La toile d’araignée : merveille d’ingénierie naturelle depuis 400 millions d’années

Source: The Conversation – in French – By Ella Kellner, Ph.D. Student in Biological Sciences, University of North Carolina – Charlotte

Une araignée orbiculaire se repose au centre de sa toile dans un verger. Daniela Duncan/Moment/Getty Images

Elles peuvent inquiéter ou être balayées d’un revers de la main : les toiles d’araignées sont en réalité des merveilles d’ingénierie naturelle. Leur architecture, aussi variée qu’ingénieuse, répond à des fonctions précises : capturer des proies, protéger des œufs, amortir une chute ou fournir des repères sensoriels. Observer ces fils de soie, c’est plonger dans 400 millions d’années d’évolution et de créativité biologiques.


Vous êtes-vous déjà retrouvé nez à nez avec une toile d’araignée lors d’une promenade dans la nature ? Ou avez-vous déjà balayé des toiles d’araignée dans votre garage ?

Si oui, alors vous connaissez déjà les toiles orbitulaires, qui sont régulières, géométriques, et qui sont emblématiques d’Halloween ; et les toiles en réseau désordonné, qui sont celles que l’on trouve dans nos garages et dans nos caves. Ce ne sont là que deux exemples d’architectures de toiles d’araignées. Une toile est toujours spécialement adaptée à l’environnement de l’araignée et à la fonction qu’elle doit remplir.

Si de nombreuses araignées utilisent leurs toiles pour attraper des proies, elles ont également développé des façons inhabituelles d’utiliser leur soie, par exemple pour envelopper leurs œufs ou pour se créer des filins de sécurité qui les rattrapent lorsqu’elles tombent.

En tant que scientifique spécialiste des matériaux qui étudie les araignées et leur soie, je m’intéresse à la relation entre l’architecture des toiles d’araignées et la résistance des fils qu’elles utilisent. Comment la conception d’une toile et les propriétés de la soie utilisée affectent-elles la capacité d’une araignée à capturer son prochain repas ?

Aux origines des toiles

La soie d’araignée a une longue histoire évolutive. Les chercheurs pensent qu’elle est apparue il y a environ 400 millions d’années.

Ces araignées ancestrales utilisaient la soie pour tapisser leurs repaires, pour protéger leurs œufs vulnérables et pour créer des chemins sensoriels et des repères afin de se déplacer dans leur environnement.

Pour comprendre à quoi pouvaient ressembler les toiles d’araignées anciennes, les scientifiques s’intéressent à l’araignée lampadaire.

Cette araignée vit dans les affleurements rocheux des Appalaches et des Rocheuses, aux États-Unis. Elle est une parente vivante de certaines des plus anciennes araignées à avoir jamais tissé des toiles, et elle n’a pratiquement pas changé depuis.

Une araignée noire et brune camouflée sur un rocher recouvert de mousse, avec une toile circulaire et plate autour d’elle, collée au rocher
Une araignée lampadaire dans sa toile caractéristique, tissée dans les insterstices des rochers.
Tyler Brown, CC BY-SA

Bien nommée en raison de la forme de sa toile, l’araignée lampadaire tisse une toile dont la base étroite s’élargit vers l’extérieur. Ces toiles comblent les fissures entre les rochers, où l’araignée peut se camoufler contre la surface rugueuse. Il est difficile pour une proie potentielle de traverser ce paysage accidenté sans se retrouver piégée.

Diversité des toiles

Aujourd’hui, toutes les espèces d’araignées produisent de la soie. Chaque espèce qui tisse des toiles crée sa propre architecture de toile, parfaitement adaptée au type de proie qu’elle mange et à l’environnement dans lequel elle vit.

Prenons l’exemple de la toile orbiculaire. Il s’agit d’une toile réalisée à partir d’un centre de manière circulaire, avec un motif régulier de rayons et de cercles concentriques. Elle sert principalement à capturer des proies volantes ou sauteuses, telles que les mouches et les sauterelles. Les toiles orbiculaires se trouvent dans les zones ouvertes, comme à la lisière des forêts, dans les herbes hautes ou entre vos plants de tomates.

Image d’une araignée noire tissant une toile irrégulière
Une veuve noire construit des toiles d’araignée tridimensionnelles.
Karen Sloane-Williams/500Px Plus via Getty Images

Comparez-les à des toiles en réseau désordonné, une structure que l’on voit le plus souvent près des plinthes dans les maisons, dans les caves ou greniers. Bien que l’expression « toile en réseau désordonné » soit couramment utilisée pour désigner toute toile d’araignée poussiéreuse et abandonnée, il s’agit en fait d’une forme de toile spécifique généralement conçue par les araignées de la famille des Theridiidae.

Cette toile a une architecture en 3D complexe, donnant un aspect fouillis. Les fils sont collants et tendus dans toutes les directions, notamment vers le bas, où ils sont maintenus fixés au sol sous une forte tension. Ces fils agissent comme un piège collant à ressort pour capturer des proies rampantes, telles que les fourmis et les coléoptères. Lorsqu’un insecte entre en contact avec la colle à la base du fil, la soie se détache du sol, parfois avec une force suffisante pour soulever le repas dans les airs.

Regardez une araignée à dos rouge construire les fils à haute tension d’une toile d’araignée et piéger des fourmis qui ne se doutent de rien.

Les araignées bizarres

Imaginez que vous êtes un naïf scarabée, qui rampe entre les brins d’herbe, et que vous vous retrouvez sur un sol recouvert d’une toile de soie tissée de manière très dense. Alors que vous commencez à avancer sur ce paillasson d’un genre particulier, vous avez juste le temps d’apercevoir huit yeux braqués sur vous depuis un entonnoir de soie, avant d’être happé et avalé tout cru.

Ce type d’araignée à toile en entonnoir bâtit des constructions horizontales au sol, qu’elle utilise comme une extension de son système sensoriel. L’araignée attend patiemment dans son abri en forme d’entonnoir. Les proies qui entrent en contact avec la toile créent des vibrations qui alertent l’araignée : un mets délicieux est en train de marcher sur le paillasson, et il est temps de lui sauter dessus.

Une araignée brun clair face à l’appareil photo, entourée d’une toile en forme d’entonnoir
Une araignée à toile en entonnoir jette un œil hors de sa abri situé au niveau du sol.
sandra standbridge/Moment via Getty Images

Les araignées sauteuses sont des tisserandes à part, puisqu’elles ne tissent pas de toiles. Elles sont connues pour leurs couleurs variées, vives ou iridescentes, et leurs danses nuptiales élaborées, qui en font l’une des arachnides les plus attachantes. Leur aspect mignon les a rendues populaires, notamment grâce à Lucas the Spider, une adorable araignée sauteuse animée par Joshua Slice. Dotées de deux grands yeux frontaux qui leur permettent de percevoir les distances, ces araignées sont de fantastiques chasseuses, capables de sauter dans toutes les directions pour se déplacer et de bondir sur leur prise.

Mais que se passe-t-il lorsqu’elles se trompent dans leur calcul ou, pis, lorsqu’elles doivent échapper à un prédateur ? Les araignées sauteuses attachent un fil à leur point de départ avant de s’élancer dans les airs, comme une sorte de corde de rappel. Si le saut rate, elles peuvent remonter le long du filin et réessayer. Non seulement ce filin de sécurité en soie leur permet de ressauter, mais il les aide également dans leur saut. Le fil leur permet de contrôler la direction et la vitesse de leur saut en plein vol. En modifiant la vitesse à laquelle elles libèrent la soie, elles peuvent atterrir exactement où elles le souhaitent.

Une araignée brune aux reflets verts en plein vol, attachée à une feuille derrière elle par un fin fil de soie
Une araignée sauteuse utilise un filin de sécurité en soie pour effectuer un saut risqué.
Fresnelwiki/Wikimedia, CC BY-SA

Pour tisser une toile

Toutes les toiles, de la toile orbiculaire à la toile d’araignée d’apparence désordonnée, sont construites selon une série d’étapes fondamentales distinctes.

Les araignées à toile orbiculaire commencent généralement par construire une prototoile. Les scientifiques pensent que cette construction initiale est une phase exploratoire, pendant laquelle l’araignée évalue l’espace disponible et trouve des points d’ancrage pour sa soie. Une fois que l’araignée est prête à construire sa toile principale, elle utilise la prototoile comme échafaudage pour créer le cadre, les rayons et la spirale qui l’aideront à absorber l’énergie des proies qui se prennent dedans et à les capturer. Ces structures sont essentielles pour garantir que leur prochain repas ne déchire pas la toile, en particulier les insectes tels que les libellules, qui ont une vitesse de croisière moyenne de 16 km/h. Une fois sa toile terminée, l’araignée orbiculaire retourne au centre de la toile pour attendre son prochain repas.

Une araignée brun pâle au centre de sa toile orbulaire en spirale
Une araignée des jardins européenne construit une toile orbulaire en deux dimensions.
Massimiliano Finzi/Moment via Getty Images

Un seul type de matériau ne permettrait pas de fabriquer toutes ces toiles d’araignée. En fait, les araignées peuvent créer jusqu’à sept types de fibre soie différente, et les araignées tisserandes les fabriquent toutes. Chaque type de fibre a des propriétés chimiques, physiques et mécaniques adaptées à la fonction recherchée, servant à un usage spécifique dans la vie de l’araignée (toile, cocon, câble d’ancrage, fil de détection, filet de capture, etc.). C’est dans les glandes séricigènes que sont produites les fibres de soie, et chaque type de glandes produit un fil de soie particulier avec une fonction spécifique.

Les araignées orbiculaires entament le tissage de leurs toiles par la fabrication d’un fil porteur très résistant. Quant à la spirale pour piéger les insectes, construite en partant du centre vers l’extérieur, elle est constituée d’une soie extrêmement élastique. Lorsqu’une proie se prend dans la spirale, les fils de soie se déforment sous l’impact. Ils s’étirent pour absorber l’énergie et empêcher la proie de déchirer la toile.

La « colle d’araignée » est un type de soie modifiée, dotée de propriétés adhésives. C’est la seule partie de la toile d’araignée qui soit réellement collante. Cette soie collante, située sur la spirale de capture, permet de s’assurer que la proie reste collée à la toile suffisamment longtemps pour que l’araignée puisse lui administrer sa morsure venimeuse.

Apprendre à observer les architectes arachnides

Les araignées et leurs toiles sont incroyablement variées. Chaque espèce d’araignée s’est adaptée à son environnement naturel pour capturer certains types de proies. La prochaine fois que vous verrez une toile d’araignée, prenez le temps de l’observer plutôt que de la balayer ou d’écraser l’araignée qui s’y trouve.

Remarquez les différences dans la structure de la toile et voyez si vous pouvez repérer les gouttelettes de colle. Observez la façon dont l’araignée est assise dans sa toile. Est-elle en train de manger ou y a-t-il des restes d’insectes qu’elle a peut-être empêchés de s’introduire dans votre maison ?

L’observation de ces architectes arachnides peut nous en apprendre beaucoup sur le design, l’architecture et l’innovation.

The Conversation

Ella Kellner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La toile d’araignée : merveille d’ingénierie naturelle depuis 400 millions d’années – https://theconversation.com/la-toile-daraignee-merveille-dingenierie-naturelle-depuis-400-millions-dannees-263234

Carte d’identité universelle et 1 $ par jour : une utopie réaliste pour vaincre l’invisibilité et la faim

Source: The Conversation – France in French (3) – By Ettore Recchi, Professeur des universités, Centre de Recherche Sur les Inégalités Sociales (CRIS), Sciences Po

Créer un registre universel recensant toutes les personnes qui le souhaitent, ce qui leur permettra de bénéficier de nombreux services à ce stade inaccessibles ; et verser un dollar par jour à toutes celles qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cette double mesure, qui peut paraître utopique, n’est pas aussi irréaliste que cela, comme le démontre un article paru dans une revue à comité de lecture, dont les auteurs nous présentent ici les principaux aspects.


