Algérie, Tunisie, Maroc : Comment l’opéra est passé d’un héritage colonial à un outil diplomatique

Source: The Conversation – in French – By Frédéric Lamantia, Docteur en géographie et maître de conférences, UCLy (Lyon Catholic University)

L’Opéra Boualem-Bessaïh d’Alger a été financé par la Chine, pour un montant de 30 millions d’euros, et inauguré en 2016. Sino/Opéra d’Alger

La présence d’opéras importés par les Occidentaux en Afrique du Nord et le regain d’intérêt pour ceux-ci depuis une vingtaine d’années raconte l’histoire complexe d’un art, vecteur d’influence culturelle, en cours d’intégration dans les sociétés et les politiques publiques autochtones.


La diffusion de l’opéra en Afrique du Nord s’inscrit au départ dans des logiques de domination culturelle. Durant la période coloniale, l’opéra est majoritairement un art importé, cloisonné et réservé aux élites européennes. Cette dynamique laisse progressivement la place à un transfert artistique combiné à la création de liens diplomatiques. En Algérie, comme en Tunisie ou au Maroc, les trajectoires de l’opéra sont liées à l’histoire coloniale, révèlent des échanges transméditerranéens et mettent en lumière certaines recompositions identitaires qui ont vu le jour après les indépendances. Initialement outil de légitimation propre aux puissances coloniales, cet art a progressivement intégré des éléments de la culture locale pour devenir, aujourd’hui, un instrument de soft power et de rayonnement international.

L’Algérie, du territoire lyrique colonial hiérarchisé au nouveau modèle culturel

En 1830, alors que l’Algérie possède déjà une riche tradition musicale et théâtrale, la colonisation ouvre une phase d’intégration avec l’espace culturel français. L’installation d’infrastructures lyriques dans la capitale comme dans des villes moyennes répond à l’objectif explicite des autorités coloniales de reproduire des formes de sociabilité et de distinction culturelle et sociale présentes dans la métropole.

La construction de théâtres à Alger, à Oran ou à Constantine, inscrit la forme artistique sur le territoire avec une programmation offrant opéras, opérettes et concerts symphoniques. Un public composé de fonctionnaires, de militaires, de commerçants et de notables vient s’y distraire. L’armée joue un rôle structurant, ses musiciens formant le socle d’orchestres permanents ou ponctuels.

Un aménagement du territoire lyrique hiérarchisé voit le jour comprenant des maisons d’opéra dans les grands centres urbains alors que des tournées desservent des villes secondaires. Les populations autochtones sont presque totalement exclues de ce territoire lyrique occidental importé, en raison de barrières linguistiques (œuvres chantées en italien ou en français), de différences esthétiques sur le plan musical et d’une distance sociale qui touche aussi certains pieds-noirs

Après l’indépendance de 1962, l’Algérie conserve le bâti hérité de la colonisation et notamment l’ex-Opéra d’Alger, rebaptisé Théâtre national algérien. Le monument accueille alors des pièces de théâtre, même si quelques activités lyriques sporadiques restent programmées. L’Orchestre symphonique national remplace les ensembles musicaux français tandis que la musique andalouse et des formes traditionnelles conservent leur place dans la vie musicale, voire se développent.

L’ère contemporaine voit le réveil d’un intérêt pour l’opéra, désormais associé à la diplomatie culturelle. Inauguré en 2016, le nouvel opéra d’Alger marque ainsi une rupture dans la perception de l’art lyrique en Algérie. Financé par la Chine pour un montant de 30 millions d’euros et considéré comme une vitrine artistique par le pouvoir algérien, il accueille en résidence l’Orchestre symphonique, le Ballet national et l’Ensemble de musique andalouse. La programmation combine répertoire lyrique occidental, créations locales en lien avec des traditions séculaires, alors que s’instituent des échanges avec de grandes maisons d’opéra de renommée internationale, comme Milan ou Le Caire. L’opéra devient ainsi un outil diplomatique intégrant la culture dans les relations bilatérales.

Tunisie : de l’influence égyptienne au réseau d’art lyrique panarabe

Sous protectorat français à partir de 1881, la Tunisie présente un paysage lyrique diversifié abritant des traditions musicales autochtones sur lesquelles l’opéra occidental vient se surimposer. Riche d’une population issue d’horizons culturels variés, le territoire lyrique tunisien devient un lieu de confluence entre répertoires italiens, français et égyptiens.

Le Théâtre municipal de Tunis, construit dans un style italien, accueille des troupes venues de toute l’Europe pour le plaisir d’un public colonial assorti de diplomates et d’une minorité de Tunisiens formant une élite occidentalisée. En parallèle, une tradition lyrique arabe se développe grâce à des troupes, en provenance d’Égypte, qui proposent des œuvres associant chant, théâtre et poésie, jouées le plus souvent dans des espaces alternatifs, souvent temporaires. Les infrastructures coloniales restent vouées à l’opéra et, plus généralement, à la musique occidentale si bien que la coexistence des deux traditions reste marquée par un cloisonnement institutionnel et social.

Les premières décennies de postindépendance sont celles d’un début de patrimonialisation. En Tunisie, le Théâtre municipal de Tunis demeure le principal lieu de représentations lyriques. De surcroît, on note l’apparition des années 1980 aux années 2000 de festivals, tels que l’Octobre musical de Carthage, qui accueillent des productions européennes et arabes. Des coopérations bilatérales avec l’Italie et avec la France permettent ensuite, dans les années 2010, l’émergence de jeunes chanteurs tunisiens bien que la structuration d’une saison lyrique nationale soit encore embryonnaire.

Ces initiatives portent leurs fruits. Le Théâtre de l’Opéra de Tunis développe désormais des coproductions de haut niveau comme Archipel (menée avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse [CNSMD] de Paris et l’Institut français de Tunisie). Par ailleurs, le projet « Les voix de l’Opéra de Tunis » vise à former une nouvelle génération de chanteurs et à créer une saison lyrique nationale. L’inauguration, en 2018, d’une cité de la culture comptant une grande salle de 1 800 places consacrée à l’opéra marque la volonté du pouvoir politique d’inscrire cet art dans le paysage culturel tunisien.

En 2024, la Tunisie participe au lancement d’un festival arabe de l’opéra, sous l’égide de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) et du Quatar, avec, pour objectif, la mutualisation des productions, mais aussi celle de datas sur cette thématique, en vue de la constitution d’un réseau panarabe d’art lyrique.

Au Maroc, de l’implantation intermittente à la volonté d’excellence lyrique

Au Maroc, durant le protectorat français (1912-1956), l’art lyrique est marqué par des initiatives ponctuelles plutôt que par une implantation structurée sur le territoire comme cela a pu être le cas en Algérie.

L’inauguration en 1915 d’un opéra-comique à Casablanca, à l’occasion de l’Exposition franco-marocaine, symbolise la volonté pour la France d’affirmer son prestige culturel, tout en répondant à une demande de divertissement émanant des colons français. Les infrastructures sont souvent provisoires (on note l’utilisation de théâtres en bois) et la programmation reste destinée à un public européen (un théâtre populaire marocain préexistait). Entre 1920 et 1950, Casablanca accueille des artistes lyriques de renom – à l’image de Lili Pons ou Ninon Vallin – qui viennent interpréter un répertoire essentiellement européen et chanté en français ou en italien.

À Rabat, le Théâtre national Mohammed-V devient, en 1962, la scène marocaine de référence pour l’accueil de compagnies internationales. Quelques expériences d’adaptation linguistique voient le jour, bien que restant marginales. L’opéra demeure encore perçu comme un art importé, associé à un symbole de prestige, plutôt qu’ancré dans la création locale.

Mais la volonté d’excellence lyrique du Maroc se matérialise avec la création du Grand Théâtre de Rabat et de ses 1 800 places, inauguré en octobre 2024. Conçu par l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid, s’inscrivant dans un projet phare de requalification urbaine, il se veut à la fois un incubateur de talents marocains et une scène internationale. Sous l’impulsion du baryton David Serero, ce projet lyrique d’envergure se caractérise par la volonté de promouvoir un répertoire Made in Morocco, associant des œuvres occidentales en langue originale et des créations ou adaptations en darija, forme d’arabe dialectal marocain.

Par ailleurs, un travail de médiation en direction de la jeunesse est mené, montrant la volonté d’ouvrir cet art à un public plus large. Ce lieu symbolise la volonté du Maroc de s’affirmer comme une référence culturelle africaine et arabe de premier plan en matière d’art lyrique.

L’histoire et la géographie de l’opéra en Afrique du Nord mettent en lumière la plasticité des formes artistiques lorsqu’elles traversent des contextes politiques et culturels différents.

Importé comme un outil de domination symbolique, l’art lyrique a d’abord servi à reproduire les hiérarchies sociales coloniales avant de devenir, dans certains cas, un espace d’expérimentation identitaire et de projection internationale. Aujourd’hui, les grandes institutions lyriques d’Alger, de Tunis ou de Rabat s’inscrivent dans des stratégies où la culture est mobilisée comme ressource de prestige, de diplomatie et de développement urbain, confirmant que l’opéra, loin d’être un simple divertissement, demeure un acteur à part entière des relations internationales.

The Conversation

Frédéric Lamantia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Algérie, Tunisie, Maroc : Comment l’opéra est passé d’un héritage colonial à un outil diplomatique – https://theconversation.com/algerie-tunisie-maroc-comment-lopera-est-passe-dun-heritage-colonial-a-un-outil-diplomatique-263673

À la fin, qui prendra en charge le coût des assurances ?

Source: The Conversation – in French – By Arthur Charpentier, Professeur, Université de Rennes 1 – Université de Rennes

Depuis 1990, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles croissent de 5 % à 7 % par an – 137 milliards de dollars états-uniens, en 2024, et une tendance à 145 milliards, en 2025. Lucian Coman/Shutterstock

Tempêtes qui se répètent, primes qui s’envolent, retraits d’assureurs : à l’heure du dérèglement climatique, une question se pose : qui règlera, in fine, la note ?


Des mutuelles ouvrières du XIXe siècle, créées pour amortir les coups durs du développement industriel, aux logiques actionnariales des multinationales contemporaines, l’assurance a toujours reflété les grands risques de son époque.

Désormais sous la pression d’événements climatiques à la fréquence et à la sévérité inédites, le secteur affronte une équation nouvelle : comment rester solvable et socialement légitime lorsque la sinistralité (montants payés par une compagnie d’assurance pour des sinistres) croît plus vite que les primes (encaissées) ? Entre flambée des tarifs, exclusions de garanties et menace d’inassurabilité de territoires entiers, comment la solidarité assurantielle doit-elle se réinventer ?

Chacun pour tous, et tous pour chacun

Avant d’être une industrie financière pesant des milliards d’euros, l’assurance est née comme un simple pot commun : des membres cotisent, les sinistrés piochent, et le surplus (s’il existe) revient aux sociétaires. Des organismes de solidarité et d’assurance mutuelle créés dans le cadre de la Hanse (la Ligue hanséatique, réseau de villes marchandes d’Europe du Nord entre le XIIIᵉ et le XVIIᵉ siècle) jusqu’aux guildes médiévales, ces associations de personnes exerçant le même métier ou la même activité, la logique est déjà celle d’un risk-pooling, un partage de risque, à somme nulle. Chacun paie pour tous, et tous pour chacun.

