Les réseaux sociaux d’entreprises favorisent-ils vraiment le partage de connaissances ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Christine Abdalla Mikhaeil, Assistant professor in information systems, IÉSEG School of Management

Avec le développement du télétravail, les réseaux sociaux d’entreprise sont devenus indispensables pour partager des connaissances. Mais l’outil ne fait pas tout. Trois obstacles en limitent l’efficacité. Accompagnés d’autres solutions, ils peuvent être des outils redoutablement efficaces.


Alors que 2 salariés sur 3 parmi les cadres ont eu recours au télétravail entre 2022 et 2024, le mode d’organisation hybride, alternant entre télétravail et présentiel, présente des défis majeurs pour le partage des connaissances et l’apprentissage organisationnel. L’un comme l’autre est rendu à la fois plus complexe et davantage nécessaire en raison de l’éloignement des personnes. La distance physique et la dispersion des équipes complexifient notamment l’apprentissage vicariant. Ce terme désigne un processus essentiel d’acquisition de connaissances par l’observation des actions, des résultats et de leurs conséquences chez ses collègues [ plutôt qu’en expérimentant soi-même les résultats de ses propres actions]

Les réseaux sociaux d’entreprises tels que les Intranet, mais aussi les outils comme Teams ou Slack ont été déployés pour encourager l’apprentissage collaboratif et pallier le manque d’interactions directes. Cependant, leur efficacité est souvent compromise par le paradoxe de la visibilité. Bien que la visibilité sur ces plates-formes soit censée faciliter l’apprentissage vicariant et le partage des connaissances en général, elle engendre aussi des enjeux de crédibilité, une surcharge d’information et une sélectivité des réponses, transformant potentiellement ces outils en obstacles à l’échange.

Notre article explore ce phénomène, où une visibilité initialement bénéfique crée des tensions et des entraves inattendues à l’apprentissage vicariant en ligne. Il repose sur une étude de cas menée au sein d’un cabinet de conseil, où les consultants sont habitués au travail à distance et aux plates-formes digitales. Trois tensions ont été identifiées.

Actualisation des compétences

La première concerne la dynamique d’apprentissage et la préservation de la crédibilité. Dans les cabinets de conseil, l’expertise des consultants est primordiale. Ils doivent constamment actualiser leurs compétences pour répondre aux questions et aux attentes des clients et se montrer compétents. Cette exigence crée une tension entre le besoin d’apprendre, nécessaire pour aborder de nouveaux projets, et la nécessité de préserver une image d’expert en évitant de montrer leurs limites, comme nous le rappelle un consultant :

« Il faut toujours rester à jour, car un consultant doit toujours être au courant des dernières évolutions » et être capable de « répondre aux questions du type “Alors, toi, tu ferais quoi ? ”, “ Comment tu t’y prendrais ? ” ou encore “ Qu’as-tu vu chez d’autres clients ? ” ».

La visibilité sur les réseaux sociaux d’entreprise exacerbe cette tension, incitant certains consultants à apprendre discrètement, en dehors des heures de travail ou sur des plates-formes externes anonymes, et à contrôler soigneusement le contenu qu’ils partagent pour ne pas nuire à leur crédibilité.

Trop d’informations tuent l’information ?

La deuxième tension est liée à la surcharge d’information et à la dépendance aux réseaux personnels. Les consultants utilisent les réseaux sociaux d’entreprise pour compenser le manque de partage d’expériences en présentiel et maintenir leur réseau. Cependant, l’abondance de communications peut entraîner une surcharge cognitive, rendant difficile l’identification des informations pertinentes et rapidement exploitables pour répondre aux contraintes de temps des projets. Comme le souligne un consultant,

« Il y a tellement de sources d’information aujourd’hui qu’on ne sait plus où chercher ! »

Paradoxalement, une plus grande visibilité des échanges peut conduire à une forme d’opacité due au volume d’informations. Face à cela, les consultants ont tendance à se tourner vers leurs réseaux personnels de confiance, constitués de collègues actuels ou anciens, via des outils de communication directe comme Skype, Teams ou WhatsApp, pour obtenir rapidement des informations précises. Bien que cela réponde à leurs besoins individuels, cela limite le partage d’expériences à un cercle restreint et réduit l’apprentissage collectif au sein de l’organisation.




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Gérer le temps

La troisième tension concerne la disponibilité des sources de connaissances et la sélectivité des réponses. Les réseaux sociaux d’entreprise offrent aux consultants un accès à une diversité d’expertises et de retours d’expérience. Cependant, les experts ne peuvent pas répondre « à toutes les sollicitations » car ils n’ont « tout simplement pas le temps ». Ils ont alors tendance à prioriser les sollicitations provenant de leurs relations établies, de leurs équipes directes ou celles jugées urgentes, renforçant ainsi les réseaux personnels existants au détriment de l’établissement de nouveaux contacts et de l’élargissement des échanges.

Une étude de l’Association for Talent Development révèle par ailleurs une baisse significative des heures de formation par collaborateur, passant de 32,9 heures en 2021 à 20,7 heures en 2022 selon cette étude réalisée auprès de 454 organisations (principalement américaines bien que certaines puissent provenir d’autres pays) représentant une grande diversité de tailles d’entreprises et de secteurs d’activité. Cette diminution souligne l’importance des réseaux sociaux d’entreprise comme outils potentiels de partage de connaissances, tout en mettant en lumière les défis à surmonter pour qu’ils soient réellement efficaces.

Pour naviguer dans ce paradoxe de la visibilité, les consultants adoptent diverses stratégies. Outre l’apprentissage discret et le contrôle du contenu partagé, ils s’appuient fortement sur leurs réseaux personnels pour obtenir des informations rapidement. Cependant, ces stratégies, bien qu’efficaces individuellement, limitent l’apprentissage collectif et la transparence organisationnelle.

Des référents pour la curation

Pour surmonter le paradoxe de la visibilité et optimiser le potentiel des réseaux sociaux d’entreprise pour l’apprentissage continu et collaboratif, les organisations doivent adopter des stratégies proactives. Il est essentiel d’encourager la création et le développement de réseaux personnels au sein de l’entreprise, notamment par l’organisation régulière d’événements de networking en présentiel. Ces relations interpersonnelles favorisent la fluidité du partage des connaissances, particulièrement dans un contexte de travail hybride.

Un autre levier est d’encourager la curation de contenu en désignant des référents pour les thématiques clés. Ces « courtiers » de connaissances seraient responsables de gérer et de mettre en avant le contenu pertinent sur les réseaux sociaux d’entreprise, réduisant ainsi la surcharge d’information et soulageant les experts de sollicitations excessives.

Évaluer régulièrement les outils numériques

Il est également crucial de promouvoir une culture d’entreprise qui valorise le partage d’expériences, y compris les échecs, afin de créer un environnement de confiance et de transparence. En valorisant l’apprentissage collectif via les réseaux sociaux d’entreprises et en récompensant les contributions visibles, les organisations peuvent réduire le recours à des stratégies d’évitement comme l’anonymat.


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Enfin, les départements des systèmes d’information, en collaboration avec les experts opérationnels, doivent s’assurer que les outils numériques sont utilisés de manière optimale et répondent réellement aux besoins des collaborateurs, en procédant à des évaluations régulières.

En résumé, pour que les réseaux sociaux d’entreprises jouent pleinement leur rôle dans l’apprentissage vicariant en environnement hybride, les organisations doivent réévaluer leur gestion des connaissances, renforcer les relations interpersonnelles, encourager une culture de partage et optimiser les outils numériques afin d’atténuer les effets du paradoxe de la visibilité et de faire de cette visibilité un véritable atout pour l’apprentissage organisationnel.

The Conversation

Christine Abdalla Mikhaeil is a member of the Association for Information Systems (AIS)

Myriam Benabid ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les réseaux sociaux d’entreprises favorisent-ils vraiment le partage de connaissances ? – https://theconversation.com/les-reseaux-sociaux-dentreprises-favorisent-ils-vraiment-le-partage-de-connaissances-252824

Petit guide du management toxique : comment faire fuir vos salariés en 6 leçons

Source: The Conversation – France (in French) – By George Kassar, Full-time Faculty, Research Associate, Performance Analyst, Ascencia Business School

Si la gestion de la performance n’est pas mise en œuvre de manière adéquate, elle peut devenir un formidable outil pour démotiver, épuiser et pousser au départ vos collaborateurs. PeopleImages.comYuri A/Shutterstock

La recherche en gestion de performance offre une gamme complète de pratiques managériales toxiques à appliquer sans modération pour faire fuir les talents les plus précieux. Si ces conseils sont à prendre au second degré, ces pratiques restent bien réelles dans la gestion quotidienne de certains managers.


Qui a dit que la principale ressource d’une entreprise, et son véritable avantage concurrentiel, résidait dans ses employés, leur talent ou leur motivation ?

Après tout, peut-être souhaitez-vous précisément vider vos bureaux, décourager durablement vos collaborateurs et saboter méthodiquement votre capital humain.

Dans ce cas, la recherche en gestion de performance vous offre généreusement tout ce dont vous avez besoin : une gamme complète de pratiques managériales toxiques à appliquer sans modération pour faire fuir les talents les plus précieux.

En fait, la gestion de la performance, issue des pratiques de rationalisation au début du XXe siècle, est devenue aujourd’hui un élément clé du management moderne. En théorie, elle permet d’orienter l’action des équipes, de clarifier les attentes et de contribuer au développement individuel. En pratique, si elle n’est pas mise en œuvre de manière adéquate, elle peut également devenir un formidable outil pour démotiver, épuiser et pousser au départ vos collaborateurs les plus précieux.

Voici comment :

Management par objectifs flous

Commencez par fixer des objectifs vagues, irréalistes ou contradictoires. Surtout, évitez de leur donner du sens ou de les relier à une stratégie claire, et évidemment ne pas leur assurer les ressources appropriées. Bref, adoptez les « vrais » objectifs SMART : Stressants, Mesurés arbitrairement, Ambigus, Répétés sans contexte, Totalement déconnectés du terrain !

Selon les recherches en psychologie organisationnelle, cette approche garantit anxiété, confusion et désengagement parmi vos équipes, augmentant significativement leur intention de quitter l’entreprise.


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Le silence est d’or

Éviter toute forme de dialogue et de communication. Ne donnez jamais de feedback. Et si vraiment vous ne pouvez pas l’éviter, faites-le rarement, de manière irrégulière, strictement détachée du travail, et portez-le plutôt sur une critique de la personne. L’absence d’un retour d’information régulier, axé sur les tâches et exploitable, laisse les employés dans l’incertitude et les surprend au moment de l’évaluation et mine progressivement leur engagement.

