Source: The Conversation – in French – By Scott J. Davidson, Assistant Professor in Wetland Carbon Dynamics, Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL), Université du Québec à Montréal (UQAM)
Les tourbières comptent parmi les écosystèmes les plus importants au monde, mais sont souvent peu considérées. Bien qu’elles ne couvrent qu’une petite partie de la surface terrestre, ces zones humides abritent les sols les plus riches en carbone de la planète.
Des tourbières en bonne sa nté influencent les cycles hydrologiques, favorisent une biodiversité unique et soutiennent les communautés. Malgré leur importance, nous ne disposons toujours pas d’une vision claire de leur évolution au fil du temps.
Lorsqu’elles sont asséchées, dégradées ou brûlées, les tourbières libèrent le carbone qu’elles contiennent dans l’atmosphère. Depuis 1700, l’être humain a drainé plus de trois millions de kilomètres carrés de zones humides, ce qui signifie que nous avons perdu un potentiel de séquestration du carbone considérable à l’échelle mondiale. La compréhension et la préservation des tourbières encore présentes revêtent d’autant plus d’importance.
Jusqu’ici, les recherches sur les tourbières se sont concentrées sur quelques sites bien documentés, souvent situés dans des régions tempérées ou boréales. Cependant, les changements climatiques, les pressions liées à l’utilisation des terres et les conditions météorologiques extrêmes affectent les tourbières partout, y compris dans des régions éloignées, tropicales et peu étudiées.
Pour prédire l’évolution de ces milieux, nous avons besoin de données fréquentes sur différents types d’habitats tourbeux qui permettent de suivre leur transformation au fil des saisons et des années.
Pour notre étude récente, nous avons eu recours à la participation citoyenne, à des technologies facilement accessibles et à un réseau de recherche afin de réunir des données selon une approche de données distribuées. Les informations sont recueillies selon une méthodologie standardisée : où qu’il se trouve, chacun collecte des données similaires en utilisant les mêmes méthodes.
(Scott J Davidson)
Suivre les changements
Intitulée The PeatPic Project, notre étude a utilisé la photographie par téléphone intelligent pour amasser des données. Nous avons pris contact avec des chercheurs spécialisés dans les tourbières d’un peu partout, via les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille, et leur avons demandé de collecter des images de leurs tourbières en 2021 et 2022. Nous avons ainsi recueilli plus de 3 700 photographies provenant de 27 tourbières situées dans 10 pays.
Nous avons analysé ces photographies afin d’étudier la couleur des plantes et de déterminer leur degré de verdure tout au long de l’année, ce qui nous a permis d’obtenir des informations précieuses sur la végétation. Les changements dans la couleur verte des feuilles permettent de reconnaître le moment où les plantes commencent leur saison de croissance.
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Ces transformations indiquent également le degré de verdure ou de santé des plantes, la quantité de nutriments qu’elles absorbent, ainsi que le moment où elles brunissent à l’automne. Elles peuvent aussi signaler des variations dans les conditions d’humidité ou de nutriments, un stress thermique ou des perturbations.
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Ce type de travaux, menés par une communauté mondiale de chercheurs, élargit la portée des données. Des observateurs locaux peuvent enregistrer les changements saisonniers, les niveaux d’eau, la couleur ou la couverture végétale, l’utilisation des terres ou les perturbations à l’aide de leur téléphone. Grâce à une formation, à des protocoles normalisés, à des métadonnées de qualité et à la validation, la communauté peut générer des données fiables. Ces méthodes permettent de réduire les coûts, d’augmenter la quantité de données mises à la disposition des scientifiques et de renforcer la gestion locale ainsi que les réseaux mondiaux.

(Avni Malhotra)
Des prévisions plus fiables sur le fonctionnement des tourbières ne concernent pas seulement les chercheurs, elles sont essentielles pour atténuer les effets des changements climatiques, protéger la biodiversité, garantir la qualité de l’eau et réduire les risques liés aux catastrophes telles que les incendies et les sécheresses.
Les informations tirées d’images peuvent être converties en représentations mathématiques du comportement des plantes, puis ajoutées aux jumeaux numériques des tourbières.
Grâce à ces jumeaux, les experts peuvent simuler des scénarios hypothétiques. Par exemple, que se passe-t-il si le drainage augmente après un incendie de forêt ou si l’on entreprend une opération de restauration ? Cependant, pour construire des jumeaux numériques utiles, il faut détenir des données sur tous les biomes, toutes les saisons et à toutes les échelles.
Et la suite ?
Nous disposons désormais d’outils et de technologies facilement accessibles qui nous permettent de surveiller les tourbières comme jamais auparavant. Toutefois, pour aller plus loin, il faut agir sur plusieurs fronts :
Les réseaux de recherche doivent élaborer, diffuser et adopter des protocoles et des pratiques standardisés afin que les données provenant de différents endroits et sources puissent être combinées, comparées et mises à l’échelle.
Les populations locales peuvent prendre part à l’observation. La formation, la co-conception, l’équité et la reconnaissance sont essentielles. Les observations locales grâce, notamment, à des photographies prises avec des téléphones, peuvent alimenter le processus décisionnel.
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Le public peut participer en soutenant les politiques qui financent ces travaux, en collaborant à des initiatives scientifiques locales et en sachant que de simples photos d’un téléphone intelligent peuvent grandement contribuer à la compréhension du fonctionnement de notre planète.
Le projet PeatPic nous a inspirés pour créer une autre initiative scientifique communautaire intitulée Tracking the Colour of Peatlands (Suivre l’évolution de la couleur des tourbières). Ce projet concerne 16 tourbières situées dans le monde entier et invite le public à prendre des photos à différents moments de l’année à des points fixes afin de dresser un tableau des changements subis par l’écosystème au fil des saisons.
Les tourbières ne sont pas des écosystèmes isolés. Elles sont importantes pour les populations, le climat, l’eau et la biodiversité. Grâce à la collecte de données distribuées à l’échelle mondiale et à des outils accessibles tels que les téléphones intelligents, nous pouvons observer l’évolution des tourbières, prévoir les zones les plus menacées et agir avant qu’une crise ne survienne.
L’avenir des tourbières, ainsi que celui des cycles du carbone et de l’eau sur Terre, dépend de notre capacité à observer, enregistrer, diffuser et agir ensemble face aux phénomènes actuels.
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Scott J. Davidson reçoit un financement du ministère de l’Environnement du Québec. Il est membre du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL), un réseau financé par le FRQNT.
Les recherches d’Avni Malhotra ont été soutenues par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.
– ref. Les tourbières sont essentielles pour nos écosystèmes, mais elles sont peu considérées et peu étudiées – https://theconversation.com/les-tourbieres-sont-essentielles-pour-nos-ecosystemes-mais-elles-sont-peu-considerees-et-peu-etudiees-267721