Dans les guildes du Moyen Âge, en Europe, chaque maître artisan versait un droit annuel qui finançait la reconstruction de l’atelier détruit par l’incendie ou le soutien de la veuve en cas de décès. Pour l’historien de l’économie Patrick Wallis, c’est la première caisse de secours structurée. Les chartes danoises de 1256, qui imposent une « aide feu » (ou brandstød) obligatoire après sinistre, en offrent un parfait exemple, comme le montre le chercheur en politique sociale Bernard Harris.

Le principe traverse les siècles. Au XIXe, les sociétés de secours mutuel instaurent la ristourne, quand la sinistralité s’avère plus clémente que prévu. Aujourd’hui encore, près d’un assuré sur deux en incendies, accidents et risques divers (IARD) adhère à une mutuelle dont il est copropriétaire statutaire.

L’équation financière reste fragile : lorsque le climat transforme l’aléa en quasi-certitude, la prime n’est plus un simple « partage de gâteau » mais une avance de plus en plus volumineuse sur des dépenses futures. Le groupe Swiss Re a calculé que, depuis 1990, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles croissent de 5 % à 7 % par an – 137 milliards de dollars états-uniens en 2024, la tendance est à 145 milliards de dollars en 2025 (respectivement 118 milliards et 125 milliards d’euros).

Le modèle mutualiste, fondé sur la rareté relative du sinistre et la diversification géographique, se voit contraint de réinventer sa solidarité si la fréquence double et la gravité explose… sous peine de basculer vers une segmentation aussi fine que celle des assureurs capitalistiques.

Tarification solidaire et optimisation actionnariale

À partir des années 1990, la financiarisation injecte un nouvel impératif : la prime doit couvrir les sinistres, financer le marketing, rémunérer les fonds propres et, à l’occasion, servir de variable d’ajustement pour les objectifs trimestriels. L’optimisation tarifaire, popularisée sous le vocable de price optimisation, décortique des milliers de variables de comportements (nombre de clics avant signature, inertie bancaire, horaires de connexion) afin d’estimer le prix de réserve individuel, soit le prix minimum qu’un vendeur est prêt à accepter, ou qu’un acheteur est prêt à payer, lors d’une transaction.

Autrement dit, on estime non plus seulement la prime la plus « juste » actuariellement (l’actuaire étant l’expert en gestion des risques), au sens que lui donnait Kenneth Arrow en 1963, mais aussi la prime la plus élevée que l’assuré est prêt à payer. La prime juste étant le coût moyen attendu des sinistres, le montant que l’assureur pense payer l’an prochain pour des risques similaires.




À lire aussi :
Mutuelles : vers une réforme pour endiguer la spirale des prix


L’Institut des actuaires australiens dénonce, dans son rapport The Price of Loyalty, une pénalisation systématique des clients fidèles, assimilée à un impôt sur la confiance. Au Royaume-Uni, le régulateur Financial Conduct Authorities (FCA) a frappé fort. Depuis le 1er janvier 2022, la cotation à la reconduction doit être identique à celle d’un nouveau client à risque égal ; l’autorité évalue à 4,2 milliards de livres l’économie réalisée pour les ménages sur dix ans.

Cette bataille réglementaire va bien au-delà du prix. En reléguant la logique de mutualisation au second plan, l’optimisation comportementale renforce les indicateurs socioéconomiques indirects – comme l’âge, la fracture numérique ou la stabilité résidentielle –, qui finissent par peser davantage que le risque technique pur dans la détermination du tarif.

Désormais l’assureur a accès à des data lakes (données brutes) privés, où l’assuré ignore ce qui rend sa prime plus chère. Par nature, les contrats restent rétifs à toute comparaison simplifiée. L’un affiche une franchise de 2 000 euros, l’autre un plafond d’indemnisation plus bas ou des exclusions reléguées dans de minuscules clauses, de sorte qu’il faut un examen quasi juridique pour aligner réellement les offres, comme le soulignait un rapport de la Commission européenne.

Refus d’un dossier sur deux

La montée des événements extrêmes illustre brutalement ces dérives. En Australie, trois phénomènes climatiques dans la première moitié de l’année 2025, dont le cyclone Alfred, ont généré 1,8 milliard de dollars australiens (AUD), soit 1 milliard d’euros, de demandes d’indemnisation. L’Insurance Council prévient que les primes habitation verront des augmentations à deux chiffres et certains contrats pourraient atteindre 30 000 dollars autraliens par an (ou 16 600 euros par an) dans les zones les plus exposées.

Aux États-Unis, la Californie cumule résiliations et refus de prise en charge. Un rapport mentionné par le Los Angeles Times montre que trois grands assureurs ont décliné près d’un dossier sur deux en 2023. Une action collective accuse de collusion 25 compagnies d’assurance dans le but de pousser les sinistrés vers le FAIR Plan, pool d’assureurs de dernier ressort aux garanties réduites.

Vers l’« inassurabilité » systémique

Le phénomène n’est pas marginal. Les assureurs réduisent leur exposition. Les assureurs états-uniens State Farm et Allstate ont cessé d’émettre de nouvelles polices en Californie, dès 2023. En Floride, parce qu’il intervient lorsque aucun assureur privé n’accepte de couvrir un logement à un prix raisonnable, l’assureur public de dernier ressort Citizens a vu son portefeuille grossir jusqu’à environ 1,4 million de polices au pic de la crise, puis repasser sous le million, fin 2024, grâce aux transferts (takeouts) vers des acteurs privés – un progrès réel, qui révèle toutefois un marché encore fragile. Au niveau mondial, Swiss Re compte 181 milliards de dollars états-uniens de pertes 2024 restées à la charge des victimes ou des États, soit 57 % du total.

Face à ces écarts de protection croissants, les assureurs réduisent leur exposition. Cette contraction de l’offre rejaillit sur la finance immobilière : l’économiste Bill Green rappelle dans une lettre au Financial Times que la moindre défaillance d’assurance provoque, en quelques semaines, l’annulation des prêts hypothécaires censée sécuriser la classe moyenne états-unienne. Lorsque les assureurs se retirent ou lorsque la prime devient inabordable, c’est la valeur foncière qui s’effondre et, avec elle, la stabilité de tout un pan du système bancaire local.

Refonder le contrat social du risque

Des pistes se dessinent néanmoins. Le Center for American Progress propose la création de fonds de résilience cofinancés par les primes et par l’État fédéral, afin de financer digues, toitures renforcées et relocalisations dans les zones à très haut risque.

En Europe, la France conserve un régime CatNat fondé sur une surprime obligatoire uniforme – 20 % en 2025 – pour un risque réassuré par la Caisse centrale de réassurance (CCR). Ce mécanisme garantit une indemnisation illimitée tout en mutualisant les catastrophes sur l’ensemble du territoire national. Combinés à une tarification incitative (franchise modulée selon les mesures de prévention), ces dispositifs peuvent préserver l’assurabilité sans faire exploser les primes individuelles.

Reste à traiter l’amont : limiter l’exposition en gelant les permis dans les zones inconstructibles, conditionner le financement bancaire à la compatibilité climat et pérenniser, à l’échelle nationale, une surtaxe de prévention climatique progressive qui financerait les adaptations structurelles tout en lissant les chocs tarifaires.

À ce prix, l’assurance redeviendrait un bien commun : ni pur produit financier ni simple pot commun, mais une infrastructure essentielle où la société, et non plus le seul assureur, choisit sciemment la part de la facture climatique qu’elle accepte de supporter.


Cet article a été rédigé avec Laurence Barry, co-titulaire de la Chaire PARI (Programme de recherche pour l’appréhension des risques et des incertitudes).

The Conversation

Arthur Charpentier est membre (fellow) de l’Institut Louis Bachelier. Il a reçu des financements du CRSNG (NSERC) de 2019 à 2025, du Fond AXA Pour la Recherche de 2020 à 2022, puis de la Fondation SCOR pour la Science de 2023 à 2026.

ref. À la fin, qui prendra en charge le coût des assurances ? – https://theconversation.com/a-la-fin-qui-prendra-en-charge-le-cout-des-assurances-261610

Faut-il rouvrir des mines en France et en Europe au nom de la souveraineté économique ?

Source: The Conversation – in French – By Laurent Jolivet, Professeur, Sorbonne Université

Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en ressources minérales stratégiques, le débat sur la réouverture des mines en France et en Europe est passé au premier plan. Mais pas de prospection et d’exploitation minière sans géologie ! La place de cette science dans nos sociétés est tout aussi centrale pour tirer parti des ressources précieuses qu’abrite le sous-sol, explique le président de la Société géologique de France.


Depuis la naissance de la métallurgie, l’humain extrait du sous-sol les ressources dont il a besoin. Ces activités minières se heurtent aujourd’hui à des injonctions paradoxales :

  • D’un côté, les sciences de la Terre et du climat nous enseignent la finitude des ressources naturelles – les conséquences délétères de leur utilisation sur notre environnement.

  • Mais pour répondre aux objectifs d’énergies renouvelables ou de l’électromobilité, l’utilisation de certains métaux et de terres rares devient incontournable.

  • Dans le même temps, les conflits géopolitiques, les crises sanitaires et les tensions commerciales d’aujourd’hui révèlent crûment notre dépendance à ces ressources du sous-sol.

Dans ce contexte, la question de la réouverture de mines en France et en Europe se pose. Ainsi, le Critical Raw Material (CRM) Act européen impose aux États membres de l’Union européenne d’extraire au minimum 10 % de leurs besoins de minerais sur le territoire (et d’en raffiner 40 %). En France, la politique nationale des ressources et des usages du sous-sol (PRUSS) a fait l’enjeu d’une consultation publique dans le cadre de la loi Climat et résilience.

Ce retour du sous-sol dans les débats nationaux impose de rappeler l’importance de la géologie au cœur même de nos sociétés.




À lire aussi :
Terres rares : Ces nouveaux venus qui entendent concurrencer la Chine et les États-Unis


La géologie, au cœur de nos sociétés

En effet, accroître la souveraineté européenne impose de relocaliser en partie l’exploitation du sous-sol, tout en garantissant une gestion la plus durable possible. Ces questions ne sont pas seulement économiques et politiques, mais en premier lieu géologiques.

La géologie moderne est née en Europe et en Amérique du Nord parce que le développement des sociétés des XVIIIe et XIXe siècles demandait de comprendre la nature et l’agencement des différentes roches dans le sous-sol pour les prospecter et en extraire les ressources.

Grand pays charbonnier, la France a exploité de nombreux gisements métalliques, qui ont à la fois fait la richesse des régions concernées et laissé des pollutions chimiques ou géotechniques sur le long terme.




À lire aussi :
Quand la France produisait de l’antimoine, élément stratégique méconnu


Le sous-sol, premier fournisseur de ressources pour tous nos usages

Les roches, minéraux et métaux fournis par les carrières et par les mines sont à la base de tout ce que nous fabriquons et utilisons au cours de notre vie.

À commencer par l’énergie que nous utilisons, qui reste en majeure partie issue de l’exploitation du sous-sol. Plus de 60 % du mix énergétique français provient encore des énergies fossiles et plus de 80 % de l’électricité est d’origine nucléaire – et donc produite à partir d’uranium. Ces ressources sont presque entièrement importées.