Plus subtilement encore, c’est la manière dont vos employés interprètent vos intentions, et le feedback que vous leur donnez, qui compte le plus. Attention, lorsqu’il est perçu comme ayant une intention constructive, il risque de renforcer la motivation à apprendre et l’engagement. Mais lorsque ce même feedback est perçu comme incité par des intérêts personnels du manager (attribution égoïste), il produit l’effet inverse : démotivation, repli et départ.

« Procès » d’évaluations de performance

Organisez des entretiens annuels où vous ne relevez que les erreurs et oubliez totalement les réussites ou les efforts invisibles. Soyez rigide, critique, et concentrez-vous uniquement sur les faiblesses. Prenez soin de vous attribuer tout le mérite lorsque l’équipe réussit – après tout, sans vous, rien n’aurait été possible. En revanche, lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur, n’hésitez pas à pointer les erreurs, à individualiser la faute et à rappeler que « vous aviez pourtant prévenu ».

Ce type d’évaluation de performance, mieux vaut le qualifier de procès punitif, garantit une démotivation profonde et accélère la rotation des équipes.




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Compétition interne poussée à l’extrême

Favorisez une culture de rivalité entre collègues : diffusez régulièrement des classements internes, récompensez uniquement les meilleurs, éliminer systématiquement les moins bien classés, dévaloriser l’importance de la coopération, et laisser la concurrence interne faire le reste. Après tout, ce sont les caractéristiques essentielles de la « célèbre » méthode que Jack Welch a popularisée chez General Electric.

Si vous remarquez un possible élan de motivation à court terme, ne vous inquiétez pas, les effets de la « Vitality Curve » de Jack Welch seront, à terme, beaucoup plus néfastes que bénéfiques. La féroce concurrence interne vous sera un excellent outil de détruire la confiance entre coéquipiers, de créer une atmosphère toxique durable et d’augmenter le nombre de départs volontaires.

Ignorez le bien-être : surtout, restez sourd

Nous avons déjà établi qu’il fallait éviter le feedback et tout dialogue. Mais si, par malheur, un échange survient, surtout n’écoutez pas les plaintes ni les signaux d’alerte liés au stress ou à l’épuisement. Ne proposez aucun soutien, aucun accompagnement, et bien sûr, ignorez totalement le droit à la déconnexion.

En négligeant la santé mentale et en refusant d’aider vos employés à trouver du sens à leur travail – notamment lorsqu’ils effectuent des tâches perçues comme ingrates ou difficiles – vous augmentez directement l’éventualité de burn-out et d’absentéisme chronique

De plus, privilégiez systématiquement des primes de rémunération très variables et mal conçues : cela renforcera l’instabilité salariale des employés et tuera ce qui reste d’engagement.

L’art d’user sans bruit

Envie d’aller plus loin dans l’art de faire fuir vos équipes ? Inspirez-vous de ce que la recherche classe parmi les trois grandes formes de violence managériale. Il s’agit de pratiques souvent banalisées, telles que micro-gestion, pression continue, absence de reconnaissance ou isolement, qui génèrent une souffrance durable. Ces comportements, parfois invisibles mais répétés, finissent par user les salariés en profondeur, jusqu’à les pousser à décrocher, mentalement puis physiquement jusqu’à rupture.


Évidemment, ces conseils sont à prendre au second degré !

Pourtant, les pratiques toxiques décrites ici restent malheureusement bien réelles dans la gestion quotidienne de certains managers. Si l’objectif est véritablement de retenir les talents et d’assurer le succès durable d’une entreprise, il devient indispensable d’orienter la gestion de la performance autour du sens, de l’équité et du développement authentique du potentiel humain.

The Conversation

George Kassar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Petit guide du management toxique : comment faire fuir vos salariés en 6 leçons – https://theconversation.com/petit-guide-du-management-toxique-comment-faire-fuir-vos-salaries-en-6-lecons-260438

Les lyssavirus, de rares mais mortels virus de chauve-souris

Source: The Conversation – in French – By Vinod Balasubramaniam, Associate Professor (Molecular Virology), Monash University

Le lyssavirus a été isolé dans plusieurs espèces de chauves-souris australiennes, notamment les renards volants tels que celui figurant sur cette photographie. Ken Griffiths/Getty Images

Début juillet 2025, un quinquagénaire australien vivant en Nouvelle-Galles du Sud est mort des conséquences d’une contamination par un lyssavirus, et ce plusieurs mois après avoir été mordu par une chauve-souris.

Ce décès porte à quatre le nombre de cas humains d’infection connus depuis la découverte du virus responsable, le lyssavirus austral (Lyssavirus australis, aussi appelé « australian bat lyssavirus » ou ABLV), dans la région du Queensland, en 1996. À l’époque, il avait été isolé dans une chauve-souris frugivore, le renard volant noir (Pteropus alecto). Ce nouveau cas est également le premier cas humain confirmé Nouvelle-Galles du Sud.

Que faut-il savoir de ce genre de virus, dont certains membres circulent aussi en Europe ? Que faire en cas de contact avec une chauve-souris ? Les réponses.

Un proche parent du virus de la rage

Le lyssavirus austral, qui infecte principalement les chauves-souris (chiroptères) australiennes, appartient à la famille des Rhabdoviridae, laquelle compte aussi parmi ses membres le virus de la rage.

En Australie, les données de surveillance suggèrent que moins de 1 % des chauves-souris en bonne santé sont porteuses de ce virus. La prévalence atteint en revanche 5 à 10 % chez les individus malades ou blessés. L’infection est souvent asymptomatique, même si certains chiroptères présentent parfois des symptômes neurologiques tels que désorientation, agressivité, spasmes musculaires et paralysie. Il arrive aussi que les individus contaminés par ce genre de virus en meurent.




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Ce lyssavirus a déjà été isolé dans des individus appartenant aux quatre espèces de renards volants du continent (Pteropus alecto, P. poliocephalus, P. scapulatus et P. conspicillatus) ainsi que chez une espèce de micro-chauve-souris, la roussette à ventre jaune (Saccolaimus flaviventris). Des données sérologiques (recherche d’anticorps dirigés contre ce virus dans le sang de chauve-souris, ce qui constitue la preuve d’une infection) suggèrent que d’autres micro-espèces pourraient également y être sensibles.

Il convient donc de faire preuve de prudence, et de considérer que toutes les espèces de chauves-souris australiennes sont potentiellement porteuses du lyssavirus.

Des infections rares, mais potentiellement mortelles

Contrairement à la rage, qui est à l’origine d’environ 59 000 décès humains par an, principalement en Afrique et en Asie, l’infection humaine par le lyssavirus des chauves-souris australiennes reste extrêmement rare.

Il faut souligner que si ce lyssavirus est propre à l’Australie, d’autres lyssavirus, tels que les lyssavirus des chauves-souris européennes (« European bat lyssaviruses » ou EBLVs types 1 et 2), circulent également. Ils ont eux aussi déjà été à l’origine d’infections humaines, quoique très occasionnellement (des lyssavirus de chauve-souris circulent également sur les autres continents : Amérique du Nord et du Sud, Asie, Afrique ; si les cas humains identifiés sont rares, selon l’Organisation mondiale de la Santé leur nombre pourrait être sous-estimé en raison des limitations en matière de surveillance et de caractérisation de ces virus, ndlr).

La transmission du virus à l’être humain se fait par contact direct avec la salive de chauves-souris infectées, via des morsures, des griffures ou lorsque la peau est lésée. L’exposition au virus peut également se produire lorsque ladite salive entre en contact avec les muqueuses (yeux, nez, bouche).

L’exposition aux déjections, à l’urine, ou au sang de chauves-souris infectées ne fait en revanche pas courir de risque d’infection par ce virus. Le simple fait de se trouver à proximité des lieux où gîtent les chauves-souris ne constitue pas non plus un danger.

Une maladie incurable après l’apparition des symptômes

En cas de contamination par le lyssavirus, la période d’incubation peut varier de quelques semaines à plus de deux ans. Durant cette phase asymptomatique (sans symptôme), le virus migre lentement le long des nerfs vers le cerveau.

Si le traitement est administré pendant cette phase d’incubation, il est capable de prévenir l’apparition de la maladie. En revanche, si l’intervention est trop tardive (après la survenue des premiers symptômes), l’issue est toujours fatale. En effet, une fois déclarée, la maladie est incurable, comme dans le cas de la rage.

La symptomatologie humaine de l’infection à lyssavirus ressemble d’ailleurs beaucoup à celle de la rage. Les premiers signes de la maladie sont des symptômes grippaux (fièvre, maux de tête, fatigue). L’affection évolue ensuite rapidement, se transformant en une atteinte neurologique grave qui se traduit par une paralysie, un délire, des convulsions et une perte de connaissance. Le décès survient généralement une à deux semaines après l’apparition des premiers symptômes.

Les quatre cas humains recensés en Australie – trois dans le Queensland (en 1996, 1998 et 2013) auquel s’ajoute le récent cas survenu en Nouvelles-Galles du Sud – se sont tous soldés par le décès des personnes infectées.

L’importance d’une prise en charge rapide

Lorsqu’une contamination par un lyssavirus est suspectée, la prise en charge médicale intervient rapidement. Elle consiste en l’administration d’une prophylaxie post-exposition combinant immunoglobulines (anticorps) antirabiques et vaccin antirabique.

Ce traitement est très efficace s’il est initié promptement – idéalement dans les 48 heures et au plus tard sept jours après l’exposition, autrement dit avant que le virus n’atteigne le système nerveux central.

En revanche, comme mentionné précédemment, à l’heure actuelle, il n’existe aucune thérapie une fois les symptômes déclarés.

Les recherches menées ces dernières années sur des anticorps monoclonaux semblent ouvrir des perspectives intéressantes, mais les traitements qui pourraient en découler ne sont pas encore disponibles.

Comment se protéger, et que faire en cas de morsure de chauve-souris ?

Une vaccination antirabique préexposition (trois injections réparties sur un mois) est recommandée pour les populations à haut risque : vétérinaires, soigneurs animaliers, personnes travaillant à la réintroduction de spécimens de faune sauvage et personnels de laboratoire manipulant des lyssavirus.

En ce qui concerne le grand public, les campagnes d’information sont essentielles pour réduire les interactions à risque, notamment dans les zones fréquentées par les chauves-souris. Il est crucial d’éviter tout contact direct avec les chauves-souris. Seuls des professionnels formés et vaccinés, comme les soigneurs ou les vétérinaires, doivent manipuler ces animaux.

En cas de morsure ou de griffure, il est impératif d’agir sans délai : il faut nettoyer abondamment la plaie à l’eau et au savon pendant au moins 15 minutes, appliquer un antiseptique (par exemple une solution de bétadine) et consulter un médecin de toute urgence.

