Boire de l’eau recyclée ? De plus en plus de villes s’y mettent

Source: The Conversation – in French – By Service Environnement, The Conversation France

Pays parmi les plus arides d’Afrique, la Namibie recycle ses eaux usées en eau potable depuis 1968. Pour pallier le manque d’eau, d’autres pays l’ont imité ou songent désormais à le faire, explique Julie Mendret, de l’université de Montpellier.


Les anglophones l’appellent « toilet-to-tap water », soit littéralement l’eau qui retourne au robinet depuis la cuvette des WC. Quoique peu engageante, l’expression permet de poser les enjeux de la réutilisation des eaux usées, une piste sérieuse pour de plus en plus de villes ou de pays autour du monde, de Bangalore à Los Angeles.

Le pionnier namibien

En la matière, le pays pionnier reste la Namibie. Sa capitale, Windhoek, est quasi dépourvue de ressources en eau du fait de sa latitude désertique où la rare eau de pluie s’évapore de façon quasi immédiate.

En 1968, la ville, alors sous domination sud-africaine, voyait sa population grandir à un rythme impressionnant. C’est alors qu’elle a commencé à potabiliser ses eaux usées. Aujourd’hui, c’est 30 % des eaux usées qui sont ainsi recyclées, pour un traitement qui dure moins de 10 heures.

Des eaux potabilisées en dix étapes

Windhoek a mis en place une suite de procédés inédite qui compte aujourd’hui 10 étapes. Il comprend des processus physiques pour permettre de créer des flocs, des amas de matière en suspension que l’on pourra ainsi éliminer, mais aussi des processus chimiques comme l’ozonation, qui permet de dégrader de nombreux micropolluants et d’inactiver bactéries, virus et parasites. D’ultimes étapes de filtration biologique (charbon actif) et physique (ultrafiltration membranaire par exemple) complètent le tout, avec des contrôles qualité doublés d’adjonction de chlore pour la désinfection.

L’usine de traitement des eaux usées de Windboek est devenue une attraction qui accueille des visiteurs venus d’Australie ou des Émirats arabes unis, des pays où cette approche pourrait faire des émules. Et pour cause : cela reste moins énergivore et plus respectueux de l’environnement que le dessalement de l’eau de mer, technique la plus répandue dans le monde. Là où le dessalement nécessite entre 3 et 4 kWh par m3, la potabilisation des eaux usées ne consomme qu’entre 1 et 1,5 kWh par m3, tout en ne produisant pas les sels et polluants rejetés par le dessalement.


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Malgré ces avantages, cette démarche reste peu répandue sur le globe. Plusieurs raisons sont en cause : le coût des infrastructures de traitement d’une part (outre la Namibie, seuls des pays développés ont pu financer de tels projets), et la législation d’autre part. En Europe par exemple, une telle usine ne pourrait être autorisée. Un projet est en cours en Vendée, mais il ne s’agit que de potabilisation indirecte. Reste aussi la barrière mentale liée au fait de boire des eaux usées traitées, qui a fait fermer une usine construite à Los Angeles en 2000 qui avait pourtant coûté 55 millions de dollars.

Pour autant, mieux vaut informer la population en amont, comme à Singapour, où des visites publiques de l’usine et des vidéos du premier ministre de l’époque buvant sereinement l’eau traitée avaient permis de favoriser l’acceptabilité de cette approche.

Cet article est la version courte de celui publié par Julie Mendret (université de Montpellier) en août 2023.

The Conversation

Cet article est la version courte de celui publié par Julie Mendret (université de Montpellier) en août 2023

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Consommation de réglisse : quels sont les risques ?

Source: The Conversation – in French – By Anne Morise, Coordinatrice scientifique au sein de l’Unité d’évaluation des risques liés à la nutrition, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

La réglisse se retrouve non seulement dans les confiseries, mais aussi dans de nombreux autres aliments, sans que les consommateurs ne le sache. Nik/Unsplash, FAL

Une consommation excessive de réglisse peut s’accompagner d’effets indésirables potentiellement graves, notamment une hypertension pouvant mener à des complications cardiovasculaires. Or, de nombreux aliments contiennent des extraits de réglisse.


Pour la plupart d’entre nous, le mot « réglisse » évoque des bonbons de couleur noire, ou, pour les plus âgés, de courts bâtons bruns vendus au comptoir des pharmacies.

Mais la réglisse n’est pas utilisée seulement en confiserie. On trouve certains de ses constituants dans de nombreux produits alimentaires. Or, une consommation excessive peut mener à une diminution de la teneur en potassium dans le sang, ainsi qu’à une hypertension pouvant entraîner des complications cardiovasculaires.

Ces dernières années, plusieurs cas d’effets indésirables associés à la consommation de réglisse ont été enregistrés par les centres antipoison français ainsi que par le dispositif de nutrivigilance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Face au nombre de cas et à la sévérité de certains d’entre eux, l’Anses a mené une évaluation des risques sanitaires liés à la consommation de réglisse pour la population française. Voici ce qu’il faut savoir.

Des extraits de réglisse dans de nombreux aliments

Originaire du sud-est de l’Europe à l’Asie centrale, la réglisse est une plante herbacée qui peut atteindre 1,5 m de haut. Elle est consommée depuis l’Antiquité, Grecs et Romains lui prêtant des vertus médicinales.

Parmi les nombreuses espèces de réglisse identifiées, seules trois sont utilisées dans les produits commerciaux : Glycyrrhiza glabra (la réglisse « européenne », typiquement cultivée sur ce continent), Glycyrrhiza uralensis et Glycyrrhiza inflata, ces deux dernières espèces étant connues sous le nom de « réglisse chinoise ». En France, seules Glycyrrhiza glabra et Glycyrrhiza uralensis figurent sur la liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires.

On extrait des racines de la réglisse (qui sont en réalité des rhizomes, des tiges souterraines dotées de racines) une substance aromatique. De nos jours, ces extraits constituent l’utilisation principale de la réglisse : ils sont notamment employés pour aromatiser des confiseries et des boissons anisées, qu’elles soient alcoolisées ou non (par exemple le pastis, avec ou sans alcool). La réglisse est également présente dans certaines tisanes « digestives », ainsi que dans des compléments alimentaires.

Par ailleurs, l’un de ses constituants, l’acide glycyrrhizique (un édulcorant 50 à 100 fois plus sucré que le sucre raffiné) est aussi autorisé au niveau européen comme arôme alimentaire, tout comme son sel d’ammonium (code E958). On retrouve ces arômes dans divers aliments sucrés ou salés : produits laitiers, de boulangerie, glaces, confiserie, charcuterie, produits de la pêche, etc.

C’est justement l’acide glycyrrhizique qui est à l’origine d’effets indésirables, lesquels surviennent le plus souvent en cas de consommation excessive et/ou régulière.

Des effets indésirables qui peuvent être graves

Entre 2012 et 2021, plusieurs dizaines de cas d’effets indésirables associés à la consommation de réglisse ont été déclarés, concernant 62 adultes et 2 enfants. Les produits consommés étaient principalement des boissons (8 cas dûs à des tisanes, 32 à d’autres boissons non alcoolisées, 7 à des boissons alcoolisées), suivies par des confiseries (14 cas) et des compléments alimentaires (2 cas).

Ces intoxications sont dues à l’acide glycyrrhizique contenu dans la réglisse. Une fois absorbé, il donne naissance dans l’intestin à des métabolites, notamment l’acide glycyrrhétique. Ce dernier va mimer l’action d’une hormone, l’aldostérone, impliquée dans la régulation du volume sanguin et de la pression artérielle. L’aldostérone agit notamment au niveau rénal, en augmentant la réabsorption du sodium vers le sang. Cela induit une augmentation de la pression artérielle.

Le résultat est un syndrome appelé pseudohyperaldostéronisme. Les conséquences de ce dernier sont similaires à une augmentation des niveaux d’aldostérone. Il se traduit par une augmentation des concentrations de sodium dans le sang qui peut mener à une hypertension pouvant entraîner des complications cardiovasculaires), ainsi que par une diminution de la teneur en potassium sanguin (hypokaliémie), pouvant provoquer des troubles du rythme cardiaque.

Le plus souvent, l’hypokaliémie et l’hypertension se manifestent par des maux de tête, des crampes, des douleurs musculaires, mais elles peuvent aussi être asymptomatiques. Lorsqu’elles sont sévères, elles peuvent toutes deux engendrer des troubles du rythme cardiaque.

C’est souvent le médecin traitant qui, au cours d’une consultation du fait de symptômes ou lors d’une consultation de routine, constate une hypertension. Il peut alors interroger son patient et lui conseiller de réduire sa consommation de réglisse. Dans les rares cas les plus extrêmes, c’est-à-dire en cas de troubles cardiaques, les patients sont généralement adressés aux urgences, où ils sont pris en charge.

Surveiller sa consommation

En s’appuyant sur les études menées chez l’être humain, l’Anses a défini un repère toxicologique (appelé valeur toxicologique indicative) pour l’acide glycyrrhizique. Sa valeur a été fixée à 0,14 mg par kg de poids corporel et par jour, soit environ 10 mg/j pour un individu de 70 kg. Cette valeur toxicologique indicative a ensuite été comparée au niveau de consommation de la population.

La teneur en acide glycyrrhizique des aliments n’étant pas connue, pour évaluer les apports de la population, les experts de l’Anses ont dû faire des hypothèses. Ils ont choisi de considérer les teneurs maximales d’acide glycyrrhizique autorisées par la réglementation comme étant les teneurs dans les aliments (de ce fait, lesdites teneurs sont probablement surestimées, et par conséquent le risque de dépassement du repère toxicologique l’est également).

De ces estimations d’apport, il ressort que 75 % des adultes et 95 % des enfants ne sont pas exposés à l’acide glycyrrhizique par l’alimentation courante, hors compléments alimentaires. L’exposition moyenne de la population générale est faible : elle serait d’environ 0,07 et 0,009 mg d’acide glycyrrhizique par kilogramme de poids corporel et par jour, chez les adultes et les enfants respectivement. Des valeurs qui se situent en deçà du repère toxicologique.

La situation est cependant différente si l’on considère uniquement les personnes, peu nombreuses, qui consomment des produits contenant de la réglisse. Leur exposition est beaucoup plus élevée que celle du reste de la population : on l’estime à environ 0,5 mg d’acide glycyrrhizique par kilogramme de poids corporel et par jour pour les adultes, et 0,2 mg d’acide glycyrrhizique par kilogramme de poids corporel et par jour pour les enfants.