Les énergies renouvelables éoliennes et solaires consomment elles aussi des ressources. Il y a, d’abord, les besoins en ciment pour les éoliennes, consommateur de grandes quantités de calcaire ou de marne (type de calcaire argileux) et de granulats, et dont la production est énergivore et émettrice de dioxyde de CO2. La construction des panneaux solaires et des éoliennes nécessite également du fer, du cuivre, de la silice et des terres rares, sans parler du carburant nécessaire aux engins pour les construire puis pour en assurer la maintenance.

Les éoliennes nécessitent d’importantes quantités de ciment, et donc de calcaire ou de marne.
Pexels.com

Sans ressources du sous-sol, nous n’aurions ni routes, ni véhicules, ni hôpitaux, pas d’agriculture, pas d’écoles, pas de maisons, pas d’eau au robinet, pas d’électricité ni de chaleur et, bien sûr, pas d’ordinateurs ni de téléphones portables. Le numérique, le télétravail, le streaming et l’IA générative rendent cette question encore plus prégnante.

Bien entendu, le recyclage doit être privilégié, en commençant par la valorisation des déchets des mines, des carrières anciennes et des déchets électroniques et par la réhabilitation des zones minières. Mais cela ne suffira pas à répondre à nos besoins.




À lire aussi :
Les « mines urbaines », ou les ressources minières insoupçonnées de nos déchets électroniques


De nouvelles ressources et nouveaux gisements à découvrir

Reste que la richesse d’un territoire en métaux et matériaux utiles dépend essentiellement de son histoire géologique. La plupart des gisements se forment à grande profondeur, là où règnent des conditions de pression et de température élevées et où circulent des fluides chauds. Ils sont ensuite ramenés à la surface par l’érosion ou par la tectonique des plaques.

Cristaux de stibine (Sb2S3), à base d’antimoine, provenant de la mine d’Ouche, près de Massiac (Cantal).
P.-C. Guiollard

Le cœur ancien des continents, Afrique, Canada, Russie, Australie, ou encore la Cordillère des Andes – tectoniquement active – en est riche. En Europe occidentale, ces conditions géologiques ne sont remplies que sur de plus petites surfaces.

Par exemple, la France possède a priori des réserves de cuivre de plus faibles dimensions, mais des réserves importantes de tungstène, d’antimoine, d’or, de lithium ou de germanium.

Cependant, notre connaissance des mécanismes géologiques menant à la concentration des métaux a beaucoup progressé au cours des dernières décennies. Il est probable que de nouveaux gisements puissent être découverts, si l’on se donne la peine de les chercher. Le programme PEPR Sous-Sol Bien Commun et le nouvel inventaire des ressources minérales de la France lancé par le BRGM vont dans ce sens.

En ce qui concerne les ressources énergétiques du sous-sol, le potentiel géothermique de la France devrait lui aussi être revu, à. la suite des progrès dans la compréhension de la structure thermique de la Terre et de la circulation de l’eau en profondeur. Le principal intérêt de la géothermie est qu’il s’agit d’une source d’énergie inépuisable.

Schéma d’une plateforme expérimentale de géothermie.
BRGM/Girelle Prod

Il existe déjà en France un fort potentiel de géothermie appelée « géothermie de minime importance » (GMI, appelée de la sorte, car il s’agit de géothermie à très basse température) de l’ordre de 100 térawattheures (TWh)/an, soit la production annuelle de 10 centrales nucléaires. Son développement pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois non délocalisables.

Au-delà de la prospection de nouvelles ressources minières, nous devons donc développer plus activement la géothermie sur l’ensemble du territoire national, et cela sous toutes ses facettes : basse, moyenne et haute température. Pour cela, une montée en compétences sur toute la chaîne de valeur, de la compréhension géologique aux techniques de géothermie, est indispensable.




À lire aussi :
Géothermie et transports, un potentiel inexploité ? L’exemple du métro de Rennes


Un débat qui impose de mieux former citoyens et décideurs

L’exploitation du sous-sol et la transformation des minerais en usine soulèvent des enjeux économiques, environnementaux et sociaux majeurs. Nous ne pouvons plus faire l’autruche en utilisant à profusion des ressources extraites dans des pays tiers sans nous soucier de notre dépendance et des conséquences environnementales et sociales là où les législations ne sont pas aussi strictes qu’en Europe.

Ces questions, qui appellent à des arbitrages complexes, demandent des débats sereins, qui ne pourront avoir lieu que si nous avons tous accès à un socle minimal de connaissances, tant géologiques qu’environnementales. Il y a donc urgence à mieux former nos concitoyens et nos dirigeants, d’abord à l’école, puis tout au long de la vie.

Pourtant, les sciences de la Terre trouvent à l’heure actuelle de moins en moins leur place au collège et au lycée. Étudier la géologie est pourtant crucial pour comprendre la formation des montagnes et des océans, les mécanismes des volcans et des séismes ou, encore, pour comprendre comment la tectonique des plaques a orienté l’évolution du vivant. Autant de sujets passionnants qui sont à même de motiver nos jeunes concitoyens.

Investir dans la recherche, un choix stratégique

Investir dans la recherche en sciences de la Terre est tout aussi essentiel.

Les dépenses de la France en recherche fondamentale aujourd’hui restent très insuffisantes au vu des enjeux actuels. La France, malgré un niveau élevé de dépenses publiques, consacre seulement 0,3 % de son PIB à la recherche fondamentale, soit deux fois moins que la moyenne européenne.

C’est pourtant grâce à la recherche, fondamentale comme appliquée, que l’on pourra concevoir des solutions durables pour économiser les ressources naturelles, développer l’écoconception, diminuer les empreintes de nos activités (eau, sol, métaux, matériaux, énergie, climat…).

Mieux comprendre les processus géologiques et biologiques en jeu aidera à développer des alternatives non carbonées aux énergies fossiles : par exemple, la géothermie, la récupération de chaleur industrielle, l’hydrogène natif, les carburants de synthèse et les biocarburants.

Mais avant de se prononcer pour ou contre l’exploitation des ressources de notre sous-sol (métaux, roches, minéraux, énergies), il est essentiel de s’interroger sur nos modes de consommation et sur ce dont nous avons réellement besoin. Dans ce contexte, alors que l’Union européenne cherche à mieux encadrer et à valoriser les métaux, un débat national s’impose. La Société géologique de France, que je représente à travers ce texte, est prête à y participer activement.


Laurent Jolivet est président de la Société géologique de France. Les membres du conseil d’administration de la Société géologique de France ont également participé à l’écriture de cet article.

The Conversation

Jolivet Laurent est professeur émérite à Sorbonne Université et président de la Société Géologique de France. Il a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche, du CNRS-INSU, de l’European Research Council, de Total. Il a été membre du Comité Scientifique du BRGM et président du conseil scientifique du Référentiel Géologique de la France.

ref. Faut-il rouvrir des mines en France et en Europe au nom de la souveraineté économique ? – https://theconversation.com/faut-il-rouvrir-des-mines-en-france-et-en-europe-au-nom-de-la-souverainete-economique-262286

Le « sharp power », nouvel instrument de puissance par la manipulation et la désinformation

Source: The Conversation – in French – By Andrew Latham, Professor of Political Science, Macalester College

En plus de la puissance militaire, les États peuvent désormais compter sur de nouveaux outils pour exercer leur puissance. On connaissait le « soft power », qui exploite l’attractivité du pays qui l’exerce. Il faudra désormais compter avec le « sharp power », mobilisant les outils de la manipulation et de la désinformation.


« Le fort fait ce qu’il peut faire, et le faible subit ce qu’il doit subir. » C’est ce qu’écrivait Thucydide dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse » : cette observation lucide de l’historien grec reste d’actualité. Mais dans le monde actuel, la puissance ne se manifeste pas toujours sous la forme d’une armée nombreuse ou d’une flotte de porte-avions. Les moyens par lesquels la puissance s’exprime se sont diversifiés, devenant plus subtils, plus complexes et souvent plus dangereux.




À lire aussi :
Ce qui conduit à la guerre : les leçons de l’historien Thucydide


Il devient ainsi insuffisant de parler du pouvoir en termes purement militaires ou économiques. Il faudrait plutôt en distinguer trois formes, qui se recoupent mais restent distinctes : le « hard power », le « soft power » et le « sharp power » – en français, « pouvoir dur », « pouvoir doux » et « pouvoir tranchant ».

Ces trois catégories de pouvoir sont plus que de simples concepts académiques. Ce sont des outils concrets, à la disposition des dirigeants, qui permettent respectivement de contraindre, de séduire ou de manipuler les populations et les gouvernements étrangers, dans le but d’influencer leurs choix. Ils sont parfois mobilisés de concert, mais s’opposent souvent dans les faits.

Exiger ou persuader ?

Le « hard power » est probablement la plus connue des trois formes de puissance, et celle sur laquelle les gouvernements se sont appuyés pendant la majeure partie de leur histoire. Il désigne la capacité à contraindre par la force ou la pression économique, et se traduit par l’utilisation de chars, de sanctions, de navires de guerre et de menaces.

On le voit à l’œuvre lorsque la Russie bombarde Kiev, lorsque les États-Unis envoient des porte-avions dans le détroit de Taïwan ou lorsque la Chine restreint sont commerce extérieur vers des pays étrangers pour punir leurs gouvernements. Le « hard power » ne demande pas : il exige.

Mais la coercition seule permet rarement d’exercer une influence durable. C’est là qu’intervient le « soft power ». Ce concept, popularisé par le politologue états-unien Joseph Nye, fait référence à la capacité de séduire plutôt que de contraindre. Il fait jouer la crédibilité, la légitimité et l’attrait culturel d’une puissance.

Pour rendre cette notion plus concrète, on peut penser au prestige mondial des universités américaines, à la portée inégalée des médias anglophones ou encore à l’attrait qu’exercent les normes juridiques, politiques ou la culture occidentales. Le « soft power » persuade ainsi en proposant un modèle enviable, que d’autres pays sont susceptibles de vouloir imiter.

Le pouvoir par la désinformation

Cependant, dans le contexte actuel, le « soft power » perd du terrain. Il repose en effet sur l’autorité morale de la puissance qui l’exerce, dont la légitimité est de plus en plus remise en question par les gouvernements du monde entier qui s’appuyaient auparavant sur le « soft power ».

Les États-Unis, qui restent une puissance culturelle incontournable, exportent aujourd’hui non seulement des séries télévisées prestigieuses et des innovations technologiques, mais aussi une polarisation et une instabilité politique chroniques. Les efforts de la Chine pour cultiver son « soft power » à travers les instituts Confucius et les offensives de communication culturelle sont constamment limités dans leur efficacité par les réflexes autoritaires du pays.

Les valeurs autrefois considérées comme attrayantes sont ainsi désormais perçues, à tort ou à raison, comme hypocrites et creuses. Cela a ouvert la voie à un troisième concept : le « sharp power ». Celui-ci fonctionne comme un négatif du « soft power ». Inventé par le National Endowment for Democracy en 2017, le terme vise à décrire la manière dont les États – autoritaires en particulier, mais pas exclusivement – exploitent l’ouverture politique des démocraties pour les manipuler de l’intérieur.

