À quand des déchets plastiques biodégradables, à composter chez soi ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Jules Bellon, Doctorant en science des matériaux, UniLaSalle

Et si, au lieu de les trier pour les recycler, on pouvait simplement jeter ses emballages plastiques au compost, avec nos déchets organiques ? Les plastiques biodégradables semblent la meilleure solution pour réduire la pollution produite par ces matériaux. La biodégradabilité de ces matériaux doit cependant encore être améliorée dans ces conditions.


Ils sont partout, et rien ne semble les arrêter. Les plastiques ont envahi notre quotidien, nos paysages… et même nos organismes. Depuis les années 1950, la production de ce matériau à la fois pratique, polyvalent et bon marché a explosé. Aujourd’hui, tous les secteurs y ont recours : emballages, vêtements, objets du quotidien, instruments de musique, dispositifs médicaux… jusqu’aux cœurs artificiels, dont certaines parties sont désormais faites de plastique.

Face à cette omniprésence, le recyclage tente de limiter l’impact environnemental, mais il reste insuffisant. Le plastique s’accumule dans les océans en d’immenses plaques flottantes à la dérive, mais aussi de façon invisible sous forme de micro – et nanoparticules que nous ingérons en mangeant, en buvant, ou en respirant.

Contre cette pollution massive, il existe des leviers d’action, parfois méconnus, qui méritent toute notre attention. Parmi eux : les plastiques biodégradables, à condition de leur offrir des conditions de fin de vie réellement adaptées.


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Des matériaux qui se dégradent rapidement

À l’image de la cigarette, le meilleur plastique est sans doute celui qu’on ne consomme pas. Mais dans certains cas, il reste difficile de s’en passer complètement. Prenons un exemple courant : les barquettes de viande en supermarché. Leur emballage plastique protège les aliments des contaminations microbiennes et prolonge leur durée de conservation, limitant ainsi le gaspillage alimentaire.

C’est dans ce contexte que les plastiques biodégradables prennent tout leur sens. Bien qu’ils soient souvent issus de ressources renouvelables – végétales ou microbiennes – ce n’est pas toujours le cas : un plastique peut être biodégradable sans être biosourcé, et inversement. Pour les plastiques biosourcés, leurs constituants élémentaires peuvent être extraits, par exemple, de l’amidon contenu dans les grains de blé. D’autres, comme les polyhydroxyalcanoates (PHAs), sont synthétisés directement par certaines bactéries en tant que réserves d’énergie. Ces polymères sont déjà utilisés aujourd’hui pour la fabrication de pailles ou de vaisselle à usage unique.

Contrairement aux plastiques conventionnels, qui peuvent persister pendant des siècles dans l’environnement, ces matériaux sont conçus pour se biodégrader plus rapidement. Ils ont la capacité de se décomposer en éléments naturels (eau, dioxyde de carbone, biomasse) sous l’action de micro-organismes, à condition que les bonnes conditions de température, d’humidité et d’aération soient réunies. Comme tous les plastiques, ils sont constitués de chaînes de molécules attachées entre elles. Mais dans les plastiques biodégradables, ces liaisons chimiques sont plus fragiles, notamment les liaisons dites esters ou glycosidiques. Cela les rend accessibles à des micro-organismes capables de les dégrader, en les utilisant comme source de carbone et d’énergie. Dans les bonnes conditions, ce processus permet d’éviter la formation de micro – ou nanoparticules persistantes.

En comparaison, les plastiques conventionnels ne sont pour l’instant recyclés qu’en faible proportion. Et contrairement au verre ou au métal, leur recyclage ne peut être répété indéfiniment : à chaque cycle, leurs propriétés mécaniques se détériorent et il est donc nécessaire d’ajouter à la matière recyclée du plastique neuf. L’incinération, autre option, reste coûteuse et génère des émissions polluantes, malgré les dispositifs de récupération d’énergie.

Améliorer la filière comme alternative au recyclage

Une fois dégradés par les micro-organismes, ces plastiques sont transformés en composés simples, comme du dioxyde de carbone ou de l’eau, et permettent aux bactéries de se multiplier. Ils ne nourrissent pas directement les plantes, car ils sont le plus souvent dépourvus des éléments minéraux nécessaires à leur nutrition. En revanche, une fois dégradés, ils peuvent malgré tout réintégrer le cycle biologique des sols en soutenant l’activité microbienne.

Leur biodégradabilité peut même être améliorée en ajoutant certains constituants organiques dans leur composition. Ce peut-être par exemple des déchets provenant de l’industrie agroalimentaire, comme de la poudre de pelures d’orange ou de bananes, après une étape de séchage et de broyage. En plus d’accélérer le processus de biodégradation, cela permet de valoriser économiquement ces biodéchets, qui finissent souvent en décharge et polluent les sols et les cours d’eau environnants.

Cette capacité à disparaître a cependant un coût : les plastiques biodégradables présentent souvent des propriétés mécaniques plus limitées, encore variables selon les formulations. Par exemple, les sacs en plastique biodégradables peuvent avoir une plus faible résistance à la traction, les rendant plus susceptibles de se rompre sous le poids de leur contenu. Ils sont également, pour l’instant, plus coûteux à produire que leurs équivalents conventionnels. Toutefois, le développement de filières industrielles dédiées et la mise en place d’unités de production à grande échelle pourraient, à terme, permettre de réduire ces coûts grâce à des économies d’échelle.

Le compostage domestique des plastiques : (presque) que des avantages

Mais attention : pour qu’un plastique biodégradable se décompose réellement, certaines conditions doivent être réunies. Cela nécessite une température et une humidité suffisantes, ainsi qu’une population microbienne capable de rompre les liaisons chimiques spécifiques du matériau. Or, tous les environnements naturels ne remplissent pas ces critères. C’est pourquoi il est essentiel de leur assurer une fin de vie appropriée – par exemple, dans un tas de compost, milieu riche en bactéries et en champignons. On distingue alors deux types de compostage : le compostage centralisé (ou industriel) et le compostage domestique.

Le compostage industriel repose sur la collecte des biodéchets, leur transport et leur traitement dans des installations spécifiques. Ce modèle exige des infrastructures coûteuses, du personnel qualifié, une logistique importante, et génère une empreinte carbone liée au transport. En France, cette filière reste encore en développement. Si elle devait devenir un canal privilégié pour les plastiques biodégradables, elle nécessiterait un effort de structuration conséquent.

À l’inverse, le compostage domestique permet d’éviter en grande partie ces contraintes. Depuis janvier 2024, le tri des biodéchets à la source est devenu obligatoire pour les ménages. Les emballages à usage unique portant une certification de compostabilité domestique (comme la norme NF T51-800) peuvent donc être ajoutés aux déchets alimentaires dans un bac à compost familial.

La dégradation des plastiques biodégradables est certes plus lente en compostage domestique qu’en compostage industriel, en raison de températures plus basses et de conditions moins contrôlées. Pourtant, ce mode de traitement local, sans coûts de collecte ni de transport, présente un réel potentiel dans une logique d’économie circulaire. Pour que cette filière décentralisée puisse se développer de manière crédible, accessible et efficace, il reste toutefois essentiel d’améliorer la biodégradabilité des plastiques, en particulier celle des principaux polymères utilisés dans les formulations.

Améliorer le processus et sensibiliser par l’action individuelle

Plusieurs pistes émergent pour relever ce défi, comme le développement de biocomposites intégrant des coproduits organiques, ou encore des stratégies d’enrichissement biologique du milieu de compostage. Par exemple, des souches microbiennes spécifiques ou des additifs naturels (comme le lait écrémé) peuvent stimuler l’activité microbienne et accélérer la biodégradation. Ces approches pourraient donner lieu à la commercialisation de nouveaux « activateurs de compost », utilisables aussi bien par les ménages que par les collectivités ou entreprises assurant la gestion de composteurs dits communautaires – une autre voie prometteuse pour un compostage décentralisé, à l’échelle des quartiers ou des communes.

Enfin, au-delà de l’aspect technique, ce modèle a une vertu éducative : en participant à la dégradation des emballages, les consommateurs prennent conscience de leur impact environnemental. Cette prise de conscience peut les inciter à réduire leur production de déchets, à privilégier le vrac ou à adopter des contenants réutilisables. Et c’est ainsi que se met en marche, peu à peu, un véritable cercle vertueux.

The Conversation

Jules Bellon a reçu un financement de la Région Normandie (RIN50: 22 E01400 – 00123402) afin de mener ses travaux de recherche.

Feriel Bacoup et Gattin Richard ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. À quand des déchets plastiques biodégradables, à composter chez soi ? – https://theconversation.com/a-quand-des-dechets-plastiques-biodegradables-a-composter-chez-soi-257914

Conservateur ou progressiste : quel type de donateur êtes-vous ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Thomas Leclercq, Professeur ordinaire en marketing, IESEG School of Management (LEM-CNRS 9221), Head of Marketing and Sales Department, IÉSEG School of Management

Lorsqu’un conservateur reçoit une communication d’une association présentant un bénéficiaire qu’il considère comme étant proche, la probabilité de faire est don est de 73 %. Lightspring/Shutterstock

En 2025, la politique influence nos dons. Après la distinction entre la gauche et la droite, une étude démontre que la générosité des Français oppose conservateur et progressistes. Les premiers sont enclins à donner à des associations près de chez eux, résolvant des problèmes. Les seconds, pour des projets de justice sociale, apportant un changement ou un progrès. Résultat en chiffres et en graphiques.