Cela signifie que 60 % de ces adultes et 40 % de ces enfants consommateurs dépassent le repère toxicologique et s’exposent donc à un risque.

Chez les adultes, les principaux aliments vecteurs d’acide glycyrrhizique sont les boissons alcoolisées (environ 65-70 %), les confiseries (environ 16-18 %) et les thés et tisanes (environ 7-16 %). Chez les enfants, les aliments concernés sont les confiseries (un peu plus de 75 %), les thés et tisanes (environ 13-16 %) et les boissons rafraîchissantes sans alcool (environ 5 %).

Des risques d’interactions médicamenteuses

Au-delà de son effet sur le pseudohyperaldostéronisme, la réglisse peut interagir avec plusieurs classes de médicaments.

Du fait de son action hypokaliémante, la réglisse interagit avec les médicaments présentant un effet hypokaliémant comme les diurétiques hypokaliémiants, les laxatifs stimulants ou les glucocorticoïdes, ce qui accroît le risque d’hypokaliémie.

L’hypokaliémie favorisant l’apparition de troubles du rythme cardiaque, la réglisse peut également augmenter dangereusement le risque d’effets indésirables sévères de médicaments utilisés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque ou de certaines tachycardies (elle peut notamment accroître le risque d’effets indésirables de la digoxine, un médicament utilisé dans des cas d’insuffisance cardiaque grave).

Du fait de son action hypertenseuse, la réglisse interagit aussi avec les médicaments antihypertenseurs en limitant leur efficacité.
Enfin elle peut interagir avec les médicaments susceptibles d’engendrer des troubles du rythme cardiaque appelés « torsades de pointes », augmentant leur risque de survenue.

Conduite à tenir

Dans ce contexte, il est recommandé aux amateurs de produits contenant de la réglisse d’éviter de cumuler la consommation des aliments qui en contiennent (boissons de type pastis alcoolisées ou non, sirops, confiseries, tisanes ou compléments alimentaires, etc.).

En cas de pathologies cardiaques (notamment d’hypertension) ou rénales, d’insuffisance hépatique ou d’hypokaliémie, de grossesse ou d’allaitement, il faut signaler toute consommation de réglisse aux professionnels de santé. Le même conseil s’applique en cas de doute relatif à d’éventuelles interactions médicamenteuses.

L’Anses recommande également aux médecins, pharmaciens et diététiciens d’interroger les personnes répondant aux critères mentionnés précédemment quant à leur consommation de réglisse sous toutes ses formes, y compris les compléments alimentaires.

Enfin, les experts de l’agence préconisent la mise en place d’un étiquetage destiné à informer les usagers de la présence de réglisse ou d’acide glycyrrhizique dans les produits de consommation.

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The Conversation

Anne Morise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Consommation de réglisse : quels sont les risques ? – https://theconversation.com/consommation-de-reglisse-quels-sont-les-risques-260829

Des bains, du vin et du pouvoir : la vraie vie dans les thermes romains

Source: The Conversation – in French – By Peter Edwell, Associate Professor in Ancient History, Macquarie University

Les thermes romains de Bath en Angleterre. iLongLoveKing/Shutterstock

Dans la Rome antique, les bains publics étaient au centre de la vie sociale des Romains, mêlant convivialité, plaisir et pouvoir impérial. Ils jouaient aussi un rôle important dans l’hygiène générale et étaient ouverts à tous, sans distinction de classe sociale, aux hommes comme aux femmes (dans des parties ou à des horaires différents). Plongée dans l’histoire fascinante – et contrastée – des thermes romains.


Dans les vastes ruines des thermes de Caracalla, à Rome, des centaines de mouettes tournent en rond. Leurs cris obsédants font écho aux voix d’il y a 1 800 ans. Aujourd’hui, la coquille vide de ce qui fut l’un des plus grands complexes de bains de Rome est pratiquement déserte, accueillant occasionnellement des représentations d’opéra.

Mais à quoi ressemblaient les thermes de la Rome antique à l’époque ? Et pourquoi les Romains aimaient-ils tant les bains publics ?

Des thermes partout

Lorsque j’ai vécu à Rome pendant près d’un an, j’ai remarqué les vestiges d’anciens bains (thermae en latin) un peu partout.

Pratiquement tous les empereurs en ont construit, et au milieu du quatrième siècle, la ville comptait 952 bains publics.

Les plus grands étaient les thermes construits par l’empereur Dioclétien (284-305). Environ 3 000 personnes par jour pouvaient se baigner dans ce complexe de 13 hectares.

Ces thermes, comme la plupart des autres, contenaient une salle des bains chauds (le caldarium), chauffés par un ingénieux système de conduits d’air dans les murs et les sols. Le sol était tellement brûlant qu’il fallait porter des claquettes en bois.

Elle conduisait à une salle des bains tièdes (le tepidarium), qui formait comme un sas avant que les baigneurs ne pénètrent dans la salle froide, le frigidarium, avec son bassin d’eau froide. Une piscine extérieure de 4 000 mètres carrés constituait l’élément central du bâtiment.


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Les thermes publics comportaient également des terrains de sport, des salles de jeux de balle, des salons de coiffure et de rasage, des bibliothèques, des restaurants et des bars.

Vue du ciel des thermes de Caracalla, le plus souvent désertes
Aujourd’hui les thermes de Caracalla sont le plus ouvent vides.
Wirestock/Getty

« Les bains, le vin et le sexe font que la vie vaut la peine d’être vécue »

Le philosophe Sénèque, également conseiller de l’empereur Néron, vivait au-dessus d’un complexe de bains publics vers 50 de notre ère.

Il décrivit les activités dans les thermes qui pouvaient être bruyantes :

« Imagine toutes les sortes de voix qui peuvent te faire prendre tes oreilles en haine ; lorsque les sportifs s’exercent et travaillent aux haltères, pendant leur effort, ou leur semblant d’effort, j’entends des gémissements, et, chaque fois qu’ils reprennent haleine, c’est un sifflement et une respiration aiguë. Ajoute encore les gens qui sautent dans la piscine au milieu d’un fracas d’eau éclaboussée. Mais en plus de ces gens-là, dont la voix est au moins normale, imagine la voix aiguë et aigre des épileurs, qui veulent se faire ainsi mieux entendre, et poussent tout d’un coup des cris, sans se taire jamais, sinon lorsqu’ils épilent une aisselle et alors, font crier les autres à leur place. Et puis, les cris variés du pâtissier, et le marchand de saucisses, et le vendeur de petits pâtés, et tous les garçons de taverne qui annoncent leur marchandise avec une mélopée caractéristique. »

Un récit du IVe siècle de notre ère décrit comment les aristocrates arrivaient parfois aux thermes accompagnés de 50 serviteurs.

Certaines parties des thermes étaient réservées à ces riches visiteurs, qui se paraient de leurs plus beaux vêtements et de leurs bijoux les plus précieux.

Les grands complexes de bains publics étaient construits et financés par de richissimes Romains ou par l’empereur, mais il existait une foule de petits bains privés. L’entrée était souvent gratuite pendant les festivités publiques et les campagnes politiques, et généralement bon marché le reste du temps. Ainsi, toutes les classes sociales pouvaient profiter des bains.

Les femmes et les hommes se baignaient séparément et utilisaient les bains à différents moments de la journée. Certains bains publics comportaient des zones réservées aux femmes. Le médecin Soranos d’Éphèse, qui a écrit un traité de gynécologie au deuxième siècle de notre ère, recommandait aux femmes de se rendre aux bains pour se préparer à l’accouchement.

Dans une ville surpeuplée et polluée comme Rome, les bains étaient un havre de paix. L’eau chaude, les odeurs d’onguents parfumés, les massages et l’environnement thermal étaient autant de plaisirs auxquels chacun pouvait s’adonner.

Une inscription du premier siècle de notre ère déclarait que

Les bains, le vin et le sexe font que la vie vaut la peine d’être vécue.

Les bains et la triste réalité de l’esclavage

Les bains étaient le théâtre d’une vie sociale intense, des lieux privilégiés de rencontres et d’échanges, et ils permettaient à ceux qui le souhaitaient d’exhiber leur corps et tous leurs attributs.

Certains vestiges archéologiques montrent même que l’on pouvait s’y faire nettoyer les dents.

Derrière ces images séduisantes se cachait toutefois la triste réalité de l’esclavage. C’est aux esclaves que revenait de faire le sale boulot dans les bains.

Ils nettoyaient les salles et les âtres, vidaient les toilettes et veillaient à l’écoulement des eaux.

Les esclaves se rendaient aux bains avec leurs maîtres, qu’ils frictionnaient avec de l’huile et dont ils nettoyaient la peau avec des strigiles, sorte de racloir en bronze pour la peau. Ils pénétraient dans les bains par une entrée séparée.

Les bains dans l’ensemble de l’Empire

Les bains étaient populaires dans toutes les villes de l’Empire romain. Le complexe des thermes de la ville de Bath (Somerset, Angleterre), qui a été sous domination romaine pendant des centaines d’années et s’appelait autrefois Aquae Suliss, en est un exemple célèbre. Une source d’eau chaude naturelle alimentait ces bains qui honoraient la déesse Sulis-Minerve.

Des vestiges de thermes similaires ont été découverts en Afrique du Nord, en Espagne et en Allemagne.

D’ailleurs les vastes vestiges d’un bain romain à Baden-Baden en Allemagne sont parmi les plus impressionnants.

De même, à Tolède, en Espagne, un complexe de bains publics romains mesurant près d’un hectare a été découvert.

Des bains étaient souvent construits dans les camps militaires pour assurer le confort des soldats pendant leur service. Des vestiges de bains militaires ont ainsi été découverts dans tout l’Empire. Des chercheurs ont découvert et fouillé les bains du camp militaire du mur d’Hadrien, un mur construit pour défendre la frontière nord de l’Empire romain, dans ce qui est aujourd’hui la Grande-Bretagne moderne.

Les bains de Chester comprennent des salles chaudes (caldaria), des salles froides (frigidaria) et une salle de sudation (sudatoria), semblable à un sauna.

Une longue histoire

Les Romains n’ont pas été les premiers à utiliser des bains publics. Leurs ancêtres grecs en avaient déjà. Mais les Romains ont étendu les bains publics à l’ensemble de l’Empire. Ils sont devenus un marqueur de la culture romaine partout où ils allaient.