Le tragique décès survenu en Nouvelles-Galles du Sud nous rappelle que, même si les infections par des lyssavirus de chauve-souris demeurent rarissimes, elles constituent une sérieuse menace. Il convient donc de renforcer la sensibilisation du public et d’assurer la vaccination des individus à risque, tout en poursuivant la surveillance des populations de chauves-souris ainsi que la recherche de nouveaux traitements.

The Conversation

Vinod Balasubramaniam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les lyssavirus, de rares mais mortels virus de chauve-souris – https://theconversation.com/les-lyssavirus-de-rares-mais-mortels-virus-de-chauve-souris-260559

Pratiquer les langues autrement : l’IA comme partenaire de conversation ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Sophie Othman, Maître de conférences, Centre de Linguistique Appliquée – CLA, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Les robots conversationnels ou « chatbots » font partie de ces innovations en matière d’intelligence artificielle qui peuvent séduire les élèves s’initiant à une langue étrangère. Mais comment les utiliser de façon pertinente ? Que peuvent-ils apporter quand elles sont mises en place dans un cadre pédagogique bien réfléchi ?


En avril dernier, une lycéenne italienne expliquait à la radio comment elle avait réussi à améliorer son français grâce à un « application magique » avec qui elle discutait chaque soir. Cette application, c’est ChatGPT, le fameux agent conversationnel boosté à l’intelligence artificielle (IA). Son témoignage illustre un phénomène mondial : les jeunes – et moins jeunes – utilisent désormais ces outils pour apprendre, réviser ou pratiquer.

L’intelligence artificielle générative (IAG) a aujourd’hui atteint un niveau de maturité tel qu’elle peut soutenir efficacement l’apprentissage des langues. Les outils sont désormais multilingues, adaptables, capables de générer du contenu écrit ou oral, et ajustés aux demandes de chacun.

Mais que faire de cette IA qui parle (presque) toutes les langues ? Est-ce une menace pour l’école ou une chance pour apprendre autrement ?

Un robot qui répond toujours, sans juger

Parmi les nombreuses innovations récentes dans le domaine de l’intelligence artificielle et des technologies éducatives, les robots conversationnels (les « chatbots ») sont les plus accessibles : il suffit de poser une question, et ils répondent à l’écrit comme à l’oral. Ils peuvent tenir une conversation, corriger une phrase, reformuler une expression ou jouer un rôle (serveur, guide touristique ou enseignant de langue…).

Ce sont des alliés intéressants pour pratiquer une langue à son rythme, sans peur du jugement. Un étudiant timide peut s’entraîner à parler espagnol dans un café fictif sans craindre de faire des fautes. Un adulte peut répéter les mêmes phrases vingt fois sans gêner personne. Ces dialogues, même artificiels, stimulent l’apprentissage.




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Des outils comme CallAnnie, Gliglish, LangAI, Talkpal ou les versions avancées de Duolingo proposent aujourd’hui des conversations avec un tuteur basé sur l’IA, adaptées au niveau des apprenants. Certains enseignants conçoivent même leurs propres chatbots éducatifs pour mieux coller au niveau ou aux attentes de leur public.

Agents conversationnels : les coulisses de la « machine »

Mais comment ces robots peuvent-ils « comprendre » nos messages ?

En réalité, ces robots n’ont pas la faculté de compréhension des êtres humains : ils fonctionnent par prédiction statistique. Autrement dit, ils prédisent la suite la plus probable d’un texte en s’appuyant sur des milliards de données textuelles issues du web. C’est ce qu’on appelle un modèle de langage.

Ces modèles – comme GPT (OpenAI) ou BERT (Google, Meta) – sont le résultat d’un algorithme complexe, d’une programmation informatique et de ce qu’on appelle aujourd’hui la culture du prompt, c’est-à-dire l’art de formuler une requête efficace pour générer une réponse pertinente.

Leurs réponses sont souvent très fluides, naturelles, parfois impressionnantes… mais elles peuvent aussi être fausses, incohérentes ou biaisées. C’est pourquoi un cadre pédagogique est indispensable : un dialogue sans médiation humaine reste limité.


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Savoir interagir avec l’IA devient une compétence clé, qu’on appelle désormais la littératie en IA. Cela implique de :

  • comprendre que l’IA ne « comprend » pas comme un humain, se méfier de l’illusion de « tout savoir » qu’elle peut donner aux apprenants ;

  • savoir formuler des requêtes (ou prompts) efficaces pour générer une réponse pertinente, acquérir ce qu’on appelle aujourd’hui la culture du prompt ;

  • être capable d’évaluer la pertinence des réponses, de repérer les erreurs, les biais ou les stéréotypes ;

  • adopter une posture critique et respecter l’éthique numérique (vérification des sources, protection des données, etc.).

Les enseignants ont un rôle essentiel à jouer pour guider les apprenants vers un usage réfléchi, créatif et responsable de ces outils.

Une expérience en classe : parler avec un chatbot

Dans une université française, une équipe a testé un chatbot développé avec Mizou auprès de 16 étudiants débutants en français (niveau A1). Objectif : renforcer l’expression orale via des jeux de rôle simples. Les résultats sont encourageants : les étudiants ont gagné en confiance, se sentant moins jugés et plus motivés à parler.

Toutefois, certaines réponses générées par le chatbot étaient trop complexes par rapport au niveau attendu – par exemple, des phrases longues avec un vocabulaire difficile ou des formulations trop soutenues. D’autres étaient parfois trop répétitives, ce qui pouvait entraîner une perte d’intérêt. Ce retour d’expérience confirme l’intérêt de ces outils… à condition qu’ils soient bien accompagnés d’un suivi humain.

L’un des atouts majeurs de l’IA est sa flexibilité : débutants, intermédiaires ou avancés peuvent y trouver des bénéfices. Pour les premiers, les chatbots permettent de pratiquer des situations quotidiennes (se présenter, commander, demander son chemin). Les niveaux intermédiaires peuvent enrichir leur expression ou corriger leurs erreurs. Les plus avancés peuvent débattre ou s’exercer à rédiger avec un retour critique. L’IA n’a pas vocation à remplacer les échanges humains, mais elle les complète, en multipliant les opportunités d’interaction.

Apprentissage des langues assisté par IA.

Les chatbots ne remplacent pas la richesse d’une vraie relation humaine, mais ils peuvent aider à préparer des échanges. Avant de converser avec un correspondant étranger, l’apprenant peut s’exercer avec l’IA pour gagner en fluidité et confiance.

De même, avant un séjour à l’étranger, discuter avec un chatbot permet de se familiariser avec les phrases clés et les situations courantes. Certains apprenants utilisent aussi l’IA pour traduire ou vérifier une formulation. L’enjeu n’est donc pas de remplacer les interactions humaines, mais de multiplier les occasions d’apprendre, à tout moment, dans un cadre sécurisé et individualisé.

L’IA conversationnelle n’est pas une baguette magique, mais un outil prometteur. Lorsqu’elle est utilisée avec recul, créativité et esprit critique, elle peut véritablement enrichir l’enseignement et l’apprentissage des langues.

Demain, les apprenants ne dialogueront plus uniquement avec des enseignants, mais aussi avec des robots. À condition que ces agents soient bien choisis, bien paramétrés et intégrés dans un cadre pédagogique réfléchi, ils peuvent devenir de puissants alliés. L’enjeu est de taille : former des citoyens plurilingues, critiques et lucides – face à l’intelligence artificielle, et avec elle.

The Conversation

Sophie Othman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pratiquer les langues autrement : l’IA comme partenaire de conversation ? – https://theconversation.com/pratiquer-les-langues-autrement-lia-comme-partenaire-de-conversation-255981

Ces vies bouleversées par les dynamiques « anti-genre » en Europe

Source: The Conversation – France in French (3) – By Marianne BLIDON, MCF-HDR en démographie et sociologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Alors que les droits des personnes LGBTQ+ sont remis en cause dans plusieurs pays européens et aux États-Unis, une étude menée dans le cadre du projet européen RESIST documente l’ampleur et la diversité des violences « anti-genre », leurs effets durables sur les vies et les corps, ainsi que les formes de résistance qu’elles suscitent. Ces attaques ne relèvent pas d’un simple débat d’idées : elles constituent des atteintes aux droits fondamentaux des personnes et aux valeurs démocratiques.


Le mois des fiertés 2025 s’est achevé en juin dans un contexte de remise en cause et d’atteintes aux droits des personnes LGBTQ+ en Europe et dans le monde. Dans plusieurs pays européens, les marches ont été entravées, voire interdites. L’InterLGBT qui a organisé la marche de Paris a affronté une vive polémique et s’est vue retirer ses subventions régionales.

Ces situations, loin d’être marginales, s’inscrivent plus largement dans un contexte politique de remise en cause des droits des personnes queer et trans.




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C’est le cas notamment aux États-Unis où, depuis son élection, Donald Trump a enchaîné les discours et les mesures anti-trans, comme leur exclusion de l’armée ou au Royaume-Uni où la Cour suprême a estimé que c’est le sexe biologique – et non le genre – qui définit une femme en droit. Elles illustrent une tendance de fond analysée dans le cadre du projet de recherche européen RESIST.

Des politiques contre la reconnaissance des droits des minorités sexuelles et de genre

Ce projet, qui a débuté en 2022 et prendra fin en 2026, analyse les discours, les mobilisations et politiques dits « anti-genre », ainsi que leurs effets sur les trajectoires, les droits et les conditions de vie des personnes ciblées – en particulier les féministes et les personnes LGBTQ+.

Le terme « anti-genre » désigne ici un ensemble d’actions convergentes – prises de parole publiques, réformes législatives, décisions judiciaires, campagnes médiatiques ou mobilisations militantes – qui s’opposent à la reconnaissance des droits des minorités sexuelles et de genre, souvent au nom d’une prétendue défense de la famille, des traditions ou de la nation.

L’étude repose sur une enquête conduite auprès de 254 personnes, soit 36 groupes de discussion et 104 entretiens individuels. Menée dans huit pays européens, mais aussi auprès d’un groupe de personnes originaires de Turquie vivant en exil en Europe, elle permet de couvrir divers contextes européens.

Certains sont marqués par une forte institutionnalisation des politiques « anti-genre » (comme en Pologne ou en Biélorussie), d’autres par des formes plus diffuses ou controversées (comme en France, en Allemagne ou en Suisse), et d’autres encore par des politiques en transformation ou en redéfinition (comme en Espagne, en Grèce ou en Irlande). En France, par exemple, ces dynamiques diffuses se traduisent par des prises de position publiques contre le prétendu « wokisme » à l’université, par le ciblage d’institutions culturelles accueillant des artistes drag.