Le « sharp power » ne contraint pas, ne séduit pas non plus… mais il trompe. Il s’appuie ainsi sur la désinformation, les réseaux d’influence, les cyberattaques et la corruption utilisée comme arme stratégique. Il ne cherche pas à gagner votre admiration, mais à semer dans la population confusion, division et doute.

Des exemples d’utilisation du « sharp power » sont, par exemple, les ingérences russes dans les élections, le contrôle chinois des algorithmes de certains réseaux sociaux ou les opérations d’influence secrètes menées par les États-Unis contre la Chine.

Le « sharp power » consiste ainsi à façonner les discours dans les sociétés étrangères sans jamais avoir à tirer un coup de feu ni à conclure d’accord commercial. Contrairement au « hard power », il passe souvent inaperçu, jusqu’à ce que ses objectifs soient atteints et que le mal soit fait.

Comment faire face au « sharp power » ?

Le paysage diplomatique actuel est rendu particulièrement difficile à lire par le fait que ces formes de pouvoir ne sont pas clairement séparées, mais s’entremêlent. L’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie combine ainsi le « hard » et le « soft power », tout en s’appuyant discrètement sur des tactiques de « sharp power » pour faire pression sur ses détracteurs et pour réduire au silence les dissidents. La Russie, qui ne dispose pas du poids économique ni de l’attrait culturel des États-Unis ou de la Chine, a dû apprendre à maîtriser le « sharp power », et l’utilise désormais pour déstabiliser, distraire et diviser ses adversaires géopolitiques.

Cette situation crée un dilemme stratégique pour les démocraties libérales, qui jouissent toujours pour l’instant d’un statut dominant en matière de « hard power » et d’un « soft power » résiduel lié à l’attractivité de leur modèle. Elles sont cependant vulnérables aux outils du « sharp power » et sont de plus en plus tentées de l’utiliser elles-mêmes. Au risque, en essayant de répondre à la manipulation par la manipulation, de vider de leur substance leurs propres institutions et valeurs.

The Conversation

Andrew Latham ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le « sharp power », nouvel instrument de puissance par la manipulation et la désinformation – https://theconversation.com/le-sharp-power-nouvel-instrument-de-puissance-par-la-manipulation-et-la-desinformation-260273

Tchad : l’emprisonnement de Succès Masra, symbole d’un espace politique verrouillé

Source: The Conversation – in French – By Bourdjolbo Tchoudiba, Doctorant en Sciences Politiques-Université Paris-Est Créteil, Laboratoire Interdisciplinaire d’Études du Politique Hannah Arendt (LIPHA), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

L’ancien Premier ministre tchadien et chef du parti d’opposition Les Transformateurs, Succès Masra, a été condamné à 20 ans de prison et à une lourde amende d’un milliard de FCFA (1, 666 million de dollars US). Masra a été reconnu coupable de « diffusion de messages à caractère haineux et xénophobe » et de « complicité de meurtre » dans les violences communautaires qui ont fait une quarantaine de morts en mai dernier.

Le Tchad semble ainsi se refermer sur son opposition. Après la mort violente de Yaya Dillo en 2024, c’est autour de Succès Masra, qui incarnait l’espoir d’un pluralisme politique, d’être neutralisé. En tant que chercheur ayant étudié la vie politique du pays, Bourdjolbo Tchoudiba décrypte les effets politiques de ce verdict, y voyant un stratagème visant à rétrécir l’espace démocratique, au risque d’installer une crise politique et sociale durable.


Comment analysez-vous ce verdict par rapport à la carrière politique de Succès Masra ?

L’affaire Masra, depuis son arrestation le 16 mai 2025 — survenue deux jours seulement après le conflit communautaire de Mandakaou, au sud du Tchad — a été entachée d’irrégularités à toutes les étapes de la procédure. Le verdict du 9 août 2025 de la Chambre criminelle, le condamnant à 20 ans de prison ferme, confirme la thèse d’un procès politique avancée dès le début de cette affaire.

Plusieurs médias, organisations de la société civile et ONG considèrent qu’il s’agit d’un procès à motivation politique .

À première vue, ce verdict constitue une victoire pour le régime militaire tchadien qui a visiblement opté pour le rétrécissement de l’espace politique depuis le début de la transition politique en 2021 en neutralisant les principaux leaders de l’opposition. L’assassinat physique et politique de Yaya Dillo, l’un des principaux opposants du régime en 2023, et la condamnation de Masra en sont les exemples les plus palpables.

Mais ce verdict fragilise aussi le lent processus démocratique enclenché depuis 1990 et cristallise des tensions qui ne se résorberont pas aussi facilement.

La peine infligée à Masra témoigne de l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire. Elle s’inscrit dans une longue séquence de répressions visant opposants, société civile, leaders d’opinion. La justice apparaît ainsi comme arme politique. À ce rythme, le climat politique déjà tendu risque de replonger le Tchad dans l’instabilité.




Read more:
Succès Masra, le destin contrarié d’un réformateur tchadien


Est-ce la fin de la carrière politique de Succès Masra ?

Le parcours atypique du président du parti Les Transformateurs, sa capacité de résilience et à incarner une véritable alternative semblent avoir pesé dans l’issue du verdict. Opposant majeur du régime, il a été contraint à un court exil après la répression de la manifestation du 20 octobre 2022. Cette mobilisation réprimée dans le sang avait fait plus de 300 morts. Elle avait été organisée pour protester contre la prolongation unilatérale de la transition.

Il est revenu en novembre 2023 à la faveur d’un accord de «réconciliation». Quelques semaines plus tard, il a été nommé Premier ministre le 1ᵉʳ janvier 2024, puis a démissionné pour se présenter à l’élection présidentielle du 6 mai 2024.

Lors de ce scrutin, Masra a été officiellement crédité de 18,53 % des voix face à Mahamat Idriss Déby (61,03 %), des résultats qu’il a contestés.

Sa condamnation après ce procès expéditif laisse penser à la fin de sa carrière politique. Par ailleurs, le départ de certains cadres influents fragilise davantage son parti, confronté à un véritable défi de survie.

Ce verdict fige son image. Il renforce en même temps sa popularité auprès de sa base et des sympathisants qui le perçoivent comme une victime d’une justice instrumentalisée par le régime au pouvoir.

Cette condamnation rétrécit ainsi son espace d’action (emprisonnement, inéligibilité de facto) tout en augmentant son capital symbolique de martyr dans une trajectoire politique déjà marquée par la répression du 20 octobre 2022 (« Jeudi noir »).

Beaucoup de Tchadiens évoquent la possibilité d’une grâce présidentielle suivie d’une amnistie pour donner une seconde vie politique à Succès Masra. Il peut également bénéficier de la réduction ou de l’annulation de peine après le recours en appel introduit par ses avocats.




Read more:
Tchad : Mahamat Idriss Déby et Succès Masra, les deux ennemis d’hier devenus des partenaires


Comment cette condamnation pourrait-elle reconfigurer le rapport de force entre pouvoir et opposition au Tchad ?

À court terme, cette condamnation renforce l’emprise du parti au pouvoir sur l’échiquier politique tchadien. Depuis le verdict, Les Transformateurs traverse déjà des fractures internes. Cela réduit le risque pour le régime d’une figure unique capable de cristalliser la contestation dans la rue et de s’imposer dans les urnes. Cet emprisonnement affaiblira forcément la capacité de mobilisation du parti Les Transformateurs et occasionnera le départ de certains de ses membres influents, à l’image du vice-président Dr Sitack Yombatina Béni, qui, quelques jours après le verdict, a démissionné.

C’est d’ailleurs l’un des objectifs qui se cache derrière cette condamnation. Celui de décapiter le parti et de coopter ses membres influents. Mais cette stratégie de déstabilisation, déjà tentée par le passé, peut-elle aboutir cette fois-ci ?

La direction collégiale mise en place sous l’ordre de Succès Masra, dans la foulée de sa condamnation, pourrait se réorganiser autour de certains leaders clés qui incarnent l’idéologie de ce parti. La désignation de la vice-présidente chargée de la condition féminine, Claudia Hoinathy pour assurer l’intérim à la tête du parti, sonne comme un choix stratégique caractéristique de la résilience des transformateurs.

À moyen terme, l’avenir ce parti demeure incertain. Le pouvoir multiplie les manœuvres dans un jeu politique déséquilibré, visant la déstabilisation totale de l’opposition. La condamnation de Masra s’inscrit dans une dynamique où l’opposition, décapitée et fragmentée, peine à construire un front uni. Le scénario le plus préoccupant reste celui d’une dissolution du parti, comme ce fut le cas pour le Parti socialiste sans frontières (PSF) de Yaya Dillo en 2023, après son assassinat.

Enfin, le Tchad n’est pas aussi stable que certains pourraient le penser. L’appareil sécuritaire et de défense est déjà éprouvé par des répressions sanglantes des évènements de 2021–2022 (usage récurrent de la force contre les rassemblements) et marqué par de dérives diverses (défection, règlement de compte, incompétence, impunité, conflit d’intérêt, etc.). Ce qui pourrait fragiliser et provoquer la déstabilisation du pouvoir si la contestation se déporte vers des formes de guérilla urbaine ou de manifestation violente.

La dissuasion à court terme imposée par la condamnation de Masra pourrait se traduire, à long terme, par un durcissement du conflit politique, qui risque de rompre l’équilibre déjà précaire du pays.




Read more:
Tchad : les législatives renforcent le pouvoir absolu de Mahamat Idriss Déby


Quel impact ce verdict pourrait-il avoir sur la démocratie et les libertés au Tchad ?

Cette condamnation suscite déjà de vives critiques. Par exemple, Human Rights Watch dénonce un procès à caractère politique et estime que la peine « envoie un message effrayant aux détracteurs du gouvernement ». Le risque d’une crise socio-politique se dessine à travers ce verrouillage de l’appareil judiciaire qui pourrait provoquer des tensions violentes.

Plusieurs signaux convergent vers un recul démocratique et la violation des libertés au Tchad. Depuis le début de la transition politique tchadienne en 2021 jusqu’à aujourd’hui, les libertés publiques (réunion, expression, association, presse, etc.) se sont considérablement restreintes. Les organisations de la société civile, de défense des droits humains et de la presse ont été suspendues.

L’interdiction des manifestations, les arrestations de dissidents et la suspension d’organisations civiles et médiatiques confirment cette dérive autoritaire.

Le précédent d’octobre 2022 illustre cette dynamique. Il criminalise la parole publique à travers des accusations d’incitation, de xénophobie ou de violences intercommunautaires. Ce qui a installé un climat d’autocensure. En neutralisant le pluralisme politique, il favorise de fait une dérive monopartiste qui rappelle les années sombres ayant suivi l’indépendance en 1960.

Des affaires visant des opposants de premier plan – de Yaya Dillo en 2024 à Succès Masra après une élection contestée – renforcent l’inquiétude sur l’indépendance de la justice. Elles alimentent aussi la perception d’une crise de légitimité du pouvoir.

Si le verdict est confirmé, il risque de compromettre les promesses de réconciliation nationale et d’aggraver la défiance envers des institutions judiciaires déjà discréditées.

Quelles conditions seraient nécessaires pour apaiser les tensions politiques liées à cette affaire ?