Les bains publics ont perduré pendant la domination musulmane et sont redevenus très populaires sous l’Empire ottoman, qui a duré de 1299 à 1922. Les hammams (bains) turcs restent une institution publique importante à ce jour et ils sont un héritage des Romains. Istanbul compte encore 60 hammams en activité.

Les thermes romains ne se distinguaient pas seulement par leur ingéniosité technique, leur remarquable architecture et leur raffinement, ils créaient aussi du lien social entre des individus de tous horizons et étaient le cœur vibrant de la vie de Rome antique. Lorsque les mouettes tournent au-dessus des thermes de Caracalla à Rome, leurs cris obsédants nous relient à ce monde d’échanges, de mélanges et de plaisirs.

The Conversation

Peter Edwell a reçu des financements du Australian Research Council.

ref. Des bains, du vin et du pouvoir : la vraie vie dans les thermes romains – https://theconversation.com/des-bains-du-vin-et-du-pouvoir-la-vraie-vie-dans-les-thermes-romains-260244

À Fos-sur-Mer, un territoire industriel portuaire à l’épreuve de la transition verte

Source: The Conversation – in French – By Fabien Bartolotti, Docteur en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)

Sous couvert de décarbonation, un projet de réindustrialisation de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, qui héberge des industries lourdes depuis le XIXe siècle, pourrait voir le jour. Il impliquerait notamment la création d’un « hub » d’hydrogène vert. Mais il n’est pas aussi vertueux au plan environnemental qu’il n’y paraît : il entretient la confusion entre décarbonation et dépollution. Surtout, il n’implique pas assez les populations locales dans la prise de décision.


Depuis plus de 200 ans – une durée sans équivalent dans l’ensemble du bassin méditerranéen – le territoire de Fos-étang de Berre, dans les Bouches-du-Rhône, est confronté aux effets des aménagements industriels et portuaires. Depuis presque aussi longtemps, ses habitants s’inquiètent régulièrement des nuisances et pollutions engendrées. Tout ceci dans le cadre d’un rapport de force inégal impliquant riverains, industriels, pouvoirs publics et experts.

Nouvel épisode en date, un projet de réindustrialisation et de décarbonation. C’est le sujet de la consultation organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP) jusqu’au 13 juillet. Dans ce cadre, la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos-sur-Mer serait transformée façon « Silicon Valley de la transition écologique ».

Un projet qui implique en réalité une nouvelle densification industrielle de la ZIP, et derrière lequel on retrouve beaucoup d’incertitudes et de non-dits.




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Faut-il décarboner des usines qui ferment ? En Bretagne, les mésaventures de Michelin et l’hydrogène vert


Un territoire marqué par l’industrie lourde

Le territoire de Fos – étang de Berre a connu trois grandes phases industrielles depuis le début du XIXᵉ siècle. Chacune d’elles a contribué à créer des emplois et à intégrer ce territoire dans les flux économiques internationaux. Elles ont eu aussi d’importantes répercussions en matière de recompositions démographiques, d’aménagement du territoire mais, elles ont également occasionné des pollutions qui ont marginalisé les activités traditionnelles et mis en danger la santé des ouvriers et des riverains.

Les mobilisations contre la pollution apparaissent dès le début du XIXe siècle, lorsque la production de soude indispensable à la fabrication du savon de Marseille débute : pétitions, manifestations, interpellations des pouvoirs publics, procès, émeutes

L’État se préoccupe très tôt de la question des pollutions : décret du 15 octobre 1810 pour limiter les odeurs, création de conseils d’hygiène et de salubrité dans les départements (1848), loi du 19 décembre 1917 sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, lois sur la pollution de l’atmosphère (1961) et de l’eau (1964), création du Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI) en 1971…

Des historiens ont cependant démontré que ces dispositions étaient avant tout fondées sur une perception partielle des pollutions et qu’elles imposaient une gestion administrative pilotée par le préfet, plutôt libérale, industrialiste et technophile, généralement favorable aux industriels.

Ces travaux historiques ont souligné le rôle ambivalent dévolu à l’innovation technologique. Elle peut jouer un rôle clé dans la mesure, la compréhension, la dénonciation puis la réduction des pollutions industrielles, mais aussi faciliter leur acceptation. Ceci à cause des discours qui réduisent les enjeux à des aspects techniques véhiculant l’idée que la technologie finira par réparer ce qu’elle a abîmé.


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Le mythe de l’innovation technologique « salvatrice » favorise ainsi la densification industrielle et la perpétuation du mode de croissance à l’origine de la crise climatique et écologique.

Une « industrie du futur » qui se conjugue au passé

À Fos-sur-Mer, l’avenir de la ZIP se joue sous nos yeux. Il y a la volonté d’amorcer une nouvelle phase de croissance fondée sur des secteurs dits « verts ». Après avoir incarné le productivisme pollueur et le centralisme des Trente Glorieuses, le territoire fosséen deviendrait ainsi une vitrine du green business et un hub de la transition énergétique.

L’écologisation des pratiques entrepreneuriales se voit désignée sous une myriade de concepts : écologie industrielle, circulaire, durabilité, etc. De fait, elle reste surtout associée à la décarbonation, c’est-à-dire à la réduction des émissions de CO2.

La dynamique entraîne un retour massif des investissements (12 milliards d’euros), dans la zone. De nouvelles implantations industrielles sont ainsi envisagées à l’horizon 2028-2030 : fabrication de panneaux photovoltaïques (Carbon), d’éoliennes flottantes (Deos), d’hydrogène « vert » (H2V), de fer bas-carbone (Gravithy), d’e-carburants (Neocarb) ou encore de biosolvants (GF Biochemicals).

Les industries lourdes héritées des « Trente Glorieuses » connaissent, quant à elles, une rupture technique. C’est le cas d’ArcelorMittal (ex-SOLMER), qui abandonne son haut-fourneau au profit d’un four à arc électrique pour la production d’acier « vert ».

Mais cet élan industrialiste est loin d’être totalement disruptif. Il réinvestit les logiques mêmes qui, il y a 60 ans, ont présidé à la création de la ZIP.

Les prophéties économiques continuent de véhiculer un culte du progrès, non plus pour « reconstruire ou moderniser » la France, mais pour l’insérer dans les nouveaux marchés du capitalisme climatique. À l’instar du discours des années 1960, qui faisait alors miroiter la création de quelque 200 000 emplois, il est estimé que la décarbonation de la ZIP générera à elle seule 15 000 emplois.

Présentation du projet à l’occasion de l’ouverture du débat public en avril 2025.

On serait passé de l’aménagement au bulldozer à un processus plus horizontal, participatif et soucieux des aspirations locales. De nouvelles structures de coordination industrielle et de concertation (par exemple PIICTO) ont certes vu le jour. Mais elles n’ont ni permis d’apaiser les inquiétudes des riverains, ni d’amoindrir le rôle de l’État.

Dans sa grande tradition colbertiste, celui-ci garde la mainmise sur le processus décisionnel, la répartition des financements (par exemple à travers le plan d’investissement France 2030) et la diffusion de narratifs tels que le « réarmement industriel » ou la « souveraineté nationale et européenne ».

Des incertitudes et des risques minimisés

Il existe surtout une confusion trompeuse entre décarbonation (baisse des émissions de gaz à effet de serre) et dépollution (industries non polluantes).

Cette idée nourrit des imaginaires sociotechniques qui nous projettent dans des futurs confortables et nous laissent penser que nous allons pouvoir continuer à consommer comme avant. La question des externalités négatives, sociales et sanitaires des activités industrielles n’est jamais vraiment discutée. L’administration s’en remet aux lois en vigueur pour encadrer les débordements des nouvelles usines, traitées individuellement, c’est-à-dire, sans bilan global des émissions et rejets associés aux nouveaux hydrocarbures verts, qui viendraient s’ajouter aux pollutions accumulées depuis plusieurs décennies.

Ceci alors même que les pouvoirs publics n’ont pas réussi à juguler l’existant et que l’époque est à l’allègement des contraintes réglementaires pour un « réarmement industriel » et pour une décarbonation, ces définitions étant laissées à la libre définition des entrepreneurs : l’État intervient pour poser un cadre favorable aux investissements sans exercer ses prérogatives en matière de régulation.

La création d’un « hub de la transition énergétique » tel qu’il est envisagé aujourd’hui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les riverains. Elle engendrera un phénomène de « dépendance au sentier » (où les trajectoires possibles pour l’avenir seront influencées par les décisions et développements passés), dont il sera difficile de s’extraire par la suite, même s’il s’avère finalement que ce choix n’était pas judicieux.

D’autant plus que des incertitudes – voire des non-dits – pèsent sur le projet.

Notamment en ce qui concerne la production d’hydrogène « vert » par hydrolyse. Il s’agit d’un procédé coûteux, très gourmand en eau et électricité. Rien ne garantit, à l’heure actuelle, que le procédé sera rentable, ni ne permet de prédire quels emplois seront détruits et lesquels seront sauvés.

Les scientifiques qui s’intéressent aux hubs d’hydrogène pointent ainsi deux écueils qui prolongent les problèmes rencontrés lors de l’industrialisation du territoire Fos-étang de Berre dans les années 1970 :

  • l’impossibilité de mener des tests à petite échelle qui permettraient de maîtriser une technologie avant de la déployer – et de s’assurer de son efficacité sur les plans industriels, économiques et écologiques,

  • la mise à l’écart des riverains qui devront vivre avec les conséquences de choix technologiques réalisés pour le très long terme – sans bénéfices directs.

Autre incertitude : la maintenance des pipelines qui devront connecter le hub aux sites de stockage et aux usagers. En effet, la spécificité de l’hydrogène, par rapport à d’autres gaz, est sa faible densité. Il nécessite d’être acheminé avec des précautions particulières, parce qu’il corrode l’acier et fuit à la moindre fissure. Il peut ainsi avoir des effets négatifs sur la couche d’ozone.

Comment parer à ces nouveaux risques ? Conscient de ces problèmes, le Département de l’énergie (DoE) américain a provisionné 8 millions de dollars pour les surveiller.

Qu’en est-il de la ZIP de Fos où l’Institut écocitoyen, une association, œuvre depuis 15 ans pour produire les d onnées environnementales et sanitaires manquantes réclamées par les populations ? De fait, les nouveaux projets industriels relèvent de la directive SEVESO qui s’applique aux usines dangereuses. Les riverains sont-ils prêts à voir le plan de prévention des risques technologiques, très contraignant pour l’urbanisme, s’étendre ?

