Que sait-on de la série de séismes en Afghanistan ?

Source: The Conversation – France in French (2) – By Manon Dalaison, Maître de Conférences, Institut de physique du globe de Paris (IPGP)

Un séisme meurtrier a frappé l’Afghanistan le 31 août, suivi par d’autres tremblements de terre. Une géophysicienne très familière de la région nous explique ce que l’on sait.


Le 31 août, un séisme a frappé l’Afghanistan dans les environs de la ville de Kunar et fait plus de 2000 victimes à ce jour. En 2022, un autre séisme meurtrier avait frappé le pays et fait environ 1000 victimes, tandis qu’en 2023, ce sont plus de 4000 personnes qui avaient trouvé la mort.

La région, difficilement accessible par la route, peut sembler isolée, mais ces zones rurales sont plutôt peuplées avec de nombreux villages parsemés le long des cours d’eau. Le village de Kunar est situé à quelques kilomètres de l’épicentre, mais certains hameaux sont encore plus près. L’ampleur des dégâts est aussi liée à la vulnérabilité des constructions en terre et pierres et au fait que la catastrophe ait eu lieu vers minuit heure locale, lorsque les gens sont chez eux.

Magnitude et profondeur, deux facteurs physiques importants pour les dommages en surface

Ce nouveau séisme a une magnitude Mw 6. Ceci correspond à un séisme de taille modérée sur l’échelle des séismes destructeurs, mais l’énergie libérée lors du séisme est tout de même équivalente à celle de la bombe atomique d’Hiroshima.

L’origine du séisme est particulièrement peu profonde, à 10 kilomètres environ. À cause de cette faible profondeur, les secousses qui atteignent la surface n’ont pas le temps d’être atténuées et sont plus susceptibles de faire des dégâts.

Cette magnitude modérée et cette faible profondeur sont deux caractéristiques que le séisme de Kunar partage avec le séisme de Khost du 22 juin 2022, qui avait eu lieu 220 kilomètres au sud-ouest.

Un séisme en accord avec son contexte

D’un point de vue scientifique, nous sommes dans le « ruban » de déformation tectonique active entre les plaques indiennes et eurasiennes où on trouve une zone de transition entre un mouvement décrochant et un mouvement de compression. Ces mouvements sont à l’origine de fréquents séismes.

Contexte tectonique et géographie du séisme du 31 août 2025 par rapport à ceux du 22 juin 2022 et du 7 octobre 2023, localisés par des étoiles. Les failles sont en rouge et les frontières nationales en pointillé.
Manon Dalaison, Fourni par l’auteur

En 2022, les scientifiques avaient été assez surpris par le séisme de Khost : celui-ci montrait un mouvement décrochant (coulissant), alors que la région est en compression.

Aujourd’hui, à Kunar, on a un tremblement de terre en compression, qui est conforme à ce que l’on attend dans la région.

Comme souvent, le séisme important du 31 août est suivi d’autres séismes plus petits dont la taille et la fréquence décroissent à mesure que le temps passe. Cette évolution n’est pas une règle, et les exceptions sont nombreuses, mais plutôt une évolution moyenne qui se vérifie sur les centaines de tremblements de terre enregistrés tous les ans.

Les indices d’une histoire ancienne

La région de Kunar se situe dans l’Hindu Kush, région montagneuse du nord-est de l’Afghanistan. Ces montagnes et leur géologie sont le résultat de dizaines de millions d’années de déformation tectonique du fait de la collision des plaques indienne et eurasienne. Les séismes sont les témoins à court terme de la longue histoire géologique.

Ici, les failles actives qui peuvent rompre lors de séismes sont nombreuses, plutôt courtes, et réparties sur des centaines de kilomètres. Elles sont visibles dans le paysage, dévient les cours d’eau, longent les vallées et bordent les montagnes.

Peut-on envisager que ces failles puissent générer à l’avenir des séismes plus grands, et malheureusement plus destructeurs, que ce nouveau séisme de Kunar ?

D’après l’historique des séismes, limité dans le temps par les archives humaines, on sait qu’un plus gros séisme de magnitude équivalente à 7,4 (c’est-à-dire 125 fois plus énergétique qu’un séisme de magnitude 6) a touché la vallée de Kunar en 1842. Ceci étant, il est difficile de savoir si un séisme de magnitude encore plus importante est possible dans la région de Kunar.

Le séisme de Kunar du 31 août 2025, et les répliques qui l’ont suivi, sont des exemples supplémentaires de l’activité tectonique compressive de la région, mal connue du fait des difficultés d’accès et son éloignement des sismomètres, les instruments qui permettent de mesurer les ondes sismiques. L’étude de ces séismes permettra de mieux connaître le tracé des failles actives et d’explorer les conditions physiques qui auraient pu favoriser un tel événement destructeur.

Quoiqu’il en soit, on est clairement dans une zone à risque sismique, où des séismes vont se produire à nouveau. Mais, comme toujours avec le risque sismique, on ne sait pas quand ils vont arriver.

The Conversation

Manon Dalaison a reçu des financements du Programme National de Télédétection Spatiale (PNTS).

ref. Que sait-on de la série de séismes en Afghanistan ? – https://theconversation.com/que-sait-on-de-la-serie-de-seismes-en-afghanistan-264612

On ne naît pas blanc, on le devient : explorer « La pensée blanche » avec Lilian Thuram

Source: The Conversation – in French – By Christophe Premat, Professor, Canadian and Cultural Studies, Stockholm University

Dans son essai La pensée blanche, publié en 2020, l’essayiste guadeloupéen Lilian Thuram met en lumière un impensé majeur de nos sociétés contemporaines : la blancheur comme norme invisible, érigée au fil de l’histoire en standard universel.

Cet article fait partie de notre série Les livres qui comptent, où des experts de différents domaines décortiquent les livres de vulgarisation scientifique les plus discutés.


On ne naît pas blanc, on le devient : cette formule résume bien l’enjeu de l’ouvrage de Thuram, qui a connu une carrière de footballeur de haut niveau en Europe dans les années 90 et 2000, et est aujourd’hui à la tête d’une fondation contre le racisme. Il rejoint les réflexions de l’essayiste et psychiatre français, lui aussi d’origine antillaise, Frantz Fanon, dont on fête le centenaire de sa naissance, sur l’intériorisation des hiérarchies raciales.

Son essai s’apparente aussi à celui du chercheur déné-canadien en études autochtones, professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, Glen Sean Coulthard dans Red Skin, White Masks (Peaux rouges, masques blancs), publié en 2014. Il y montre la persistance de la logique coloniale dans les relations avec les peuples autochtones.

« La pensée blanche », de Lilian Thuram, a été publié chez Mémoire d’encrier.
(éditions Mémoire d’encrier), CC BY-NC-ND

En tant que spécialiste des théories postcoloniales, j’explore la manière dont les héritages coloniaux marquent encore nos institutions et nos imaginaires. Je m’intéresse aussi à la façon dont écrivains et penseurs francophones réinterprètent ces catégories pour en révéler les contradictions et proposer d’autres façons de raconter nos sociétés.

Aux origines de la pensée blanche : une construction historique

Explorer la pensée blanche, c’est donc interroger les catégories héritées d’un passé colonial et comprendre comment elles continuent à structurer nos vies, souvent à notre insu.

La blancheur dont parle Lilian Thuram n’est pas une teinte épidermique mais une construction idéologique qui a fonctionné comme au départ pour classer, hiérarchiser et opposer. Elle désigne un ensemble de privilèges, de représentations et de places sociales, plutôt qu’une caractéristique biologique. Penser la blancheur, c’est donc montrer qu’elle relève moins de la pigmentation que d’un régime de visibilité : ce qui paraît neutre ou universel est en réalité situé, hérité d’une histoire coloniale.

La blancheur n’a pas toujours existé comme catégorie. Elle s’est construite progressivement à partir de l’expansion coloniale, de l’esclavage et des théories pseudo-scientifiques du XIXe siècle. La pensée blanche, telle que la décrit Thuram, consiste précisément en cette logique qui naturalise des hiérarchies raciales en érigeant la « blancheur » comme point de référence neutre.

Cette perspective met en lumière la manière dont les récits historiques et religieux ont contribué à hiérarchiser les couleurs. Dès le Moyen Âge, la théologie chrétienne associait la blancheur à la lumière divine, à la pureté et au salut, tandis que l’obscurité et le noir renvoyaient au péché, au danger et à la mort. Ces associations symboliques ont progressivement nourri un imaginaire où la blancheur était valorisée comme signe de supériorité morale.


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À l’époque moderne, cette symbolique s’est articulée à l’expansion coloniale : elle a fourni un cadre culturel qui permettait de justifier l’asservissement et l’infériorisation des populations perçues comme « non blanches ». La pensée blanche ne s’est donc pas construite uniquement par la violence matérielle, mais aussi par une longue tradition symbolique qui a présenté la blancheur comme le signe d’un ordre naturel et universel. La « norme blanche » ne s’est pas imposée seulement par la force, mais aussi par le langage, la culture et la science.

Être blanc sans le voir : les privilèges invisibles

L’un des apports majeurs de la réflexion de Thuram est de montrer que la blancheur agit comme une norme invisible. Ceux qui en bénéficient ne s’en aperçoivent pas, précisément parce qu’elle se confond avec l’universel.

Peggy McIntosh l’a décrit comme un « sac à dos invisible » de privilèges, conférant aux personnes blanches des avantages implicites : être majoritairement représentées dans les médias, ne pas être systématiquement suspectées dans l’espace public, voir son identité considérée comme neutre.

Ces privilèges ne sont pas individuels, mais structurels. Ils s’expriment dans l’accès différencié au logement, à l’emploi, ou dans les interactions quotidiennes avec l’institution policière. La pensée blanche, en tant que grille implicite, conditionne nos perceptions et nos jugements, rendant d’autant plus difficile sa remise en cause.