Après la répression du 20 octobre 2022, Masra était rentré d’exil grâce à l’« accord de Kinshasa », signé sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Cet accord, suivi par une amnistie, lui garantissait ses droits politiques et juridiques.

Mais ce verdict lui ôte toutes ces garanties auxquelles les autorités tchadiennes s’étaient engagées devant la communauté internationale.

À ce stade, il est urgent que la communauté internationale, et en particulier la CEEAC ainsi que le facilitateur désigné, le président de la RDC Félix Tshisekedi, interviennent pour assurer la médiation et faire respecter l’accord de Kinshasa. Elle doit rappeler à l’État sa responsabilité d’assurer une justice équitable et exiger le respect des libertés politiques et civiques, condition indispensable à une véritable réconciliation.

The Conversation

Bourdjolbo Tchoudiba does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Tchad : l’emprisonnement de Succès Masra, symbole d’un espace politique verrouillé – https://theconversation.com/tchad-lemprisonnement-de-succes-masra-symbole-dun-espace-politique-verrouille-263399

Rois, évêques et despotes : la tyrannie au Moyen Âge, des leçons pour aujourd’hui

Source: The Conversation – in French – By Joëlle Rollo-Koster, Professor of Medieval History, University of Rhode Island

Richard II est devenu roi d’Angleterre à l’âge de 10 ans et a été destitué à 32 ans. British Library/Wikimedia Commons

La tyrannie n’appartient pas qu’aux manuels d’histoire. Elle reste une notion d’actualité pour comprendre la mauvaise gouvernance aujourd’hui. Que signifiait-elle au Moyen Âge, une époque souvent perçue – à tort – comme un âge de chaos et de violence politique ? Loin des idées reçues, l’Europe médiévale savait déjà dénoncer les abus de pouvoir et poser des limites aux dirigeants considérés comme injustes.


Le site de référence World Population Review offre aux chercheurs plusieurs définitions modernes de la tyrannie, parmi lesquelles : dictature militaire, monarchie, dictature personnalisée, dictature à parti unique ou encore dictature hybride qui combine des éléments des autres types. Dans tous les cas, les dénominateurs communs sont l’abus de pouvoir, un déséquilibre représentatif et un manque de cadre législatif qui conduisent à une limitation des libertés politiques et individuelles.

Ce même site dénombre aujourd’hui quelque 66 pays ayant des index démocratiques très bas. La question reste ouverte pour la Russie et pour la Chine. Malgré le lourd héritage du mot, la « tyrannie » est toujours bien présente dans nos mondes démocratiques.

Mes étudiants ont tendance à imaginer le Moyen Âge comme quelque chose qui ressemble aux jeux vidéo Kingdom Come ou Total War : une époque de tyrannie, de chaos politique absolu, où régnaient les épées et les poignards et où la masculinité et la force physique importaient plus que la gouvernance.

En tant qu’historienne du Moyen Âge, je pense que cette image tumultueuse tient moins de la réalité que du « médiévalisme », un terme qui désigne la manière dont les temps modernes réinventent la vie pendant le Moyen Âge européen, entre les Ve et XVe siècles environ.

L’Europe médiévale était peut-être violente, et ses normes de gouvernance ne seraient pas louées aujourd’hui. Mais les gens étaient certainement capables de reconnaître les dysfonctionnements politiques, que ce soit à la cour royale ou au sein de l’Église, et proposaient des solutions.

À une époque de montée de l’autoritarisme et où la politique aux États-Unis semble embourbée dans un despotisme pseudo constitutionnel, il est utile de revenir sur la manière dont les sociétés d’il y a plusieurs siècles définissaient la mauvaise gouvernance.

Tyrans, rois et mauvais évêques

Au Moyen Âge, les auteurs réfléchissent à la politique en termes de leadership et qualifient souvent la mauvaise gouvernance de « tyrannie », qu’ils critiquent un dirigeant unique ou un tout un système. Dans tous les cas, la tyrannie – ou « autocratie », comme on l’appelle souvent aujourd’hui – est un concept que les grands penseurs discutent depuis l’Antiquité.

Pour les Grecs de l’Antiquité classique, la tyrannie signifie gouverner seul pour le bénéfice d’un seul. Aristote, le penseur fondateur sur le sujet, définit la tyrannie comme l’antithèse du règne parfait, qu’il considérait comme la royauté : un dirigeant unique qui règne dans l’intérêt général de tous. Selon lui, le tyran est dominé par le désir « de pouvoir, de plaisir et de richesse », tandis que le roi est motivé par l’honneur.

Le théoricien politique moderne Roger Boesche observe que les tyrans ont tendance à réduire le temps libre de la population. Selon Aristote, le temps libre permet aux gens de réfléchir et de faire de la politique, c’est-à-dire d’être des citoyens.

Pendant la République romaine (de 509 à 27 avant notre ère, ndlr), les penseurs politiques comparent la tyrannie à un membre malade qu’il faut amputer du corps politique. Ironiquement, certains Romains en viennent à éliminer Jules César par crainte qu’il ne devienne un tyran, pour se retrouver avec Auguste, qui finit par devenir empereur.

Types de despotes

À la fin de l’Antiquité, les auteurs politiques commencent aussi à réfléchir à la tyrannie dans le domaine religieux.

Illustrations de deux hommes chauves sur le dessus de la tête, vêtus de robes, assis à l’intérieur d’arcs rouges
Un manuscrit du Xᵉ siècle représentant Isidore de Séville (à droite).
Monastère d’Einsiedeln (Suisse)/Wikimedia

Dans ses Sententiae, une série de livres de théologie, l’archevêque du VIIe siècle Isidore de Séville aborde la question des mauvais évêques. Ces hommes se comportent comme des « pasteurs orgueilleux », écrit-il, qui « oppriment tyranniquement le peuple, ne le guident pas et exigent de leurs sujets non pas la gloire de Dieu, mais la leur. » De manière générale, Isidore critique l’incompétence politique fondée sur la colère, sur l’orgueil, sur la cruauté et sur l’avidité des dirigeants.

Des siècles plus tard, les dirigeants et penseurs européens débattent encore de la nature de la tyrannie – et des moyens d’y remédier. Jean de Salisbury, évêque et philosophe anglais du XIIe siècle, propose une solution radicale : le tyrannicide. Dans son Policraticus, un traité de théorie politique, il écrit que c’est un devoir civique de rétablir l’ordre en tuant un tyran mauvais, violent et oppressif.

Jean de Salisbury est l’un des premiers auteurs à soutenir que la tyrannie ne survit pas seulement par le caprice du tyran, mais grâce au soutien de ses partisans. Dans sa conception organique de la tyrannie, le tyran (le corps) ne peut exister qu’avec le soutien de la société (ses membres).

Au XIVe siècle, le plus grand penseur juridique de l’époque, Bartole de Sassoferrato, distingue deux types de tyrannie : certains despotes accèdent au pouvoir par des moyens légaux, mais agissent de manière illégale. Les usurpateurs, en revanche, sont ceux qui prennent le pouvoir de manière illégitime, se complaisent dans l’orgueil et ne respectent pas la loi.

Renverser un tyran

Parfois, les dirigeants impopulaires ou encombrants sont destitués, comme Richard II d’Angleterre (1377-1399). Le procès-verbal de sa déposition énumère près de trois douzaines de chefs d’accusation contre le roi détrôné : rejet du conseil, défaut de remboursement de dettes, incitation des autorités religieuses au meurtre, spoliations et destitution de ses rivaux. Il ne connaît pas une fin heureuse : il meurt en prison en 1400 et les circonstances exactes de sa mort restent un mystère.

Le roi Venceslas (1376-1400) de la maison de Luxembourg est déposé le 20 août 1400, au motif qu’il était « inutile, indolent, négligent, diviseur et indigne de régner sur l’Empire ». Le journal allemand Die Welt le classe aujourd’hui encore comme le pire roi d’Allemagne, amateur de boisson et de ses chiens de chasse, et sujet à des accès de rage.

Illustration en couleurs représentant plusieurs hommes en collants et chapeaux frappant un homme à terre avec des épées
L’homme qui ordonna le meurtre du duc d’Orléans affirmait avoir empêché un tyran d’accéder au pouvoir.
Bibliothèque nationale de France/Wikimedia

Les éliminations violentes de supposés tyrans ne se font pas toujours dans l’ombre. En 1407, en France, Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, est pris dans un guet-apens. Il est attaqué par un groupe d’hommes qui s’enfuient en chassant les témoins.

Louis n’est pas seulement le frère de Charles le Bien-Aimé, mais aussi un rival politique de Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Ce dernier revendique la responsabilité du meurtre. Avec son avocat, le théologien Jean Petit, Jean sans Peur fait valoir qu’il a agi dans l’intérêt de la nation en ordonnant l’assassinat d’un tyran cupide et d’un traître, et que la mise à mort de Louis est donc justifiée.

Les hommes d’Église

La politique médiévale ne fait guère de distinction entre monde séculier et monde religieux. Les papes sont des dirigeants politiques et peuvent eux aussi être considérés comme des tyrans. Lors du grand schisme d’Occident (1378–1417), une scission de l’Église catholique au cours de laquelle plusieurs papes se disputent le trône, chaque camp accuse l’autre d’illégitimité et d’usurpation.

Les ennemis du pape Urbain VI, par exemple, affirment que son tempérament colérique est un signe révélateur de tyrannie qui le rend inapte à diriger. Dietrich de Nieheim, qui œuvre à la chancellerie pontificale, note dans sa chronique :

« Plus le Seigneur Urbain parlait, plus il se mettait en colère, et son visage devenait comme une lampe ardente de colère, et sa gorge était enrouée. »

Les cardinaux français le déposent en 1378 pour illégitimité et tyrannie.

Il n’est pas le seul pape à être destitué pour tyrannie, même si ce mot n’est pas toujours utilisé. Le concile de Constance (novembre 1414-avril 1418), réuni pour mettre fin au schisme, dépose le pape Jean XXIII en 1415 pour désobéissance, corruption, mauvaise gestion, malhonnêteté et obstination. Deux ans plus tard, le même concile destitue le pape Benoît XIII, l’accusant de persécution, de trouble à l’ordre public, d’encouragement à la division, de promotion du scandale et du schisme et d’indignité.

Les évêques, papes et rois médiévaux ne sont sans doute pas des modèles pour nos démocraties d’aujourd’hui, mais leur monde politique n’était pas si différent du nôtre ni aussi chaotique qu’on l’imagine souvent. Même un monde qui ignore la démocratie peut définir ce qu’est la « mauvaise gouvernance » et poser des limites à l’autorité de ceux qu’il considère comme irresponsables. Des règles de conduite politique sont établies, même si la loi ne prime pas toujours sur la violence.

Mais il est utile de se rappeler comment les gens perçoivent la mauvaise gouvernance des siècles avant notre époque de divisions politiques. Aujourd’hui, toutefois, nous avons un avantage décisif : nous élisons nos dirigeants… et nous pouvons les renvoyer.