Que signifie être invisible ? Pour plusieurs centaines de millions de personnes à travers le monde, cela veut dire ne posséder aucune preuve légale d’identité : ni passeport ni acte de naissance – aucun moyen de prouver son existence aux yeux d’un État. Et que signifie être incapable de mener une vie digne ? C’est gérer son quotidien avec moins de 6,85 $ par jour, ce qui correspond au seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale. Dans un monde plus riche que jamais, ces deux situations définissent ce que nous appelons des « inégalités scandaleuses ».

Notre proposition, détaillée dans un article récemment publié dans Humanities and Social Sciences Communications, vise à s’attaquer simultanément à ces deux problèmes : l’absence d’identité légale et la faim. L’idée est simple : garantir une carte d’identité pour chaque personne vivant sur Terre (Humanity Identity Card, HIC) et un complément de revenu de base de 1 dollar (USD) par jour (Basic Income Supplement, BIS) pour la moitié la plus pauvre de la population mondiale.

Cette politique sociale globale contribuerait à garantir des droits humains fondamentaux comme le droit à l’égalité devant la loi, un niveau de vie suffisant et une protection sociale. Elle devrait également encourager un nouveau sentiment de solidarité internationale : les pays, les entreprises et les individus les plus riches soutiendraient les plus vulnérables, non pas par charité, mais dans le cadre d’un engagement structuré et partagé.

Des inégalités vitales et existentielles

En nous appuyant sur les travaux d’Amartya Sen et de Göran Therborn, nous nous concentrons sur deux dimensions de l’inégalité : l’existentielle et la vitale.

L’inégalité existentielle concerne la reconnaissance. Près de 850 millions de personnes, selon une étude de la Banque mondiale, n’ont aucune pièce d’identité reconnue légalement. Cela signifie que, dans la plupart des pays du monde, elles ne peuvent pas ouvrir de compte bancaire, accéder à des services publics, inscrire leurs enfants à l’école ou s’inscrire elles-mêmes dans des établissements d’enseignement, ou encore enregistrer une carte SIM à leur nom. Sans identité légale, on n’est pas seulement exclu : on est aussi invisible.

L’inégalité vitale concerne les ressources nécessaires à la survie. L’insécurité alimentaire demeure l’un des problèmes les plus persistants et mortels aujourd’hui. Alors que la production alimentaire mondiale atteint des sommets historiques, environ 735 millions de personnes souffrent encore de la faim et des millions d’enfants sont malnutris. Ceci n’est pas dû à une pénurie de nourriture, mais à une véritable exclusion économique, faute tout simplement d’avoir les moyens d’accéder à la nourriture disponible.

Ces deux problèmes vont souvent de pair : les plus pauvres sont aussi ceux qui ont le moins de chances d’être officiellement enregistrés auprès des administrations. Surtout, dans les pays les moins développés, en l’absence de filet de sécurité national, ils passent entre les mailles des systèmes censés les protéger.

Une carte pour chaque être humain

La carte d’identité universelle (HIC) est au cœur de la proposition.

Elle serait délivrée par une instance mondiale – très probablement sous l’égide des Nations unies – et proposée à chaque personne, quels que soient sa nationalité ou son statut migratoire. La carte inclurait des données biométriques telles qu’une empreinte digitale ou un scan de l’iris, ainsi qu’une photo et des informations de base comme le nom et la date de naissance de l’individu.

Avec une HIC, les habitants des zones rurales dans les pays à faible revenu pourraient s’inscrire à des services téléphoniques, à travers lesquels ils pourraient recevoir de l’aide par « mobile money » ; ce qui est actuellement sujet à un enregistrement préalable avec carte d’identité. De même, migrants et voyageurs pourraient demander de l’aide, des soins ou simplement une chambre d’hôtel sans s’exposer à des refus ou à des discriminations en raison d’une nationalité stigmatisée.

Cette carte ne serait liée à aucun gouvernement. Sa seule fonction serait de vérifier l’existence de la personne et ses droits en tant qu’être humain. Les données sensibles seraient stockées dans un système sécurisé géré par l’ONU, inaccessible aux gouvernements sauf autorisation explicite du titulaire. Cela distingue notre proposition d’autres programmes, comme l’initiative Identification for Development (ID4D) de la Banque mondiale, qui est censée fonctionner dans les limites des systèmes d’identification nationaux, exposés aux changements d’agenda des gouvernements.

Un dollar par jour pour la moitié de la population mondiale

Le second pilier de la proposition est un complément de revenu de base (BIS). Toute personne disposant d’un revenu inférieur à 2 500 dollars par an – soit environ la moitié de la population mondiale – recevrait un paiement inconditionnel de 1 dollar par jour. Ce montant est suffisamment faible pour rester abordable à l’échelle mondiale, mais assez élevé pour changer concrètement la vie quotidienne des plus pauvres.

Contrairement à de nombreux systèmes d’aide sociale existants, ce revenu serait versé directement aux individus, et non aux ménages, ce qui permettrait de réduire les inégalités de genre et de garantir que les enfants et les femmes ne soient pas exclus. L’argent pourrait être distribué par l’intermédiaire des systèmes de paiement mobile, déjà largement utilisés avec une efficacité remarquable dans de nombreux pays à faible revenu.

Les conclusions tirées de l’examen d’autres programmes de transferts monétaires montrent que ce type de soutien peut réduire significativement la faim, améliorer la santé des enfants, augmenter la fréquentation scolaire et même encourager l’entrepreneuriat. Les personnes vivant dans l’extrême pauvreté dépensent généralement ce revenu supplémentaire de manière avisée : elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont en priorité besoin.

Mais qui finance ?

Un programme mondial de cette ampleur n’est pas bon marché. Nous estimons que le complément de revenu de base coûterait environ 1 500 milliards de dollars par an. Mais nous avons aussi esquissé son plan de financement.

La proposition prévoit une taxe mondiale de seulement 0,66 % sur trois sources :

  • sur le produit intérieur brut (PIB) de chaque État souverain ;

  • sur la capitalisation boursière des entreprises valant plus d’un milliard de dollars ;

  • sur la richesse totale des ménages milliardaires.

Au total, cela générerait suffisamment de ressources pour financer le complément de revenu et administrer la carte d’identité, avec un petit surplus pour les coûts opérationnels.

La participation serait obligatoire pour tous les États membres de l’ONU, ainsi que pour les entreprises et individus concernés. Le non-respect entraînerait des sanctions, telles que la dénonciation publique, des conséquences commerciales ou l’exclusion de certains avantages internationaux.

Ce système s’inspire de précédents existants, comme l’objectif fixé aux États de consacrer 0,7 % de leur budget annuel à l’aide au développement ou l’accord récent de l’OCDE sur un impôt minimum mondial pour les entreprises. Plusieurs dirigeants du G20 ont d’ailleurs déjà exprimé leur soutien à une taxation mondiale de la richesse. Ce qui manque, c’est la coordination – et la volonté politique.

Pourquoi le mettre en œuvre maintenant ?

Pour beaucoup, la proposition semblera utopique. Les inégalités mondiales sont profondément ancrées, et les intérêts nationaux priment souvent sur les responsabilités globales, comme l’illustrent les développements politiques récents (le 1er juillet, le gouvernement des États-Unis a officiellement cessé de financer l’USAID). Mais nous avons aussi vu à quelle vitesse le monde peut mobiliser des ressources en temps de crise – comme lors de la pandémie de Covid-19, où des milliers de milliards ont été injectés dans l’économie mondiale en quelques semaines.

La technologie, elle aussi, a suffisamment progressé pour que la délivrance et la gestion d’une carte d’identité universelle ne relèvent plus de la science-fiction. Les systèmes biométriques sont répandus, et les services de paiement mobile sont des outils éprouvés pour distribuer efficacement l’aide. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est de l’imagination – et de la détermination.

En outre, la proposition repose sur un argument moral puissant : dans un monde aussi interconnecté que le nôtre, pouvons-nous continuer à accepter que certains n’aient aucune existence légale ni aucun moyen de se nourrir ? Pouvons-nous nous permettre de ne rien faire ?

Un pas possible vers la citoyenneté mondiale

Au-delà de ses bénéfices pratiques, la carte d’identité universelle et le complément de revenu de base représentent quelque chose de plus profond : un nouveau modèle de protection sociale mondiale.

Ils considèrent l’identité et le revenu de base non comme des privilèges de citoyenneté, mais comme des droits inhérents à la personne. Ils offrent ainsi une alternative à une vision nationaliste de l’organisation sociale.

C’est une vision radicale mais pas irréalisable – une politique proche de ce que le sociologue Erik Olin Wright appelait « une utopie réaliste » : un monde où naître au mauvais endroit ne condamne plus à une vie de souffrance et d’exclusion.

Que ce plan soit adopté ou non, il ouvre la voie à une réflexion sur la manière dont nous prenons soin les uns des autres au-delà des frontières. À mesure que les défis mondiaux s’intensifient – changement climatique, déplacements, pandémies –, le besoin de solutions globales devient plus urgent. Le projet confère aussi un rôle nouveau et véritablement supranational à l’ONU, à un moment où l’organisation – qui fête cette année son 80e anniversaire – traverse l’une des crises existentielles les plus profondes de son histoire.

Une carte et un dollar par jour peuvent sembler des outils modestes. Mais ils pourraient suffire à rendre visible l’invisible et à sauver les affamés. Et à nous rendre fiers d’être humains.


Pour une version détaillée de cet article, lire Recchi, E., Grohmann, T., « Tackling “scandalous inequalities”: a global policy proposal for a Humanity Identity Card and Basic Income Supplement », Humanities & Social Sciences Communications, 12, art. no : 880 (2025).

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Carte d’identité universelle et 1 $ par jour : une utopie réaliste pour vaincre l’invisibilité et la faim – https://theconversation.com/carte-didentite-universelle-et-1-par-jour-une-utopie-realiste-pour-vaincre-linvisibilite-et-la-faim-260466

Le slow tourisme : ralentir pour mieux voyager ?

Source: The Conversation – in French – By Fo-Yovo Gérome Koutremon, Doctorant en Science de Gestion à l’Université Bourgogne Europe, Université Bourgogne Europe

Face à l’accélération des rythmes de vie et aux excès du tourisme de masse, une autre façon de voyager émerge : le slow tourisme. Il s’agit de prendre le temps de se déplacer et de se ressourcer en étant plus respectueux de l’environnement et des territoires d’accueil. Une pratique qui vise une transformation profonde de l’expérience touristique.


Les vacances, et les voyages qui y sont associés, sont un plaisir recherché par nombre d’entre nous. À l’échelle planétaire, on observe une progression annuelle moyenne du tourisme international de + 5 % depuis plusieurs décennies (hors période Covid). À ce volume viennent s’ajouter les touristes nationaux et les excursionnistes (visiteurs se déplaçant à la journée). L’histoire nous montre que l’industrie touristique est résiliente et capable d’absorber les crises, à l’image du rebond observé après la pandémie de Covid. La France est par ailleurs la première destination mondiale, avec 100 millions de visiteurs internationaux.

En parallèle de cette hausse des voyages, émerge le slow tourisme – littéralement, « tourisme lent », qui promeut un ralentissement radical pour compenser l’accélération des rythmes de vie, marqués par une multiplication des activités professionnelles et personnelles et par des contraintes temporelles.

La pratique touristique devient l’occasion de se ressourcer. Séjours méditatifs dans des monastères, randonnées en montagne ou navigation sur les canaux français illustrent cette recherche d’apaisement.

À l’origine, le mouvement Slow est né en Italie, dans les années 1980, pour défendre le recours aux productions culinaires locales. Il prône, par extension, un réapprentissage de la lenteur, notamment dans les modes de transports, associé à des pratiques plus écoresponsables.