La blancheur n’existe qu’en relation à la « noirceur » inventée

Frantz Fanon, dans Peau noire, masques blancs, publié en 1952, montrait déjà comment l’intériorisation du regard blanc pouvait enfermer les personnes racisées dans des assignations identitaires, au prix d’un profond malaise existentiel. Thuram reprend ce fil en rappelant que la blancheur n’existe qu’en relation à la « noirceur » qu’elle a elle-même inventée.

En écho, Glen Sean Coulthard actualise ce diagnostic dans Red Skin, White Masks. En prolongeant Fanon dans le contexte des luttes autochtones nord-américaines, il démontre comment la reconnaissance offerte par l’État reste conditionnée par une logique coloniale où la blancheur définit les termes mêmes de l’égalité. La critique de la pensée blanche ne concerne donc pas seulement l’histoire européenne : elle traverse les luttes actuelles contre les formes renouvelées de domination.

Déconstruire les évidences : le rôle de l’éducation

Thuram insiste sur la nécessité d’un travail éducatif pour dénaturaliser ces représentations. Déconstruire la pensée blanche ne consiste pas à accuser individuellement, mais à rendre visible ce qui a été naturalisé. La Fondation Lilian Thuram mène à cet égard des actions pédagogiques visant à développer une conscience critique des catégories raciales et de leur histoire.

L’éducation ne se limite pas à l’école : les médias, la culture, la mémoire collective jouent un rôle crucial. L’enjeu est d’apprendre à reconnaître les privilèges invisibles et à les interroger, afin de créer les conditions d’une égalité réelle.

Déconstruire la pensée blanche suppose de passer de la prise de conscience individuelle à une responsabilité collective. Les institutions politiques, éducatives et culturelles doivent être interrogées dans leur rôle de reproduction des inégalités. L’analyse de Thuram rejoint ici les luttes pour la justice raciale et pour la décolonisation des savoirs.

Il ne s’agit pas de culpabiliser, mais de reconnaître la dimension systémique du problème. C’est seulement en déplaçant le regard — en cessant de considérer la blancheur comme universelle — qu’il devient possible de bâtir une société où les différences cessent d’être hiérarchisées.

La pensée blanche de Lilian Thuram agit ainsi comme une invitation à voir ce qui reste invisible : la norme blanche qui structure nos imaginaires, nos institutions et nos pratiques quotidiennes. En dialogue avec Fanon, l’ouvrage rappelle que l’égalité ne peut advenir qu’au prix d’un travail de déconstruction historique et critique. On ne naît pas blanc, on le devient : c’est donc à nous collectivement de défaire ce devenir, pour ouvrir la voie à des formes nouvelles de coexistence, dégagées des hiérarchies héritées du passé colonial.

La Conversation Canada

Christophe Premat est Professeur en études culturelles francophones à l’Université de Stockholm et directeur du Centre d’études canadiennes. Il coopère avec la fondation Lilian Thuram depuis 2012. Il déclare avoir été impliqué dans la préparation du dossier qui a permis à Lilian Thuram d’être élu doctor honoris causa de l’Université de Stockholm. Christophe Premat est actuellement membre de la CISE (Confédération Internationale Solidaire Écologiste), une association des Français de l’étranger créée en 2018.

ref. On ne naît pas blanc, on le devient : explorer « La pensée blanche » avec Lilian Thuram – https://theconversation.com/on-ne-nait-pas-blanc-on-le-devient-explorer-la-pensee-blanche-avec-lilian-thuram-263862

Reprendre contact avec de vieux amis : un geste difficile, mais gratifiant

Source: The Conversation – in French – By Kristina K. Castaneto, Ph.D. Candidate in Social Psychology, Simon Fraser University

Imaginez : un matin, en buvant votre café, vous pensez à un vieil ami. Vous n’avez pas parlé à cette personne depuis longtemps, mais vous y pensez avec affection et vous vous demandez comment elle va. Vous commencez à taper « bonjour ! », puis effacez le message avant de l’envoyer. Vous est-il déjà arrivé quelque chose de similaire ? Si oui, vous n’êtes pas seul.

Des recherches menées dans notre laboratoire ont montré que jusqu’à 90 % des personnes interrogées déclarent avoir un « vieil ami », c’est-à-dire un ami qui leur est cher, mais avec lequel elles ont perdu contact. Si la plupart aimeraient renouer, seulement 30 % le font réellement, même lorsque la relation s’est bien terminée et que les coordonnées sont disponibles.

Cette réticence à reprendre contact avec d’anciens amis est surprenante, car de nombreuses recherches démontrent que les relations sociales sont un facteur prédictif important de la santé et du bonheur. En effet, le fait d’avoir un réseau social plus vaste et plus diversifié est associé à un plus grand bien-être.

Écrire des messages

Alors, qu’est-ce qui incite une personne à reprendre contact avec un vieil ami ?

Dans notre nouvelle étude, nous avons analysé le contenu des messages de prise de contact envoyés à un vieil ami, pour voir si certains types de messages influencent la probabilité qu’ils soient envoyés. Par exemple, les gens sont-ils plus susceptibles d’envoyer une note axée sur le passé, le présent ou l’avenir ?

Pour le savoir, nous avons analysé plus de 850 messages recueillis lors d’études précédentes. Chaque participant a rédigé un message destiné à un ancien ami spécifique et pouvait choisir de l’envoyer ou non. Cela nous a permis de comparer le contenu des messages envoyés à celui de ceux qui n’ont pas été transmis.

Chaque message a été analysé selon plus de 20 critères, comme la longueur, les émotions exprimées ou la présence de souvenirs personnels. Douze de ces critères ont été étudiés à l’aide d’un logiciel informatique, Linguistic Inquiry Word Count (LIWC), qui mesure automatiquement des éléments comme le nombre de mots, l’orientation temporelle (passé, présent ou futur) et l’intensité des émotions positives et négatives.

En complément, une équipe de codeurs humains a évalué chaque message sur 13 aspects plus subjectifs et complexes, difficiles à détecter pour un logiciel. Ils ont notamment vérifié si l’auteur partageait des souvenirs précis avec son vieil ami ou reconnaissait sa part de responsabilité dans la relation qui s’était distendue.

un homme regarde son téléphone intélligent
Prendre contact avec un vieil ami peut contribuer à renforcer son réseau social.
(Sarah Brown/Unsplash), CC BY

Révéler des informations

Malgré tout ce codage, nous ne pouvions toujours pas prédire quels messages seraient envoyés. En revanche, notre analyse a révélé des tendances intéressantes : les messages destinés à de vieux amis étaient souvent positifs et centrés sur le présent.

Nous avons utilisé des régressions statistiques pour relier les caractéristiques des messages au comportement de prise de contact : seules six variables se sont révélées significatives, mais leurs effets étaient faibles et incohérents entre nos deux échantillons.

Cela suggère que le contenu d’un message ne permet pas de prédire qui choisira d’envoyer son message et qui ne le fera pas.

Qui prend contact ?

Comme le contenu des messages de prise de contact ne nous a pas apporté beaucoup d’informations, nous avons réorienté notre attention vers la question suivante : qui est le plus susceptible de prendre contact avec un vieil ami ?

Pour explorer cette question, nous avons recruté 312 participants sur le campus et dans des espaces publics de la ville afin de leur faire remplir un questionnaire. Le questionnaire commençait par demander aux participants d’identifier un vieil ami. Ce vieil ami était une personne à laquelle les participants tenaient, mais à laquelle ils n’avaient pas parlé depuis longtemps, qui, selon eux, aimerait avoir de leurs nouvelles et dont ils avaient les coordonnées.

Les participants ont ensuite répondu à une série de questions les concernant, notamment sur leur bonheur, leur solitude, leur personnalité, leur satisfaction en matière d’amitié et leurs convictions en la matière.

Vers la fin du sondage, nous avons demandé aux participants s’ils étaient prêts à contacter leur vieil ami, puis nous leur avons donné deux minutes pour rédiger un petit mot à l’intention de l’ami qu’ils avaient identifié précédemment. Une fois les deux minutes écoulées, nous avons demandé aux participants s’ils avaient envoyé le message à leur vieil ami.


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Comme dans les recherches précédentes, 34,2 % des participants ont choisi de contacter leur vieil ami. Et si certaines dimensions de la personnalité et d’autres variables permettent de savoir qui sera le plus susceptible de répondre, une seule variable, la « résilience de l’amitié », permettait de prédire si les participants avaient envoyé leur message à leur vieil ami.

Le concept de résilience de l’amitié fait référence à la conviction que les amitiés peuvent perdurer même après de longues périodes de faible interaction. C’est un sujet que nous étudions actuellement dans notre laboratoire.

deux hommes âgés s’étreignent
La résilience de l’amitié est la conviction que les amitiés peuvent perdurer, même après de longues périodes de faible interaction.
(Erika Giraud/Unsplash), CC BY

Faites le grand saut

Si l’idée de reprendre contact avec un vieil ami vous traverse à nouveau l’esprit, ne cherchez pas le message parfait, lancez-vous !

Par exemple, vous pouvez écrire lorsque vous entendez une chanson que vous aimiez tous les deux, tombez sur un mème qui vous rappelle cette personne, ou simplement pour dire : « Salut, ça fait longtemps ! Comment vas-tu ? »

Nos conclusions montrent que la réticence à contacter d’anciens amis n’est pas le fait d’un seul type de personne, et que les messages envoyés ne suivent pas un modèle unique.

L’hésitation à contacter un ancien ami est courante, mais la plupart des gens en sont capables s’ils décident de se lancer. Prendre conscience de cela peut encourager à renouer le contact.

La Conversation Canada

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Reprendre contact avec de vieux amis : un geste difficile, mais gratifiant – https://theconversation.com/reprendre-contact-avec-de-vieux-amis-un-geste-difficile-mais-gratifiant-264552

Volcans de boue et séismes silencieux : quand les ondes d’un séisme ont des effets à très grande distance

Source: The Conversation – in French – By Cécile Doubre, Physicienne du Globe, Université de Strasbourg

Un volcan de boue en Azerbaïdjan. Chmee2/Wikipédia, CC BY-SA

Les tremblements de terre ne restent jamais isolés : ils peuvent déclencher toute une cascade d’autres phénomènes géologiques, un effet que les chercheurs étudient depuis des décennies. Une nouvelle étude confirme que les fluides, comme l’eau, jouent un rôle majeur dans la résistance de la croûte terrestre aux forces tectoniques à l’origine des séismes.