Dans l’étude, les effets des violences sont appréhendés à partir de leurs conséquences sur les individus : sentiment d’insécurité, autocensure, isolement, obstacles à l’accès aux soins ou aux droits, réorientations professionnelles ou militantes, exil. Il s’agit de comprendre comment un climat discursif hostile – tel qu’il est perçu et décrit par les participantes et participants lors des entretiens et des groupes de discussion – et un répertoire d’actions violentes – également restitué à travers leurs récits et de leur rupture biographique – peuvent produire des effets matériels, émotionnels et sociaux, qui transforment profondément les conditions d’existence des personnes concernées.




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Ces données qualitatives permettent de mieux comprendre ce que documente également l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, à travers une vaste enquête menée en 2023 auprès de plus de 100 000 personnes LGBTQ+ en Europe. Ce rapport souligne une augmentation inquiétante des discriminations, du harcèlement et de la violence. En Pologne, par exemple, 58 % des répondants ont été harcelés au moins une fois durant l’année précédent l’enquête. En Hongrie, 39 % évitent souvent ou toujours certains lieux par crainte d’une agression. Globalement, plus d’une personne sur trois déclare avoir été victime de discrimination en raison de son identité, plus d’une sur 10 a subi des violences au cours des 5 années précédant l’enquête, soit un peu plus qu’en 2019.

En Biélorussie, bien que les données quantitatives soient limitées, les ONG internationales alertent sur un climat de plus en plus répressif à l’égard des personnes LGBTQ+. Dans un contexte autoritaire, les témoignages recueillis par les organisations de défense des droits humains font état d’arrestations arbitraires, d’intimidations policières et d’un isolement social aggravé, notamment pour les militants et les jeunes LGBTQ+.

Du déni d’exister à l’agression

Loin de relever d’un simple désaccord d’opinion, les violences « anti-genre » participent d’un continuum allant de l’effacement discursif des personnes à leur anéantissement physique. Un des participants, qui accompagne des personnes trans et qui est lui-même trans, remarque « vous effacez le concept, vous effacez les gens ».

La déshumanisation (chosification, animalisation…) semble constituer un élément central des expériences des personnes ciblées par les mouvements et les discours « anti-genre ». Le déni d’existence est omniprésent concernant les personnes trans, dans toutes les études de cas, en particulier les personnes trans et racisées.

En France, Jake, un homme trans, témoigne :

« J’ai été agressé dans la rue deux ou trois fois. Pas tabassé, mais frappé. ‘Sale pédé’, comme ça, en passant ».

En France, 30 personnes ont été interrogées, parmi lesquelles des journalistes, universitaires, professionnels de santé ou activistes. Ces personnes ont été choisies du fait de leurs engagements, de leur visibilité ou de leur identité pour lesquels elles avaient été publiquement ciblées dans les médias, sur les réseaux sociaux ou dans l’espace public.

Plus des deux tiers d’entre elles ont rapporté des insultes en raison de leurs engagements, de leur identité sexuelle ou de genre. La moitié ont été publiquement menacées. Deux ont reçu des menaces de mort à leur domicile. Ces atteintes peuvent avoir lieu en ligne, mais aussi sur le lieu de travail ou au domicile. Elles touchent non seulement les personnes LGBTQ+, mais aussi celles et ceux qui les soutiennent ou œuvrent pour leurs droits. Ces chiffres sont plus élevés que les données d’autres études mais ils s’expliquent par la visibilité publique et les engagements des personnes interrogées dans l’enquête.

Des locaux professionnels ou associatifs ont aussi été vandalisés, recouverts de slogans haineux. Des campagnes de harcèlement numérique exposent les données personnelles d’activistes, parfois compilées sur des listes.

Si ces pratiques d’intimidation ne sont pas nouvelles, elles tendent à augmenter et à prendre des formes renouvelées avec l’usage des réseaux sociaux. Au total, en 2024, ce sont 4 800 infractions anti-LGBT+ – 3 500 crimes ou délits et 1 800 contraventions – qui ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie en France – une hausse de 15 % par rapport à 2016.

Des effets durables sur les corps, les trajectoires, les liens sociaux

Le rapport met en évidence les conséquences, loin d’être abstraites, qui marquent les corps, les esprits et les trajectoires de vie. Les violences « anti-genre » produisent ainsi des effets durables sur la santé mentale, la vie sociale, les parcours professionnels des personnes qui en sont les cibles. Les effets décrits par les participants et participantes sont multiples et souvent cumulatifs.

Concernant la santé mentale, beaucoup évoquent des maux tels qu’anxiété, hypervigilance, troubles du sommeil, dépressions, pensées ou passages à l’acte suicidaires.

Un participant, qui accompagne des personnes trans dont plusieurs ont été assassinées ou se sont suicidées, nous confie :

« La réalité de la mort m’épuise ».

En 2014, plus de la moitié (56 %) des personnes trans interrogées déclarait avoir fait une dépression suite à des actes transphobes et 18 % une tentative de suicide.

Face à ces violences, certaines personnes adoptent des stratégies d’évitement qui bouleversent leur quotidien : ne plus fréquenter des lieux, renoncer à des activités sociales, changer d’itinéraire ou réduire ses déplacements, masquer son identité ou son engagement, se retirer des réseaux sociaux, envisager un départ à l’étranger…

Les conséquences se traduisent également au plan professionnel : pertes d’emploi, empêchements à enseigner ou à candidater. Ces atteintes compromettent les conditions matérielles d’existence, rendant certaines vies littéralement invivables.

Résister pour exister

Face à ces situations, si certaines se retirent de la vie publique et renoncent à leurs engagements, d’autres les renforcent. À rebours des injonctions à la discrétion, des personnes vont d’autant plus revendiquer leur identité. Un participant trans, agressé à plusieurs reprises dans les rues de Paris, affirme :

« Je refuse de ne pas exister. Je refuse de laisser mon identité être effacée ».

Dans un contexte où le simple fait d’être trans ou queer peut déclencher haine ou violence, affirmer son existence devient un acte profondément politique.




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Le soutien communautaire est une autre forme de résistance. Une participante, fréquemment harcelée en ligne du fait de ses prises de positions féministes publiques, note :

« La vague de soutien arrive de plus en plus vite. Elle dépasse parfois la haine ».

Ce soutien – en ligne, dans l’espace public ou à travers les espaces militants – permet de rompre l’isolement, de contenir les effets psychiques de la violence et de produire des formes de réparation collective.

Les résistances prennent ainsi des formes multiples : mobilisations, campagnes de sensibilisation, création d’espaces d’éducation ou de militantisme…

Des atteintes aux droits fondamentaux

Ce que documente le projet RESIST, c’est que ces discours et ces mobilisations « anti-genre » ne s’inscrivent pas dans un débat d’idées. Il s’agit d’un répertoire d’actions qui porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes, parmi lesquels le droit à la sécurité, à l’intégrité physique et psychique, à la dignité, à la liberté individuelle et à la protection des droits fondamentaux de la personne.

Comme nous l’avons vu, ces violences ne sont pas marginales. Elles sont portées non seulement par des acteurs d’extrême droite, mais peuvent aussi l’être par des responsables politiques, des médias ou des institutions publiques. Elles ne relèvent pas de la liberté d’opinion, mais de la discrimination, de l’intimidation et de l’exclusion.

Elles doivent dès lors appeler une réponse juridique, sociale et politique en France comme en Europe. Et surtout, une vigilance collective, pour reconnaître les atteintes et garantir à toutes et tous la possibilité d’exister en toute sécurité.

The Conversation

Cet article a été rédigé dans le cadre du projet RESIST (https://theresistproject.eu/) cofinancé par l’Union européenne (HORIZON no. 101060749).

Mathilde Kiening ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Ces vies bouleversées par les dynamiques « anti-genre » en Europe – https://theconversation.com/ces-vies-bouleversees-par-les-dynamiques-anti-genre-en-europe-259921

L’UE en films, livres et séries : un enjeu essentiel pour développer le sentiment citoyen

Source: The Conversation – France in French (3) – By Marion Gaillard, Historienne, spécialiste des relations franco-allemandes et des questions européennes, Sciences Po

Image issue de la bande-annonce de la Saison 4 de la série « Parlement ». Chaîne YouTube de France Télévisions

Le cinéma et les séries ne se sont pas – encore – beaucoup emparés de ce sujet multiforme qu’est le fonctionnement de l’Union européenne. La récente sortie de la saison 4 de Parlement, qui se déroule comme son nom l’indique dans les coulisses des institutions de Bruxelles et de Strasbourg, est l’occasion de rappeler à quel point la fiction, sans tomber dans la propagande béate, a un rôle clé dans la familiarisation des citoyens des pays de l’UE avec l’organisation qui rassemble aujourd’hui 27 États du continent.


Samy est de retour ! Depuis le 7 mai 2025, la saison 4 de la série Parlement est accessible sur france.tv. Les fidèles de cette fiction déjantée peuvent enfin retrouver avec délice leur héros et se replonger dans les arcanes du processus décisionnel bruxellois.

Alors que l’UE est souvent mal comprise ou ignorée de ses citoyens, il est urgent que les scénaristes et les producteurs s’en saisissent pour la faire entrer dans la vie des Européens par le biais de la culture de masse. D’autant que ses péripéties mais aussi la puissance symbolique de la réconciliation de pays si longtemps ennemis en font un sujet à haut potentiel pour des films ou des séries grand public. Pourtant, à quelques exceptions près, rares étaient jusqu’alors les fictions sur la construction européenne. Et voilà qu’en avril 2020, en plein confinement, apparaît un OVNI audiovisuel : une série dont le sujet principal est la vie interne du Parlement européen. Pari risqué, le projet est pourtant une réussite qui se traduit par la réalisation de trois autres saisons.

Parlement, un divertissement sérieux

On y suit les tribulations d’un jeune assistant parlementaire français, Samy, qui arrive à Bruxelles pour travailler auprès d’un député européen, français lui aussi, Michel Specklin. Complètement perdu au départ dans les arcanes de cette institution dont il ne maîtrise ni le fonctionnement ni les codes, Samy ne peut pas compter sur son « chef », tout autant perdu que lui et totalement incompétent.

Ce parti pris initial a d’ailleurs fait l’objet de critiques pointant la vision négative qui ressortirait ainsi du personnel politique de l’Union européenne. Mais, en réalité, la série opte pour une approche presque ubuesque qui lui permet d’être drôle et accessible, tout en étant très précise sur le fonctionnement institutionnel de l’UE. Elle décrit avec beaucoup de sérieux le processus décisionnel, le travail parlementaire, mais aussi les jeux de pouvoir, les alliances et les tractations entre institutions et entre partis ou encore le poids des lobbies.

Il ne s’agit donc pas de donner une vision idyllique de l’UE mais d’en montrer le fonctionnement dans ce qu’il a de positif – une démocratie transnationale en action largement fondée sur la recherche du dialogue et du compromis –, mais aussi dans ce qu’il a de moins reluisant.

