul cas. La chaîne d’exposition est en réalité bien plus large : stagiaires personnels et familles vivant sur l’exploitation, saisonniers et saisonnières qui passent en deçà des radars de l’évaluation des risques, mécaniciens et mécaniciennes agricoles qui entretiennent le matériel, conseillers et conseillères agricoles qui traversent les parcelles… Sans parler des filières de recyclage, où des résidus persistent malgré le triple rinçage.

Faut-il leur imposer à toutes et tous des EPI ? Ou repenser plus largement les conditions de fabrication, de mise sur le marché, d’utilisation et de nettoyage des produits phytopharmaceutiques ?

L’ergotoxicologie ne se contente pas de mesurer : elle propose des objets de débat, des images, des données, qui permettent de discuter avec les fabricants, les syndicats, les pouvoirs publics. Ce n’est pas une utopie lointaine : dans plusieurs cas, les travaux de terrain ont déjà contribué à alerter les agences sanitaires, à faire évoluer les critères d’évaluation des expositions, ou à modifier des matériels et équipements agricoles.

Ni coupables ni ignorants : un savoir sensible trop souvent ignoré

Contrairement à une idée reçue, les personnes qui travaillent dans l’agriculture ne sont pas ignorantes des risques. Elles les sentent sur leur peau, les respirent, les portent parfois jusque chez elles. Certaines agricultrices racontent que, malgré la douche, elles reconnaissent l’odeur des produits quand leur partenaire transpire la nuit.

Ce savoir sensible et incarné est une ressource précieuse. Il doit être reconnu et pris en compte dans les démarches de prévention. Mais il ne suffit pas, si l’organisation, les équipements, les produits et les règles restent inadaptés et conçus sans tenir compte du travail réel.

Prévenir, ce n’est pas culpabiliser. C’est redonner du pouvoir d’agir aux personnes concernées, pour qu’elles puissent faire leur métier sans abîmer leur santé au sens large et celle de leur entourage. Et pour cela, il faut les écouter, les associer, les croire, et leur permettre de contribuer à la définition des règles de leur métier.

Dans le contexte de la loi Duplomb, qui renforce l’autorisation de produits controversés sans se soucier des conditions réelles d’usage, ce travail de terrain collaboratif et transdisciplinaire est plus que jamais nécessaire pour une prévention juste, efficace, et réellement soutenable.


📽️ Le film documentaire Rémanences, disponible sur YouTube (Girardot-Pennors, 2022) illustre cette démarche collaborative en milieu viticole.

The Conversation

Alain Garrigou a reçu des financements de ANR, ECOPHYTO

Fabienne Goutille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pesticides : quand les équipements censés protéger exposent davantage – https://theconversation.com/pesticides-quand-les-equipements-censes-proteger-exposent-davantage-268958

Nicolas Sarkozy interdit de contact avec Gérald Darmanin : l’indépendance de la justice renforcée ?

Source: The Conversation – in French – By Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre

Nicolas Sarkozy a été mis en liberté sous contrôle judiciaire, lundi 10 novembre, par la Cour d’appel de Paris. Il n’a plus le droit de quitter le territoire, et ne doit pas entrer en contact avec les personnes liées à l’enquête ni avec le ministre de la justice Gérald Darmanin. Cette interdiction est liée à la visite que lui a rendu le ministre en prison, interprétée comme une pression exercée sur les magistrats. Le contrôle judiciaire de l’ancien président de la République va donc dans le sens d’une réaffirmation du principe d’indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir exécutif. Au-delà de l’affaire Sarkozy, quelles sont les capacités d’influence du pouvoir exécutif sur la justice ?


Le 10 novembre 2025, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette décision n’est nullement le résultat des pressions diverses qui pèsent sur l’institution judiciaire depuis le prononcé de la condamnation de l’ancien chef de l’État. D’une part, la Cour d’appel a estimé que les conditions de la détention provisoire n’étaient pas réunies, aucun élément objectif ne laissant craindre que l’ancien chef de l’État soit tenté de prendre la fuite avant le jugement définitif de son affaire. D’autre part, et surtout, la Cour a assorti la mise en liberté d’un contrôle judiciaire strict, interdisant en particulier à M. Sarkozy tout contact avec le garde des sceaux Gérald Darmanin et avec son cabinet, considérant que de tels liens lui permettraient d’influer sur le cours de la procédure.