La Terre ne reste pas immobile après un grand séisme. À proximité de l’épicentre d’un fort séisme, des dégâts importants peuvent être provoqués par les secousses sismiques (destructions de routes ou d’immeubles, par exemple). Et il n’est pas rare d’observer également des glissements de terrain. Le choc principal peut aussi déstabiliser les failles environnantes, et créer ainsi de nouveaux points de rupture, appelés les « répliques ».

Beaucoup plus loin, là où personne ne ressent la moindre secousse, les instruments détectent une augmentation des petits tremblements de terre, surtout dans les régions volcaniques et géothermiques. Récemment, on a aussi pu observer des mouvements le long de zone de subduction, situés à plusieurs milliers de kilomètres de l’épicentre d’un séisme ayant eu lieu quelques minutes avant, interrogeant ainsi sur le lien mécanique entre ces deux phénomènes.

Dans notre article, publié cette semaine dans Science, nous révélons comment les grands tremblements de terre qui ont frappé la Turquie en 2023 ont produit des effets imprévus dans le bassin de Kura en Azerbaijan, à 1 000 kilomètres de l’épicentre : éruptions de volcans de boue (grands édifices faits de boue consolidée à la suite d’éruptions successives), gonflement d’une nappe d’hydrocarbures et séismes lents (également appelés « silencieux », c’est-à-dire sans émissions d’ondes sismiques).

Ces observations nous ont permis de mettre en évidence de manière quasi directe, et c’est bien là la nouveauté de cette étude, le rôle fondamental que jouent les fluides présents dans la croûte terrestre (de l’eau, par exemple) sur la résistance de celle-ci et, par conséquent, sur l’activité sismique.

Des observations inattendues à 1 000 kilomètres des deux séismes turcs

Dans le cadre de sa thèse sur la déformation lente dans le Caucase oriental, notre doctorant, Zaur Baraymov a traité de nombreuses images satellitaires radar de l’Agence spatiale européenne. En les comparant une à une (technique de géophysique appelée interférométrie radar), il a été étonné d’observer un signal le long de plusieurs failles dans la période correspondant aux deux grands séismes de Kahramanmaras, en Turquie, en février 2023.

Grâce à cette compilation d’images satellites et aux enregistrements sismologiques locaux, nous montrons que ces grands séismes ont déclenché, à plus de 1 000 kilomètres de distance, des gonflements et des éruptions de plusieurs dizaines de volcans de boue ainsi que des « séismes lents » sur plusieurs failles : ces glissements ont lieu trop lentement pour émettre eux-mêmes des ondes sismiques.

Que s’est-il passé ?

Sous l’effet du mouvement continu des plaques tectoniques à la surface de la Terre, des forces s’accumulent dans la croûte terrestre. Au sud-est de la Turquie, les plaques arabique et anatolienne se déplacent l’une par rapport à l’autre et la faille est-anatolienne résiste à ce mouvement. La majeure partie du temps, les failles sismiques sont « bloquées », et rien ne se passe… jusqu’au moment où ça lâche.

En février 2023, ce système de failles a brutalement glissé de plusieurs mètres, deux fois en quelques heures. Ce mouvement brutal est comparable au relâchement soudain d’un élastique : lorsqu’il se détend d’un coup, il rebondit dans tous les sens. Dans le cas d’un séisme, des ondes sismiques sont émises dans toutes les directions de l’espace. Typiquement, les secousses sont très fortes et peuvent détruire des bâtiments à proximité de l’épicentre, mais, à 1 000 kilomètres de distance, ces mouvements sont atténués et ne sont plus ressentis par les humains, même si les sismomètres, très sensibles, enregistrent des vibrations.

En 2023, au moment où les ondes atténuées du séisme turc ont traversé le bassin de Kura en Azerbaïdjan, à 1 000 kilomètres de l’épicentre, quelque six minutes après le séisme, nous avons détecté, sur des images satellites, du mouvement sur sept failles tectoniques. Celles-ci ont glissé silencieusement de plusieurs centimètres, sans émettre d’ondes sismiques.

carte des 2 séismes et des effets observés à distance
Les séismes de Turquie, en 2023, ont eu des effets inattendus à 1 000 kilomètres de là, à l’ouest de la mer Caspienne, dans les contreforts du Caucase.
Romain Jolivet, Fourni par l’auteur

En même temps, une cinquantaine de volcans de boue sont entrés en éruption en crachant de la boue, tandis que d’autres se déformaient.

Nous avons même mesuré le soulèvement du sol de quelques centimètres au-dessus d’un gisement d’hydrocarbures situé à l’aplomb d’une des failles activées.

Jamais une telle accumulation de phénomènes déclenchés par un même séisme n’avait été observée.

Comment un séisme peut-il déclencher de tels phénomènes à distance ?

La concomitance des éruptions de volcans de boue et des glissements silencieux sur les failles met en évidence le rôle des fluides dans ces déclenchements.

Plus précisément, observer ces volcans de boue s’activer et le champ d’hydrocarbures gonfler indique que la pression des fluides dans les roches du sous-sol a augmenté au passage des ondes sismiques. Cet effet est connu, notamment le phénomène appelé « liquéfaction » qui se produit sur les sols saturés en eau, perdant leur stabilité à la suite d’un séisme.

L’augmentation de la pression des fluides est aussi connue pour fragiliser les failles et les conduire à relâcher de la contrainte en glissant. De plus, il est bien établi qu’une pression de fluide élevée favorise un glissement lent sur les failles, qui ne génère pas d’ondes sismiques. Les ondes sismiques, en passant, ont donc fait grimper la pression des fluides dans la croûte, occasionnant à la fois les éruptions de boue et les glissements asismiques sur ces failles.

Cette étude constitue la première observation directe de l’influence des fluides présents dans la croûte sur le déclenchement à distance des séismes lents.

Le rôle des fluides dans la propagation des ondes sismiques sur de grandes distances

Depuis longtemps, les géophysiciens soupçonnaient que les fluides jouent un rôle dans une observation intrigante : comment de simples ondes sismiques, qui génèrent de faibles contraintes de quelques kilopascals, peuvent-elles déclencher des glissements sur des failles pourtant capables de résister à des contraintes bien supérieures, de quelques mégapascals ?

Nos observations apportent la réponse. L’augmentation de pression de fluide peut permettre d’atteindre l’échelle des mégapascals et d’activer les failles présentes dans la croûte saturée en fluides.

Il reste maintenant à généraliser ces observations. Toutes les failles sont-elles baignées de fluides circulant dans les roches de la croûte ? Si oui, quelle est la nature de ces fluides ? Nous savons qu’il y a de l’eau dans la croûte, et particulièrement dans les sédiments de la région du bassin de Kura, mais nos observations montrent que les hydrocarbures peuvent aussi être impliqués.

Des analyses géochimiques suggèrent même que des fluides, comme de l’eau chargée en dioxyde de carbone, pourraient remonter du manteau. La question reste ouverte…


Le projet Évolution spatiale et temporelle de la déformation sur et hors faille – SaTellite est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Jusqu’à fin 2024, Alessia Maggi a été conseillère en matière de formations universitaires à l’Université Franco-Azerbaijanaise, un partenariat entre l’université de Strasbourg et la Azerbaijan State Oil and Industry University (ASOIU).

Romain Jolivet a été membre de l’Institut Universitaire de France entre 2019 et 2024. Il a reçu des financements de l’ANR ainsi que l’ERC.

Cécile Doubre et Luis Rivera ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Volcans de boue et séismes silencieux : quand les ondes d’un séisme ont des effets à très grande distance – https://theconversation.com/volcans-de-boue-et-seismes-silencieux-quand-les-ondes-dun-seisme-ont-des-effets-a-tres-grande-distance-264526

Genre littéraire à succès, la dark romantasy, avec ses relations toxiques et ses viols, peut-elle être féministe ?

Source: The Conversation – in French – By Marine Lambolez, Doctorante, ENS de Lyon

Dans les histoires de dark romance, les hommes sont généralement conscients de leur violence et du mal qu’ils font à leur victime. AdinaVoicu/Pixabay, CC BY

Genre littéraire né du croisement entre fantasy et romance, la dark romantasy attire un large public avec ses amours toxiques peuplées de vampires, de « faes » et de loups-garous, tout en questionnant le rapport au consentement.


« Enemies-to-lovers », vampires, « fuck or die », loups-garous, dubcon, faes (créatures féériques)… L’univers de la dark « romantasy » mérite un éclairage ! Mot-valise formé de l’association de deux genres littéraires, la romance et la fantasy, la romantasy se décline sur le mode « sombre » pour proposer des dark romances peuplées d’êtres fantastiques et de pouvoirs magiques. Si ces univers merveilleux ne sont pas dénués de dynamiques patriarcales, le recours aux schémas narratifs de la fantasy donne un nouvel éclairage aux relations toxiques qui font rêver certaines lectrices. Est-ce aller trop loin que d’imaginer que les crocs de vampires et les ailes de faes pourraient permettre de réconcilier dark romance et féminisme ?

Jeune ingénue recherche monstre ténébreux

Le succès des histoires d’amour unissant une humaine ou un humain à une créature fantastique débute avec la saga Twilight, de Stephenie Meyer, dans les années 2000, même si de tels récits existaient déjà dans les nouvelles gothiques du XVIIIe siècle. Certains tropes centraux de la romantasy (harcèlement, vengeance, obsession) s’y trouvent déjà. Toutefois, les convictions de Stephenie Meyer, membre de l’Église mormone, font du sexe avant le mariage l’ultime tabou de son héros Edward. Alors que le vampire scintillant se refuse à tout rapprochement physique, les monstres actuels se montrent insatiables.

Dans les dark romances, il semblerait que l’adjectif « dark » justifie l’absence de tout tabou. Tout est possible, surtout dans le domaine de la sexualité – pour le meilleur et pour le pire.