The Conversation

Joëlle Rollo-Koster ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Rois, évêques et despotes : la tyrannie au Moyen Âge, des leçons pour aujourd’hui – https://theconversation.com/rois-eveques-et-despotes-la-tyrannie-au-moyen-age-des-lecons-pour-aujourdhui-263249

Invention de l’école maternelle : Comment l’éducation des enfants de 3 ans à 6 ans est devenue une priorité

Source: The Conversation – in French – By Catherine Valenti, Maîtresse de conférences en histoire, Université Toulouse – Jean Jaurès

L’école maternelle telle qu’on la connaît se dessine, en France, à la fin du XIXe siècle, et la pédagogue Pauline Kergomard a joué un rôle décisif dans sa création. Retour sur cette histoire qui nous éclaire sur les besoins des jeunes enfants.


En septembre sonne l’heure de la rentrée scolaire pour tous les enfants à partir de 3 ans. Avec la loi du 28 juillet 2019, l’âge de l’instruction obligatoire a en effet été abaissé de 6 ans à 3 ans. C’était là l’aboutissement d’un long processus entamé, en France, au début du XIXe siècle, lorsqu’ont été créées les salles d’asile, ancêtres de nos écoles maternelles. Si bien des spécialistes de la petite enfance ont apporté leur pierre à l’édifice, un nom reste étroitement associé à l’invention de ces écoles maternelles, celui de Pauline Kergomard (1838-1925).

Moins connue aujourd’hui que la célèbre pédagogue italienne Maria Montessori, Pauline Kergomard, née Reclus, a pourtant été, dans les dernières décennies du XIXe siècle, l’un des piliers de l’enseignement primaire en France.

Son action au sein du ministère de l’instruction publique, de la fin des années 1870 jusqu’à la Première Guerre mondiale, a profondément renouvelé la façon d’envisager l’apprentissage des tout-petits. Remettons en perspective le parcours atypique de cette républicaine convaincue.

Les salles d’asile, ancêtres des écoles maternelles

Les « salles d’asile » destinées à l’accueil de tout-petits sont apparues au tournant des XVIIIe et XIXe siècles et leur naissance est indissociablement liée à la révolution industrielle et à ses conséquences. Il n’est donc pas étonnant que les premières aient été créées au Royaume-Uni, premier pays au monde à connaître un take-off industriel fulgurant, et ce, dès le XVIIIe siècle.

Au départ, il n’est pas question d’éducation à proprement parler dans ces infant schools britanniques : elles accueillent les enfants des ouvrières qui n’ont pas les moyens de les faire garder pendant qu’elles travaillent en usine. La vocation première des infant schools est donc avant tout sociale, bien plus que pédagogique : il s’agit de préserver les enfants des milieux populaires des dangers de la rue, mais aussi d’éviter le développement de la délinquance juvénile.

Au fur et à mesure que la révolution industrielle s’étend en Europe continentale, les initiatives copiées sur le modèle britannique se multiplient. En France, c’est l’action philanthropique qui s’empare de la question, et les premières salles d’asile sont créées à Paris, dans la deuxième moitié des années 1820, puis se diffusent dans le reste du pays.

À partir de la deuxième moitié des années 1830, elles passent sous la coupe du ministère de l’instruction publique. En 1837, une ordonnance royale relative à la « création des salles d’asile » – en réalité, elles existaient déjà, mais étaient gérées par des fonds privés – vient préciser le rôle et la mission des salles d’asile au plan national.

Ce sont, ainsi que le stipule l’article 1 de l’ordonnance,

« des établissements charitables où les enfants des deux sexes peuvent être admis, jusqu’à l’âge de six ans accomplis, pour recevoir les soins de surveillance maternelle et de première éducation que leur âge réclame ».

En 1881, la naissance de l’école maternelle

En 1879, Pauline Kergomard, une institutrice protestante née en 1838 au sein de la célèbre famille Reclus, est nommée au poste de déléguée générale à l’inspection des salles d’asile, chargée de veiller au bon fonctionnement de ces établissements qui accueillent alors près de 700 000 enfants âgés de 3 ans à 6 ans.

En cette fin des années 1870, le nouveau pouvoir républicain comprend que les salles d’asile doivent être davantage pour l’enfance qu’un simple abri contre les dangers de la rue. Par ailleurs, de plus en plus de pédagogues, dont Pauline Kergomard elle-même, dénoncent la « méthode » jusque-là utilisée dans les salles d’asile :

« Montée et descente du gradin d’après un cérémonial bizarre, marches lourdement rythmées dans les préaux et dans les salles d’exercices ; arrêts subits commandés par le claquoir ; procédés mnémotechniques pour enseigner la lecture, le calcul ; initiation à l’histoire de la création du monde et des patriarches d’Israël. »

Cette garderie à discipline quasi militaire semble désormais en désaccord avec le but que se propose « le ministère démocrate et laïcisateur de Jules Ferry ».

Pauline Kergomard vers 1900
Pauline Kergomard vers 1900, photographe inconnu, collections du Musée national de l’éducation (Rouen).
via Wikimedia

De nouveaux principes pédagogiques entrent en scène, symbolisés par le décret du 2 août 1881 qui transforme les salles d’asile en « écoles maternelles », ainsi que le souhaitaient Pauline Kergomard et d’autres pédagogues avant elle, comme la Sarthoise Marie Pape-Carpantier (1815-1878). Plus qu’un simple changement de terminologie, c’est une véritable mutation ontologique.

Tout d’abord, on ne parle plus de « salles » mais d’« écoles », ce qui montre que le but est bien de dispenser une forme d’éducation aux tout-petits, et de leur transmettre un enseignement. Par ailleurs, ces écoles sont qualifiées de « maternelles », car pendant longtemps seules des femmes s’occuperont des tout-petits dans ces établissements, de la même façon qu’à la maison, c’est traditionnellement à la mère qu’échoie le soin des jeunes enfants.

L’école maternelle assure donc une forme de continuité entre la famille et l’école, et ceci est valable pour tous les enfants, quel que soit leur milieu social.

La mission de l’école maternelle : éveiller les tout-petits

Le décret du 2 août 1881 fixe dans les grandes lignes le programme des écoles maternelles. Il n’est plus question désormais de la garderie à discipline quasi militaire qui a longtemps caractérisé les salles d’asile. Pas question de transformer les tout-petits en singes savants : il faut les éveiller au monde qui les entoure et stimuler leur intellect – même si les activités physiques ne sont pas négligées.

Pour Kergomard, la tâche principale des enseignantes de l’école maternelle est d’éveiller l’enfant au monde qui l’environne, en s’appuyant notamment sur le jeu. Car, précise-t-elle, « le jeu, c’est le travail de l’enfant ; c’est son métier, c’est sa vie ». C’est donc par le jeu qu’il convient de l’amener à prendre progressivement conscience de l’environnement au sein duquel il évolue.


Mémoring éditions

Cet éveil passe également par la « leçon de choses » – à laquelle Kergomard a consacré de nombreux articles et le chapitre XV de son ouvrage l’Éducation maternelle dans l’école (1886). La leçon de choses est la « leçon par excellence, écrit Pauline Kergomard, parce qu’elle est intimement liée à l’acquisition de la langue maternelle et à la culture de tous les sens ». C’est en effet par le biais de l’affect, et non de la science pure, qu’il est possible d’intéresser les tout-petits au monde :

« La sollicitude de la poule pour ses poussins, celle de la chatte qui nourrit ses petits, les frappe autrement que le nombre de pattes de la première et les ongles rétractiles de la seconde. »

Il ne faut pas hésiter à sortir de la classe, et même de l’école, pour aller observer sur place les objets qui sont au cœur de la leçon de choses :

« La maison d’école, celle de la directrice, celle des enfants, l’atelier où travaillent leurs pères, leurs jardins, la grande route, la campagne environnante fourniront le meilleur musée, je dirais presque le seul que doive posséder l’école maternelle. »

En tant qu’inspectrice des écoles maternelles, Pauline Kergomard va veiller, jusqu’à sa retraite en 1917, à ce que les institutrices adoptent une pédagogie réellement adaptée à la petite enfance et à ses spécificités. Elle a ainsi jeté les bases de l’école maternelle actuelle, dont les deux piliers sont encore aujourd’hui l’individualisation du jeune enfant et l’action visant à l’éveiller au monde qui l’entoure.

The Conversation

Catherine Valenti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Invention de l’école maternelle : Comment l’éducation des enfants de 3 ans à 6 ans est devenue une priorité – https://theconversation.com/invention-de-lecole-maternelle-comment-leducation-des-enfants-de-3-ans-a-6-ans-est-devenue-une-priorite-256847

Le projet de budget 2026 sous la menace d’un vote de défiance… et du FMI

Source: The Conversation – France (in French) – By Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School

C’est à une clarification qu’appelle François Bayrou. Le premier ministre a indiqué lors d’une conférence de presse lundi 25 août qu’il prononcera un discours de politique générale qui sera soumis au vote des députés, comme l’autorise l’article 49.1 de la Constitution. Son objet sera de faire approuver la nécessité d’un plan sur quatre ans pour réduire les dépenses et la dette. Une fois la confiance des députés obtenue, le premier ministre a indiqué que les différentes mesures jusqu’à présent évoquées pourront être discutées, amendées ou votées. Décryptage du plan général et des mesures prévues.


Lors de sa conférence de presse de rentrée du 25 août, le premier ministre a confirmé la philosophie du plan qu’il avait présenté le 15 juillet dernier, mais a revu la procédure. Évoquant la nécessité d’une « clarification », alors que « notre pays est en danger car nous sommes au bord du surendettement », le premier ministre a indiqué qu’il procédera à un vote de confiance le lundi 8 septembre prochain. L’objet ? Vérifier qu’une majorité de députés partage la trajectoire de réduction des dépenses et enclencher une spirale favorable au désendettement. « Ne débattre que des mesures, c’est ne pas débattre de la nécessité du plan d’ensemble » estime le premier ministre.

Les grandes lignes des efforts budgétaires visent à réduire le déficit public de 5,4 % attendu en 2025 à 4,6 % en 2026, soit toujours le plus élevé de la zone euro. Pour ce faire, il prévoit un effort de 43,8 milliards d’euros. Diagnostiquant à juste titre l’endettement actuellement hors de contrôle du secteur public comme une malédiction, il appelle « tout le monde à participer à l’effort ».




À lire aussi :
L’endettement de l’État sous Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron… ce que nous apprend l’histoire récente


Le curieux calcul des 44 milliards

François Bayrou a repris le raisonnement – quelque peu spécieux – initié à l’automne 2024 par son prédécesseur Michel Barnier, qui avait alors mis en scène le projet de budget pour 2025 en le rapportant non pas au budget 2024, mais à une estimation contrefactuelle 2025 à cadre législatif et réglementaire inchangé. Détaillées par la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, lors d’une audition au Sénat, le 17 juin 2025 les dépenses publiques prévisibles en 2026 sont estimées par Bercy à 1 750 milliards d’euros.

Sénat 2025.

Pour que l’écart entre dépenses et recettes ne dépasse pas les 4,6 % du PIB visé, « les dépenses devraient donc s’établir à environ 1 710 milliards d’euros » et la différence entre les deux donne le fameux montant d’environ 44 milliards d’euros. Ce mode de calcul revient à comparer l’objectif d’un déficit de 4,6 % du PIB non pas aux 5,4 % prévus en 2025, mais aux 5,9 % attendus en 2026 ceteris paribus c’est-à-dire si rien n’était fait. La diminution mise en avant représente ainsi 1,3 % du PIB, au lieu de 0,8 % ou 24 milliards en comparant plus simplement 2026 avec 2025.