Ce faisant, la juridiction vient non seulement réaffirmer l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais aussi apporter une réponse à la polémique soulevée par la visite du garde des sceaux, agissant à titre officiel, à l’ancien locataire de l’Élysée incarcéré, le 27 octobre. Cette démarche avait en effet suscité de nombreuses critiques au sein du monde judiciaire, à l’image des propos du procureur général de la Cour de cassation dénonçant un risque « d’obstacle à la sérénité et d’atteinte à l’indépendance des magistrats » ou, plus encore, de la plainte pour prise illégale d’intérêt déposée à l’encontre du ministre par un collectif d’avocats.

Le ministre de la justice peut-il rendre visite à un détenu ?

Au-delà de la polémique médiatique, c’est d’abord l’état de la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire – sensément séparés et indépendants – que cette visite interroge. Certes, les textes actuels permettent bien au ministre, au moins indirectement, d’y procéder. Le Code pénitentiaire reconnaît en effet à certains services de l’administration pénitentiaire le droit de procéder à des visites de contrôle du bon fonctionnement des établissements carcéraux. Dans la mesure où le ministre de la justice est à la tête de cette administration, rien ne lui interdit donc, en théorie, de procéder lui-même à de telles visites. Par ailleurs, toute personne détenue « peut demander à être entendue par les magistrats et fonctionnaires chargés de l’inspection ou de la visite de l’établissement, hors la présence de tout membre du personnel de l’établissement pénitentiaire ». Ainsi, le cadre juridique aujourd’hui applicable au contrôle des prisons n’interdit pas au garde des sceaux de visiter lui-même un établissement et de s’entretenir, à cette occasion, avec les personnes incarcérées.

Mais c’est justement un tel cadre qui, du point de vue de la séparation des pouvoirs, mérite d’être questionné. Faut-il le rappeler, c’est toujours en vertu d’une décision de l’autorité judiciaire qu’un individu peut être mis en prison, qu’il s’agisse d’un mandat de dépôt prononcé avant l’audience ou de la mise à exécution d’un jugement de condamnation définitif. C’est également l’autorité judiciaire, en la personne du juge d’application des peines, qui est seule compétente pour décider des mesures d’aménagement des peines d’emprisonnement (réduction de peines, semi-liberté, libération conditionnelle…). Et si la direction de l’administration pénitentiaire peut prendre seule certaines décisions (placement à l’isolement, changement d’établissement…), c’est sous le contrôle du juge administratif, non du ministre.

C’est pourquoi la visite dans un établissement carcéral du garde des sceaux, lequel – à la différence des fonctionnaires placés sous son autorité – est membre du pouvoir exécutif, est toujours porteuse d’un risque d’immixtion ou de pression, au moins indirecte, sur le pouvoir judiciaire. Tel est notamment le cas quand cette visite a pour seul objet d’accorder, sinon un soutien, du moins une attention particulière à un détenu parmi d’autres, quand les juges ont pour mission de traiter chacun d’entre eux sur un strict pied d’égalité.

À cet égard, il est intéressant de relever que les autres autorités habilitées – aux côtés des magistrats – à se rendre en prison ont, quant à elles, pour seule attribution de veiller au respect des droits fondamentaux de l’ensemble des personnes emprisonnées, à l’image du défenseur des droits et du contrôleur général des lieux de privation de liberté ou, encore, du comité de prévention de la torture du conseil de l’Europe.