Le récit adopte le point de vue d’une héroïne humaine, facilitant l’identification d’un lectorat majoritairement féminin. Elle rencontre un ou plusieurs partenaires masculins, de nature fantastique (vampire, fae, loup-garou, démon, etc.), qui reprennent les traits du héros romantique traditionnel : beaux, forts, protecteurs, riches, jaloux, taciturnes, parfois violents. Leurs pouvoirs surnaturels servent surtout à mettre en scène des modalités originales de couple, de sexualité ou de reproduction, moteurs de l’intrigue.

Désir violent et amour toxique

La dark romantasy, sous-genre des dark romances, n’échappe pas aux critiques qui lui sont adressées. Elle met en scène des histoires d’amour violentes, des personnages moralement ambigus et des traumatismes divers et variés. Elle promet, en échange des scènes de sexe explicites, des ascenseurs émotionnels et une fin généralement heureuse. Obsession, possessivité et abus y sont la norme. Savoir si les romances ont rendu la violence amoureuse désirable ou si elles ne font que refléter la réalité reste une question sans réponse. Depuis les contes médiévaux jusqu’aux séries des années 1990, les représentations de relations malsaines ne manquent pas et traversent la société patriarcale, au-delà de la dark romance et de la fantasy.

Ce qui choque particulièrement au sujet de la dark romance, c’est que les abus sont explicites et revendiqués, plus proches d’un « Je te fais du mal, je le sais, et c’est pour ça que tu m’aimes » que d’un « Je te fais du mal, je n’ai pas fait exprès, mais tu vas m’aimer quand même ». Dans une société dite « post-#MeToo », il n’est plus crédible pour un homme de jouer l’innocent et de prétendre ne pas connaître la gravité de ses actes. La dark romance choisit alors de faire de ses héros des hommes conscients de leur violence.

S’arranger avec la culture du viol

Bien que misogynes et violents, ces récits sont majoritairement écrits par des femmes, comme l’a notamment montré H. M. Love à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni). Les plateformes gratuites, comme Wattpad ou AO3 (Archives Of Our Own), rendent leur lecture et écriture gratuites et accessibles à toutes et à tous, hébergeant des millions d’histoires, dont des dizaines de milliers de romances érotiques.

On y retrouve les catégories #NonCon pour « non-consentement » et #DubCon « pour zone grise » (plus de 7 000 et 5 000 résultats sur Wattpad, 18 500 et 28 700 sur AO3 en 2024). Ces catégories permettent aux lectrices de savoir à l’avance dans quelle mesure le consentement de l’héroïne sera respecté dans l’histoire – en d’autres termes, de savoir si elles seront confrontées à des récits de viol.

Il est intéressant de noter que le mot central de ces recherches est celui de « consentement », même quand on recherche son absence, à l’opposé des moteurs de recherche des sites pornographiques, par exemple, qui sont des espaces virtuels pensés par et pour les hommes, dont les mots-clés se concentrent plutôt sur les violences (« abusée », « forcée », « endormie », voire directement « viol » quand le site ne l’interdit pas). Dans la dark romantasy, les lectrices savent ainsi à quoi s’attendre, ce qui prive les scènes de leur pouvoir de sidération.

Un renversement des dynamiques de pouvoir ?

L’utilisation de la fantasy et des personnages non humains permettent aux lectrices de vivre ce que certains appellent, à tort, « le fantasme du viol » et qui est plutôt une quête du lâcher-prise totale, sans culpabilité. Désirer un personnage imaginaire, même violent, place le fantasme à distance des dynamiques patriarcales.

Certains tropes jouent sur le rapport conflictuel des femmes féministes aux relations amoureuses en convoquant des schémas d’attraction/répulsion entre les personnages dont la fin est toujours la même : le couple hétérosexuel bienheureux. Avec le trope enemies to lovers (de la haine à l’amour), l’histoire met en scène les nombreux mécanismes qui transforment le dégoût et la haine initiales de l’héroïne envers la créature en amour et désir.

Selon la logique interne à ces récits, le passage de la haine à l’amour, du refus à l’accord, réécrit les interactions violentes qui jonchent le récit avant sa résolution heureuse. Ce que le monstre a forcé l’héroïne à faire ne peut être vraiment répréhensible, puisqu’au fond elle en est amoureuse. Cette réécriture fonctionne aussi pour les violences sexuelles, comme si le désir ressenti par l’héroïne à la fin de l’histoire était rétroactif, faisant alors du viol une impossibilité. La sociologue américaine Janice Radway montrait déjà, en 1964, dans Reading the Romance, comment les romances parviennent à neutraliser la menace du viol en montrant une héroïne qui le désire secrètement.

Une autre dimension, spécifique à ces mondes de fantasy, paraît même renverser les rapports de domination. En effet, ces monstres charmants ont besoin de l’héroïne pour survivre : le vampire doit boire son sang ou mourir, le démon doit se repaître de son énergie vitale par un inventif rituel tantrique ou se volatiliser, le fae doit donner du plaisir à la femme qu’il aime à chaque pleine lune ou bien ses pouvoirs disparaîtront…

Les règles de ces univers rendent l’héroïne absolument indispensable, en tant qu’humaine mais aussi en tant qu’élue de leurs cœurs, à la survie même des protagonistes masculins. Dans la dark romantasy, ce n’est pas seulement l’amour de cette héroïne qui peut les sauver, mais ses faveurs sexuelles, ajoutant à l’intensité et l’inévitabilité des rapports.

On peut citer l’exemple des récits se déroulant au sein de l’Omegaverse, univers fictif peuplé à l’origine de loups-garous (de nombreuses variations de cet univers existent à présent) dont la société est hiérarchisée entre les Alpha, Bêta et Omega. L’attribution de ces fonctions, dont chacune joue un rôle bien particulier dans la reproduction de l’espèce, est biologique et survient dès la naissance. Les Alpha ont tous vocation à se reproduire avec des Omega et une fois parvenus à l’âge adulte, ils doivent s’accoupler avec une partenaire adéquate ou en mourir, selon le trope du fuck or die (baiser ou mourir).

Ces récits naturalisent le désir masculin en le reliant aux besoins viscéraux de créatures magiques, et à un agencement biologique créature/humaine, Alpha/Omega, mâle/femelle qui ne laisse pas de place au rejet. Dans le même temps, ces schémas narratifs de la fantasy renversent les rapports de pouvoir patriarcaux, car le monstre masculin et dominant a désespérément besoin de l’héroïne humaine pour survivre.

On peut alors lire les dynamiques amoureuses de la dark romantasy au prisme de la dialectique du maître et du serviteur théorisée par le philosophe Hegel : le maître ne sait pas subvenir à ses besoins sans l’aide du serviteur et en est donc totalement dépendant, tout comme le monstre ne peut survivre sans les faveurs sexuelles de l’héroïne qui possède, finalement, le pouvoir au sein de la relation amoureuse. De là à dire que la dark romantasy est féministe… ?

The Conversation

Marine Lambolez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Genre littéraire à succès, la dark romantasy, avec ses relations toxiques et ses viols, peut-elle être féministe ? – https://theconversation.com/genre-litteraire-a-succes-la-dark-romantasy-avec-ses-relations-toxiques-et-ses-viols-peut-elle-etre-feministe-264150

Le Covid-19 est-il le pire fléau depuis 1900 ? Ce que révèlent les archives de la statistique régionale française

Source: The Conversation – in French – By Florian Bonnet, Démographe et économiste, spécialiste des inégalités territoriales, Ined (Institut national d’études démographiques)

La pandémie de Covid-19 a profondément bouleversé nos sociétés. Toutefois, en France, la surmortalité associée à cette crise a été bien moins sévère que celle de certaines crises passées, comme la grippe espagnole en 1918-1919. Mais derrière les moyennes nationales, de fortes inégalités territoriales se dessinent.

En comparant cinq grandes crises sanitaires depuis 1900, une étude de l’Institut national d’études démographiques met en lumière les spécificités du Covid-19, et ce qu’elles révèlent des réponses apportées par notre société.


Quelle a été la surmortalité entraînée par la pandémie de Covid-19 au cours de ses deux premières années, en 2020 et en 2021 ? De nombreux articles ont cherché à répondre à cette question cruciale en comparant les différentes expériences nationales. Nous-mêmes, à l’Institut national d’études démographiques (Ined), nous avons nous contribué à cet effort en publiant une étude analysant la surmortalité dans un grand nombre de régions européennes en 2020 et en 2021.

Cependant, comprendre ce qui fait la spécificité de la pandémie de Covid-19 nécessite non seulement des comparaisons internationales, mais aussi une perspective historique de plus long terme, afin d’évaluer son fardeau au regard d’autres grandes crises sanitaires.

La France, qui dispose de plus d’un siècle de données démographiques régionales détaillées, offre une opportunité rare en la matière. Dans un article récemment publié dans Population and Development Review, nous avons évalué l’ampleur de la pandémie de Covid-19 en France, et nous l’avons comparée à quatre grandes crises de mortalité survenues depuis 1900 : la grippe espagnole (1918–1919), la grippe de Hongkong (1968–1969) et les canicules de 1911 et de 2003.

En replaçant la pandémie de Covid-19 dans une perspective d’un siècle de crises sanitaires, notre étude souligne que son impact – bien qu’inédit par son ampleur médiatique et sociale – s’inscrit dans une histoire plus longue de chocs sanitaires inégalement répartis dans le temps et l’espace.

Une analyse géographique fine

La spécificité de notre étude est que nous avons évalué l’impact de ces crises à un niveau géographique très fin, celui des départements français métropolitains. Nous avons pour cela mobilisé les statistiques annuelles de décès et de population issues de la French Human Mortality Database, une base de données destinée à fournir des données régionales détaillées à toute personne intéressée par l’histoire de la longévité humaine en France.