Dans un contexte de polarisation politique croissante, nos choix en tant que consommateurs s’entremêlent de plus en plus avec nos convictions. L’expert en marketing Benjamin Bœuf souligne que les consommateurs préfèrent des marques qui démontrent un positionnement politique similaire au leur. Elle pousse les entreprises à intégrer ce critère dans leur stratégie marketing, ou à se positionner sur des questions de sociétés.

Mais cet impact dépasse largement nos décisions d’achat. Nos préférences politiques façonnent également nos élans de générosité et les causes que nous choisissons de soutenir. Cette influence s’explique en partie par le fait que notre orientation politique reflète des valeurs morales qui nous sont propres, qui guident nos actions et nos choix.

À travers notre recherche, nous avons mis en lumière trois tendances majeures qui révèlent comment ces orientations politiques influencent le comportement des donateurs : le cadrage du message, la proximité du bénéficiaire et le sentiment de justice sociale sous-jacent, la démarche de l’organisation caritative. Pour ce faire, nous avons mené une série d’études manipulant des communications provenant d’organisations caritatives, mesurant l’effet sur la propension à faire un don.

Vision conservatrice vs progressiste

Au-delà des préférences de chacun pour certains partis, les études sur l’orientation politique du psychologue social américain John Tost mettent en évidence la polarité entre les conservateurs et les progressistes (ou libéraux sur les graphiques), également décrite par la distinction gauche-droite. Les personnes de sensibilité progressiste estiment que chacun doit être libre de poursuivre son propre développement, et que la société doit être organisée dans un souci de justice sociale. À l’inverse, les conservateurs considèrent que l’être humain est fondamentalement individualiste, que la vie en société requiert dès lors des structures et des règles régissant la liberté de chacun.

Ce positionnement politique détermine la manière dont chacun perçoit la société et le rôle des individus au sein du collectif. Selon le professeur en psychologie Graham, une vision conservatrice met davantage l’accent sur la responsabilité individuelle et la préservation des structures sociales existantes. Une vision progressiste valorise la responsabilité collective et les initiatives visant à corriger les inégalités systémiques. L’orientation politique progressiste peut dès lors être mesurée en demandant aux répondants d’indiquer leur degré d’accord vis-à-vis d’affirmations telles que « J’ai une tendance à m’opposer à l’autorité ». On demandera aux répondants d’indiquer leur accord vis-à-vis d’affirmations telles que « Je pense que l’application des lois devrait être renforcée ». Ces différences fondamentales influencent directement le type d’organisations caritatives auxquelles les individus choisissent de donner.

Évitement d’un danger vs changement

Les personnes ayant une orientation politique conservatrice sont davantage attirées par des organisations qui communiquent sur l’évitement d’un danger ou la résolution d’un problème. « Votre don nous aidera à protéger des populations des risques d’épidémies » ou « votre geste permettra de mettre en œuvre des actions pour protéger notre planète ». Ces messages, centrés sur la protection ou la sécurité, trouvent un écho particulier auprès de ce public.

À l’inverse, les individus ayant une orientation politique progressiste privilégient des causes qui mettent en avant des opportunités positives de changement ou de progrès, avec un accent sur l’optimisme et l’amélioration. « Aidez-nous à créer un monde plus vert » ou « relevons ensemble le défi de l’égalité sociale ».


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Changement vs évitement

Afin de démonter cette préférence, nous avons présenté une expérimentation auprès de 150 répondants à travers laquelle les participants complétaient un questionnaire concernant leur orientation politique. À la suite de ce dernier, ils étaient invités à soutenir une association dont nous avons fait varier le message via trois groupes :

  • Un message neutre décrivant l’activité de l’organisation

  • Un message centré sur l’évitement

  • Un message centré sur le progrès




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La probabilité qu’une personne d’orientation progressiste donne à une cause présentée sous la forme d’un progrès est de 85 %, contre 30 % pour les conservateurs recevant cette même communication. En revanche, la communication mettant en exergue la protection ou l’évitement d’un risque fait monter la probabilité de don à plus de 60 % pour les conservateurs, contre 36 % pour les progressistes.

Cause proche de son quotidien

Les conservateurs montrent une préférence pour des causes où le bénéficiaire est perçu comme étant proche d’eux, que ce soit culturellement, géographiquement ou socialement. Pour confirmer cette hypothèse, nous avons proposé un questionnaire sur l’orientation politique à 243 répondants. À la suite de celui-ci, nous leur avons proposé de soutenir une organisation caritative via un don.

Dans un groupe, cette dernière était décrite comme aidant les personnes dans la ville du répondant, dans l’autre nous présentions la même association pour un autre pays. Lorsqu’un conservateur reçoit une communication présentant un bénéficiaire qu’il considère comme étant proche, la probabilité de faire est don est de 73 %, contre 68 % quand le bénéficiaire est éloigné.

Justice sociale

En revanche, les progressistes sont davantage motivés par des causes centrées sur la justice sociale. L’enjeu est de corriger des inégalités ou de soutenir des groupes marginalisés comme les aides aux sans-abris ou le combat contre les drogues. Ces sujets sont centraux, car ils représentent les principales missions des organisations caritatives à but social. Pour démontrer cette tendance, nous avons administré un questionnaire sur l’orientation politique à 270 participants. À l’issue de celui-ci, ils ont été invités à soutenir une organisation caritative en réalisant une promesse de don.

Pour un premier groupe, l’organisation était présentée comme luttant pour un traitement égalitaire entre les hommes et les femmes, tandis que pour un second groupe, elle agissait contre l’abus et la cruauté envers les animaux domestiques. Les résultats indiquent que, chez les répondants progressistes, la probabilité de don atteint 76 % lorsque la cause est liée à la justice sociale, contre 58 % quand elle ne l’est pas de manière explicite.

Cibler les donateurs

Ces résultats offrent aux organisations caritatives un véritable levier pour optimiser leur communication. En comprenant mieux les différences d’orientation entre les publics conservateurs et progressistes, elles peuvent adapter leurs messages pour maximiser leur impact. Une campagne destinée à un public conservateur pourrait, par exemple, insister sur des enjeux de sécurité ou de préservation des valeurs locales. En revanche, une communication visant un public progressiste gagnerait à mettre en avant des projets innovants ou des initiatives pour réduire les inégalités sociales.

En ciblant mieux leurs donateurs, les organisations peuvent non seulement accroître leur efficacité, mais aussi s’assurer que leur message résonne profondément avec les convictions de leurs publics. Dans un monde de plus en plus polarisé, cette capacité à adapter la communication devient un atout clé pour mobiliser un soutien durable.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Conservateur ou progressiste : quel type de donateur êtes-vous ? – https://theconversation.com/conservateur-ou-progressiste-quel-type-de-donateur-etes-vous-255442

Dix ans après leur entrée en vigueur, les directives de fin de vie sont peu utilisées. Voici pourquoi

Source: The Conversation – in French – By Ariane Plaisance, Research scientist, Université Laval

Les directives médicales anticipées (DMA), qui permettent à une personne de faire connaître ses volontés pour le jour où elle ne serait plus capable de s’exprimer ou de décider pour elle-même, restent encore peu utilisées, tant par les citoyens que par les professionnels de la santé. Pourtant, leur valeur juridique est bien établie.

Cette faible utilisation peut s’expliquer par plusieurs lacunes déjà soulevées par des juristes, que notre équipe a voulu explorer de plus près.

Instaurées le 10 décembre 2015 lors de la mise en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie (LCSFV), les directives médicales anticipées permettent à une personne majeure et apte à consentir aux soins d’accepter ou de refuser en avance cinq soins médicaux, soit la réanimation cardiorespiratoire, la ventilation assistée par un respirateur, la dialyse, l’alimentation artificielle et l’hydratation artificielle.

Ces directives s’appliquent dans trois circonstances bien précises :

  • En cas de maladie grave et incurable, en fin de vie

  • En situation de coma irréversible ou d’état végétatif permanent

  • En cas de démence avancée sans possibilité d’amélioration.

Les DMA sont complétées par acte notarié ou devant témoins au moyen du formulaire prescrit par le ministre, puis déposées dans un registre administré par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Dans son rapport quinquennal 2018-2023 déposé le 18 février dernier, la Commission sur les soins de fin de vie soulève des questionnements quant au nombre limité de personnes ayant complété des DMA et sur l’effet presque inexistant du régime.

Et si une partie de la réponse se trouvaient dans les écrits juridiques ?

Nous sommes une équipe de recherche interdisciplinaire comprenant des étudiantes à la maîtrise en droit notarial et moi-même, chercheuse spécialisée sur les pratiques de fin de vie. Grâce à un financement de la Chambre des notaires du Québec, nous avons fait une analyse des écrits de spécialistes du droit ayant émis des réserves face au régime des DMA.




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L’aptitude à consentir : un fondement légal fragile

Selon Robert P. Kouri, docteur en droit et professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, les dispositions de la loi par rapport à l’aptitude à consentir aux soins présentent une incohérence. Bien que cette aptitude soit présumée, certaines personnes peuvent ne pas être en mesure de l’exercer pleinement.

Le notaire a une obligation de diligence pour vérifier la capacité du signataire, mais ne possède généralement pas l’expertise pour évaluer l’aptitude à consentir aux soins. Quant aux DMA signées devant témoins, aucun mécanisme ne permet de vérifier l’aptitude, malgré la mention préimprimée affirmant que la personne est « majeure et apte ».

Comme le soulignait déjà Me Danielle Chalifoux en 2015, le rôle des témoins se limite à valider la signature, sans exigence d’indépendance ou de vérification de l’aptitude. Si la DMA a été reçue devant notaire et surtout lorsqu’elle a été reçue devant témoins, comment des professionnels de la santé pouvaient s’assurer, des années plus tard, qu’il s’agit bel et bien de l’expression émanant d’une personne légalement apte au moment de la complétion et que ces volontés sont toujours les mêmes, questionne Me Kouri ?