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Car le tourisme peut effectivement s’avérer dommageable pour les milieux naturels et pour les populations locales. La médiatisation du surtourisme dans les destinations les plus populaires, de Barcelone (Espagne) à Naples (Italie), en passant par Lisbonne (Portugal), a mis en lumière l’ampleur de ses effets délétères : dégradation de l’environnement, exclusion des populations locales, etc.

Tourisme du « temps choisi »

Le ministère de l’économie définit le slow tourisme comme

« [un] tourisme du temps choisi, garant d’un ressourcement de l’être (pause, déconnexion, lâcher-prise, mais aussi bien-être, temps pour soi, santé), peu émetteur de CO2, respectant l’écosystème du territoire d’accueil, synonyme de patience, de sérénité, d’enrichissement culturel ».

Cette définition en facilite la reconnaissance et met en avant les quatre dimensions structurantes du slow tourisme : un mode de transport, un rapport au territoire, au temps, et à soi.

Concernant le mode de transport, le slow tourisme s’appuie sur des mobilités décarbonées : train, transport pédestre, navigation fluviale. Des mobilités prisées, comme on peut le voir avec la hausse de fréquentation des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou celle des trajets ferroviaires. Ainsi, la fréquentation des trains de voyageurs en France a atteint un record en 2024, avec une progression de 6 % par rapport à 2023.

Du côté des pouvoirs publics, on relève des investissements en ce sens : voies cyclables aussi bien locales qu’européennes (Véloroutes), développement de l’offre de trains de nuit ; tandis que des fédérations ou des associations mènent des actions pour entretenir des dispositifs existants (entretien des chemins de randonnée et des refuges par la Fédération française des clubs alpins et de montagne).

Conscients de cette aspiration émergente, les acteurs du tourisme se sont aussi saisis du concept. Se développent ainsi des offres de produits plus durables proposées par des prestataires privés : croisières à voile, voyages d’aventure combinant plusieurs modes de transport ou de déplacement sans avion.

Car le rapport au territoire constitue une autre caractéristique importante du slow tourisme. Il s’agit de mesurer l’impact de sa pratique touristique sur l’écosystème et sur les cultures locales et de valoriser des séjours centrés sur l’expérience et non sur la consommation d’une infrastructure façonnée pour le touriste.

Déconnexion bénéfique

Le temps du slow tourisme, c’est celui du ralentissement, ce que Katharina C. Husemann et Giana M. Eckhardt, chercheuses en marketing, désignent par le « besoin croissant de décélération », dans leur étude ethnographique du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, à savoir un temps où l’on est moins soumis aux événements et sollicitations.

Les adeptes du slow tourisme se réapproprient ce rythme apaisé, comme l’illustre ce témoignage d’un randonneur, recueilli au cours de l’une de nos recherches sur les refuges en montagne dans le massif des Écrins (Alpes françaises), en 2019 :

« Ici, c’est un rythme complètement différent parce que, quand je suis en bas, je suis quand même un minimum le rythme, les jours de la semaine, je sais quand c’est le week-end, par exemple, et dès que je suis en refuge, j’oublie complètement dans quelle temporalité on est. Je ne planifie plus ce que je dois faire : je dois juste manger, dormir et rebelote […] et du coup, y’a pas d’autre but que juste marcher et arriver là où on veut arriver. »

Ce retour à la lenteur valorise le trajet lui-même. Il n’est plus perçu uniquement comme un moyen d’atteindre une destination, mais comme une expérience à part entière. Cette lenteur imposée par le voyage choisi induit également une déconnexion bénéfique vis-à-vis des écrans, des obligations, du brouhaha quotidien, comme l’exprime cet autre témoignage :

« Pour moi, ça coupe vraiment de la routine, on n’est pas chez soi, on ne se donne pas d’obligations à faire ceci, cela, là on a juste à mettre les pieds sous la table comme on dit, et puis faire sa petite toilette, se promener, regarder le paysage, respirer, ça fait trop du bien quoi. »

Le slow tourisme est aussi un temps de réflexion sur soi. Il s’agit de réinterroger ce que l’on cherche en voyageant, de redonner place à l’ennui, de penser autrement sa vie, voire de revisiter ses priorités.

Cette expérience passe également par le corps : marcher, pédaler, ramer, camper. Loin des mobilités rapides, le voyage devient une expérience sensorielle, physique et méditative ; une façon de revenir à l’essentiel, de redécouvrir des plaisirs simples, loin du tumulte et de l’injonction d’efficacité du monde moderne.

Le cyclotourisme, incarnation du slow tourisme

L’essor du cyclotourisme est emblématique de cet attrait pour une autre manière de voyager. Sa pratique est en forte augmentation sur le marché français : évalué à 7,9 milliards de dollars (USD) en 2024 (7,27 milliards d’euros), il devrait croître de plus de 11 % par an d’ici à 2033. Ce mode de déplacement, mêlant effort physique et itinérance libre en immersion, séduit par sa capacité à faire du trajet un moment existentiel.

Au-delà de ces chiffres, certains récits de cyclo-voyageurs, (issus de blogs et de forums) récoltés dans le cadre d’une recherche doctorale en cours, révèlent une expérience d’autonomie radicale :

« J’aime beaucoup l’improvisation, j’aime beaucoup les chemins hors sentiers battus… Peu importe où ça mène, je les prends. »

Ce que certains appellent la « magie du chemin » relève ici d’une transformation intérieure liée à la lenteur, au silence, à la nature.

Cette philosophie du voyage lent, sobre, sensoriel, est souvent décrite comme une manière de « se recentrer », de « ralentir », ou de « réapprendre à vivre ». Loin d’un simple loisir, le cyclotourisme est pour ces voyageurs une forme d’existence en mouvement.

En somme, le slow tourisme ne se résume pas à une pratique écologique ou à un mode de déplacement. Il exprime une volonté de redonner du sens au voyage, en le replaçant dans un rapport spécifique au temps, au territoire et à soi.

À l’ère de l’éco-anxiété, le slow tourisme trouve une résonance. Et si l’avenir du tourisme ne consistait plus à aller plus vite ou plus loin, mais à être plus présent ?

The Conversation

Jean-Baptiste Welté a reçu des financements de l’ANR pour un projet sur la sobriété

Fo-Yovo Gérome Koutremon et Isabelle Frochot ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Le slow tourisme : ralentir pour mieux voyager ? – https://theconversation.com/le-slow-tourisme-ralentir-pour-mieux-voyager-261276

Lymphomes T cutanés : ces cancers de la peau méconnus, mais en augmentation

Source: The Conversation – in French – By Adèle de Masson, Professeur en dermatologie, Université Paris Cité

Rares mais en augmentation, les lymphomes T cutanés sont des cancers qui se développent initialement dans la peau. Si la majorité des malades peuvent gérer leurs symptômes à vie, d’autres souffrent de formes agressives. Des travaux de recherche explorent des pistes prometteuses pour permettre de mieux contrôler la maladie sur le long terme.


Les lymphomes à cellules T cutanés, couramment dénommés lymphomes T cutanés, sont un groupe hétérogène de cancers de la peau dérivés des lymphocytes T, une sous-catégorie de cellules du système immunitaire, le système de défense de l’organisme pour lutter notamment contre les virus, bactéries et autres pathogènes.

Contrairement aux lymphomes ganglionnaires (lymphome de Hodgkin et lymphomes non hodgkiniens) qui affectent principalement les ganglions lymphatiques, les lymphomes T cutanés se développent initialement dans la peau. Ils peuvent se manifester sous différentes formes cliniques, allant de plaques et de taches rouges jusqu’à des nodules et des tumeurs.

Les lymphomes T cutanés sont classés en plusieurs sous-types, le plus courant étant le mycosis fongoïde. Ces maladies évoluent souvent de manière indolente au début mais peuvent progresser vers des stades plus agressifs et systémiques si elles ne sont pas traitées de manière adéquate.

Une incidence faible mais en augmentation

Rares, les lymphomes T cutanés affectent environ 1 sur 100 000 adultes chaque année. Mais leur incidence a augmenté au cours des trente dernières années. Cela est possiblement en lien avec une meilleure connaissance de ces pathologies – et, donc, une augmentation du diagnostic – mais aussi avec le vieillissement de la population et de potentiels facteurs environnementaux, un rôle des pesticides ayant été suspecté sur le fondement d’études épidémiologiques.

Bien que la plupart des patients diagnostiqués à un stade précoce de la maladie puissent gérer leurs symptômes à vie, environ 20 % progressent vers un stade avancé qui est caractérisé par une maladie cutanée étendue, une atteinte des ganglions lymphatiques, des organes viscéraux ou une atteinte sanguine significative.

Des résistances aux traitements chez certains patients

Le diagnostic précis repose sur l’examen histopathologique des lésions cutanées (après biopsie), complété par ce que l’on appelle des tests immunophénotypiques et moléculaires. En résumé, après la biopsie, on regarde d’abord la forme des cellules au microscope. Ensuite, on effectue des « tests d’identité » pour voir quels marqueurs portent ces cellules et, enfin, on analyse leur ADN pour vérifier si elles viennent toutes du même clone anormal.

Le traitement des lymphomes T cutanés dépend du stade de la maladie, de sa sévérité et des caractéristiques individuelles du patient, et peut inclure des options telles que :

  • la photothérapie, qui repose sur l’utilisation des rayons ultraviolets en cabine avec des doses et longueurs d’ondes contrôlées ;

  • les chimiothérapies topiques, qui sont des gels contenant de la chimiothérapie, appliqués sur la peau ;

  • les immunothérapies, qui s’appuient sur des anticorps monoclonaux qui utilisent le système immunitaire pour lutter contre les tumeurs ;

  • les thérapies ciblées et les greffes de moelle osseuse, dans les cas avancés.

Les traitements actuels, y compris les immunothérapies par anticorps monoclonaux, peuvent entraîner des résistances, qu’elles soient primaires – absence de réponse dès le début du traitement, ou secondaires – perte de l’efficacité après une réponse initiale. Ces phénomènes ont été observés dans les essais randomisés MAVORIC (mogamulizumab) et ALCANZA (brentuximab vedotin).

La problématique concernant cette maladie réside donc dans la capacité à la contrôler sur le long terme.

Un nouveau candidat pour traiter les lymphomes T cutanés

C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet SPRINT, pour « Synergie pour accélérer l’innovation thérapeutique dans les lymphomes T cutanés ». Mené par une équipe de recherche internationale, ce projet a permis de mettre en lumière un nouveau candidat prometteur pour le traitement des lymphomes T cutanés avancés : le récepteur CCR8.

Le récepteur CCR8 joue un rôle clé dans le microenvironnement de la tumeur et pourrait donc, de ce fait, représenter une cible thérapeutique stratégique. Il est en effet présent à la surface à la fois :

  • d’une sous-population spéciale de cellules lymphocytes T qui jouent un rôle essentiel dans la maintenance de la tolérance immunitaire (les lymphocytes T régulateurs intratumoraux, ou Treg).

Les lymphocytes T régulateurs jouent un rôle crucial pour prévenir les maladies auto-immunes en contrôlant et en réprimant les réponses immunitaires excessives ou non spécifiques contre les propres tissus de l’organisme. (Dans les maladies auto-immunes, le système immunitaire dysfonctionne et s’attaque aux constituants normaux de l’organisme, ndlr).

  • de cellules malignes des lymphomes T cutanés.

Dans le contexte de cancers comme les lymphomes T cutanés, les lymphocytes T régulateurs intratumoraux (Treg) peuvent être recrutés dans les lésions de cancer et contribuer à la création d’un environnement qui va favoriser la croissance et la survie des cellules tumorales.

La présence de ces cellules dans les tissus affectés par les cancers peut être associée à une progression plus rapide de la maladie et à une réponse moins favorable aux traitements.