Pour comparer ces crises dans l’espace et le temps, le choix de l’indicateur est essentiel. Nous avons retenu comme mesure centrale les années de vie perdues standardisées (Age-Standardized Years of Life Lost, ou ASYLL). Couramment utilisée en santé publique, cette mesure permet de quantifier le nombre total d’années de vie perdues en raison de décès prématurés. Ainsi, dans une population de 1 000 habitants, si quatre individus âgés de 60 ans décèdent prématurément et que leur espérance de vie à cet âge-là est de 25 ans (chiffres de l’Insee pour 2024), on obtient une valeur de 100 (4 x 25).

Cette mesure présente plusieurs avantages majeurs :

  1. Elle permet des comparaisons pertinentes entre différentes populations grâce à une structure d’âge commune. Si ce n’était pas le cas, dans le contexte du Covid-19, où la surmortalité a été observée chez les plus âgés, les régions très urbanisées où les jeunes se concentrent auraient des indicateurs plus favorables que les régions rurales, même dans le cas d’une surmortalité globale similaire.

  2. Contrairement à un indicateur comme la perte d’espérance de vie, elle peut être agrégée sur plusieurs années, ce qui est crucial pour saisir l’impact global d’une pandémie comme celle du Covid-19 qui s’est étalée dans le temps.

  3. Elle offre une lecture plus fine de l’excès de mortalité que le simple nombre de décès, en tenant compte de l’âge auquel ces décès surviennent. Dans notre exemple, un individu décédé à 60 ans pouvait espérer vivre encore vingt-cinq ans, alors qu’un individu décédé à 20 ans pouvait espérer vivre encore plus de soixante ans.

Neuf années de vie perdues en moyenne

Nos résultats montrent que la pandémie de Covid-19 a entraîné, en France, une perte moyenne de neuf années de vie pour 1 000 habitants en 2020 et en 2021. À titre de comparaison, la canicule de 2003 a causé la perte d’environ deux années et demi de vie, la grippe de Hongkong de 1968–1969 entre cinq et sept années, la canicule de 1911 environ vingt-quatre ans, et la grippe espagnole près de cent ans (toujours pour 1 000 habitants).

Ces chiffres permettent de mieux situer l’ampleur de la pandémie de Covid-19 dans l’histoire française récente. Malgré son envergure mondiale et les profondes perturbations sociales qu’elle a provoquées, son impact démographique reste dix fois inférieur à celui de la grippe espagnole, qui constitue la crise la plus dévastatrice du XXe siècle (en dehors des deux guerres mondiales).

Ce résultat s’explique en partie par le profil par âge des décès, qui a fortement varié d’une crise à l’autre. La surmortalité liée au Covid-19, comme celle découlant de la canicule de 2003, a principalement concerné les adultes de 60 ans et plus.

À l’inverse, la grippe espagnole a frappé de manière disproportionnée les enfants et les jeunes adultes, tandis que le lourd tribut de la canicule de 1911 s’explique en grande partie par la mortalité infantile. Pour cette dernière, la conjonction des fortes chaleurs et d’infections dues à la mauvaise qualité du lait ou de l’eau, contaminés par des micro-organismes responsables de diarrhées, a conduit au décès de très nombreux bébés. Or, les décès prématurés aux jeunes âges entraînent une perte plus importante d’années de vie, en raison de l’espérance de vie restante plus élevée.

Des contrastes territoriaux marqués

La distribution des excès de mortalité met en évidence des contrastes marqués dans la géographie de la mortalité. Comme le révèlent les cartes ci-dessous, certaines crises présentent des effets relativement homogènes sur le territoire, tandis que d’autres laissent apparaître des empreintes spatiales bien distinctes :

Carte de France représentant la distribution régionale des excès de mortalité, mesurée en années de vie perdues pour 1000 habitants, pour chacune des cinq crises, tous sexes confondus.
Distribution régionale des excès de mortalité, mesurée en années de vie perdues pour 1 000 habitants, pour chacune des cinq crises, tous sexes confondus.
Florian Bonnet, Fourni par l’auteur

La canicule de 1911 a laissé une empreinte majeure dans le nord et le sud du pays, avec des pertes particulièrement sévères en Lozère (quatre-vingt-quatre années de vie perdues pour 1 000 habitants).

La canicule de 2003 a, quant à elle, frappé plus intensément la partie centre-ouest du pays, incluant la Creuse, l’Indre ou le Loir-et-Cher (autour de dix années de vie perdues pour 1 000 habitants). Cette forte variabilité spatiale s’explique facilement par la géographie des températures extrêmes : durant cet épisode caniculaire, elles se sont concentrées dans le Centre-Ouest.

En ce qui concerne la grippe espagnole, sa diffusion a été remarquablement uniforme sur l’ensemble du territoire français, à l’exception relative du Nord-Ouest. Elle s’est produite dans un contexte marqué par la fin de la Première Guerre mondiale, ce qui a pu favoriser une diffusion rapide et uniforme du virus, démultipliant le nombre de décès.

Le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19, en revanche, se distingue par une géographie morcelée. La surmortalité a été particulièrement forte en Île-de-France et dans les régions de l’Est, frontalières de la Belgique, de l’Allemagne et de la Suisse (environ vingt années de vie perdues pour 1 000 habitants), alors que l’ouest a été plus épargné, notamment en 2020.

L’importance des dynamiques locales

Au final, la canicule de 2003 s’est révélée être la crise la plus inégalitaire d’un point de vue territorial, suivie de près par la pandémie de Covid-19. À l’inverse, la grippe espagnole est celle qui a eu l’effet régional le plus homogène. Cette hétérogénéité géographique n’est pas une simple curiosité statistique : elle souligne le rôle déterminant des dynamiques locales dans la production des inégalités territoriales, en particulier dans un contexte de pandémie.

En effet, les fortes disparités observées pendant la pandémie de Covid-19 s’expliquent sans doute par la mise en place de décisions inédites de santé publique. Pour le comprendre, il faut se rappeler que la crise s’est initialement développée à l’hiver 2020 dans le Haut-Rhin et en région parisienne (autour de l’aéroport de Roissy), avant de s’étendre de proche en proche. Les strictes mesures de distanciation sociale, prises en mars 2020, ont pu freiner la diffusion du virus, et ainsi protéger certaines régions de l’ouest et du sud du pays.

À travers ces différents exemples, notre analyse révèle que les moyennes nationales masquent souvent des écarts internes importants. Les pouvoirs publics doivent les connaître et en tenir compte, afin de mieux cibler leurs interventions et allouer correctement les ressources. Par ailleurs, ces crises sanitaires ont parfois des effets de long terme qu’il est nécessaire de suivre de près. Notre équipe est actuellement investie dans cette mission.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Le Covid-19 est-il le pire fléau depuis 1900 ? Ce que révèlent les archives de la statistique régionale française – https://theconversation.com/le-covid-19-est-il-le-pire-fleau-depuis-1900-ce-que-revelent-les-archives-de-la-statistique-regionale-francaise-262575

Deux portraits, deux destins : voici comment des œuvres d’Otto Dix se sont retrouvées dans des musées canadiens

Source: The Conversation – in French – By Monika Wright, Doctorante en histoire de l’art, Université du Québec à Montréal (UQAM)

En 1933, dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir à titre de chancelier du Parti national-socialiste, d’importantes campagnes de pillage d’œuvres d’art avant-gardistes sont organisées.

Qualifiées de « dégénérées », ces œuvres sont d’abord confisquées dans les institutions muséales allemandes, puis dans les collections privées. Les populations juives sont particulièrement ciblées. Lorsque la guerre éclate, les pays occupés sont à leur tour dépossédés de leurs biens culturels.

Une première tentative de restitution a lieu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais les priorités vont alors à la reconstruction des pays lourdement touchés. Il faudra attendre les années 1990 pour voir de réelles mesures être mises en place afin que ces œuvres soient rendues à leurs propriétaires ou à leurs familles.

Toutefois, encore aujourd’hui, des milliers d’entre elles demeurent introuvables, ou se trouvent injustement dans des collections muséales ou privées. Il n’est pas rare d’entendre de nouvelles histoires rocambolesques d’œuvres qui réapparaissent après plus de 80 ans, comme cette toile de Giuseppe Ghislandi, repérée en août sur le site web d’une agence immobilière proposant une maison à vendre en Argentine, pillée par les nazis à un marchant d’art juif à Amsterdam durant l’occupation.

Désormais, la plupart des institutions se sont dotées de politiques encadrant la recherche en provenance des œuvres de leurs collections, avec une attention particulière portée sur la période allant de 1933 à 1945.

Dans ce contexte, certaines œuvres ont suivi des parcours surprenants. Passionnée par la question de la spoliation et le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, j’ai pu le constater lors de mes recherches de second cycle en histoire de l’art. Je me suis alors intéressée à la trajectoire de deux portraits exécutés par l’artiste allemand de la Nouvelle Objectivité, Otto Dix, aujourd’hui conservés dans des collections muséales canadiennes. Le parcours de l’un a été retracé, tandis que l’autre reste plus mystérieux.

Montréal, un tableau devenu un symbole de la légitimité artistique québécoise

Le premier, « Portrait de l’avocat Hugo Simons », est réalisé par Dix en 1925 pour son ami Hugo Simons, qui l’avait aidé à remporter un procès. Lorsque la guerre éclate, Simons et sa famille, de religion juive, fuient l’Allemagne nazie pour s’installer à Montréal en 1939. Simons conserve ensuite le tableau tout au long de sa vie.

Après la mort de Simons, la famille décide de mettre en vente le tableau en 1992 à la suite d’un avis de dette fiscale rétroactive sur sa valeur. L’œuvre est alors proposée au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) pour la moitié de son prix, en guise de reconnaissance envers la ville d’accueil. Alors que plus de la moitié des œuvres de Dix ont disparu ou ont été détruites durant la guerre, celle-ci se trouve dans un parfait état de conservation.

S’ensuivent des négociations difficiles entre le MBAM et le gouvernement fédéral, réticent à accorder un prêt. L’affaire prend rapidement une dimension publique dans les médias. L’acquisition du tableau permettrait non seulement au MBAM d’intégrer une œuvre de maître dans sa collection, mais aussi d’offrir au Québec la crédibilité artistique à laquelle il aspire.