Les leviers du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire

La polémique suscitée par la visite faite à l’ancien chef de l’État a ainsi le mérite de mettre en lumière à quel point le pouvoir exécutif dispose, encore aujourd’hui, de nombreux leviers pour intervenir plus ou moins directement dans le champ d’intervention du pouvoir judiciaire. Ainsi, ce qui est vrai pour l’exécution des peines l’est, plus encore, pour l’exercice de la police judiciaire, c’est-à-dire l’ensemble des actes ayant pour objet la constatation et l’élucidation des infractions pénales. Alors que l’ensemble des agents et officiers de police judiciaire sont en principe placés sous l’autorité exclusive du procureur de la République ou – lorsqu’il est saisi – du juge d’instruction, ils demeurent en pratique sous l’autorité du ministre de l’intérieur, seul compétent pour décider de leur avancement, de leurs mutations et, plus largement, de leurs conditions générales de travail. C’est en particulier le ministère qui décide, seul, de l’affectation des agents à tel ou tel service d’enquête, du nombre d’enquêteurs affectés à tel service et des moyens matériels qui leur sont alloués. En d’autres termes, les magistrats chargés des procédures pénales n’ont aucune prise sur les conditions concrètes dans lesquelles leurs instructions peuvent – ou non – être exécutées par les services de police.

Mais le pouvoir exécutif dispose d’autres leviers lui permettant d’exercer encore plus directement son influence sur le cours de la justice. Les magistrats du parquet sont ainsi placés sous la stricte subordination hiérarchique du garde des sceaux, seul compétent pour décider de leur affectation, de leur avancement, et des éventuelles sanctions disciplinaires prises à leur encontre.

Une situation de dépendance institutionnelle qui explique que, depuis plus de quinze ans, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les procureurs français ne peuvent être regardés comme une autorité judiciaire au sens du droit européen. Si les magistrats du siège bénéficient quant à eux de réelles garanties d’indépendance, ils ne sont pas à l’abri de toute pression. Certes, ils sont inamovibles et le Conseil supérieur de la magistrature a le dernier mot sur les décisions disciplinaires et les mutations les concernant. Toutefois, si les juges ne peuvent être mutés contre leur gré, c’est le ministère qui reste compétent pour faire droit à leurs demandes de mutation, le Conseil n’intervenant que pour valider (ou non) les propositions faites par les services administratifs – à l’exception des présidents de tribunal et des magistrats à la Cour de cassation, qui sont directement nommés par le Conseil supérieur de la magistrature.

Des juridictions dépendantes du ministère pour leur budget

Par ailleurs, alors que le conseil d’État négocie et administre en toute indépendance le budget qui lui est confié pour la gestion des juridictions de l’ordre administratif, les juridictions judiciaires ne bénéficient quant à elles d’aucune autonomie budgétaire. Là encore, c’est le ministère de la justice qui, seul, négocie le budget alloué aux juridictions et prend les principales décisions quant à son utilisation, notamment en matière d’affectation des magistrats et des greffiers à telle ou telle juridiction et en matière immobilière. Le pouvoir exécutif dispose ainsi d’une influence considérable sur l’activité concrète des tribunaux et, en particulier, sur leur capacité à s’acquitter de leurs missions dans de bonnes conditions.

Au final, c’est peu dire qu’il existe de significatives marges de progression si l’on veut soustraire pleinement le pouvoir judiciaire à l’influence du pouvoir exécutif. Une émancipation qui, faut-il le rappeler, n’aurait pas pour fonction d’octroyer des privilèges aux magistrats, mais tendrait uniquement à assurer à tout justiciable – et, plus largement, à tout citoyen – la garantie d’une justice véritablement indépendante, à même d’assurer à chaque personne le plein respect de ses droits, quelle que soit sa situation sociale.

The Conversation

Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Nicolas Sarkozy interdit de contact avec Gérald Darmanin : l’indépendance de la justice renforcée ? – https://theconversation.com/nicolas-sarkozy-interdit-de-contact-avec-gerald-darmanin-lindependance-de-la-justice-renforcee-269620

Partir ou bien rester ? Quand la loyauté politique est mise en péril

Source: The Conversation – in French – By Mireille Lalancette, Professor, Département de lettres et communication sociale, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

Qu’ont en commun, Lionel Carmant, Maïté Blanchette Vézina, Éric Lefebvre, Pierre Dufour, Pierre Fitzgibbon, Joëlle Boutig, Youri Chassin, Isabelle Poulet ? Ces huit politiciens, qui étaient tous députés pour la Coalition avenir Québec (CAQ), ont soit quitté le parti pour siéger comme indépendant, fait le saut au fédéral, ou se sont réorientés ailleurs qu’en politique. Certains, encore, ont été expulsés.