Le consentement éclairé : un idéal souvent irréaliste

La Loi sur les soins de fin de vie part du principe que la personne qui remplit des DMA a reçu toute l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée. Or, selon Me Kouri et Me Chalifoux, cette présomption repose sur l’hypothèse d’une consultation avec un professionnel de la santé compétent. Dans les faits, il est peu réaliste de croire que des personnes en bonne santé prennent cette initiative dans un contexte hypothétique de fin de vie.

Il est même irréaliste de croire que des personnes malades aient eu accès à un médecin en mesure de leur expliquer les risques et bénéfices d’accepter ou de refuser les cinq soins contenus dans les DMA. Une telle conversation prend du temps, plus longtemps que la durée d’un seul rendez-vous médical ! Il devient donc difficile d’affirmer honnêtement que la décision est réellement éclairée, d’autant que la volonté exprimée peut évoluer, parfois considérablement, avec le temps.




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Quand les proches sont exclus des décisions

Dans un texte publié en 2019, Louise Bernier, professeure de droit de la santé à l’Université de Sherbrooke, et Catherine Régis, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, critiquent l’exclusion des proches dans le processus d’application des DMA. Une fois le formulaire entre les mains des professionnels de la santé, la loi n’accorde aucun rôle officiel à la famille pour compléter l’information ou interpréter les volontés exprimées.

Pourtant, les proches sont souvent les mieux placés pour comprendre l’évolution des valeurs ou des préférences de la personne. Les professeures Bernier et Régis dénoncent une conception réductrice et individualiste de l’autonomie, qui fait fi de la dimension relationnelle essentielle dans les soins palliatifs et en fin de vie.


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Un régime à repenser

L’analyse des critiques juridiques permet de mieux comprendre la faible adhésion aux DMA. Les enjeux entourant la présomption d’aptitude, la présomption de consentement éclairé et l’absence de rôle reconnu pour les proches minent la crédibilité et l’efficacité de ce mécanisme légal.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les professionnels de la santé puissent hésiter à se fier pleinement aux DMA. De même, la population semble peu encline à recourir à cet instrument, soit par méconnaissance, soit par doute quant à sa capacité réelle de refléter leurs volontés profondes dans des circonstances imprévisibles.

Ces constats invitent à revoir en profondeur ce régime. Peut-être serait-il temps de miser davantage sur les objectifs de soins – un processus évolutif déjà en place depuis 1994, qui consiste à discuter avec la personne et ses proches pour établir les grandes orientations de traitement selon son état de santé, ses volontés et ses valeurs. Ce mécanisme, plus souple, évolutif, et mieux adapté à l’accompagnement clinique, permet aussi l’implication des proches.

La Conversation Canada

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Dix ans après leur entrée en vigueur, les directives de fin de vie sont peu utilisées. Voici pourquoi – https://theconversation.com/dix-ans-apres-leur-entree-en-vigueur-les-directives-de-fin-de-vie-sont-peu-utilisees-voici-pourquoi-257179

Célibataire ? Voici 5 conseils pour vous épanouir

Source: The Conversation – in French – By Yuthika Girme, Associate Professor, Department of Psychology, Simon Fraser University

De nombreuses personnes passent la vingtaine et la trentaine à se découvrir et à construire une vie indépendante. Parallèlement, la société leur dit qu’elles devraient chercher l’amour, se ranger et fonder une famille. Ces étapes sont encore largement considérées comme des symboles de l’âge adulte et de la réussite.

Comment cela se traduit-il pour le nombre croissant de célibataires dans la vingtaine et la trentaine ?

Au Canada, le célibat est en constante augmentation chez les jeunes adultes. Malgré cette tendance, le discours dominant continue de présenter les relations romantiques comme l’idéal à atteindre. Le célibat est souvent perçu comme une étape temporaire, plutôt que comme un mode de vie légitime et épanouissant.

Je suis professeure agrégée à l’Université Simon Fraser, où je dirige le laboratoire «Singlehood Experiences and Complexities Underlying Relationships» (Expériences du célibat et complexités sous-jacentes aux relations). Mes recherches visent à comprendre les conditions qui permettent aux célibataires et aux couples de s’épanouir et d’être heureux.

Voici ce que j’ai appris au fil des ans sur ce que vivent les adultes célibataires dans la vingtaine et la trentaine.


25-35 ans : vos enjeux, est une série produite par La Conversation/The Conversation.

Chacun vit sa vingtaine et sa trentaine à sa façon. Certains économisent pour contracter un prêt hypothécaire quand d’autres se démènent pour payer leur loyer. Certains passent tout leur temps sur les applications de rencontres quand d’autres essaient de comprendre comment élever un enfant. Notre série sur les 25-35 ans aborde vos défis et enjeux de tous les jours.

Le célibat est de plus en plus répandu

Au Canada, 59,8 % des 25-29 ans et 37,6 % des 30-34 ans déclarent ne pas être mariés ni vivre en union libre.

La proportion de jeunes de 20 à 34 ans qui ne vivent pas en couple est passée de 50,5 % en 1996 à 60,3 % en 2021.

En outre, parmi les personnes qui souhaitent un jour s’engager dans une relation, nombreuses sont celles qui repoussent leur décision. L’âge moyen du mariage au Canada a augmenté de près de huit ans depuis les années 1970, passant de 23,3 ans en 1971 à 31,2 ans en 2020.

Ces tendances peuvent être le reflet de divers facteurs : priorisation de la carrière, volonté de voyager, difficulté à rencontrer quelqu’un ou préférence pour le célibat au début de l’âge adulte.

Elles peuvent également refléter le fait qu’un nombre croissant de personnes se considèrent comme des «célibataires dans l’âme» et choisissent délibérément le célibat, car elles apprécient leur liberté et leur solitude.

La pression de former un couple

Malgré le nombre croissant de personnes dans la vingtaine et la trentaine qui sont célibataires, que ce soit par choix ou en raison des circonstances, la pression sociétale incite les gens à vivre une relation amoureuse et à se ranger. Cela s’explique en grande partie par le fait que notre société met fortement l’accent sur le couple, le mariage et la vie de famille.

Il est certain que vouloir fonder une famille et entretenir une relation amoureuse est un choix de vie commun et légitime. Toutefois, placer les relations amoureuses sur un piédestal peut se faire au détriment des célibataires.


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Les célibataires sont souvent considérés comme incomplets, simplement parce qu’ils ne sont pas en couple. Une étude que j’ai menée avec des collègues montre que les célibataires se sentent souvent exclus, mis à l’écart ou pris en pitié, ce qui peut nuire à leur bien-être. Ils peuvent également être victimes de stéréotypes négatifs et avoir le sentiment d’être perçus comme égoïstes, sans cœur, solitaires ou antisociaux.

Ces discours ne viennent pas uniquement de la société : les célibataires peuvent aussi les intérioriser, ce qui peut avoir des conséquences néfastes.

Dans une autre étude, nous avons examiné ce que nous appelons «les croyances liées à l’idéalisation de la vie amoureuse», c’est-à-dire la mesure dans laquelle les gens pensent qu’ils doivent être en couple pour être vraiment heureux. Nous avons constaté que les célibataires qui y adhèrent sont plus susceptibles de craindre le célibat et, par conséquent, de se déclarer insatisfaits de leur vie.

Comment être célibataire et heureux ?

Comment les célibataires peuvent-ils mener une vie heureuse, établie et satisfaisante, malgré les messages de la société sur l’importance des relations amoureuses ?

Pour répondre à cette question, mes collègues et moi-même avons passé en revue les études sur le célibat afin de mieux comprendre la différence entre les célibataires qui s’accommodent de leur situation et ceux qui s’y épanouissent. Nous avons constaté que, si certains célibataires trouvent la vie en solo difficile et aspirent à être en couple, de nombreux autres sont heureux et épanouis.

Voici quelques facteurs associés à un célibat heureux :

1) Avoir confiance en soi. Les personnes sûres d’elles qui sont capables de faire confiance à leurs proches et de compter sur eux font partie des célibataires heureux. Elles se disent plus satisfaites de leur vie et ont de bonnes habiletés en matière de régulation émotionnelle. Les célibataires sûrs d’eux peuvent être ouverts à l’idée de vivre une relation amoureuse tout en étant heureux et épanouis dans leur célibat.

2) Avoir des amis qui nous soutiennent. Les célibataires ont tendance à accorder davantage d’importance à leurs relations amicales que les personnes en couple. Les célibataires qui s’investissent dans leurs amitiés ont un sentiment d’appartenance, affichent une bonne estime de soi et sont satisfaits leur célibat.

Trois personnes assises autour d'une table de café en train de discuter
Les célibataires ont tendance à accorder davantage d’importance à leurs relations amicales que les personnes en couple.
(Shutterstock)

3) Répondre à ses besoins d’intimité. Les célibataires ont également des besoins sexuels et d’intimité. Selon les recherches, les célibataires qui savent y répondre apprécient davantage leur célibat et cherchent moins à être en couple. Par ailleurs, les célibataires satisfaits sur le plan sexuel finissent souvent par former un couple avec le temps.

4) Être plus âgé. Plus on approche de la quarantaine, plus le célibat est bien vécu. Cela découle sans doute du fait que les personnes d’âge mûr s’investissent pleinement dans leur vie de célibataire et ont moins tendance à subir la pression sociale qui les incite à correspondre à certaines attentes.