Finalement, grâce à l’addition de financements privés et publics, le tableau entre dans la collection du MBAM en 1993. Il devient alors, bien malgré lui, un symbole nationaliste.

Toronto, le mystère du Dr Stadelmann

Le second, « Portrait du Dr Heinrich Stadelmann », a un parcours moins limpide. Aujourd’hui conservé à l’Art Gallery of Ontario (AGO) à Toronto, le tableau a été commandé par Stadelmann lui-même en 1922. Psychiatre dresdois reconnu pour son érudition et son excentricité, il était aussi un fervent admirateur des avant-gardes. Le portrait, qui semble emprunter des traits à un macabre Friedrich Nietzsche, reflète bien cette singularité.

Contrairement à Simons, Stadelmann n’a jamais mis les pieds au Canada. Pourquoi le tableau se retrouve-t-il alors à l’AGO ? Rien ne l’explique, à première vue. Le cartel indique simplement : « Anonymous gift, 1969 ; donated by the Ontario Heritage Foundation, 1988 ».

À l’exception d’une courte période passée hors de Dresde durant les bombardements, Stadelmann y est toujours resté et aurait continué à pratiquer jusqu’à sa mort en 1948. Il ne semble pas avoir eu de besoins financiers particuliers qui expliqueraient la vente ou la cession de son portrait.


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Des recherches en archives révèlent toutefois que l’œuvre aurait aussi appartenu au docteur en physique William (né Wilhelm) Landmann. Juif, il fuit également l’Allemagne nazie en 1939 et s’installe à Toronto avec sa famille. Collectionneur d’art, il aurait acquis la majorité de ses œuvres entre 1920 et 1935. Sa collection comprend des pièces de Marc Chagall, Georg Grosz, Paul Klee, Wassily Kandinsky, Otto Müller, Emil Nolde, Max Pechstein et Fernand Léger.

Landmann aurait été lui-même victime de spoliation nazie. Lors de son émigration au Canada, il n’aurait emporté qu’une partie de sa collection, l’autre restant entreposée en Europe, notamment dans les voûtes du Rijksmuseum à Amsterdam et dans des entrepôts suisses. Il en récupère une partie en 1946, mais plusieurs œuvres demeurent introuvables. Aujourd’hui encore, elles figurent dans la base de données Lost Art, répertoriées comme biens culturels confisqués aux personnes persécutées.

Un mystérieux numéro, un titre fautif et d’étranges coïncidences

On ignore si le portrait de Stadelmann est arrivé au Canada avec Landmann en 1939, ou s’il faisait partie du lot récupéré en 1946. Ce que l’on sait, c’est que Landmann s’implique activement dans la vie artistique torontoise. Il prête régulièrement des œuvres pour des expositions organisées à l’AGO, et le portrait de Stadelmann est accroché à deux reprises : en 1946 et en 1948.

Une vue nocturne du Art Gallery of Ontario
Vue nocturne du Art Gallery of Ontario, où on retrouve le « Portrait du Dr Heinrich Stadelmann ».
(Sean Driscoll/Unsplash), CC BY-NC-ND

Une photographie des archives montre le dos du tableau. On y distingue l’inscription grossière en noir du chiffre « 621 » dans le coin supérieur droit du cadre. Le titre du portrait y figure également, mais avec une erreur : « Dix, 22, Dr Heinrih Stadelmann ». Le « C » de Heinrich manque. Qui a inscrit ce numéro et ce titre fautif ? Et pourquoi ?

Landmann connaissait bien le marché de l’art. Il a vendu certaines de ses œuvres à des institutions aussi importantes que le Museum of Modern Art à New York, ou la Dominion Gallery à Montréal.

Le choix de faire don du portrait à l’Ontario Heritage Foundation, et non directement à l’AGO, intrigue. D’autant plus que l’année du don, 1969, correspond à l’année du décès d’Otto Dix. Et autre coïncidence : en 1988, lorsque l’œuvre est finalement transférée à l’AGO, cela se fait moins d’un an après la mort de Landmann. Pourquoi la Fondation a-t-elle conservé le tableau pendant 19 ans avant de le céder ?

Tous ces éléments ne permettent évidemment pas d’affirmer que l’œuvre a été victime de spoliation, mais ils suffisent à soulever la question.

Mieux comprendre la mémoire culturelle et les responsabilités des institutions muséales

L’étude de la trajectoire de ces deux tableaux illustre comment la spoliation a pu influencer le destin d’œuvres qui n’auraient sans doute jamais quitté l’Allemagne autrement.

Alors que le « Portrait de l’avocat Hugo Simons » est devenu une œuvre phare du MBAM, un mystère continue de planer autour du « Portrait du Dr Heinrich Stadelmann » conservé à l’AGO.

La recherche en provenance reste encore peu développée au Canada, surtout si l’on compare avec l’Europe et les États-Unis. Pourtant, ce cas d’étude démontre toute la pertinence d’entreprendre ces enquêtes ici : elles révèlent non seulement les zones d’ombre entourant certaines œuvres, mais contribuent aussi à mieux comprendre la mémoire culturelle et les responsabilités des institutions muséales.

La Conversation Canada

Monika Wright a reçu des financements du Groupe de recherche et de réflexion CIÉCO.

ref. Deux portraits, deux destins : voici comment des œuvres d’Otto Dix se sont retrouvées dans des musées canadiens – https://theconversation.com/deux-portraits-deux-destins-voici-comment-des-oeuvres-dotto-dix-se-sont-retrouvees-dans-des-musees-canadiens-263593

Le boom de la créatine : tendances et faits concernant les compléments alimentaires et leur utilisation

Source: The Conversation – in French – By Scott Mills, PhD Candidate, Kinesiology and Health Studies, University of Regina

La supplémentation en créatine connaît un essor marqué chez celles et ceux qui souhaitent accroître leur masse musculaire et améliorer leurs performances.

La créatine n’est certainement pas une découverte récente. Les premières recherches remontent en effet aux années 1830. Sa popularité, en revanche, constitue un phénomène nouveau. La vente de créatine dépasse désormais les milieux du culturisme et du sport de haut niveau. Elle trouve même des applications cliniques, ses effets dépassant le seul champ des performances musculaires.

La créatine est l’un des suppléments les plus étudiés, et les recherches récentes confirment son efficacité pour obtenir des résultats constants et mesurables en musculation, en mise en forme et pour la santé en général.

Bien que la créatine soit naturellement présente dans certains aliments (viande rouge, fruits de mer) et produite par l’organisme, l’usage de compléments a fortement augmenté, en particulier chez les jeunes hommes.

Cette popularité croissante s’explique en grande partie par le désir des jeunes hommes d’augmenter leur masse musculaire et leur force. Plusieurs méta-analyses ont examiné les effets de la créatine associés à un entraînement de résistance sur les propriétés musculaires et confirment son efficacité.

En termes simples, la créatine peut aider à maintenir le niveau d’énergie, en particulier lors d’exercices de courte durée et de haute intensité, comme la musculation.

Le rôle de la créatine dans l’organisme

Sur le plan physiologique, une fois ingérée, la majorité de la créatine est stockée dans les muscles sous forme de phosphocréatine (PCr). Sous cette forme, elle peut aider à maintenir le niveau d’énergie grâce au maintien de l’adénosine triphosphate (ATP), qui est la principale source d’énergie de l’organisme.

Comme la supplémentation en créatine augmente les réserves intramusculaires de créatine, elle peut permettre des séances de résistance plus intenses et plus longues, se traduisant par des gains supérieurs.

Les bienfaits de la créatine ne limitent toutefois pas aux performances musculaires. Des travaux décrivent des effets sur le stockage et le métabolisme du glucose, la dynamique de la circulation sanguine, les effets anti-inflammatoires ainsi que sur la cognition et les fonctions cérébrales, entre autres.

Posologie et sécurité

Côté dosage, les recommandations pour les hommes varient, mais en général, une dose quotidienne de cinq grammes de créatine, ou une dose personnalisée en fonction du poids corporel (0,1 gramme par kilogramme par jour), est généralement bien tolérée et efficace pour améliorer les performances musculaires.

Du point de vue de l’apport alimentaire, atteindre 5 g de créatine suppose, à titre d’exemple, de consommer environ 1,15 kg de bœuf ou 1 kg de porc. Même une alimentation riche en aliments contenant de la créatine risque donc de ne pas suffire à en maximiser les effets.

Ces aliments ont toutefois une teneur élevée en calories, ce qui fait que pour atteindre l’apport quotidien recommandé en créatine, un individu devra ingérer une grande quantité de calories. Les compléments alimentaires constituent à cet égard une option pratique et attrayante. Ils sont en effet non seulement facile à consommer, mais également pauvre en calories.

De plus, d’un point de vue financier, à environ 0,50 dollar par portion, il s’agit d’une stratégie simple et rentable pour atteindre les objectifs d’apport en créatine. Avec l’apparition de nouvelles formes de créatine (gélules, gommes et poudres aromatisées), il est facile de maintenir son apport.

En ce qui concerne la sécurité des compléments alimentaires à base de créatine, un document de synthèse publié par l’International Society of Sports Nutrition a conclu que la supplémentation en créatine n’entraîne pas plus d’effets indésirables chez les personnes en bonne santé que le placebo, même à des doses plus élevées.

Cela dit, la créatine n’a pas été épargnée par les critiques. Selon certaines anecdotes, la créatine pourrait avoir des effets secondaires indésirables. Cependant, des recherches sur les mythes et idées reçues courants concernant la créatine (notamment les préoccupations relatives à la rétention d’eau, la perte de cheveux et la déshydratation) ont largement dissipé bon nombre de ces craintes.


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L’entraînement en résistance est essentiel

Il est important de noter que si la consommation de créatine seule peut encore avoir certains effets positifs, c’est principalement la consommation de créatine associée à un entraînement en résistance qui apporte des bienfaits.

La musculation peut augmenter les mesures de croissance et de performance musculaires (puissance, force et endurance musculaires). Combiner musculation et créatine permet de maximiser les effets de cette dernière. La musculation est donc un élément essentiel pour obtenir les effets positifs de la créatine.