Surtout, la production d’hydrogène repose aussi sur la disponibilité en électricité et en eau, des ressources dont l’accaparement n’est pas assez problématisé.

Pour répondre aux besoins d’électricité, il faudra envisager un raccordement électrique au nucléaire de la vallée du Rhône. Ainsi, la décision de construire une ligne à très haute tension (THT) entre Fos-sur-Mer et Jonquières Saint Vincent, dans le Gard, aggrave la colère de ceux qui pensaient que le zonage des années 1960 suffirait à sanctuariser la Crau et la Camargue. Or, ces lignes font courir aux écosystèmes des risques d’incendie, sans parler des problèmes de maintenance qui peuvent survenir lorsque la température extérieure dépasse 35 °C.

La région est régulièrement en situation de stress hydrique). Pourtant, certains ingénieurs arguent que l’eau ne sera plus un problème lorsque le projet visant à amener par voie souterraine les eaux de turbinage de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas jusqu’à la ZIP de Fos, d’un coût de plusieurs milliards d’euros, aura été réalisé. Ils oublient toutefois, de façon commode, d’évoquer la question des transferts de vulnérabilité qui en découleront : réduction à venir des débits des rivières, sécheresses de plus en plus fortes et fréquentes…

Quelle place pour le débat démocratique ?

Cette débauche de solutions technologiques est-elle compatible avec les objectifs de transition affichés ? On peut aussi se demander si leur adoption est aussi démocratique que ce que leurs promoteurs voudraient croire.

La Commission nationale du débat public (CNDP) a pu, après hésitation des autorités et grâce à la pression exercée par les riverains mobilisés contre la ligne THT, organiser la consultation. Mais ses conclusions, aussi intéressantes soient-elles, ne seront pas contraignantes. L’expertise scientifique et citoyenne locale, développée depuis quarante ans du fait de la cohabitation subie avec les pollutions, ne sera très certainement pas intégrée au processus de décision. Aux riverains d’accepter ce qu’on leur propose, au nom d’un intérêt général conforme aux visées d’une poignée d’acteurs politico-économiques dominants – au risque d’un conflit social potentiellement dur.

Tout porte à croire, alors que les défis climatiques et écologiques sont majeurs, que ce bégaiement de l’histoire ne permettra pas d’accoucher d’une transition véritablement robuste et juste. Pour cela, il faudrait qu’elle adopte une dimension réflexive et réellement partagée entre tous quant à ses conséquences sociales, économiques, sanitaires et environnementales.

The Conversation

Christelle Gramaglia est membre du Conseil scientifique de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos (instance consultative)

Xavier Daumalin a reçu des financements de l’ANR

Béatrice Mésini, Carole Barthélémy et Fabien Bartolotti ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. À Fos-sur-Mer, un territoire industriel portuaire à l’épreuve de la transition verte – https://theconversation.com/a-fos-sur-mer-un-territoire-industriel-portuaire-a-lepreuve-de-la-transition-verte-260437

Comment redonner une nouvelle vie aux friches industrielles en ville ?

Source: The Conversation – in French – By Loïc Sauvée, Directeur, unité de recherche InTerACT (Beauvais – Rouen), UniLaSalle

Jardin partagé de l’Astéroïde à Rouen. Ouiam Fatiha Boukharta, Fourni par l’auteur

Dans les villes post-industrielles comme Rouen, la cohabitation historique entre ville et industrie est à réinventer. Il s’agit de concilier les enjeux de la relocalisation industrielle, les nouvelles attentes de la société et les exigences de la transition écologique, notamment en termes de végétalisation urbaine.


Les villes contemporaines font face à de nouveaux enjeux, en apparence contradictoires. Il y a d’abord la nécessité de relocaliser la production industrielle près des centres urbains, mais aussi l’importance de reconstruire des espaces verts pour améliorer le bien-être des habitants et maintenir la biodiversité. Enfin, il faut désormais rationaliser le foncier dans l’optique de l’objectif « zéro artificialisation nette ».

Des injonctions paradoxales d’autant plus exacerbées dans le contexte des villes industrielles et post-industrielles, où se pose la question de la place de l’usine dans la ville.

C’est pour explorer ces défis que nous avons mené des recherches interdisciplinaires à l’échelle d’une agglomération concernée par ces défis, Rouen. Nos résultats mettent en avant la notion de « requalification territoriale » et soulignent la condition fondamentale de son succès : que le territoire urbain soit étudié de manière globale, en tenant compte de ses caractéristiques géohistoriques et environnementales. Celles-ci doivent être évaluées, à différentes échelles, à l’aune de différents indicateurs de soutenabilité.

Les villes post-industrielles, un contexte particulier

La notion de villes post-industrielles désigne des territoires urbains qui ont connu un fort mouvement de reconversion industrielle, ce qui a transformé l’allocation foncière. Ces territoires industriels en milieu urbain se trouvent par conséquent face à des enjeux complexes, mais présentent aussi un potentiel en matière de durabilité du fait de quatre caractéristiques :

  • ils sont dotés de nombreuses friches disponibles, mais qui peuvent être polluées ;

  • de nouvelles industries y émergent, mais ont des besoins fonciers de nature différente ;

  • la densité urbaine y est forte, avec une imbrication des espaces industriels et des zones d’habitation ;

  • les populations se montrent défiantes, voire opposées aux activités industrielles, tout en ayant des demandes sociétales fortes, comme la création de zones récréatives (espaces verts) ou d’atténuation des chocs climatiques (lutte contre les îlots de chaleur) ;

Ce contexte spécifique a plusieurs implications pour ces territoires, qui ont chacun leur particularité. En raison de la densité d’occupation des villes européennes et de la concurrence pour le foncier, on ne peut laisser les friches – issues en grande partie de la désindustrialisation – occuper de précieux espaces.


Visuel d'illustration de la newsletter Ici la Terre représentant la planète Terre sur un fond bleu.

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La requalification de ces lieux doit donc être mise au service de la lutte contre l’étalement urbain. Cela permet de redensifier les activités et de reconstruire la « ville sur la ville ». Mais aussi « l’usine dans la ville », car se pose en parallèle la nécessité de relocaliser notre industrie pour accroître notre souveraineté et réduire notre dépendance externe.

Or, celle-ci doit tenir compte des enjeux d’une transition durable. Ce nouveau développement industriel et territorial, pour être plus vertueux que dans le passé, doit être envisagé dans une perspective de transition durable. Il lui faut aussi intégrer les attentes diverses de la population urbaine (bien-être, environnement sain, emploi et refus des nuisances).

Les acteurs de l’aménagement du territoire, qui se heurtent souvent à la suspicion des habitants vis-à-vis des industriels et des institutions gouvernementales, doivent donc veiller à maintenir équilibrée cette cohabitation historique entre ville et industrie.

Rouen et son héritage industriel

Pionnière de la révolution industrielle au XIXᵉ siècle, l’agglomération de Rouen fait partie des villes traversées par ces enjeux.

Elle se distingue par ses plus de 400 friches urbaines. Historiquement implantées à proximité de l’ancienne ville (actuel centre), elles ont été rattrapées par l’expansion urbaine et se trouvent aujourd’hui encastrées dans les territoires habités, près du cœur de l’agglomération.

En nous appuyant sur cet exemple, nous avons identifié trois conditions fondamentales pour requalifier de façon durable ces espaces industriels urbains et y déployer des infrastructures vertes adaptées :

  • les initiatives doivent tenir compte des spécificités géohistoriques des territoires,

  • envisager diverses échelles d’analyse,

  • et être conçues à l’aune d’indicateurs de durabilité qui intègrent la diversité des acteurs impliqués.

Le potentiel des friches urbaines

La recherche, menée à Rouen, est fondée sur des outils de système d’information géographique (SIG), des outils d’analyse fondée sur plusieurs critères et enfin des outils de modélisation. Elle propose un dispositif pour guider les décideurs de l’aménagement du territoire et les chercheurs dans l’identification et la priorisation des friches susceptibles d’être transformées en infrastructures vertes.

Le modèle propose une approche systématique de prise de décision pour éviter une répartition aléatoire. Il couple les caractéristiques locales des friches urbaines et les demandes environnementales au niveau territorial, par exemple lorsqu’une ancienne zone industrielle se trouve valorisée par un projet d’agriculture urbaine. Cette étape initiale aide à créer différents scénarios de projets de requalification des friches.

Par la suite, il s’agit d’identifier les parties prenantes, les porteurs de projets d’agriculture urbaine et les associations de quartiers afin de les engager dans le processus de décision. Pour cela, l’utilisation des méthodes participatives est essentielle pour répondre à la demande d’information des riverains et faciliter la participation des acteurs territoriaux.

Par exemple, le projet « Le Champ des possibles » a permis d’impliquer les habitants de la zone via une association dans une démarche combinant aspects éducatifs (jardinage) et visites récréatives. L’investissement local a été facilité par un appel d’offres de la ville, de manière à créer une gouvernance partagée.

Des projets d’agriculture urbaine

Forts de ces constats, nous avons pu dans le cas de notre recherche à Rouen, passer au crible d’indicateurs de durabilité un ensemble de projets d’agriculture urbaine implantés depuis les années 2013 à 2018. L’objectif était d’identifier dans quelles conditions ils pourraient s’inscrire dans de la requalification de friches industrielles et participer à une transition durable.

Nous en avons conclu que deux grandes exigences étaient à remplir : d’un côté, s’appuyer sur des indicateurs de soutenabilité (économique, sociale et environnementale), de l’autre garantir que la gouvernance des projets se fasse en lien avec les différents acteurs territoriaux du milieu urbain.


Ouiam Fatiha Boukharta, CC BY-NC-SA

En l’occurrence, de telles opérations de requalification via l’agriculture urbaine de territoires industriels en déshérence ou sous-utilisés ont généré des bénéfices en matière d’éducation à l’environnement et à l’alimentation, d’intégration des populations et de réduction des fractures territoriales. Cela permet également de développer la biodiversité des espaces renaturés.

Des liens à réinventer entre ville et industrie

Les territoires industriels, passés (sous forme de friches) ou présents ont incontestablement leur place dans la ville de demain. Mais celle-ci doit prendre en compte de manière plus contextuelle les enjeux locaux actuels.