Ainsi, la série offre à la fois un fond tout à fait solide et un réel divertissement, tant par ses dialogues et ses situations proches du comique de l’absurde que par son format de 10 épisodes d’une demi-heure par saison.

La première saison réserve quelques scènes croquignolesques avec la députée conservatrice pro-Brexit, caricaturale dans sa stupidité, et son assistante parlementaire, Rose, jeune Britannique affligée par la nullité crasse de sa patronne. On croise également plusieurs autres personnages récurrents, comme Ingeborg Becker, conseillère politique allemande calculatrice dont le monologue fustigeant chaque pays de l’Union dans l’épisode 9 de la saison 1 est devenu une référence, ou encore Eamon, administrateur du Parlement, incarnant par sa froideur et son flegme la technocratie européenne, certes distante mais compétente.

On retrouve sans doute dans ce fonctionnaire tout ce qu’avait en tête Jean Monnet quand il voulait promouvoir au sein des Communautés une légitimité de l’expertise, neutre et « sachante », capable de transcender les désaccords entre États et entre tendances politiques pour tendre vers l’intérêt général. Eamon incarne parfaitement dans la série les avantages d’une telle administration, sans pour autant en occulter les inconvénients.

Au milieu de toute cette galerie de portraits archétypaux à dessein, le personnage de Samy évolue au fil des épisodes et des saisons, apprend à connaître non seulement les ressorts du fonctionnement du Parlement, mais aussi de la Commission et du Conseil, ainsi que les travers de la vie politique. Au départ véritable Candide à Bruxelles, il devient beaucoup plus aguerri, au risque de s’éloigner parfois de ses principes. Métaphore tellement actuelle sur le milieu politique, voire sur l’UE elle-même.

L’UE en films, livres et séries

Parlement fait ainsi voyager ses téléspectateurs au sein du triangle institutionnel européen et fait œuvre utile de pédagogie. L’UE semble lointaine, désincarnée, complexe. Il est donc fondamental de la faire connaître, certes par des programmes scolaires enrichis, par des campagnes de communication publique, mais aussi par des œuvres de fiction. Et quoi de mieux qu’une série pour cela ? Bien entendu, on rêve maintenant qu’il y en ait d’autres, qu’elles soient diffusées à heure de grande écoute sur les grandes chaînes de télévision disposant d’une large audience, et ce dans tous les pays européens. Il reste certes encore beaucoup à faire mais Parlement marque un début qui mérite d’être valorisé.

Le parcours personnel de son créateur Noé Debré éclaire le fait qu’il se soit lancé dans cette voie peu explorée jusqu’alors. Né à Strasbourg en 1986, il a grandi en face du Parlement européen et a suivi une classe européenne au lycée. Prédestiné en quelque sorte à s’intéresser à l’Europe, il réalise en quittant sa ville natale pour suivre des études supérieures que l’importance de l’UE n’est pas perçue partout en France avec une telle acuité.

Parlement s’inscrit donc sans doute dans cette volonté de transmettre l’évidence qu’est pour lui l’existence de l’UE, quels que soient par ailleurs ses défauts. Un des co-scénaristes, Maxime Calligaro, lui-même conseiller politique au Parlement européen, a pour sa part co-écrit dès 2019 un roman policier, Les Compromis, dans lequel il est question d’une enquête sur la mort d’une eurodéputée écologiste en charge du dossier brûlant des moteurs diesel truqués. L’auteur a ainsi contribué à faire de l’univers de l’UE, qu’il côtoie tous les jours, un objet de fiction audiovisuelle et littéraire.

La même année sortait un autre roman, La capitale, mi-polar mi-chronique politique, cette fois sous la plume de l’écrivain autrichien Robert Menasse qui nous entraîne dans les coulisses de la Commission européenne. Comme dans Parlement, il y a dans ce récit du burlesque mais aussi beaucoup d’érudition sur le fonctionnement de la Commission. En 2023, l’auteur récidive avec L’élargissement, qui traite cette fois du processus d’adhésion de l’Albanie et des obstacles qu’il rencontre – sujet d’actualité depuis le début de la guerre en Ukraine qui a contraint l’UE à accepter la candidature de ce pays, ainsi que celles de la Moldavie et de la Géorgie, mais aussi à reprendre le processus d’intégration des pays des Balkans, candidats depuis plus longtemps mais laissés jusqu’alors dans l’antichambre de Bruxelles.

Le cinéma n’est pas en reste et s’intéresse de plus en plus aux questions européennes, certes le plus souvent sous des angles peu flatteurs. Adults in the room, adaptation par Costa-Gavras du livre de l’ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, nous livre en effet une vision très critique du fonctionnement interne du Conseil des ministres, de l’Eurogroupe et de la zone euro, tandis que La dérive des continents (au Sud), sorti en salle en 2022, dénonce la politique migratoire de l’UE et met en scène une fonctionnaire européenne en mission en Sicile pour y préparer la visite par Angela Merkel et Emmanuel Macron d’un camp de migrants.

Dans Une affaire de principe, sorti en 2024, c’est au tour de l’influence des lobbies à Bruxelles d’être sous le feu des projecteurs. Comme dans Parlement, il ne s’agit pas de dresser un portrait idéalisé de l’UE sous forme de propagande pro-européenne mais de s’emparer de sujets qui sont au cœur de l’actualité de notre continent.

L’UE, un vivier pour scénaristes

Marion Gaillard a récemment publié Figure(s) de l’Europe aux éditions Le Cavalier Bleu.
Le Cavalier Bleu

L’UE semble donc progressivement faire son entrée dans la fiction et ces dernières années auront sans doute fourni aux auteurs une mine d’idées. Des coulisses de l’adoption du plan de relance visant à lutter contre les conséquences du Covid au processus de désignation du nouveau leadership européen en 2024, en passant par les luttes politiques autour du Green Deal, voilà autant de pistes pour les scénaristes, qui pourraient même aller jusqu’à imaginer la désintégration de l’UE sous les coups conjugués de l’administration Trump et des partis europhobes qu’elle soutient.

Pour tenter d’éviter ce scénario du pire, il faut d’urgence travailler à développer un sentiment citoyen au niveau européen. Or la fiction peut y contribuer, en favorisant l’émergence d’une « communauté des imaginaires », cette « communauté de récit » évoquée par Hannah Arendt.

The Conversation

Marion Gaillard a reçu des financements du ministère de l’Education et de la Recherche : bourse de doctorat de 2000 à 2003.

ref. L’UE en films, livres et séries : un enjeu essentiel pour développer le sentiment citoyen – https://theconversation.com/lue-en-films-livres-et-series-un-enjeu-essentiel-pour-developper-le-sentiment-citoyen-257741

Détecter les contenus pédocriminels en ligne : quelles options techniques ? Quels risques pour la vie privée ?

Source: The Conversation – in French – By Aurélien Francillon, Professeur en sécurité informatique, EURECOM, Institut Mines-Télécom (IMT)

Les contenus à caractère pédopornographique pullulent sur le net. Ils sont issus de la terrible exploitation d’enfants, et ce qui est montré constitue avant tout un crime réellement perpétré. Ils sont également dangereux pour les gens qui les voient, notamment les enfants.

Ces contenus criminels font donc l’objet de plus en plus de régulations et de détection automatisées. Mais comment concilier la protection des mineurs avec la préservation de la vie privée, la protection des données personnelles, et les libertés fondamentales — sans ouvrir la voie à une surveillance de masse ?


Certaines entreprises, comme Apple, Google et Meta, pratiquent déjà la détection de contenus pédopornographiques sur certains services (hormis les messageries chiffrées de bout en bout comme WhatsApp ou Signal). La France est particulièrement concernée, avec plus de 310 000 signalements reçus. Ces entreprises procèdent volontairement à ces détections grâce à une dérogation européenne à la directive ePrivacy.

Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe envisage, dans sa proposition de régulation communément appelée ChatControl, de rendre obligatoire le scan des communications privées pour y détecter les contenus pédopornographiques — y compris sur les applications chiffrées de bout en bout.

En effet, bien que ces contenus soient illégaux, leur détection automatique ne fait pas encore l’objet d’une régulation. Mais une telle mesure généraliserait la surveillance : chaque média échangé par chaque citoyen devrait être scanné. Quelle est aujourd’hui l’efficacité de la détection de contenu à caractère pédocriminel et de leur signalement ?




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Lutte contre la criminalité et surveillance

Le chiffrement « de bout en bout » (de l’émetteur au récepteur) et sans accès possible aux données par les fournisseurs est de plus en plus populaire avec les applications comme WhatsApp, Signal ou iMessage.

Cependant, depuis 2010, les gouvernements réclament plus fermement l’affaiblissement du chiffrement, tandis que les experts en cybersécurité mettent en garde contre les risques de failles exploitables par des acteurs malveillants.

En effet, une fois les moyens techniques de surveillance instaurés, il est extrêmement difficile de s’assurer qu’ils ne seront pas, par exemple, exploités à des fins de répression politique. On l’a vu avec le logiciel espion Pegasus et, plus récemment, avec l’affaire TeleMessage, quand des membres du gouvernement américain pensaient utiliser une version sécurisée de Signal, alors que leurs communications étaient en fait accessibles quasi publiquement.


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Détection de contenus à caractère pédocriminel : comment ça marche, techniquement ?

On distingue deux types de contenus à caractère pédocriminel.

D’une part, les contenus déjà identifiés, qui représentent la grande majorité des contenus à caractère pédocriminel en ligne.

D’autre part, les contenus nouveaux, qu’ils soient réels ou générés par IA (et donc des « faux » à proprement parler, mais présentant quand même un caractère pédocriminel), qui sont très minoritaires en pratique aujourd’hui.

Pour identifier les contenus à caractère pédocriminel connus, on pourrait être tenté de les stocker dans une base de données qui servirait de base de comparaison. Cependant, un tel stockage est illégal dans la plupart des pays, et dangereux (car des personnes pourraient y être exposées).

C’est pour cela que les plates-formes – à qui incombe la responsabilité de scanner les contenus — stockent uniquement une « signature », et non les images elles-mêmes. Ces signatures sont générées par des « fonctions de hachage perceptuelles ».

Ces fonctions produisent des signatures similaires pour des contenus visuellement proches. Par exemple, une photo légèrement modifiée (en appliquant un filtre par exemple) conserve une signature proche de celle de la photo d’origine, alors que deux images différentes (un chien et un chat) donneront des signatures bien distinctes.

Les fonctions de hachage perceptuelles sont conçues pour donner une signature identique pour des images proches (même si un filtre est appliqué par exemple), et des signatures différentes pour des images différentes. Ceci permet de comparer les images soupçonnées d’être criminelles à une base de données de contenus criminels déjà connus et identifiés – sans être exposé aux images.
Diane Leblanc-Albarel, Fourni par l’auteur

Ainsi, si une plate-forme veut détecter un contenu à caractère pédocriminel, elle calcule le « haché perceptuel » (la signature) de l’image et le compare aux signatures de contenus connus.