5) Accorder de l’importance à la liberté, au plaisir et à la créativité. Les recherches nous apprennent que les personnes célibataires qui apprécient la liberté, le plaisir et la créativité se sentent généralement plus heureuses.

Si on est célibataire dans la vingtaine et la trentaine, ce peut être un bon moment pour se concentrer sur son développement personnel, sa carrière, ses aspirations et ses relations avec la famille, les amis et la communauté. Ce sont des éléments importants pour vivre une vie heureuse, et ce, peu importe si on choisit de vivre seul ou en couple.

La Conversation Canada

Yuthika Girme bénéficie d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

ref. Célibataire ? Voici 5 conseils pour vous épanouir – https://theconversation.com/celibataire-voici-5-conseils-pour-vous-epanouir-256933

Le changement climatique a doublé le nombre de vagues de chaleur dans le monde : quel impact en Afrique ?

Source: The Conversation – in French – By Joyce Kimutai, Climate Scientist and Research Associate in the Centre for Environmental Policy – Faculty of Natural Sciences, Imperial College London

Une étude mondiale sur les chaleurs extrêmes a révélé qu’entre mai 2024 et mai 2025, près de la moitié de la population mondiale (49 %, soit 4 milliards de personnes) a subi 30 jours supplémentaires de fortes chaleurs. Ces journées ont été plus chaudes que 90 % des jours enregistrés entre 1991 et 2020.

Des scientifiques de World Weather Attribution, du Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de Climate Central ont découvert que le changement climatique avait également doublé le nombre de vagues de chaleur dans le monde. Cette étude a également recensé 67 épisodes de chaleur extrême influencés par le changement climatique.

The Conversation Africa s’est entretenu avec la climatologue Joyce Kimutai, l’une des auteurs du rapport.


Quel est le lien entre le changement climatique et les vagues de chaleur ?

Le changement climatique modifie les phénomènes météorologiques extrêmes. En d’autres termes, il augmente l’intensité et la probabilité des vagues de chaleur et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes. Il ne les provoque pas puisque les phénomènes météorologiques extrêmes ont toujours existé. Mais il rend les vagues de chaleur beaucoup plus graves et plus nocives.

Beaucoup de gens ne se rendent toujours pas compte du danger que représentent les vagues de chaleur. Nous les appelons « tueurs silencieux » car elles causent souvent de graves dégâts sans les images spectaculaires qu’on voit avec les tempêtes ou des inondations. Les vagues de chaleur peuvent entraîner une déshydratation, des coups de chaleur, voire la mort, en particulier chez les personnes vulnérables telles que les personnes âgées, les enfants et celles souffrant de problèmes de santé préexistants.

Par exemple, notre étude porte sur une vague de chaleur qui a vu les températures dépasser les 45 °C au Sahel (région semi-aride de l’ouest et du centre-nord de l’Afrique). Pendant cet épisode, les températures ont dépassé les 45°C. Au Mali, on a même approché les 50°C.

Nous avons constaté que cette vague de chaleur était 1,5 °C plus chaude et dix fois plus susceptible de se produire en raison du changement climatique. Pour certaines personnes, 1,5 °C peut sembler insignifiant. Mais pour les personnes vulnérables, cela peut être une question de vie ou de mort.

Comment avez-vous déterminé les épisodes de chaleur extrême liés au changement climatique ?

Nous avons utilisé une méthodologie scientifique d’attribution et des modèles climatiques pour calculer l’impact du changement climatique sur un événement de température extrême. En d’autres termes, nous avons utilisé un système que nous avons inventé, appelé « Climate Shift Index », pour calculer le nombre de jours de chaleur extrême qui se seraient produits si les humains n’avaient jamais provoqué le changement climatique. Nous avons ensuite comparé ce chiffre au nombre de jours de chaleur extrême réellement enregistrés.

Cela nous a permis de compter le nombre de jours de chaleur extrême supplémentaires causés par le changement climatique au cours de l’année écoulée. Cela nous permet également de prédire que les vagues de chaleur deviendront plus fréquentes et plus intenses si les émissions de gaz à effet de serre des grandes entreprises polluantes qui brûlent des combustibles fossiles ne sont pas réduites de manière drastique.

Pour voir comment le changement climatique a affecté les températures au cours de l’année écoulée, nous avons d’abord déterminé ce qui était considéré comme une chaleur inhabituelle. Nous nous sommes basés sur les températures des 10 % des jours les plus chauds entre 1991 et 2020. Nous avons ensuite compté le nombre de jours entre le 1er mai 2024 et le 1er mai 2025 qui étaient plus chauds que ce niveau. Enfin, nous avons estimé combien de ces jours étaient dus au changement climatique.




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Comment l’Afrique a-t-elle été touchée ?

Plusieurs pays africains ont connu plus de 90 jours de chaleur extrême. Cela signifie que ces journées ont été plus chaudes que 90 % des journées entre 1991 et 2020. Il s’agit du Burundi, des Comores, du Congo, de la Guinée équatoriale, du Gabon, du Ghana, du Liberia, de Mayotte, du Rwanda et de Sao Tomé-et-Principe. En d’autres termes, ces pays ont tous connu au moins trois mois (certains plus de quatre mois) de températures extrêmement élevées.

Les pays africains ont également connu 14 des 67 épisodes de chaleur extrême dans le monde. Une vague de chaleur extrême est un événement qui provoque d’importants préjudices aux personnes et aux biens, tels que la destruction des récoltes ou la fissuration des bâtiments. Ces vagues de chaleur ont touché 42 des 54 pays africains.

En Afrique, la vague de chaleur la plus fortement influencée par le climat s’est produite entre le 14 et le 30 décembre 2024. Nous avons constaté que le changement climatique avait multiplié par au moins 15 la probabilité de cet événement. Les pays particulièrement touchés se trouvaient en Afrique occidentale et centrale.

Une autre vague de chaleur a eu lieu en février 2025 au Soudan du Sud. Les écoles ont dû fermer pendant deux semaines car les enfants s’évanouissaient à cause des coups de chaleur. Toute la population a été invitée à rester à l’abri du soleil et à s’hydrater. Cela a posé problème car de nombreuses maisons au Soudan du Sud sont construites avec des toits en tôle et ne disposent ni de climatisation, ni de ventilateurs électriques, ni d’électricité. Toutes ne disposent pas d’eau potable.

L’Afrique australe a connu quatre vagues de chaleur extrême en 2024, dont deux épisodes de cinq jours. Ces événements ont été jusqu’à neuf fois plus probables à cause du changement climatique. Les pays d’Afrique du Nord ont aussi subi plusieurs vagues de chaleur sévères.

Cette analyse souligne les graves conséquences de la hausse des températures en Afrique. Chaque petite augmentation du réchauffement climatique exposera davantage de personnes à travers le continent à des chaleurs extrêmes qui menacent leur santé et leur bien-être.

Le changement climatique rend déjà la vie plus difficile sur tout le continent. Et si le climat continue de se réchauffer, les épisodes de chaleur extrême vont empirer. Les stratégies d’adaptation ne suffiront plus à protéger les populations.

Il est urgent de financer l’adaptation des pays africains face à ces chaleurs extrêmes. Ces fonds doivent aller en priorité aux pays les plus touchés.

Pour éviter que les épisodes de chaleur extrême ne s’aggravent à l’avenir, la seule solution est que le monde cesse, dès que possible, d’utiliser les combustibles fossiles responsables du réchauffement climatique.

The Conversation

Joyce Kimutai bénéficie d’un financement de l’Imperial College London, de Danida et du gouvernement kenyan.eter Macharia est financé par le Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek- Belgique (FWO, numéro 1201925N) pour sa bourse postdoctorale senior

ref. Le changement climatique a doublé le nombre de vagues de chaleur dans le monde : quel impact en Afrique ? – https://theconversation.com/le-changement-climatique-a-double-le-nombre-de-vagues-de-chaleur-dans-le-monde-quel-impact-en-afrique-260440

Immigration de travail : au-delà des idées reçues

Source: The Conversation – France (in French) – By Hippolyte d’Albis, Directeur de recherche au CNRS, Paris School of Economics – École d’économie de Paris

L’immigration de travail est devenue un sujet tellement passionnel que les réalités statistiques finissent pas en être oubliées. Or, loin des discours sur la submersion, l’immigration de travail reste un phénomène marginal et plutôt contrôlé. Si « grand remplacement » il y a, c’est celui de la raison par les affects.

Partenaire des Rencontres économiques d’Aix, The Conversation publie cet article. L’immigration sera le thème de plusieurs débats de cet événement annuel dont l’édition 2025 a pour thème « Affronter le choc des réalités ».


L’immigration suscite toujours des débats et controverses passionnés. Mais force est de constater que le cas spécifique de l’immigration pour raison professionnelle engendre des positions particulièrement polarisées. Ses partisans s’appuient sur sa longue histoire et mettent en avant tous ces « étrangers qui ont fait la France », des prix Nobel aux ouvriers des usines des Trente Glorieuses. Ses opposants avancent, quant à eux, l’idée qu’il est illogique de faire venir des étrangers pour travailler en France alors même qu’il y a tant de personnes sans emploi et que, facteur aggravant, le taux d’emploi des étrangers est inférieur à celui du reste de la population d’âge actif.

Du fait de son poids dans le débat politique, il est indispensable d’analyser l’immigration de façon rigoureuse. Les faits, souvent occultés par les passions, révèlent une réalité bien différente des discours convenus. L’immigration de travail en France, loin du raz-de-marée dénoncé, demeure un phénomène quantitativement marginal aux effets économiques bénéfiques à tous.

Tout d’abord, l’État français ne recrute plus de travailleurs à l’étranger depuis 1974.