L’exemple de Rouen révèle que les liens entre la ville et ses territoires industriels doivent sans cesse se réinventer, mais que la situation contemporaine place les exigences de durabilité au premier plan.

Les opérations de qualification des territoires urbains supposent une planification stratégique et minutieuse. Elle doit s’appuyer sur des processus de décision plus clairs et plus justes qui requièrent, outre les aspects techniques et réglementaires, une logique « bottom up », plus ascendante.

Les démarches de qualification durable des territoires industriels existent et sont suffisamment génériques pour être répliquées dans d’autres milieux urbains. La multiplication d’expériences de ce type en France et dans le monde démontre leur potentiel.

The Conversation

Ce travail est réalisé dans le cadre d’une chaire d’enseignement et de recherche développée depuis 2021 en collaboration entre l’institut Polytechnique UniLaSalle Rouen et le groupe Lubrizol.
Site internet de la Chaire : https://chaire-usinovert-unilasalle.fr/

Fabiana Fabri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Comment redonner une nouvelle vie aux friches industrielles en ville ? – https://theconversation.com/comment-redonner-une-nouvelle-vie-aux-friches-industrielles-en-ville-254497

À Fos-sur-Mer, un territoire industriel portuaire à l’épreuve de la transition énergétique

Source: The Conversation – France (in French) – By Fabien Bartolotti, Docteur en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)

Sous couvert de décarbonation, un projet de réindustrialisation de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, qui héberge des industries lourdes depuis le XIXe siècle, pourrait voir le jour. Il impliquerait notamment la création d’un « hub » d’hydrogène vert. Mais il n’est pas aussi vertueux au plan environnemental qu’il n’y paraît : il entretient la confusion entre décarbonation et dépollution. Surtout, il n’implique pas assez les populations locales dans la prise de décision.


Depuis plus de 200 ans – une durée sans équivalent dans l’ensemble du bassin méditerranéen – le territoire de Fos-étang de Berre, dans les Bouches-du-Rhône, est confronté aux effets des aménagements industriels et portuaires. Depuis presque aussi longtemps, ses habitants s’inquiètent régulièrement des nuisances et pollutions engendrées. Tout ceci dans le cadre d’un rapport de force inégal impliquant riverains, industriels, pouvoirs publics et experts.

Nouvel épisode en date, un projet de réindustrialisation et de décarbonation. C’est le sujet de la consultation organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP) jusqu’au 13 juillet. Dans ce cadre, la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos-sur-Mer serait transformée façon « Silicon Valley de la transition écologique ».

Un projet qui implique en réalité une nouvelle densification industrielle de la ZIP, et derrière lequel on retrouve beaucoup d’incertitudes et de non-dits.




À lire aussi :
Faut-il décarboner des usines qui ferment ? En Bretagne, les mésaventures de Michelin et l’hydrogène vert


Un territoire marqué par l’industrie lourde

Le territoire de Fos – étang de Berre a connu trois grandes phases industrielles depuis le début du XIXᵉ siècle. Chacune d’elles a contribué à créer des emplois et à intégrer ce territoire dans les flux économiques internationaux. Elles ont eu aussi d’importantes répercussions en matière de recompositions démographiques, d’aménagement du territoire mais, elles ont également occasionné des pollutions qui ont marginalisé les activités traditionnelles et mis en danger la santé des ouvriers et des riverains.

Les mobilisations contre la pollution apparaissent dès le début du XIXe siècle, lorsque la production de soude indispensable à la fabrication du savon de Marseille débute : pétitions, manifestations, interpellations des pouvoirs publics, procès, émeutes

L’État se préoccupe très tôt de la question des pollutions : décret du 15 octobre 1810 pour limiter les odeurs, création de conseils d’hygiène et de salubrité dans les départements (1848), loi du 19 décembre 1917 sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, lois sur la pollution de l’atmosphère (1961) et de l’eau (1964), création du Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI) en 1971…

Des historiens ont cependant démontré que ces dispositions étaient avant tout fondées sur une perception partielle des pollutions et qu’elles imposaient une gestion administrative pilotée par le préfet, plutôt libérale, industrialiste et technophile, généralement favorable aux industriels.

Ces travaux historiques ont souligné le rôle ambivalent dévolu à l’innovation technologique. Elle peut jouer un rôle clé dans la mesure, la compréhension, la dénonciation puis la réduction des pollutions industrielles, mais aussi faciliter leur acceptation. Ceci à cause des discours qui réduisent les enjeux à des aspects techniques véhiculant l’idée que la technologie finira par réparer ce qu’elle a abîmé.


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Le mythe de l’innovation technologique « salvatrice » favorise ainsi la densification industrielle et la perpétuation du mode de croissance à l’origine de la crise climatique et écologique.

Une « industrie du futur » qui se conjugue au passé

À Fos-sur-Mer, l’avenir de la ZIP se joue sous nos yeux. Il y a la volonté d’amorcer une nouvelle phase de croissance fondée sur des secteurs dits « verts ». Après avoir incarné le productivisme pollueur et le centralisme des Trente Glorieuses, le territoire fosséen deviendrait ainsi une vitrine du green business et un hub de la transition énergétique.

L’écologisation des pratiques entrepreneuriales se voit désignée sous une myriade de concepts : écologie industrielle, circulaire, durabilité, etc. De fait, elle reste surtout associée à la décarbonation, c’est-à-dire à la réduction des émissions de CO2.

La dynamique entraîne un retour massif des investissements (12 milliards d’euros), dans la zone. De nouvelles implantations industrielles sont ainsi envisagées à l’horizon 2028-2030 : fabrication de panneaux photovoltaïques (Carbon), d’éoliennes flottantes (Deos), d’hydrogène « vert » (H2V), de fer bas-carbone (Gravithy), d’e-carburants (Neocarb) ou encore de biosolvants (GF Biochemicals).

Les industries lourdes héritées des « Trente Glorieuses » connaissent, quant à elles, une rupture technique. C’est le cas d’ArcelorMittal (ex-SOLMER), qui abandonne son haut-fourneau au profit d’un four à arc électrique pour la production d’acier « vert ».

Mais cet élan industrialiste est loin d’être totalement disruptif. Il réinvestit les logiques mêmes qui, il y a 60 ans, ont présidé à la création de la ZIP.

Les prophéties économiques continuent de véhiculer un culte du progrès, non plus pour « reconstruire ou moderniser » la France, mais pour l’insérer dans les nouveaux marchés du capitalisme climatique. À l’instar du discours des années 1960, qui faisait alors miroiter la création de quelque 200 000 emplois, il est estimé que la décarbonation de la ZIP générera à elle seule 15 000 emplois.

Présentation du projet à l’occasion de l’ouverture du débat public en avril 2025.

On serait passé de l’aménagement au bulldozer à un processus plus horizontal, participatif et soucieux des aspirations locales. De nouvelles structures de coordination industrielle et de concertation (par exemple PIICTO) ont certes vu le jour. Mais elles n’ont ni permis d’apaiser les inquiétudes des riverains, ni d’amoindrir le rôle de l’État.

Dans sa grande tradition colbertiste, celui-ci garde la mainmise sur le processus décisionnel, la répartition des financements (par exemple à travers le plan d’investissement France 2030) et la diffusion de narratifs tels que le « réarmement industriel » ou la « souveraineté nationale et européenne ».

Des incertitudes et des risques minimisés

Il existe surtout une confusion trompeuse entre décarbonation (baisse des émissions de gaz à effet de serre) et dépollution (industries non polluantes).

Cette idée nourrit des imaginaires sociotechniques qui nous projettent dans des futurs confortables et nous laissent penser que nous allons pouvoir continuer à consommer comme avant. La question des externalités négatives, sociales et sanitaires des activités industrielles n’est jamais vraiment discutée. L’administration s’en remet aux lois en vigueur pour encadrer les débordements des nouvelles usines, traitées individuellement, c’est-à-dire, sans bilan global des émissions et rejets associés aux nouveaux hydrocarbures verts, qui viendraient s’ajouter aux pollutions accumulées depuis plusieurs décennies.

Ceci alors même que les pouvoirs publics n’ont pas réussi à juguler l’existant et que l’époque est à l’allègement des contraintes réglementaires pour un « réarmement industriel » et pour une décarbonation, ces définitions étant laissées à la libre définition des entrepreneurs : l’État intervient pour poser un cadre favorable aux investissements sans exercer ses prérogatives en matière de régulation.

La création d’un « hub de la transition énergétique » tel qu’il est envisagé aujourd’hui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les riverains. Elle engendrera un phénomène de « dépendance au sentier » (où les trajectoires possibles pour l’avenir seront influencées par les décisions et développements passés), dont il sera difficile de s’extraire par la suite, même s’il s’avère finalement que ce choix n’était pas judicieux.

D’autant plus que des incertitudes – voire des non-dits – pèsent sur le projet.

Notamment en ce qui concerne la production d’hydrogène « vert » par hydrolyse. Il s’agit d’un procédé coûteux, très gourmand en eau et électricité. Rien ne garantit, à l’heure actuelle, que le procédé sera rentable, ni ne permet de prédire quels emplois seront détruits et lesquels seront sauvés.

Les scientifiques qui s’intéressent aux hubs d’hydrogène pointent ainsi deux écueils qui prolongent les problèmes rencontrés lors de l’industrialisation du territoire Fos-étang de Berre dans les années 1970 :

  • l’impossibilité de mener des tests à petite échelle qui permettraient de maîtriser une technologie avant de la déployer – et de s’assurer de son efficacité sur les plans industriels, économiques et écologiques,

  • la mise à l’écart des riverains qui devront vivre avec les conséquences de choix technologiques réalisés pour le très long terme – sans bénéfices directs.

Autre incertitude : la maintenance des pipelines qui devront connecter le hub aux sites de stockage et aux usagers. En effet, la spécificité de l’hydrogène, par rapport à d’autres gaz, est sa faible densité. Il nécessite d’être acheminé avec des précautions particulières, parce qu’il corrode l’acier et fuit à la moindre fissure. Il peut ainsi avoir des effets négatifs sur la couche d’ozone.

Comment parer à ces nouveaux risques ? Conscient de ces problèmes, le Département de l’énergie (DoE) américain a provisionné 8 millions de dollars pour les surveiller.