C’est le seul moyen de détection automatique qui existe aujourd’hui — les systèmes d’intelligence artificielle sont pour l’instant moins performants et nécessitent systématiquement une vérification humaine. Il est déjà utilisé à grande échelle, puisque les GAFAM utilisent ce système pour scanner uniquement les informations que les utilisateurs choisissent de partager sur les réseaux sociaux, Internet ou via des messageries non chiffrées de bout en bout.

Signalements de contenus à caractère pédocriminel

Si une correspondance est trouvée entre la signature d’une image d’un utilisateur et celle d’un contenu pédocriminel, l’image est signalée automatiquement au NCMEC (National Center for Missing and Exploited Children ou Centre national pour les enfants disparus et exploités), une organisation américaine à but non lucratif qui centralise et coordonne les signalements à l’échelle mondiale et agit comme un intermédiaire entre les plates-formes numériques, les forces de l’ordre et les autorités nationales. Les plates-formes peuvent également suspendre le compte de l’utilisateur.

En 2023, moins de 64 000 rapports automatiques, sur plus de 36 millions reçus par le NCMEC, ont été reconnus « urgents » par les autorités — soit 0,2 %.

Si aucun organisme n’a communiqué sur l’efficacité réelle des fonctions de hachage perceptuelles, il est établi qu’elles peuvent être attaquées avec succès et que le système de détection peut être mis en échec. Il est par exemple possible de modifier légèrement une image pour que sa signature corresponde à celle d’une image anodine, ce qui permettrait à des individus malveillants de faire passer un contenu dangereux pour anodin (faux négatifs).

Les fonctions de hachage perceptuelles génèrent aussi de nombreux faux positifs : des images différentes peuvent partager la même signature, ce qui pourrait mener à accuser à tort des centaines de milliers de citoyens.

Les fonctions de hachage peuvent générer des « faux positifs », c’est-à-dire attribuer la même signature à des images différentes.
Fourni par l’auteur

Introduire des portes dérobées

Aujourd’hui, le Conseil de l’Union européenne souhaite rendre la détection obligatoire, y compris aux applications de messageries qui, pour la plupart, ne font pas encore de détection de contenus à caractère pédocriminel.

Or, pour détecter automatiquement des contenus illégaux, il faut y avoir accès… ce qui est compliqué puisqu’une grande part des communications passe par des messageries chiffrées « de bout en bout », c’est-à-dire pour lesquelles un tiers ne peut pas scanner les contenus échangés entre deux personnes.

Rendre la détection possible même sur des messageries chiffrées reviendrait à intégrer une porte dérobée dans le protocole de chiffrement afin de fournir l’accès aux données chiffrées à un tiers. Une telle porte dérobée représente une faille de cybersécurité — ce qui rend cette option inenvisageable en pratique.




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Scanner les photos directement sur les téléphones des utilisateurs

En pratique, ce que recommande donc aujourd’hui le Conseil de l’Union, sur la base d’un rapport technique de 2022 analysant les options disponibles (qui n’ont pas évolué depuis la publication du rapport), c’est de recourir au client-side scanning, c’est-à-dire scanner les photos directement sur les téléphones des utilisateurs.

Cela impliquerait un accès aux photos de tous les appareils en Europe, posant des risques majeurs : détection automatique de contenus légitimes (par exemple des photos d’enfants partagées avec un médecin) ou de nudes échangés volontairement entre adolescents.

De plus, cet accès pourrait permettre la consultation de tout ou partie des photos stockées sur téléphone, sans que les citoyens n’en soient informés, ce qui représenterait une atteinte potentielle à la vie privée, en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, l’efficacité limitée des fonctions actuelles pourrait entraîner de nombreux faux positifs, tout en laissant passer des contenus pédocriminels légèrement modifiés.




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Le « function creep » : le risque de détournement d’une technologie conçue pour un usage particulier

L’un des principaux dangers liés à l’affaiblissement du chiffrement est le phénomène du « function creep » : une technologie conçue pour un usage précis finit par dériver, au détriment des libertés.

L’histoire de la surveillance numérique montre que des outils mis en place sous couvert de sécurité ont régulièrement été réutilisés pour d’autres finalités, parfois abusives.

Un exemple emblématique est le programme de surveillance PRISM mis en place par la National Security Agency (NSA) des États-Unis. Ce programme illustre bien comment des outils de surveillance créés pour des motifs de sécurité nationale afin de lutter contre le terrorisme (notamment après les attentats du 11 septembre 2001) ont été utilisés pour collecter des données de masse, y compris sur des citoyens ordinaires et des alliés des États-Unis.

De façon semblable, dans un premier temps, les autorités pourraient justifier la nécessité d’un accès aux communications chiffrées par la lutte contre la pédocriminalité et le terrorisme, deux causes auxquelles l’opinion publique est particulièrement sensible. Mais une fois l’infrastructure technique en place, il pourrait devenir tentant d’élargir leur usage à d’autres types d’infractions : criminalité organisée, fraudes, voire délinquance économique.

Ainsi, un système conçu pour détecter des images pédopornographiques dans les messages chiffrés pourrait être détourné pour identifier des documents sensibles partagés par des journalistes d’investigation ou des opposants politiques, comme les affaires Pegasus et Telemessage l’ont montré récemment. Mais finalement, le plus grand problème de ces systèmes imposés à large échelle est simplement qu’ils seront facilement contournés par les criminels.


Le projet DIGISOV ANR-23-CE53-0009 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Aurélien Francillon a reçu des financements de la commission européenne via le projet ORSHIN (Horizon 101070008), l’ANR via le projet PEPR REV (ANR-22-PECY-0009 France 2030) et les entreprises Eviden et SAP.

Diane Leblanc-Albarel reçoit des financements du Fonds Wetenschappelijk Onderzoek (Fonds de recherche scientifique flamand, FWO).

Francesca Musiani reçoit des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (projets ANR DIGISOV et ORA ClaimSov).

Pierrick Philippe a reçu des financements de CREACH LABS.

ref. Détecter les contenus pédocriminels en ligne : quelles options techniques ? Quels risques pour la vie privée ? – https://theconversation.com/detecter-les-contenus-pedocriminels-en-ligne-quelles-options-techniques-quels-risques-pour-la-vie-privee-259337

Course à l’exploitation minière des fonds marins : l’impuissance du droit international ?

Source: The Conversation – in French – By Laisa Branco Coelho De Almeida, Doctorante en droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Les ressources minières des fonds marins n’en finissent plus de cristalliser des tensions internationales. Alors que la prochaine session de négociations de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) doit débuter le 7 juillet, l’autorité onusienne se trouve sous pression. Tandis qu’elle planche encore sur l’élaboration d’un Code minier international pour les fonds marins, elle pourrait fait face à une tentative de passage en force de certains industriels et de leur allié américain.


Les tensions au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) – International Seabed Authority (ISA) en anglais – se sont intensifiées depuis que Metals Company, société minière canadienne, a annoncé en mars 2025 son intention de solliciter le « parrainage » des États-Unis pour mener des activités d’exploitation minière dans des zones situées au-delà des juridictions nationales.

Pour rappel, les États-Unis ne sont pas membres de l’AIFM. Le président américain Donald Trump a justement signé un décret présidentiel en avril 2025 pour autoriser l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer. Or, l’AIFM détient la compétence exclusive sur les activités économiques menées dans les eaux internationales. L’institution onusienne planche justement depuis plus de dix ans sur un code minier pour encadrer l’exploitation minière dans les eaux internationales.

La firme canadienne et son allié américain auraient-elles tenté de doubler l’institution onusienne ? À la veille de la trentième session de l’AIFM, prévue du 7 au 25 juillet 2025 en Jamaïque, faisons le point sur l’état du cadre international sur l’exploitation minière des grands fonds marins.

Concilier promesses économiques et environnementales

L’exploitation minière des grands fonds marins a longtemps été présentée comme un levier de développement durable. Elle est supposée profiter à « l’humanité tout entière », mission que s’est fixée l’AIFM lors de sa création en 1982 grâce à la répartition équitable des bénéfices qui en résulteront. Mais aujourd’hui, cette promesse vacille.

Depuis l’accélération des négociations en 2017, les discussions se sont ralenties, freinées par des désaccords persistants.

Face à l’absence de garanties environnementales suffisantes, l’AIFM devient de plus en plus réticente à autoriser des opérations extractives à haut risque. De part et d’autre, la frustration grandit :

  • du côté des entreprises, qui réclament clarté et autorisations,

  • des États, qui y voient un enjeu de souveraineté industrielle,

  • et, enfin, du côté de l’AIFM elle-même, qui se trouve divisée en ne parvenant pas à concilier développement économique et gestion durable.


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L’institution tente actuellement d’achever l’élaboration d’un Code minier international pour les fonds marins, un corpus réglementaire destiné à encadrer les activités dans « la zone internationale » – c’est-à-dire les fonds marins situés au-delà des juridictions nationales. C’est elle qui délivrera des contrats d’exploitation, de la même façon que pour les contrats d’exploration délivrés à l’heure actuelle. Pour obtenir de tels contrats, les firmes doivent être parrainées par un État.

Mais de nombreux points restent à trancher, notamment la surveillance environnementale à mettre en place, les régimes d’inspection, le partage des bénéfices ou encore les dispositifs de contrôle.

Une remise en cause de l’autorité internationale

La demande de Metals Company faite aux États-Unis marque toutefois un tournant historique. C’est la première fois depuis sa création en 1982 qu’un État non signataire de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) remet aussi ouvertement en cause l’autorité d’un cadre juridique international ayant trait aux ressources naturelles mondiales. Pourtant, les règles issues de la CNUDM font désormais partie du droit international coutumier. Les États-Unis sont donc tenus de les respecter, même s’ils n’y ont pas adhéré formellement.

Parallèlement, plusieurs experts attirent l’attention sur les incertitudes soulevées par l’application des mécanismes juridictionnels de l’AIFM. Notamment en ce qui concerne la cohérence entre le régime applicable dans la zone internationale et celui régissant le plateau continental. En effet, selon le système juridique international, les États-Unis jouiraient de droits souverains pour exploiter les ressources minérales de leur plateau continental jusqu’à 200 milles marins (soit environ 370 km) des côtes.

Mais ce qui surprend surtout, c’est que ces contestations émanent des entrepreneurs eux-mêmes. Dans une note publiée en mars 2025, Gerard Barron, PDG de Metals Company, déplore que « l’industrie commerciale ne soit pas la bienvenue à l’AIFM ». En janvier 2025, huit entreprises avaient adressé une lettre conjointe au président du Conseil de l’AIFM Olav Myklebust (Norvège) dénonçant les « retards excessifs » dans la transition vers la phase d’exploitation. Elles soulignaient avoir investi plus de deux milliards de dollars dans les technologies et études relatives aux nodules polymétalliques et estimaient que ces retards allaient à l’encontre du cadre juridique de la CNUDM et de leurs « attentes légitimes ».