Rappelons enfin que la créatine n’est pas un nutriment essentiel. On peut améliorer croissance et performances musculaires en misant sur une alimentation de qualité, un programme de résistance personnalisé, un bon sommeil et une gestion du stress efficace. Un mode de vie sain est la base du bien-être, y compris pour développer efficacement sa masse musculaire.

La supplémentation en créatine a trouvé sa place chez ceux qui souhaitent augmenter leur masse musculaire et leurs performances. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches et est largement acceptée. Elle continue de gagner en popularité en raison de ses effets positifs lorsqu’elle est associée à un programme d’entraînement de résistance solide, de son profil de sécurité lorsqu’elle est consommée à des doses fondées sur des preuves et de son faible coût.

Bien que la supplémentation en créatine ne soit pas essentielle, elle peut constituer un choix pratique, abordable et efficace pour ceux qui recherchent des avantages en termes de croissance musculaire et au-delà.

La Conversation Canada

Scott Mills ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le boom de la créatine : tendances et faits concernant les compléments alimentaires et leur utilisation – https://theconversation.com/le-boom-de-la-creatine-tendances-et-faits-concernant-les-complements-alimentaires-et-leur-utilisation-263145

Au-delà de la loi Duplomb : débattre du droit à l’alimentation

Source: The Conversation – France (in French) – By Nicolas Pauthe, Maître de conférences en droit public, Le Mans Université

C’est une décision qui a fait grand bruit au cœur de l’été. Celle du Conseil constitutionnel de censurer l’article de la loi Duplomb qui prévoyait des dérogations à l’interdiction de certains pesticides comme l’acétamipride. La controverse qu’une telle loi a suscitée montre qu’un débat sur l’inscription du droit à l’alimentation dans la Constitution est nécessaire.


La décision du Conseil constitutionnel rendue le 7 août 2025 sur la loi Duplomb renforce la nécessité d’un débat à avoir sur l’alimentation. C’est un des besoins les plus fondamentaux des êtres humains, pourtant elle ne trouve pas de traduction juridique directe dans la constitution française. Sans droit constitutionnel à l’alimentation, les interventions du Conseil restent en effet limitées pour faire face aux difficultés que rencontre le système de production alimentaire en place.

Dans sa décision d’août dernier, le juge constitutionnel a censuré l’article 2 de la loi. Ce dernier prévoyait des cas de dérogation possible à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes. Étaient concernés par cette dérogation certains pesticides comme l’acétamipride, dont les effets néfastes pour la santé humaine et les écosystèmes ont pourtant été démontrés.

Le Conseil a motivé la censure de l’article 2 en expliquant que celui-ci n’encadrait pas assez les dérogations possibles pouvant permettre d’utiliser les pesticides en question. Le juge constitutionnel a donc empêché ces dispositions d’entrer en vigueur. À charge pour le législateur de proposer une nouvelle loi. Il pourrait ainsi réintroduire cette possibilité de dérogation en étant plus précis, en limitant notamment l’étendue des filières agricoles concernées. Il lui faudrait par exemple détailler celles pour lesquelles cette exception serait justifiée par la menace d’une particulière gravité compromettant leur production. Le sénateur Duplomb a d’ailleurs annoncé réfléchir à la rédaction d’un nouveau texte en ce sens. Dès lors, si victoire des opposants à la loi Duplomb il y a, sur ce point, celle-ci reste limitée.

Un rendez-vous démocratique pour repenser la production de notre alimentation

Si le débat de fond reste en effet loin d’être tranché, ce n’était pas au Conseil de le faire. Cette tâche incombe au pouvoir constituant. En agissant ainsi, le pouvoir constituant permettrait d’initier une réflexion plus large sur la manière de produire notre alimentation.

L’enjeu serait aussi de faire dialoguer deux camps en apparence irréconciliables au sein de la société. La démarche devrait donc rassembler le plus largement possible. Faire progresser le processus constitutionnel jusqu’au référendum permettrait à chacune et à chacun de contribuer à repenser notre destin alimentaire commun, puisque aucune disposition constitutionnelle n’aborde la question alimentaire, contrairement à de nombreuses constitutions dans le monde.

L’organisation d’un tel débat paraît respectueuse des deux camps opposés au sujet de la Loi Duplomb. Elle l’est, d’abord, à l’égard des partisans de cette loi. Ceux-ci mettent l’accent sur le fait que l’interdiction française de certains pesticides aurait pour conséquence l’importation de produits agricoles venant de pays où ces pesticides continuent à être autorisés. Dès lors, quelles solutions proposer tout en préservant l’économie et la santé des agriculteurs comme des mangeurs ?

Mais le débat irait également dans le sens des détracteurs du texte. Ils revendiquent quant à eux le développement d’une agriculture sans pesticides en utilisant, ou en recherchant des solutions alternatives. Le cœur du problème se situe de fait autour de notre production alimentaire. Aucun agriculteur n’a raisonnablement l’intention d’empoisonner les consommateurs avec le fruit de son travail. De même, aucun mangeur ne souhaite rationnellement la faillite des agriculteurs. En proie aux désaccords sur la loi Duplomb, la société doit se réunir lors d’un rendez-vous démocratique pour fixer un cadre renouvelé aux enjeux alimentaires. Celui-ci pourrait avoir lieu dans un avenir proche.

L’opportunité du droit constitutionnel à l’alimentation

Lors de la prochaine session parlementaire, le Sénat pourrait ainsi avoir à débattre d’une proposition de loi constitutionnelle à l’initiative des écologistes. Celle-ci vise à consacrer le droit à l’alimentation au sommet de la hiérarchie des normes. Le texte reprend l’article 38A de la constitution du canton de Genève en Suisse, adopté en 2023 par votation populaire, grâce au suffrage favorable de 67 % des votants :

« Le droit à l’alimentation est garanti. Toute personne a droit à une alimentation adéquate, ainsi que d’être à l’abri de la faim. »

L’adéquation est ici celle des aliments avec les choix des mangeurs. Cela inclut celui de ne pas consommer d’aliments cultivés avec des pesticides. Le droit à l’alimentation implique ainsi de mettre en place une alternative effective dans le choix des denrées alimentaires à disposition du mangeur. Dans le canton de Genève, le débat porte désormais sur la concrétisation de ce nouveau droit dans le cadre d’une loi qui pourrait être soumise à la discussion du Parlement en 2026.

En France, les sénateurs pourraient saisir l’occasion qui leur est donnée d’investir un débat de fond tout juste effleuré avec la loi Duplomb. La modification constitutionnelle qui pourrait en résulter aurait pour incidence de guider l’action future du Conseil constitutionnel. La jurisprudence environnementale du Conseil a une nouvelle fois progressé avec la décision du 7 août 2025. Certaines dispositions de la Charte de l’environnement, qui ont valeur constitutionnelle, étaient difficilement utiles ici pour contester l’autorisation de dérogation à l’interdiction des néoniotinoïdes. Par exemple, le principe de précaution de l’article 5 ne s’applique pas lorsque les risques sont avérés. Or ceux liés à l’utilisation de ces néonicotinoïdes sont bel et bien prouvés. Le Conseil a donc été plus ambitieux, en plaçant le droit à l’environnement sain et équilibré de l’article 1er au niveau des autres droits et libertés fondamentaux. Cette décision inédite laisse notamment entrevoir un développement possible de l’idée de non-régression du droit de l’environnement.

Mais l’évolution dans le cadre de laquelle s’inscrit la décision du 7 août dernier reste toujours lente et incertaine. Surtout, la dimension environnementale n’est que l’un des aspects du droit à l’alimentation. Quid du bien-être animal, de l’encouragement des circuits courts, ou de la rémunération des producteurs ? La réflexion sur l’alimentation doit en effet inclure le point de vue environnemental, mais elle doit aussi pouvoir être traitée de manière plus globale.

Des choix essentiels à faire

Plusieurs discussions pourraient alors être ouvertes par le débat sur la constitutionnalisation du droit à l’alimentation, prolongeant la controverse suscitée par le feuilleton estival autour de la loi Duplomb.

Tout d’abord, quelle forme de souveraineté alimentaire développer ? La Déclaration sur les droits des paysans adoptée en 2018 par l’Assemblée générale des Nations unies, mais non contraignante pour la France, reconnaît par exemple

« le droit des peuples de définir leurs systèmes alimentaires et agricoles et le droit à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes écologiques et durables respectueuses des droits de l’homme ».

Le gouvernement semble, lui, opter pour l’exportation des produits agricoles en vue d’accentuer la compétitivité des acteurs économiques, au prix de régressions environnementales assumées. Ce choix a également pour incidence de faire dépendre notre modèle agricole de l’importation importante de pesticides et engrais chimiques, ce qui semble contradictoire avec l’idée de souveraineté.

Ensuite, comment rendre cohérent le droit français avec les engagements extérieurs ? Le droit constitutionnel à l’alimentation inciterait la France à appliquer ses engagements internationaux. Certains textes consacrent le droit à l’alimentation, comme l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, selon lequel :

« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation […]. »

Mais l’efficacité du droit international en la matière reste faible, car ces textes n’ont pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne et les autorités françaises n’ont pas pris de mesures suffisantes pour les rendre effectifs. De même, la controverse sur la production de l’alimentation ne saurait être levée sans une réflexion au niveau européen. À cet égard, l’alimentation doit-elle encore être traitée comme une marchandise ordinaire ?

Enfin, comment concrétiser le droit à l’alimentation ? La réflexion devra se prolonger sur les contours et le contenu d’une loi-cadre. Celle-ci pourrait notamment définir les compétences d’intervention de chaque niveau décisionnel au service d’une telle concrétisation. Comment par exemple encourager et renforcer les pratiques de « démocratie alimentaire » qui pullulent déjà à l’échelon local ?