Gel des dépenses

La stratégie budgétaire et fiscale du premier ministre s’inscrit toujours dans le prolongement de la politique de l’offre définie par le président de la République, Emmanuel Macron, dès son arrivée à l’Élysée en 2017. En 2026, les fameux 44 milliards d’effort budgétaire proviendraient donc pour environ 14 milliards de recettes supplémentaires et pour 30 milliards d’économies sur l’évolution tendancielle des dépenses (il ne s’agit donc pas de réelles coupes dans les dépenses). Ces économies se répartiraient comme suit :

Les dépenses de l’État seraient gelées en valeur en 2026 au niveau de 2025, hors défense qui gonflerait de 6,7 milliards et hors charge de la dette étatique (incompressible et qui augmentera de 8 milliards de 59 milliards d’euros à 67 milliards).

Pour ralentir les dépenses de sécurité sociale, celles qui dérivent le plus avec un déficit attendu de 22 milliards cette année, le gouvernement veut instaurer une année blanche en gelant les prestations sociales et les retraites en 2026 (qui touchera surtout les plus pauvres), soit une économie attendue 7 milliards d’euros. Diverses mesures sur l’assurance maladie sont également prévues dans le cadre d’un plan de réduction de 5 milliards en 2026 comme le doublement à 100 euros de la franchise annuelle, un durcissement de l’accès et des avantages des affections de longue durée ou encore des économies sur les transports sanitaires déjà en partie appliquées par voie réglementaire.

Les collectivités territoriales seraient mises à contribution pour un montant de plus de 5 milliards mais sans plus de détail.

Des hausses d’impôts déguisés

Les ménages ne seraient pas épargnés car le gel du barème de l’impôt sur le revenu traditionnellement augmenté de l’inflation (pour éviter de taxer une hausse des revenus purement nominale) se traduirait par une hausse supplémentaire du rendement de l’IR de 1,8 milliard et surtout, mesure encore plus difficile à faire accepter, par l’entrée dans l’impôt de quelque 400 000 nouveaux foyers fiscaux.

Enfin la suppression de deux jours fériés constituerait une double peine : pour les salariés (les indépendants… et les parlementaires… n’étant pas concernés) puisque ces deux jours de travail ne seraient pas payés ce qui fait dire aux syndicats qu’il s’agit du rétablissement de la corvée d’Ancien Régime mais aussi pour les entreprises qui seraient taxées sur le gain théorique (et très hypothétique) qu’elles tireraient des deux jours d’activité supplémentaires soit 4,3 milliards d’euros. Pour les plus fortunés, une contribution de solidarité est envisagée sans plus de précision à ce jour.

L’analyse des mesures annoncées oblige à douter de leur efficacité : ainsi l’année blanche ne rapporterait que 5,7 milliards au lieu de 7 milliards et plusieurs effets d’annonce n’auront pas d’impact en 2026. Ainsi la règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite pour les années qui viennent ou le dépôt d’un projet de loi « contre la fraude sociale et fiscale » n’auront aucun effet en 2026. Quant aux sanctions contre les entreprises qui tardent à régler leurs partenaires commerciaux ou celles qui imposent des retards de paiement trop longs à leurs partenaires commerciaux pouvant aller « jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires », elles resteront très marginales.

La coalition des mécontents

Au vu des réactions des principaux groupes parlementaires, on peut aisément identifier un large front du refus de toute la gauche et du RN soit une majorité favorable à la censure sans même prendre en compte les réticences des Républicains et d’une partie du camp présidentiel qui refusent toute ponction sur les entreprises au nom de la sauvegarde de l’emploi.

Nous nous retrouvons une fois de plus face au cocktail explosif d’une Assemblée nationale fragmentée, réceptacle de colères sociales qui comme le souligne Giulano Da Empoli, quoique de nature différente voir opposées ne se combattent pas mais s’additionnent.

Un effet boule de neige des intérêts à payer

Face à la paralysie parlementaire, le principal risque est donc de revivre le scénario de blocage budgétaire de la fin 2024 avec la chute annoncée du gouvernement Bayrou et une absence de budget au début 2026. Dans ces conditions, le déficit public resterait figé au delà de 5 % en 2026, tout comme le déficit structurel qui est du même niveau, lui aussi le plus élevé de la zone euro malgré les rustines mise en place sous forme de gel des dépenses par décret.




À lire aussi :
Peut-on à la fois réduire la dette, ne pas entraver la croissance et lutter contre les inégalités ?


Or la remontée des taux longs depuis 2022 au-delà de 3 % (ce qui est plutôt bas comparé à la moyenne historique) se traduira mécaniquement par une envolée des intérêts de l’ensemble de la dette publique (au sens de la Commission européenne, c’est-à-dire en intégrant notamment les intérêts des 60 milliards de dettes de l’assurance-chômage et des 140 milliards de la dette sociale cantonnée dans la CADES). La charge de la dette publique qui représente déjà aujourd’hui 5,6 % des recettes fiscales en France contre 2 % aux Pays-Bas et 2,7 % en Allemagne passera de 74 milliards d’euros en 2025 à 90 milliards d’euros en 2026 puis s’envolera inexorablement dans les prochaines années,

Qui disciplinera les comptes publics ?

Pour y faire face, il faudra dans les toutes prochaines années faire totalement disparaître le déficit public primaire (hors intérêts de 3 % en 2025) soit un effort de près de 100 milliards d’euros, puis dégager un excédent primaire pour réduire la dette. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les taux des emprunts d’État français à 10 ans rejoignent aujourd’hui ceux des emprunts de l’État italien autour de 3,4 %, hypothèse inimaginable il y a peu ni que la dégradation du rating du pays actuellement de AA – (soit l’équivalent de 17/20) soit inévitable à court terme. Le chemin de l’austérité est bien balisé depuis 15 ans par les pays du sud de l’Europe, Grèce, Italie, Espagne et Portugal qui en sortent actuellement.

La France va y entrer très vite mais il est peu probable que la classe politique, responsable de la dérive des comptes publics depuis 1981 accepte de s’autodiscipliner ni que la Commission européenne pourtant gardienne du Pacte de stabilité et de croissance n’abandonne sa coupable indulgence envers la France. De manière très symptomatique, aujourd’hui le principal contempteur de la dérive des comptes publics n’est autre que le président de la Cour des comptes qui fut… ministre des finances puis commissaire européen aux affaires économiques et monétaires. La potion amère nécessitera alors un gendarme extérieur : bienvenue au FMI.

The Conversation

Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le projet de budget 2026 sous la menace d’un vote de défiance… et du FMI – https://theconversation.com/le-projet-de-budget-2026-sous-la-menace-dun-vote-de-defiance-et-du-fmi-263819

Sortir du petit geste : l’école doit donner aux jeunes les moyens de se mobiliser

Source: The Conversation – in French – By Charles-Antoine Bachand, Professeur, Université du Québec en Outaouais (UQO)

Considérant l’ampleur des crises socioenvironnementales qui caractérisent l’anthropocène, de plus en plus de chercheurs estiment que les petits gestes écologiques ne suffiront pas et qu’il est urgent de plutôt miser sur des actions collectives. Pourtant, les systèmes scolaires peinent à faire une place à de telles actions dans leurs programmes de formation.

Professeur en fondements de l’éducation, c’est notamment à ce type d’enjeux que je m’intéresse. Que devrait enseigner l’école ? Comment peut-on permettre à l’école de réellement jouer son rôle social et démocratique ? Comment l’école peut-elle contribuer au pouvoir d’action des enfants et des citoyens ?

Dans cet article, je m’intéresse au concept de capabilités politiques collectives, et illustre pourquoi celles-ci pourraient contribuer à repenser l’éducation en anthropocène.

L’anthropocène, un problème politique

D’abord, notons que l’anthropocène est une expression de plus en plus utilisée pour identifier l’époque actuelle, alors que l’espèce humaine et les conséquences de ses actions se comparent à celles d’autres forces géologiques (volcans, mouvements tectoniques, etc.).

Or, contrairement aux autres forces géologiques, on peut espérer que l’humanité agit de façon délibérée et réfléchie. L’anthropocène n’est en ce sens pas simplement une époque de crises environnementales, mais bien plus un problème politique et collectif découlant des valeurs et des caractéristiques politiques, économiques et sociales de nos sociétés.

À ce sujet, plusieurs chercheurs ont souligné l’ambiguïté du concept d’anthropocène, qui tend à mettre tous les êtres humains dans le même panier et à leur attribuer la même responsabilité concernant les crises actuelles. Le terme Capitalocène est ainsi parfois proposé pour désigner plus précisément la responsabilité historique de la colonisation, du capitalisme et de l’exploitation du Sud par le Nord dans la naissance de cette nouvelle époque.

Pour notre part, comme le géologue catalan Carles Soriano, nous continuons de privilégier le terme anthropocène, tout en reconnaissant le bien-fondé des critiques apportées par ces collègues. À ce titre, Soriano précise que si la nouvelle époque dans laquelle nous nous trouvons est bien l’anthropocène, le premier âge de l’anthropocène pourrait être nommé le Capitalian afin de reconnaitre le rôle du capitalisme dans son apparition.

Pourquoi l’éducation doit-elle changer ?

Pourquoi, dès lors, repenser l’éducation ? Parce que l’anthropocène est d’abord social : l’action humaine l’a provoqué et doit donc être mobilisée pour en freiner les dégâts et en attaquer les causes (GES, érosion de la biodiversité, etc.). Il amplifie en outre les injustices et les souffrances humaines (zoonoses, inondations, sècheresses, migrations) et menace même l’habitabilité de la Terre.

En ce sens, former de simples « citoyens résilients » ou « éco-responsables » semble dérisoire. Les injustices qui nourrissent les crises environnementales – et que celles-ci accentuent – exigent un véritable pouvoir d’agir : la capacité, à la fois individuelle, collective et politique, de contester les structures injustes et de formuler des alternatives solidaires et durables.

Or, malgré une prise de conscience croissante, l’école reste marquée par une logique néolibérale où l’environnement est souvent réduit à une ressource. Les programmes abordent les crises environnementales sous un angle individualiste et apolitique, comme si l’on pouvait les contempler hors du monde qu’elle bouleverse. Ce traitement évoque à peine les répercussions sociales, et limite l’action à de simples gestes personnels, alors que les intérêts économiques dominent. De quoi, ajouter à l’écoanxiété des jeunes jugeant bien l’ampleur du porte-à-faux entre les actions proposées et la tâche à accomplir.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Ce traitement est problématique : il occulte les causes structurelles des crises, rend invisibles les luttes des populations touchées et affaiblit les ressorts critiques de la citoyenneté démocratique nécessaires pour imaginer d’autres modes d’organisation sociale. C’est pourquoi, dans mes travaux, j’examine les potentialités de la capabilité politique collective (CPC) formulée par la chercheuse ontarienne Monique Deveaux. Issue des mouvements populaires, cette notion pourrait renouveler l’approche de l’action collective et de l’apprentissage démocratique en éducation.

Capabilités politiques collectives : un cadre pour l’éducation transformatrice

Le concept de capabilité est issu des travaux de l’économiste et philosophe indien Amartya Sen et de la philosophe états-unienne, spécialiste de philosophie morale et politique, Martha Nussbaum.