C’est notamment le cas d’Isabelle Poulet, dernière en date à quitter. Début novembre, le cabinet de François Legault a informé le public qu’Isabelle Poulet, la députée de Laporte, en Montérégie, était exclue du caucus de la CAQ. La députée aurait fait la « grave erreur » de courtiser le Parti libéral du Québec.

En flirtant avec le parti adverse, Poulet a transgressé une règle implicite : la solidarité.

Alors que les partis politiques sont au cœur du système démocratique, qu’ils coalisent les valeurs et offrent des idéologies claires permettant de regrouper les élus, qu’est-ce qui pousse les députés à quitter leur parti ? Cette question m’anime dans mes recherches en communication politique à l’UQTR. Mes collègues des Universités Acadia et de l’Alberta, spécialisés en sciences politiques, partagent cette même préoccupation.

Dans cet article, nous offrons un regard croisé sur la loyauté en politique et sur les raisons qui poussent les députés à quitter leur parti à l’aune de notre ouvrage récent No I in Team. Party Loyalty in Canadian Politics.

Dans No I in Team, nous analysons de manière détaillée la vie politique entre 1980 et 2023 tant au fédéral qu’au provincial. Plus de 350 entrevues avec des politiciens, chefs et stratèges, ainsi que l’analyse de nombreux documents d’archives et de textes médiatiques (plus de 3 300) nous ont permis de brosser un portrait riche et nuancé des raisons qui poussent les politiciens à être fidèles à leurs partis pendant qu’ils évoluent en politique, mais également des raisons qui les poussent à partir.

Le « je » et le « nous »

La prémisse clé reste que la politique est un jeu d’équipe… « there is no I in team », comme le dit le fameux dicton anglophone. En français, l’idée est celle qu’en équipe il faut oublier le « je » au profit du « nous ». Cela veut dire que dans une équipe politique, il faut parler d’une seule voix et respecter la discipline du parti.

En règle générale, les élus rejoignent des partis dont ils partagent les valeurs et qu’ils souhaitent représenter. Cela ne veut pas dire que la collaboration est exempte de défis, de désaccords et d’irritants. Malgré tout, les députés sont nombreux à rester des joueurs d’équipe, et cela pour diverses raisons.

Parmi celles-ci, on retrouve la volonté de conserver leur poste et de gagner en influence au sein de leur parti. De plus, les députés préfèrent évoluer au sein de partis puisque ces derniers jouent un rôle clé et positif dans le jeu démocratique, organisent les discours et les prises de position et stabilisent les gouvernements. Dans ce contexte, une démission demeure toujours un événement marquant.




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Conflits de loyauté

En effet, quand un élu décide de quitter son parti, il est rapidement critiqué par ses collègues et mis au ban de son parti. La démission fin octobre de Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux, a certainement marqué les esprits. François Legault lui a en effet donné une longue accolade, ce qui est rare lors d’un départ.

Carmant a quitté à la suite de l’adoption de la loi sur la rémunération des médecins. Il était pris en étau entre loyauté envers sa famille, puisque sa fille et sa conjointe sont médecins, et loyauté envers sa profession, puisqu’il a lui-même travaillé à titre de neuropédiatre.

Transfuges et indépendants : mêmes combats ?

Des conflits de loyauté similaires arrivent parfois quand les gens évoluent en politique. Il n’est pas rare de voir des politiciens quitter leur parti pour en rejoindre un autre plus près de leurs valeurs et intérêts, pour obtenir une promotion, ou bien pour siéger comme indépendants.

Il y a des cas célèbres de transfuges. Pensons ici à Belinda Stronach, qui a quitté le Parti conservateur du Canada (PCC) en 2005 pour rejoindre le Parti libéral et y devenir ministre.