Après avoir organisé pendant les Trente Glorieuses l’arrivée de six millions de travailleurs – d’abord d’Italie, puis d’Espagne, de Yougoslavie, du Maghreb et de Turquie –, la France a officiellement suspendu l’immigration de travail le 3 juillet 1974. Cette suspension a duré vingt-cinq ans avant d’être remplacée par un système de contrôle et de régulation des recrutements de travailleurs étrangers.

Ouverture européenne

Mais la construction européenne a transformé la donne. L’Union européenne forme aujourd’hui un gigantesque marché du travail de 220 millions d’actifs, dont seulement 15 % résident en France. Du fait de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le marché français est totalement ouvert à près de 190 millions de travailleurs européens. Paradoxalement, cette ouverture massive – qui rend ridicule l’idée d’une France fermée à l’immigration – génère des flux annuels inférieurs à 100 000 personnes, soit à peine 0,1 % de notre population.

La régulation par l’État ne concerne donc que les ressortissants des pays dits tiers, ceux dont les ressortissants sont soumis à une obligation de détenir un titre de séjour pour résider en France.

Avec Ekrame Boubtane, nous avons reconstitué l’évolution de cette immigration professionnelle depuis 2000 à partir des bases de données exhaustives du ministère de l’intérieur. Les chiffres sont sans appel : en moyenne annuelle, moins de 13 400 personnes ont obtenu un premier titre pour motif professionnel. Comparé aux 750 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, ce flux représente un phénomène quantitativement marginal.

Trois catégories distinctes

Cette immigration extraeuropéenne se décompose en trois catégories distinctes. La première concerne les personnes hautement qualifiées, baptisées « talents » par une terminologie révélatrice d’un certain mépris pour le reste de la population. Encouragée et mise en avant depuis la loi RESEDA de 1998, cette immigration, qui a la faveur de beaucoup de responsables politiques, a représenté 6 500 personnes en 2021.




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La deuxième catégorie regroupe les salariés et saisonniers moins qualifiés mais disposant d’un contrat de travail français. Leur recrutement, soumis à un processus administratif lourd transitant par Pôle emploi (aujourd’hui, France Travail), a concerné 11 900 personnes en 2021.

La troisième catégorie, la plus importante, rassemble les régularisations de personnes en situation irrégulière. Ces procédures « au fil de l’eau », en constante progression depuis 2012, ont bénéficié à 12 700 personnes en 2021, soit 41 % de l’immigration professionnelle totale.


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Fausses évidences

Les craintes relatives à l’emploi et aux salaires sont souvent présentées comme les plus rationnelles. Le raisonnement paraît imparable : l’immigration accroît l’offre de travail, ce qui fait baisser les salaires ou augmente le chômage si les salaires sont rigides. Cette logique semble frappée au coin de l’évidence.

Pourtant, des décennies de recherches empiriques démontrent le contraire. Les études les plus célèbres ont analysé des « expériences naturelles » telles que l’expulsion par Fidel Castro de 125 000 Cubains vers Miami en 1980, ou l’arrivée de 900 000 rapatriés d’Algérie en France en 1962). Dans les deux cas, ces chocs migratoires considérables n’ont eu aucun effet significatif sur les salaires et le chômage des populations locales.

Ces résultats, confirmés par de nombreuses études dans différents pays, s’expliquent par trois mécanismes principaux. Premièrement, les étrangers subissent des discriminations sur le marché du travail, parfois pour des raisons objectives (moindre maîtrise de la langue), parfois par xénophobie. Ils ne peuvent donc « prendre la place » des nationaux qu’en cas de pénurie de main-d’œuvre, principe d’ailleurs institutionnalisé par les procédures d’autorisation de travail.

Deuxièmement, les étrangers se concentrent dans certains secteurs : 39 % des employés de maison, 28 % des agents de gardiennage, 27 % des ouvriers non qualifiés du bâtiment en 2017. Ces emplois, souvent délaissés, génèrent des externalités positives. L’exemple typique est celui des gardes d’enfants : leur disponibilité permet aux femmes nées localement de travailler davantage, augmentant ainsi leurs salaires).

France 24, 2025.

Troisièmement, les immigrés étant en moyenne plus jeunes, ils contribuent positivement au taux d’emploi de la population, marqueur crucial de la santé économique d’une société vieillissante. Cet effet démographique améliore l’équilibre des finances publiques et le niveau de vie générale).

Des discours privilégiant l’émotion à la raison

L’analyse factuelle révèle donc une immigration de travail d’ampleur modeste, sans effet délétère sur la situation économique des travailleurs français. Cette réalité statistique n’empêche pas le rejet persistant chez certains, alimenté par des discours politiques qui préfèrent l’émotion à la raison.

Le défi intellectuel et démocratique consiste à maintenir un débat rationnel sur ces questions sensibles. Car très vite, hélas, il n’y a plus de débat du tout : les positions se figent, les nuances disparaissent, et les préjugés l’emportent sur l’analyse rigoureuse.

L’objectif n’est pas de nier les préoccupations légitimes de nos concitoyens, mais de les éclairer par une connaissance précise des phénomènes en jeu. Car seule une approche factuelle permet de dépasser les postures idéologiques et de construire des politiques publiques efficaces. C’est à cette condition que nous pourrons enfin avoir un débat à la hauteur des enjeux de notre époque.


Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat de The Conversation avec les Rencontres économiques, qui se tiennent du 3 au 5 juillet d’Aix-en-Provence. Plusieurs débats y seront consacrés à l’immigration.

The Conversation

Hippolyte d’Albis a reçu des financements de la Commission européenne.

ref. Immigration de travail : au-delà des idées reçues – https://theconversation.com/immigration-de-travail-au-dela-des-idees-recues-259463

Quand le cynisme mine l’engagement dans la fonction publique…

Source: The Conversation – France (in French) – By Youssef Souak, PhD – Assistant Professeur- INSEEC Business School, INSEEC Grande École

La rétention et la fidélisation des employés sont fréquemment citées comme des défis contemporains majeurs dans le monde du travail et la fonction publique n’est pas épargnée. Les nouveaux modes de management ont, en effet, ébranlé l’engagement de certains agents, convertis, malgré eux, à une forme de cynisme.


Une étude publiée par France Stratégie en 2024 soulignait une augmentation de la proportion des fonctionnaires démissionnaires au cours de la dernière décennie. Par exemple, la part des enseignants qui ont quitté volontairement les rangs de la fonction publique par rapport à l’ensemble des départs observés de ce métier est passée de 2 % des effectifs en 2012 à 15 % en 2022.

Ce phénomène ne serait certainement pas si inquiétant si les démissions ne concernaient que les stagiaires ou les jeunes recrues qui découvrent le métier. Désormais, même des agents chevronnés démissionnent après plusieurs années de service.

L’évolution du management public conduit les agents à ressentir un manque de soutien de leur hiérarchie qui peut conduire au développement progressif d’une posture cynique vis-à-vis de la fonction étatique. Alors que les organisations publiques étaient jusqu’alors épargnées par la concurrence intense, les restructurations et les changements de politique de gestion sont devenus une réalité dans la fonction publique. Parmi les principales évolutions, notons l’essor des systèmes de rémunération liée à la performance et le constat de licenciements croissants. La loi de transformation de la fonction publique de 2019 et le recours croissant à des agents contractuels ont effectivement multiplié les possibilités pour se séparer des fonctionnaires.




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Nouvelle gestion publique, nouvelles préoccupations au travail

Cette réalité connue sous le nom de « nouvelle gestion publique » a pris forme depuis le milieu des années 1980. Sa mise en œuvre s’est intensifiée pour permettre aux organisations publiques de s’adapter à un environnement de plus en plus exigeant. Cette hybridation du modèle managérial public a entraîné une perte de repères des fonctionnaires et un niveau de stress ressenti plus élevé chez les travailleurs par rapport à leurs homologues du secteur privé. Les conséquences sur leur bien-être se manifestent alors de différentes manières : perception d’une ambiguïté des valeurs et des objectifs du service public, manque de reconnaissance, incertitude croissante, perte de sens.

Les recherches se sont intéressées aux leviers de mobilisation des fonctionnaires au travail, notamment grâce au concept de motivation du service public. Ce phénomène désigne la « prédisposition à répondre à des motivations enracinées principalement ou exclusivement dans les institutions et organisations publiques ». Les fonctionnaires choisiraient alors spécifiquement une carrière dans le service public pour des raisons altruistes, animés par le désir de contribuer au bien-être des autres et de la société.

Le cynisme comme modèle de réponse

La tradition philosophique attribue à Diogène de Sinope (v.413-v.323 av. n. è.) la conception du cynisme comme un modèle d’insolence et de protestation se manifestant par des actes délibérément provocateurs. Dans le champ de la gestion, le cynisme peut être considéré comme la réaction négative d’un individu envers son employeur en raison du manque d’intégrité de l’organisation. Il comporte à la fois :

  • une dimension cognitive fondée sur la croyance que l’organisation manque d’intégrité,

  • une dimension affective relevant des émotions négatives naissantes,

  • et une dimension comportementale liée à des attitudes réactives et progressives telles que le retrait, le désinvestissement ou le désengagement.


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Cynique. Et alors ?

Le cynisme devrait être une source de préoccupation majeure. Par exemple, une étude menée en 2019 par Dobbs et Do mettait en évidence l’inquiétude grandissante de l’armée américaine concernant les effets néfastes du cynisme sur le maintien de l’ordre et de la discipline dans ses rangs. Même constat en France, où une étude, menée par Sandrine Fournier en 2023 auprès d’enseignants, souligne la propagation du cynisme parmi les enseignants d’un établissement scolaire, qui mine leur attachement affectif, le sens donné à leur travail et finalement l’implication dans le suivi des résultats de leurs élèves.