Très schématiquement, par ce concept, Sen rappelle que les libertés ne se mesurent pas aux seuls textes juridiques : elles dépendent des conditions concrètes qui permettent de les exercer. Le droit à l’éducation, par exemple, demeure théorique si l’école est inaccessible, coûteuse ou discriminatoire : l’enfant possède le droit, non la capabilité d’apprendre. La perspective des capabilités souligne donc qu’il ne suffit pas de proclamer un droit… encore faut-il instaurer les conditions matérielles, symboliques et institutionnelles qui rendent son exercice réellement possible pour toutes et tous.

Dans le cadre de ses travaux, Deveaux reprend ce concept en lui ajoutant une dimension collective et solidaire. Elle définit la capabilité politique collective (CPC) comme l’aptitude d’un groupe à se constituer en sujet politique capable de fixer des objectifs communs et de les poursuivre efficacement. Cette aptitude englobe des compétences adaptées au contexte qui n’existent qu’à l’échelle du collectif : élaborer des stratégies concertées, négocier, délibérer et décider ensemble, mais aussi créer de nouvelles structures adaptées aux besoins réels de la communauté.

Les CPC rendent ainsi possibles des réalisations (changer une loi, fonder une coopérative, mobiliser contre une injustice, etc.) qu’aucun individu ne pourrait atteindre seul. À ce titre, Deveaux identifie deux grandes familles de CPC : les compétences pour l’action revendicatrice (organisation, négociation, mobilisation) et les compétences de coopération et d’imagination (mutuelles, coopératives de travail).

Articuler pédagogie et transformation socioécologique

Alors que l’un des problèmes que pose l’anthropocène est justement l’action collective, ce qu’elle implique et comment il est possible de la développer, les CPC semblent offrir un cadre pour réfléchir ce que l’action collective exige.

Ainsi, une éducation en anthropocène fondée sur les CPC pourrait viser à développer chez les jeunes des capacités à s’organiser collectivement, à analyser les rapports de domination, à agir politiquement et à concevoir des alternatives viables à l’intérieur comme à l’extérieur des cadres institutionnels dominants.

Les jeunes auraient ainsi les outils nécessaires pour modifier leur monde, même lorsque les outils démocratiques, présents en théorie, ne sont pas disponibles (accès à la justice, à une représentation politique impartiale, etc.). Cela impliquerait néanmoins de ne plus mettre un accent aussi marqué sur le mérite individuel des élèves, mais sur leurs réussites collectives.

L’éducation deviendrait alors un levier pour renforcer le pouvoir d’agir collectif et pourrait dès lors réellement contribuer à une transition socioécologique juste.

Une éducation pour refonder le bien commun planétaire

Préparer la jeunesse à l’anthropocène, c’est l’armer pour l’incertitude, la conflictualité et la cocréation d’un monde habitable. Loin d’une injonction à l’adaptation technicienne, l’éducation doit devenir un espace critique d’invention collective. Les élèves‑citoyens doivent pouvoir agir ensemble pour la justice sociale et environnementale, interroger les normes dominantes et en élaborer de nouvelles.

Cette ambition rejoint l’appel de l’UNESCO à une « éducation transformatrice » et fait écho à l’une des préoccupations qu’avait un petit groupe de chercheurs auquel j’ai contribué lors de l’élaboration de son projet de compétence enseignante en lien avec le développement de l’agir écocitoyen chez les élèves.

Le cadre des capabilités politiques collectives offre ainsi un levier théorique et pratique indispensable : il déplace l’attention de la performance individuelle vers la puissance d’agir partagée, condition nécessaire à toute transition socioécologique juste.

La Conversation Canada

Charles-Antoine Bachand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Sortir du petit geste : l’école doit donner aux jeunes les moyens de se mobiliser – https://theconversation.com/sortir-du-petit-geste-lecole-doit-donner-aux-jeunes-les-moyens-de-se-mobiliser-255694

Le dégriffage des chats leur génère une douleur à vie. Il est temps de l’interdire

Source: The Conversation – in French – By Eric Troncy, Douleur animale, bien-être animal, Université de Montréal

Longtemps, faute d’études rigoureuses à long terme, les conséquences du dégriffage sont restées sous-estimées. Nos recherches menées au Québec révèlent qu’il cause des lésions nerveuses irréversibles et des souffrances chroniques. Cette mutilation doit être bannie, partout et pour toujours.

Je me suis intéressé à la douleur animale très tôt dans mon parcours. Pendant mes années de formation en anesthésie et gestion de la douleur, j’ai été frappé par la facilité avec laquelle on banalisait la souffrance des chats dégriffés. Cette indignation m’a suivi en recherche et a façonné mon travail depuis plus de vingt ans.

Avec mes collègues du Groupe de recherche en pharmacologie animale du Québec (GREPAQ – Université de Montréal), nous avons eu un accès unique à une colonie de chats atteints d’arthrose naturelle, une condition courante et douloureuse chez les animaux qui s’aggrave avec l’âge.

Nous avons développé et validé des outils spécialisés non-invasifs pour mesurer la douleur et la fonction nerveuse chez les chats – allant des tests cliniques vétérinaires à l’analyse de la démarche, l’imagerie cérébrale et les études de conduction nerveuse. Cela nous a permis de distinguer la douleur causée par l’arthrose de la souffrance supplémentaire engendrée par le dégriffage. C’était la clé : isoler la douleur de l’arthrose pour mieux cerner les effets propres du dégriffage.

Nos résultats, publiés dans la revue Nature Scientific Reports, ont été frappants : le dégriffage entraîne des lésions nerveuses aggravées à long terme, une sensibilité accrue à la douleur et des troubles de mobilité exacerbés, en particulier chez les chats plus lourds. Le système nerveux, surchargé dès le plus jeune âge, finit par s’épuiser, entraînant de la fatigue chronique, de l’hypersensibilité et une diminution du bien-être.

En d’autres termes, le dégriffage condamne les chats à une vie de douleur.

Une amputation, pas une coupe de griffes

Le dégriffage ne se cantonne pas à couper les griffes. Il s’agit de l’amputation de la dernière phalange de chaque doigt, généralement des pattes avant, parfois des quatre pattes. L’opération peut être réalisée à l’aide d’une lame de bistouri, d’un laser chirurgical, voire de coupe-griffes stérilisé.

La science vétérinaire a comparé les techniques, les protocoles analgésiques, et les complications, mais l’histoire dominante revenait toujours à la même idée : le dégriffage est controversé, mais permet encore, selon certains, de sauver des animaux.

Même l’American Veterinary Medical Association a conclu en 2022 que « des preuves scientifiques contradictoires existent concernant les conséquences du dégriffage ».

En tant que scientifique, je savais que cette « contradiction » reflétait en réalité une lacune dans la recherche : il n’y avait jamais eu d’étude rigoureuse et à long terme sur la douleur chronique causée par le dégriffage.

Pourquoi cette recherche était nécessaire

J’ai obtenu mon diplôme de Doctorat d’État vétérinaire à Lyon, en France, en 1992 – l’année même où l’Union européenne a proclamé l’interdiction du dégriffage des chats. Lorsque je suis arrivé en Amérique du Nord pour me spécialiser en anesthésie et en gestion de la douleur, j’ai été choqué de constater à quel point cette pratique était encore courante. Étant passionné par le bien-être animal, je n’ai jamais vu cette pratique autrement que comme une mutilation pour convenance.

Je me souviens encore d’avoir lu, en 2006, une lettre à l’éditeur, dans laquelle le Dr. Michael W. Fox, expert en éthologie et comportement animal, écrivait :

« Les propriétaires de chats attentionnés et responsables apprennent à leurs chats à utiliser des griffoirs… plutôt que de recourir au dégriffage systématique, qui constitue une mutilation pour des raisons de commodité. »

Pourtant, d’autres vétérinaires rejetaient ce point de vue, affirmant que la douleur était « minime » comparée à d’autres interventions – « quand on se compare, on se console ! » – et justifiant le dégriffage par une vision utilitariste : si cela évite que les propriétaires abandonnent leurs chats, la pratique est acceptable.

Et ainsi, cette pratique est restée largement répandue aux États-Unis et dans certaines provinces canadiennes, malgré son interdiction au Québec, en 2024. En fait, on estime qu’en 2025, quelque 25 millions de chats en Amérique du Nord sont dégriffés.

Un constat scientifique sans équivoque

Nos travaux ont donc constitué à comparer une cohorte de chats sains, à une cohorte de chats arthrosiques et à une cohorte de chats arthrosiques et dégriffés. Recueillir un nombre suffisant d’animaux ayant tous été soumis aux mêmes évaluations non-invasives a nécessité plus d’une décennie.

Mais l’attente a été bénéfique. Les preuves sont sans appel. Les chats arthrosiques présentent une sensibilité accrue au toucher, aggravée chez ceux qui sont aussi dégriffés. Leur système nerveux, sur-sollicité, développe une neuro-sensibilisation qui s’intensifie avec le temps, jusqu’à l’épuisement. Enfin, des répercussions biomécaniques se manifestent dans leur démarche, et les chats les plus lourds paient le prix le plus élevé.

Ces atteintes s’accompagnent de comportements altérés chez les chats dégriffés : réticence à sauter, négligence de la litière liée à la douleur dans les pattes, réactions de retrait à la palpation des doigts, voire une agressivité inhabituelle.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Sur ces aspects, nos travaux menés par la Dr Aude Castel, neurologue vétérinaire, apportent un éclairage nouveau : les tests électrophysiologiques révèlent une atteinte directe des nerfs. Ces altérations, peut-être irréversibles, confirment la neuro-sensibilisation observée : un système nerveux défaillant et épuisé, qui correspond aux troubles comportementaux décrits.

La sensibilisation et l’éducation comportementale

En tant que vétérinaires, notre mission est de protéger le bien-être animal. En continuant à pratiquer le dégriffage, nous avons failli à cette mission. Les preuves sont désormais claires : il ne s’agit pas que d’une chirurgie de routine, mais d’une pratique éthiquement inacceptable aux conséquences graves et durables.

À la lumière de ces preuves, les vétérinaires doivent activement sensibiliser les propriétaires de chats aux graves conséquences à long terme du dégriffage et préconiser des stratégies alternatives telles que l’éducation comportementale, la coupe des griffes et l’utilisation de griffoirs. D’autres interventions, comme la ténotomie (section des tendons fléchisseurs des griffes), doivent être évitées, car elles perturbent le comportement naturel du chat et peuvent engendrer des douleurs chroniques similaires à celles du dégriffage.

De plus, les organismes de réglementation, comme l’Association canadienne des médecins vétérinaires et l’American Veterinary Medical Association, devraient intégrer les données scientifiques dans leurs décisions politiques afin de protéger le bien-être des félins.

Il est temps de bannir le dégriffage partout, surtout en Amérique du Nord.

La Conversation Canada

Eric Troncy a reçu des financements de Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Fondation canadienne pour l’innovation.

ref. Le dégriffage des chats leur génère une douleur à vie. Il est temps de l’interdire – https://theconversation.com/le-degriffage-des-chats-leur-genere-une-douleur-a-vie-il-est-temps-de-linterdire-263709