C’est donc l’adoption du règlement d’exploitation, élément clé pour permettre le passage à l’exploitation commerciale, qui cristallise les tensions. Or, ce processus dure depuis 1994, année de mise en œuvre du régime de l’AIFM.

Metals Company espère désormais obtenir le soutien de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine pour relancer la dynamique. Elle se présente comme le fer de lance d’un « retour américain » dans cette industrie émergente.

Vers une tentative de passage en force ?

Le 24 avril 2025, l’administration Trump a publié un décret présidentiel visant à accélérer la délivrance de permis pour l’exploration et l’exploitation minière, y compris dans les zones situées hors de la juridiction des États-Unis.

Intitulé « Unleashing America’s Offshore Critical Minerals and Resources » (« Libérer les minéraux et ressources critiques situées en zone marine de l’Amérique »), le texte s’appuie sur le Outer Continental Shelf Lands Act (OCSLA). Il s’appuie aussi – de manière plus controversée, puisque c’est pour permettre l’accès à des ressources minérales dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale américaine – sur le Deep Seabed Hard Mineral Resources Act (DSHMRA). Celle-ci concerne notamment la zone de fracture de Clipperton, riche en nodules de manganèse, où Metals Company détient déjà des contrats d’exploration via l’AIFM.

Tout au long des années 1970-1990, les États-Unis ont été pionniers dans l’exploitation minière en eaux profondes. À la suite au décret présidentiel d’avril 2025, les demandes de TMC ouvrent la voie au retour des États-Unis à la pointe de cette industrie passionnante.
The Metals Company

La CNUDM, adoptée en 1982, encadre les activités dans la zone internationale dans sa partie XI et a conduit à la création de l’AIFM. Bien que les États-Unis ne l’aient jamais ratifiée, ils ont participé aux négociations et signé en 1994 l’accord d’application de cette partie XI. Sous l’administration Biden, ils ont également apposé leur signature au Traité de la haute mer, aussi appelé accord BBNJ (pour Biodiversity Beyond National Jurisdiction, soit la biodiversité au-delà de la juridiction nationale des États), illustrant une certaine continuité diplomatique.

Cela rend la posture actuelle de l’administration Trump d’autant plus ambiguë. Le récent décret présidentiel semble non seulement ignorer les efforts scientifiques de la NOAA, mais également contredire l’engagement historique des États-Unis dans le développement du cadre multilatéral. En 2025, la NOAA a d’ailleurs subi d’importants licenciements, affaiblissant sa capacité à jouer un rôle dans cette gouvernance.

Dans un contexte aussi risqué, un cadre institutionnel robuste est indispensable pour garantir la sécurité juridique des investissements et des opérations industrielles. La tentative de Metals Company de s’appuyer sur un pouvoir exécutif controversé, dans une période politiquement instable, affaiblit non seulement sa propre crédibilité, mais aussi celle de l’ensemble du régime de parrainage de l’AIFM. Le développement responsable d’une industrie aussi sensible dépend en grande partie du respect des règles communes – et de la volonté des acteurs, États comme entreprises, d’y adhérer.

The Conversation

Laisa Branco Coelho De Almeida est membre de Deep Ocean Stewardship Initiative (DOSI). Elle a reçu des financements du Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID).

ref. Course à l’exploitation minière des fonds marins : l’impuissance du droit international ? – https://theconversation.com/course-a-lexploitation-miniere-des-fonds-marins-limpuissance-du-droit-international-259823

Les droits de douane seront-ils appliqués par Donald Trump le 9 juillet prochain ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Houssein Guimbard, Économiste, CEPII

Le 9 juillet, Donald Trump doit décider si les droits de douane annoncés le « Jour de Libération », le 2 avril 2025, puis mis en pause une semaine plus tard, seront finalement appliqués ou pas. L’occasion de faire un bilan de l’évolution du protectionnisme américaine depuis le retour au pouvoir de Donald Trump. Pour quelle taxe finale : 5 % ? 16 % ? 25 % ?


Depuis janvier 2025, l’administration Trump a remis au cœur de sa stratégie commerciale un instrument que l’on croyait délaissé : le droit de douane. En quelques mois, l’ensemble des partenaires commerciaux des États-Unis en a fait les frais. Une série de mesures, sans précédent depuis plusieurs décennies, les a frappés. Pour l’administration Trump, cette politique tarifaire vise à rééquilibrer des balances bilatérales déficitaires. Concrètement, augmenter le coût des produits étrangers pour protéger l’économie locale et générer des revenus.

Mais comment fonctionne un droit de douane ?

Pour calculer un droit de douane moyen, à partir des informations disponibles au niveau des produits appelés « lignes tarifaires », trois méthodes principales existent. La moyenne simple consiste à attribuer le même poids à chaque droit de douane. La moyenne pondérée repose sur les flux commerciaux entre deux pays, où les produits fortement importés comptent davantage dans l’indicateur global. Enfin, la méthode retenue pour la base de données tarifaires du CEPII, MAcMap-HS6, dite « des groupes de référence ». Elle s’appuie sur des profils d’importation reconstitués à partir d’échantillons de pays comparables. Ces calculs montrent à quel point les choix techniques d’agrégation des droits de douane influencent la perception des politiques commerciales.

« Jour de Libération »

En matière de politiques commerciales, l’année 2025 a été, jusqu’à présent, marquée par quatre temps forts.

Le premier s’est situé entre le 20 janvier et le 1er avril. Dès janvier, des hausses massives des droits sur des produits stratégiques comme l’acier, l’aluminium et les véhicules sont annoncées, effaçant les préférences antérieures et s’appliquant uniformément à tous les fournisseurs étrangers. L’accord commercial avec le Mexique et le Canada (ACEUM) intégrait désormais des droits de 25 % pour les produits importés aux États-Unis qui ne respectent pas les règles de l’accord. Les produits chinois sont taxés de deux augmentations successives pour aboutir à une hausse de 20 points de pourcentage (pp) – pp indique la variation d’un pourcentage.


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Le deuxième temps fort survient le 2 avril, « Jour de Libération », inaugurant un nouvel âge d’or de l’Amérique. Washington instaure des droits de douane qualifiés de « réciproques ». Ils ne sont pourtant pas fondés sur les mesures de protection tarifaires observées à l’étranger, mais sur les déséquilibres des balances commerciales bilatérales avec les États-Unis. Des surtaxes sont imposées allant de 10 points de pourcentage (taux de base) à des taux bien supérieurs pour une liste de 57 pays : 34 pp pour la Chine, 20 pp pour l’Union européenne, etc. Certaines matières premières stratégiques, épargnées pour des raisons d’approvisionnement.

Confrontation directe avec la Chine

Le troisième acte a été celui de la confrontation directe avec la Chine. Chacun des deux géants inflige à l’autre des surtaxes massives : de 125 points de pourcentage lors du point de tension culminant entre les deux puissances. Ce jeu d’escalade s’enraye à partir de la mi-mai, dernier temps fort de cette séquence. Washington commence à alléger partiellement les sanctions, sans pour autant revenir à la situation d’avant-crise.




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Sur le marché américain, l’augmentation des droits de douane sur les produits chinois est revenue de 125 pp à 10 pp, comme pour les autres pays depuis le 9 avril. En Chine, les produits états-uniens ne se voient plus appliquer qu’une surtaxe de 10 pp. Ces mesures ont profondément modifié le niveau moyen de protection des États-Unis.

Mais pourquoi, en la matière, différents chiffres circulent-ils ?

Trois méthodes de calcul

Pour calculer un droit de douane moyen, à partir des informations disponibles au niveau des produits appelés « lignes tarifaires », trois méthodes principales existent.

La moyenne simple consiste à attribuer le même poids à chaque droit de douane, quel que soit son importance économique. Facile à utiliser et en conséquence assez répandue, cette méthode donne cependant une vision biaisée des niveaux initiaux et des changements récents. Elle tire artificiellement la moyenne vers le bas, masquant l’ampleur des hausses ciblant des secteurs stratégiques.

Pour réduire ce biais, certains analystes privilégient la moyenne pondérée (plus de poids aux produits importés) par les flux commerciaux observés entre deux pays. Cette approche reflète mieux l’impact réel des droits sur les échanges. Les produits fortement importés comptent davantage dans l’indicateur global. Cette méthode souffre d’un défaut majeur que les économistes qualifient d’endogénéité : un droit de douane élevé diminue, ou même annule, les importations du produit ainsi taxé. En théorie, si un produit est taxé à 200 %, mais n’est pas importé, son droit de douane disparaît lors du calcul de la moyenne, car il est multiplié par 0. Ce qui minore le droit de douane moyen obtenu.

Enfin, la méthode retenue pour la base de données tarifaires du CEPII, MAcMap-HS6, dite « des groupes de référence », apporte une solution pragmatique au problème de l’endogénéité. Plutôt que d’utiliser les flux bilatéraux effectivement observés, dont on vient de voir qu’ils risquent fort de biaiser la moyenne, elle s’appuie sur des profils d’importation reconstitués à partir d’échantillons de pays comparables. Chaque pays importateur appartient à un groupe de référence constitué de pays similaires. Ce procédé fournit un indicateur plus stable, apte à la comparaison internationale.

Évolution des droits de douane

Les écarts entre ces méthodes sont loin d’être marginaux. Début 2025, les États-Unis affichaient un niveau moyen de droit de douane de 5 % selon la méthode de MAcMap-HS6. 4,3 % en moyenne pondérée par le commerce observé. Avec près de 60 % de droits de douane nuls, la moyenne simple est beaucoup plus faible : seulement 2,6 %.

Évolution des droits de douane moyens américains (L’augmentation la plus récente des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium n’est pas prise en compte dans ce graphique). »
Fourni par l’auteur

Entre le 20 janvier 2025 (journée d’investiture) et le « Jour de Libération », la moyenne simple, consistant à attribuer le même poids à chaque droit de douane, augmente de seulement 1,8 point de pourcentage (pp). Avec la méthode MAcMap-HS6 des groupes de référence, le droit de douane moyen états-unien progresse de 6,9 pp, pour s’établir à 11,9 %. Encore davantage, 9,3 pp, en moyenne pondérée par le commerce bilatéral, pour atteindre 13,6 %. En effet, les hausses de droits de douane portent principalement sur des produits ou des partenaires commerciaux majeurs pour les États-Unis. Leur poids significatif dans les importations américaines (ou dans celles du groupe de référence) accroît leur impact dans le calcul de la moyenne pondérée par le commerce bilatéral.