Les transfuges directs sont ceux qui sont les plus critiqués, autant par leurs collègues, les citoyens que les médias. Pourquoi ? Parce que le fait de passer d’un parti à l’autre – de traverser la chambre comme l’illustre l’expression consacrée – du jour au lendemain fait figure de trahison. Plus encore, cela nuit à l’image du politicien vertueux qui serait là par conviction et non à des fins électoralistes. Comment peut-on être conservateur un matin et se réveiller libéral le suivant, se questionnent citoyens et journalistes ?

C’est ce qu’on a pu se demander avec le passage récent de Chris d’Entremont, député de la Nouvelle-Écosse, du Parti conservateur du Canada au Parti libéral. Ce dernier justifie son choix en disant :

Après mûre réflexion et des discussions approfondies avec mes électeurs et ma famille, j’en suis arrivé à une conclusion claire : il existe une meilleure voie à suivre pour notre pays. Le premier ministre Mark Carney nous offre cette voie.

Interrogé en lien avec cette situation, le whip du gouvernement, Mark Gerretsen, a justifié ce transfuge :

La réalité, c’est que ce que nous constatons au sein du Parti conservateur, c’est que le mouvement progressiste est mort. Chris d’Entremont est un conservateur progressiste et il cherche un nouveau foyer. (notre traduction).

C’est fréquemment une incompatibilité du point de vue des valeurs qui motive la décision de quitter sa famille politique.


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Claquer la porte et ébranler les colonnes du temple

D’autres élus défraient les manchettes lorsqu’ils quittent leur parti pour siéger comme indépendant. Ne voulant plus faire partie de l’équipe, ils font parler d’eux lorsqu’ils exposent haut et fort leurs critiques envers leur ancien parti et son chef. Ce fut le cas pour Maïté Blanchette Vézina, qui après avoir perdu son poste de ministre des Ressources naturelles et des Forêts, a annoncé qu’elle quittait la CAQ.

Elle avait alors déclaré : « Je n’ai pas confiance en M. Legault. […] Un chef doit reconnaître le moment de préparer la relève. J’invite le premier ministre à réfléchir sérieusement. »




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La notion d’équipe est fréquemment au cœur des discours lors des départs, comme ce fut le cas pour Mme Blanchette Vézina et de plusieurs autres que nous avons analysés :

Pour aller au combat ensemble, il faut savoir clairement ce qu’on défend, y adhérer et, surtout, avoir confiance en son chef et sa garde rapprochée. Et malheureusement, ce n’est plus le cas pour moi. Depuis plusieurs mois, je m’interroge profondément sur la direction de notre formation politique, sur la capacité aussi du leadership actuel à donner un cap qui rassemble et inspire, a mentionné Mme Blanchette Vézina.

Nos résultats montrent que l’écoute du chef et la possibilité d’avoir une voix dans les dossiers sont deux variables primordiales qui expliquent les départs, mais aussi les raisons de rester.

Les conflits avec le chef prédisent souvent les départs. C’est pourquoi la plupart des chefs s’efforcent d’éviter les départs et de préserver un caucus discipliné. Les députés qui désertent soulèvent souvent des questions sur l’harmonie et la solidarité au sein du parti de la part du public et des médias. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreux élus de la CAQ se sont faits rassurants à la suite du départ de Maïté Blanchette-Vézina, notamment en soulignant qu’ils étaient très unis.

La politique reste donc un jeu d’équipe. Dans ce contexte, les départs, choisis ou imposés, provoquent toujours des remous, et cela tant pour le parti, qui se retrouve sous les projecteurs, que pour le politicien lui-même, qui doit non seulement rendre des comptes à ses électeurs, mais aussi parfois évoluer sans l’appui qu’offre un parti politique, tant en termes de personnel, de ligne politique, que de financement.

La Conversation Canada

Mireille Lalancette a reçu des financements du CRSH pour mener cette recherche.

Alex Marland a reçu des financements de SSHRC.

Jared Wesley a reçu des financements du CRSH.

ref. Partir ou bien rester ? Quand la loyauté politique est mise en péril – https://theconversation.com/partir-ou-bien-rester-quand-la-loyaute-politique-est-mise-en-peril-269030