Qu’en est-il de la ZIP de Fos où l’Institut écocitoyen, une association, œuvre depuis 15 ans pour produire les d onnées environnementales et sanitaires manquantes réclamées par les populations ? De fait, les nouveaux projets industriels relèvent de la directive SEVESO qui s’applique aux usines dangereuses. Les riverains sont-ils prêts à voir le plan de prévention des risques technologiques, très contraignant pour l’urbanisme, s’étendre ?

Surtout, la production d’hydrogène repose aussi sur la disponibilité en électricité et en eau, des ressources dont l’accaparement n’est pas assez problématisé.

Pour répondre aux besoins d’électricité, il faudra envisager un raccordement électrique au nucléaire de la vallée du Rhône. Ainsi, la décision de construire une ligne à très haute tension (THT) entre Fos-sur-Mer et Jonquières Saint Vincent, dans le Gard, aggrave la colère de ceux qui pensaient que le zonage des années 1960 suffirait à sanctuariser la Crau et la Camargue. Or, ces lignes font courir aux écosystèmes des risques d’incendie, sans parler des problèmes de maintenance qui peuvent survenir lorsque la température extérieure dépasse 35 °C.

La région est régulièrement en situation de stress hydrique). Pourtant, certains ingénieurs arguent que l’eau ne sera plus un problème lorsque le projet visant à amener par voie souterraine les eaux de turbinage de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas jusqu’à la ZIP de Fos, d’un coût de plusieurs milliards d’euros, aura été réalisé. Ils oublient toutefois, de façon commode, d’évoquer la question des transferts de vulnérabilité qui en découleront : réduction à venir des débits des rivières, sécheresses de plus en plus fortes et fréquentes…

Quelle place pour le débat démocratique ?

Cette débauche de solutions technologiques est-elle compatible avec les objectifs de transition affichés ? On peut aussi se demander si leur adoption est aussi démocratique que ce que leurs promoteurs voudraient croire.

La Commission nationale du débat public (CNDP) a pu, après hésitation des autorités et grâce à la pression exercée par les riverains mobilisés contre la ligne THT, organiser la consultation. Mais ses conclusions, aussi intéressantes soient-elles, ne seront pas contraignantes. L’expertise scientifique et citoyenne locale, développée depuis quarante ans du fait de la cohabitation subie avec les pollutions, ne sera très certainement pas intégrée au processus de décision. Aux riverains d’accepter ce qu’on leur propose, au nom d’un intérêt général conforme aux visées d’une poignée d’acteurs politico-économiques dominants – au risque d’un conflit social potentiellement dur.

Tout porte à croire, alors que les défis climatiques et écologiques sont majeurs, que ce bégaiement de l’histoire ne permettra pas d’accoucher d’une transition véritablement robuste et juste. Pour cela, il faudrait qu’elle adopte une dimension réflexive et réellement partagée entre tous quant à ses conséquences sociales, économiques, sanitaires et environnementales.

The Conversation

Christelle Gramaglia est membre du Conseil scientifique de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos (instance consultative)

Xavier Daumalin a reçu des financements de l’ANR

Béatrice Mésini, Carole Barthélémy et Fabien Bartolotti ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. À Fos-sur-Mer, un territoire industriel portuaire à l’épreuve de la transition énergétique – https://theconversation.com/a-fos-sur-mer-un-territoire-industriel-portuaire-a-lepreuve-de-la-transition-energetique-260437

Le quiz Environnement de l’été

Source: The Conversation – France (in French) – By Service Environnement, The Conversation France

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Avant de jouer, n’hésitez pas à prendre quelques minutes pour relire les articles de la semaine écoulée.

Besoin d’un peu d’aide ? Ok, voici quelques indices. Vous pouvez lire (ou relire) :

3, 2, 1, à vous de jouer c’est parti !

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ref. Le quiz Environnement de l’été – https://theconversation.com/le-quiz-environnement-de-lete-260875

En ville, comment redonner une nouvelle vie aux friches industrielles ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Loïc Sauvée, Directeur, unité de recherche InTerACT (Beauvais – Rouen), UniLaSalle

Jardin partagé de l’Astéroïde à Rouen. Ouiam Fatiha Boukharta, Fourni par l’auteur

Dans les villes post-industrielles comme Rouen, la cohabitation historique entre ville et industrie est à réinventer. Il s’agit de concilier les enjeux de la relocalisation industrielle, les nouvelles attentes de la société et les exigences de la transition écologique, notamment en termes de végétalisation urbaine.


Les villes contemporaines font face à de nouveaux enjeux, en apparence contradictoires. Il y a d’abord la nécessité de relocaliser la production industrielle près des centres urbains, mais aussi l’importance de reconstruire des espaces verts pour améliorer le bien-être des habitants et maintenir la biodiversité. Enfin, il faut désormais rationaliser le foncier dans l’optique de l’objectif « zéro artificialisation nette ».

Des injonctions paradoxales d’autant plus exacerbées dans le contexte des villes industrielles et post-industrielles, où se pose la question de la place de l’usine dans la ville.

C’est pour explorer ces défis que nous avons mené des recherches interdisciplinaires à l’échelle d’une agglomération concernée par ces défis, Rouen. Nos résultats mettent en avant la notion de « requalification territoriale » et soulignent la condition fondamentale de son succès : que le territoire urbain soit étudié de manière globale, en tenant compte de ses caractéristiques géohistoriques et environnementales. Celles-ci doivent être évaluées, à différentes échelles, à l’aune de différents indicateurs de soutenabilité.

Les villes post-industrielles, un contexte particulier

La notion de villes post-industrielles désigne des territoires urbains qui ont connu un fort mouvement de reconversion industrielle, ce qui a transformé l’allocation foncière. Ces territoires industriels en milieu urbain se trouvent par conséquent face à des enjeux complexes, mais présentent aussi un potentiel en matière de durabilité du fait de quatre caractéristiques :

  • ils sont dotés de nombreuses friches disponibles, mais qui peuvent être polluées ;

  • de nouvelles industries y émergent, mais ont des besoins fonciers de nature différente ;

  • la densité urbaine y est forte, avec une imbrication des espaces industriels et des zones d’habitation ;

  • les populations se montrent défiantes, voire opposées aux activités industrielles, tout en ayant des demandes sociétales fortes, comme la création de zones récréatives (espaces verts) ou d’atténuation des chocs climatiques (lutte contre les îlots de chaleur) ;

Ce contexte spécifique a plusieurs implications pour ces territoires, qui ont chacun leur particularité. En raison de la densité d’occupation des villes européennes et de la concurrence pour le foncier, on ne peut laisser les friches – issues en grande partie de la désindustrialisation – occuper de précieux espaces.


Visuel d'illustration de la newsletter Ici la Terre représentant la planète Terre sur un fond bleu.

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La requalification de ces lieux doit donc être mise au service de la lutte contre l’étalement urbain. Cela permet de redensifier les activités et de reconstruire la « ville sur la ville ». Mais aussi « l’usine dans la ville », car se pose en parallèle la nécessité de relocaliser notre industrie pour accroître notre souveraineté et réduire notre dépendance externe.

Or, celle-ci doit tenir compte des enjeux d’une transition durable. Ce nouveau développement industriel et territorial, pour être plus vertueux que dans le passé, doit être envisagé dans une perspective de transition durable. Il lui faut aussi intégrer les attentes diverses de la population urbaine (bien-être, environnement sain, emploi et refus des nuisances).

Les acteurs de l’aménagement du territoire, qui se heurtent souvent à la suspicion des habitants vis-à-vis des industriels et des institutions gouvernementales, doivent donc veiller à maintenir équilibrée cette cohabitation historique entre ville et industrie.

Rouen et son héritage industriel

Pionnière de la révolution industrielle au XIXᵉ siècle, l’agglomération de Rouen fait partie des villes traversées par ces enjeux.

Elle se distingue par ses plus de 400 friches urbaines. Historiquement implantées à proximité de l’ancienne ville (actuel centre), elles ont été rattrapées par l’expansion urbaine et se trouvent aujourd’hui encastrées dans les territoires habités, près du cœur de l’agglomération.

En nous appuyant sur cet exemple, nous avons identifié trois conditions fondamentales pour requalifier de façon durable ces espaces industriels urbains et y déployer des infrastructures vertes adaptées :

  • les initiatives doivent tenir compte des spécificités géohistoriques des territoires,

  • envisager diverses échelles d’analyse,

  • et être conçues à l’aune d’indicateurs de durabilité qui intègrent la diversité des acteurs impliqués.

Le potentiel des friches urbaines

La recherche, menée à Rouen, est fondée sur des outils de système d’information géographique (SIG), des outils d’analyse fondée sur plusieurs critères et enfin des outils de modélisation. Elle propose un dispositif pour guider les décideurs de l’aménagement du territoire et les chercheurs dans l’identification et la priorisation des friches susceptibles d’être transformées en infrastructures vertes.

Le modèle propose une approche systématique de prise de décision pour éviter une répartition aléatoire. Il couple les caractéristiques locales des friches urbaines et les demandes environnementales au niveau territorial, par exemple lorsqu’une ancienne zone industrielle se trouve valorisée par un projet d’agriculture urbaine. Cette étape initiale aide à créer différents scénarios de projets de requalification des friches.

Par la suite, il s’agit d’identifier les parties prenantes, les porteurs de projets d’agriculture urbaine et les associations de quartiers afin de les engager dans le processus de décision. Pour cela, l’utilisation des méthodes participatives est essentielle pour répondre à la demande d’information des riverains et faciliter la participation des acteurs territoriaux.

Par exemple, le projet « Le Champ des possibles » a permis d’impliquer les habitants de la zone via une association dans une démarche combinant aspects éducatifs (jardinage) et visites récréatives. L’investissement local a été facilité par un appel d’offres de la ville, de manière à créer une gouvernance partagée.

Des projets d’agriculture urbaine

Forts de ces constats, nous avons pu dans le cas de notre recherche à Rouen, passer au crible d’indicateurs de durabilité un ensemble de projets d’agriculture urbaine implantés depuis les années 2013 à 2018. L’objectif était d’identifier dans quelles conditions ils pourraient s’inscrire dans de la requalification de friches industrielles et participer à une transition durable.

Nous en avons conclu que deux grandes exigences étaient à remplir : d’un côté, s’appuyer sur des indicateurs de soutenabilité (économique, sociale et environnementale), de l’autre garantir que la gouvernance des projets se fasse en lien avec les différents acteurs territoriaux du milieu urbain.