Dans l’attente d’un débat national sur ces questions, les signataires de la pétition contre la loi Duplomb auront bientôt l’occasion de faire entendre à nouveau leur voix, sur la scène continentale cette fois. Le 8 juillet, la Commission européenne a enregistré une initiative citoyenne visant à faire reconnaître le droit à l’alimentation au sein de l’Union, et à promouvoir « des systèmes alimentaires sains, justes, humains et durables pour les générations actuelles et futures ». Les citoyens pourront prochainement y joindre leur signature. La Commission aura alors la possibilité de décider d’agir dans le sens escompté si le million de signatures est atteint, réparties entre au moins sept États membres.

Débattre d’une constitutionnalisation du droit à l’alimentation placerait ainsi la France au cœur des enjeux européens. Cela lui permettrait de mieux faire entendre sa voix le moment venu en montrant l’exemple à ses partenaires.

The Conversation

Nicolas Pauthe est membre du CURAPP-ESS de l’Université de Picardie Jules Verne et de la Société Française de Droit de l’Environnement (SFDE). Il est également associé au CERCCLE de l’Université de Bordeaux

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Malthus, penseur d’une humanité soumise à des limites naturelles

Source: The Conversation – France in French (3) – By Roy Scranton, Associate Professor of English, University of Notre Dame

Un portrait de Thomas Malthus, par John Linnell. Wellcome Collection/Wikimedia Commons, CC BY

L’économiste britannique Thomas Malthus (1766-1834) a longtemps été dénigré pour sa vision négative du progrès. Mais, dans un contexte de crise écologique aiguë, sa pensée d’un monde limité mérite d’être revisitée.


Personne n’utilise le terme « malthusien » comme un compliment. Depuis 1798, date à laquelle l’économiste et ecclésiastique Thomas Malthus a publié pour la première fois Essai sur le principe de population, la position « malthusienne » – l’idée que les humains sont soumis à des limites naturelles – a été vilipendée et méprisée. Aujourd’hui, ce terme est utilisé pour désigner toute personne qui ose remettre en question l’optimisme d’un progrès infini.

Malheureusement, presque tout ce que la plupart des gens pensent savoir sur Malthus est faux.

Voici l’histoire telle qu’elle s’est déroulée : il était une fois un pasteur anglais qui eut l’idée que la population augmente à un rythme « géométrique », tandis que la production alimentaire augmente à un rythme « arithmétique ». Autrement dit, la population double tous les vingt-cinq ans, tandis que les rendements agricoles augmentent beaucoup plus lentement. À terme, une telle divergence ne peut que conduire à une catastrophe.

Mais Malthus a identifié deux facteurs qui réduisaient la reproduction et empêchaient la catastrophe : les codes moraux, ou ce qu’il appelait les « freins préventifs », et les « freins positifs », tels que l’extrême pauvreté, la pollution, la guerre, la maladie et la misogynie. Malthus fut caricaturé comme un ecclésiastique borné, mauvais en mathématiques, qui pensait que la seule solution à la faim était de maintenir les pauvres dans la pauvreté afin qu’ils aient moins d’enfants.

L’étude de Malthus révèle un personnage très différent. Comme je l’explique dans mon livre publié en 2025, Impasse : Le changement climatique et les limites du progrès, ce dernier était un penseur novateur et perspicace. Non seulement, il fut l’un des fondateurs de l’économie environnementale, mais il s’est également révélé être un critique prophétique de la croyance selon laquelle l’histoire tend vers l’amélioration humaine, ce que nous appelons le progrès.

Dieu et la science

Malthus était familier de l’idée de progrès. Élevé par des protestants anglais progressistes qui prônaient la séparation de l’Église et de l’État, il fut formé par l’abolitionniste radical Gilbert Wakefield. Son père était un ami et admirateur du philosophe Jean-Jacques Rousseau qui inspira la Révolution française.

Malgré une déformation labio-palatine, Malthus s’est distingué à Cambridge, où il a étudié les mathématiques appliquées, l’histoire et la géographie. Entrer dans les ordres était un choix courant pour les jeunes hommes instruits de condition modeste, et Malthus a pu obtenir un presbytère à Wotton, dans le Surrey. Mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il renonçait à son intérêt pour les sciences sociales.

Son Essai sur le principe de population a été influencé par les opinions religieuses de Malthus, mais aussi par une démarche empirique, notamment au fil des éditions successives. Son argumentation sur les taux de croissance géométrique et arithmétique par exemple, s’appuyait sur la croissance démographique rapide observée dans les colonies américaines.

Une peinture aux couleurs sourdes représentant une poignée de personnes travaillant dans un champ de céréales, tandis qu’un homme est assis sur un cheval à proximité
Les moissonneurs, par l’artiste britannique du XVIIIᵉ siècle George Stubbs.
Tate Britain/Yorck Project via Wikimedia

Elle s’inspirait également de ce qu’il observait autour de lui. Au cours des dernières décennies du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne a été ravagée par des pénuries alimentaires et des émeutes répétées. La population est passée de 5,9 millions à 8,7 millions d’habitants, soit une augmentation de près de 50 %, tandis que la production agricole stagnait. En 1795, les Londoniens affamés ont pris d’assaut le carrosse du roi George III pour réclamer du pain.

Inépuisable optimisme

Mais pourquoi Malthus s’intéressait-il aux questions de population ? Comme il l’explique lui-même, son essai a été inspiré par une discussion avec un ami au sujet du journaliste et romancier William Godwin, mieux connu aujourd’hui comme le père de Mary Shelley, autrice de Frankenstein.

Malthus et Godwin avaient des parcours similaires. Tous deux issus de familles de la classe moyenne, ils avaient fait leurs études dans des écoles progressistes et avaient commencé leur carrière comme pasteurs. Mais le radicalisme extrême de Godwin l’opposa à ses compagnons, et il quitta rapidement la chaire pour se consacrer à l’écriture.

Le livre qui a fait la renommée de Godwin et provoqué Malthus est Enquête sur la justice politique, publié en 1793. Aujourd’hui, il est considéré comme un texte fondateur de l’anarchisme philosophique. À l’origine, cependant, l’Enquête, de Godwin était perçue comme une expression tonitruante du progressisme des Lumières.

Portrait sombre et peint d’un homme aux cheveux bruns, vu de profil
Portrait de William Godwin par James Northcote, aujourd’hui conservé à la National Portrait Gallery de Londres.
Dea Picture Library/De Agostini via Getty Images

Godwin affirmait que tous les problèmes sociaux pouvaient être éliminés par une application correcte de la raison. Il prônait l’abolition du mariage, la redistribution des biens et la suppression du gouvernement. De plus, il affirmait que le progrès conduisait inévitablement à un monde utopique, où les humains n’auraient plus besoin de se reproduire, car ils seraient immortels :

« Il n’y aura plus de guerre, plus de crimes, plus d’administration de la justice, telle qu’on l’appelle, ni de gouvernement… Mais en plus de cela, il n’y aura plus de maladie, plus d’angoisse, plus de mélancolie ni de ressentiment. Chaque homme recherchera avec une ardeur ineffable le bien de tous. »

Godwin assurait à ses lecteurs que tout cela se produirait en temps voulu, uniquement en s’appuyant sur un débat rationnel.

Depuis son presbytère pauvre de Wotton, Malthus voyait les choses différemment. L’historien Robert Mayhew décrit Wotton à l’époque comme une friche industrielle affligée par « la pauvreté agraire… des taux de natalité élevés et une espérance de vie courte ». L’étude de l’histoire a conduit Malthus à conclure que les sociétés n’évoluaient pas selon une ligne ascendante de progrès, mais selon des cycles d’expansion et de déclin. L’histoire utopique selon Godwin paraissait pourtant en décalage avec la réalité.

La réforme – dans des limites raisonnables

Malthus chercha à démystifier le progressisme grandiloquent de Godwin. Mais il ne dit pas que le changement positif était impossible, seulement qu’il était limité par les lois de la nature.

L’Essai sur les principes de la population fut une tentative pour déterminer où se situaient certaines de ces limites, afin que les politiques puissent répondre efficacement aux problèmes sociaux, plutôt que de les exacerber en essayant de réaliser l’impossible. En tant qu’écrivain et membre actif du parti whig, Malthus était un réformateur qui prônait, entre autres, la gratuité de l’enseignement national, l’extension du droit de vote, l’abolition de l’esclavage et la gratuité des soins médicaux pour les pauvres.

Depuis, la science et l’industrie ont fait des progrès incroyables, entraînant des changements que Malthus aurait difficilement pu imaginer. Lorsque son essai a été publié, la population mondiale était d’environ 800 millions d’individus. Aujourd’hui elle dépasse les 8 milliards, soit une multiplication par dix en un peu plus de deux siècles.

Au cours de cette période, les partisans du progrès ont rejeté l’idée selon laquelle les êtres humains étaient soumis à des limites naturelles et ont dénigré quiconque remettait en question le fantasme d’une croissance infinie comme étant « malthusien ». Pourtant, Malthus demeure important, car son analyse pessimiste de la société exprime clairement une idée qui résiste : les lois de la nature s’appliquent à la société humaine.

En effet, « la grande accélération » du développement humain et de son impact au cours des 80 dernières années pourrait avoir conduit la société à un point de rupture. Les scientifiques avertissent que nous avons dépassé six des neuf limites planétaires pour une vie soutenable et que nous sommes sur le point de franchir une septième limite.

L’une de ces limites est un climat stable. Le réchauffement climatique menace non seulement d’élever le niveau des mers, d’augmenter les incendies de forêt et des tempêtes violentes, mais aussi d’amplifier la sécheresse et de perturber l’agriculture mondiale.

Malthus n’avait peut-être pas prévu les développements qui ont alimenté la croissance démographique au cours des deux derniers siècles. Mais sa vision fondamentale des limites de la croissance n’en est devenue que plus pertinente. Alors que nous sommes confrontés à une crise écologique mondiale qui s’accélère, il est peut-être temps de revisiter la pensée pessimiste d’un monde limité. Reconsidérer ce que nous entendons par « malthusien » pourrait être un bon point de départ.

The Conversation

Roy Scranton a reçu des financements de la Fondation John-Simon-Guggenheim.

ref. Malthus, penseur d’une humanité soumise à des limites naturelles – https://theconversation.com/malthus-penseur-dune-humanite-soumise-a-des-limites-naturelles-263772