Il faut alors comprendre comment une personne devient cynique ? Dans le secteur public, le cynisme trouve son fondement dans l’ambivalence et les paradoxes inhérents au discours réformateur. D’une part, on observe une rhétorique soulignant l’importance des valeurs républicaines d’entraide et de solidarité dans le service public, et d’autre part, on assiste à la mise en place d’une logique de rationalisation croissante pour sauver ce même service public.

Il devient particulièrement préoccupant lorsqu’il touche des fonctions vitales de la structure étatique. Une recherche menée en 2015 soulignait le rôle particulièrement important de l’inadéquation des valeurs et des discours dans le développement du cynisme et en particulier dans le secteur public. Cela s’expliquerait par le rôle du sens et de la vocation dans les choix de carrière des agents de la fonction publique. Certains évoquent la responsabilité des organisations publiques, dès lors, de promouvoir les politiques publiques avec un sens de la « mission » pour l’État et ses citoyens.

Fonctionnaire rationnel ou affectif ?

L’engagement des agents de la fonction publique repose à la fois sur une dimension axée sur la performance et sur le sens du dévouement. Dans cette perspective, il faut identifier le fonctionnaire rationnel et le fonctionnaire affectif. Ce dernier est attaché au sens et à la mission et se consacre à servir plutôt qu’à l’accomplissement de la tâche seulement. Or, l’intelligence émotionnelle et l’implication des fonctionnaires sont communément citées comme des leviers de qualité du service public.

France 24, 2023.

Alors, pour enquêter plus en profondeur sur les causes du cynisme organisationnel et sur ses effets sur l’engagement des agents du service public, nous avons mené en 2024 une étude quantitative impliquant 321 fonctionnaires français, opérant dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la recherche.

Dans cette étude à paraître, nous avons considéré la théorie du contrat psychologique comme une grille d’analyse pertinente pour étudier le cas des fonctionnaires. La notion de contrat psychologique renvoie à l’ensemble des engagements fondés sur des croyances partagées et des engagements mutuels et qui sont rarement explicités formellement. Cette grille de lecture trouve son intérêt dans le contexte du changement pour comprendre comment des mutations dans les attentes réciproques peuvent affecter les attitudes et les comportements individuels. Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à l’impact de ces attentes informelles sur l’engagement et à l’intention de quitter l’organisation des fonctionnaires.

Partage de valeurs

Nos résultats montrent le rôle central du partage de valeurs. Les agents qui sont plus en phase avec les valeurs et le fonctionnement de l’organisation sont moins critiques à l’égard de ses échecs ou de ses lacunes. Les agents restent particulièrement attachés au sens, à la mission et à la vocation qu’à la volonté de faire carrière dans l’administration publique. Ainsi, lorsque leur conception du métier et leurs valeurs sont en phase avec ce qu’ils trouvent sur le terrain, les fonctionnaires développent un lien affectif fort avec leur institution. Ce lien pourrait expliquer la posture peu critique de ces agents, même lorsque leur employeur montre des défaillances ou une incapacité à tenir ses promesses.

D’un autre point de vue, nos résultats expliquent également les postures beaucoup plus critiques de ceux dont le contrat psychologique est rompu ou brisé. Il s’agit des agents qui ne comprennent pas les changements dans la logique institutionnelle parce qu’ils sont insuffisamment soutenus ou simplement incompris.

Notre recherche met en évidence différents profils :

  • les cyniques cognitifs ou affectifs qui resteront dans leur organisation, mais seront moins efficaces dans leurs tâches ;

  • et les cyniques comportementaux qui utilisent le dénigrement, la critique ou l’humour pour se distancier des ambiguïtés et des frustrations.

Pour les agents qui souhaitent rester fidèles et loyaux à leurs valeurs, ce désalignement entre imaginaire et réalité peut constituer une rupture de ce contrat psychologique. Il s’agirait alors pour eux de préférer la loyauté envers soi-même à la loyauté envers l’institution. Les salariés qui s’engagent en quête de sens au travail, en acceptant de faire des sacrifices en termes d’avantages matériels, peuvent revoir leurs conditions d’engagement lorsqu’ils ne sont plus convaincus que rester est un bon choix.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Quand le cynisme mine l’engagement dans la fonction publique… – https://theconversation.com/quand-le-cynisme-mine-lengagement-dans-la-fonction-publique-256606

Comment gérer l’isolement professionnel des travailleurs free-lance ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Aneta Hamza-Orlinska, Professeure assistante en gestion des ressources humaines, EM Normandie

Beaucoup de travailleurs free-lance éprouvent ou disent éprouver un sentiment de déconnexion vis-à-vis de l’organisation qui les emploie et de leurs collègues. Cela génère chez eux des sentiments d’aliénation, de stress et de frustration qui relèvent toutefois davantage de l’isolement professionnel que social. Comment les entreprises peuvent-elles repérer ces signaux faibles et mettre en place des mesures pour mieux les intégrer ?


Le travail indépendant a connu un fort essor ces dernières années avec le développement de la « gig economy », ou « économie des petits boulots ». Apparues avec les plateformes collaboratives telles qu’Uber ou Deliveroo qui n’emploient pas de salariés, mais travaillent avec des micro-entrepreneurs, ces nouvelles formes de travail ont engendré un malaise de plus en plus important chez les personnes ayant choisi ce statut professionnel. Si l’indépendance présente des avantages, elle rime aussi souvent avec isolement.

Les travailleurs free-lance se retrouvent, tant physiquement que mentalement, déconnectés de leurs collègues et de l’organisation, cumulant souvent plusieurs emplois et travaillant à distance. Malgré les opportunités d’intégrer des communautés virtuelles, ils demeurent particulièrement vulnérables à l’isolement, plus encore que les salariés permanents ou ceux en télétravail. Par ailleurs, leurs interactions avec les managers, superviseurs ou prestataires de services tendent à se réduire à des échanges strictement transactionnels, accentuant ainsi leur sentiment de solitude, qui demeure essentiellement professionnel.

Les entreprises font de plus en plus appel aux travailleurs en free-lance, qui opèrent parallèlement aux salariés traditionnels. Cependant, les dispositifs mis en œuvre pour identifier et intégrer ces professionnels restent identiques à ceux employés pour les équipes permanentes, alors qu’une intégration véritablement inclusive devrait prendre en compte la nature autonome, asynchrone et transactionnelle de leur mode de travail.




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Deux formes d’isolement

Les travailleurs en free-lance peuvent ressentir l’isolement professionnel sans forcément se sentir isolés socialement. En effet, la recherche établit une distinction claire entre ces deux concepts.

L’isolement social découle du fait que les besoins émotionnels ne sont pas comblés, notamment en raison de l’absence de liens spontanés et de relations de travail que l’on retrouve habituellement en présentiel, un phénomène exacerbé par le télétravail. À l’inverse, l’isolement professionnel se traduit par le sentiment d’être déconnecté des autres et privé d’informations essentielles, compromettant ainsi les interactions clés au sein de l’entreprise.

Bien que ces deux formes d’isolement soient liées à la séparation d’autrui, l’isolement social se caractérise par l’absence de proximité avec les autres, tandis que l’isolement professionnel se manifeste par une déconnexion perçue vis-à-vis des collègues ou par l’accès insuffisant aux ressources et à l’information nécessaires pour accomplir le travail.


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Des demandes paradoxales

Les travailleurs indépendants se trouvent souvent géographiquement éloignés et n’aspirent pas nécessairement à établir des liens sociaux dans leur environnement professionnel. Parfois, ils sont amenés à collaborer sur des projets avec des salariés permanents ou d’autres free-lances dans un même espace, en ligne ou en présence physique. Pourtant, malgré ces interactions, ils se perçoivent souvent comme des externes, peu enclins à créer des liens sociaux, leur mission étant généralement limitée dans le temps.

Notre recherche, menée entre 2022 et 2025, se base sur une cinquantaine d’entretiens et l’observation de travailleurs indépendants employés par des plateformes ou des entreprises, révèle que ces travailleurs peuvent éprouver un isolement professionnel sans pour autant se sentir socialement appauvris. Pourquoi ?

Les travailleurs indépendants adoptent une approche purement professionnelle de leurs relations. Ils n’ont pas d’attentes sociales élevées dans le cadre professionnel, car ils perçoivent leur mission avant tout comme une transaction plutôt que comme une opportunité de tisser des liens personnels. Les indépendants compensent leur manque de socialisation sur leur lieu de travail en se connectant avec leur entourage personnel, amical et familial.

Leurs besoins affectifs se trouvent souvent en dehors du cadre professionnel. La différence avec les employés permanents est qu’ils bénéficient, en plus de leur réseau personnel, d’une socialisation quotidienne avec leurs collègues, souvent par des interactions informelles (conversations autour de la machine à café) reconnues comme favorisant la coopération et le développement du réseau professionnel en entreprise – ce dont les travailleurs en free-lance sont généralement moins concernés.

L’un des travailleurs indépendants interviewés dans le cadre de notre recherche, un copywriter ( en marketing, rédacteur de contenu web) de 50 ans, a déclaré :

« C’est très limitant sur le plan professionnel lorsqu’il y a des ressources auxquelles on ne peut pas accéder à cause de l’endroit où l’on se trouve. Je trouve cela très isolant. »

À l’inverse, beaucoup d’autres affirment, à l’image d’un webdesigner freelance (35 ans) :

« Je ne me sens pas isolé socialement. Je suis tout à fait à l’aise avec cela. »

Pour certains, la distance physique et la flexibilité, inhérentes au travail indépendant, ne sont pas perçues comme des obstacles, mais plutôt comme des atouts. L’absence de contraintes sociales imposées par un environnement de bureau traditionnel peut être libératrice et permettre une meilleure gestion de leurs interactions sociales. Pour d’autres types de freelances, notamment pour ceux ayant auparavant exercé en tant que salariés permanents en entreprise, une période d’adaptation peut être nécessaire pour s’ajuster à ce nouveau mode de travail.