Ouiam Fatiha Boukharta, CC BY-NC-SA

En l’occurrence, de telles opérations de requalification via l’agriculture urbaine de territoires industriels en déshérence ou sous-utilisés ont généré des bénéfices en matière d’éducation à l’environnement et à l’alimentation, d’intégration des populations et de réduction des fractures territoriales. Cela permet également de développer la biodiversité des espaces renaturés.

Des liens à réinventer entre ville et industrie

Les territoires industriels, passés (sous forme de friches) ou présents ont incontestablement leur place dans la ville de demain. Mais celle-ci doit prendre en compte de manière plus contextuelle les enjeux locaux actuels.

L’exemple de Rouen révèle que les liens entre la ville et ses territoires industriels doivent sans cesse se réinventer, mais que la situation contemporaine place les exigences de durabilité au premier plan.

Les opérations de qualification des territoires urbains supposent une planification stratégique et minutieuse. Elle doit s’appuyer sur des processus de décision plus clairs et plus justes qui requièrent, outre les aspects techniques et réglementaires, une logique « bottom up », plus ascendante.

Les démarches de qualification durable des territoires industriels existent et sont suffisamment génériques pour être répliquées dans d’autres milieux urbains. La multiplication d’expériences de ce type en France et dans le monde démontre leur potentiel.

The Conversation

Ce travail est réalisé dans le cadre d’une chaire d’enseignement et de recherche développée depuis 2021 en collaboration entre l’institut Polytechnique UniLaSalle Rouen et le groupe Lubrizol.
Site internet de la Chaire : https://chaire-usinovert-unilasalle.fr/

Fabiana Fabri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. En ville, comment redonner une nouvelle vie aux friches industrielles ? – https://theconversation.com/en-ville-comment-redonner-une-nouvelle-vie-aux-friches-industrielles-254497

Faut-il décarboner des usines qui ferment ? En Bretagne, les mésaventures de Michelin et l’hydrogène vert

Source: The Conversation – France (in French) – By Hugo Vosila, Doctorant en science politique , Sciences Po Bordeaux

À Vannes, le groupe Michelin a mis en place une station d’hydrogène début 2024 pour décarboner le processus industriel de son usine. Mais moins d’un an après le lancement de ce projet, l’industriel a annoncé la fermeture de l’usine. Un exemple des défis que pose la décarbonation dans un contexte encore prégnant de désindustrialisation.


Le 5 novembre 2024, le groupe Michelin annonçait à ses salariés de Cholet et de Vannes l’arrêt de la production des sites à horizon 2026.

« Saignée industrielle » selon la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, la fermeture de l’usine vannetaise du Prat, outre les quelque 299 emplois qu’elle concentrait, met également en péril le devenir de la station d’hydrogène vert HyGO attenante, qui participait à la décarbonation du processus industriel de Michelin pour la fabrication des pneus.

L’annonce de la fermeture de l’industriel – principal consommateur de l’hydrogène (H2) du site – et l’absence d’usages identifiés pour la mobilité interrogent sur le futur de la station, et plus largement sur la pérennité du déploiement des écosystèmes territoriaux basés sur l’hydrogène.

La ruée vers l’hydrogène de la décennie 2010

À l’écart des grands axes de transport nationaux, faiblement industrialisée, la Bretagne n’apparaît pas d’emblée comme la région de prédilection pour le développement d’une filière hydrogène. À la fin de la décennie 2010, elle n’échappe pourtant pas à l’engouement d’acteurs territoriaux publics et privés, qui ambitionnent alors de faire émerger des projets sur les territoires. Sans grand succès toutefois : en Ille-et-Vilaine, rares sont les initiatives qui dépassent le stade des études de faisabilité.

Au niveau étatique, un Plan national de déploiement de l’hydrogène voit le jour en 2018, ciblant la décarbonation de l’industrie, de la mobilité lourde et le soutien à l’innovation.

En parallèle, l’Agence de la Transition écologique (Ademe) lance un premier appel à projet « Écosystèmes mobilité hydrogène » en 2018. L’enjeu est d’assurer des boucles production-distribution-usages, d’essayer de cadrer les velléités locales et de faire le tri parmi les projets.

Du côté de la région, la feuille de route hydrogène renouvelable, publiée en 2020, identifie le maritime et les mobilités comme des axes forts du potentiel breton.

Mais les premières réflexions autour d’un écosystème hydrogène à Vannes remontent au début de cette effervescence, à l’écart des futures orientations régionales. Elles visent à décarboner le process de l’un des seuls sites industriels consommateurs d’hydrogène : l’usine Michelin de Vannes.

Les promesses locales du projet HyGO

Implantée dans l’agglomération depuis 1963, cette dernière utilisait de l’H2 gris fossile, issu du vaporeformage de gaz naturel, pour travailler les membranes métalliques des pneumatiques.

Soucieux de réduire l’empreinte carbone de ses sites, le Bibendum s’engage aux côtés d’acteurs de l’énergie dans une stratégie « tout durable ». Si de premiers appels du pied sont lancés par Engie dès 2015 pour verdir le procédé de l’industriel, il faut attendre 2020 et la création de la société HyGO pour que ces aspirations se concrétisent.

Dans les faits, il s’agit d’un petit électrolyseur sur site, alimenté par de l’électricité renouvelable fournie par Engie, capable de produire 270 kilos quotidiens d’hydrogène vert. Si Michelin est identifié comme le principal consommateur (avec uniquement 40 à 70 kg d’H2/jour cependant), la molécule est également avitaillée au sein d’une station de distribution ouverte pour le rechargement des quelques véhicules qui roulent à l’hydrogène dans l’agglomération – moins d’une dizaine.


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À l’heure actuelle, le coût de l’hydrogène vert est toujours prohibitif pour des usages diffus (c’est-à-dire, qui émaneraient de particuliers ou de privés qui s’approvisionneraient en H2 de façon non planifiée). En l’absence d’un marché compétitif, la présence d’un industriel historique comme consommateur rassure et garantit un débouché constant. D’autant que le passage de l’H2 gris à l’H2 vert n’a pas modifié le procédé de production de Michelin.

Catalyseur de la station, l’industriel doit donc amortir la faible rentabilité de la distribution, le temps que les usages mobilité se déploient. Après un délai de quelques années, la station HyGO est finalement inaugurée en janvier 2024.

La fermeture de l’usine, coup d’arrêt au projet ?

Moins d’un an plus tard, pourtant, Michelin annonce la fermeture de l’usine. Dans un communiqué de presse, le maire David Robo réagit :

« Ce 5 novembre 2024 […] est une journée noire pour Vannes et un séisme pour le territoire ».

Les raisons invoquées par le PDG Florent Menegaux ? La concurrence chinoise et la hausse de coûts de production du pneumatique en Europe – omettant toutefois de mentionner la rémunération record des actionnaires cette année-là.

Si aucun lien n’est officiellement établi avec le surcoût de l’hydrogène renouvelable consommé depuis peu sur le site, l’annonce est pour le projet HyGO une fâcheuse nouvelle. Les plus optimistes, certes, gagent que la partie mobilité sera amenée à décoller, compensant ainsi la perte commerciale liée à la fermeture de Michelin. Mais à ce stade, les usages mobilité de la station sont extrêmement limités, et ne promettent aucunement un avenir à l’écosystème. Même en couvrant les besoins de l’usine, la consommation d’hydrogène permet au mieux à HyGO d’être sous perfusion, sans rentabiliser les investissements.

Contrairement à Lorient, qui convertit une partie de sa flotte de bus à l’hydrogène renouvelable, l’agglomération de Vannes n’a pas émis le souhait d’utiliser la molécule produite localement pour assurer un débouché stable à la station via ses transports urbains.

Désintérêt de l’État pour la filière ?

Quel avenir pour HyGO ? Certains acteurs souhaiteraient que des aides à la consommation soient promulguées au niveau national pour réduire le prix de l’hydrogène à la pompe.

Mais c’est mal connaître la nouvelle conjoncture étatique de soutien à l’H2. Désormais, finis les appels à projets de l’Ademe qui favorisaient les boucles locales production-usages y compris de mobilité. L’heure est aux économies : la Stratégie nationale hydrogène, actualisée en avril 2025 – ainsi que les futurs appels à projets de l’Ademe – sont moins généreux dans leurs aides aux écosystèmes territoriaux, en particulier les plus petits.

Dans un contexte budgétaire limité, l’accompagnement étatique se resserre sur les usages considérés comme indispensables de l’hydrogène renouvelable, c’est-à-dire la décarbonation de l’industrie, au détriment des usages au lien avec la mobilité, à l’exception de ceux liés à la production de e-carburant pour l’aérien. C’est ironique pour HyGO Vannes, qui perd son atout industriel au moment même où ce dernier est consacré par les pouvoirs publics.

Cette restriction du soutien national à l’hydrogène est concomitante avec un recul critique plus diffus sur les vertus révolutionnaires de cette technologie, symptomatique des trajectoires des processus d’innovation.

Promesses techno-scientifiques et désillusions

Pour l’économiste Pierre Benoît Joly, une des caractéristiques pathologiques de ce qu’il nomme « régime d’économies des promesses techno-scientifiques » serait l’inévitable cycle hype (effet de mode)/hope (espoir)/disappointment (déception), auquel le déploiement de l’hydrogène renouvelable ne semble pas échapper. À l’excitation initiale véhiculée par l’apparition d’une nouvelle technologie succéderait un « creux de désillusion » (où les attentes exagérées se heurtent à la réalité), suivi d’une reprise plus mesurée et restreinte de son développement.

Un membre de l’Ademe Bretagne, avec qui j’ai eu un entretien dans le cadre de mon travail de thèse, a indiqué :

« À dire tout et n’importe quoi sur l’hydrogène, au bout d’un moment, les gens ont perdu espoir. Ils se sont dit non, mais l’hydrogène, c’est nul en fait. Il y a eu ce retour de bâton. Mais l’industrie, ça sera effectivement quelque chose de plus solide, à mon avis, quand ça va partir ».

Mais comment s’en assurer ? À Vannes, c’est précisément l’industriel qui a fait défaut. Projet lancé trop tôt ou surestimation de l’ancrage territorial de Michelin ? Les accompagnateurs de la station côté société d’économie mixte expriment le sentiment d’avoir « essuyé les plâtres » (selon les mots d’un membre de la société d’économie mixte (SEM) Énergies 56) en prenant le risque de se lancer les premiers.