Par conséquent, cibler les lymphocytes T régulateurs intratumoraux (Treg) – via le récepteur CCR8 présent à leur surface – et moduler leur fonction représente une stratégie thérapeutique pour renforcer la capacité du système immunitaire à reconnaître et à éliminer les cellules tumorales.

La découverte du rôle du récepteur CCR8 exprimé à la surface de ces cellules ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de traitements combinés visant à cibler à la fois les cellules malignes et le microenvironnement tumoral.

Des essais cliniques ciblant spécifiquement le récepteur CCR8 sont prévus prochainement pour évaluer leur efficacité dans la gestion des lymphomes T cutanés avancés résistants aux traitements existants.

Des résultats prometteurs aussi pour d’autres lymphomes et cancers

De façon intéressante, ces résultats pourraient permettre d’avancer dans le développement de ce médicament qui pourrait s’avérer utile non seulement dans les lymphomes T cutanés, mais également dans d’autres lymphomes T comme les lymphomes T ganglionnaires, ou même les cancers en général, du fait du rôle du récepteur CCR8 dans la régulation des réponses immunitaires contre le cancer.

En conclusion, la cible du récepteur CCR8 représente une avancée significative dans la compréhension et le traitement des lymphomes T cutanés avancés.

Les efforts continus dans cette direction sont essentiels pour développer des stratégies thérapeutiques plus efficaces et personnalisées, capables de surmonter les défis posés par la résistance aux traitements et d’améliorer les résultats pour les patients.


Le projet SPRINT (Synergie Pour Accélérer l’INnovation Thérapeutique dans les lymphomes T cutanés) est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui finance en France la recherche sur projets, au titre de France 2030 (référence ANR-23-RHUS-0009). L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Adèle de Masson est membre du board du Groupe Français d’Etude des Lymphomes Cutanés, du conseil scientifique de la Société française de dermatologie, du Steering Committee de l’EORTC Cutaneous Lymphoma Group.
Elle a reçu les financements suivants : RHU SPRINT de l’Agence Nationale de la Recherche (dans le cadre de France2030, ANR-23-RHUS-009) un projet coordonné par l’Université Paris Cité, bourses de recherche de la Société Française de Dermatologie, de l’INCa/ DGOS (PHRC-K 2014, 2019, 2024), de la Fondation de l’AP-HP, et de l’Association Robert Debré pour la Recherche Médicale.

ref. Lymphomes T cutanés : ces cancers de la peau méconnus, mais en augmentation – https://theconversation.com/lymphomes-t-cutanes-ces-cancers-de-la-peau-meconnus-mais-en-augmentation-262455

Israël-Iran : comment la « guerre de 12 jours » a secoué les marchés du pétrole et de l’or

Source: The Conversation – in French – By Hassen Raïs, Professeur de Finance, EDC Paris Business School

Du 13 au 24 juin 2025, un conflit militaire direct a opposé Israël à l’Iran. Comment les marchés boursiers ont-ils réagi ? Les traders ont-ils spéculé sur cette tendance ? Pour répondre à ces questions, nous avons étudié la volatilité (c’est-à-dire, l’amplitude des hausses et des baisses) des cours du pétrole et de l’or.


Le conflit militaire direct entre Israël et l’Iran déclenché le 13 juin 2025, appelé la « guerre de 12 jours », a opposé deux puissances régionales au cœur d’un espace stratégique déterminant pour les flux mondiaux d’énergie. Il concerne, en particulier, le détroit d’Ormuz, artère vitale pour les exportations de pétrole, avec une crainte du bouleversement des dynamiques économiques globales, notamment à travers la flambée et la volatilité des prix des matières premières.

Cet article se propose d’analyser l’impact de la volatilité (l’amplitude des hausses et des baisses) des marchés boursiers sur les matières premières durant cette période.

Les mouvements des prix des indicateurs de volatilités (VIX) suggèrent, dans les premiers jours de la « guerre de 12 jours », une situation de backwardation. Comme le marché de l’or et du pétrole présente une offre inférieure à la demande, leur cours s’avère inférieur à celui de l’instant présent. Concrètement, ce différentiel de prix sur les échéances des contrats, entre court et long terme, a encouragé une plus grande spéculation par les traders.

Marchés pétroliers en hausse de 8,28 %

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a recensé en France 5,2 millions de transactions sur des fonds cotés sur indices en 2024 (Exchange Traded Funds ou ETF), après 2,8 millions en 2023. Les matières premières et, en particulier, les contrats à (long) terme sur les matières premières, servent désormais : de couvertures potentielles contre les pressions inflationnistes, de composantes de portefeuille pour des opportunités de diversification et, potentiellement, de substituts monétaires en cas de turbulences économiques.

Dès les premières frappes échangées, les marchés pétroliers ont réagi avec une nervosité extrême. Le 13 juin 2025, le pétrole brut Brent a enregistré une hausse de 8,28 %, atteignant 75,10 dollars le baril et le cours du pétrole brut West Texas Intermediate (WTI) a grimpé de 8,8 %, atteignant presque 74 dollars.

Ces hausses s’expliquent par la crainte d’un blocage du détroit d’Ormuz par lequel transite environ 20 % du pétrole mondial. La structure oligopolistique du marché pétrolier, dominée par quelques grands exportateurs, le rend particulièrement sensible aux perturbations géopolitiques.

Ces inquiétudes ont incité les opérateurs financiers à spéculer massivement à la hausse sur les contrats à terme (les futures), accentuant la volatilité des cours.

Or comme valeur refuge

On distingue deux volatilités sur les marchés financiers : la volatilité historique indique la volatilité d’un titre pour une période passée, et la volatilité implicite, ou perception du risque, correspond à la volatilité anticipée par le marché. On mesure la volatilité implicite par l’indice VIX, qui correspond à la valeur d’un panier d’options à court terme sur le S&P500. Cet indice boursier est basé sur 500 grandes sociétés cotées aux États-Unis.




À lire aussi :
En 2025, l’or est-il encore l’ultime placement refuge ?


La recherche académique nous fournit beaucoup d’articles sur la relation entre la volatilité des marchés et les prix des matières premières. L’une souligne la distinction entre l’or comme valeur refuge. Par exemple, l’or est une valeur refuge pendant les trois crises financières de 1987, de 1997 et de 2008. Le précieux minerai est utilisé comme une couverture, car ses rendements sont positifs (en moyenne) lorsque les rendements des actifs financiers (actions ou obligations) sont négatifs.

VIX, l’indice de la peur

D’autres chercheurs identifient l’or comme une valeur refuge pendant les périodes de détresse du marché, avec une faible corrélation avec le dollar et les actions. L’or a une relation négative et significative avec les actions dans les marchés baissiers, mais pas dans les marchés haussiers, parce que l’or est toujours considéré comme une valeur refuge. Autrement dit, on achète moins d’or quand les marchés sont florissants, beaucoup quand ils sont en berne. C’est pourquoi certains chercheurs utilisent le VIX comme indicateur des perceptions mondiales du risque.

Indice VIX
VIX est un indicateur de volatilité du marché financier états-unien. Il est établi quotidiennement par le Chicago Board Options Exchange.
Boursorama

Le VIX et le pétrole étant négativement corrélés, une augmentation de la crainte sur les marchés financiers induit une réduction de la demande sur les marchés de l’énergie. L’indicateur de volatilité du marché financier états-unien VIX, appelé indice de la peur, exprime et mesure la volatilité implicite ou la volatilité anticipée des marchés financiers. Il a, empiriquement, un effet économiquement significatif à long terme sur plusieurs matières premières comme le pétrole et l’or.

Perception du risque

Dans le cadre de cet article, nous analysons les relations entre la perception du risque globale et les matières premières. Nous utilisons pour cela les données de la veille, ou intra-journalières, durant la période de la « guerre de 12 jours ».

La perception du risque ou la volatilité implicite est mesurée par l’indice boursier états-unien VIX. Concernant les matières premières, nous nous concentrons sur les prix du pétrole et de l’or.

Le prix du pétrole est mesuré sur deux indices : le Brent – référence de prix pour le pétrole d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient – et le WTI – référence de prix pour le pétrole auprès du New York Mercantile Exchange.

Notre modèle économétrique sur les données de cette période montre que l’amplitude des hausses et des baisses du cours boursier VIX est de 60 % plus élevée que celle des matières premières.

Les études empiriques montrent que les rendements des contrats à (long) terme sur les matières premières sont influencés par la perception du risque (volatilité implicite). Concrètement, le cours de l’or augmente lorsqu’il y a cette perception. Cette tendance confirme l’idée que les investisseurs perçoivent toujours l’or comme une valeur refuge, à acheter en prévision d’un accroissement de la volatilité accrue des marchés.

Le pétrole, quant à lui, présente une corrélation négative avec la perception du risque. Le cours du pétrole baisse lorsqu’il y a cette volatilité implicite. Ces résultats sont conformes aux analyses des études précédentes. Le Brent, qui est le standard du pétrole du Moyen-Orient, présente une plus grande corrélation (négative) durant cette période que le WTI. La crainte de la fermeture du détroit d’Ormuz est davantage ressentie.

Spéculation sur la peur

Pour compléter notre analyse, notre modèle intègre, dans un deuxième temps, l’indicateur de volatilité du marché financier états-unien établi quotidiennement par le Chicago Board Options Exchange, le VXX. Si le VIX est un indice mesurant la volatilité attendue du marché, le VXX est un titre négocié en bourse qui suit les contrats à (long) terme sur le VIX. Le VXX est un fonds négocié en bourse, qui utilise un portefeuille de contrats à court terme sur l’indice S&P500-VIX.

Les titres VXX peuvent être achetés ou vendus, comme des actions. Le VXX est couramment utilisé comme couverture contre la volatilité du marché. En détenant des positions longues ou acheteuses sur le marché, on peut acheter des options ou des contrats à terme pour se protéger contre une baisse soudaine du marché, durant la période d’étude.

Pendant les périodes de forte volatilité, elles peuvent atteindre un pic, offrant aux traders la possibilité de profiter des mouvements de prix à court terme et des opportunités de trading spéculatif. On observe une augmentation du VXX du 12 au 13 juin 2024, qui passe de 51 à 55. Ce mouvement indique une potentielle spéculation sur la peur.

Nous confirmons que le conflit militaire exacerbe la volatilité et un comportement spéculatif accru de la part des intervenants sur les marchés. Ce comportement en période de conflit mérite davantage d’attention de la part de la recherche académique.

Heureusement pour tous, la guerre a pris fin le 24 juin.

The Conversation

Hassen Raïs ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Israël-Iran : comment la « guerre de 12 jours » a secoué les marchés du pétrole et de l’or – https://theconversation.com/israel-iran-comment-la-guerre-de-12-jours-a-secoue-les-marches-du-petrole-et-de-lor-261328

Écran ou papier… pourquoi tourner une page vaut mieux que cliquer

Source: The Conversation – in French – By Naomi S. Baron, Professor Emerita of Linguistics, American University

Le fait de pouvoir tourner les pages d’un livre ou de tracer au crayon les contours des lettres donne des appuis aux élèves dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Dans un monde d’outils numériques, pourquoi préserver cette importance du toucher ?


Lorsque les enfants entrent à l’école, l’une des techniques les plus courantes pour leur enseigner l’alphabet consiste à passer par des manipulations pratiques, comme la formation de lettres avec de l’argile ou de la pâte à modeler.

Mais à mesure que les élèves avancent en âge, la place du toucher diminue dans leur quotidien scolaire – à leur détriment. Beaucoup d’exercices de lecture deviennent numériques, et l’utilisation des claviers d’ordinateur pour écrire continue de progresser, d’autant que les outils d’intelligence artificielle (IA) sont très attractifs en matière d’édition et de composition.