Les chiffres du « Jour de Libération » sont plus homogènes. Les droits augmentent pour tous les pays, mais les moyennes pondérées montrent un virage protectionniste plus marqué. La période entre le « Jour de Libération » et la phase de pause et d’escalade avec la Chine se traduit par une baisse significative de la moyenne simple à 4,2 pp ; ce que le terme « pause » peut laisser entendre. Mais en prenant en compte la structure du commerce bilatéral états-unienne (en moyenne pondérée), cette protection augmente de +1 pp ; les droits de douane sur la Chine ayant considérablement augmenté et ce pays représentant une part significative des importations états-uniennes ! En 2024, les importations états-uniennes depuis la Chine ont atteint une valeur dépassant les 400 milliards de dollars.

Entre 16 % et 25 %

Actuellement, les moyennes pondérées sont très élevées, entre 16,1 %, et 16,7 %. Les 12,3 % de la moyenne simple sous-estiment l’ampleur du choc tarifaire que subissent les partenaires commerciaux des États-Unis, en particulier dans les secteurs spécifiquement visés – acier, l’aluminium et véhicule. Le 9 juillet, la protection états-unienne sera au minimum de 16,1 %. Elle pourrait revenir au pic du « Jour de Libération » qui se situe, en prenant en compte la structure des importations des États-Unis ou celle de son groupe de référence autour de 25 %.

Cette séquence souligne à quel point les choix techniques d’agrégation des droits de douane influencent la perception des politiques commerciales. Une lecture superficielle pourrait aboutir à une sous-estimation de la hausse de la protection. Une analyse rigoureuse, tenant compte des biais d’endogénéité, révèle au contraire l’ampleur du tournant protectionniste américain, notamment sur des secteurs – acier, aluminium, automobiles – et des pays spécifiques – Chine, Canada, Mexique. Ainsi, ces choix méthodologiques ne sont pas neutres : ils conditionnent les diagnostics économiques, mais aussi les scénarios de modélisation dans les exercices prospectifs d’équilibre général.

The Conversation

Houssein Guimbard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les droits de douane seront-ils appliqués par Donald Trump le 9 juillet prochain ? – https://theconversation.com/les-droits-de-douane-seront-ils-appliques-par-donald-trump-le-9-juillet-prochain-260223

La maternité à l’époque viking, entre genres, corps et politique sexuelle – nouvelle étude archéologique

Source: The Conversation – France (in French) – By Marianne Hem Eriksen, Associate Professor of Archaeology, University of Leicester

_Britomart_, par Walter Crane (1900). Library of Decorative Arts, Paris

Malgré son rôle central dans l’histoire de l’humanité, la grossesse a souvent été négligée par l’archéologie. Or, des recherches sur l’époque viking, par exemple, montrent la place cruciale des femmes enceintes dans ces sociétés et nous invitent à revoir nos représentations de la répartition des rôles entre hommes et femmes par le passé.


Des femmes enceintes brandissant des épées et portant des casques de combat, des fœtus prêts à venger leurs pères – et un monde rude où tous les nouveau-nés ne naissaient pas libres ou ne recevaient pas de sépulture.

Voilà quelques-unes des réalités mises au jour par la première étude interdisciplinaire consacrée à la grossesse à l’époque des vikings, que j’ai menée avec Kate Olley, Brad Marshall et Emma Tollefsen dans le cadre du projet Body-Politics. Malgré son rôle central dans l’histoire de l’humanité, la grossesse a souvent été négligée par l’archéologie, en grande partie parce qu’elle ne laisse que peu de traces matérielles.

La grossesse a peut-être été particulièrement négligée dans les périodes que nous associons le plus souvent aux guerriers, aux rois et aux batailles – comme l’âge des vikings, hautement romantisé (la période allant de 800 à 1050 apr. J.-C.).

Des sujets tels que la grossesse et l’accouchement ont été traditionnellement considérés comme des « questions féminines », appartenant aux sphères « naturelles » ou « privées ». Pourtant, nous soutenons que des questions telles que « Quand la vie commence-t-elle ? » constituent une préoccupation politique importante, aujourd’hui comme par le passé.

Explorer la « politique de l’utérus » au temps des vikings

Dans notre nouvelle étude, mes coauteurs et moi-même avons rassemblé des éléments de preuve éclectiques afin de comprendre comment la grossesse et le corps de la femme enceinte étaient conceptualisés à cette époque. En explorant cette « politique de l’utérus », il est possible d’enrichir considérablement nos connaissances sur le genre, sur les corps et sur la politique sexuelle à l’époque des vikings et au-delà.

Tout d’abord, nous avons examiné les mots et les récits décrivant la grossesse dans les sources en vieux norrois. Bien que datant de plusieurs siècles après l’ère viking, les sagas et les textes juridiques nous apportent des mots et des récits concernant la procréation que les descendants immédiats des vikings utilisaient et faisaient circuler.

Nous avons appris que la grossesse pouvait être évoquée à travers des tournures comme « le ventre plein », « sans lumière » et « pas entière ». Et nous avons glané un aperçu de la croyance possible en une personnalité du fœtus, dans une expression comme : « Une femme qui ne marche pas seule. »

Etching of a Viking man and woman
Helgi et Guðrún dans la saga de Laxdæla, tels que représentés par Andreas Bloch (1898).
Wiki Commons

Dans l’une des sagas que nous avons étudiées, un épisode soutient l’idée que les enfants à naître (du moins ceux d’un statut social élevé) peuvent déjà être inscrits dans des systèmes complexes de parenté, d’alliances, de querelles et d’obligations. Il raconte l’histoire d’une confrontation tendue entre Guðrún Ósvífrsdóttir, enceinte, protagoniste de la Saga du peuple de Laxardal et l’assassin de son mari, Helgi Harðbeinsson.

En guise de provocation, Helgi essuie sa lance ensanglantée sur les vêtements de Guđrun et sur son ventre. Il déclare : « Je pense que sous le coin de ce châle se trouve ma propre mort. » La prédiction d’Helgi se réalise, le bébé va naître et grandir pour venger son père.

Un autre épisode, tiré de la Saga d’Erik le Rouge, met davantage l’accent sur l’action de la mère. Freydís Eiríksdóttir, enceinte, est prise dans une attaque des Skrælings, nom nordique des populations indigènes du Groenland et du Canada. Ne pouvant s’échapper en raison de sa grossesse, elle prend une épée, dénude son sein et frappe l’épée contre celui-ci, ce qui fait fuir les assaillants.

Bien qu’elle soit parfois considérée comme un épisode littéraire obscur, cette histoire peut trouver un parallèle dans le deuxième ensemble de preuves que nous avons examiné dans le cadre de cette étude : une figurine représentant une femme enceinte.


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Ce pendentif, trouvé dans la sépulture d’une femme du Xe siècle à Aska, en Suède, est la seule représentation connue d’une grossesse à l’époque des vikings. Il représente un personnage en tenue féminine dont les bras enserrent un ventre gonflé, signe peut-être d’un attachement pour l’enfant à venir. Ce qui rend cette figurine particulièrement intéressante, c’est que la femme enceinte porte un casque de combat.

A silver pendant showing a pregnant woman
La figurine d’une femme enceinte analysée dans le cadre de l’étude.
Historiska Museet, CC BY-ND

Pris dans leur ensemble, ces éléments montrent que les femmes enceintes pouvaient, du moins dans l’art et les récits, être confrontées à la violence et aux armes. Elles n’étaient pas cantonnées à la passivité. Avec les études récentes sur les femmes vikings enterrées comme des guerrières, cela nous incite à réfléchir à la manière dont nous envisageons les rôles des hommes et des femmes dans les sociétés vikings, souvent perçues comme hypermasculines.

Enfants disparus et grossesse malheureuse

Un dernier volet de l’enquête a consisté à rechercher des traces de décès de femmes enceintes dans les archives funéraires vikings. Les taux de mortalité maternelle et infantile sont considérés comme très élevés dans la plupart des sociétés préindustrielles. Or, nous avons constaté que, parmi les milliers de tombes vikings, seules 14 sépultures possibles de mères et d’enfants sont signalées.

Par conséquent, nous suggérons que les femmes enceintes décédées n’étaient pas systématiquement enterrées avec leur enfant à naître et qu’elles n’étaient peut-être pas commémorées comme une unité symbiotique par les sociétés vikings. En fait, nous avons également trouvé des nouveau-nés enterrés avec des hommes adultes et des femmes ménopausées, des sépultures qui peuvent être ou non des tombes familiales.

Interpretative drawing of a grave showing a woman’s skeleton and the body of her child
Dessin interprétatif de la tombe d’une femme adulte enterrée avec un nouveau-né placé entre ses cuisses, à Fjälkinge (Suède). Notez que les jambes du corps de la femme ont été alourdies par un rocher.
Matt Hitchcock/Body-Politics, CC BY-SA

Nous ne pouvons pas exclure que les enfants en bas âge – sous-représentés dans les registres d’inhumation en général – aient été disposés ailleurs en cas de décès. Lorsqu’ils sont trouvés dans des tombes avec d’autres corps, il est possible qu’ils aient été inclus en tant qu’« biens funéraires », liés à d’autres personnes présentes dans la tombe.

Voilà qui nous rappelle brutalement que la grossesse et la petite enfance peuvent être des états de transition vulnérables. Un dernier élément de preuve vient particulièrement confirmer ce point. Pour certains, comme le petit garçon de Guđrun, la gestation et la naissance représentaient un processus en plusieurs étapes vers l’accession au statut de personne sociale libre.

Pour les personnes situées en bas de l’échelle sociale, cependant, la situation pouvait être très différente. L’un des textes juridiques que nous avons examinés nous informe sèchement que, lorsque les femmes asservies étaient mises en vente, la grossesse était considérée comme un défaut de leur corps.

La grossesse était profondément politique et loin d’avoir une signification uniforme pour les communautés de l’âge viking. Elle a façonné et a été façonnée par les idées de statut social, de parenté et de personnalité. Notre étude montre que la grossesse n’était ni invisible ni privée, mais qu’elle jouait un rôle crucial dans la façon dont les sociétés vikings concevaient la vie, les identités sociales et le pouvoir.

The Conversation

Marianne Hem Eriksen dirige le projet BODY-POLITICS, financé par le Conseil européen de la recherche (CER) dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention n° 949886). Cette recherche a également été soutenue par le Leverhulme Trust par le biais d’un prix Philip Leverhulme attribué à Marianne Hem Eriksen (PLP-2022-285).

ref. La maternité à l’époque viking, entre genres, corps et politique sexuelle – nouvelle étude archéologique – https://theconversation.com/la-maternite-a-lepoque-viking-entre-genres-corps-et-politique-sexuelle-nouvelle-etude-archeologique-256719