La faute à pas de chance ? Prise isolément, la fermeture de Michelin à Vannes peut paraître anecdotique dans l’économie nationale de l’hydrogène. On l’a vu, l’industriel consommait moins de 70kg/jour d’hydrogène vert. La filière pneumatique battait déjà de l’aile, et la Bretagne, après tout, n’est pas une terre d’industrie.

La pertinence de l’hydrogène pour la décarbonation de l’industrie en France serait davantage à aller chercher du côté de la sidérurgie, de la chimie, ou du raffinage, dans le Nord-Pas-de-Calais, ou en Auvergne-Rhône-Alpes.

Des industries qui ne jouent pas le jeu ?

À s’y pencher de plus près, pourtant, ces filières n’échappent pas non plus aux menaces de fermeture.

Pour la sidérurgie, le géant ArcelorMittal, avec Genvia, investit certes dans un électrolyseur pour utiliser de l’hydrogène bas-carbone à la place du charbon et décarboner sa production d’acier. Mais il ferme en parallèle ses sites de Denain et de Reims, quelques semaines seulement après l’annonce de Michelin, laissant craindre un prochain plan social à Dunkerque.

Pour la chimie et la production d’engrais, la multinationale Yara s’est associée avec Lhyfe en Normandie pour utiliser de l’hydrogène vert dans sa production d’ammoniac. Mais elle ferme son site de Montoir-de-Bretagne en Loire-Atlantique, déficitaire et non conforme aux normes environnementales.

Citons également le groupe LAT Nitrogen, fournisseur européen d’engrais qui, après avoir bénéficié de 4 milliards d’euros de subventions pour réduire les émissions de ses sites via le développement d’électrolyseurs et la production-consommation d’hydrogène vert, cesse sa production à Grandpuits, bien qu’engagé auprès de l’État à décarboner le site via un contrat de transition écologique.

Dans la vallée de la chimie, en Isère, Vencorex et par effet domino Arkema, deux firmes consommatrices d’hydrogène dans leurs procédés, sont en voie de liquidation.

Les efforts de l’État en matière de réindustrialisation verte se multiplient pourtant : Loi industrie verte en octobre 2023, France Nation Verte en 2022… Mais quelles contraintes pour les entreprises ? À quoi bon décarboner des industries qui ferment ?

« Grand État vert » régulateur et planificateur ?

Inséré dans des marchés internationaux, le groupe Michelin peut se permettre de produire moins cher ailleurs, en Asie en l’occurrence. Est-ce la conséquence d’une décennie de politique de l’offre ? Les règles de la concurrence et du marché semblent peu adaptées aux enjeux de souveraineté industrielle et énergétique.

Dans un contexte de renouveau protectionniste exacerbé outre-Atlantique, la problématique des rapports entre stratégies multinationales et ambitions climatiques nationales mérite une actualisation. Planification, nationalisation… expropriation ?

Ce que l’économiste britannique Daniela Gabor nomme le Wall Street Climate Consensus, modèle d’une transition douce par les marchés, qui confie aux fonds d’investissement et aux entreprises privées le soin de s’écologiser, paraît avoir atteint ses limites : délocalisations à bas coût quand la conjoncture économique se dégrade, persistance d’actifs fossiles et d’activités extractives…

À l’opposé, le modèle du « Grand État vert », régulateur et planificateur, pourrait avoir certaines vertus. Sans nécessairement prôner le « léninisme écologique » d’un Andreas Malm, des formes plus poussées d’interventionnisme public, voire de coercition auprès de firmes, pourraient assurer une pérennité à certaines filières émergentes comme l’hydrogène vert.

The Conversation

Hugo Vosila a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour son travail de thèse.

ref. Faut-il décarboner des usines qui ferment ? En Bretagne, les mésaventures de Michelin et l’hydrogène vert – https://theconversation.com/faut-il-decarboner-des-usines-qui-ferment-en-bretagne-les-mesaventures-de-michelin-et-lhydrogene-vert-257033

Votre manager est-il toxique ? Six signes qui ne trompent pas…

Source: The Conversation – France (in French) – By George Kassar, Full-time Faculty, Research Associate, Performance Analyst, Ascencia Business School

Si la gestion de la performance n’est pas mise en œuvre de manière adéquate, elle peut devenir un formidable outil pour démotiver, épuiser et pousser au départ vos collaborateurs. PeopleImages.comYuri A/Shutterstock

La recherche en gestion de performance offre une gamme complète de pratiques managériales toxiques à appliquer sans modération pour faire fuir les talents les plus précieux. Si ces conseils sont à prendre au second degré, ces pratiques restent bien réelles dans la gestion quotidienne de certains managers.


Qui a dit que la principale ressource d’une entreprise, et son véritable avantage concurrentiel, résidait dans ses employés, leur talent ou leur motivation ?

Après tout, peut-être souhaitez-vous précisément vider vos bureaux, décourager durablement vos collaborateurs et saboter méthodiquement votre capital humain.

Dans ce cas, la recherche en gestion de performance vous offre généreusement tout ce dont vous avez besoin : une gamme complète de pratiques managériales toxiques à appliquer sans modération pour faire fuir les talents les plus précieux.

En fait, la gestion de la performance, issue des pratiques de rationalisation au début du XXe siècle, est devenue aujourd’hui un élément clé du management moderne. En théorie, elle permet d’orienter l’action des équipes, de clarifier les attentes et de contribuer au développement individuel. En pratique, si elle n’est pas mise en œuvre de manière adéquate, elle peut également devenir un formidable outil pour démotiver, épuiser et pousser au départ vos collaborateurs les plus précieux.

Voici comment :

Management par objectifs flous

Commencez par fixer des objectifs vagues, irréalistes ou contradictoires. Surtout, évitez de leur donner du sens ou de les relier à une stratégie claire, et évidemment ne pas leur assurer les ressources appropriées. Bref, adoptez les « vrais » objectifs SMART : Stressants, Mesurés arbitrairement, Ambigus, Répétés sans contexte, Totalement déconnectés du terrain !

Selon les recherches en psychologie organisationnelle, cette approche garantit anxiété, confusion et désengagement parmi vos équipes, augmentant significativement leur intention de quitter l’entreprise.


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Le silence est d’or

Éviter toute forme de dialogue et de communication. Ne donnez jamais de feedback. Et si vraiment vous ne pouvez pas l’éviter, faites-le rarement, de manière irrégulière, strictement détachée du travail, et portez-le plutôt sur une critique de la personne. L’absence d’un retour d’information régulier, axé sur les tâches et exploitable, laisse les employés dans l’incertitude et les surprend au moment de l’évaluation et mine progressivement leur engagement.

Plus subtilement encore, c’est la manière dont vos employés interprètent vos intentions, et le feedback que vous leur donnez, qui compte le plus. Attention, lorsqu’il est perçu comme ayant une intention constructive, il risque de renforcer la motivation à apprendre et l’engagement. Mais lorsque ce même feedback est perçu comme incité par des intérêts personnels du manager (attribution égoïste), il produit l’effet inverse : démotivation, repli et départ.

« Procès » d’évaluations de performance

Organisez des entretiens annuels où vous ne relevez que les erreurs et oubliez totalement les réussites ou les efforts invisibles. Soyez rigide, critique, et concentrez-vous uniquement sur les faiblesses. Prenez soin de vous attribuer tout le mérite lorsque l’équipe réussit – après tout, sans vous, rien n’aurait été possible. En revanche, lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur, n’hésitez pas à pointer les erreurs, à individualiser la faute et à rappeler que « vous aviez pourtant prévenu ».

Ce type d’évaluation de performance, mieux vaut le qualifier de procès punitif, garantit une démotivation profonde et accélère la rotation des équipes.




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Compétition interne poussée à l’extrême

Favorisez une culture de rivalité entre collègues : diffusez régulièrement des classements internes, récompensez uniquement les meilleurs, éliminer systématiquement les moins bien classés, dévaloriser l’importance de la coopération, et laisser la concurrence interne faire le reste. Après tout, ce sont les caractéristiques essentielles de la « célèbre » méthode que Jack Welch a popularisée chez General Electric.

Si vous remarquez un possible élan de motivation à court terme, ne vous inquiétez pas, les effets de la « Vitality Curve » de Jack Welch seront, à terme, beaucoup plus néfastes que bénéfiques. La féroce concurrence interne vous sera un excellent outil de détruire la confiance entre coéquipiers, de créer une atmosphère toxique durable et d’augmenter le nombre de départs volontaires.

Ignorez le bien-être : surtout, restez sourd

Nous avons déjà établi qu’il fallait éviter le feedback et tout dialogue. Mais si, par malheur, un échange survient, surtout n’écoutez pas les plaintes ni les signaux d’alerte liés au stress ou à l’épuisement. Ne proposez aucun soutien, aucun accompagnement, et bien sûr, ignorez totalement le droit à la déconnexion.

En négligeant la santé mentale et en refusant d’aider vos employés à trouver du sens à leur travail – notamment lorsqu’ils effectuent des tâches perçues comme ingrates ou difficiles – vous augmentez directement l’éventualité de burn-out et d’absentéisme chronique

De plus, privilégiez systématiquement des primes de rémunération très variables et mal conçues : cela renforcera l’instabilité salariale des employés et tuera ce qui reste d’engagement.

L’art d’user sans bruit

Envie d’aller plus loin dans l’art de faire fuir vos équipes ? Inspirez-vous de ce que la recherche classe parmi les trois grandes formes de violence managériale. Il s’agit de pratiques souvent banalisées, telles que micro-gestion, pression continue, absence de reconnaissance ou isolement, qui génèrent une souffrance durable. Ces comportements, parfois invisibles mais répétés, finissent par user les salariés en profondeur, jusqu’à les pousser à décrocher, mentalement puis physiquement jusqu’à rupture.


Évidemment, ces conseils sont à prendre au second degré !

Pourtant, les pratiques toxiques décrites ici restent malheureusement bien réelles dans la gestion quotidienne de certains managers. Si l’objectif est véritablement de retenir les talents et d’assurer le succès durable d’une entreprise, il devient indispensable d’orienter la gestion de la performance autour du sens, de l’équité et du développement authentique du potentiel humain.

The Conversation

George Kassar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Votre manager est-il toxique ? Six signes qui ne trompent pas… – https://theconversation.com/votre-manager-est-il-toxique-six-signes-qui-ne-trompent-pas-260438