Je suis linguiste et j’étudie les différences entre la lecture sur papier et la lecture numérique et la manière dont l’écriture favorise la réflexion. Avec ma collègue Anne Mangen, nous avons interrogé plus de 500 élèves du secondaire inscrits dans une école internationale d’Amsterdam (Pays-Bas) sur leurs expériences de lecture de textes imprimés par rapport celle des textes numériques. Par ailleurs, j’ai interrogé 100 étudiants et jeunes adultes aux États-Unis et en Europe sur leurs préférences en matière d’écriture manuscrite comparée à la saisie sur clavier.

Rassemblées, les réponses de ces deux études démontrent que les adolescents et les jeunes adultes continuent d’accorder de l’importance au contact physique dans leur rapport à l’écrit ; elles sont riches d’enseignements importants pour les éducateurs et les parents.

La lecture et l’écriture vues par les élèves

Lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils aimaient le plus dans la lecture sur papier ou l’écriture à la main, les étudiants ont manifesté leur enthousiasme sur l’importance du toucher. Ce qui m’a surpris, c’est à quel point leurs perceptions à ce sujet concordaient dans les deux études.

Tenir un livre ou un instrument d’écriture entre leurs mains était important pour les élèves, c’est ce que montrent des observations comme :

« On a vraiment l’impression de lire parce que le livre est entre nos mains. »

ou

« J’aime tenir un stylo et sentir le papier sous mes mains, pouvoir former physiquement des mots. »

Les participants à l’étude ont également commenté l’interaction entre le toucher et le mouvement. En ce qui concerne la lecture, l’un d’eux a parlé de

« la sensation de tourner chaque page et d’anticiper ce qui va se passer ensuite ».

À propos de l’écriture manuscrite, un participant a décrit

« le fait de sentir les mots glisser sur la page ».

De nombreux étudiants ont également fait part d’avantages cognitifs. Une multitude de répondants ont évoqué la concentration, le sentiment d’immersion dans un texte ou la mémoire. En ce qui concerne la lecture imprimée, un étudiant a déclaré : « Je la prends plus au sérieux parce que je l’ai physiquement entre les mains. » Pour l’écriture, une réponse disait : « Je peux voir ce que je pense. »

Il y avait également des réflexions d’ordre psychologique. Des élèves ont ainsi écrit : « La sensation d’un livre entre mes mains est très agréable » ou :

« La satisfaction d’avoir rempli toute une page à la main, c’est comme si j’avais gravi une montagne. »

D’autres commentaires ont souligné à quel point le toucher permettait aux élèves de se sentir plus personnellement connectés à l’acte de lire et d’écrire. À propos de la lecture, l’un d’eux a déclaré :

« C’est plus personnel parce que c’est entre vos mains. »

À propos de l’écriture manuscrite, un autre a déclaré :

« Je me sens plus attaché au contenu que je produis. »

Girls sit a table working on touchscreen tablets
Les appareils numériques n’offrent pas la même expérience que les livres, les stylos et les blocs-notes.
JGI/Jamie Grill via Getty Images

Un certain nombre de répondants ont écrit que lire des livres physiques et écrire à la main leur semblait en quelque sorte plus « réel » que d’utiliser leurs équivalents numériques. Un étudiant a commenté « le caractère réel du livre ». Un autre a déclaré que « cela semble plus réel que d’écrire sur un ordinateur, les mots semblent avoir plus de sens ».

Nous avons demandé aux participants ce qu’ils appréciaient le plus dans la lecture numérique et dans l’écriture sur un clavier d’ordinateur. Sur plus de 600 réponses, une seule mentionnait le rôle du toucher dans ce qu’ils appréciaient le plus dans l’utilisation de ces technologies pour lire et écrire. Pour la lecture, les étudiants ont salué la commodité et l’accès à Internet. Pour l’écriture, la plus grande rapidité et le fait de pouvoir accéder à Internet étaient des réponses fréquentes.

Ce que nous dit la science sur le toucher

Ce que les élèves nous disent de l’importance du toucher reflète les conclusions de la recherche : ce sens est un moyen efficace de développer les compétences précoces en lecture et en écriture, ainsi qu’une aide pour les lecteurs et les personnes qui écrivent plus expérimentés dans leurs interactions avec l’écrit.

Les psychologues et les spécialistes de la lecture continuent de faire état d’une meilleure compréhension chez les enfants et les jeunes adultes lorsqu’ils lisent sur papier plutôt que sur support numérique, tant pour les lectures scolaires que pour la lecture de loisir. Pour les personnes qui écrivent chevronnées, les données suggèrent que passer plus de temps à écrire à la main qu’à utiliser un clavier d’ordinateur est corrélé à de meilleures capacités motrices fines.

Une récente étude menée en Norvège à l’université a comparé les images cérébrales d’étudiants prenant des notes et a révélé que ceux qui écrivaient à la main, plutôt que de taper au clavier, présentaient une plus grande activité électrique dans les parties du cerveau qui traitent les nouvelles informations et qui favorisent la formation de la mémoire.

Quelles stratégies d’apprentissage mettre en place ?

Le défi pour les enseignants et les parents consiste à trouver comment intégrer le toucher dans les activités de lecture et d’écriture dans un monde qui dépend tellement des outils numériques.

Voici trois suggestions pour résoudre ce paradoxe.

  • Les parents et les enseignants peuvent commencer par écouter les élèves eux-mêmes. Malgré tout le temps qu’ils passent sur leurs appareils numériques, de nombreux jeunes reconnaissent clairement l’importance du toucher dans leur expérience de lecture et d’écriture. Élargissez la conversation en discutant ensemble des différences entre la lecture et l’écriture numériques et manuelles.

  • Ensuite, les parents peuvent trouver des occasions pour leurs enfants de lire des textes imprimés et d’écrire à la main en dehors de l’école, par exemple en les emmenant à la bibliothèque et en les encourageant à écrire une histoire ou à tenir un journal. Mieux encore, les adultes peuvent montrer l’exemple en adoptant eux-mêmes ces pratiques dans leur vie quotidienne.

  • Enfin, les enseignants doivent accorder davantage de place à la lecture d’imprimés et aux devoirs manuscrits. Certains se penchent déjà sur les avantages intrinsèques de l’écriture manuscrite, notamment comme aide à la mémoire et comme outil de réflexion, deux qualités mentionnées par les participants de notre enquête.

Les supports de lecture numériques et les claviers continueront à être utilisés dans les écoles et les foyers. Mais cette réalité ne doit pas occulter le pouvoir du toucher.

The Conversation

Naomi S. Baron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Écran ou papier… pourquoi tourner une page vaut mieux que cliquer – https://theconversation.com/ecran-ou-papier-pourquoi-tourner-une-page-vaut-mieux-que-cliquer-261491

Le changement climatique pousse les poissons-lanternes de l’océan Austral dans un cul-de-sac

Source: The Conversation – in French – By Cam Ly Rintz, Doctorante en écologie marine et sociologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Les océans sont tous connectés entre eux, mais leur température peut agir comme une barrière, notamment pour les poissons-lanternes. Le changement climatique pourrait avoir des conséquences dramatiques, en poussant certaines espèces adaptées au froid vers un véritable cul-de-sac, où elles seraient piégées contre l’Antarctique.


Nous pensons souvent que tous les océans du globe sont connectés et que les animaux qui y vivent peuvent voyager de l’un à l’autre. Du côté de la recherche, le concept de One Ocean (un océan unique) a même émergé pour inviter les scientifiques à considérer cette interdépendance.

Pourtant, malgré cette grande connectivité, la biodiversité marine est loin d’être homogène. Elle se répartit en grandes communautés distinctes parmi les océans du monde. C’est le cas notamment des poissons-lanternes (désignés de la sorte du fait de leur bioluminescence) qui résident dans l’hémisphère Sud. En nous intéressant à ces espèces, nous avons découvert que la température de l’eau agit comme une barrière tout autour de l’océan Austral, séparant les communautés.

Avec le changement climatique, cette barrière se déplace vers le sud, ce qui pousse les poissons-lanternes de l’océan Austral dans un cul-de-sac, piégés par le continent antarctique.

Les poissons-lanternes, poissons les plus abondants des abysses

Nous nous sommes intéressés à la grande famille des poissons-lanternes, ou myctophidés, à l’interface entre l’océan Austral et les autres océans du globe.

Contrairement à ce que l’on peut croire, les poissons-lanternes ne sont pas les poissons aux grandes dents et à la petite loupiote sur la tête comme dans le Monde de Nemo : ça, ce sont les baudroies abyssales. Les poissons-lanternes, eux, sont de fascinants petits poissons (en général, de moins de 10 centimètres) aux grands yeux dont les « lanternes » (photophores, organes qui émettent de la lumière) sont réparties le long du corps selon des motifs spécifiques leur permettant notamment de se camoufler ou de se reconnaître dans des profondeurs jusqu’à plus de 1 000 mètres.

Avec près de 250 espèces, on les retrouve dans tous les océans du globe. Ce sont les poissons les plus abondants à ces profondeurs. La plupart accomplissent tous les jours une formidable migration verticale, passant la journée dans les couches plus profondes, où ils sont moins visibles pour les prédateurs, et remontant à la surface la nuit pour se nourrir.

Dans notre étude, l’objectif était d’étudier la répartition géographique des poissons-lanternes, afin de comprendre comment et pourquoi ils se structurent en communautés. Nous ne partions pas de rien : l’expérience de nos collègues océanographes après des décennies d’échantillonnage dans la zone suggérait que les communautés de poissons-lanternes changent complètement à peu près au niveau de la zone des archipels de Crozet et de Kerguelen, dans le sud de l’océan Indien.

À cet endroit, il se trouve que les fronts océaniques sont particulièrement resserrés. Ces fronts correspondent à des changements brutaux de conditions de l’eau, notamment de température. Plusieurs ont été mis en évidence tout autour de l’océan Austral, dont le front subtropical et le front subantarctique.

L’océan Austral et ses fronts océaniques (front subtropical et front subantarctique en pointillés).
Cam Ly Rintz/Muséum national d’histoire naturelle, CC BY

On savait également que la température jouait un rôle important pour ces espèces, mais sans avoir de vision sur la répartition des communautés. Ces éléments nous ont amenés à tester une hypothèse qui existe depuis longtemps en écologie, mais qui n’avait jamais été démontrée auparavant. Se pourrait-il que le climat agisse comme une barrière à laquelle toutes les espèces réagissent de la même manière, séparant ainsi les communautés de poissons-lanternes ?

La température agit comme une barrière

En étudiant la répartition géographique de toutes les espèces de poissons-lanternes du sud de l’hémisphère Sud, nous avons montré qu’elles s’organisent en deux grandes régions biogéographiques très différentes :

  • d’une part, une communauté australe composée de 19 espèces se regroupe tout autour du continent antarctique ;

  • et, d’autre part, plus au nord, une communauté subtropicale comprend 73 espèces.

Mais entre ces deux régions, aucune barrière physique ni continent. Nous avons alors testé avec des modèles statistiques l’ensemble des variations de l’océan dans la zone : température, salinité, composition chimique, etc.

Parmi tous ces facteurs, il apparaît que la température ressort, sans équivoque, comme la principale force qui sépare ces deux communautés. Ce qui est nouveau ici, c’est la découverte que toutes les espèces répondent de la même manière à la température : les espèces australes ne s’aventurent pas dans des eaux au-dessus de 8 °C, tandis que les espèces subtropicales ne s’aventurent pas dans celles en dessous de 8 °C.

Ainsi, la température forme une barrière climatique nette, peu perméable, séparant les deux communautés de poissons-lanternes. De l’équateur au pôle, la température de l’océan devient de plus en plus froide, et c’est précisément autour de 8 °C que nous avons mis en évidence cette barrière. C’est d’ailleurs la température que l’on retrouve entre les fronts subtropical et subantarctique.