Un manque de reconnaissance professionnelle

Isolés d’un point de vue professionnel, ces travailleurs se retrouvent déconnectés. Ils n’ont pas de feed-back constructif de la part de leurs responsables de mission et se sentent négligés dans leur rôle professionnel. L’absence ou la nature négative du retour d’information empêche les travailleurs indépendants de sentir que leurs contributions sont reconnues, ce qui renforce leur sentiment d’isolement professionnel et limite leur capacité à ajuster et améliorer leur travail.

De plus, les échanges majoritairement transactionnels, souvent via des canaux numériques dépourvus de signaux non verbaux, rendent difficile l’établissement d’une véritable connexion avec les managers et l’accès aux informations nécessaires pour un travail efficace. Étant rarement intégrés aux processus décisionnels, ces travailleurs se retrouvent en marge des discussions stratégiques, accentuant ainsi leur déconnexion par rapport aux dynamiques organisationnelles et à l’évolution de leur rôle professionnel.

Une meilleure intégration serait-elle possible ?

Les pratiques traditionnelles d’intégration ou d’inclusion, qu’elles soient sociales ou formelles, reposent sur l’hypothèse que la cohésion d’équipe et le sentiment d’appartenance se construisent par des interactions sociales régulières et des dispositifs d’inclusion institutionnalisés au sein des organisations.

BFM Business, 2021.

Or, pour les travailleurs indépendants dont la relation avec l’organisation est essentiellement transactionnelle, ces mécanismes se révèlent inadaptés. Par conséquent, les dispositifs traditionnels, focalisés sur la socialisation, ne répondent pas aux enjeux spécifiques de ces travailleurs.

Il apparaît donc crucial de repenser l’intégration en adoptant une approche d’« inclusion professionnelle » qui privilégie une communication adaptée, la participation aux processus décisionnels et le renforcement des liens fonctionnels avec les acteurs organisationnels clés.

Pour les travailleurs indépendants, être intégrés dans la prise de décision concernant leurs tâches est particulièrement important, car ils sont recrutés pour leur expertise. Cela renforce le sentiment d’inclusion professionnelle, puisqu’ils peuvent voir les résultats de leur investissement et de leur travail.

Un autre élément clé est la communication : non seulement la diversité des outils de communication disponibles, mais aussi la capacité à transmettre efficacement les messages et à accéder aux informations nécessaires pour accomplir leurs missions, généralement fournies par le client ou un manager. Enfin, fournir un feed-back sur leur travail permet non seulement de les valoriser, mais aussi de leur faire comprendre leurs contributions et les attentes du manager.

Un aspect à garder en tête pour les responsables RH concerne la requalification des free-lances en CDI.

Cette possibilité se présente lorsque des travailleurs indépendants, jusque-là très autonomes et engagés dans une relation purement transactionnelle, commencent à s’intégrer davantage à l’équipe, à collaborer de façon rapprochée et à tisser des liens relationnels plus forts, ce qui réduit la distance physique et l’autonomie propres à leur statut initial. Les politiques RH ne soulèvent pas encore cette problématique, qui pourrait toutefois prendre de l’ampleur à mesure que le monde du travail évolue et se transforme.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Comment gérer l’isolement professionnel des travailleurs free-lance ? – https://theconversation.com/comment-gerer-lisolement-professionnel-des-travailleurs-free-lance-258651

Un autre monde du travail est possible

Source: The Conversation – France (in French) – By Sophia Galière, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université Côte d’Azur

Nous vous proposons des extraits tirés de deux chapitres pour penser l’entreprise autrement, à l’heure des bouleversements environnementaux. ZoranOrcik/Shutterstock

Pour changer le monde du travail, il faut repenser le sens des mots que l’on utilise pour en parler. Voici le point de départ de l’ouvrage collectif Un autre monde du travail est possible. Par exemple, comment penser la productivité en dehors du capitalisme et de son injonction à la croissance ? Dans cet ouvrage, 26 experts analysent les mots du monde du travail pour imaginer de nouvelles pratiques d’entrepreneuriat, de management et de travail. Dans ces bonnes feuilles, nous vous proposons des extraits tirés de deux chapitres pour penser l’entreprise autrement, à l’heure des bouleversements environnementaux.


Les organisations sont-elles nécessairement adiaphoriques ? (Bertrand Valiorgue)

Les désordres climatiques et environnementaux que les sociétés humaines connaissent aujourd’hui, et vont subir de manière amplifiée dans les années qui viennent, sont fabriqués par des organisations et des dynamiques d’action collective. C’est « la société des organisations » qui s’est développée en Occident au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et qui s’est aujourd’hui généralisée à l’échelle du globe, qui est directement à l’origine du franchissement des limites planétaires et du basculement dans une nouvelle phase géologique du système Terre que certains nomment l’anthropocène.

Les organisations de cette « société des organisations » ont une caractéristique essentielle qui a été relevée dans le prolongement des travaux de Zygmunt Bauman : elles sont adiaphorisantes. À travers leurs modes de fonctionnement et leurs processus, ces organisations fabriquent de l’indifférence morale et de l’insensibilité de la part de leurs membres à l’égard du vivant et du système Terre. Seul un redimensionnement du travail dans ses dimensions subjectives, objectives et collectives peut conduire à sortir de cet état adiaphorique pour aller vers des organisations qui s’avéreront sensibles et responsables à l’égard du système Terre et de ses composantes. À l’heure du grand basculement dans l’anthropocène et du franchissement des limites planétaires, il est indispensable de penser le travail comme un acte de « renaturation » et de reconnexion à l’égard des liens et dépendances que nous entretenons individuellement et collectivement à l’égard du système Terre.

Nous soutenons […] que c’est d’ailleurs cette adiaphorie organisationnelle généralisée à l’égard du vivant et du système Terre qui est à l’origine du basculement dans une nouvelle phase géologique du système Terre et du franchissement des limites planétaires. Les organisations contemporaines dans lesquelles nous travaillons masquent, invisibilisent et amoralisent les conséquences de leurs actions sur le système Terre. Elles nous plongent dans un état d’adiaphorie généralisée à l’égard du vivant et du système Terre.

[…]

La philosophie morale développée par Bauman nous enseigne que les humains n’ont pas de facultés morales innées et qu’ils peuvent basculer dans la moralité ou l’immoralité en fonction du contexte social (et organisationnel) dans lequel ils sont plongés. La lecture de Bauman est riche d’un second enseignement. Ce dernier considère que seuls les individus, et en aucun cas les entités collectives et les organisations, peuvent être dotées de facultés morales.

infographie
Quatre des neuf limites planétaires impliquent l’océan.
CGDD 2023

Bauman considère qu’étendre les préoccupations morales au-delà des individus constitue une erreur ontologique particulièrement grave. Pour Bauman, ce sont les membres d’une organisation qui doivent tracer et pratiquer individuellement un chemin éthique au sein des organisations auxquelles ils appartiennent. Dit autrement, les possibilités de changement proviennent non pas d’un rehaussement moral de l’organisation ou de la personne dite morale mais bien du comportement concret et des engagements quotidiens des individus qui la composent.

[…]

C’est le travail et ses effets plus ou moins adiaphorisants qui est au cœur des grands défis en matière de développement durable que nos sociétés et les organisations qui les composent vont devoir relever. Dans cette perspective, la tâche essentielle qui nous incombe consiste à débusquer les différentes dimensions du travail et les dynamiques organisationnelles qui concourent à l’adiaphorie.


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Contre l’adiaphorie, repenser l’innovation pour la redirection écologique (Aura Parmentier)

L’entrée dans l’ère de l’anthropocène est considérée comme le défi le plus important. Pour faire face à cette menace, l’innovation est souvent considérée comme une source de solutions. Mais peut-on faire confiance à l’innovation pour résoudre nos problèmes contemporains, alors que les défis que nous rencontrons sont souvent la conséquence de la course folle à l’innovation ? Comprendre d’où vient ce terme et les sources de sa théorisation permet de mieux cerner les orientations choisies jusqu’alors ; en retour, penser l’innovation à l’aide d’autres approches offre des voies pour penser les changements qu’appellent les crises environnementales.

[…]

Divers moyens existent pour envisager différemment le travail de conception. Assez traditionnellement, nous pouvons y intégrer des analyses de cycle de vie des produits et services pour réduire l’impact du cycle global, passant de l’extraction des ressources à la conception, puis à la fin de vie du produit. Cette approche est adaptée à la problématique environnementale car elle s’appuie sur une conversion en équivalent CO2. Elle s’inscrit donc dans les réponses possibles à la limitation des gaz à effet de serre. Elle est cependant peu adaptée pour mesurer ou apprécier d’autres problèmes comme l’obsolescence programmée.

Une autre approche consisterait à simplifier les systèmes, voire d’en supprimer une partie. Il s’agit ici de penser l’innovation par le moins, ce que les sociologues Frédéric Goulet et Dominique Vinck appellent « l’innovation par retrait ». Cette approche de l’innovation invite à une réflexion différente quant à la conception, l’utilisation et les usages des innovations. Plusieurs exemples peuvent en être donnés : la mise en place du non-labour en agriculture, mais aussi les circuits courts. Dans ce second cas, « le retrait » étant alors celui d’intermédiaires dans la chaîne de distribution.