Ce qui est très intéressant, c’est que, en cherchant à comprendre les mécanismes physiologiques qui expliquent cette séparation, nous avons découvert qu’une hypothèse sur un seuil physiologique à 8 °C avait été proposée en 2002, et que nos travaux viennent la corroborer.

Survivre en dessous de ce seuil nécessite des adaptations au froid, qui ont un coût : ne pas pouvoir survivre à la moindre élévation de température. Les espèces polaires ont ainsi un métabolisme adapté aux conditions extrêmes, mais qui, en retour, les rend incapables de supporter des eaux plus chaudes.

Une perte d’habitat causée par le réchauffement climatique

Avec le changement climatique, l’océan se réchauffe de façon globale, ce qui va induire un déplacement de cette barrière vers le pôle Sud. Les poissons-lanternes subtropicaux vont avoir accès à de nouvelles zones, qui auparavant étaient trop froides, et vont ainsi étendre leur aire de répartition vers le sud. Cependant, pour la communauté australe, ces zones vont devenir trop chaudes, et les espèces vont devoir se replier vers le pôle pour rester à des températures suffisamment basses.

Le problème, c’est que, de l’autre côté, se trouve l’Antarctique, qui forme ainsi un véritable cul-de-sac… Piégée par le continent, la communauté australe verra son habitat se réduire drastiquement.

Déplacement des communautés de poissons-lanternes sous l’effet du changement climatique.
Cam Ly Rintz/Muséum national d’histoire naturelle, CC BY

En appliquant des modèles climatiques en fonction des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre établis par le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), nous pouvons projeter la magnitude probable de ces changements. D’après ces scénarios, d’ici 2100, les poissons-lanternes de la région australe pourraient perdre 11 millions de kilomètres carrés (km2) de surface habitable, soit 23 % de leur habitat actuel. Pour donner un ordre de grandeur, cela représente l’équivalent de 80 % de la superficie de l’Antarctique !

L’importance des aires marines protégées

Pourquoi ces résultats sont-ils inquiétants ? D’une part, ils indiquent que le changement climatique représente une menace directe pour les poissons-lanternes de l’océan Austral. D’autre part, les poissons-lanternes occupent une position clé dans la chaîne alimentaire : ce sont à la fois des prédateurs du krill, mais aussi des proies des grands prédateurs marins, comme les manchots ou les éléphants de mer.

Comment les déplacements des poissons-lanternes vont-ils affecter leurs proies ou leurs prédateurs ? Par exemple, pour certains prédateurs marins qui se reproduisent sur des îles comme les Crozet ou les Kerguelen, devront-ils nager plus loin pour se nourrir ? Pourront-ils se rabattre sur d’autres espèces ? Il est extrêmement difficile de répondre à ces questions, d’autant plus que ces autres membres de la chaîne alimentaire seront également affectés par le changement climatique, à des rythmes différents suivant la physiologie et l’écologie des espèces.

Alors comment, face aux changements climatiques et à l’incertitude qui en découle, peut-on concrètement aider ces écosystèmes fragiles à s’adapter aux changements climatiques ? La première étape est de s’assurer que les espèces qui les composent sont en bonne santé et ne sont pas déjà menacées de disparition. Pour cela, il faut réduire au maximum les menaces sur lesquelles nous pouvons agir, telles que la surpêche et la destruction de leurs habitats.

Une solution efficace est de créer des aires marines protégées qui préservent réellement les écosystèmes marins des méthodes de pêche destructrices, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour beaucoup d’entre elles actuellement.

Ces zones sont cruciales pour permettre aux espèces de se rétablir et de devenir plus résistantes. Pour être efficaces face aux changements climatiques, ces aires protégées doivent être variées. Il est important de protéger des zones qui resteront relativement stables malgré le changement climatique, qui serviront de refuges, de même qu’il est aussi essentiel de protéger les zones qui seront plus touchées, afin de permettre à leurs espèces et écosystèmes d’être en bonne santé pour s’adapter aux bouleversements qui s’amorcent.

En d’autres termes, un bon réseau d’aires protégées doit représenter toute la diversité des conditions actuelles et futures. Dans le cas de nos poissons-lanternes, cela signifie qu’il faut protéger des zones où vivent les espèces d’eau chaude, d’autres pour celles vivant en eau froide, mais aussi, et surtout, la zone de transition entre les deux communautés, où les espèces se rencontrent, car, c’est là que les changements seront les plus importants.

Nos travaux, en prédisant où ces zones pourraient être localisées, servent ainsi de support aux prises de décision sur la localisation des aires protégées, comme celles menées au sein de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR).

The Conversation

Cam Ly Rintz a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-POCE-0001, dans le cadre du PPR Océan & Climat conjointement animé par le CNRS et l’Ifremer.

Boris Leroy est financé par l’état en tant qu’enseignant-chercheur fonctionnaire.

ref. Le changement climatique pousse les poissons-lanternes de l’océan Austral dans un cul-de-sac – https://theconversation.com/le-changement-climatique-pousse-les-poissons-lanternes-de-locean-austral-dans-un-cul-de-sac-259810

L’utopie réaliste qui pourrait changer la vie de 1,5 milliard de personnes : une carte d’identité universelle et 1  dollar par jour

Source: The Conversation – in French – By Ettore Recchi, Professeur des universités, Centre de Recherche Sur les Inégalités Sociales (CRIS), Sciences Po

Créer un registre universel recensant toutes les personnes qui le souhaitent, ce qui leur permettra de bénéficier de nombreux services à ce stade inaccessibles ; et verser un dollar par jour à toutes celles qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cette double mesure, qui peut paraître utopique, n’est pas aussi irréaliste que cela, comme le démontre un article paru dans une revue à comité de lecture, dont les auteurs nous présentent ici les principaux aspects.


Que signifie être invisible ? Pour plusieurs centaines de millions de personnes à travers le monde, cela veut dire ne posséder aucune preuve légale d’identité : ni passeport ni acte de naissance – aucun moyen de prouver son existence aux yeux d’un État. Et que signifie être incapable de mener une vie digne ? C’est gérer son quotidien avec moins de 6,85 $ par jour, ce qui correspond au seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale. Dans un monde plus riche que jamais, ces deux situations définissent ce que nous appelons des « inégalités scandaleuses ».

Notre proposition, détaillée dans un article récemment publié dans Humanities and Social Sciences Communications, vise à s’attaquer simultanément à ces deux problèmes : l’absence d’identité légale et la faim. L’idée est simple : garantir une carte d’identité pour chaque personne vivant sur Terre (Humanity Identity Card, HIC) et un complément de revenu de base de 1 dollar (USD) par jour (Basic Income Supplement, BIS) pour la moitié la plus pauvre de la population mondiale.

Cette politique sociale globale contribuerait à garantir des droits humains fondamentaux comme le droit à l’égalité devant la loi, un niveau de vie suffisant et une protection sociale. Elle devrait également encourager un nouveau sentiment de solidarité internationale : les pays, les entreprises et les individus les plus riches soutiendraient les plus vulnérables, non pas par charité, mais dans le cadre d’un engagement structuré et partagé.

Des inégalités vitales et existentielles

En nous appuyant sur les travaux d’Amartya Sen et de Göran Therborn, nous nous concentrons sur deux dimensions de l’inégalité : l’existentielle et la vitale.

L’inégalité existentielle concerne la reconnaissance. Près de 850 millions de personnes, selon une étude de la Banque mondiale, n’ont aucune pièce d’identité reconnue légalement. Cela signifie que, dans la plupart des pays du monde, elles ne peuvent pas ouvrir de compte bancaire, accéder à des services publics, inscrire leurs enfants à l’école ou s’inscrire elles-mêmes dans des établissements d’enseignement, ou encore enregistrer une carte SIM à leur nom. Sans identité légale, on n’est pas seulement exclu : on est aussi invisible.

L’inégalité vitale concerne les ressources nécessaires à la survie. L’insécurité alimentaire demeure l’un des problèmes les plus persistants et mortels aujourd’hui. Alors que la production alimentaire mondiale atteint des sommets historiques, environ 735 millions de personnes souffrent encore de la faim et des millions d’enfants sont malnutris. Ceci n’est pas dû à une pénurie de nourriture, mais à une véritable exclusion économique, faute tout simplement d’avoir les moyens d’accéder à la nourriture disponible.

Ces deux problèmes vont souvent de pair : les plus pauvres sont aussi ceux qui ont le moins de chances d’être officiellement enregistrés auprès des administrations. Surtout, dans les pays les moins développés, en l’absence de filet de sécurité national, ils passent entre les mailles des systèmes censés les protéger.

Une carte pour chaque être humain

La carte d’identité universelle (HIC) est au cœur de la proposition.

Elle serait délivrée par une instance mondiale – très probablement sous l’égide des Nations unies – et proposée à chaque personne, quels que soient sa nationalité ou son statut migratoire. La carte inclurait des données biométriques telles qu’une empreinte digitale ou un scan de l’iris, ainsi qu’une photo et des informations de base comme le nom et la date de naissance de l’individu.

Avec une HIC, les habitants des zones rurales dans les pays à faible revenu pourraient s’inscrire à des services téléphoniques, à travers lesquels ils pourraient recevoir de l’aide par « mobile money » ; ce qui est actuellement sujet à un enregistrement préalable avec carte d’identité. De même, migrants et voyageurs pourraient demander de l’aide, des soins ou simplement une chambre d’hôtel sans s’exposer à des refus ou à des discriminations en raison d’une nationalité stigmatisée.

Cette carte ne serait liée à aucun gouvernement. Sa seule fonction serait de vérifier l’existence de la personne et ses droits en tant qu’être humain. Les données sensibles seraient stockées dans un système sécurisé géré par l’ONU, inaccessible aux gouvernements sauf autorisation explicite du titulaire. Cela distingue notre proposition d’autres programmes, comme l’initiative Identification for Development (ID4D) de la Banque mondiale, qui est censée fonctionner dans les limites des systèmes d’identification nationaux, exposés aux changements d’agenda des gouvernements.

Un dollar par jour pour la moitié de la population mondiale

Le second pilier de la proposition est un complément de revenu de base (BIS). Toute personne disposant d’un revenu inférieur à 2 500 dollars par an – soit environ la moitié de la population mondiale – recevrait un paiement inconditionnel de 1 dollar par jour. Ce montant est suffisamment faible pour rester abordable à l’échelle mondiale, mais assez élevé pour changer concrètement la vie quotidienne des plus pauvres.

Contrairement à de nombreux systèmes d’aide sociale existants, ce revenu serait versé directement aux individus, et non aux ménages, ce qui permettrait de réduire les inégalités de genre et de garantir que les enfants et les femmes ne soient pas exclus. L’argent pourrait être distribué par l’intermédiaire des systèmes de paiement mobile, déjà largement utilisés avec une efficacité remarquable dans de nombreux pays à faible revenu.

Les conclusions tirées de l’examen d’autres programmes de transferts monétaires montrent que ce type de soutien peut réduire significativement la faim, améliorer la santé des enfants, augmenter la fréquentation scolaire et même encourager l’entrepreneuriat. Les personnes vivant dans l’extrême pauvreté dépensent généralement ce revenu supplémentaire de manière avisée : elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont en priorité besoin.

Mais qui finance ?

Un programme mondial de cette ampleur n’est pas bon marché. Nous estimons que le complément de revenu de base coûterait environ 1 500 milliards de dollars par an. Mais nous avons aussi esquissé son plan de financement.

La proposition prévoit une taxe mondiale de seulement 0,66 % sur trois sources :

  • sur le produit intérieur brut (PIB) de chaque État souverain ;

  • sur la capitalisation boursière des entreprises valant plus d’un milliard de dollars ;

  • sur la richesse totale des ménages milliardaires.

Au total, cela générerait suffisamment de ressources pour financer le complément de revenu et administrer la carte d’identité, avec un petit surplus pour les coûts opérationnels.