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Puisque la notion d’innovation dans son acception actuelle fait principalement référence à la technologie, il est intéressant de se pencher sur le concept de technologie low-tech développé et popularisé par le spécialiste des ressources minérales Philippe Bihouix. Ce concept offre des perspectives intéressantes, car il s’agit de concevoir des solutions innovantes dans le respect des limites planétaires.

D’ailleurs, Mathieu Arnoux José Halloy, Nicolas Nova et Alexandre Monnin ont proposé les notions de Technologie Zombie Vs Technologie Vivante pour qualifier les technologies selon leur impact sur les limites planétaires dont le vivant. Selon cette typologie, les technologies dites zombies sont à limiter et éviter autant que possible ; tandis que les technologies vivantes sont à favoriser dans la réflexion qu’appelle la redirection écologique. Ces dernières s’appuient sur des ressources renouvelables, les premières ne le sont pas.

De plus, la durée de fonctionnement en état de marche est minimale dans le cas des technologies zombies, mais maximale dans le cas des technologies vivantes. Enfin, la durée en tant que déchet est maximale pour les premières et minimales pour les technologies vivantes.

[…]

En somme, cet exemple illustre les deux approches de l’innovation, l’une centrée principalement sur la croissance économique et l’autre centrée sur la protection de l’environnement. À l’ère des dangers de l’anthropocène, il nous faut choisir notre priorité (la croissance économique ou l’écosystème) et in fine, privilégier un type d’innovation ou un autre.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Un autre monde du travail est possible – https://theconversation.com/un-autre-monde-du-travail-est-possible-260015

Les réseaux sociaux d’entreprises favorisent-ils vraiment le partage de connaissances ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Christine Abdalla Mikhaeil, Assistant professor in information systems, IÉSEG School of Management

Avec le développement du télétravail, les réseaux sociaux d’entreprise sont devenus indispensables pour partager des connaissances. Mais l’outil ne fait pas tout. Trois obstacles en limitent l’efficacité. Accompagnés d’autres solutions, ils peuvent être des outils redoutablement efficaces.


Alors que 2 salariés sur 3 parmi les cadres ont eu recours au télétravail entre 2022 et 2024, le mode d’organisation hybride, alternant entre télétravail et présentiel, présente des défis majeurs pour le partage des connaissances et l’apprentissage organisationnel. L’un comme l’autre est rendu à la fois plus complexe et davantage nécessaire en raison de l’éloignement des personnes. La distance physique et la dispersion des équipes complexifient notamment l’apprentissage vicariant. Ce terme désigne un processus essentiel d’acquisition de connaissances par l’observation des actions, des résultats et de leurs conséquences chez ses collègues [ plutôt qu’en expérimentant soi-même les résultats de ses propres actions]

Les réseaux sociaux d’entreprises tels que les Intranet, mais aussi les outils comme Teams ou Slack ont été déployés pour encourager l’apprentissage collaboratif et pallier le manque d’interactions directes. Cependant, leur efficacité est souvent compromise par le paradoxe de la visibilité. Bien que la visibilité sur ces plates-formes soit censée faciliter l’apprentissage vicariant et le partage des connaissances en général, elle engendre aussi des enjeux de crédibilité, une surcharge d’information et une sélectivité des réponses, transformant potentiellement ces outils en obstacles à l’échange.

Notre article explore ce phénomène, où une visibilité initialement bénéfique crée des tensions et des entraves inattendues à l’apprentissage vicariant en ligne. Il repose sur une étude de cas menée au sein d’un cabinet de conseil, où les consultants sont habitués au travail à distance et aux plates-formes digitales. Trois tensions ont été identifiées.

Actualisation des compétences

La première concerne la dynamique d’apprentissage et la préservation de la crédibilité. Dans les cabinets de conseil, l’expertise des consultants est primordiale. Ils doivent constamment actualiser leurs compétences pour répondre aux questions et aux attentes des clients et se montrer compétents. Cette exigence crée une tension entre le besoin d’apprendre, nécessaire pour aborder de nouveaux projets, et la nécessité de préserver une image d’expert en évitant de montrer leurs limites, comme nous le rappelle un consultant :

« Il faut toujours rester à jour, car un consultant doit toujours être au courant des dernières évolutions » et être capable de « répondre aux questions du type “Alors, toi, tu ferais quoi ? ”, “ Comment tu t’y prendrais ? ” ou encore “ Qu’as-tu vu chez d’autres clients ? ” ».

La visibilité sur les réseaux sociaux d’entreprise exacerbe cette tension, incitant certains consultants à apprendre discrètement, en dehors des heures de travail ou sur des plates-formes externes anonymes, et à contrôler soigneusement le contenu qu’ils partagent pour ne pas nuire à leur crédibilité.

Trop d’informations tuent l’information ?

La deuxième tension est liée à la surcharge d’information et à la dépendance aux réseaux personnels. Les consultants utilisent les réseaux sociaux d’entreprise pour compenser le manque de partage d’expériences en présentiel et maintenir leur réseau. Cependant, l’abondance de communications peut entraîner une surcharge cognitive, rendant difficile l’identification des informations pertinentes et rapidement exploitables pour répondre aux contraintes de temps des projets. Comme le souligne un consultant,

« Il y a tellement de sources d’information aujourd’hui qu’on ne sait plus où chercher ! »

Paradoxalement, une plus grande visibilité des échanges peut conduire à une forme d’opacité due au volume d’informations. Face à cela, les consultants ont tendance à se tourner vers leurs réseaux personnels de confiance, constitués de collègues actuels ou anciens, via des outils de communication directe comme Skype, Teams ou WhatsApp, pour obtenir rapidement des informations précises. Bien que cela réponde à leurs besoins individuels, cela limite le partage d’expériences à un cercle restreint et réduit l’apprentissage collectif au sein de l’organisation.




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Gérer le temps

La troisième tension concerne la disponibilité des sources de connaissances et la sélectivité des réponses. Les réseaux sociaux d’entreprise offrent aux consultants un accès à une diversité d’expertises et de retours d’expérience. Cependant, les experts ne peuvent pas répondre « à toutes les sollicitations » car ils n’ont « tout simplement pas le temps ». Ils ont alors tendance à prioriser les sollicitations provenant de leurs relations établies, de leurs équipes directes ou celles jugées urgentes, renforçant ainsi les réseaux personnels existants au détriment de l’établissement de nouveaux contacts et de l’élargissement des échanges.

Une étude de l’Association for Talent Development révèle par ailleurs une baisse significative des heures de formation par collaborateur, passant de 32,9 heures en 2021 à 20,7 heures en 2022 selon cette étude réalisée auprès de 454 organisations (principalement américaines bien que certaines puissent provenir d’autres pays) représentant une grande diversité de tailles d’entreprises et de secteurs d’activité. Cette diminution souligne l’importance des réseaux sociaux d’entreprise comme outils potentiels de partage de connaissances, tout en mettant en lumière les défis à surmonter pour qu’ils soient réellement efficaces.

Pour naviguer dans ce paradoxe de la visibilité, les consultants adoptent diverses stratégies. Outre l’apprentissage discret et le contrôle du contenu partagé, ils s’appuient fortement sur leurs réseaux personnels pour obtenir des informations rapidement. Cependant, ces stratégies, bien qu’efficaces individuellement, limitent l’apprentissage collectif et la transparence organisationnelle.

Des référents pour la curation

Pour surmonter le paradoxe de la visibilité et optimiser le potentiel des réseaux sociaux d’entreprise pour l’apprentissage continu et collaboratif, les organisations doivent adopter des stratégies proactives. Il est essentiel d’encourager la création et le développement de réseaux personnels au sein de l’entreprise, notamment par l’organisation régulière d’événements de networking en présentiel. Ces relations interpersonnelles favorisent la fluidité du partage des connaissances, particulièrement dans un contexte de travail hybride.

Un autre levier est d’encourager la curation de contenu en désignant des référents pour les thématiques clés. Ces « courtiers » de connaissances seraient responsables de gérer et de mettre en avant le contenu pertinent sur les réseaux sociaux d’entreprise, réduisant ainsi la surcharge d’information et soulageant les experts de sollicitations excessives.

Évaluer régulièrement les outils numériques

Il est également crucial de promouvoir une culture d’entreprise qui valorise le partage d’expériences, y compris les échecs, afin de créer un environnement de confiance et de transparence. En valorisant l’apprentissage collectif via les réseaux sociaux d’entreprises et en récompensant les contributions visibles, les organisations peuvent réduire le recours à des stratégies d’évitement comme l’anonymat.


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Enfin, les départements des systèmes d’information, en collaboration avec les experts opérationnels, doivent s’assurer que les outils numériques sont utilisés de manière optimale et répondent réellement aux besoins des collaborateurs, en procédant à des évaluations régulières.

En résumé, pour que les réseaux sociaux d’entreprises jouent pleinement leur rôle dans l’apprentissage vicariant en environnement hybride, les organisations doivent réévaluer leur gestion des connaissances, renforcer les relations interpersonnelles, encourager une culture de partage et optimiser les outils numériques afin d’atténuer les effets du paradoxe de la visibilité et de faire de cette visibilité un véritable atout pour l’apprentissage organisationnel.

The Conversation

Christine Abdalla Mikhaeil is a member of the Association for Information Systems (AIS)

Myriam Benabid ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les réseaux sociaux d’entreprises favorisent-ils vraiment le partage de connaissances ? – https://theconversation.com/les-reseaux-sociaux-dentreprises-favorisent-ils-vraiment-le-partage-de-connaissances-252824