La participation serait obligatoire pour tous les États membres de l’ONU, ainsi que pour les entreprises et individus concernés. Le non-respect entraînerait des sanctions, telles que la dénonciation publique, des conséquences commerciales ou l’exclusion de certains avantages internationaux.

Ce système s’inspire de précédents existants, comme l’objectif fixé aux États de consacrer 0,7 % de leur budget annuel à l’aide au développement ou l’accord récent de l’OCDE sur un impôt minimum mondial pour les entreprises. Plusieurs dirigeants du G20 ont d’ailleurs déjà exprimé leur soutien à une taxation mondiale de la richesse. Ce qui manque, c’est la coordination – et la volonté politique.

Pourquoi le mettre en œuvre maintenant ?

Pour beaucoup, la proposition semblera utopique. Les inégalités mondiales sont profondément ancrées, et les intérêts nationaux priment souvent sur les responsabilités globales, comme l’illustrent les développements politiques récents (le 1er juillet, le gouvernement des États-Unis a officiellement cessé de financer l’USAID). Mais nous avons aussi vu à quelle vitesse le monde peut mobiliser des ressources en temps de crise – comme lors de la pandémie de Covid-19, où des milliers de milliards ont été injectés dans l’économie mondiale en quelques semaines.

La technologie, elle aussi, a suffisamment progressé pour que la délivrance et la gestion d’une carte d’identité universelle ne relèvent plus de la science-fiction. Les systèmes biométriques sont répandus, et les services de paiement mobile sont des outils éprouvés pour distribuer efficacement l’aide. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est de l’imagination – et de la détermination.

En outre, la proposition repose sur un argument moral puissant : dans un monde aussi interconnecté que le nôtre, pouvons-nous continuer à accepter que certains n’aient aucune existence légale ni aucun moyen de se nourrir ? Pouvons-nous nous permettre de ne rien faire ?

Un pas possible vers la citoyenneté mondiale

Au-delà de ses bénéfices pratiques, la carte d’identité universelle et le complément de revenu de base représentent quelque chose de plus profond : un nouveau modèle de protection sociale mondiale.

Ils considèrent l’identité et le revenu de base non comme des privilèges de citoyenneté, mais comme des droits inhérents à la personne. Ils offrent ainsi une alternative à une vision nationaliste de l’organisation sociale.

C’est une vision radicale mais pas irréalisable – une politique proche de ce que le sociologue Erik Olin Wright appelait « une utopie réaliste » : un monde où naître au mauvais endroit ne condamne plus à une vie de souffrance et d’exclusion.

Que ce plan soit adopté ou non, il ouvre la voie à une réflexion sur la manière dont nous prenons soin les uns des autres au-delà des frontières. À mesure que les défis mondiaux s’intensifient – changement climatique, déplacements, pandémies –, le besoin de solutions globales devient plus urgent. Le projet confère aussi un rôle nouveau et véritablement supranational à l’ONU, à un moment où l’organisation – qui fête cette année son 80e anniversaire – traverse l’une des crises existentielles les plus profondes de son histoire.

Une carte et un dollar par jour peuvent sembler des outils modestes. Mais ils pourraient suffire à rendre visible l’invisible et à sauver les affamés. Et à nous rendre fiers d’être humains.


Pour une version détaillée de cet article, lire Recchi, E., Grohmann, T., « Tackling “scandalous inequalities”: a global policy proposal for a Humanity Identity Card and Basic Income Supplement », Humanities & Social Sciences Communications, 12, art. no : 880 (2025).

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. L’utopie réaliste qui pourrait changer la vie de 1,5 milliard de personnes : une carte d’identité universelle et 1  dollar par jour – https://theconversation.com/lutopie-realiste-qui-pourrait-changer-la-vie-de-1-5-milliard-de-personnes-une-carte-didentite-universelle-et-1-dollar-par-jour-260466

Massacre de l’armée coloniale au Niger : derrière le mea culpa de Macron, la continuité d’un récit historique biaisé

Source: The Conversation – in French – By Frank Gerits, Research Fellow at the University of the Free State, South Africa and Assistant Professor in the History of International Relations, Utrecht University

Le 19 juin 2025, le représentant permanent de la France auprès des Nations unies a reconnu que Paris était ouvert au dialogue avec le Niger et prêt à collaborer avec des chercheurs spécialisés afin de mettre en place une coopération patrimoniale permettant la restitution au Niger des objets culturels volés.

Comme le concluait déjà le rapport Sarr-Savoy (du nom de ses auteurs Bénédicte Savoy et Felwine Sarr) de 2018, de nombreux objets volés ont probablement intégré des collections privées sans provenance, ou ont été considérés comme des objets ethnographiques génériques plutôt que comme des pièces de musée de grande valeur. Il est donc nécessaire de mener une enquête sur leur provenance avant même d’envisager leur restitution.

Cette lettre faisait suite à une plainte déposée par quatre communautés nigériennes représentant les descendants des victimes de la mission Voulet-Chanoine de 1899. Cette mission avait été mise en place pour unifier l’Afrique occidentale française face à une concurrence impériale accrue avec la Grande-Bretagne.

Le commandement était assuré par le capitaine Paul Voulet et son adjudant, le lieutenant Julien Chanoine, deux militaires déjà réputés pour leur violence. Mal préparée et dotée d’instructions vagues de la part de Paris, la mission a rapidement sombré dans le chaos, les soldats mourant de dysenterie tout en pillant et massacrant des milliers de personnes.

Les grandes villes du Niger actuel, dirigées par des souverains locaux à la stature quasi mythique, ont été réduites en cendres : Lougou, où la cheffe Sarraounia Mangou a résisté à l’assaut, et Zinder, la capitale du sultanat de Damagaram. La domination coloniale française a ainsi détruit les centres du pouvoir culturel et diplomatique du Niger actuel.

À l’époque, la nouvelle des atrocités est même parvenue jusqu’au ministère des Colonies à Paris, qui a ordonné au gouverneur de Tombouctou, Jean-François Klobb, de prendre le commandement de l’expédition. Après l’assassinat de Klobb par Voulet lors d’une confrontation, ce dernier déclara qu’il n’était plus français et qu’il voulait devenir chef africain. Cette décision provoqua une mutinerie parmi ses propres soldats qui, après un nouveau chaos, l’assassinèrent à leur tour.

Réparations

Les appels à des réparations se sont amplifiés au Niger et dans toute l’Afrique depuis que l’Union africaine a déclaré 2025 Année des réparations. Elle a également encouragé une définition plus large de ce qui constitue une injustice coloniale, afin d’y inclure la justice climatique et la justice économique.

Une série de coups d’État en Afrique de l’Ouest a également renforcé les sentiments anti-français. Elle a accéléré la politique de décolonisation d’Emmanuel Macron, dans laquelle la France reconnaît les atrocités coloniales. Dans le même temps, Paris maintient le discours selon lequel elle a accompli du bon travail.

Lors d’une visite en Algérie en 2022, Macron a exprimé ses regrets pour les atrocités commises pendant la guerre d’indépendance algérienne. Il a également visité le cimetière où sont enterrés les pieds-noirs français – Européens installés en Algérie pendant la période coloniale (1830-1962) –, soulignant l’idée que tous deux étaient victimes à leur manière.

Au Cameroun, après un rapport d’une commission franco-camerounaise d’histoire présidée par Karine Ramondy, Macron a reconnu que la France avait mené une guerre qui s’était poursuivie même après l’indépendance. Même si le cinéaste camerounais Jean Pierre Bekolo a raison de souligner que les conclusions du rapport n’ont rien de nouveau, puisqu’elles confirment des idées plus anciennes tirées d’ouvrages tels que Kamerun !, la reconnaissance officielle du néocolonialisme est nouvelle et quelque peu surprenante. Cette reconnaissance par Macron de ce qui était euphémiquement appelé « pacification » a été possible car elle jette le discrédit sur le prédécesseur et rival politique de Paul Biya, Ahmadou Ahidjo. La reconnaissance officielle de ce que les historiens savent depuis longtemps se fait donc au détriment des vérités historiques au Cameroun même, où la politique mémorielle a cherché à servir le parti au pouvoir.

Au Bénin, les trésors royaux d’Abomey ont été restitués. En exprimant des regrets pour des cas historiques spécifiques, la France ne reconnaît pas la nature structurelle de la violence coloniale, et donc sa pleine responsabilité.

Dans tous ces cas, la notion de mission civilisatrice est maintenue par les autorités françaises : si les gens du passé ont été mal avisés, ils avaient de bonnes intentions. Certains individus ont toutefois parfois abusé de leur pouvoir.

Conflit entre les mémoires nationales

Cette conception individualisée du colonialisme est particulièrement prononcée dans le cas du Niger. Des rumeurs sur la nature diabolique de Voulet et Chanoine circulaient déjà à Paris au moment même de la mission. La presse française s’est emportée contre la prétendue folie de Voulet, qui aurait perdu la raison sous la chaleur de l’Afrique occidentale.

Ces histoires ont exploité le cliché populaire de l’aventurier impérialiste fou. Le roman de l’écrivain britannique Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, publié en 1899, raconte l’histoire d’un marchand d’ivoire nommé Kurtz qui devient fou à cause de son séjour dans l’État libre du Congo. En 1943, le roman existentialiste du Français Albert Camus, L’Étranger dépeint la vie d’un homme dépourvu de tout sentiment qui tue un Algérien.

Il n’est donc pas surprenant qu’en 1976, l’écrivain français Jacques-Francis Rolland ait dépeint Paul Voulet comme un sadique dans son ouvrage Le Grand Capitaine. Le titre du film de Serge Moati, Capitaines des ténèbres sorti en 2005 et basé sur le roman, fait même écho au livre de Conrad. Ainsi, les atrocités ne sont pas considérées en France comme le résultat d’un système colonial qui encourageait ce type de comportement, mais comme le résultat d’une dépression psychologique individuelle.

Au Niger, cependant, cette mission est considérée comme un tournant dans l’histoire de l’exploitation coloniale. Hosseini Tahirou Amadou, professeur d’histoire et de géographie à Dioundiou, a peut-être lancé sa campagne menée en 2014 pour obtenir des excuses et une réparation de la part de l’État français pour les violences commises au Niger. Mais il s’est inspiré d’une production culturelle qui explorait les effets à long terme de la violence coloniale et de la destruction culturelle en cours.

En 1980, l’écrivain nigérien Abdoulaye Mamani a publié Sarraounia (1980), un roman historique qui raconte l’histoire d’une puissante reine haoussa qui résiste à l’invasion coloniale française au Niger. Mêlant tradition orale et critique politique, il dépeint Sarraounia comme un symbole de la force et de la défiance indigènes. Ce roman, qui est une pierre angulaire de la littérature nigérienne et de la littérature anticolonialiste, a été adapté au cinéma en 1986 par Med Hondo.

La stratégie de la France consistant à privilégier le dialogue sans assumer de responsabilité n’est donc pas tant l’expression d’une volonté délibérée d’esquive que le résultat d’un manque de compréhension. Le fait que Paris agisse sur cette question est une conséquence de la décision de la junte au pouvoir au Niger d’annoncer son intention de nationaliser la Société des mines de l’Aïr (Somair), filiale de la société française d’uranium Orano.

Une nouvelle alliance avec l’Afrique de l’Ouest

Au cours de la dernière décennie, le Niger a fourni à la France 20 % de son approvisionnement en uranium. Mais en 2022, le Niger était devenu un fournisseur secondaire, ne représentant plus que 2 % de la production mondiale.

Pourtant, la nationalisation est un autre symbole de la défaite de l’influence déclinante de la France en Afrique. Depuis juillet 2023, le général Abdourahamane Tchiani s’efforce de faire partir l’armée française tout en menaçant les entreprises françaises de nationalisation afin de lutter contre ce qu’il qualifie d’influence néocoloniale.

La discussion autour de Voulet-Chanoine doit donc être comprise comme un moyen, certes cynique, de garder la porte ouverte au Niger, d’autant plus que ce dernier s’est également retiré de l’Organisation internationale de la francophonie, l’un des symboles du pouvoir culturel français. Ce dialogue s’inscrit dans la stratégie globale de Macron, qui consiste à exprimer des remords pour le passé colonial. Il vise à construire de nouvelles alliances en Afrique de l’Ouest pour remplacer la perte d’influence dans une région secouée par des coups d’État.

Il semble peu probable que les relations entre les deux pays puissent s’améliorer sans reconnaître que les raids au Niger faisaient partie d’une stratégie impérialiste délibérée. Comme l’ont indiqué des militants nigériens lors d’un séminaire en 2021, en présence de Fabian Salvioli, rapporteur spécial des Nations unies sur la vérité, la justice et la réparation, le point de départ de la réconciliation devrait être des excuses publiques et une enquête approfondie de la part des autorités françaises.

Il n’existe aucun monument ni commémoration pour les vies africaines qui ont été perdues. Pourtant, la tombe de Voulet est toujours entretenue à Maïjirgui, au Niger, et le monument dédié à Klobb se trouve toujours à Tessaoua.

Une expression matérielle de regret sous la forme d’un monument dédié aux vies africaines perdues pourrait, à cet égard, être un bon point de départ.

The Conversation

Frank Gerits does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Massacre de l’armée coloniale au Niger : derrière le mea culpa de Macron, la continuité d’un récit historique biaisé – https://theconversation.com/massacre-de-larmee-coloniale-au-niger-derriere-le-mea-culpa-de-macron-la-continuite-dun-recit-historique-biaise-262297

Mécanismes scientifiques de la famine : voici ce qui arrive à votre corps lorsqu’il est privé de nourriture

Source: The Conversation – in French – By Ola Anabtawi, Assistant Professor – Department of Nutrition and Food Technology, An-Najah National University

La faim se manifeste sous différentes formes et évolue par étapes. Tout commence par l’insécurité alimentaire, quand on est obligé de s’adapter en réduisant le nombre de repas. À mesure que la nourriture se fait rare, le corps puise dans ses propres réserves. Le passage de la faim à la famine s’amorce par une baisse du niveau d’énergie, puis l’organisme brûle ses graisses avant d’attaquer les muscles. En phase terminale, les organes vitaux cessent de fonctionner.

De la sous-alimentation à la malnutrition aiguë, puis à la famine, le corps finit par ne plus pouvoir maintenir la vie. À Gaza aujourd’hui, des milliers d’enfants de moins de cinq ans et de femmes enceintes ou allaitantes souffrent de malnutrition aiguë. Au Soudan, les conflits et les restrictions à l’accès humanitaire ont poussé des millions de personnes au bord de la famine. Les alertes à la famine se font de plus en plus pressantes chaque jour.

Nous avons demandé aux nutritionnistes Ola Anabtawi et Berta Valente d’expliquer les mécanismes scientifiques de la famine et ce qui se passe dans le corps lorsqu’il est privé de nourriture.

Quelle est la quantité minimale de nutriments dont le corps a besoin pour survivre ?

Pour survivre, il ne suffit pas d’avoir de l’eau potable et d’être en sécurité. L’accès à une alimentation qui couvre les besoins quotidiens en énergie, en macronutriments et en micronutriments est essentiel pour rester en bonne santé, favoriser la récupération et prévenir la malnutrition.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les adultes ont des besoins énergétiques différents selon leur âge, leur sexe et leur niveau d’activité physique. Une kilocalorie (kcal) est une unité de mesure de l’énergie. En nutrition, elle indique la quantité d’énergie qu’une personne tire de son alimentation ou la quantité d’énergie dont le corps a besoin pour fonctionner. Techniquement, une kilocalorie représente l’énergie nécessaire pour augmenter d’un degré Celsius la température d’un litre d’eau. Notre corps utilise cette énergie pour respirer, digérer, maintenir sa température et, chez les enfants, grandir.

Les besoins énergétiques totaux proviennent de trois sources :

  • la dépense énergétique au repos : l’énergie utilisée au repos pour maintenir les fonctions vitales (respiration, circulation sanguine).

  • l’activité physique : varie en cas d’urgence en fonction de facteurs tels que les déplacements, les soins prodigués ou les tâches de survie

  • la thermogenèse : l’énergie pour digérer et transformer les aliments.

La dépense énergétique au repos représente généralement la plus grande partie des besoins énergétiques, en particulier lorsque l’activité physique est limitée. D’autres facteurs comme l’âge, le sexe, la taille, l’état de santé, la grossesse ou un environnement froid influencent également ces besoins.

Les besoins énergétiques varient tout au long de la vie. Les nourrissons ont besoin environ 95 kcal à 108 kcal par kilogramme de poids corporel par jour pendant les six premiers mois et entre 84 kcal et 98 kcal par kilogramme de six à douze mois. Pour les enfants de moins de dix ans, les besoins énergétiques sont basés sur des modèles de croissance normale, sans distinction entre les garçons et les filles.

Un enfant de deux ans a besoin d’environ 1 000 à 1 200 kcal par jour, un enfant de cinq ans de 1 300 à 1 500 kcal, et un enfant de dix ans de 1 800 à 2 000 kcal. À partir de dix ans, les besoins commencent à différer entre filles et garçons en raison des variations de croissance et d’activité. Et les apports sont ajustés en fonction du poids, de l’activité et du rythme de croissance.

Chez les adultes ayant une activité légère à modérée, les besoins quotidiens moyens sont d’environ 2 900 kcal pour les hommes âgés de 19 à 50 ans et de 2 200 kcal pour les femmes du même âge. Ces valeurs peuvent varier de plus ou moins 20 % selon le métabolisme et l’activité. Après 50 ans, les besoins diminuent légèrement, avec environ 2 300 kcal pour les hommes et 1 900 kcal pour les femmes.

Dans les situations d’urgence humanitaire, l’aide alimentaire doit garantir l’apport énergétique minimum largement accepté de 2 100 kcal par personne et par jour. Ce niveau vise à satisfaire les besoins physiologiques fondamentaux et à prévenir la malnutrition lorsque l’approvisionnement alimentaire est limité.

Cette énergie doit provenir d’un apport équilibré en macronutriments, les glucides représentant 50 à 60 % (comme le riz ou le pain), les protéines 10 à 35 % (comme les haricots ou la viande maigre) et les lipides 20 à 35 % (par exemple, l’huile de cuisson ou les noix). Les besoins en lipides sont plus élevés chez les jeunes enfants (30 à 40 %), ainsi que chez les femmes enceintes et allaitantes (au moins 20 %).

En plus de l’énergie, le corps a besoin de vitamines et de minéraux, tels que le fer, la vitamine A, l’iode et le zinc, qui sont essentiels au fonctionnement du système immunitaire, à la croissance et au développement du cerveau. Le fer se trouve dans des aliments tels que la viande rouge, les légumineuses et les céréales enrichies. La vitamine A provient des carottes, des patates douces et des légumes verts à feuilles foncées. L’iode est généralement obtenu à partir du sel iodé et des fruits de mer. Le zinc est présent dans la viande, les noix et les céréales complètes.

Lorsque les systèmes alimentaires s’effondrent, cet équilibre est rompu.

Que se passe-t-il physiquement lorsque votre corps est affamé ?

Lorsqu’on est privé de nourriture, le corps réagit en trois grandes étapes, qui se chevauchent. Chacune reflète les efforts du corps pour survivre sans nourriture. Mais ces adaptations ont un coût physiologique élevé.

Au cours de la première phase, dans les 48 heures suivant l’arrêt de l’alimentation, le corps utilise le glycogène stocké dans le foie pour maintenir un taux de sucre stable dans le sang. C’est la glycogénolyse. Mais cette réserve s’épuise vite.

Le corps passe alors à la gluconéogenèse. Il fabrique alors du glucose à partir d’autres sources : acides aminés issus des muscles, graisses, lactate. Ce processus nourrit les organes vitaux mais détruit peu à peu la masse musculaire et augmente la perte d’azote, en particulier au niveau des muscles squelettiques.

Dès le troisième jour, la cétogenèse devient le mode de survie dominant. En l’occurrence, le foie transforme les graisses en corps cétoniques, une autre source d’énergie pour le cerveau et les organes. Ce changement permet de préserver les tissus musculaires, mais révèle une crise métabolique plus grave.

Les changements hormonaux, notamment la diminution de l’insuline, de l’hormone thyroïdienne (T3) et de l’activité du système nerveux, ralentissent le métabolisme afin d’économiser l’énergie.
Quand les graisses sont épuisées, le corps attaque ses propres protéines pour survivre. Les muscles fondent, l’immunité chute, le risque d’infections mortelles augmente.

Le système immunitaire s’affaiblit, augmentant le risque d’infections graves, comme la pneumonie. La mort survient souvent après 60 à 70 jours sans nourriture.

À mesure que le corps entre dans une privation prolongée de nutriments, les signes visibles et invisibles de la famine s’intensifient. Sur le plan physique, on observe une perte de poids extrême, une fonte musculaire, une grande fatigue, un rythme cardiaque ralenti, une peau sèche, une chute de cheveux et des plaies qui cicatrisent mal.Le système immunitaire s’effondre et la pneumonie est une cause fréquente de décès.

Sur le plan psychologique, la famine provoque une profonde détresse. Les personnes touchées font état d’apathie, d’irritabilité, d’anxiété et d’une préoccupation constante pour la nourriture. Les capacités cognitives déclinent et la régulation émotionnelle se détériore, conduisant parfois à la dépression ou au repli sur soi.

Chez les enfants, la famine entraîne des effets à long terme, un retard de croissance et des troubles cérébraux parfois irréversibles.

La faim détruit aussi le tissu social. Les familles s’épuisent, les communautés se disloquent. Dans des crises comme à Gaza ou au Soudan, la famine aggrave le traumatisme causé par la violence et les déplacements, entraînant un effondrement total de la résilience sociale et biologique.

Comment briser ce cycle ?

Après une période de famine, le corps se trouve dans un état métabolique fragile. La réintroduction soudaine d’aliments, en particulier de glucides, provoque un pic d’insuline et un transfert rapide d’électrolytes tels que le phosphate, le potassium et le magnésium vers les cellules. Cela peut submerger l’organisme et entraîner ce que l’on appelle le syndrome de réalimentation, qui peut entraîner des complications graves telles qu’une insuffisance cardiaque, une détresse respiratoire, voire la mort si elle n’est pas prise en charge avec soin.

Le traitement standard commence par l’administration d’ un lait thérapeutique appelé F-75, spécialement conçu pour stabiliser les patients pendant la phase initiale de la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère. Elle est suivie d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi, d’une pâte ou d’un biscuit souvent à base de pâte de cacahuète enrichie. En 4 à 8 semaines, un enfant sévèrement malnutri peut retrouver un état normal. On ajoute aussi des sels de réhydratation et des compléments en vitamines et minéraux.

L’aide doit être acheminée en sécurité. Les largages aériens ne suffisent pas. La survie nécessite des efforts soutenus et coordonnés pour rétablir les systèmes alimentaires, protéger les civils et faire respecter le droit humanitaire. Sans cela, le risque est grand de voir se répéter les cycles de famine et de souffrance.

Lorsque l’aide alimentaire est insuffisante en qualité ou en quantité, ou lorsque l’eau potable n’est pas disponible, la malnutrition s’aggrave rapidement.

The Conversation

The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Mécanismes scientifiques de la famine : voici ce qui arrive à votre corps lorsqu’il est privé de nourriture – https://theconversation.com/mecanismes-scientifiques-de-la-famine-voici-ce-qui-arrive-a-votre-corps-lorsquil-est-prive-de-nourriture-263207